Rien ne me choque, rien ne m'agace...

 I l y a peu (en ce 24/07/2005) j'eus un échange de correspondances sur diverses questions; dans l'un des messages échangés j'écrivis une chose qui me semble intéressante à adjoindre au texte «Qui je suis et pourquoi j'écris». Voilà l'objet:

        Vous m'écrivez: «J'aimerais savoir, avant de vous envoyer certains textes, si rien ne vous a blessé, choqué, agacé dans ce que vous avez déjà mis en ligne». La réponse est: rien. Mais ça ne signifie pas grand chose, car rien ne me blesse, ne me choque ni ne m'agace, dans les discours qui ne me sont pas spécialement destinés, et bien peu dans les autres. Dans mes interactions directes avec les gens, je divise les personnes en deux catégories: celles que je supporte et celles que je ne supporte pas; la seconde compte très peu de gens. Sur un autre plan, celui de la société globale, il existe un groupe de personnes spécifique, cet ensemble composite des médiateurs, des «médiatisés» (cette catégorie toujours plus vaste des “stars”) des politiques et des «responsables» (du public comme du privé), et là c'est plutôt le contraire: très peu me conviennent, parce que très peu me semblent se trouver à juste titre là où ils sont. Disons que ce qu'on peut espérer de ceux qui prétendent à nous diriger est le respect de leur fonction, ce qui n'est hélas pas la chose la plus ordinaire. Enfin, j'ai des interactions indirectes avec tout un tas de gens par le biais de ce qu'ils écrivent à leut propre titre, et sans prétendre à quelque fonction publique que ce soit. Et là encore, je suis très tolérant. Mais de bien autre manière que dans mes interactions directes.
        Voilà la chose: vous, moi et tout un tas d'autres personnes pensons avoir des choses à écrire, et y attachons du prix, de l'importance. Plus ou moins. Et pas tous de la même manière. Tel que je le comprends, ces personnes se répartissent, selon moi, sur deux axes: celles qui réfléchissent et celles qui remplacent la réflexion par le réflexe conditionnel; celles qui ont une idéologie et celles qui n'en ont pas; les seuls textes qui me conviennent viennent des personnes qui réfléchissent sans être dominées par une idéologie; me disconviennent le plus ceux qui proviennent des personnes qui réfléchissent en se guidant sur leur idéologie […]; les autres types de textes n'ont pour moi d'intérêt que documentaire.
        Mon terme d'«idéologie» ne se réfère pas qu'à ce qu'on nomme les «idées politiques» limitées aux doctrines sur le gouvernement de la cité d'un point de vue organique et institutionnel, mais à tout corps de doctrine à partir duquel un groupe d'individus va développer un certain agir social. Prenez le cas de Daniel Schneidermann, dont j'ai publié [sur ce site] une partie de son essai Le Cauchemar médiatique: la limite du livre vient de ce qu'il étaie son argument principal, la «théorie des emballements», sur une idéologie de la presse et médias faiblement liée avec les pratiques sociales réelles des médias. Les «emballements» (ou «dérives») sont des mythes si on les considère comme des «cas particuliers»: ils sont l'exemple paroxisique d'un cas général, la «nécessité» dogmatique (et non pas réelle) de «coller à l'actualité» complétée de celle de «faire des scoops». Un autre texte qu'on trouve sur mon site, «Les mythes professionnels actuels des journalistes français» de Jacques Le Bohec, explique assez bien en quoi nombre des lieux communs sur le métier de journaliste et le rapport entre médias et public ressortent justement de l'idéologie plutôt que du constat.
        Restent les personnes qui réfléchissent sans se laisser guider par une idéologie. Ce qui ne signifie en rien qu'elles n'ont pas d'opinion, d'opinions. Que dire ? Je peux considérer que telle analyse, telle proposition ne correspond pas à ce que je pense de l'objet discuté. Bon, et puis ? Prenez par exemple votre texte […]: je ne vois pas les choses de la même manière que vous, bien que je sois assez d'accord avec la plus grande partie du texte. Dois-je me choquer ? M'agacer ? Dois-je me sentir blessé que quelqu'un «mette en cause mon point de vue» ? Non, je ne crois pas. Je peux certes en faire une critique pour pointer nos divergences, mais je n'en vois pas trop l'intérêt en soi: ça peut arriver si quelque jour je devais développer un discours qui s'appuie en partie sur ce texte, et dans ce cas, très logiquement j'y pointerai les divergences entre votre analyse et la mienne; maintenant, je ne pense pas qu'une analyse de la société et de ses ressorts ait quelque validité absolue, notamment les miennes; je l'explique dans la brève présentation de mon site, «mon but n'est pas de “dire ce qu'il faut penser” de ceci et cela, mais d'offrir à mes visiteurs des éléments de réflexion, de leur réflexion. Je ne crois pas avoir une si grande qualité d'investigation de la réalité que je puisse me prévaloir de donner des “indications de bonne manière de penser”, par contre, je pense avoir une approche des sujets dont je traite qui peut donner des idées à qui me lira de considérer ces sujets sans les a priori habituels qui conduisent à ne pas réfléchir à un objet social et à y appliquer une grille de lecture fortement teintée d'idéologie partisane».
        J'écris ce que je pense et (en général…) je pense ce que j'écris; maintenant, dois-je requérir toutes les personnes qui me visitent de «penser comme moi» ? Ma foi, il faudrait avoir une faible conscience de la réalité sociale pour imaginer que ce soit possible. En outre, rien ne stimule plus ma réflexion que de lire ou d'entendre de personnes qui pensent différemment de moi, soit que ça modifie ma perception de tel ou tel sujet, soit que ce soit une invite à mieux exprimer ma propre analyse. Pour reprendre le cas de votre texte […], comme vous l'aurez sans doute vu, je mène mes propres réflexions sur les thèmes qui y sont développés, et la lecture de votre texte m'a donné idée, à la fois de corriger certains de mes présupposés en les confrontant aux votres, de l'autre de mieux préciser certains points par contraste à votre analyse. Pour dire les choses simplement, il m'arrive d'approuver ou de contester in petto certains points développés dans les textes que je lis, mais je le fais pour ma propre réflexion, et non pour me faire le censeur de celui qui les développe.
        Pour conclure là-dessus, je vous conseille de lire, si ce n'est fait, le texte intitulé «Qui je suis et pourquoi j'écris» (l'adresse en est http://olivier.hammam.free.fr/divers/description.htm), ça pourra vous donner un bon aperçu, je crois, de mon rapport au monde et à la société, et des raisons qui font que je ne peux vraiment pas être un censeur convenable…