|
|
|
Entropie contre anthropie
|
|
 |
L e titre est là pour jouer sur les mots entre l'un qui
ne s'appliquera pas strictement au sujet et l'autre qui est inventé, même si vraisemblable. D'un
sens il sera tout de même question d'entropie, une notion rattachée au deuxième principe de la
thermodynamique, qui énonce que « toute transformation d'un système thermodynamique
s'effectue avec augmentation de l'entropie globale incluant l'entropie du système et du milieu
extérieur. On dit alors qu'il y a création d'entropie ». Le constat est que « plus
l'entropie du système est élevée, moins ses éléments sont ordonnés, liés entre eux, capables de
produire des effets mécaniques, et plus grande est la part de l'énergie inutilisable pour
l'obtention d'un travail ; c'est-à-dire libérée de façon incohérente ». l'anthropie
serait, dans mon histoire, le résultat constatable des actions humaines sur son environnement
propre, l'anthroposphère ou « ensemble et résultats des activités produites par l’être
humain ». Les citations viennent de Wikipedia ou du Wiktionnaire.
Bien sûr, depuis que les humains ne sont plus des vivants comme les autres mais ont acquis
l'aptitude de modifier leur milieu à grande échelle, soit deux bons millénaires, et de manière
encore plus significative depuis deux bons siècles, presque trois, l'anthroposphère s'est élargie
à l'ensemble de la biosphère. Les quelques « mers de plastique », le trou d'ozone dû aux
CFC, et bien sûr l'augmentation anthropique des gaz à effet de serre, trois exemples qui montrent
clairement quelle marque importante sur l'environnement global laissent désormais les humains.
En même temps, cette action humaine sur la biosphère n'est pas tant significative que ça. Je
veux dire : pour notable qu'elle soit, cette action ne semble pas provoquer tellement plus de
changement de la biosphère que d'autres épisodes précédents, parfois rapides, parfois plus lents,
connus désormais comme les « grandes extinctions », dont les causes ne sont pas toujours
déterminées et qui de toute manière doivent être diverses. On retient surtout la dernière la plus
spectaculaire, celle qui a vu la disparition de presque tous les dinosaures, la seule branche
survivante étant celle des oiseaux, mais ça ne fut pas la plus massive. Il y a deux questions, en
fait : l'action des humains dans la biosphère et son effet sur elle sont-ils importants ?
Quelles en seront les conséquences sur l'humanité même ? À la seconde question la réponse est
de plus en plus « très négatives », d'où beaucoup en infèrent que les humains causent en
effet des changements très importants à la biosphère, ce qui n'est pas évident.
Dans leur très grande majorité les humains ont un rapport cartésien à la nature, ils s'en jugent
maîtres et possesseurs, y compris les écologistes, y compris leur frange la plus radicale, les
tenants de l'« écologie profonde » (la “deep ecology”), il n'y a qu'une faible partie de
l'humanité, hors les groupes résiduels et menacés qui vivent en harmonie avec leur milieu, qui ne
voit pas son espèce comme maîtresse de la nature. Cette perception curieuse vient de ce que dans
leur majorité les humains ont une compréhension causale de leur environnement, alors qu'il est
globalement cybernétique.
On associe généralement la cybernétique à l'informatique, alors même que les ordinateurs sont
conçus au départ comme des « machines causales » même si leur conception dérive d'une
description de machine cybernétique, la machine de Turing. Une véritable machine cybernétique est
par exemple le pilote automatique : il est conçu de telle manière qu'il aura une trajectoire
apparemment causale alors même qu'il se contente de faire des corrections indépendantes d'un but
causal du genre « aller en ligne droite d'un point A à un point B ». Il y a bien une
faible causalité locale, qui consiste à faire qu'un certain objet soit dans un certain état mais du
point de vue du pilote automatique il n'y a pas de notion d'altitude, de direction et de vitesse,
juste celle de corrections pour se trouver, comme dit, dans un certain état.
Ma description préférée de la cybernétique est celle que fait Gregoy Bateson dans l'article
« La cybernétique du “soi” : une théorie de l'alcoolisme » de son livre Vers une
écologie de l'esprit :
« L'ordinateur n'est qu'un arc dans un circuit plus grand, qui comprend toujours
l'homme et l'environnement d'où proviennent les informations et sur qui se répercutent les messages
efférents de l'ordinateur. On peut légitimement conclure que ce système global, ou ensemble, fait
preuve de caractéristiques “mentales”. Il opère selon un processus “essai-et-erreur” et a un
caractère créatif. «
« Nous pouvons dire, de même, que l'esprit est immanent dans ceux des circuits qui sont
complets à l'intérieur du cerveau ou que l'esprit est immanent dans des circuits complets à
l'intérieur du système : cerveau plus corps. Ou, finalement, que l'esprit est immanent au
système plus vaste : homme plus environnement. «
« Si nous voulons expliquer ou comprendre l'aspect “mental” de tout événement biologique, il
nous faut, en principe, tenir compte du système, à savoir du réseau des circuits fermés, dans
lequel cet événement biologique est déterminé. Cependant, si nous cherchons à expliquer le
comportement d'un homme ou d'un tout autre organisme, ce “système” n'aura généralement pas les
mêmes limites que le “soi” — dans les différentes acceptions habituelles de ce terme. «
« Prenons l'exemple d'un homme qui abat un arbre avec une cognée. Chaque coup de cognée sera
modifié (ou corrigé) en fonction de la forme de l'entaille laissée sur le tronc par le coup
précédent. Ce processus autocorrecteur (autrement dit, mental) est déterminé par un système
global : arbre-yeux-cerveau-muscles-cognée-coup-arbre ; et c'est bien ce système global
qui possède les caractéristiques de l'esprit immanent. «
« Plus exactement, nous devrions parler de (différences dans l'arbre) - (différences dans la
rétine) - (différences dans le cerveau) - (différences dans les muscles) - (différences dans le
mouvement de la cognée) - (différences dans l'arbre), etc. Ce qui est transmis tout au long du
circuit, ce sont des conversions de différences ; et, comme nous l'avons dit plus haut, une
différence qui produit une autre différence est une idée, ou une unité d'information. «
« Mais ce n'est pas ainsi qu'un Occidental moyen considérera la séquence événementielle de
l'abattage de l'arbre. Il dira plutôt : “J'abats l'arbre” et il ira même jusqu'à penser qu'il
y a un agent déterminé, le “soi”, qui accomplit une action déterminée, dans un but précis, sur un
objet déterminé ».
Même si ça n'est pas si simple, on peut dire que l'ordinateur est une machine globalement
causale insérée dans un processus « mental » tel que l'entend Bateson, et à l'inverse le
pilote automatique est une machine cybernétique insérée dans un processus globalement linéaire. Ce
n'est donc pas l'ordinateur (du moins, son cœur, le processeur) qui est proprement cybernétique
mais le contexte dans lequel il s'insère : alors que le pilote automatique effectue réellement
tout le processus d'utocorrection, les « différences », l'ordinateur le simule grâce aux
interactions « exocorrectrices » de son environnement.
Qu'est-ce exactement que l'entropie ? C'est la tendance d'un système à augmenter son niveau
de désordre. Pour citer Wikipédia, l'entropie « peut être interprétée comme la mesure du
degré de désordre d'un système au niveau microscopique. Plus l'entropie du système est élevée,
moins ses éléments sont ordonnés, liés entre eux, capables de produire des effets mécaniques, et
plus grande est la part de l'énergie inutilisable pour l'obtention d'un travail ». En
regard on a « la néguentropie ou entropie négative, [qui] est un facteur d'organisation des
systèmes physiques, et éventuellement sociaux et humains, qui s'oppose à la tendance naturelle à la
désorganisation : l'entropie ».. Tout ça se place dans le cadre de la thermodynamique
classique et de son deuxième principe. Pour mémoire :
- Premier principe : « Au cours d'une transformation quelconque d'un système fermé,
la variation de son énergie est égale à la quantité d'énergie échangée avec le milieu extérieur,
sous forme d'énergie thermique et de travail » ;
- Deuxième principe : « Toute transformation d'un système thermodynamique s'effectue
avec augmentation de l'entropie globale incluant l'entropie du système et du milieu extérieur. On
dit alors qu'il y a création d'entropie » ;
- Troisième principe : « L'entropie d'un cristal parfait à 0 kelvin est nulle ».
Le premier principe est souvent paraphrasé par la sentence de Lavoisier « Rien ne se
perd, rien ne se crée, tout se transforme ». Sentence qui vaut aussi pour le deuxième
principe, d'un sens.
Que nous disent les deux premiers principes ? En gros, qu'il n'existe pas de systèmes qu'on
puisse strictement dire fermés. La néguentropie est une belle idée qui ne tient pas compte du fait
que la seule manière d'obtenir un semblant d'augmentation d'ordre dans un système est d'augmenter
symétriquement le désordre autour ou ailleurs. Rien ne se perd, tout se transforme. De ce point de
vue, on peut considérer que les humains créent un peu d'ordre en certains points et beaucoup de
désordre par ailleurs. C'est logique. Le deuxième principe l'énonce, « toute transformation
d'un système thermodynamique s'effectue avec augmentation de l'entropie globale incluant l'entropie
du système et du milieu extérieur ». C'est ce qu'on peut constater.
Sans dire que ça soit parfait (en fait, beaucoup de systèmes fortement énergétiques tendent à
la surchauffe, ce qui indique bien que leur niveau d'entropie n'est pas si maîtrisé) du moins on
peut dire que la néguentropie ça marche, sauf à regarder ses conséquences. L'exemple le plus clair
est l'augmentation du niveau des gaz à effet de serre, notamment le CO2 et le méthane,
dans l'atmosphère. Dès lors qu'on utilise une matière normalement inerte comme combustible, ce que
l'on fait avec le charbon, le pétrole, le gaz et l'uranium, nécessairement on augmente le niveau
global d'entropie, nécessairement, si cette augmentation ne se fait pas, ou pas trop, dans les
poches de néguentropie, elle se fera ailleurs dans le système global. Pour l'uranium le problème
principal est différent mais quoiqu'on en veuille faire croire, cette filière contribue aussi à la
dispersion de gaz à effet de serre.
Les humains ne sont pas des animaux comme les autres, c'est certain, comme dit, ils ont une
capacité unique pour modifier leur environnement. Cela constaté, l'action réelle des humains sur
cet environnement est somme toute limité, c'est une perception propre à l'espèce qui en augmente
l'importance du fait que les perturbations causées portent sur des éléments ou des segments de la
réalité qui ont une grande incidence sur ses membres. Pour reprendre le cas de l'augmentation du
niveau de gaz à effet de serre dans l'atmosphère,
|