PRÉC. SOMM SUIV.
Gregory Bateson - Vers une Écologie de l'esprit
Forme et pathologie des relations sociales

- III.I.1 - Planning social et concept d'apprentissage secondaire [*] -

Cette analyse est centrée sur le dernier point de l’article de Margaret Mead « L’étude comparée des cultures et l’utilisation délibérée des valeurs démocratiques] »[1]. Au profane, qui ne s’est jamais appliqué lui-même à l’étude comparative des cultures, la recommandation de l’auteur (cf. note l) risque de paraître pour le moins étrange ; il y verra, en effet, un paradoxe éthique et philosophique, notamment l’idée selon laquelle pour atteindre le but, on doit l'abandonner, ce qui lui rappellera cerrains des aphorismes fondamentaux, et universellement connus, du taoïsme et du christianisme ; ce qui est surprenant en l’occurrence c’est de les entendre dire par les hommes de science euiæmêmes et de les Voir intégrés dans l’ensemble de la pensée analytique.

Aux anthropologues et à ceux qui soccupent des sciences sociales, la recommandation de Margaret Mead paraîtra encore plus surprenante et même dépourvue de sens, car l’idée d’instrumentalité et de modèle, ou projet est, vue dans la perspective de la science, un élément essentiel de la structure de la vie elle-même.

Ceci fera la même impression aux hommes politiques. Eux, ils classent les décisions en stratégiques et exécutives et. finalement, pour eux, comme pour les hommes de science (il faudrait mentionner, en plus, le monde du commerce), les problèmes humains sont toujours structurés en termes de but, de moyens et de fins, de volonté et de satisfaction.

Si quelqu’un doute encore du fait que la tendance générale est de Voir lïnstrumentalité et les buts comme spécifiquement humains, il n’a qu’à se rappeler le vieux jeu de mots sur vivre et manger : celui qui « mange pour vivre » est le plus humain : celui qui « vit pour manger », quoique rustre, est encore humain ; mais celui qui ne fait que « vivre et manger », sans attribuer une instrumentalité, ou sans donner même un semblant de priorité dans le temps à un de ces processus, passera pour un animal et d’aucuns même, plus méchants, le classeront dans le règne végétal.

La contribution de Margaret Mead consiste en ceci que, forte de l’étude comparative des cultures différentes, elle va au-delà des habitudes de pensées de sa propre culture, ce qui lui permet d’affirmer : « Avant d’appliquer les sciences sociales à nos problèmes nationaux, nous devons réexaminer et changer notre façon de concevoir les moyens et les fins. Dans notre milieu culturel, nous avons appris à diviser le comportement en ces deux catégories ; si nous continuons à définir les fins comme séparées des moyens et à appliquer les sciences sociales uniquement comme moyens instrumentaux, en nous servant de recettes de la science pour manipuler les individus, le système auquel nous aboutirons sera un système totalitaire et non démocratique. » La solution que M. Mead propose c’est de prendre en considération les « directions » et les « valeurs » implicites aux moyens, plutôt que de courir après un but planifié et d’essayer à chaque moment de voir si ce dernier justifie ou pas les moyens de manipulation. La valeur d’un acte planifié doit être recherchée dans l’acte lui-même, élément qui lui est implicite et simultané, et non pas séparé de lui, comme si l’acte devait tirer sa valeur d’une référence à un but a atteindre dans le futur. En fait, Margaret Mead tient un discours qui ne porte pas directement sur le thème des fins et des moyens ; elle ne nous dit nullement si les unes justifient les autres, mais préfere analyser notre façon de les concevoir, ainsi que les dangers que cela renferme.

C’est précisément là le point sur lequel l'anthropologue peut contribuer le plus à l'éclaircissement des problèmes humains. C’est sa tâche que de repérer le dénominateur commun des phénomènes les plus divers ou, au contraire, de décider si des phénomènes les plus divers ou, au contraire, de décider si des phénomènes qui paraissent similaires ne sont, en réalité, fondamentalement différents. En se rendant dans les mers du Sud, chez les Manus par exemple, il pourrait y découvrir que, alors même que tout ce qwentreprennent concrètement les indigènes est différent de notre comportement, leur système de motivations profondes est néanmoins assez proche de notre souci de prévoyance et d'accumulation des richesses. Dans une autre société, à Bali par exemple, alors que les signes extérieurs de la religion indigène sont aisément comparables aux nôtres : agenouillement pour la prière, utilisation de l’encens, psalmodies ponctuées de tintements de cloche, etc., les attitudes émotionnelles sont radicalement différentes. La religion balinaise approuve l'accomplissement routinier, non émotionnel des actes, alors que les Eglises chrétiennes exigent, à chaque occasion, une attitude émotionnelle correcte.

Dans tous les cas, la tâche de l'anthropologue n’est pas uniquement de donner une simple description, mais surtout celle d'atteindre à un plus haut degré d'abstraction, à des généralisations plus vastes. Il est vrai qu’en premier lieu il doit rassembler méticuleusement toute une masse dbbservations concrètes sur la vie des indigènes ; seulement, l’étape suivante ne consiste pas à faire la somme de ces données, mais à les interpréter dans les termes d’un langage plus abstrait, qui transcende et englobe le vocabulaire et les notions implicites et explicites de notre propre culture. ll n’est pas possible de donner une description scientifique d’une culture différente avec les mots de tous les jours ; ce n’est qu’en élaborant un vocabulaire plus abstrait qu’on peut rendre compte à la fois de notre culture et de celle des indigènes.

Voici donc le type de science qui permet à Margaret Mead de mettre en évidence une divergence fondamentale entre les « techniques sociales » (social engeneering), dont on se sert pour manipuler les individus afin de réaliser une société conforme à un certain projet, et les idéaux de la démocratie, à savoir « la valeur suprême et la responsabilité morale de la personne humaine ».

C’est depuis longtemps que ces deux motifs antinomiques sont implicites dans notre culture ; en effet, les tendances instrumentalisantes de la science se sont fait sentir déjà avant la révolution industrielle et, pour ce qui est de l’accent mis sur la valeur de Findividu et sur sa responsabilité, ses origines sont à chercher encore plus loin dans l’histoire. Néanmoins, ce n’est que ces derniers temps que la menace de conflit entre ces deux motifs s’est contourée plus nettement avec, d’une part, une prise de conscience et un accent croissant mis sur l'élément démocratique et, d’autre part, une extension du thème instrumental. Finalement, le conflit a pris aujourd’hui la forme d’un combat à vie et à mort, dont l’enjeu est la détermination du rôle qu’auront à jouer les sciences sociales dans l’organisation des relations humaines. Il serait à peine exagéré de dire que, idéologiquement, ce combat est porté justement sur ce point : le rôle des sciences sociales. Faut-il abandonner les techniques et le droit de manipuler les masses à quelques individus assoiffés de pouvoir, planificateurs aveuglés par le « but », qu’attire l’aspect instrumental de la science ? Maintenant que nous sommes en possession de ces techniques, allons-nous de sang-froid traiter les êtres humains en choses ? Ou, sinon, qu’allons-nous en faire ?

Le problème est tout à la fois difficile et urgent ; et il est encore plus difficile pour nous, hommes de science empêtrés dans des habitudes de pensée instrumentalisante – ou, du moins, pour ceux d’entre nous pour qui la science est non seulement une abstraction digne et belle, mais partie intégrante de la vie. Essayons cependant de surmonter cette source supplémentaire de difficultés, en appliquant les instruments de la science tant à notre habitude de pensée instrumentalisante qu’à cette nouvelle habitude qu’envisage Margaret Mead, à savoir : rechercher la « direction » et la « valeur » dans l’acte lui-même, plutôt que dans les buts proposés. De toute évidence, ces deux habitudes sont en même temps deux façons de considérer les séquences temporelles. Dans l’ancien langage de la psychologie, elles représenteraient des façons différentes de percevoir des séquences de comportement ; dans celui, plus récent, de la gestalt psychologie, on pourrait les décrire comme  :les habitudes de rechercher tel ou tel cadre conceptuel du comportement. Le problème que soulève Margaret Mead – tout en plaidant pour le changement – est de savoir de quelle façon sont apprises les habitudes relevant de cet ordre abstrait.

Il ne s’agit pas là d’un type de questions qu’on se pose d’habitude dans les laboratoires de psychologie, du genre : « Dans quelles circonstances un chien apprendra-t-il à saliver en réponse au son d’une clochette ? », ou « Quelles sont les ‘variables qui assurent le succès d’un apprentissage routinier ? » Notre question se place à un niveau plus abstrait et, en un sens, elle jette un pont entre les travaux expérimentaux sur l'apprentissage simple et l’approche de la gestalt psychologie.

Nous nous demandons : « Comment le chien acquiert-il l'habsitude de ponctuer ou de percevoir ce flux extrêmement complexe dévénements (comprenant son propre comportement) de sorte qu’il lui apparaisse constitué d’un tel type de séquences plutôt que d’un autre ? » Ou, si le savant prenait la place du chien : « Quelles circonstances amènent un tel savant à ponctuer un flux d’événements de façon à en conclure que tout est prédéterminé, alors qu’un autre trouverait le flux suffisamment régulier pour qu’on puisse le contrôler ? » Ou encore, au même niveau d'abstraction, posons-nous une autre question, particuîièrement pertinente pour la promotion de ‘la démocratie : « Quelles circonstances favorisent cette conception commune qui engendre des mises en formules du genre : ‘libre arbitre’, ‘responsabilité’, ‘créativité’, ‘énergie’, ‘passivité’, ‘dominance’, etc. ? » Car toutes ces qualités abstraites, arsenal fondamental des éducateurs, peuvent être considérées comme des façons différentes de ponctuer un courant (l’expérience, en lui octroyant un sens et une cohérence parmi d’autres. Ce sont des abstractions qui n’acquièrent de signification opératoire qu’une fois placées a un niveau conceptuel, entre les propositions de Ïapprentissage simple et celles de la gestalt psychologie.

Nous pouvons, par exemple, toucher du doigt le processus qui aboutit à la déception ou à la tragédie à chaque fois que les hommes, s’efforçant de réaliser le paradis sur terre (celui du christianisme ou celui des planificateurs), décident que « la fin justifie les moyens ». Ils ignorent ou passent sous silence le fait qu’en matière de manipulation sociale les outils ne sont pas des marteaux ou des tournevis. Un tournevis ne sera pas trop affecté si, en cas de besoin, on l’utilise comme cale, et la vision du monde d’un marteau ne sera point perturbée si son manche sert parfois de levier. Cependant, dans la manipulation sociale, les outils sont des êtres humains, et ceux-ci apprennent, acquièrent des habitudes plus subtiles et plus insidieuses que les ruses que leur enseignent les planificateurs. En vue d’annihiler les tendances s’opposant à la réalisation de notre plan, nous pouvons, par exemple, avec les meilleures intentions du monde, pousser les enfants à espionner leurs parents : mais il ne faut pas oublier que les enfants, en tant qu’êtres humains, feront plus que d’apprendre cette simple ruse ; ils emploieront cette expérience dans l’ensemble de leur philosophie de vie et elle donnera la tonalité de toutes leurs attitudes futures face à l’autorité. Chaque fois qu’ils seront confrontés à certaines sortes de contextes, ils auront tendance à les percevoir comme structurés selon un modèle familial appris auparavant. Le planificateur pourra, au départ, tirer un avantage de la malice des enfants, mais le succès final de son plan risque d’être compromis par les habitudes mêmes qu’ils ont acquises. en même temps que cette ruse. (Il n’y a malheureusement aucune raison de croire que le projet nazi s’effondrera pour de telles raisons ; les habitudes désagréables mentionnées ci-dessus sont, en l’occurrence, considérées comme fondamentales à la fois pour le plan et pour les moyens de le réaliser. La voie vers l’enfer peut aussi bien être pavée de mauvaises intentions. quoique les gens bien intentionnés aient du mal à le croire.)

Nous traitons, apparemment, d’une sorte d’habitude qui est un produit secondaire du processus äapprentissage. Lorsque Margaret Mead nous recommande d’arrêter de penser en termes de projets et d’évaluer les actes qu’on planifie en fonction de leur valeur immédiate et implicite, elle veut dire qu’en élevant et en éduquant nos enfants, nous devrions essayer de leur inculquer des habitudes secondaires différentes de celles que nous avons acquises et que nous renforçons chaque jour en nous-mêmes, dans nos contacts avec la science, la politique. les journaux, etc.

Elle affirme clairement que ce nouveau changement dans Fintensité ou dans la gestalt de notre pensée, c’est un voyage en mer inconnue : nous ne pouvons savoir quelle sorte d’être humain résultera d’un tel trajet, pas plus que nous ne pouvons être certains de nous sentir à l’aise dans le monde de 1980. Margaret Mead nous avertit seulement que si nous suivons la voie qui semble la plus naturelle, à savoir planifier les applications de la science sociale, comme des moyens en vue d’atteindre des buts déterminés, nous nous heurterons à un rocher. Elle a pris soin de repérer ce danger et nous conseille de mettre le cap dans l’autre sens ; et il s’agit la justement d’une direction nouvelle, qui mène en pays inconnu. Et, dans son article, Margaret Mead se demande précisément comment dresser la carte de ces territoires inexplorés.

En effet, la science peut nous offrir aujourd’hui du moins fapproximation d’une telle carte. J ’ai dit plus haut que les différents termes abstraits de cette grappe conceptuelle : libre arbitre, prédestination, responsabilité, créativité, dominance, etc., peuvent être considérés comme les descriptions de certaines habitudes aperceptives ou comme des façons communes de regarder le flux d’événements dont notre propre comportement fait partie ; de surcroît, ces habitudes peuvent être considérées, en un certain sens, comme des produits secondaires du processus d'apprentissage. La prochaine étape pour établir la carte en question sera alors non pas de dresser au hasard une liste d’habitudes possibles, mais d’arriver précisément à une classification qui mette en évidence de quelle façon chacune d’entre elles est systématiquement reliée aux autres.

Nous sommes tous d’accord sur le fait que l’autonomie de l'individu – habitude mentale liée au « libre arbitre » – est l'élément essentiel de la démocratie, mais ce qui n’est pas encore clair c’est comment cette autonomie devrait être définie d’une façon opératoire. Quel est, par exemple, le rapport entre l’« autonomie » et le négativisme compulsif ? Les stations-service qui refusent cl’observer le couvre-feu font-elles preuve ou pas d’un bel esprit démocratique ? Ce genre de négativisme relève certainement du même degré d’abstraction que le « libre arbitre » ou le « déterminisme » : il n’est qu’une façon habituelle de percevoir les contextes, les séquences d’événements et les comportements personnels. Ce qui n’est pas clair, c’est de savoir si ce négativisme est une sous-espèce de l’autonomie ou une habitude totalement différente. De même, il nous faut savoir comment cette nouvelle habitude mentale prônée par Margaret Mead se rattache aux autres.

De toute évidence, je le répète, il nous faut quelque chose de mieux qu’une liste établie au hasard de ces habitudes de pensée, notamment un cadre systématique ou une classification qui puisse éclairer leurs rapports réciproques ; il se peut ainsi qu’une telle classification nous procure une approximation de cette carte qui nous manque. Margaret Mead nous exhorte à naviguer dans des eaux inconnues en adoptant une nouvelle habitude de pensée. Cependant, si nous savions comment cette habitude est reliée aux autres, nous pourrions juger des bénéfices, dangers et pièges que comporte ce voyage. La carte que nous recherchons pourrait peut-être nous fournir les réponses aux questions qui se posent quant à la façon d’apprécier la « valeur » et la « direction » implicites dans les actes projetés.

Mais il ne faut pas s’attendre à ce que les sciences sociales produisent à la minute une telle carte ou classification, comme on sort un lapin d’un chapeau. Nous pouvons seulement indiquer ici certains thèmes fondamentaux – les points cardinaux, si vous voulez – sur lesquels doit être bâtie la classification définitive.

Les types d’habitudes dont il s’agit sont, en un certain sens, des sous-produits des processus d'apprentissage ; il est donc naturel que nous examinons d’abord les phénomènes d’apprentissage simple, car cela peut nous mettre sur la bonne voie. Bien que les problèmes soulevés soient d’un niveau d’abstraction supérieur à ceux étudiés par les psychologues, c’est encore dans leurs laboratoires que nous devons chercher des réponses.

Dans les laboratoires de psychologie, il se produit communément un phénomène d’un niveau d’abstraction et de généralité supérieur à celui que les expériences – de par leurs projets – sont censées élucider. C’est un lieu commun que le sujet de l’expérience – homme ou animal – devient, à la suite d’expériences répétées, un sujet meilleur : il n’apprend pas seulement à saliver aux bons moments ou à réciter correctement des syllabes dépourvues de sens ; qui plus est, il apprend a‘ apprendre. Non seulement il résout les problèmes posés par Fexpérimentateur – problèmes où chaque solution est un élément dapprentissage simple –, mais, en plus, il devient de plus en plus apte à résoudre des problèmes en général.

Dans une terminologie semi-gestaltiste ou semi-anthropomorphiste, nous pouvons dire que le sujet apprend à s’orienter vers un certain type de contexte, ou qu’il acquiert de la « perspicacité » (insight), dans le cadre défini par la résolution du problème ; ou, dans le langage que nous avons choisi de parler ici, que le sujet a acquis l'habitude de rechercher des contextes ou des séquences d’un certain type plutôt que d’un autre, ou encore, Fhabitude de « ponctuer » le flux des événements de façon à obtenir la répétition d’un certain type donné de séquence signifiante.

La ligne de raisonnement que nous avons suivie nous a menés à un point où les propositions concernant l’apprentissage simple rejoignent celles relatives aux structures gestaltiques ou contextuelles ; nous sommes arrivés à l'hypothese que « apprendre à apprendre » est un synonyme de l'acquisition de cette classe d’habitudes abstraites de pensée dont traite notre article : il est évident que ces états d’esprit qu’on nomme « libre arbitre », pensée instrumentale, domination, passivité, etc., s’acquièrent au cours d’un processus qu’on peut assimiler à « apprendre à apprendre ».

Cette hypothèse étant, à certains égards, nouvelle[2], tant pour les psychologues que pour les profanes, je me sens obligé de fournir quelques précisions sur sa signification. Il me faut, au moins, traduire en termes opératoires mon intention de jeter un pont entre apprentissage simple et gestalt. *

Pour ce faire, je propose deux termes : « apprentissage primaire » et « apprentissage secondaire », termes qui nous évitent de définir de façon opératoire tous les autres concepts du discours (transfert d'apprentissage, généralisation, etc.). Disons, d’autre part, que, dans tout apprentissage continu, on peut discerner deux sortes de gradients ; le gradient, en un point quelconque d’une courbe d’ apprentissage simple (courbe cïapprentissage routinier, par exemple), représente le taux d'apprentissage primaire. Si néanmoins nous faisons subir à un même sujet une série dexpériences d'apprentissage similaires, nous découvrirons qu’à chaque expérience qui s’ajoute, le gradient d'apprentissage primaire augmente, ce qui veut dire que le sujet apprend de plus en plus vite. C’est ce changement progressif du taux d'apprentissage primaire que nous appellerons « apprentissage secondaire » ( dentero-learning ).
Figure l. Trois courbes d'apprentissage du même sujet montrant une augmentation du degré d'apprentissage au cours des expériences successives.

Figure 2. Courbe d'apprentissage secondaire dérivée des trois expériences d'apprentissage de la figure 1.

A partir de là, nous pouvons représenter graphiquement Tapprentissage secondaire par une courbe dont le gradient exprimera le taux d'apprentissage secondaire. Une telle représentation peut être obtenue, par exemple, en intersectant la ligne verticale – qui part d’un point arbitrairement choisi sur l’axe des essais (Voir fig. l) – d’une série de courbes d’apprentissage primaire et en notant la proportion de bonnes réponses obtenues, pour chaque expérience, à l’endroit de ces points. La courbe d'appreritissage secondaire sera alors obtenue en rapportant ces nombres aux nombres sériels des expériences (voir fig. 2)[3].

Dans cette définition des apprentissages primaire et secondaire, une expression demeure toutefois manifestement vague, à savoir : « une série dexpériences similaires ». Pour les besoins de l'illustration, j’ai imaginé une série d’expériences d'apprentissage routinier, chaque expérience étant semblable à la précédente à ceci près qu’on substitue chaque fois de nouvelles séries de syllabes dépourvues de sens à celles déjà apprises. Dans cet exemple, la courbe d'apprentissage secondaire montre un accroissement de la compétence dans l’apprentissage routinier et, en tant que fait d’expérience, ce phénomène d'accroissement peut être démontré[4].

En dehors de l'apprentissage routinier, il est beaucoup plus difficile de déterminer ce qu’on entend par le fait qu’un contexte est « similaire » à un autre, à moins de se contenter d’abandonner le problème aux expérimentateurs et d’admettre avec eux que deux contextes sont considérés similaires à chaque fois qu’on peut montrer en pratique que l’expérience d'apprentissage dans un contexte donné augmente la rapidité d'apprentissage dans un autre contexte ; dans ce cas, il resterait encore à demander aux expérimentateurs de trouver un type de classification qui puisse se fonder sur un tel critère. Nous pouvons espérer qu’ils y arriveront ; mais, en tous les cas, on ne peut pas attendre des réponses immédiates à ces questions, car ce genre d’expériences se heurte à de très sérieuses difficultés. ll est déjà bien difficile de réaliser et de contrôler avec exactitude critique les expériences d'apprentissage simple ; que dire alors des expériences d'apprentissage secondaire, sinon qu’elles semblent quasiment impossibles à réaliser.

Mais, toutefois, il y a peut-être une autre voie qui s’ouvre : ce fait d’assirniler l'apprentissage secondaire à l’acquisition d’habitudes aperceptives, n’exclut pas pour autant que les habitudes puissent également être acquises d’une autre façon. Prétendre qu’il n’y en a qu’une, à savoir l’expérience répétée des contextes d’apprentissage d’un type donné, revient à affirmer que le seul moyen de faire rôtir le cochon, c’est de mettre le feu à la maison. Or, il est évident qu’en ce qui concerne l’éducation humaine, ces habitudes s’acquièrent de façons très diverses. Ce qui nous intéresse, ce n’est pas un individu hypothétique et isolé, en contact avec un flux d’événements impersonnels, mais des individus réels, agissant selon des modèles émotionnels complexes de relation avec d’autres individus. Dans un tel monde réel, l’individu sera amené à acquérir ou à rejeter des habitudes aperceptives, en fonction de phénomènes comme Fexemple personnel, le ton de la voix, l’hostilité, l’arnour etc. D’ailleurs, nombre de ces habitudes ne lui seront pas transmises par l’expérience pure des flux d’événements, puisque aucun être humain (même pas l’homme de science) n’est « pur » en ce sens : le flux d’événements lui parvient médiatisé par le langage, l’art, la technologie, ainsi que par d’autres media culturels, structurés à chaque point par les rails des habitudes aperceptives.

ll s’ensuit donc que le laboratoire de psychologie n’est pas l'unique source possible de connaissances relatives à ces habitudes ; nous devrions, à cette fin, nous tourner plutôt vers les modèles contradictoires, implicites ou explicites, offerts par les diverses cultures humaines qu’étudient les anthropologues. Nous pouvons ainsi agrandir la liste de ces habitudes obscures, en y ajoutant celles qui ont été développées dans des cultures différentes des nôtres.

Bien plus, nous pouvons combiner, je crois, les aperçus des psychologues avec ceux des anthropologues : considérer d’abord les différents contextes d'apprentissage expérimental dans le laboratoire et nous demander, pour chacun d’entre eux, à quelle sorte d’habitude aperceptive il est associé ; rechercher ensuite les cultures humaines où des habitudes similaires se sont développées. Inversement, nous pouvons obtenir des définitions plus précises – plus opératoires – des habitudes de pensée comme le « libre arbitre », si nous posons des questions du genre : « Quelle sorte de contexte d'apprentissage expérimental devons-nous imaginer pour inculquer cette habitude ? », ou « « Comment truquer le labyrinthe ou la boîte-à-problèrnes pour que le rat anthropomorphique obtienne un impression répétée et renforcée de son propre libre arbitre ? ».

Bien que des progrès décisifs aient été accomplis dans ce domaine[5], la classification des contextes d'apprentissage expérimental est encore très incomplète. ll est possible d’ordonner les principaux contextes d'apprentissage positif (en tant que distinct de l'apprentissage négatif, ou inhibition : apprendre à ne pas faire) sous quatre rubriques :

1. Contextes pavloviens classiques
Ceux-ci se caractérisent par une séquence temporelle rigide, dans laquelle le stimulus conditionné (la sonnerie) précède toujours le stimulus inconditionné (la boulette de viande) d’un laps de temps déterminé. Rien de ce que peut faire l’animal n’altérera cette séquence rigide d'événements. Dans ce contexte, l’anirnal apprend à répondre au stimulus conditionné par un comportement (la salivation) qui n’était évoqué auparavant que par le stimulus inconditionné.
2. Contexres instrumentaux de récompense ou de fuite
Ils sont caractérisés par une séquence qui dépend du comportement de l'animal. Dans ces contextes, le stimulus inconditionné est en général vague (l’ensemble des circonstances dans lesquelles se trouve l'animal, la boîte-à-problèmes) ; il peut aussi être intérieur (la faim). Si, dans ces circonstances, l’animal accomplit un certain acte qui fait partie de son répertoire comportemental, acte antérieurement sélectionné par Fexpérimentateur (lever la patte), il sera alors immédiatement récompensé.
3. Contextes instrumentaux d’évitement
Ceux-ci sont également caractérisés par une séquence conditionnelle. Le stimulus inconditionné est en général défini (sonnette d’alarme) et suivi d’une expérience désagréable (choc électrique), à moins que, entre-temps, l'animal n’ait accompli un acte sélectionné (lever la patte).
4. Contextes d'apprentissage sériel et routinier
Ceux-ci se caractérisent par un stimulus conditionné prédominant, qui est un acte du sujet. Celui-ci apprend, par exemple, à donner toujours la réponse conditionné (syllabe B, dépourvue de sens), après avoir lui-même prononcé le stimulus conditionné (syllabe A, dépourvue de sens).

Ce modeste début de classification[6] suffira à illustrer les principes de notre propos : nous pouvons maintenant nous interroger sur l’apparition des habitudes aperceptives appropriées dans des cultures différentes. Les plus intéressants, parce que moins familiers, sont les modèles pavloviens et ceux de routine. ll est assez difficile, pour les Occidentaux, d’imaginer que tout un ensemble de systèmes de comportement peut reposer sur des prémisses autres que ce mélange de récompense instrumentale et d’évitement instrumental. Et pourtant, les habitants des îles Trobriand, par exemple, semblent mener une vie, dont la cohérence et le sens se fondent sur le fait qu’ils regardent les événements à travers des lunettes pavloviennes, légèrement teintées par l’espoir d’une récompense instrumentale ; alors que la vie des Balinais ne sera compréhensible que si nous en acceptons les prémisses : une combinaison de routine et d’évitement instrumental.

De toute évidence, pour le pavlovien « pur » seul un fatalisme borné est possible. A ses yeux, tous les événements sont prédétemiinés et il se sent lui-même condamné à la seule lecture des présages, incapable d’influer sur leur cours – susceptible, au mieux, grâce à cette lecture, de se mettre dans un état réceptif convenable, par exemple, de saliver avant que ne se produise Finévitable. La culture des habitants des îles Trobriand n’est pas si pavlovienne que cela ; mais D. Lee[7] (qui n’utilise pas ce même type de classification), analysant les riches observations du professeur Malinowski, a démontré que les expressions des Trobriandais pour but, cause et effet, sont profondément différentes des nôtres : des pratiques magiques des Trobriandais il ressort qu’il y a chez eux Fhabitude de pensée suivante : si l’on agit comme si la chose avait certaines propriétés, elle sera effectivement transformée selon l’idée qu’on se fait d’elle.

En ce sens, nous pouvons les décrire comme des semi-pavloviens qui ont décidé que la « salivation » est un instrument pour obtenir la « boulette de viande ». Malinowski, par exemple, nous donne une description dramatique des emportements physiologiques extrêmes[8], que sïnflige le magicien trobriandais, durant ses incantations ; nous pouvons considérer ceci comme Fillustration d’un cadre spirituel semi-pavlovien, en contraste avec d’autres types de procédés magiques, ailleurs dans le monde, où, par exemple, l’efficacité de la parole est associée non pas à Fintensité, mais à l'extrême précision routinière de la récitation.

Pour ce qui est des Balinais, nous trouvons là un autre modèle, qui est en contraste à la fois avec le nôtre et avec celui des Trobriandais[9]. Ils apprennent aux enfants à considérer que la vie n’est pas composée de séquences conatives aboutissant à la satisfaction, mais de séquences routinières, qui se satisfont en elles-mêmes, modèle qui, en un certain sens, se rapproche de celui que recommande Margaret Mead : rechercher la valeur dans l'acte lui-même, plutôt que de la considérer comme moyen d’arriver à une fin.

ll y a cependant, entre ces deux modèles, une différence importante : le modèle balinais est essentiellement dérivé des contextes d’évitement instrumental : en trouvant le monde dangereux, les Balinais visent, à travers le comportement routinier de rituel et de courtoisie, dont ils ne se départissent jamais, à conjurer le risque toujours présent d’un faux pas[a]. Leur vie est bâtie sur la peur, encore qu’en général ils en prennent beaucoup de plaisir. La valeur positive qu’ils trouvent dans leurs actes immédiats, sans chercher de but, est en quelque sorte associée au plaisir de la peur, plaisir semblable à celui de Facrobate qui jouit à la fois de son émotion frissonnante et de sa virtuosité, dans Févitement de la catastrophe.

Après cette longue incursion technique dans les laboratoires de psychologie et les cultures étrangères, nous sommes maintenant en état d’examiner les propositions de Margaret Mead en termes plus concrets. Elle recommande que, lors de l'application des sciences sociales, nous cherchions la « direction » et la « valeur » dans nos propres actes, au lieu de nous tourner vers quelque but planifié ; cela étant dit, elle ne nous conseille aucunement d’être comme les Balinais (à l’exception de la perception du temps), et elle serait la première à rejeter toute proposition faisant de la peur (et même de cette peur accompagnée de plaisir) un critère de valeur pour nos actes.

Tel que je le comprends, ce critère devrait être plutôt une sorte d’espoir, non pas d’un futur lointain et hors de portée, mais un espoir et un optimisme tout de même ; pour résumer, l’attitude qui nous est recommandée doit être formellement liée à une récompense instrumentale, de même que celle des Balinais est liée à un évitement instrumental.

Pour ma part, je crois que cela est possible. L’attitude des Balinais peut être définie comme une habitude formée de séquences routinières et inspirée par le sentiment anxieux d’un danger toujours imminent et indéterminé ; ce vers quoi pointe Margaret Mead peut être décrit, en termes similaires, comme une habitude formée de séquences routinières et inspirée par le sentiment anxieux d’une récompense toujours imminente et indéterminée.

Pour ce qui est de l'élérnent routinier – complément nécessaire de la perception du temps que prône Margaret Mead –, je lui suis plutôt favorable, en le croyant infiniment préférable au type compulsif de précision que nous recherchons d’habitude. L’attention anxieuse et la précaution routinière et automatique sont des habitudes alternatives, qui remplissent la même fonction : nous pouvons, par exemple, avoir l'habitude de regarder automatiquement avant de traverser une rue ou de nous souvenir prudemment de cela, à chaque fois qu’il faut traverser. Des deux, je préfère la premiere et j’estime que, si la recommandation de Margaret Mead implique un accroissement de l’automatisme routinier, nous devons la suivre. Dans nos écoles, d’ailleurs, on introduit déjà de plus en plus d’automatisme dans des processus comme la lecture, l’écriture, l'arithmétique et l’étude des langues.

Quant à l’élément de récompense, lui non plus ne devrait pas être hors de notre portée. Si l’on peut occuper les Balinais et les rendre heureux à l’aide d’une peur sans nom et sans forme, qui n’est localisée ni dans le temps ni dans l’espace, nous pouvons bien, nous autres, être mobilisés par un espoir, sans nom, sans forme et sans lieu, d’une réalisation extraordinaire. Pour qu’un tel espoir soit efficace, il est à peine besoin de définir cette réalisation. La seule certitude requise c’est l’idée qu’elle peut surgir à tout moment, au coin de la rue, et que, vrai ou faux, cela ne peut aucunement être vérifié. Tout comme ces savants et artistes qui travaillent avec une sorte d’inspiration rapide, due au sentiment que la grande découverte (la réponse à tous les problèmes) ou la grande création (un sonnet parfait) est toujours à notre portée. Ou, enfin, comme la mère qui se dit que, pour peu qu’elle accorde à son enfant une attention constante et suffisante, elle peut en faire ce phénomène rare : un homme heureux.


[*] Cet article constitue le 4° chapitre de Science, Philosophy and Religion, Second Symposium (Copyright 1942 by Conference on Science, Philosophy and Religion, New York). ll est reproduit ici avec l’autorisation de la Conférence et de Harper & Row, Inc. J'ai mis en italique dans la note 5 une parenthèse qui préfigure le concept de « double contrainte » (double-bind). [a] En français dans le texte (N.d.T.).

[1] Margaret Mead écrit : «  ceux qui se sont consacrés a l’étude des  :ultures comme ensembles, comme systèmes d’équilibre dynamique, peuvent apporter la contribution suivante : … 4. Mettre en œuvre des plans pour transformer notre culture actuelle, en reconnaissant l’importance qu’il y a à considérer celui qui s’occupe des sciences sociales à l’intérieur de son matériel expérimental et en reconnaissant que travailler à des fins déterminées nous conduit à la manipulation des individus et donc à la négation de la démocratie. Ce n’est qu’en travaillant en termes de valeurs, qui se bornent à définir une direction, qu’il nous sera possible d’utiliser ies méthodes scientifiques pour contrôler le processus et sans nier l’autonomie morale de l’esprit humain » (souligné par Margaret Mead).
[2] Les études psychologiques portant sur ce problème des rapports entre la gestalt et l'apprentissage simple sont très nombreuses, si nous y incluons les travaux sur le transfert d'apprentissage, la généralisation, l’irradiation, le seuil de réaction (Hull), la perspicacité, etc. L’un des premiers à poser ces questions a été M. Frank (L.-K. Frank, « The Problems of Learning », Psychological Review, 1926, 33, 329-51) ; le professeur Maier a récemment introduit le concept de « direction », qui est intimement lié à la notion d’« apprentissage secondaire ». Il écrit : « la direction. .. est la force qui integre les souvenirs d’une manière particulière, sans être elle-même un souvenir ». (N. R. F. Maier – « The Behavior Mechanismes Concerned with Problem Solviug », Psychological Review, 1940, 47, 43-58.) Si, à « force » nous substituons « habitude », et à « souvenir » nous substituons « expérience du flux d'événements », alors le concept d’apprentissage secondaire peut être considéré comme pratiquement synonyme du concept de « direction » de Maier.
[3] Notons que la définition opératoire de Yapprentissage secondaire est en quelque sorte plus facile que celle de Yapprentissage primaire. En fait, il n’y a pas de courbe d'apprentissage simple qui représente uniquement un apprentissage primaire. Même au cours de l'apprentissage primaire, il est à supposer que des éléments d’apprentissage secondaire apparaissent. Le gradient en chaque point sera alors un peu plus élevé que ne le serait le gradient hypothétique du « pur » apprentissage primaire.
[4] C. Hull, Mathematico-Deductive Theory of Rate Learning, New Haven, Yale University Press, 1940.
[5] De nombreuses classifications ont été imaginées pour les besoins de Texposition, Tadopte ici celle de Hilgard et Marquis (E.-R. Hilgard ans D.-G. Marquis, Conditioning and Learning New York, Appelton Century Co., 1940). Ils soumettent leur propre classification à une brillante analyse  :ritique et c’est à cette analyse que je dois l’une des idées formatrices sur laquelle se fonde mon article. lls insistent sur le point que rfimporte quel contexte d'apprentissage peut être décrit dans les termes de n’importe quelle théorie de l'apprentissage, si nous sommes prêts à étirer et à suraccentuer certains aspects du contexte afin de les accommoder au lit procusteen de la théorie. J'ai fait de cette notion la pierre angulaire de ma pensée, en substituant « les habitudes aperceptives » aux théories de l'apprentissage, et en soutenant que pratiquement nïmporte quelle séquence d’événements peut être étirée, déformée et ponctuée de manière à s’adapter à nimporte quel type d’habitude aperceptive. (Nous pouvons supposer que fa névrose expérimentale est ce qui se passe lorsque le sujet ne parvient pas à réaliser cette assimilation.) Je dois également beaucoup à l'analyse topologique que donne Lewin des contextes de récompense et de punition. K. Lewin, A Dynamic Theory of Personality, New York, Mc Graw-Hill Book Co., 1936.)
[6] Nombreux sont ceux qui estiment que les contextes d'apprentissage expérimental sont tellement simplifiés qu’ils n’ont, en fait, plus aucun rapport avec les phénomènes de la vie réelle. En réalité, Fextension de cette classification peut donner les moyens de définir d’une façon systématique des centaines de contextes (Yapprentissage possibles, avec les habitudes aperceptives qui leur sont associées. On peut étendre le schéma de la façon suivante :

a) inclusion de contextes d’apprentissage négatif (inhibition) ;
b) inclusion de types mixtes (comme, par exemple, les cas où la salivation, avec son rapport physiologique à la boulette de viande, peut être considérée comme un instrument pour l’obtenir) ;
c) inclusion des cas dans lesquels le sujet est capable de trouver une sorte de rapport (autre que physiologique) entre deux ou plusieurs éléments de la séquence. Pour que cela soit vrai, il faut que le sujet ait l’expérience de contextes qui diffèrent systématiquement les uns des autres, c'est-à-dire de contextes dans lesquels un type de changement dans un élément est constamment associé à un type de changement dans un autre élément.
Ces cas peuvent s’étendre à tout un enchevêtrement de possibilités, selon les paires d’éléments que le sujet considérera comme mutuellement liées. ll n’existe que cinq éléments (stimulus conditionné, réponse conditionnée, récompense ou punition, et deux laps de temps), mais chacune des paires qu’on peut en constituer peut être liée, et parmi ces paires en rapport il y en a une que le sujet pourra considérer comme déterminant l’autre. Ces possibilités multipliées par nos quatre contextes fondamentaux donnent quarante-huit types.

La liste des types fondamentaux peut être étendue en incluant ces cas (pas encore étudiés dans les expériences d'apprentissage mais communs dans les relations interpersonnelles) dans lesquels les rôles du sujet et de l'expérimentateur sont intervertis. lci, le partenaire qui apprend fournit les éléments initiaux et finaux, tandis qu’une autre personne (ou circonstance) fournit les moyens termes. loi encore, nous considérons la sonnerie et la boulette de viande comme le comportement d’une personne et nous nous demandons : « Qu’est-ce qu’apprend cette personne ? » Une grande partie de la gamme des habitudes perceptives associées à l’autorité et à la parenté se fonde sur des contextes de ce type général.
[7] Dorothy Lee « A Primitive System of Values », Philosophical Journal of Science, 1940. 7, 355-78.
[8] Il est possible qu’une expression semi-pavlovienne du flux d’événements tende, comme les expériences qui en constituent le prototype, à être particulièrement axée sur des réactions autonomes. ll est possible aussi que ceux qui pensent les événements dans ces termes tendent à considérer ces réactions comme les causes particulièrement efficaces et puissantes des événements extérieurs, alors qu’elles ne sont que partiellement soumises à un contrôle volontaire. Il y a peut-être une ironie logique dans le fatalisme pavlovien, lequel nous incite à penser que nous pouvons transformer le cours des événements, Lmiquement au moyen des comportements les moins susceptibles d’être contrôlés par nous.
[9] Le matériel que Margaret Mead et moi-même avons réuni sur Bali n’a pas encore été publié in extenso, mais on peut trouver les grandes lignes de la théorie que nous proposons ici dans G. Bateson, « The Frustration-Agression Hypothesis and Culture », Psychological Review, 1941, 48, 35065.


Vers une écologie de l'esprit, traduit de l'Anglais par Perial Drisso, Laurencine Lot et Eugène Simion
© Éditions du Seuil, Paris, 1977 pour la traduction française,
ISBN 2-02-025767-X (1° publ. ISBN 2-02-004700-4, 2° publ. ISBN 2-02-012301-0)
Titre original : Steps to an Ecology of Mind, Chandler Publishing Company, New York
édition originale : ISBN 345-23423-5-195, © Chandler Publishing Company, New York