René Descartes - Discours de la Méthode ||


DISCOURS DE LA MÉTHODE

POUR BIEN CONDUIRE SA RAISON ET CHERCHER LA VÉRITÉ DANS LES SCIENCES


P R É F A C E

« Qu'est-ce donc que je lis dans le Discours de la Méthode ? Ce qui attire mon regard, à partir de la charmante narration de sa vie et des circonstances initiales de sa recherche, c'est la présence de lui-même dans ce prélude d'une philosophie. C'est, si l'on veut, l'emploi du Je et du Moi dans un ouvrage de cette espèce, et le son de la voix humaine ; et c'est cela, peut-être, qui s'oppose le plus nettement à l'architecture scolastique. Le Je et le Moi devant nous introduire à des manières de pensée d'une entière généralité, voilà mon Descartes » disait P. Valéry[1]. Car si le « bon sens est la chose du monde la mieux partagée », la justification que Descartes en donne n'est pas exempte d'ironie, et s'inspire d'une sentence à la mode[2]. Son propos s'inscrit, de prime abord, dans un genre littéraire d'époque : un « Essai », en français, relatant comment l'auteur a dépassé les incertitudes inhérentes aux diverses opinions des philosophes, pour étudier dans le grand livre du monde, puis en soi-même (Discours, Ire partie), tout en faisant provision de maximes, où l'acceptation des coutumes dans leur relativité s'associe à la fermeté et à la soumission néo-stoïciennes (3e partie) : le jeune Descartes a beaucoup lu Montaigne… Sans « conseiller à personne de l'imiter » (2e partie), il présente aussi cette « Histoire de son esprit »[3] comme une aventure exemplaire. « Nous avons tous été enfants avant que d'être hommes, et… gouvernés par nos appétits et nos précepteurs » (ib.) Ici l'universalité de la raison, en dépit des réserves du début sur l'inégalité des esprits, prend toute sa portée, sérieuse, profonde : la méthode cartésienne vise à restituer « l'usage entier de notre raison » (ib.), ou puissance de bien juger, en dissipant les préjugés qui l'entravent. Et leur dénonciation engage toute une philosophie. La projection spontanée, dès l'enfance, des apparences sensibles sur les objets perçus, .a été corroborée par l'autorité d'Aristote et de sa physique qualitative. En cette première moitié du XVII° siècle, la tradition scolastique est vivement ébranlée par les nombreux savants qui lui substituent une physique mécaniste. Mais seul Descartes fonde l'unification du corps des sciences sur l'examen critique de ce que permet l'esprit correctement dirigé, en ajustant la connaissance « au niveau de la raison » (ib.). Voilà pourquoi la postérité a célébré l'importance du Discours de la Méthode avec une ampleur exceptionnelle[4].

L'abandon du latin marque ainsi qu'« un honnête homme n'est pas obligé… d'avoir appris soigneusement tout ce qui s'enseigne dans les écoles », selon le propos initial de la recherche de la vérité par la lumière naturelle, un autre nom de la raison. Ce dialogue inachevé précise encore le but de Descartes : « Mettre en évidence les véritables richesses de nos âmes, ouvrant à un chacun le moyen de trouver en soi-même, et sans rien emprunter d'autrui, toute la science qui lui est nécessaire à la conduite de sa vie, et d'acquérir par après par son étude toutes les plus curieuses connaissances que la raison des hommes est capable de posséder. » A l'accumulation des« gros volumes » érudits, qu'une vie ne suffirait pas à absorber, le philosophe préfère donc le « style… de ces conversations honnêtes, où chacun découvre familièrement à ses amis ce qu'il a de meilleur en sa pensée » (ib.). C'est aussi ce qui fait le charme de ce premier ouvrage imprimé, intitulé « Discours » et non « Traité de la Méthode »[5].

La place très restreinte que tient l'exposé des quatre préceptes de la méthode dans la seconde partie du Discours a étonné les premiers lecteurs de Descartes. Après sa mort, ses disciples ont cherché quelques compléments dans ses papiers inédits. Dès ses Pensées personnelles de jeunesse apparaît la recherche de règles peu nombreuses et caractérisées par leur généralité. Les Regulae ad directionem ingenii (Règles pour la direction de l'esprit) se proposaient de plus amples développements ; mais leur rédaction a été interrompue, quand Descartes s'est retiré aux Pays-Bas, pour examiner « une fois en sa vie » (comme il le répète à ce propos) ce que peut vraiment la connaissance humaine. A cet égard, la métaphysique peut apparaître comme un « échantillon » de la méthode, étendue aux premiers principes (fin de la 2e partie), au même titre que l'exemple de physiologie exposé dans la cinquième partie (à Mersenne, mars 1637). Cependant cette entreprise critique était nécessaire pour enraciner dans l'être la « règle générale » de l'évidence.

Mais l'aperception de la clarté et distinction, qui définissent l'évidence, reste fonction de notre attention (Principes, 1, a. 45). Elaborée par opposition au formalisme des syllogismes ou du Grand Art de Lulle, la méthode cartésienne n'est pas une technique infaillible, et c'est bien ce que lui reprochera Leibniz. Sa généralité même l'empêche de se distribuer en recettes précises. En distinguant les questions dont tous les éléments sont déterminables de celles qui sont imparfaitement comprises, les Règles pour la direction de l'esprit s'embarrassaient de considérations annexes. Et Descartes, après les avoir abandonnées avant de parvenir aux problèmes les plus complexes, en a dégagé l'essentiel dans les quatre préceptes du Discours. Leur justification se trouve dans les Essais dont celui-ci n'est que la « Préface » (à Mersenne, mars 1637) ; car la méthode se juge à ses fruits. La variété des questions abordées manifeste la souplesse de l'esprit dans sa mise en œuvre des règles. Aussi avons-nous donné une place de choix aux larges extraits de la Dioptrique et des Météores[6].

Certes les préceptes méthodologiques sont issus de la pratique des mathématiques, dont Descartes avait apprécié l'évidence dès le collège. Leur clarté devient le modèle de toute connaissance certaine ; ainsi chacun voit par intuition que le triangle est défini par trois lignes seulement (Règles pour la direction de l'esprit, III).

La division des difficultés correspond à la détermination des éléments connus et inconnus dans les questions, « pour les mieux résoudre ». C'est ce qu'effectue le troisième précepte : « Sans considérer aucune différence entre ces lignes connues et inconnues, on doit parcourir la difficulté selon l'ordre qui montre le plus naturellement de tous en quelle sorte elles dépendent mutuellement les unes des autres, jusqu'à ce qu'on ait trouvé moyen d'exprimer une même quantité en deux façons ; ce qui se nomme une Equation » (Géométrie, livre II). Et l'énumération, comme le précise une addition dans la traduction latine, sert à la fois « à dénombrer exactement toutes les circonstances de ce qu'on cherche » (Géométrie, livre II) et à « parcourir la difficulté » sans omettre aucun chaînon. En ce qu'elle a de plus neuf, la Géométrie cartésienne, associant les courbes aux équations, permet de « les distinguer par ordre en certains genres » (ib.) et de progresser « par degrés » dans leur résolution. Cependant ce dernier Essai ne s'adressait qu'aux spécialistes, et encore, pour leur donner de l'exercice, Descartes avait-il omis souvent de dire comment il était parvenu à ses conclusions[7].

Pour le plus large public, Descartes recommande comme meilleur exemple de sa méthode, dans les deux premiers Essais, le discours de l'arc-en-ciel (au P. Vatier, 22-2-1638) : on y distinguera aisément la détermination de l'inconnue, l'expérience idéale d'une « grande fiole toute ronde » qui sert de grossissement, et permet, après énumération des diverses circonstances, d'éliminer celles qui n'interviennent pas, puis la découverte du rôle de la réfraction sur les gouttes d'eau en suspens dans l'atmosphère, et le calcul des indices (grâce à la loi donnée dans la Dioptrique), pour expliquer avec précision les conditions d'apparition de l'arc-en-ciel et ses différents aspects, enfin quelques perspectives appliquées confirmant la parfaite maîtrise du phénomène. Cette étude avait donné à Descartes, de son propre aveu, « plus de peine que tout le reste » des Météores (à Mersenne, 8-10-1629). Elle fait converger en outre les deux premiers Essais dans le problème de « la lumière ». C'est là aussi le sous-titre et le centre de perspective du Monde, auquel ces Essais, en grande partie rédigés avant le traité interrompu, furent substitués, après la condamnation de Galilée[8].

Car les lois de la lumière, analogues à celles du mécanisme, transforment radicalement l'ancienne conception de la vision : au lieu de recevoir de petites « images » qualitatives émanées des objets, l'âme, par l'entremise de l'organe sensoriel, réagit à un choc, ou à une impression de nature matérielle. De plus, la découverte de la formule de la réfraction, objet propre de la Dioptrique, fait passer la construction des lunettes du tâtonnement empirique à la connaissance théorique, condition d'une pratique assurée. Enfin le souci cartésien d'être utile au public (Discours, 6e partie) n'exclut pas la fantaisie dans « l'invention d'une infinité d'artifices » (ib.), où l'optique a encore un rôle de premier plan.

Ces recherches ont débuté très tôt : si l'on hésite à référer à ce domaine l'« admirable invention » de novembre 1620, on sait que dans ses années parisiennes, Descartes travaillait avec le mathématicien Mydorge, l'ingénieur Villebressieu, l'artisan Ferrier, afin de calculer et faire tailler les verres grossissants selon la courbe la plus favorable, parabole ou hyperbole. Peut-être est-ce en cherchant à quelles conditions le rayon réfracté passe par un des foyers de ces courbes que Descartes aura remarqué la constance du rapport des sinus[9]. Il avoue que le second discours de la Dioptrique ne suit pas son ordre d'invention ; et sa démonstration a paru si compliquée que Leibniz l'a plus tard accusé d'avoir emprunté la loi à Snellius qui, à peu près en même temps, en avait trouvé, à partir de l'expérience, une formulation équivalente[10]. Le « modèle » physique de l'exposé cartésien déconcerte, puisque la balle lancée possède une vitesse finie, et que la lumière, selon Descartes, est transmise instantanément. Mais, abstraction faite des circonstances spécifiant les deux phénomènes, une analogie essentielle se dégage, entre la direction rectiligne des rayons lumineux, qu'un incident réfléchit sans repos intermédiaire, et le principe d'inertie qui va régler toute la mécanique[11].

Or ces découvertes spéculatives, qui unissent très étroitement physique et mathématique, conformément aux premières recherches entreprises avec Beeckman, se complètent par une nouvelle théorie de la perception, qui rend inutile le combat contre « les géants de l'Ecole »[12]. C'est « l'âme qui sent », « d'autant qu'elle est unie à notre corps » (Dioptrique, discours 4-6). Cela en explique les limites : la « géométrie naturelle » enveloppée dans la constitution de nos sens s'arrête à ce qui nous concerne, à ce qui nous est utile pour la conservation de la vie.

Mais l'art prolonge la nature. Descartes dès 1611 avait entendu célébrer la puissance du télescope, ouvrant à l'homme des perspectives littéralement immenses[13]. L'univers est indéfini dans la physique cartésienne, cependant que l'on commence à soupçonner les merveilles de l'infiniment petit : le philosophe annonce « la principale utilité des lunettes à puce » (Dioptrique, discours 10) ; et si ses schémas physiologiques se bornent à transposer ceux de nos mécaniques, filaments tendus et tuyaux où la circulation est orientée par de petits volets, c'est que le microscope n'a été mis au point que dans la deuxième moitié du XVII° siècle.

Ainsi la maîtrise technique de la nature, issue de la science véritable, l'aide encore à progresser en lui procurant de nouveaux instruments. Elle ne méprise pas cependant les applications directement utiles à l'homme : la sixième partie du Discours de la Méthode, comme plus tard la préface à la traduction des Principes, met au plus haut rang des fruits de la science, la mécanique qui soulage la peine des hommes, et la médecine, qui les rendra plus sages[14]. Ce souci de transformer le monde, dans la mesure de notre savoir, complète l'acceptation stoïque de la nécessité : déjà la quatrième maxime de la morale commandait le progrès vers « l'acquisition de toutes les connaissances dont je suis capable » (Discours, 3e partie).

L'ingéniosité de l'invention cartésienne nous surprend lorsqu'elle s'attache à produire des effets prodigieux, pour le seul amusement du spectacle, semble-t-il. Le but en est pourtant d'abord pédagogique. Car l'exercice entier du bon sens passe par la réforme de l'admiration : stupéfaction passive, elle ôte « l'usage de la raison », mais « nous dispose à l'acquisition des sciences » lorsqu'on recherche les causes des phénomènes « qui peuvent sembler les plus rares et les plus étranges »[15].

Cette conversion est l'objet premier des Météores (discours 1). A cet égard les cinq soleils observés près de Rome le 20 mars 1629, et qui ont été le point de départ de cette étude cartésienne, n'ont rien de plus mystérieux que « l'une des plus rares merveilles de la nature » (ib.), ces fleurs de neige que Descartes décrit avec tant d'attentive minutie (discours 6) : elles lui avaient fait une telle impression que, plus de dix ans après, il rappelle encore cette expérience, qui lui était, pour ainsi dire, tombée « des nues » (à Chanut, 6-3-1646). A ses observations personnelles, comme les avalanches vues au retour d'Italie par le mont Cenis en mai 1625 (discours 7), ou les couronnes autour d'une chandelle, fortuitement aperçues en 1635[16], Descartes joint celles d'autrui, et interroge, par exemple, les marins de passage à Amsterdam sur la soudaine formation des tornades « un peu au-delà du cap de Bonne-Espérance » (discours 7). Malgré l'audace constructive des déductions cartésiennes, il vise toujours à ce que « la raison s'accorde… parfaitement avec l'expérience » (discours 8).

Aussi le succès de celle-ci confirme-t-il la solidité du raisonnement. Les chatoiements irisés des fontaines éclairent le phénomène de l'arc-en-ciel, et Descartes souhaiterait, en leur donnant diverses figures et un très grand élan, « faire paraître des signes dans le ciel, qui pourraient causer grande admiration à ceux qui en ignoreraient les raisons » (ib.). Car son entreprise de démystification des prodiges n'empêche pas le philosophe de se complaire à n'en pas découvrir aussitôt « l'artifice » (ib.). Il rêve d'une« science des miracles » qu'il veut édifier sur les « mathématiques », et qui « enseigne à se servir si à propos de l'air et de la lumière qu'on peut faire voir par son moyen toutes les illusions » attribuées à la magie (à ***, sept. 1629 ?). Dès le collège, Descartes s'était intéressé à ces sciences dites « curieuses ». dans la Magie naturelle de J. B. della Porta, il avait pu trouver, à côté de la description scientifique de la chambre noire, d'étranges croyances en la « sympathie », ou des recettes pour faire paraître une muraille verte ou jaune par des combinaisons de lampes et d'huiles diverses[17]. Retrouvant Beeckman en 1628, il discute avec lui de la possibilité de projeter des inscriptions sur la lune. Et durant un séjour de Villebressieu, Descartes l'étonne, en lui faisant « passer devant les yeux une compagnie de soldats au travers de sa chambre en apparence »[18] : après l'écran géant, les images en mouvement…

Ce triomphe, cher à l'époque baroque, des machineries et de l'illusion optique, n'a-t-il pas son écho jusque dans la radicale remise en question de notre adhésion spontanée au monde qui nous entoure ? L'étude de l'arc-en-ciel encore montre qu'il n'y a pas de vraies et de fausses couleurs, « toute leur vraie nature n'étant que de paraître ». Mais que signifie la vérité de la science ? Ce nouveau Monde que le mécanisme substitue à l'apparence sensible, n'est-il pas présenté comme une « fable » ? Parce qu'il en a remonté les rouages, jusqu'à rendre compte du comportement de ces automates complexes que sont les animaux (Discours, se partie), Descartes tend à considérer leur auteur comme un très subtil ingénieur. Qui nous assure dès lors que nous ne sommes pas aussi le jouet de ses fantasmagories ? « Rêvé-je, ou si je dors ? N'avez-vous jamais ouï ce mot dedans les comédies ? » demande Descartes, dans La Recherche de la Vérité. Or ce thème, alors si répandu, que la vie est un songe, est souvent l'effet des fallacieuses roueries d'une puissance supérieure. 1637 est aussi l'année des Visionnaires de Desmarets de Saint-Sorlin, ou de l'ouverture à Venise du premier théâtre public d'opéra…

Cependant le « malin génie », qui ébranlera si profondément toute certitude dans les Méditations métaphysiques, n'apparaît pas dans le Discours de la Méthode. Il est certes impossible de déterminer exactement ce que Descartes a atténué, par rapport à son « commencement de métaphysique » de huit ans antérieur, afin de ne pas troubler les « esprits faibles » (à Mersenne, 27-2-1637 ?). Notons seulement que cette question : « songe ou vision ? », et même l'intervention d'un « mauvais génie », malus spiritus, qui l'empêchait de se tenir ferme sur ses pieds, Descartes les avait d'abord vécues[19] ; puis « il décida en dormant que… c'était un songe » (Olympiques). L'essai par excellence, la pierre de touche de la vérité, c'est l'épreuve que Descartes a faite de son moi, dans son pouvoir de libre décision, capable de s'opposer à quelque trompeur que ce soit (Principes, 1, art. 6). Comme devant les mariniers, selon l'Expérience de ses années d'apprentissage, au terme peut-être de sa vie[20] il prône la même hardiesse devant les « fantômes et vaines images » du doute : « Si vous les fuyez, votre crainte vous suivra ; mais si vous approchez comme pour les toucher, vous découvrirez que ce n'est rien que de l'air et de l'ombre ». Or l'ombre se dissipe sous la lumière.

« Je pense, donc je suis », voilà, au cœur du Discours, le « premier principe », dans son indubitable clarté. Mais le mouvement propre du cartésianisme va plus loin, et remonte jusqu'à Dieu. « Car… cela même que j'ai tantôt pris pour une règle, précise encore le Discours, à savoir que les choses que nous concevons très clairement et très distinctement sont toutes vraies, n'est assuré qu'à cause que Dieu est ou existe, et qu'il est un être parfait, et que tout ce qui est en nous vient de lui » (4e partie). Cela seul garantit absolument que les vérités, découvertes par notre lumière naturelle, sont aussi celles qui structurent la Nature. Parce qu'il a osé remettre en question la raison même, Descartes n'est pas seulement un des plus grands savants du XVII° siècle, mais le philosophe qui, dès 1630, faisant dépendre de Dieu toute vérité, avait trouvé dans la métaphysique « les fondements de la physique » (à Mersenne, 15-4-1630).

Geneviève Rody-Lewis.

Notes - Préface

[1] Discours d'ouverture du Congrès Descartes, Paris, 1937.
[2] Montaigne, Essais, Il,17 : « On dit communément que le plus juste partage que Nature nous ait fait de ses grâces, c'est celui du sens (variante : du jugement), car il n'est aucun qui ne se contente de ce qu'elle « en a distribué » ; Mathurin Régnier (Satire à Rapin) ; le P. Garasse (Doctrine curieuse des beaux esprits de ce temps), attribue la maxime à Platon et en accentue l'aspect ironique : « Il n'y a si pauvre idiot qui ne s'en contente ». Dans l'Entretien avec Burman, Descartes évoque à ce propos le proverbe : autant de têtes, autant d'avis.
[3] C'est en ces termes que Descartes l'avait promise à ses amis parisiens : lettre de Guez de Balzac à Descartes, 30-3-1628.
[4] En 1937 son tricentenaire, qui réunit à Paris un Congrès international de philosophie, fut marqué par de nombreux articles dans les journaux, tandis que des numéros spéciaux étaient consacrés à Descartes dans les grandes revues en France et à l'étranger, de Milan à Buenos Aires, de La Haye, voire Berlin, à Bucarest.
[5] A Mersenne, mars 1637. Cette« saveur » du Discours fut très goûtée de Huygens : « Vous vous expliquez avec le plus de clarté, force, grâce et vivacité qui soit imaginable » (à Descartes, 24-3-1637). Cependant l'ouvrage se vendit mal (à Mersenne, 9-1-1639), et la plupart des remarques portèrent sur les Essais scientifiques, ou l'échantillon de physiologie de la 5e partie, et furent le fait de spécialistes ; aussi Descartes songea-t-il bientôt à une édition latine augmentée. Mais, s'étant tourné vers les Méditations, puis les Principes, il revit seulement la traduction du Discours et des deux premiers « essais » (1644).
[6] En les situant à la suite du Discours, et en distribuant au bas des pages la table détaillée qui figure à la fin de l'édition originale, pour rappeler aux lecteurs les questions traitées, mais aussi, selon l'Avertissement de Descartes, pour« leur faire prendre garde à celles qu'ils auront peut-être passées sans les remarquer ».
Les autres extraits qui éclairent les divers aspects du Discours sont groupés à la fin. Pour une présentation chronologique des textes qui précèdent, préparent et accompagnent le Discours, cf. l'édition Alquié, t. I des Œuvres philosophiques de Descartes. On y trouvera en particulier, en complément de nos extraits, les discours 2 et 7 des Météores, et toutes les lettres relatives à la publication de l'ouvrage et à l'obtention du privilège.
[7] Fl. de Beaune fit des Notes explicatives, qui furent jointes à l'édition latine de la Géométrie en 1649 (la traduction de 1644 ne joignant au Discours que les deux premiers Essais).
[8] Cf. 5e et 6e Parties, et les lettres de 1633-1634 : Descartes revenait ainsi à son premier projet : publier d'abord quelque étude particulière « comme un échantillon de ma philosophie » (à Mersenne, 8-10-1629). Le texte primitif du Monde, résumé dans la 5e partie du Discours, ne coïncide pas avec celui qui a été retrouvé dans les papiers de Descartes et publié par Clerselier en 1664.
[9] Il correspond au rapport du grand axe à la distance de ces foyers (cf. G. Milhaud, Nouvelles Etudes sur l'histoire de la pensée scientifique, Paris, 1911 : Descartes et la loi des sinus).
[10] Peu avant sa mort en 1626, mais elle ne fut publiée qu'en 1632 et Descartes était déjà en possession de la ioi lors de son retour aux Pays-Bas.
[11] L'analogie est déjà indiquée dans la Règle pour la direction de l'esprit, VIII, et dans plusieurs lettres de 1629. Cf. la formulation des « lois de la Nature » dans le Monde, c. 7. Ainsi disparaît le privilège du mouvement circulaire pour les Anciens, qui pensaient que le mouvement rectiligne a besoin de mystérieuses qualités (pesanteur) et du soutien de l'air pour se poursuivre.
[12] Selon ce qu'attendait Guez de Balzac dans sa lettre à Descartes du 30-3-1628. Cf. au contraire Dioptrique, disc. 1, et Météores, disc. 1, fin : il n'est même plus besoin de critiquer les « espèces » scolastiques.
[13] C'est parce que le Florentin Galilée avait fait hommage aux Médicis des nouvelles planètes (les quatre satellites) aperçues autour de Jupiter, que cette découverte fut évoquée à 1'occasion du premier anniversaire du transfert à La Flèche du cœur de Henri IV, sa veuve Catherine de Médicis étant alors régente.
[14] Mais dans la préface des Principes, la morale est dissociée de la médecine, et constitue la troisième des « principales » sciences issues de la physique. Sur la collaboration de Descartes et Villebressieu dans la mise au point de mécaniques utiles, cf. la relation de Baillet ci-dessous (inventions d'un bateau pliant, d'un chariot-chaise pour transporter les blessés, etc.).
[15] Passions, a. 76 : au XVII° siècle « admiration » a un sens plus fort, plus proche de celui qu'a pris étonnement, également affaibli, et qui évoquait l'effet du tonnerre.
[16] A Golius, 19 mai 1635 : « Cette expérience m'a tellement plu, ajoute Descartes, que je ne la veux pas oublier en mes Météores » ; elle y est expliquée au discours 9.
[17] Celle-ci figurait dans les Pensées de jeunesse de Descartes (notes prises par Leibniz), avec d'autres effets optiques, comme « faire paraître, dans une chambre, des langues de feu, des chariots de feu, et autres figures en l'air ; le tout par de cenains miroirs… » Dans son Abrégé de musique de 1618, il empruntait à Porta la croyance qu'un tambourin en peau de loup empêche, par antipathie, la résonance d'un autre en peau de mouton. La Magie naturelle est un curieux mélange d'analogies confuses et d'expériences optiques ; la description de la chambre noire n'apparaît que dans la 2e édition (1589).
[18] Relation de Baillet, ci-dessous. Appendice 1, 5.
[19] Appendice I, 2, ci-dessous, p. 213 et 217 : c'est en se réveillant après le premier gong que Descartes interprète le vent impétueux comme la poussée d'un « mauvais génie » (a malo Spiritu) ; mais il commence l'interprétation du troisième, en dormant encore.
[20] Si le dialogue inachevé, la Recherche de la Vérité, a été commencé à Stockholm, on y a parfois vu une œuvre de jeunesse. Mais on y trouve l'essentiel de la métaphysique, jusqu'au « Je pense… » Sans que le malin génie soit invoqué, l'argument du rêve et de l'illusion généralisée s'y appuie sur notre dépendance d'un tout-puissant.