Février 2002
LE PETIT COURS D’AUTO-DÉFENSE INTELLECTUELLE
1ère PARTIE: POURQUOI ÉTUDIER LA PENSÉE CRITIQUE ?
Apprendre la pensée critique, c'est apprendre à évaluer des arguments, à juger les informations et les idées qui nous sont soumises. C'est encore apprendre à formuler clairement ses idées et à les rendre plus plausibles et convaincantes, y compris à nos propres yeux.
Partie IIPartie IIIPartie IVPartie V
Depuis la rédaction de ce texte, Normand Baillargeon a étendu et approfondi sa réflexion sur la question, et il en est issu un livre du même nom que celui de cette série, publié (au Canada) par Lux Éditeur (anciennement Comeau & Nadeau). Vous trouverez toutes les références pour vous le procurer en cliquant sur ce lien. Pour l'avoir lu, je ne puis que vous conseiller vivement la lecture de ce petit vademecum de la pensée critique. Remarquez, si j'héberge déjà ces chroniques, c'est que j'ai par avance une convergence de pensée avec l'auteur…
Ce texte a aussi été mis à disposition dans une version PDF par Yves Combe, mais son site étant désormais indisponible je l'ai mis en ligne sur ce site même.

(Nul copinage dans mon propos, je crois bon de spécifier que cet accueil des textes de Baillargeon n'est pas «de complaisance»: je ne le connais que comme auteur, j'ai apprécié ses articles, seule la disparition du site "AO !", et par contrecoup l'indisponibilité des chroniques de Normand sur lez Net, qui m'a incité à les mettre en ligne, pour qu'elles demeurent accessibles aux internautes).

SOMMAIRE

Introduction
I. Pourquoi étudier la pensée critique?
  • Un idéal de citoyenneté participative et délibérative mal en point
  • Des données inquiétantes: la croyance au paranormal
  • L’éducation et le savoir livrés aux tyrannies privées
  • Les médias de la société du spectacle contre la citoyenneté participative
  • La Commission Creel et ses alentours
  • Les médias aujourd’hui
  • Le modèle propagandiste des médias
  • Quelques exemples récents
  • L’AMI dans nos médias
  • Est-ce bien loin, le Japon?
  • LA Foire d’Abbostford? Connais pas…
  • Une bougie dans la nuit
  • II. Quelques remarques sur le langage
  • Dénoter/connoter
  • Des vertus de l’imprécision
  • Les mots-fouine
  • Jargon et expertise
  • La morale à tirer de tout cela
  • Quelques sophismes courants
  • Le faux dilemme.
  • La généralisation hâtive.
  • Le hareng fumé
  • L’Ad Hominem
  • La pétition de principe
  • Post hoc ergo propter hoc
  • Ad populum
  • Composition/division
  • Appel à l’ignorance
  • La pente glissante
  • III. Deux expériences de psychologie sociale
  • L’expérience de Milgram
  • L’expérience de Asch
  • IV. Quelques notions de mathématiques
  • L’arithmétique à la rescousse
  • Combien d’enfants iraqiens sont morts depuis dix ans ?
  • Combien de jeunes Américains sont tués ou blessés par armes à feu ?
  • Petit exercice de comptabilité
  • Moralité
  • Notions de statistiques et probabilités
  • Bon anniversaire … à vous deux
  • Les faux positifs
  • Pour mordeurs et mordus: quelques mots sur les probabilités
  • Mode, moyenne et médiane
  • Un petit outil très utile
  • Les fils aînés
  • Prémonition?
  • Moralité
  • V. Deux coffres à outils de pensée critique
  • Le modèle EN-QU-E-TE
  • Le kit de détection de poutine de Carl Sagan
  • Bibliographie

    Introduction

    “Il n’est pas nécessaire d’avoir un diplôme universitaire pour être un sceptique, comme le montre bien le fait que tant de personnes peuvent acheter une voiture usagée sans se faire rouler.
    L’idéal que vise la démocratisation du scepticisme est au fond celui-ci: chacun devrait posséder des outils de base qui permettent d’évaluer rigoureusement et constructivement des propositions qui se donnent comme vraies. Tout ce que la science demande, à ce niveau, est que l’on emploie partout le même degré de scepticisme que nous mettons en œuvre lorsque nous achetons une voiture usagée ou lorsque nous jugeons de la qualité d’analgésiques ou de bières en regardant des publicités.”
    Carl Sagan

    Ce petit cours est consacré à ce qu’on appelle “la pensée critique”.

    De quoi s’agit-il ?

    Allons au plus simple: il s’agit d’apprendre à raisonner juste et ainsi, du moins on l’espère, de ne pas (trop) s’en laisser conter. Pourquoi apprendre à raisonner, direz-vous? La raison n’est-elle pas la chose du monde la mieux partagée ? Chacun de nous n’en est-il pas si bien pourvu qu’il se considère comme un Einstein ? Un peu d’observation dissipe vite ces illusions; et les recherches qui ont été effectuées sur le sujet montre de manière très convaincante combien nous nous bernons et sommes bernés facilement.

    Nous montrerons donc d’abord (section I) l’intérêt que présente pour une citoyenneté active et participative la connaissance des outils de la pensée critique. En particulier, nous voulons insister sur le fait que, dans nos sociétés, l’information et l’accès à l’information sont des données politiques cruciales. Il n’est pas tellement étonnant, dans ces conditions, que dans nos sociétés un important moyen de contrôle et de marginalisation du public ait recours au contrôle de l’information et à ce qu’il est juste d’appeler la propagande. Tout citoyen devrait donc être conscient de l’existence de ces institutions voués au façonnement de l’opinion (médias, firmes de relation publique, agences de publicité et ainsi de suite) de manière à connaître les instruments dont il se servent et à se prémunir contre leurs effets. Bref: il est impératif pour le citoyen de s’outiller pour assurer son “autodéfense intellectuelle”.

    Nous attirons ensuite l’attention sur le langage et certaines de ses propriétés qu’il est souhaitable de connaître pour ce faire (section II) puis sur quelques modestes notions de mathématiques élémentaires d’autodéfense intellectuelle (sections III et IV) .

    La dernière section (V) est consacrée à décrire un modèle de pensée critique, appelée ENQUÊTE et au superbe “kit de détection de poutine” de Carl Sagan qui comprennent tous deux des outils utiles à qui veut pratiquer la pensée critique.

    J’espère que tout cela vous sera utile.

    I. Pourquoi étudier la pensée critique?

    Un idéal de citoyenneté participative et délibérative mal en point

    Apprendre la pensée critique, c’est apprendre à évaluer des arguments, à juger les informations et les idées qui nous sont soumises. C’est encore apprendre à formuler clairement ses idées et à les rendre plus plausibles et convaincantes, y compris à nos propres yeux. Ces objectifs sont valables en soi, sans aucun doute. Mais en quoi tout cela concerne-t-il l’exercice le politique et plus précisément la citoyenneté? Le lien est le suivant.

    Dans une démocratie, chacun est gouvernant en puissance et est appelé à se prononcer sur les affaires qui concernent le bien commun; chacun peut faire entendre sa voix et peut, en droit, prendre part aux débats et aux discussions qui ont constamment cours sur un nombre en théorie infini de sujets et de questions et qui débouchent, après délibération, sur des décisions et des actions.

    Lorsque cet idéal politique s’est élaboré — dans sa forme contemporaine, ce fut au XVIIIe siècle, celui qu’on appelle le Siècle des Lumières — on n’a pas manqué de remarquer qu’il supposait que le citoyen soit doté de certaines “vertus”, comme on disait alors, bref de certaines qualités bien particulières. C’est qu’un tel régime politique fait appel à son jugement et à sa capacité à examiner diverses propositions, notamment du point de vue de leur pertinence, de leur vérité et ainsi de suite; il fait encore appel à sa capacité à se placer, par-delà son intérêt propre, du point de vue du bien commun; il fait enfin appel à son aptitude à délibérer et à discuter. C’est qu’il est courant que sur les sujets qui sont débattus au sein d’une démocratie, une grande variété de positions soient défendues et que des désaccords surviennent entre gens informés. La discussion est le modèle de délibération qui convient en ces cas et elle permet l’expression et la prise en compte par chacun des différents points de vue, ce que la démocratie pose justement comme souhaitable.

    Nos systèmes nationaux d’éducation sont essentiellement nés dans le contexte de ce projet politique des Lumières et cela n’est pas un hasard. On pensait en effet qu’il revenait dans une large mesure à l’éducation de former de tels sujets — informés et vertueux, c’est-à-dire habilités à prendre part à des discussions et capables de jugement désintéressé. D’où l’importance considérable accordée à l’éducation publique dans les démocraties et son caractère éminemment politique.

    Les médias modernes sont également apparus dans ce même contexte et, ici encore, on comprend aisément pourquoi. Ce qu’on demande aux médias, c’est à la fois de contribuer à la circulation d’informations nécessaires à l’exercice de la citoyenneté et de permettre l’expression d’un large éventail de points de vue qui pourront alimenter et enrichir la libre discussion. Et c’est pourquoi on n’envisageait pas la presse — il n’existait encore ni radio, ni télévision, ni internet — autrement que libre.

    C’est essentiellement sur ces deux piliers — éducation et médias — que reposait l’espoir qu’une opinion publique éclairée constituée de sujets éduqués permettrait de nous approcher de plus en plus de l’idéal d’une démocratie participative.

    La pensée critique, on le devine sans doute maintenant, est une composante importante de ce projet dans la mesure où elle apprend précisément certaines des vertus que la démocratie présuppose de ses citoyens. Bertrand Russell soutenait pour sa part, un peu excessivement sans doute, que si les attitudes mentales et intellectuelles que la pensée critique étaient largement répandues, il serait susceptible de transformer complètement notre vie sociale et nos systèmes politiques. Exagération? Boutade? Sans doute. Mais il est assez facile de deviner ce qui se produit lorsque ces attitudes mentales et intellectuelles sont absentes: la figure idéale d’un citoyen informé, capable de juger et de prendre part à des discussions tend à céder la place, dans les faits, à celle de sujets endoctrinés, ignorants de données cruciales concernant le monde dans lequel ils vivent et exclus du débat politique dont ils ne sont plus participants mais spectateurs. Je pense que notre situation est, hélas, bien proche de celle-là. Et je pense qu’il n’est que trop facile de montrer à quel point le projet de rendre inopérante la démocratie en rendant le citoyen ignorant de faits qui le concernent et incapable d’en juger a été récurrent dans l’histoire des démocraties: les médias, les firmes de relation publique, la publicité, l’éducation elle-même et bien d’autres institutions ont ainsi été très souvent envisagées dans cette perspective propagandiste.

    Concluons. Il est hautement désirable que, dans une démocratie, les citoyennes et citoyens soient informés des questions qui les concernent et qu’ils en jugent et en discutent en s’efforçant de tirer des inférences valides de faits connus ou admis, bref, en faisant preuve de rationalité et de pensée critique.

    C’est loin d’être toujours le cas, comme on le verra à présent.

    Des données inquiétantes: la croyance au paranormal

    Pour nous en tenir à cela, jetez un coup d’œil sur des statistiques concernant la croyance en ces sottises de tout poil qu’on regroupe souvent sous le nom de phénomènes paranormaux — télékinésie, transmission de pensée, vies antérieures, enlèvements par extraterrestres et toutes ces choses qu’on regroupe parfois sous le nom de “paranormal” et qui constituent un indice intéressant du degré développement de la pensée critique. Restons-en aux sociétés industrielles avancées. Ce qu’on trouve — au Québec, en France, aux États-Unis et ainsi de suite — n’est guère réjouissant, y compris lorsqu’on examine la frange la plus éduquée de la population.

    En France, 48% des gens croient à l’existence d’un ou de plusieurs phénomènes paranormaux pendant que 50% des professeurs d’université croient à de tels phénomènes — ce qui constitue un taux supérieur à la moyenne de la population; les moins crédules sont les agriculteurs qui rejettent de telles croyances à 80%. Dans des travaux crédibles et souvent cités, Henri Broch a montré qu’à l’université le secteur de l’éducation était le plus crédule.

    Au Québec, entre 41 et 66% des gens prêtent foi à des croyances paranormales diverses qui vont de la clairvoyance aux vies antérieures dont le sujet se souviendrait. On ne dispose pas, à ma connaissance, de données relatives aux croyances des professeurs d’université sinon celle-ci, qui provient d’un sondage effectué auprès de 200 professeurs à l’Université du Québec à Trois-Rivières en 1986: on y apprenait que 50% d’entre eux croient à l’un ou l’autre des phénomènes paranormaux.

    Aux États-Unis, la moitié de la population admet croire à la perception extra sensorielle, le tiers en l’astrologie et entre un tiers et la moitié des Américains croient que les ovnis existent bel et bien, voire qu’ils ont atterri sur Terre.

    Je ne veux pas multiplier ces données. Mais on conviendra qu’un tel terrain est particulièrement fécond pour l’enrichissement de tout ce qui vit de la crédulité humaine — astrologues, diseurs de bonne aventure, homéopathes, promoteurs de médecines alternatives et ainsi de suite — j’allais ajouter politiciens…

    Selon le modèle de la démocratie participative, deux institutions devaient, de manière privilégiée, contribuer à la réalisation d’une vie citoyenne caractérisée par la pensée et la discussion critiques: l’éducation; les médias. Sur chacun de ces plans, notre époque donne des raisons de s’inquiéter, ce qui rend plus impératif encore de se former à la pensée critique.

    L’éducation et le savoir livrés aux tyrannies privées

    L’éducation est en ce moment en passe d’être livrée pieds et poings liés aux entreprises, aux industriels et à ce que Chomsky appelle les tyrannies privées. Sous nos yeux, ici, maintenant, l’école est littéralement vidée de sa substance et de tout ce qui peut en faire un lieu d’appropriation du monde, de l’histoire, un lieu de culture, de production de sens et d’exercice de la pensée libre régulée par les seules normes de la libre pensée. Les objectifs de cette appropriation sont limpides et, le plus souvent, ils ne sont même pas cachés. L’éducation doit d’abord assurer l'allégeance idéologique du public. Tout le monde, et dès l'enfance, doit comprendre qu'il n'y a d'autre avenue que le marché, l'entreprise, la compétition, qu'il n'y a d'autres modes de vie que ceux de la production et de la consommation, clé de tout bonheur humain possible. La Banque de Montréal offre ainsi aux enfants du primaire le jeu Mon argent au max !; le Groupe Investors leur propose un livre d'études: Les jeunes et l'argent. Dans Petit Magot, les enfants apprendront à placer et faire grossir leur magot, à devenir membre d'un club sous la présidence d'un dirigeant de la banque; ils apprendront les vertus de la philanthropie pour pallier les injustices sociales. Mais ils n’entendront absolument pas parler des vertus d'une fiscalité équitable et progressive et du rôle qu'elle a pu jouer historiquement dans la constitution des démocraties. Ils apprendront à se battre et une des règles du jeu explique d'ailleurs que le perdant est simplement éliminé.

    Un autre objectif visé par l'actuel assaut contre l'éducation concerne l'appropriation d'un lucratif marché. Cet objectif n'est pas contradictoire avec le précédent, loin de là. La tristement célèbre Channel One, aux États-Unis, qu'Athena aspire ici à imiter, en est un bon exemple. La pénétration de la publicité dans les lieux d'éducation en serait un autre. Je rappelle qu'en échange d'un don de matériel électronique — télé, vidéo — ces compagnies ont (ou aspirent à avoir) accès à des millions de gosses auxquels les écoles ont convenu de faire visionner, disons, douze minutes d'émissions portant sur l'actualité, dont deux sont de la pub, chèrement payée par des annonceurs qui savent ce qu'ils font en s'adressant à cette clientèle attentive et captive.

    Enfin, on attend de cette pénétration dans l'éducation une transformation des fins et de certains produits de l'éducation qui sera conforme à leurs attentes et à leurs besoins. John Dewey, qui a largement construit sa théorie pédagogique contre la mainmise des corporations qu'il pressentait il y a une soixantaine d'années, rappelait avec force que ces perspectives vocationnelles et professionnelles, c'est-à-dire axées exclusivement sur l'emploi, livraient l'éducation et l'université à ce qu'il appelait les “capitaines de l'industrie”, qu'elles n'assignaient plus pour fonction à l'éducation que de former des “fantassins dociles”, le mot est de lui, ne disposant que d'une formation “étroite”, “pratique”, directement liée à l'emploi et tout disposés à considérer que l'efficacité de l'entreprise rendait hors de propos toute considération relative à la démocratie sur les lieux de travail. La finalité essentielle de l’éducation dans une démocratie, rappelait Dewey, est la croissance morale et intellectuelle des citoyens et l'éducation doit ultimement s'efforcer de produire “non pas des biens, mais des êtres humains librement associés les uns aux autres sur une base égalitaire”.

    Les médias de la société du spectacle contre la citoyenneté participative

    Le deuxième lieu privilégie de l’apprentissage de la pensée critique citoyenne est constitué par l’univers des médias. Or, ici encore, il y a lieu de s’inquiéter. Pour le comprendre, il faut savoir que nos institutions d’information et de discussion publique citoyenne sont depuis longtemps enracinées dans un terreau propagandiste; depuis quelques années, la concentration de plus en accrue des médias entre les mains d’un nombre de plus en lus restreint de tyrannies privée accentue encore plus cette tendance lourde vers la marginalisation du public.

    La Commission Creel et ses alentours

    La grande expérience fondatrice de propagande institutionnelle, à cet égard et en Amérique, aura eu lieu lors de la Première Guerre Mondiale, alors la Commission on Public Information ou Commission Creel, du nom de son Président, est créée pour amener la population américaine, majoritairement pacifiste, à entrer en guerre. Le succès de cette Commission a été total et c’est là que sont nées une large part des instruments de propagande des démocraties actuelles.

    Walter Lippmann, un de ses influents membres, souvent donné comme “le journaliste américain le plus écouté au monde après 1930” décrit le travail de la commission comme une “révolution dans la pratique de la démocratie” où une “minorité intelligente” chargée du domaine politique, est responsable de “fabriquer le consentement” du peuple, lorsque la minorité des “hommes responsables” ne l'avaient pas d'office. Cette “formation d'une opinion publique saine” servirait à se protéger “du piétinement et de l'hurlement du troupeau dérouté”, (le peuple) un “intrus ignorant qui se mêle de tout”, dont le rôle est d'être un “spectateur”, et non un “participant”. Edward Bernays, un autre membre célèbre de la commission, expliquait en 1925, que c'était maintenant possible de “discipliner les esprits du peuple tout comme une armée discipline ses corps”. Bernays est le principal fondateur de la moderne industrie des Relations publiques et une des fondateurs de la publicité moderne: il amena notamment les femmes américaines à fumer et travailla longtemps pour les compagnies de tabac.

    Le type de citoyenneté qui est ici mise l’avant, la citoyenneté de spectateurs et non de participants, est précisément celle que souhaitait et que souhaite encore voir advenir une certaine élite occidentale. Selon ce point de vue, la démocratie sainement comprise est fort différente de celle que la plupart des gens ont ordinairement en tête. Dans une des toutes premières éditions de l'Encyclopedia of Social Sciences, parue dans les années 30, un des plus éminents spécialistes des médias, Harold Laswell, expliquait justement qu’il importe surtout de ne pas succomber à ce qu'il nomme le “dogmatisme démocratique”, c'est-à-dire à cette idée selon laquelle les gens ordinaires seraient en mesure de déterminer eux-mêmes leurs besoins, leurs intérêts et qu'ils seraient donc, partant, en mesure de choisir par eux-mêmes ce qui leur convient. Cette idée est complètement fausse, assure Laswell. La vérité est plutôt que d'autres, c'est-à-dire une élite à laquelle l'auteur a sans aucun doute la certitude d'appartenir, doivent décider pour eux. L'ennui, poursuit Laswell, c'est que nous sommes ici en démocratie et qu'il est impossible de contrôler la populace par la force. Heureusement, Laswell et les intellectuels de service (Gilbert Langevin disait superbement: les intellectueurs à gages) ont une solution toute prête à proposer: à défaut du recours à la force pour contrôler la populace, on peut parfaitement bien la contrôler par l'opinion.

    On remarquera qu’il y a bien une conception de la société et de la démocratie qui est ici mise en jeu, ainsi qu'une conception des médias qui lui correspond parfaitement. Cette conception traverse de part en part notre culture, nos institutions, nos pratiques et les discours de nos élites.

    Les médias, aujourd’hui

    Dans bon nombre de milieux, les griefs s’accumulent à l’endroit des grands médias des sociétés occidentales. Typiquement, on leur reproche de se livrer à une course à l’audimat qui les entraîne de plus en plus bas sur la dangereuse pente de la démagogie et du sensationnalisme. Je pense que de telles accusations sont largement fondées et il serait inutile de s’appesantir ici sur les effets de productions médiatiques engagées dans cette voie aussi bien sur l’information citoyenne que sur le développement de la pensée critique. Carl Sagan remarquait ainsi que si la plupart des journaux publient quotidiennement des horoscopes, bien peu ont, en revanche, ne serait-ce qu’hebdomadairement, une chronique consacrée à la science.

    Et pourtant, ayant convenu de cela, je pense qu’on n’a rien dit de l’essentiel. Car le plus grave ce n’est pas ce fait, prévisible, que nos grands médias deviennent de plus en plus des acteurs de la grande mise en scène de la société du spectacle et qu’ils assument par là des fonctions de divertissement, voire de diversion, que l’on ne connaît que trop bien. Non. Le plus grave c’est qu’en tant qu’outils politiques fondamentaux d’élaboration d’un espace public de discussion, ils soient en passe de renoncer à cette tâche pour ne plus exercer qu’une fonction de propagande. Pour le dire autrement: s’il est vrai que le fait que la télévision verse de plus en plus dans le reality show et autres spectaculaires stupidités n’a rien de réjouissant, la véritable tragédie se joue désormais chaque soir, au téléjournal. Et celle-là n’est que rarement évoquée.

    À ma connaissance, Edward Herman et Noam Chomsky ont mené à ce sujet les travaux les plus concluants et les plus importants. Selon eux, les médias sont en quelque sorte surdéterminés par un certain nombre d'éléments structurels et institutionnels qui conditionnent — certes non pas entièrement, mais du moins très largement — le type de représentation du réel qui y est proposé ainsi que les valeurs, les normes et les perceptions qui y sont promues. Plus concrètement, ces chercheurs ont proposé un modèle selon lequel les médias remplissent, dans une très grande mesure, une fonction propagandiste au sein de nos sociétés. Selon cette analyse, les médias “servent à mobiliser des appuis en faveur des intérêts particuliers qui dominent les activités de l'État et celles du secteur privé; leurs choix, insistances et omissions peuvent être au mieux compris — et parfois même compris de manière exemplaire et avec une clarté saisissante — lorsqu'ils sont analysés en ces termes”[1].

    Ce modèle propagandiste pose un certain nombre de filtres comme autant d'éléments surdéterminant la production médiatique qui suggère une “dichotomisation systématique et hautement politique de la couverture médiatique, qui est fonction des intérêts des principaux pouvoirs nationaux. Ceci devrait se vérifier en observant le choix des sujets qui sont traités ainsi que l'ampleur et la qualité de leur couverture”[2]. Partant de là, ce modèle autorise des prédictions, et il s'agit dès lors de déterminer si les observations s'y conforment ou non.

    Le modèle propagandiste des médias

    First learn-and then remind yourself every day-that simply because you read something in a book, magazine or newspaper, it does not automatically follow that it is true.
    Steve Allen

    Les filtres retenus sont au nombre de cinq.

    Un des intérêts non négligeables d’un tel modèle est qu’on peut le soumettre à l’épreuve des faits. Chaque fois, et avec une remarquable constance, les observations sont alors largement conformes aux prédictions du modèle. Mais pour ne pas en rester à des considérations abstraites, permettez-moi de vous donner trois exemples concrets tirés des principaux quotidiens francophones du Québec.

    Quelques exemples récents

    L’AMI dans nos médias

    Au printemps 1997, on apprenait que, depuis de très nombreux mois, des négociations étaient menées en secret au sein de l'OCDE, à Paris, en vue d'établir une Charte des droits des multinationales. Cet accord, l'AMI, avait alors été coulé sur internet et, comme Dracula, il ne devait pas passer l'épreuve de la pleine lumière. Dans les mois qui suivirent, les mobilisations citoyennes se multiplièrent et conduisirent au report du projet des Maîtres — qui se poursuit cependant en d'autres lieux et par d'autres instances.

    On peut admettre, pour le besoin de l'argumentation, qu'avant le printemps 1997, cet AMI qui nous voulait du mal ne pouvait être connu des journaux et des grands médias d'information puisque, par définition, il était élaboré dans le plus grand secret. Soit. Mais il reste tout de même intéressant de se demander comment ces journaux et grands médias nous ont parlé de l'AMI à partir du moment où son existence était connue, que la mobilisation citoyenne prenait une ampleur considérable et que se multipliaient, de manière fulgurante, les analyses de l'AMI au sein des médias et regroupements alternatifs.

    Prenons pour ce faire les grands quotidiens québécois, à l'exclusion du Journal de Montréal. Et pour aller au plus court, contentons-nous d'une analyse quantitative, sans nous attarder au contenu des articles publiés. Du 1er juin 1997 au 31 décembre 1997, on trouvera dix articles sur l'AMI. Ce qui témoigne d'une remarquable mais peu étonnante servilité des médias, propriété des puissants, à l'endroit des puissants et de leurs intérêts. Car enfin, cet AMI, au même moment, soulève passions et légitimes inquiétudes chez les citoyens, qui se mobilisent de manière exemplaire pour le contrer. C'est d'ailleurs de cela dont on ne pourra plus éviter de parler, en 1998. Entre juin et décembre 1998, 110 articles sont donc publiés sur le sujet; un nombre important de ces articles (près de la moitié) sont en tout ou partie consacrés à cette mobilisation citoyenne, au premier rang de laquelle on trouvait alors, chez nous, l'action exemplaire de l'organisation Salami. Bref, ces données donnent à penser que la mobilisation et l'activisme fonctionnent — ce qui constitue à peu de choses près la seule bonne nouvelle dans toute cette affaire.

    Cent dix articles en sept mois, avons-nous dit. Pour donner une idée plus claire de ce que cela veut dire, permettez-moi une petite comparaison. Prenons une période beaucoup plus courte et un sujet trivial. Au lieu de sept mois prenons 37 jours; au lieu de l'AMI, coup d'État des multinationales, prenons Céline Dion.

    Les mêmes médias ont parlé de Céline Dion dans 198 articles entre le 26 décembre 2000 et le 31 janvier 2001.

    Des conclusions que ces chiffres invitent à tirer, je ne dirai rien. Mais, encore une fois, je ne me suis même pas intéressé ici au contenu des articles consacrés à l'AMI, aux gens qui s'y expriment et auxquels on donne la parole, etc. Je noterai seulement qu'on retrouve en assez grand nombre, parmi ces articles, des textes favorables à l'AMI, donnant la parole à des gens qui y sont favorables; et que bien des articles critiques sont des lettres ouvertes de citoyens.

    Mais venons-en maintenant à mon deuxième exemple.

    Est-ce bien loin, le Japon ?

    À la fin novembre 1997 s'est tenue à Kyoto, au Japon, une importante conférence sur le réchauffement planétaire. On peut discuter longtemps du degré de l'importance des questions qui y ont été soulevées et je ne veux pas entrer ici dans le débat, à la fois scientifique et politique, concernant l'urgence de la question du réchauffement planétaire. Mais un fait devrait être admis par tout le monde: voilà un sujet dont il faut parler, un sujet à propos duquel il faut impérativement que l'opinion publique soit éclairée. Comment l'a-t-elle été ? Ici encore, j'en resterai à des considérations quantitatives.

    Du 1er novembre 1997 au 31 janvier 1998, on trouve, dans la même base de données que précédemment, 199 articles consacrés à la Conférence de Kyoto. Un de mieux que Céline Dion, donc, mais sur une période plus longue de près de deux mois. À Kyoto, à moins que je ne m'abuse, deux et seulement deux journaux francophones ont dépêché des journalistes: Le Monde; Charlie Hebdo.

    Les lobbies industriels, comme les politiciens, sont cependant largement présents à Kyoto; les firmes de relations publiques également. N'avions-nous pas les moyens, au Québec, de dépêcher des journalistes sur place ? Il faut croire que non.

    Cependant, quelques semaines plus tard se tiennent les Jeux olympiques d'hiver. L'Histoire peut être coquine: le hasard veut qu'ils aient lieu au Japon, à Nagano. Nos médias (journaux, mais aussi radio, télévision) dépêchent sur place une flopée de journalistes, de chroniqueurs, de papoteux de toute nature qui séjournent au Japon durant des jours et nous racontent les JO. Pour en rester à notre même banque de données, on trouve, dans nos grands médias, entre le 1er janvier 1998 et le 20 février 1998, 2126 articles consacrés à ces Jeux Olympiques, qui se déroulent dans ce Japon soudainement tellement accessible.

    La Foire d'Abbotsford ? Connais pas...

    Les médias procèdent souvent à une dichotomisation des faits et de leur interprétation, mettant l'accent sur ceci et minorant cela. Mais cela ne se vérifie pas toujours: dans certains cas, on note plutôt une occultation complète de certains faits — dont chacun doit comprendre qu'il ne serait pas bien élevé de les évoquer.

    L'implication canadienne dans les ventes d'armements militaires constitue un bon exemple de ce que je veux dire ici.

    Certes l'image qu'on nous projette sans cesse est celle d'un Canada gentil, gardien de la paix. Mais cela ne résiste pas à l'analyse et à l'observation. C'est ainsi que la portion du budget militaire du pays consacrée aux missions de paix n'en représente qu'une infime fraction et est même bien loin de s'approcher du montant de nos ventes d'armes, le Canada restant un des premiers vendeurs d'armes au monde.

    Le Abbotsford International Airshow est un cas concret particulièrement intéressant à examiner. Cette foire aux armes se tient à Vancouver (depuis 1961) et elle est désormais mondialement connue, du moins de ceux qui vendent et achètent de l'armement militaire: plus de 70 pays, des milliers de délégués et de gens d'affaires y accourent pour rencontrer des tas d'entreprises vendant des joujoux à tuer, dont notre assisté social Bombardier, mais aussi les bien-de-chez-nous Marconi et Bristoal Aerospatiale.

    Comment cette foire aux armes est-elle couverte par les grands médias ? La réponse est sans équivoque mais prévisible: elle ne l'est pas. Distinguons le cas du Québec de celui du Canada anglais.

    Au Québec, j'ai eu beau chercher de diverses manières dans une banque de données, depuis 1985 on recense une poignée d'articles évoquant la Foire d'Abbotsford. Aucun n'est critique, aucun n'explique qu'il s'agit de ventes d'armes. Typiquement, on évoque une simple foire aéronautique, ici on nous rappelle que le bureau du Québec de Vancouver participe à cet événement qui a “un rayonnement international” (Les Affaires, 09-09-1995, p. 9), là que “le Canada a l'œil sur le marché asiatique en expansion” et “entend attirer des acheteurs” (Le Devoir, 06-09-1996, p. A-8), ou encore que nos entreprises (dont Bombardier) sont attirées là pour prendre une part “au lucratif marché canadien des pièces de moteur d'avion” (La Presse, 06-08-1997, p. B7).

    Bref: ça crée de l'emploi et c'est tout ce que le public pourra savoir.

    Au Canada anglais, la situation diffère un peu, surtout en Colombie-Britannique. C'est que là, le public est tout près. Résultat ? On ne parle pas non plus de ventes d'armes et les dimensions militaires de l'affaire sont entièrement gommées; mais en conformité avec les dossiers préparés par les firmes de relation publique, la foire, comme l'a constaté le politicologue Ron Dart qui a étudié sa présentation dans les médias, est décrite comme “un bénin divertissement familial”.

    Ce qui n'est pas un mince succès du système d'endoctrinement.

    Une bougie dans la nuit

    Résumons. Je suis parti de l’idéal d’une démocratie participative tel que les Lumières l’ont exemplairement formulé et du citoyen vertueux qu’il supposait. Puis, après avoir posé qu’au nombre de ses vertus figuraient celles que met de l’avant la tradition rationaliste, je me suis demandé en quel état se trouvent, aujourd’hui, ces deux institutions particulièrement responsables de cultiver de telles vertus chez les citoyens. Le résultat de cette enquête est assez préoccupant. Il ne facilite pas une réponse claire à celui qui arguerait que rien dans les faits ne correspond à l’idéal démocratique que j’ai décrit en assurant que ce qu’on trouve, bien au contraire, c’est la mise en place d’institutions destinées à interdire la participation du public aux affaires qui le concernent.

    Tout cela pourrait sembler fort décourageant. Mais heureusement, s’il est vrai que nous sommes tous susceptibles d’errer et de déraisonner, la pensée critique s’apprend. C’est pourquoi de plus en plus d’universités consacrent désormais des cours à cette matière avec l’espoir d’augmenter la capacité des étudiants à raisonner juste et à ne pas (trop) être victime de la propagande: dans cette société de communication qui est la nôtre, la quantité inouïe d’opinions qui recherchent notre assentiment justifierait à elle seule qu’on s’adonne à la pensée critique. Quand on songe en plus, ne serait-ce qu’une minute, à ces imposants dispositifs et institutions vouées à nous convaincre de ceci ou cela (éducation, médias, firmes de relations publiques, agence de publicité, médecines alternatives et ainsi de suite), on ne peut que conclure que la connaissance de la pensée critique a une portée politique. Bref: notre cerveau est un territoire occupé et il l’est notamment par des puissances énormes; mais on peut le protéger en apprenant des rudiments de pensée critique, qui sont comme une sorte d’autodéfense intellectuelle.

    Le sujet, vous le devinez, est large. Dans les ouvrages consacrés à la pensée critique on s’adonne un peu à la rhétorique et l’on apprend à reconnaître les principales stratégies de persuasion; on fait un peu de logique formelle, histoire de distinguer les sophismes des raisonnements valides; on s’attarde aux sens des mots et on apprend à se méfier de ceux qui nous trompent; on apprend des notions indispensables de mathématiques (en particulier probabilités et statistiques), ce qui constitue une arme d’une formidable efficacité pour se prémunir contre la bêtise; on étudie le fonctionnement de la science et on apprend par exemple à distinguer l’astrologie de l’astronomie; on examine de près ce qu’est une preuve, une expérimentation; on apprend à connaître l’effet placebo de manière à ne pas tomber dans les innombrables panneaux qui nous sont tendus par des charlatans de tout poil – c’est parfois une question de vie et de mort; on apprend ce qu’est la “lecture à froid” qu’utilisent volontiers les astrologues, chiromanciens et ainsi de suite; on apprend des rudiments de magie, d’illusionnisme et de mentalisme qui s’avèrent, vous le verrez, de la plus grande utilité; on étudie encore des éléments de psychologie et surtout d e psychologie sociale. Et j’en passe.

    Carl Sagan a, je pense, dit ce qu’il faut dire ici.

    “Il me semble que ce qui est requis est un sain équilibre entre deux tendances: celle qui nous pousse à scruter de manière inlassablement sceptique toutes les hypothèses qui nous sont soumises et celle qui nous invite à garder une grande ouverture aux idées nouvelles. Si vous n’êtes que sceptique, aucune idée nouvelle ne parvient jusqu’à vous; vous n’apprenez jamais quoi que ce soit de nouveau; vous devenez une détestable personne convaincue que la sottise règne sur le monde — et, bien entendu, bien des faits sont là pour vous donner raison.
    D’un autre côté, si vous êtes ouvert jusqu’à la crédulité et n’avez pas même une once de scepticisme en vous, alors vous n’êtes même plus capable de distinguer entre les idées utiles et celles qui n’ont aucun intérêt. Si toutes les idées ont la même validité, vous êtes perdu: car alors, aucune idée n’a plus de valeur”

    Au Siècle des Lumières, Voltaire avait imaginé l’apologue suivant. Seul, la nuit, je me promène dans une vaste et sombre forêt, ne disposant que d’une petite bougie pour m’éclairer. Survient un inconnu qui me dit: “Souffle ta bougie: tu y verras bien mieux”. Telle est notre situation et cet inconnu est toujours avec nous, nous donnant le même conseil. Dans la vaste forêt du monde, qui nous reste largement inconnue, nous ne disposons que de la petite bougie de la raison pour nous guider. Cet outil est modeste et, bien entendu, insuffisant pour résoudre à lui seul tous nos problèmes; mais rappelons dans le même souffle que cette petite bougie est aussi ce que nous avons de plus précieux. Aujourd’hui comme hier, des forces nombreuses voudraient nous y faire renoncer. Succomber à ces sirènes serait renoncer aussi à l’idéal démocratique et livrer nos sociétés, nos enfants, notre avenir aux forces obscures, à la barbarie, à la démagogie et à toutes les bêtes immondes qui rôdent dans cette forêt.

    Mais venons-en à présent à nos notions d’autodéfense intellectuelle.


    [1] HERMAN, E. et CHOMSKY, N. Manufacturing Consent. The Political Economy of the Mass Media, Pantheon Books, New York, 1988. Page xi.
    [2] Ibidem, page 35.

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