Source: Comité international de la Croix rouge, pages Droit international humanitaire

Accord pour et Statut du Tribunal Spécial pour la Sierra Leone
> 16 janvier 2002 <

1. Accord

Accord entre l’Organisation des Nations Unies et le Gouvernement sierra-léonais sur la création d’un Tribunal spécial pour la Sierra Leone

Attendu que, dans sa résolution 1315 (2000) du 14 août 2000, le Conseil de sécurité s’est montré profondément préoccupé par les crimes très graves commis sur le territoire de la Sierra Leone contre la population civile et des membres du personnel des Nations Unies et d’autres organisations internationales, ainsi que par le climat d’impunité qui y règne;

Attendu que, dans cette résolution, le Conseil de sécurité a prié le Secrétaire général de négocier un accord avec le Gouvernement sierra-léonais en vue de créer un Tribunal spécial indépendant chargé de poursuivre les personnes qui portent la responsabilité la plus lourde des violations graves du droit international humanitaire ainsi que des crimes commis au regard du droit sierra-léonais;

Attendu que le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies (ci-après dénommé le « Secrétaire général ») et le Gouvernement sierra-léonais (ci-après dénommé le « Gouvernement ») ont mené des négociations en vue de la création d’un Tribunal spécial pour la Sierra Leone (ci-après dénommé le « Tribunal spécial »);

L’Organisation des Nations Unies et le Gouvernement sierra-léonais sont convenus de ce qui suit :

Article premier
Création du Tribunal spécial

1. Il est créé un Tribunal spécial pour la Sierra Leone chargé de poursuivre les personnes qui portent la responsabilité la plus lourde des violations graves du droit international humanitaire et du droit sierra-léonais commis sur le territoire de la Sierra Leone depuis le 30 novembre 1996.
2. Le Tribunal spécial fonctionne conformément au Statut du Tribunal spécial pour la Sierra Leone. Le Statut figure en annexe au présent accord dont il fait partie intégrante.

Article 2
Composition du Tribunal spécial et nomination des juges

1. Le Tribunal spécial comprend une Chambre de première instance et une Chambre d’appel. Une seconde Chambre de première instance sera créée si, après une période d’au moins six mois à compter du début du fonctionnement du Tribunal spécial, le Secrétaire général ou le Président du Tribunal spécial le demandent. De même, deux juges suppléants au plus sont nommés après six mois si le Président du Tribunal spécial en décide ainsi.
2. Les Chambres se composent de huit juges indépendants au moins et de 11 au plus, qui se répartissent comme suit :

a) Dans chacune des Chambres de première instance siègent trois juges, dont un est nommé par le Gouvernement sierra-léonais et deux sont nommés par le Secrétaire général sur présentation des États, et en particulier des États membres de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest et du Commonwealth, que le Secrétaire général aura sollicités;
b) Au cas où la seconde Chambre de première instance serait créée, elle aura également la composition indiquée à l’alinéa a) ci-dessus;
c) À la Chambre d’appel siègent cinq juges, dont deux sont nommés par le Gouvernement sierra-léonais et trois sont nommés par le Secrétaire général sur présentation des États, et en particulier des États membres de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest et du Commonwealth, que le Secrétaire général aura sollicités.

3. Le Gouvernement sierra-léonais et le Secrétaire général se consultent sur la nomination des juges.
4. Les juges sont nommés pour un mandat de trois ans et sont rééligibles.
5. Si, à la demande du Président du Tribunal spécial, un juge suppléant a été nommé, ou si des juges suppléants ont été nommés, par le Gouvernement sierra-léonais ou le Secrétaire général, le Président d’une Chambre de première instance ou de la Chambre d’appel désigne le juge suppléant ayant été ainsi nommé pour être présent à tous les stades de la procédure en remplacement d’un juge se trouvant dans l’impossibilité de siéger.

Article 3
Nomination d’un Procureur et d’un Procureur adjoint

1. Le Secrétaire général nomme un Procureur pour un mandat de trois ans, après avoir consulté le Gouvernement sierra-léonais. Le Procureur est rééligible.
2. Le Gouvernement sierra-léonais nomme, après avoir consulté le Secrétaire général et le Procureur, un Procureur adjoint chargé d’assister le Procureur dans la conduite des enquêtes et des poursuites.
3. Le Procureur et le Procureur adjoint doivent jouir d’une haute considération morale, avoir une compétence professionnelle du niveau le plus élevé et une grande expérience des enquêtes et des poursuites pénales. Le Procureur et le Procureur adjoint sont indépendants dans l’exercice de leurs fonctions et ne sollicitent ni ne reçoivent d’instructions d’aucun gouvernement ni d’aucune autre source.
4. Le Procureur est assisté du personnel sierra-léonais et international dont il peut avoir besoin pour s’acquitter efficacement des fonctions qui lui sont assignées.

Article 4
Nomination d’un Greffier

1. Le Secrétaire général nomme, après avoir consulté le Président du Tribunal spécial, un Greffier qui est chargé du secrétariat des Chambres et du Bureau du Procureur ainsi que du recrutement et de l’administration de tout le personnel d’appui. Il gère également les ressources financières et les ressources en personnel du Tribunal spécial.
2. Le Greffier est un fonctionnaire de l’Organisation des Nations Unies. Il est nommé pour un mandat de trois ans et rééligible.

Article 5
Locaux

Le Gouvernement facilite la mise de locaux à la disposition du Tribunal spécial, lui accorde toutes les facilités et lui fournit tous les services publics ou autres qui sont nécessaires à l’accomplissement de ses fonctions.

Article 6
Dépenses du Tribunal spécial

Les dépenses du Tribunal spécial seront financées par des contributions volontaires de la communauté internationale. Il est entendu que le Secrétaire général entamera le processus de la mise en place du Tribunal lorsqu’il aura obtenu des contributions suffisantes pour financer la création du Tribunal et ses opérations pendant 12 mois, ainsi que des contributions annoncées équivalentes aux dépenses prévues pour le fonctionnement du Tribunal pendant les 24 mois suivants. Il est également entendu que le Secrétaire général continuera la recherche de contributions équivalentes aux dépenses prévues du Tribunal au-delà de ses trois premières années de fonctionnement. Au cas où les contributions volontaires ne suffiraient pas pour permettre au Tribunal de s’acquitter de son mandat, le Secrétaire général et le Conseil de sécurité s’efforceront de trouver d’autres moyens de financement.

Article 7
Comité d’administration

Il est entendu par les Parties que les États intéressés créent un comité d’administration, qui sera chargé d’aider le Secrétaire général à trouver des fonds suffisants et de donner des avis et des directives concernant tous les aspects non judiciaires du fonctionnement du Tribunal, notamment les questions d’efficacité, et d’accomplir toutes autres tâches convenues avec les États intéressés. Le comité d’administration sera composé de contribuants importants au budget du Tribunal spécial. Le Gouvernement sierra-léonais et le Secrétaire général seront également membres du comité d’administration.

Article 8
Inviolabilité des locaux, archives et autres documents du Tribunal

1. Les locaux du Tribunal spécial sont inviolables. Les autorités compétentes prennent toutes les mesures appropriées pour que le Tribunal spécial ne soit pas dépossédé d’une partie ou de la totalité de ses locaux sans son consentement exprès.
2. Les biens, fonds et avoirs du Tribunal spécial, où qu’ils se trouvent et quel qu’en soit le détenteur, ne peuvent faire l’objet de perquisition, saisie, réquisition, confiscation, expropriation ou autre intervention au titre de mesures de caractère exécutif, administratif, judiciaire ou législatif.
3. Les archives du Tribunal spécial, et d’une manière générale tous les documents et matériels mis à sa disposition, lui appartenant ou qu’il utilise, où qu’ils se trouvent et quel qu’en soit le détenteur, sont inviolables.

Article 9
Fonds, avoirs et autres biens

1. Le Tribunal spécial et ses fonds, avoirs et autres biens, où qu’ils se trouvent et quel qu’en soit le détenteur, jouissent de l’immunité de juridiction à tous égards, sauf dans la mesure où le Tribunal renonce expressément à son immunité dans un cas particulier. Il est toutefois entendu que cette renonciation ne peut s’étendre aux mesures d’exécution.
2. Sans être soumis à aucune restriction ou réglementation financière ni à aucun moratoire, le Tribunal spécial :

a) Peut détenir et utiliser des fonds, de l’or ou des instruments négociables de toute nature, avoir des comptes dans n’importe quelle devise et convertir toute devise qu’il détient en n’importe quelle autre;
b) Est libre de transférer ses fonds, son or ou ses devises d’un pays à un autre ou à l’intérieur de la Sierra Leone, à l’Organisation des Nations Unies ou à toute autre institution.

Article 10
Siège du Tribunal spécial

Le Tribunal spécial a son siège en Sierra Leone. Il peut se réunir hors de son siège s’il l’estime nécessaire pour exercer efficacement ses fonctions, et son siège peut être transféré hors de Sierra Leone si les circonstances l’exigent, et sous réserve que le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies et le Gouvernement sierra-léonais d’une part, et le Gouvernement de l’État du nouveau siège de l’autre, concluent un accord de siège.

Article 11
Capacité juridique

Le Tribunal spécial a la capacité juridique :

a) De contracter;
b) D’acquérir et d’aliéner des biens meubles et immeubles;
c) D’ester en justice;
d) De conclure avec des États les accords qui peuvent être nécessaires pour l’exercice de ses fonctions et pour son administration.

Article 12
Privilèges et immunité des juges, du Procureur et du Greffier

1. Les juges, le Procureur et le Greffier, ainsi que les membres de leur famille qui font partie de leur ménage jouissent des privilèges et immunités, exemptions et facilités accordés aux agents diplomatiques conformément à Convention de Vienne de 1961 sur les relations diplomatiques. Ils jouissent en particulier :

a) De l’inviolabilité de leur personne, ne pouvant notamment être soumis à aucune forme d’arrestation ou de détention;
b) De l’immunité de la juridiction pénale, civile et administrative conformément à la Convention de Vienne;
c) De l’inviolabilité de tous leurs papiers et documents;
d) De l’exemption, le cas échéant, de toutes restrictions à l’immigration et formalités d’immatriculation des étrangers;
e) Des mêmes immunités et facilités en matière de bagages personnels que celles accordées par la Convention de Vienne aux agents diplomatiques;
f) De l’exonération des impôts sierra-léonais en ce qui concerne leurs traitements, émoluments et indemnités.

2. Les privilèges et immunités sont accordés aux juges, au Procureur et au Greffier dans l’intérêt du Tribunal spécial et non à l’avantage personnel des intéressés. Le droit et le devoir de lever l’immunité dans tous les cas où elle peut l’être sans nuire au but pour lequel elle est accordée appartient au Secrétaire général, en consultation avec le Président.

Article 13
Privilèges et immunités du personnel international et sierra-léonais

1. Les membres du personnel sierra-léonais et international du Tribunal spécial jouissent :

a) De l’immunité de juridiction pour tous les actes (y compris leurs paroles et écrits) qu’ils accomplissent à titre officiel. Cette immunité est maintenue après qu’ils ont quitté le service du Tribunal spécial;
b) De l’exonération de tout impôt sur les traitements, indemnités et émoluments qui leur sont versés.

2. Les membres du personnel international jouissent de surcroît :

a) De l’exemption de toute restriction à l’immigration;
b) Du droit d’importer en franchise de droits de douane et d’impôts indirects, excepté pour le paiement de services, leurs mobilier et effets lorsqu’ils prennent pour la première fois leurs fonctions officielles en Sierra Leone.

3. Les privilèges et immunités sont accordés aux fonctionnaires du Tribunal spécial dans l’intérêt du Tribunal et non à leur avantage personnel. Le droit et le devoir de lever l’immunité dans tous les cas où elle peut l’être sans nuire au but pour lequel elle est accordée appartiennent au Greffier du Tribunal.

Article 14
Le conseil

1. Le Gouvernement veille à ce que le conseil d’un suspect ou d’un accusé reconnu comme tel par le Tribunal spécial ne soit soumis à aucune mesure susceptible d’affecter sa liberté ou son indépendance dans l’exercice de ses fonctions.
2. Le conseil jouit en particulier :

a) De l’immunité d’arrestation et de détention et de saisie de ses bagages personnels;
b) De l’inviolabilité de tous les documents ayant trait à l’exercice de ses fonctions de conseil d’un suspect ou d’un accusé;
c) De l’immunité de la juridiction pénale ou civile pour les actes accomplis par lui en sa qualité de conseil (y compris ses paroles et écrits). Cette immunité est maintenue après qu’il a cessé ses fonctions de conseil d’un suspect ou d’un accusé;
d) De l’immunité de toutes restrictions en matière d’immigration pendant son séjour et pendant son voyage aller pour rejoindre le Tribunal et son voyage retour.

Article 15
Témoins et experts

Les experts et témoins résidant en dehors du territoire sierra-léonais et comparaissant sur citation ou à la demande des juges ou du Procureur ne sont ni poursuivis, ni détenus par les autorités sierra-léonaises et leur liberté n’est en aucune manière entravée. Ils ne font l’objet d’aucune mesure susceptible de les empêcher d’exercer leurs fonctions en toute liberté et indépendance. Les dispositions des alinéas a) et d) du paragraphe 2 de l’article 14 s’appliquent aux témoins et aux experts.

Article 16
Sécurité et protection des personnes visées dans le présent Accord

Reconnaissant la responsabilité qui est faite au Gouvernement en vertu du droit international d’assurer la sécurité et la protection des personnes visées dans le présent Accord, et l’incapacité dans laquelle il se trouve de le faire en attendant la restructuration et la reconstitution de ses forces de sécurité, il est convenu que la MINUSIL assurera la sécurité des locaux et du personnel du Tribunal spécial, sous réserve d’un mandat approprié du Conseil de sécurité et dans la mesure de ses moyens.

Article 17
Coopération avec le Tribunal spécial

1. Le Gouvernement coopère avec tous les organes du Tribunal spécial, à tous les stades de la procédure. Il facilite en particulier l’accès du Procureur aux sites, aux personnes et aux documents dont il a besoin pour ses enquêtes.
2. Le Gouvernement fait suite sans retard indu à toute demande d’assistance que lui adresse le Tribunal spécial et à toute ordonnance prise par les Chambres, y compris, sans que la liste ci-après soit exhaustive, en ce qui concerne :

a) L’identification et la localisation de personnes;
b) Le service des documents;
c) Les arrestations ou les détentions;
d) Le transfèrement des accusés au Tribunal.

Article 18 Langue de travail

La langue de travail officielle du Tribunal spécial est l’anglais.

Article 19
Dispositions pratiques

1. Par souci d’efficacité et d’économie, la création du Tribunal spécial se fera en plusieurs étapes, selon l’ordre chronologique de la procédure.
2. Lors de la première phase, les juges, le Procureur et le Greffier du Tribunal seront désignés ainsi que le personnel chargé des enquêtes et des poursuites. Les enquêtes et poursuites, ainsi que les procès de ceux qui sont déjà sous la garde du Tribunal pourront alors commencer.
3. Lors de la phase initiale, les juges de la Chambre de première instance et de la Chambre d’appel sont convoqués en fonction des besoins pour s’occuper de questions d’organisation, et sont appelés à assurer leurs fonctions lorsqu’il y a lieu.
4. Les juges de la Chambre de première instance seront appelés à siéger peu après la fin des enquêtes. Les juges de la Chambre d’appel siégeront lorsque le premier procès sera terminé.

Article 20
Règlement des différends

Tout différend entre les Parties concernant l’interprétation ou l’application du présent Accord est réglé par la négociation ou par tout autre moyen convenu d’un commun accord entre les Parties.

Article 21
Entrée en vigueur

Le présent Accord entre en vigueur le lendemain du jour où les deux Parties se seront notifié l’une à l’autre par écrit que les formalités requises ont été remplies.

Article 22
Amendement

Le présent Accord peut être amendé par convention écrite entre les Parties.

Article 23
Résiliation

Le présent Accord est résilié par accord entre les Parties à l’achèvement des activités judiciaires du Tribunal spécial.

En foi de quoi, les soussignés, représentants dûment autorisés de l’Organisation des Nations Unies et du Gouvernement sierra-léonais, ont signé cet accord. Fait à Freetown, le 16 janvier 2002, en double exemplaire en langue anglaise.

Pour l’Organisation des Nations Unies
(Signé) Hans Corell

Pour le Gouvernement sierra-léonais
(Signé) Solomon Berewa


2. Statut

Créé par un Accord entre l’Organisation des Nations Unies et le Gouvernement sierra-léonais conformément à la résolution 1315 (2000) du Conseil de sécurité, en date du 14 août 2000, le Tribunal spécial pour la Sierra Leone (ci-après dénommé le « Tribunal spécial ») exercera ses fonctions conformément aux dispositions du présent Statut.

Article premier
Compétence du Tribunal spécial

1. Le Tribunal spécial, sous réserve des dispositions du paragraphe 2, est habilité à juger les personnes qui portent la plus lourde responsabilité des violations graves du droit international humanitaire et du droit sierra-léonais commis sur le territoire de la Sierra Leone depuis le 30 novembre 1996, y compris les dirigeants qui, en commettant ce type de crimes, ont menacé l’instauration et la mise en oeuvre du processus de paix en Sierra Leone.
2. Toute infraction commise par un membre du personnel de maintien de la paix ou personnel assimilé présent en Sierra Leone conformément à l’Accord sur le statut de la mission en vigueur entre l’Organisation des Nations Unies et le Gouvernement sierra-léonais ou à des accords en vigueur entre la Sierra Leone et d’autres gouvernements ou organisations régionales, ou en l’absence de tels accords, pour autant que les opérations de maintien de la paix ont été entreprises avec le consentement du Gouvernement sierra-léonais, relève en premier lieu de la compétence de son État d’origine.
3. Au cas où l’État d’origine ne veut ou ne peut réellement mener une enquête ou des poursuites, le Tribunal peut, sur la proposition d’un État et si le Conseil de sécurité l’autorise, exercer sa compétence sur la personne en question.

Article 2
Crimes contre l’humanité

Le Tribunal spécial est habilité à poursuivre les personnes accusées d’avoir commis les crimes ci-après dans le cadre d’une attaque généralisée et systématique dirigée contre les populations civiles :

a) Assassinat;
b) Extermination;
c) Réduction en esclavage;
d) Expulsion;
e) Emprisonnement;
f) Torture;
g) Viol, esclavage sexuel, prostitution forcée, grossesse forcée et toute autre forme de violence sexuelle;
h) Persécutions pour des raisons politiques, raciales, ethniques ou religieuses;
i) Autres actes inhumains.

Article 3
Violations de l’article 3 commun aux Conventions de Genève et du Protocole additionnel II

Le Tribunal spécial est habilité à juger les personnes accusées d’avoir commis ou ordonné que soient commises de graves violations de l’article 3 commun aux Conventions de Genève du 12 août 1949 pour la protection des victimes en temps de guerre et du Protocole additionnel II auxdites Conventions du 8 juin 1977. Ces violations comprennent :

a) Les atteintes portées à la vie, à la santé et au bien-être physique ou mental des personnes, en particulier le meurtre, de même que les traitements cruels tels que la torture, les mutilations ou toutes formes de peines corporelles;
b) Les châtiments collectifs;
c) La prise d’otages;
d) Les actes de terrorisme;
e) Les atteintes à la dignité de la personne, notamment les traitements humiliants et dégradants, le viol, la prostitution forcée et tout attentat à la pudeur;
f) Le pillage;
g) Les condamnations et les exécutions sans jugement rendu au préalable par un tribunal régulièrement constitué et assorti des garanties judiciaires reconnues comme indispensables par les peuples civilisés;
h) La menace de commettre les actes précités.

Article 4
Autres violations graves du droit international humanitaire

Le Tribunal spécial est habilité à juger les personnes accusées d’avoir commis les violations graves ci-après du droit international humanitaire :

a) Attaques délibérées dirigées contre la population civile comme telle ou contre des civils qui ne participent pas directement aux hostilités;
b) Attaques délibérées dirigées contre le personnel, les installations, le matériel, les unités ou les véhicules utilisés pour l’assistance humanitaire ou pour la mission de maintien de la paix conformément à la Charte des Nations Unies, dès lors qu’ils ont droit à la protection dont les civils ou les objets civils bénéficient en vertu du droit international des conflits armés;
c) Recrutement et enrôlement d’enfants âgés de moins de 15 ans dans des forces ou groupes armés en vue de les faire participer activement aux hostilités.

Article 5
Crimes au regard du droit sierra-léonais

Le Tribunal spécial sera habilité à juger les personnes accusées d’avoir commis les crimes ci-après au regard du droit sierra-léonais :

a) Sévices à l’encontre de fillettes [loi de 1926 relative à la prévention de la cruauté à l’encontre d’enfants (chap. 31)] :
i) Sévices à l’encontre de fillettes de moins de 13 ans en violation de l’article 6;
ii) Sévices à l’encontre de fillettes âgées de 13 ou 14 ans en violation de l’article 7;
iii) Enlèvement de fillettes à des fins immorales en violation de l’article 12;
b) Destruction gratuite de biens (loi relative aux dommages volontaires de 1861) :
i) Incendie de maisons alors qu’une personne quelconque s’y trouve en violation de l’article 2;
ii) Incendie d’édifices publics ou autres en violation des articles 5 et 6;
iii) Incendie d’autres édifices en violation de l’article 6.

Article 6
Responsabilité pénale individuelle

1. Quiconque a planifié, incité à commettre, ordonné, commis ou de toute autre manière aidé et encouragé à planifier, préparer ou exécuter un crime visé aux articles 2 à 4 du présent Statut est individuellement responsable dudit crime.
2. La qualité officielle d’un accusé, soit comme chef d’État ou de gouvernement, soit comme haut fonctionnaire, ne l’exonère pas de sa responsabilité pénale et n’est pas un motif de diminution de la peine.
3. Le fait que l’un quelconque des actes visés aux articles 2 à 4 du présent Statut a été commis par un subordonné ne dégage pas son supérieur de sa responsabilité pénale s’il savait ou avait des raisons de savoir que le subordonné s’apprêtait à commettre cet acte ou l’avait fait et que le supérieur n’a pas pris les mesures nécessaires et raisonnables pour empêcher que ledit acte ne soit commis ou en punir les auteurs.
4. Le fait qu’un accusé a agi en exécution d’un ordre d’un gouvernement ou d’un supérieur ne l’exonère pas de sa responsabilité pénale mais peut être considéré comme un motif de diminution de la peine si le Tribunal spécial l’estime conforme à la justice.
5. La responsabilité pénale individuelle des crimes visés à l’article 5 est établie conformément à la législation pertinente de la Sierra Leone.

Article 7
Compétence pour juger les mineurs de 15 ans

1. Le Tribunal spécial n’est pas compétent pour juger les mineurs âgés de 15 ans au moment où l’infraction alléguée a été commise. Si le Tribunal est appelé à juger une personne âgée de 15 à 18 ans au moment où l’infraction alléguée a été commise, cette personne doit être traitée avec dignité et respect, en tenant compte de son jeune âge et de la nécessité de faciliter sa réinsertion et son reclassement pour lui permettre de jouer un rôle constructif dans la société, et conformément aux normes internationales relatives aux droits de l’homme, en particulier les droits de l’enfant.
2. Lorsqu’il juge un mineur délinquant, le Tribunal spécial assortit son jugement d’une ou plusieurs des mesures ci-après : placement, éducation surveillée, travail d’intérêt général, service de conseils, placement nourricier, programmes d’éducation pénitentiaire, d’enseignement et de formation professionnelle, établissements scolaires agréés et, le cas échéant, tout programme de désarmement, démobilisation et réinsertion, ou programme des organismes de protection des enfants.

Article 8
Compétence concurrente

1. Le Tribunal spécial et les juridictions sierra-léonaises ont une compétence concurrente.
2. Le Tribunal spécial a la primauté sur les juridictions sierra-léonaises. Il peut, à tous les stades de la procédure, demander à une juridiction nationale de se dessaisir en sa faveur conformément au présent Statut et au Règlement de procédure et de preuve.

Article 9
Non bis in idem

1. Nul ne peut être traduit devant une juridiction sierra-léonaise s’il a déjà été jugé pour les mêmes faits par le Tribunal spécial.

2. Quiconque a été traduit devant une juridiction nationale pour des faits visés aux articles 2 à 4 du présent Statut ne peut être traduit par la suite devant le Tribunal spécial que si :

a) Le fait pour lequel il a été jugé était qualifié crime de droit commun;
b) La juridiction nationale n’a pas statué de façon impartiale ou indépendante, la procédure engagée devant elle visait à soustraire l’accusé à sa responsabilité pénale internationale, ou la poursuite n’a pas été exercée avec diligence.

3. Pour décider de la peine à infliger à une personne condamnée pour un crime visé par le présent Statut, le Tribunal spécial tient compte de la mesure dans laquelle cette personne a déjà purgé une peine qui pourrait lui avoir été infligée par une juridiction nationale pour le même fait.

Article 10
Grâce

La grâce accordée à une personne relevant de la compétence du Tribunal spécial pour ce qui est des crimes visés aux articles 2 à 4 du présent Statut ne fait pas obstacle à l’exercice de poursuites.

Article 11
Organisation du Tribunal spécial

Le Tribunal spécial comprend les organes suivants ci-après :

a) Les Chambres, soit une ou plusieurs Chambres de première instance et une Chambre d’appel;
b) Le Procureur;
c) Le Greffe.

Article 12 Composition des Chambres

1. Les Chambres se composent de huit juges indépendants au moins et de 11 au plus, qui se répartissent comme suit :

a) Dans chacune des Chambres de première instance siègent trois juges, dont un est nommé par le Gouvernement sierra-léonais et deux sont nommés par le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies (ci-après dénommé le «Secrétaire général»);
b) À la Chambre d’appel siègent cinq juges, dont deux sont nommés par le Gouvernement sierra-léonais et trois par le Secrétaire général.

2. Chaque juge siège exclusivement dans la Chambre à laquelle il a été affecté.
3. Les juges à la Chambre d’appel et les juges qui siègent dans les Chambres de première instance élisent un président qui dirige les travaux de la Chambre à laquelle il a été élu. Le Président de la Chambre d’appel est Président du Tribunal spécial.
4. Si, à la demande du Président du Tribunal spécial, un juge suppléant a été nommé, ou si des juges suppléants ont été nommés, par le Gouvernement sierra-léonais ou le Secrétaire général, le président d’une Chambre de première instance ou de la Chambre d’appel désigne le juge suppléant ayant été ainsi nommé pour être présent à tous les stades de la procédure en remplacement d’un juge se trouvant dans l’impossibilité de siéger.

Article 13
Qualification et élection des juges

1. Les juges doivent jouir d’une haute considération morale, être connus pour leur impartialité et leur intégrité et réunir les conditions requises dans leurs pays respectifs pour l’exercice des plus hautes fonctions judiciaires. Ils doivent être indépendants dans l’exercice de leurs fonctions et ne peuvent accepter ou solliciter d’instructions d’aucun gouvernement ou autre source.
2. Il est dûment tenu compte, dans la composition d’ensemble des Chambres, de l’expérience des juges en matière de droit international, notamment le droit international humanitaire et les droits de l’homme, le droit pénal et la justice pour enfants.
3. Les juges sont nommés pour un mandat de trois ans. Ils sont rééligibles.

Article 14
Règlement de procédure et de preuve

1. Le Règlement de procédure et de preuve du Tribunal pénal international pour le Rwanda en vigueur au moment de la création du Tribunal spécial régit mutadis mutandis le déroulement de la procédure devant le Tribunal spécial.
2. Les juges du Tribunal spécial réunis en plénière peuvent modifier le Règlement de procédure et de preuve ou adopter des dispositions supplémentaires lorsque les dispositions existantes ne prévoient pas un cas particulier ou ne permettent pas de le régler. Dans l’exercice de cette fonction, les juges peuvent s’inspirer, selon que de besoin, du Code sierra-léonais de procédure pénale de 1965.

Article 15
Le Procureur

1. Le Procureur dirige les enquêtes et exerce les poursuites contre les personnes qui portent la responsabilité la plus lourde des violations graves du droit international humanitaire et de crimes au regard du droit sierra-léonais commis sur le territoire de la Sierra Leone depuis le 30 novembre 1996. Le Procureur est un organe distinct au sein du Tribunal spécial. Il ne sollicite ni ne reçoit d’instructions d’aucun gouvernement ni d’aucune autre source.
2. Le Bureau du Procureur est habilité à interroger les suspects, les victimes et les témoins, à recueillir des éléments de preuve et à mener des enquêtes sur place. Lorsqu’il accomplit ces tâches, le Procureur est assisté, selon que de besoin, par les autorités sierra-léonaises concernées.
3. Le Procureur est nommé par le Secrétaire général pour un mandat de quatre ans qui peut être renouvelé. Il doit jouir d’une haute considération morale et avoir de solides compétences et une grande expérience des enquêtes et des poursuites pénales.
4. Le Procureur est assisté par un procureur adjoint sierra-léonais et par tous autres fonctionnaires internationaux et sierra-léonais nécessaires pour lui permettre de s’acquitter efficacement des fonctions qui lui sont assignées. Eu égard à la nature des crimes commis et à la sensibilité particulière des fillettes, des jeunes femmes et des enfants victimes de viol, d’agression sexuelle, d’enlèvement et d’esclavage de toute sorte, il faut veiller à nommer des procureurs et enquêteurs possédant une expérience dans le domaine des crimes à motivation sexiste et en matière de justice pour enfants.
5. Lorsqu’il juge des mineurs délinquants, le Procureur s’assure que le programme de réinsertion des mineurs n’est pas menacé et que, le cas échéant, il est fait usage d’autres mécanismes d’établissement de la vérité et de la réconciliation dans la mesure où ils existent.

Article 16
Le Greffe

1. Le Greffe est chargé d’assurer l’administration et les services du Tribunal spécial.
2. Le Greffe se compose d’un greffier et des autres fonctionnaires nécessaires.
3. Le Greffier est nommé par le Secrétaire général, après consultation du Président du Tribunal spécial, et est un fonctionnaire de l’Organisation des Nations Unies. Il est nommé pour un mandat de trois ans qui est renouvelable.
4. Le Greffier crée au sein du Greffe un groupe d’aide aux victimes et aux témoins. Le Groupe prend, en consultation avec le Bureau du Procureur, toutes mesures nécessaires pour assurer la protection et la sécurité des témoins et des victimes qui se présentent devant la Cour, leur fournit des conseils et toute autre assistance appropriée, et il agit de même à l’égard de tous ceux auxquels les dépositions des témoins font courir des risques. Il comprend des experts en traumatismes, notamment ceux qui présentent un lien avec les crimes de violence sexuelle et de violence à l’égard d’enfants.

Article 17
Les droits des accusés

1. Tous les accusés sont égaux devant le Tribunal spécial.
2. Les accusés ont droit à ce que leur cause soit entendue équitablement et publiquement, sous réserve des mesures ordonnées par le Tribunal spécial pour assurer la protection des victimes et des témoins.
3. Tout accusé est présumé innocent jusqu’à ce que sa culpabilité ait été établie, conformément aux dispositions du présent Statut.
4. Toute personne contre laquelle une accusation est portée a droit, en pleine égalité, au moins aux garanties suivantes :

a) Être informée, dans le plus court délai, dans une langue qu’elle comprend et de façon détaillée, de la nature et des motifs de l’accusation portée contre elle;
b) Disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense et communiquer avec le conseil de son choix;
c) Être jugée sans retard excessif;
d) Être présente aux procès et se défendre elle-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix; si elle n’a pas de défenseur, être informée de son droit d’en avoir un, et, chaque fois que l’intérêt de la justice l’exige, se voir attribuer d’office un défenseur, sans frais, si elle n’a pas les moyens de le rémunérer;
e) Interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la comparution et l’interrogatoire des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge;
f) Se faire assister gratuitement d’un interprète si elle ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l’audience;
g) Ne pas être forcée de témoigner contre elle-même ou de s’avouer coupable.

Article 18
Sentence

La sentence est rendue en audience publique à la majorité des juges de la Chambre de première instance ou de la Chambre d’appel. Elle est établie par écrit et motivée, des opinions individuelles ou dissidentes pouvant y être jointes.

Article 19
Peines

1. La Chambre de première instance impose à la personne reconnue coupable, sauf s’il s’agit d’un mineur délinquant, une peine d’emprisonnement dont elle précise la durée. Pour fixer les conditions de l’emprisonnement, la Chambre de première instance a recours, selon qu’il convient, à la grille générale des peines d’emprisonnement appliquée par le Tribunal pénal international pour le Rwanda et par les juridictions sierra-léonaises.
2. En imposant une peine, la Chambre de première instance doit tenir compte de facteurs comme la gravité de l’infraction et la situation personnelle du condamné.
3. Outre l’emprisonnement, la Chambre de première instance peut ordonner la confiscation des biens, recettes et avoirs acquis illicitement ou par un comportement criminel, ainsi que la restitution à leurs propriétaires légitimes ou à l’État sierra-léonais.

Article 20
Appel

1. La Chambre d’appel connaît des appels formés soit par des personnes que la Chambre de première instance a reconnues coupables, soit par le Procureur, pour les motifs ci-après :

a) Vice de procédure;
b) Erreur sur un point de droit qui invalide la décision;
c) Erreur de fait qui a entraîné un déni de justice.

2. La Chambre d’appel peut confirmer, annuler ou réviser les décisions des Chambres de première instance.
3. Les juges de la Chambre d’appel du Tribunal spécial se laissent guider par les décisions de la Chambre d’appel des Tribunaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et pour le Rwanda. Lorsqu’ils doivent interpréter ou appliquer la législation sierra-léonaise, ils se laissent guider par les décisions de la Cour suprême de la Sierra Leone.

Article 21
Révision

1. En cas de découverte d’un fait nouveau qui n’était pas connu au moment du procès en première instance ou en appel et qui aurait pu être un élément déterminant de la décision, le condamné ou le Procureur peut saisir le Tribunal d’une requête en révision.
2. Les requêtes en révision sont présentées à la Chambre d’appel. Celle-ci rejette les requêtes qu’elle juge infondées. Si elle estime qu’une requête est fondée, elle peut, selon ce qui convient :

a) Réunir à nouveau la Chambre de première instance;
b) Rester saisie de l’affaire.

Article 22
Exécution des peines

1. Les peines d’emprisonnement sont exécutées en Sierra Leone. Si les circonstances l’exigent, la peine d’emprisonnement peut être exécutée dans un des États qui ont conclu avec le Tribunal pénal international pour le Rwanda ou le Tribunal international pour l’ex-Yougoslavie un accord en vue de l’exécution des peines et qui ont fait savoir au Greffier du Tribunal spécial qu’ils étaient disposés à recevoir des condamnés. Le Tribunal spécial peut conclure avec d’autres États des accords similaires en vue de l’exécution des peines.
2. Les conditions de détention, que ce soit en Sierra Leone ou dans un autre État, sont régies par la législation de l’État d’exécution et soumises au contrôle du Tribunal spécial. L’État d’exécution est tenu par la durée de la peine, sans préjudice de l’article 23 du présent Statut.

Article 23
Grâce et commutation de peine

Si le condamné peut bénéficier d’une grâce ou d’une commutation de peine en vertu des lois de l’État dans lequel il est emprisonné, celui-ci en avise le Tribunal spécial. Une grâce ou une commutation de peine n’est accordée que si le Président du Tribunal spécial, en consultation avec les juges, en décide ainsi dans l’intérêt de la justice et sur la base des principes généraux du droit.

Article 24
Langue de travail

La langue de travail du Tribunal spécial est l’anglais.

Article 25
Rapport annuel

Le Président du Tribunal spécial présente chaque année au Secrétaire général et au Gouvernement sierra-léonais un rapport sur le fonctionnement et les activités du Tribunal.