Source: Comité international de la Croix rouge, pages Droit international humanitaire
[P R E C] [S O M M A I R E] [S U I V]

Projet d'une Déclaration internationale concernant les lois et coutumes de la guerre
> Bruxelles, 27 août 1874 <

De l'autorité militaire sur le territoire de l'Etat ennemi.

ARTICLE PREMIER.
Un territoire est considéré comme occupé lorsqu'il se trouve placé de fait sous l'autorité de l'armée ennemie.
L'occupation ne s'étend qu'aux territoires où cette autorité est établie et en mesure de s'exercer.

ART. 2.
L'autorité du pouvoir légal étant suspendue et ayant passé de fait entre les mains de l'occupant, celui-ci prendra toutes les mesures qui dépendent de lui en vue de rétablir et d'assurer, autant qu'il est possible, l'ordre et la vie publique.

ART. 3.
A cet effet, il maintiendra les lois qui étaient en vigueur dans le pays en temps de paix, et ne les modifiera, ne les suspendra ou ne les remplacera que s'il y a nécessité.

ART. 4.
Les fonctionnaires et les employés de tout ordre qui consentiraient, sur son invitation, à continuer leurs fonctions, jouiront de sa protection. Ils ne seront révoqués ou punis disciplinairement que s'ils manquent aux obligations acceptées par eux et livrés à la justice que s'ils les trahissent.

ART. 5.
L'armée d'occupation ne prélèvera que les impôts, redevances, droits et péages déjà établis au profit de l'Etat, ou leur équivalent, s'il est impossible de les encaisser, et, autant que possible, dans la forme et suivant les usages existants. Elle les emploiera à pourvoir aux frais de l'administration du pays dans la mesure où le Gouvernement légal y était obligé.

ART. 6.
L'armée qui occupe un territoire ne pourra saisir que le numéraire, les fonds et les valeurs exigibles appartenant en propre à l'Etat, les dépôts d'armes, moyens de transport, magasins et approvisionnements et, en général, toute propriété mobilière de l'Etat de nature à servir aux opérations de la guerre.
Le matériel des chemins de fer, les télégraphes de terre, les bateaux à vapeur, et autres navires en dehors des cas régis par la loi maritime, de même que les dépôts d'armes et en général toute espèce de munitions de guerre, quoique appartenant à des Sociétés ou à des personnes privées, sont également des moyens de nature à servir aux opérations de la guerre et qui peuvent ne pas être laissés par l'armée d'occupation à la disposition de l'ennemi. Le matériel des chemins de fer, les télégraphes de terre, de même que les bateaux à vapeur et autres navires susmentionnés, seront restitués et les indemnités réglées à la paix.

ART. 7.
L'Etat occupant ne se considérera que comme administrateur et usufruitier des édifices publics, immeubles, forêts et exploitations agricoles appartenant à l'Etat ennemi et se trouvant dans le pays occupé. Il devra sauvegarder le fonds de ces propriétés et les administrer conformément aux règles de l'usufruit.

ART. 8.
Les biens des communes, ceux des établissements consacrés aux cultes, à la charité et à l'instruction, aux arts et aux sciences, même appartenant à l'Etat, seront traités comme la propriété privée.
Toute saisie, destruction ou dégradation intentionnelle de semblables établissements, de monuments historiques, d'oeuvres d'art ou de science, doit être poursuivie par les autorités compétentes.

Qui doit être reconnu comme partie belligérante: des combattants et des non-combattants.

ART. 9.
Les lois, les droits et les devoirs de la guerre ne s'appliquent pas seulement à l'armée, mais encore aux milices et aux corps de volontaires réunissant les conditions suivantes :

1° D'avoir à leur tête une personne responsable pour ses subordonnés ;
2° D'avoir un signe distinctif fixe et reconnaissable à distance ;
3° De porter les armes ouvertement, et
4° De se conformer dans leurs opérations aux lois et coutumes de la guerre.

Dans les pays où les milices constituent l'armée ou en font partie, elles sont comprises sous la dénomination d'' armée '.

ART. 10.
La population d'un territoire non occupé qui, à l'approche de l'ennemi, prend spontanément les armes pour combattre les troupes d'invasion sans avoir eu le temps de s'organiser conformément à l'article 9, sera considérée comme belligérante si elle respecte les lois et coutumes de la guerre.

ART. 11.
Les forces armées des parties belligérantes peuvent se composer de combattants et de non-combattants. En cas de capture par l'ennemi, les uns et les autres jouiront des droits de prisonniers de guerre.

Des moyens de nuire à l'ennemi.

ART. 12.
Les lois de la guerre ne reconnaissent pas aux belligérants un pouvoir illimité quant aux choix des moyens de nuire à l'ennemi.

ART. 13.
D'après ce principe sont notamment 'interdits' :

  1. L'emploi du poison ou d'armes empoisonnées ;
  2. Le meurtre par trahison d'individus appartenant à la nation ou à l'armée ennemie ;
  3. Le meurtre d'un ennemi qui, ayant mis bas les armes ou n'ayant plus les moyens de se défendre, s'est rendu à discrétion ;
  4. La déclaration qu'il ne sera pas fait de quartier ;
  5. L'emploi d'armes, de projectiles ou de matières propres à causer des maux superflus, ainsi que l'usage des projectiles prohibés par la déclaration de St-Pétersbourg de 1868 ;
  6. L'abus du pavillon parlementaire, du pavillon national ou des insignes militaires et de l'uniforme de l'ennemi, ainsi que des signes distinctifs de la Convention de Genève ;
  7. Toute destruction ou saisie de propriétés ennemies qui ne serait pas impérieusement commandée par la nécessité de guerre.

ART. 14.
Les ruses de guerre et l'emploi des moyens nécessaires pour se procurer des renseignements sur l'ennemi et sur le terrain (sauf les dispositions de l'art. 36) sont considérés comme ' licites '.

Des sièges et des bombardements.

ART. 15.
Les places fortes peuvent seules être assiégées. Des villes, agglomérations d'habitations ou villages ouverts qui ne sont pas défendus ne peuvent être ni attaqués ni bombardés.

ART. 16.
Mais si une ville ou place de guerre, agglomération d'habitations ou village, est défendu, le commandant des troupes assaillantes, avant d'entreprendre le bombardement, et sauf l'attaque de vive force, devra faire tout ce qui dépend de lui pour en avertir les autorités.

ART. 17.
En pareil cas, toutes les mesures nécessaires doivent être prises pour épargner, autant qu'il est possible, les édifices consacrés aux cultes, aux arts, aux sciences et à la bienfaisance, les hôpitaux et les lieux de rassemblement de malades et de blessés, à condition qu'ils ne soient pas employés en même temps à un but militaire.
Le devoir des assiégés est de désigner ces édifices par des signes visibles spéciaux à indiquer d'avance à l'assiégeant.

ART. 18.
Une ville prise d'assaut ne doit pas être livrée au pillage des troupes victorieuses.

Des espions.

ART. 19.
Ne peut être considéré comme espion que l'individu qui, agissant clandestinement ou sous de faux prétextes, recueille ou cherche à recueillir des informations dans les localités occupées par l'ennemi, avec l'intention de les communiquer à la partie adverse.

ART. 20.
L'espion pris sur le fait sera jugé et traité d'après les lois en vigueur dans l'armée qui l'a saisi.

ART. 21.
L'espion qui rejoint l'armée à laquelle il appartient et qui est capturé plus tard par l'ennemi est traité comme prisonnier de guerre et n'encourt aucune responsabilité pour ses actes antérieurs.

ART. 22.
Les militaires non déguisés qui ont pénétré dans la zone d'opérations de l'armée ennemie, à l'effet de recueillir des informations, ne sont pas considérés comme espions.
De même, ne doivent pas être considérés comme espions, s'ils sont capturés par l'ennemi : les militaires (et aussi les non-militaires accomplissant ouvertement leur mission) chargés de transmettre des dépêches destinées soit à leur propre armée, soit à l'armée ennemie.
A cette catégorie appartiennent également, s'ils sont capturés, les individus envoyés en ballon pour transmettre les dépêches, et, en général, pour entretenir les communications entre les diverses parties d'une armée ou d'un territoire.

Des prisonniers de guerre.

ART. 23.
Les prisonniers de guerre sont des ennemis légaux et désarmés.
Ils sont au pouvoir du Gouvernement ennemi, mais non des individus ou des corps qui les ont capturés.
Ils doivent être traités avec humanité.
Tout acte d'insubordination autorise à leur égard les mesures de rigueur nécessaires.
Tout ce qui leur appartient personnellement, les armes exceptées, reste leur propriété.

ART. 24.
Les prisonniers de guerre peuvent être assujettis à l'internement dans une ville, forteresse, camp ou localité quelconque, avec obligation de ne pas s'en éloigner au delà de certaines limites déterminées ; mais ils ne peuvent être enfermés que par mesure de sûreté indispensable.

ART. 25.
Les prisonniers de guerre peuvent être employés à certains travaux publics qui n'aient pas un rapport direct avec les opérations sur le théâtre de la guerre et qui ne soient pas exténuants ou humiliants pour leur grade militaire, s'ils appartiennent à l'armée, ou pour leur position officielle ou sociale, s'ils n'en font point partie.
Ils pourront également, en se conformant aux dispositions réglementaires, à fixer par l'autorité militaire, prendre part aux travaux de l'industrie privée.
Leur salaire servira à améliorer leur position ou leur sera compté au moment de leur libération. Dans ce cas, les frais d'entretien pourront être défalqués de ce salaire.

ART. 26.
Les prisonniers de guerre ne peuvent être astreints d'aucune manière à prendre une part quelconque à la poursuite des opérations de la guerre.

ART. 27.
Le Gouvernement au pouvoir duquel se trouvent les prisonniers de guerre se charge de leur entretien.
Les conditions de cet entretien peuvent être établies par une entente mutuelle entre les parties belligérantes.
A défaut de cette entente, et comme principe général, les prisonniers de guerre seront traités pour la nourriture et l'habillement sur le même pied que les troupes du Gouvernement qui les aura capturés.

ART. 28.
Les prisonniers de guerre sont soumis aux lois et règlements en vigueur dans l'armée au pouvoir de laquelle ils se trouvent.
Contre un prisonnier de guerre en fuite il est permis, après sommation, de faire usage des armes. Repris, il est passible de peines disciplinaires ou soumis à une surveillance plus sévère.
Si, après avoir réussi à s'échapper, il est de nouveau fait prisonnier, il n'est passible d'aucune peine pour sa fuite antérieure.

ART. 29.
Chaque prisonnier de guerre est tenu de déclarer, s'il est interrogé à ce sujet, ses véritables noms et grade et, dans le cas où il enfreindrait cette règle, il s'exposerait à une restriction des avantages accordés aux prisonniers de guerre de sa catégorie.

ART. 30.
L'échange de prisonniers de guerre est réglé par une entente mutuelle entre les parties belligérantes.

ART. 31.
Les prisonniers de guerre peuvent être mis en liberté sur parole, si les lois de leur pays les y autorisent, et, en pareil cas, ils sont obligés, sous la garantie de leur honneur personnel, de remplir scrupuleusement, tant vis-à-vis de leur propre Gouvernement que vis-à-vis de celui qui les a faits prisonniers, les engagements qu'ils auraient contractés.
Dans le même cas, leur propre gouvernement ne doit ni exiger ni accepter d'eux aucun service contraire à la parole donnée.

ART. 32.
Un prisonnier de guerre ne peut pas être contraint d'accepter sa liberté sur parole ; de même le Gouvernement ennemi n'est pas obligé d'accéder à la demande du prisonnier réclamant sa mise en liberté sur parole.

ART. 33.
Tout prisonnier de guerre, libéré sur parole et repris portant les armes contre le Gouvernement envers lequel il s'était engagé d'honneur, peut être privé des droits de prisonnier de guerre et traduit devant les tribunaux.

ART. 34.
Peuvent également être faits prisonniers les individus qui, se trouvant auprès des armées, n'en font pas directement partie, tels que : les correspondants, les reporters de journaux, les vivandiers, les fournisseurs, etc., etc. Toutefois ils doivent être munis d'une autorisation émanant du pouvoir compétent et d'un certificat d'identité.

Des malades et des blessés.

ART. 35.
Les obligations des belligérants concernant le service des malades et des blessés sont régies par la Convention de Genève du 22 août 1864, sauf les modifications dont celle-ci pourra être l'objet.

Du pouvoir militaire à l'égard des personnes privées.

ART. 36.
La population d'un territoire occupé ne peut être forcée de prendre part aux opérations militaires contre son propre pays.

ART. 37.
La population d'un territoire occupé ne peut être contrainte de prêter serment à la puissance ennemie.

ART. 38.
L'honneur et les droits de la famille, la vie et la propriété des individus, ainsi que leurs convictions religieuses et l'exercice de leur culte doivent être respectés.
La propriété privée ne peut pas être confisquée.

ART. 39.
Le pillage est formellement interdit.

Des contributions et des réquisitions.

ART. 40.
La propriété privée devant être respectée, l'ennemi ne demandera aux communes ou aux habitants que des prestations et des services en rapport avec les nécessités de guerre généralement reconnues, en proportion avec les ressources du pays et qui n'impliquent pas pour les populations l'obligation de prendre part aux opérations de guerre contre leur patrie.

ART. 41.
L'ennemi prélevant des contributions soit comme équivalent pour des impôts (v. art. 5) ou pour des prestations qui devraient être faites en nature, soit à titre d'amende, n'y procédera, autant que possible, que d'après les règles de la répartition et de l'assiette des impôts en vigueur dans le territoire occupé.
Les autorités civiles du Gouvernement légal y prêteront leur assistance si elles sont restées en fonctions.
Les contributions ne pourront être imposées que sur l'ordre et sous la responsabilité du général en chef ou de l'autorité civile supérieure établie par l'ennemi dans le territoire occupé.
Pour toute contribution, un reçu sera donné au contribuable.

ART. 42.
Les réquisitions ne seront faites qu'avec l'autorisation du commandant dans la localité occupée.
Pour toute réquisition, il sera accordé une indemnité ou délivré un reçu.

Des parlementaires.

ART. 43.
Est considéré comme parlementaire l'individu autorisé par l'un des belligérants à entrer en pourparlers avec l'autre et se présentant avec le drapeau blanc, accompagné d'un trompette (clairon ou tambour) ou aussi d'un porte-drapeau. Il aura droit à l'inviolabilité ainsi que le trompette (clairon ou tambour) et le porte-drapeau qui l'accompagnent.

ART. 44.
Le chef auquel un parlementaire est expédié n'est pas obligé de le recevoir en toutes circonstances et dans toutes conditions.
Il lui est loisible de prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher le parlementaire de profiter de son séjour dans le rayon des positions de l'ennemi au préjudice de ce dernier, et si le parlementaire s'est rendu coupable de cet abus de confiance, il a le droit de le retenir temporairement.
Il peut également déclarer d'avance qu'il ne recevra pas de parlementaires pendant un temps déterminé. Les parlementaires qui viendraient à se présenter après une pareille notification, du côté de la partie qui l'aurait reçue, perdraient le droit à l'inviolabilité.

ART. 45.
Le parlementaire perd ses droits d'inviolabilité, s'il est prouvé d'une manière positive et irrécusable qu'il a profité de sa position privilégiée pour provoquer ou commettre un acte de trahison.

Des capitulations.

ART. 46.
Les conditions des capitulations sont débattues entre les parties contractantes.
Elles ne doivent pas être contraires à l'honneur militaire.
Une fois fixées par une convention, elles doivent être scrupuleusement observées par les deux parties.

De l'armistice.

ART. 47.
L'armistice suspend les opérations de guerre par un accord mutuel des parties belligérantes. Si la durée n'en est pas déterminée, les parties belligérantes peuvent reprendre en tout temps les opérations, pourvu, toutefois, que l'ennemi soit averti en temps convenu, conformément aux conditions de l'armistice.

ART. 48.
L'armistice peut être général ou local. Le premier suspend partout les opérations de guerre des Etats belligérants ; le second seulement entre certaines fractions des armées belligérantes et dans un rayon déterminé.

ART. 49.
L'armistice doit être officiellement et sans retard notifié aux autorités compétentes et aux troupes. Les hostilités sont suspendues immédiatement après la notification.

ART. 50.
Il dépend des parties contractantes de fixer dans les clauses de l'armistice les rapports qui pourront avoir lieu entre les populations.

ART. 51.
La violation de l'armistice, par l'une des parties, donne à l'autre le droit de le dénoncer.

ART. 52.
La violation des clauses de l'armistice par des particuliers, agissant de leur propre initiative, donne droit seulement à réclamer la punition des coupables et, s'il y a lieu, une indemnité pour les pertes éprouvées.

Des belligérants internés et des blessés soignés chez les neutres.

ART. 53.
L'Etat neutre qui reçoit sur son territoire des troupes appartenant aux armées belligérantes, les internera, autant que possible, loin du théâtre de la guerre.
Il pourra les garder dans des camps et même les enfermer dans des forteresses ou dans des lieux appropriés à cet effet.
Il décidera si les officiers peuvent être laissés libres en prenant l'engagement sur parole de ne pas quitter le territoire neutre sans autorisation.

ART. 54.
A défaut de convention spéciale, l'Etat neutre fournira aux internés les vivres, les habillements et les secours commandés par l'humanité.
Bonification sera faite à la paix des frais occasionnés par l'internement.

ART. 55.
L'Etat neutre pourra autoriser le passage par son territoire des blessés ou malades, appartenant aux armées belligérantes, sous la réserve que les trains qui les amèneront ne transporteront ni personnel ni matériel de guerre.
En pareil cas, l'Etat neutre est tenu de prendre les mesures de sûreté et de contrôle nécessaires à cet effet.

ART. 56.
La Convention de Genève s'applique aux malades et aux blessés internés sur territoire neutre.