Source: Comité international de la Croix rouge, pages Droit international humanitaire
[P R E C] [S O M M A I R E] [S U I V]

Projet de Convention pour la protection des populations civiles contre les nouveaux engins de guerre
> Amsterdam, 1938 <

Toutes les Hautes Parties Contractantes

Affirmant leur fidélité aux obligations assumées en vertu du Pacte de Paris du 27 août 1928,
Déclarant qu'en toute guerre entreprise par elles, elles seraient nécessairement victimes d'une agression, ou que cette guerre serait, de leur part, une guerre d'assistance légitime à la victime d'une agression,
S'engageant en toute guerre à observer les présentes règles, lesquelles règles sont reconnues par elles comme incorporant des principes d'humanité exigés par la conscience civilisée,
Ont résolu de conclure un Traité et ont nommé à cet effet pour leurs Plénipotentiaires respectifs.Qui, après s'être communiqué leurs pleins pouvoirs, trouvés en bonne et due forme, sont convenus des articles suivants :

Article 1 La population civile d'un Etat ne fera pas l'objet d'actes de guerre. Rentrent dans la «population civile», au sens de la présente Convention tous ceux qui ne participent pas directement ou indirectement à la défense du territoire, tous les individus qui ne se trouvent pas enrôlés dans un des services de combat de cet Etat.

DE L'ATTAQUE OU DU BOMBARDEMENT DE VILLES NON DEFENDUES

Article 2 Il est interdit en toutes circonstances de bombarder par quelque moyen que ce soit, les villes, ports, villages ou édifices isolés qui ne sont pas défendus. Une ville, village ou édifice sera considéré non défendu s'il ne se trouve dans ses confins ou dans un rayon de «x» kilomètres de ces confins, non seulement aucune force militaire mais aussi aucun établissement militaire, naval ou d'aviation, ni casernement, arsenal, dépôt où usine de munitions, ni aérodrome ou chantier de construction d'aéroplanes, ni navire de guerre, fort ou fortification de caractère défensif ou offensif.

DU BOMBARDEMENT DES VILLES DEFENDUES

Article 3 Il est interdit à tout moment (tant de jour que de nuit) de bombarder par quelque moyen que ce soit, les villes, ports, villages ou édifices qui sont défendus, lorsque les objectifs de caractère militaire ne peuvent être clairement distingués.

Article 4 Le bombardement aérien destiné à terroriser la population civile est expressément interdit.

Article 5 1. Le bombardement aérien est interdit sauf le cas où il est dirigé contre des forces combattantes ou des établissements belligérants ou lignes de communication ou de transport dont il est fait usage pour des buts militaires.
2. Au cas ou les objectifs ci-dessus spécifiés seraient situés de telle manière qu'ils ne pourraient être bombardés sans entraîner le bombardement, sans discrimination, de la population civile, les aéronefs doivent s'abstenir de bombarder.

DES ARMES CHIMIQUES, INCENDIAIRES OU BACTERIENNES

Article 6 L'emploi d'armes chimiques, incendiaires ou bactériennes est interdit vis-à-vis de tout Etat, partie ou non à la présente convention, et au cours de toute guerre, quel qu'en soit le caractère. L'application de cette règle sera régie par les trois articles suivants.

Article 7 (a) L'interdiction de l'emploi d'armes chimiques s'entend de l'emploi en vue de nuire à un adversaire, par quelque procédé que ce soit, de tous corps naturels ou synthétiques (à l'état solide, liquide ou gazeux) nuisibles à l'organisme des hommes ou des animaux en raison de leurs qualités toxiques, asphyxiantes, irritantes ou vésicantes.
(b) Cette interdiction ne s'étend pas :

  1. aux explosifs ne figurant pas dans la dernière catégorie mentionnée,
  2. aux corps nocifs naissant lors de la déflagration de ces explosifs, à condition que ces explosifs n'aient pas été conçus ou utilisés en vue de produire ces corps nocifs,
  3. aux fumées ou brouillards servant à dissimuler des objectifs ou à d'autres fins militaires, pourvu que ces fumées ou brouillards ne soient pas, dans des conditions normales d'usage, susceptibles d'avoir des effets nocifs,
  4. au gaz exclusivement lacrymogène.

Article 8 L'interdiction de l'emploi d'armes incendiaires s'entend de projectiles spécifiquement destinés à provoquer des incendies, sauf quand ils sont employés dans la défense contre aéronefs. L'interdiction ne s'étend pas :

  1. aux projectiles spécialement construits pour être éclairants ou lumineux,
  2. aux engins pyrotechniques qui ne sont pas, normalement, susceptibles de provoquer des incendies,
  3. aux projectiles de toute sorte qui, tout en étant capables de causer accidentellement des effets incendiaires, ne sont pas, normalement, susceptibles d'en produire,
  4. aux projectiles incendiaires construits spécialement pour la défense contre aéronefs, quand ils sont employés exclusivement à cette fin,
  5. aux appareils tels que les lance-flammes, destinés à atteindre des combattants individuels par le feu,

Article 9 L'interdiction de l'emploi d'armes bactériennes s'entend de l'emploi en vue de nuire à un adversaire, de toutes méthodes consistant à répandre des microbes pathogènes ou des virus filtrants ou des substances infectées, soit de les mettre en contact immédiat avec des êtres humains, des animaux ou des végétaux, soit pour atteindre ceux-ci d'une manière quelconque et notamment par la contamination de l'atmosphère, des eaux, des aliments ou de tous autres objets destinés à l'usage ou à la consommation humains.

DES AIRES DE SECURITE

Article 10 Afin de mieux permettre aux Etats d'assurer la protection de leur population civile, un Etat donné peut, s'il le juge convenable, proclamer «Aire ou aires de sécurité» une ou plusieurs parties de son territoire, et, compte tenu des conditions énoncées ci-après, ces aires de sécurité seront à l'abri d'attaques ou de bombardements par quelque moyen que ce soit, et elles ne feront l'objet légitime d'aucun acte de guerre.

Article 11 L'aire de sécurité consistera, soit :

(a) en un camp spécialement établi à cet effet et situé de manière à ce qu'il n'y ait ni ville, ni port, ni village, ni édifice défendu à une distance de «x» kilomètres d'un point quelconque de ce camp, soit,
(b) en une ville, port, village ou édifice non défendu, selon la définition de l'article 2.

Article 12 Les habitants de l'aire de sécurité consisteront en personnes faisant partie de la population civile non combattante de l'Etat donné, et seules les catégories suivantes de personnes y seront comprises :

(a) personnes âgées de plus de 60 ans.
(b) personnes âgées de moins de 15 ans.
(c) personnes âgées entre 15 et 60 ans, qui, en raison de leurs infirmités physiques ou mentales ou parce qu'étant enceintes ou allaitant un enfant, sont inaptes ou incapables de prendre part à aucun travail qui aiderait l'Etat à faire la guerre. La question de savoir si une personne fait partie de cette catégorie ou non, appartient à l'Autorité de Contrôle mentionnée ci-après.
(d) autres personnes (ne dépassant pas en nombre total les 5% du nombre des non-combattants) nécessaires pour prendre soin des non-combattants et pour maintenir l'ordre dans l'aire de sécurité, ainsi que l'Autorité de Contrôle mentionnée ci-après.

Article 13 La situation d'une aire de sécurité ainsi que celle de la route, chemin permanent, rivière ou canal par lequel se fera le ravitaillement de l'aire, feront l'objet d'une notification aux autres Puissances par la voie diplomatique en temps de paix, au moyen d'un plan et d'une description écrite, et cette notification indiquera de manière précise le site et les limites de l'aire. En temps de guerre, la dite notification se fera par l'entremise d'un des signataires de la présente convention non-participant à la guerre. Celui-ci aura le devoir d'informer aussitôt directement les Gouvernements de tous les Etats activement impliqués dans la guerre, du contenu de la notification. Il devra également la faire connaître le plus tôt possible aux représentants de tous les Etats accrédités auprès de son Gouvernement et qui ne prennent pas activement part à la guerre. Une aire de sécurité notifiée en temps de guerre ne sera pas considérée comme telle qu'à l'expiration d'un délai de 48 heures après que l'Etat susdit ait informé, selon les formes indiquées plus haut, les Gouvernements de tous les Etats activement impliqués dans la guerre.

Article 14 Les aires de sécurité devront être de forme circulaire et nettement désignées le jour par des signes visibles pour les aéronefs, et la nature de ces signes sera exposée dans la notification aux autres Puissances prévue à l'article précédent. Les signes employés par un Etat pour ses aires de sécurité doivent tous être de même grandeur, couleur et forme. Ni le drapeau distinctif de la Convention de Genève, ni le drapeau national d'aucun Etat, ne seront employés comme signes pour aires de sécurité.

Article 15 En temps de guerre l'exportation de quelque article que ce soit de ces aires de sécurité sera illégitime.

Article 16 Aucune personne autre que celles spécifiées à l'article 12 ne sera admise à entrer dans l'aire de sécurité en temps de guerre. Afin de pourvoir les habitants de l'aire en nourriture, vêtements et autres articles nécessaires pour vivre, les services de transport (tant par voie terrestre que maritime ou aérienne) auront le droit d'avancer jusqu'aux limites de l'aire de sécurité, telles qu'elles sont indiquées dans la notification aux autres Puissances, sans toutefois y pénétrer ou les survoler, et ils pourront y rester seulement le temps nécessaire au déchargement des articles transportés. Pour le temps employé à revenir de ce service et à condition de porter les mêmes signes distinctifs que l'aire de sécurité, tout chemin de fer, tout véhicule à moteur, à vapeur ou électrique, de même que tout navire ou aéronef jouira, jusqu'à une distance de «x» kilomètres d'un point quelconque de l'aire, de la même immunité que celle-ci et cette immunité s'étendra à la route, chemin permanent, rivière ou canal (tant qu'ils se trouvent en deçà de la distance de «x» kilomètres d'un point quelconque de l'aire de sécurité) que ce chemin de fer, véhicule ou navire doit nécessairement emprunter pour approvisionner l'aire ou pour en revenir. Aucune route, chemin permanent, rivière ou canal n'aura droit à cette immunité s'il a été employé à des fins militaires, à l'époque où l'aire de sécurité existait comme telle.

Article 17 Chaque aire de sécurité sera, en temps de guerre, soumise à la surveillance d'une Autorité de Contrôle composée d'un ou de plusieurs nationaux d'un Etat non belligérant, et cette Autorité de Contrôle aura le devoir de s'assurer de ce que les présentes règles relatives à l'établissement d'aires de sécurité soient observées sous tous les rapports. Toutes facilités seront accordées par le Gouvernement de l'Etat en question à l'Autorité de Contrôle pour l'accomplissement de ses devoirs, et cette Autorité jouira des privilèges diplomatiques.

Article 18 L'Autorité de Contrôle sera choisie par et sera responsable devant une Commission de Contrôle nommée à cet effet auprès de tout Etat, qui désire se prévaloir des bénéfices de la présente Convention, par le Président de la Cour Permanente de Justice Internationale cette Commission pouvant être nommée tant en temps de paix qu'en temps de guerre. La Commission de Contrôle se composera d'au moins trois nationaux d'Etats non belligérants, et toutes facilités pour l'accomplissement de ses devoirs lui seront accordées par le Gouvernement de l'Etat, auprès duquel elle est nommée, et elle jouira de privilèges diplomatiques ; mais elle ne touchera pas à la souveraineté territoriale de cet Etat.

Article 19 L'Autorité de Contrôle d'une aire de sécurité s'assurera également de ce que les dispositions de l'article 16 soient observées par les services de transport se rendant à ou revenant de l'aire, et de ce que le chemin permanent, route, rivière ou canal empruntés par les services de transport ne soient pas employés à des fins militaires, pendant que l'aire de sécurité existe comme telle.

Article 20 L'Autorité de Contrôle qui s'apercevra d'une infraction à l'une des dispositions de la présente Convention commise par un belligérant aura le devoir d'en informer aussitôt la Commission de Contrôle devant laquelle elle est responsable et, si la Commission de Contrôle est convaincue que l'infraction s'est produite, elle en informera aussitôt le Président de la Cour Permanente de Justice Internationale en adressant une note spécifiant l'infraction et nommant l'Etat qui l'a commise ; elle informera également aussitôt les Gouvernements de tous les belligérants.

Article 21 Si un Etat, qui cherche à se prévaloir de la protection accordée aux aires de sécurité par les présentes règles, commet sur une ou plusieurs de ses propres aires de sécurité une infraction à l'une des dispositions de la présente Convention relatives aux aires de sécurité, et si cette infraction a été notifiée dans les formes décrites à l'article précédent, avec spécification de l'aire ou des aires affectées par l'infraction, tout autre belligérant aura le droit de notifier à cet Etat que l'aire ou les aires de sécurité en question ne seront plus reconnues comme telles après la réception de cette note, mais il ne sera pas permis d'exercer des représailles contre l'infraction par des maux causés à la population civile.

SANCTIONS

Article 22 Toute partie allégant qu'une infraction aux dispositions de la présente Convention (autre que l'infraction contre les dispositions relatives à l'établissement d'aires de sécurité, commise par un Etat cherchant à se prévaloir de la protection accordée à ces aires, infraction contre laquelle les dispositions de l'article précédent seront le seul recours) s'est produite, en informera le Président de la Cour Permanente de Justice Internationale, afin de constituer immédiatement une Commission de Constatation.

Article 23 La Commission de Constatation procédera le plus rapidement possible à faire toutes enquêtes nécessaires, afin de déterminer s'il y a eu infraction.
Elle en dressera un rapport au Cour Permanente de Justice Internationale.

Article 24 La Cour Permanente de Justice Internationale invitera la partie * visée par la plainte à lui fournir des explications.
Il peut envoyer des commissaires sur le territoire soumis au contrôle de cette partie ou de celle qui a formulé la plainte, pour procéder à l'enquête afin de déterminer s'il y a eu infraction.

* Note. - Les Etats signataires qui n'auraient pas encore adhéré au Statut de la Cour Permanente, devraient s'engager à le faire.

Article 25 La Cour Permanente de Justice Internationale peut également effectuer toute autre enquête ayant le même objet et il peut soumettre toute question exigeant un examen judiciaire, la Cour devant prononcer sa décision avec toute célérité possible.

Article 26 Les parties impliquées dans les opérations mentionnées ci-dessus et, de manière générale, toutes les parties à la présente Convention, prendront les mesures nécessaires pour faciliter ces opérations, spécialement en ce qui concerne le transport rapide de personnes et de correspondance.

Article 27 Selon les résultats des opérations mentionnées ci-dessus, la Cour Permanente de Justice Internationale constatera avec toute célérité possible s'il y a eu infraction.

Article 28 Au cas où, selon la conviction de la Cour Permanente de Justice Internationale, une infraction doit être constatée, elle publiera son rapport en spécifiant l'Etat ou les Etats qui a, ou qui ont, commis l'infraction et dès lors tout Etat signataire et n'ayant pas part à l'infraction aura le droit, sans violation aucune de ses obligations conventionnelles ni du Droit Internationale, de prendre une ou plusieurs des mesures suivantes :

(a) assister avec des forces armées l'Etat contre lequel l'infraction a été commise ;
(b) prêter à cet Etat son assistance financière ou matérielle, y compris les munitions de guerre ;
(c) refuser d'admettre l'exercice de droits belligérants par l'Etat ou les Etats ayant commis l'infraction ;
(d) refuser d'observer, à l'égard de l'Etat ou des Etats ayant commis l'infraction, les devoirs d'un neutre à l'égard d'un belligérant, tels que les prescrit le Droit International.

Article 29 Tout Etat commettant une violation de la présente Convention est soumis à la réparation pécuniaire de tout dommage causé par cette violation envers l'Etat ayant subi le dommage ou envers un des nationaux de celui-ci.

Article 30 Chacune des Hautes Parties Contractantes est d'accord pour apporter sans délai à sa législation nationale les modifications nécessaires pour rendre efficaces les obligations assumées par la présente Convention.

Article 31 La présente Convention s'ajoute, sans s'y substituer, aux obligations humanitaires reposant sur l'un quelconque des Etats signataires en vertu d'un traité général, tel que les Conventions de La Haye de 1899 et 1907 et la Convention Internationale de 1929 concernant le Traitement des Prisonniers de Guerre.

Article 32 La présente Convention est ouverte à l'adhésion de Puissances non signataires. A cet effet elles auront à faire connaître leur adhésion aux Hautes Parties Contractantes au moyen d'une notification écrite adressée à toutes les Hautes Parties Contractantes.