Source: Comité international de la Croix rouge, pages Droit international humanitaire
[P R E C] [S O M M A I R E] [S U I V]

Projet de Règles limitant les risques courus par la population civile en temps de guerre
> CICR, 1956 <

Préambule

Bien que tous les peuples soient profondément convaincus que la guerre doit être exclue comme moyen de résoudre les différends entre communautés humaines,
Vu cependant la nécessité, si des hostilités devaient encore éclater, d'épargner aux populations civiles la destruction dont elles sont menacées par suite du développement technique des armes et méthodes de guerre,
Les limites que les exigences de l'humanité et la sauvegarde des populations mettent à l'emploi de la force armée sont réaffirmées et précisées dans les règles ci-après.
Dans les cas non prévus, les populations civiles restent au bénéfice de la règle générale formulée à l'article premier et des principes du droit des gens.

Chapitre premier.- But et champ d'application

ARTICLE PREMIER
But

N'ayant pas un droit illimité quant au choix des moyens de nuire à l'adversaire, les Parties au conflit doivent borner leurs opérations à la destruction de la puissance militaire de celui-ci et laisser la population civile hors des atteintes des armes.
Cette règle générale est précisée par les dispositions qui suivent.

ARTICLE 2
Champs d'application

Les présentes règles s'appliquent :

a) en cas de guerre déclarée ou de tout autre conflit armé, même si l'état de guerre n'est pas reconnu par l'une des Parties au conflit ;
b) en cas de conflit armé ne présentant pas un caractère international.

ARTICLE 3
Définitions des attaques

Les présentes règles s'appliquent aux actes de violence commis contre l'adversaire par le moyen des armes quelles qu'elles soient, aussi bien à titre défensif qu'offensif. Ces actes sont désignés ci-après par le terme «attaques».

ARTICLE 4
Définition de la population civile

Au sens des présentes règles, la population civile comprend toute personne n'appartenant pas à l'une des catégories suivantes :

a) membres des forces armées ou des organisations auxiliaires ou complémentaires de celles-ci ;
b) personnes qui, sans appartenir aux formations précitées, prennent néanmoins part au combat.

ARTICLE 5
Rapports avec les Conventions antérieures

Les obligations que les présentes règles imposent aux Parties au conflit à l'égard de la population civile complètent celles qui incombent déjà expressément à ces Parties en vertu d'autres règles du droit des gens, par suite notamment des Actes de Genève et de La Haye.

Chapitre II.- Objectifs dont l'attaque est prohibée

ARTICLE 6
Immunité de la population civile

Sont interdites les attaques dirigées contre la population civile comme telle, que ce soit pour la terroriser ou pour toute autre raison. Cette interdiction s'applique aussi bien aux attaques qui viseraient des individus isolés qu'à celles qui seraient dirigées contre des groupes.
Par conséquent, il est également interdit d'attaquer les habitations, installations et moyens de transport, qui sont exclusivement affectés à la population civile et occupés par elle.
Toutefois, les éléments de la population civile qui, en dépit de l'article 11, se trouveraient à l'intérieur ou à proximité immédiate d'un objectif militaire assumeraient les risques résultant d'une attaque dirigée contre cet objectif.

ARTICLE 7
Limitation des objectifs attaqués

Afin de limiter les dangers courus par la population civile, les attaques ne peuvent être dirigées que contre des objectifs militaires.
Sont seuls considérés comme tels les objectifs appartenant à une des catégories d'objectifs qui offrent, par leur nature même, un intérêt militaire généralement reconnu. Une annexe aux présentes règles indique ces catégories.
Toutefois, même s'ils appartiennent à une de ces catégories, ils ne peuvent être considérés comme objectifs militaires lorsque leur destruction totale ou partielle n'offre, dans les circonstances du moment, aucun avantage militaire.

Chapitre III.- Précautions à prendre lors de l'attaque d'objectifs militaires

ARTICLE 8
Précautions dans la conception de l'attaque

Celui qui ordonne ou entreprend une attaque doit au préalable :

a) s'assurer que le ou les objectifs visés sont des objectifs militaires au sens des présentes règles et identifiés comme tels.
Lorsqu'il a le choix entre plusieurs objectifs pour obtenir le même avantage militaire, il est tenu de choisir celui dont l'attaque présente le moins de dangers pour la population civile.
b) considérer les pertes et destructions que l'attaque, même exécutée avec les précautions requises par l'article 9, risque d'infliger à la population civile.
Il est tenu de renoncer à l'attaque s'il ressort de cet examen que les pertes et destructions probables seraient hors de proportion avec l'avantage militaire attendu.
c) avertir la population civile menacée, chaque fois que les circonstances le lui permettent, afin qu'elle puisse se mettre à l'abri.

ARTICLE 9
Précautions dans l'exécution de l'attaque

Toutes précautions doivent être prises, aussi bien dans le choix des armes et moyens de l'attaque que dans l'exécution de celle-ci, pour ne causer à la population voisine de l'objectif ou à ses habitations ni pertes ni destructions, ou tout au moins les réduire à leur minimum.
En particulier, dans les villes et autres lieux fortement peuplés, qui ne se trouvent pas dans le voisinage des opérations terrestres ou maritimes, l'attaque doit être exécutée avec la plus grande précision. Elle ne doit causer à la population civile ni pertes ni destructions au-delà des abords de l'objectif visé.
Celui qui est chargé d'exécuter l'attaque doit y renoncer ou l'interrompre s'il lui apparaît que les conditions fixées ci-dessus ne peuvent être respectées.

ARTICLE 10
Bombardement de zone

Il est interdit d'attaquer indistinctement comme un seul objectif une zone comprenant plusieurs objectifs militaires distants l'un de l'autre, s'il se trouve entre eux des éléments de la population civile ou des habitations.

ARTICLE 11
Précautions «passives»

Les Parties au conflit doivent prendre, dans les limites de leurs possibilités, toutes mesures nécessaires pour protéger contre les dangers des attaques la population civile soumise à leur autorité, notamment en l'éloignant des objectifs militaires et des secteurs menacés. Sont, toutefois, expressément réservés les droits accordés à la population en cas de transfert ou d'évacuation par l'article 49 de la IVe Convention de Genève du 12 août 1949.
De même, les Parties au conflit doivent éviter, autant que possible, que des formations armées, du matériel de guerre, des installations ou établissements militaires mobiles ne se trouvent en permanence dans des villes ou autres lieux fortement peuplés.

ARTICLE 12
Organismes de protection civile

Les Parties au conflit doivent faciliter l'activité des organismes civils affectés exclusivement à la sauvegarde et à l'assistance de la population civile en cas d'attaques.
Elles peuvent s'entendre pour accorder, par le moyen d'un signe spécial, une immunité particulière au personnel de ces organismes, ainsi qu'à leurs matériel et installations.

ARTICLE 13
Mise en danger intentionnelle

Il est interdit aux Parties au conflit de placer ou de retenir à l'intérieur ou à proximité d'objectifs militaires la population civile soumise à leur autorité, dans l'intention d'amener l'adversaire à renoncer à l'attaque de ces objectifs.

Chapitre IV.- Armes aux effets incontrôlables

ARTICLE 14
Moyens de guerre prohibés

Sans préjudice des prohibitions existantes ou futures d'armes déterminées, il est interdit d'employer des armes dont l'action nocive - notamment par dissémination d'agents incendiaires, chimiques, bactériens, radioactifs ou autres - pourrait s'étendre d'une manière imprévue ou échapper, dans l'espace ou dans le temps, au contrôle de ceux qui les emploient et mettre ainsi en péril la population civile.
Il en va de même des armes à retardement dont les effets dangereux risquent d'atteindre la population civile.

ARTICLE 15
Mesures de sécurité

Si les Parties au conflit utilisent des mines de guerre, elles sont tenues, sous réserve des obligations prévues par la VIIIe Convention de La Haye de 1907, de dresser des plans de mines. Ces plans doivent être remis, à la fin des hostilités actives, à l'adversaire, ainsi qu'à toute autorité dont dépend la sécurité de la population.
Sans préjudice des précautions requises par l'article 9, les armes propres à causer de graves dommages aux populations civiles doivent, dans toute la mesure du possible, comporter un dispositif de sécurité qui les rende inoffensives lorsqu'elles échappent au contrôle de ceux qui les emploient.

Chapitre V.- Cas spéciaux

ARTICLE 16
«Villes ouvertes»

Quand, au début ou au cours des hostilités, une localité est déclarée «ville ouverte», notification doit en être faite en temps utile à l'adversaire. Celui-ci est tenu d'y répondre et, dès qu'il accepte de reconnaître le caractère de «ville ouverte» à la localité en question, il doit s'abstenir de toute attaque contre elle ainsi que de toute opération militaire ayant pour seul but l'occupation de cette localité.
A défaut de conditions spéciales qui seraient fixées dans chaque cas particulier d'entente avec l'adversaire, une localité doit, pour être déclarée «ville ouverte», satisfaire aux conditions suivantes :

a) n'être pas défendue et ne contenir aucune force armée ;
b) cesser tous rapports avec les forces armées nationales ou alliées ;
c) faire cesser toute activité de caractère ou à destination militaire dans ses installations ou industries pouvant être considérées comme objectifs militaires ;
d) faire cesser tout transit militaire sur son territoire.

L'adversaire peut subordonner la reconnaissance du caractère de «ville ouverte» à un contrôle portant sur la réalisation des conditions ci-dessus. Il doit suspendre ses attaques durant la mise en place et les opérations du contrôle.
La présence, dans la localité, des organismes civils de protection civile, ainsi que de ceux qui sont chargés de maintenir l'ordre public, n'est pas contraire aux conditions prévues à l'alinéa 2. Il en va de même, si la localité est située en territoire occupé, du personnel militaire d'occupation, strictement nécessaire au maintien de l'administration et de l'ordre public.
Lorsqu'une «ville ouverte» change de mains, les nouvelles autorités sont tenues, si elles ne peuvent lui maintenir son caractère, d'en informer la population civile.
Aucune des dispositions qui précèdent ne peut être interprétée comme diminuant la protection dont la population civile doit bénéficier en vertu des autres stipulations des présentes règles, même quand elle ne se trouve pas dans une localité reconnue comme «ville ouverte».

ARTICLE 17
Installations contenant des forces dangereuses

Afin d'épargner à la population civile les périls pouvant résulter de la destruction d'ouvrages d'art et d'installations - tels que barrages hydroélectriques, centrales d'énergie nucléaire ou digues - par suite de la libération d'éléments naturels ou artificiels, les Etats du Parties intéressés sont invités :

a) dès le temps de paix, à convenir d'une procédure ad hoc permettant d'assurer en toutes circonstances une immunité générale à ceux de ces ouvrages qui sont destinés à des fins essentiellement pacifiques ;
b) en temps de conflit, à s'entendre pour conférer une immunité spéciale, en s'inspirant éventuellement des dispositions de l'article 16, à ceux de ces ouvrages et installations dont l'activité n'a pas ou n'a plus de rapport avec la conduite des opérations militaires.

Les dispositions qui précèdent ne dispensent en rien les Parties au conflit des précautions exigées par les dispositions générales des présentes règles, en vertu notamment des articles 8 à 11.

Chapitre VI.- Exécution des règles (1)

(1) Les articles 18 et 19, qui traitent de la procédure de contrôle et des sanctions, sont donnés ici à titre indicatif et sous une forme schématique. Ils devront naturellement être précisés et complétés à un stade ultérieur.

ARTICLE 18
Concours de tiers

Les Etats non impliqués dans le conflit ainsi que tous organismes qualifiés sont invités, en prêtant leurs bons offices, à concourir à l'observation des présentes règles et à éviter que l'une ou l'autre Partie au conflit ne recoure à des mesures non compatibles avec ces règles.

ARTICLE 19
Poursuites et garanties judiciaires

Tous Etats ou Parties intéressés sont tenus de rechercher et de poursuivre toute personne ayant commis ou ordonné de commettre une infraction aux présentes règles, à moins qu'ils ne préfèrent la remettre pour jugement à un autre Etat ou Partie intéressés à la poursuite.
Les inculpés ne peuvent être déférés qu'à des tribunaux réguliers, civils ou militaires ; en toutes circonstances, ils doivent bénéficier de garanties de procédure au moins égales à celles que prévoient les articles 105 et suivants de la Convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre, du 12 août 1949.

ARTICLE 20
Diffusion et détails d'exécution

Tous Etats ou Parties intéressés doivent faire connaître à leurs forces armées la teneur des dispositions des présentes règles et pourvoir aux détails d'exécution ainsi qu'aux cas non prévus, conformément aux principes généraux de ces règles.