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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL


Session ordinaire de 2003-2004 - 59ème jour de séance, 150ème séance

3ème SÉANCE DU MARDI 3 FÉVRIER 2004

PRÉSIDENCE de M. Jean-Louis DEBRÉ
Sommaire

APPLICATION DU PRINCIPE DE LAÏCITÉ DANS LES ÉCOLES, COLLÈGES ET LYCÉES PUBLICS (suite)

ORDRE DU JOUR DU MERCREDI 4 FÉVRIER 2004 51

La séance est ouverte à vingt et une heures trente.

APPLICATION DU PRINCIPE DE LAÏCITÉ DANS LES ÉCOLES, COLLÈGES ET LYCÉES PUBLICS (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet relatif à l'application du principe de laïcité dans les écoles, collèges et lycées publics.

M. François Asensi - La question de la laïcité est essentielle. Ce principe du vivre ensemble républicain est directement issu du progrès des idées et de la raison; il est une valeur universelle qui fonde la liberté de conscience.

Néanmoins, ce projet ne fait pas de l'école le sanctuaire respectueux des consciences à l'abri des intérêts particuliers. Vous pointez tout particulièrement une religion, mais vous laissez pénétrer dans l'enseignement public, les «masters de l'économie», ce jeu-concours du CIC... Vous prétendez renforcer la neutralité de l'institution scolaire au moment où vous y faites entrer l'idéologie de la spéculation boursière !

M. Jean-Michel Dubernard, président et rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - Qu'est-ce que cela a à voir ?

M. François Asensi - Attendez, vous verrez...

Vous réaffirmez le principe de laïcité pour «assurer l'égalité des chances» mais vous la condamnez sur le terrain social. Je fais référence à l'inacceptable ségrégation sociale et spatiale qui constitue le terreau sur lequel prospèrent toutes les intolérances.

Notre pays a profité de son statut de puissance coloniale pour faire venir de la main-d'œuvre étrangère, source d'enrichissement culturel mais aussi économique. Nous lui devons tous nos grands chantiers: les ports, le rail, les routes, le bâtiment, l'industrie automobile... Cette classe ouvrière, riche de sa diversité et que craignaient les classes dirigeantes, des élus ont refusé de l'accueillir et l'ont repoussée à la périphérie. Des villes comme Paris, Puteaux, Boulogne-Billancourt ont même chassé leurs populations ouvrières.

Ce débat n'est pas nouveau et en 1985, à cette tribune, j'expliquais que «par tradition de solidarité ancienne, ce sont les communes populaires, le plus souvent dirigées par les communistes qui ont accueilli les immigrés en France», et je dénonçais «les véritables ghettos où s'accumulent la misère, les tensions et les difficultés de toutes sortes, qui n'acceptent plus de supporter seules le poids de la solidarité nationale». En 1990, comme rapporteur de la loi contre le racisme, l'antisémitisme et le négationnisme, j'avais encore tiré le signal d'alarme: «Ces poches de misère sont des bombes à retardement. A trop attendre pour les faire disparaître, il risque d'être trop tard pour éviter l'instauration d'un mur d'incompréhension et d'intolérance».

C'est à partir de ce sentiment d'exclusion que des groupes organisés jouent d'une rhétorique habile de la liberté et de la tolérance à l'école là où ils n'ont pas encore le pouvoir, et utilisent la menace là où ils le détiennent déjà.

La République française n'a pas pris la mesure des considérables moyens qu'il aurait fallu mobiliser pour venir à bout de la fracture sociale. Alors qu'il aurait fallu accueillir pleinement ces populations, après des années de séjour et de travail en France, leur garantir des droits, notamment le droit de vote, ils sont livrés à leurs difficultés, assignés à résidence, frappés les premiers par la crise, stigmatisés par leur origine, abandonnés à un légitime sentiment d'injustice.

La situation que je décrivais en 1989 n'a pas changé: «L'immigration en France porte la marque du capitalisme et d'un néocolonialisme persistant qui imprègne profondément les mentalités et les comportements de ceux qui ont le sentiment absurde et raciste d'appartenir à une race supérieure».

Aux yeux des jeunes issus de l'immigration, l'exclusion et l'humiliation de leurs parents, est explosive et dramatique. Pour tous les habitants des quartiers en difficulté, qui vivent la relégation, la précarité et l'insécurité, elle est le contraire des idéaux proclamés par la devise de la République.

Pour autant, la laïcité est un acquis fondamental qu'il ne faut cesser de défendre et d'enrichir. Une République comme la nôtre ne peut tolérer aucune discrimination religieuse, raciste ou sexiste. La lutte pour l'égalité est de ces combats qui ne s'arrêtent jamais.

Au cœur de ces combats, j'attache une importance particulière à la reconnaissance de l'égalité homme-femme, souvent remise en cause par tous les clergés. Faut-il rappeler le rôle de l'Inquisition catholique dans la diabolisation des femmes, coupables de tous les maux, assimilées à des sorcières, vouées au bûcher et à la torture ? Plus tard, Marx écrira: «dans la famille, l'homme est le bourgeois, la femme joue le rôle du prolétariat».

En 1804, le code Napoléon consacrait l'incapacité juridique de la femme. Avant 1907, elle devait reverser leur salaire à leur mari ! En 1942, sous Vichy, l'avortement était passible de la peine de mort. L'avènement du vote féminin ne survint qu'à la Libération, en 1944. Et il fallut encore attendre 1965 pour qu'elles puissent signer des chèques... Plus récemment, que de résistances contre la loi sur la parité en politique ! Et que de combats aura-t-il fallu encore mener pour qu'elles puissent enfin disposer pleinement d'elles-mêmes !

Contrairement à certains amis ici présents, je pense que les victimes, en particulier les femmes, ont besoin du renfort de la loi. «Entre le fort et le faible, disait Lacordaire, c'est la liberté qui opprime et c'est la loi qui libère». Est-il acceptable que, dans des banlieues, des jeunes filles soient méprisées, insultées, victimes d'agressions physiques parce qu'elles refusent une norme, vestimentaire ou autre ? Pour autant, je sais que c'est un choix personnel de jeunes filles et de femmes, et je le respecte. Je ne confonds pas le port du voile et les manifestations d'intégrisme politique. Mais je ne peux refuser de donner aux autres, dans ce sanctuaire qu'est l'école publique, un point d'appui législatif dans leur long chemin d'émancipation.

Je pense aux femmes qui, en Afghanistan, en Iran, en Arabie saoudite et partout dans le monde, luttent contre les humiliations, la violence, parfois même contre la lapidation comme au Nigeria. Elles peuvent recevoir de notre République un acte symbolique fort et un véritable signe d'encouragement.

Je doute de la sincérité de la majorité sur la laïcité et sur le statut de la femme quand j'observe que le droit à l'avortement est insidieusement remis en cause par des députés de l'UMP, l'amendement Garraud en atteste.

Je respecte le choix de mes amis politiques mais je leur dis que ne rien céder sur le terrain social ne nous empêche pas de réaffirmer les principes essentiels de notre capacité à vivre ensemble. N'opposons pas la question sociale à celle des libertés. Les temps où le respect et l'aspiration de l'individu étaient systématiquement écrasés par le primat du projet collectif ont abouti au stalinisme et au totalitarisme...

A l'heure de la mondialisation capitaliste, je rappelle les menaces que font courir aux valeurs de progrès toutes les formes de fondamentalisme religieux: chrétien au plus haut sommet de la plus grande puissance mondiale, islamique dans d'autres lieux.

Il faut aujourd'hui porter à la fois le drapeau de la liberté individuelle et celui de la transformation sociale. C'est le sens de mon engagement politique.

Ma conviction intime est que les instruments d'oppression et de discrimination doivent épargner les enfants de France dans leur magnifique diversité. J'ai donc demandé à mon groupe la liberté de vote sur ce sujet et je prends position au nom de l'émancipation du genre humain et du statut de la femme. C'est pourquoi je voterai la loi qui nous est proposée (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe des députés communistes et républicains).

M. Yves Bur - Comme l'a souligné la commission Stasi, la laïcité est constitutive de notre histoire collective. A chaque étape, son affirmation a permis de sauvegarder la neutralité de l'Etat, mais aussi de garantir le respect de la liberté de conscience toute en assurant le libre exercice des cultes.

La mise en œuvre de ce principe a suscité des moments de débats vifs, voire de tensions avec les religions. Mais elle a permis que soit protégé l'espace de liberté et de neutralité indispensable à la vie en société.

Aujourd'hui, cet équilibre est confronté à l'installation de l'islam dans notre pays qui n'est pas un problème en soi, mais qui s'accompagne de la volonté de certains groupes intégristes et fondamentalistes d'utiliser cet espace de liberté pour remettre en cause les acquis de la laïcité et de tester la résistance de la République en vue d'installer leur autorité.

En engageant ce débat, le Président de la République n'a pas voulu stigmatiser une communauté ou une religion, mais affirmer haut et fort la nécessité pour chaque citoyen de faire sien le socle des valeurs de la République.

Il est temps d'être clairvoyant, comme nous y invite la commission Stasi, et d'assumer notre responsabilité de législateur en inscrivant dans la loi notre volonté de faire respecter par tous ce principe du «vivre ensemble» qu'est la laïcité.

La République n'a pas à plier sous les coups de boutoir d'un quelconque fondamentalisme. Il en va de la liberté de chacun et de l'idée même de République. Comme l'affirme le Président Jacques Chirac, il ne s'agit pas de refonder ni même de modifier les frontières de la laïcité, mais de rester fidèle aux valeurs et aux équilibres que nous avons su inventer à travers notre histoire. Par cette affirmation solennelle, nous n'entendons stigmatiser aucune communauté, mais résister fermement aux provocations des intégrismes et des obscurantismes et leur signifier qu'en France, la religion ne sera jamais un projet politique. En votant ce texte, nous réaffirmons que l'espace public, l'école d'abord, mais aussi l'ensemble du service public, doit rester un espace de neutralité, concourant à notre cohésion sociale. Cette loi, qui ne sera pas une loi pour rien, renforcera l'autorité des chefs d'établissement minée par l'empirisme juridique et l'absence de courage politique. Ils l'attendent, et je la voterai avec conviction au nom des valeurs que nous incarnons ici.

Je me réjouis que cette clarification s'étende à tout le territoire national, y compris aux départements d'Alsace et de Moselle, qui ne sauraient au nom des spécificités locales héritées de l'histoire, rester à l'écart sans risquer de devenir pour les fondamentalistes des espaces de provocation. Dans nos trois départements, le droit local, malgré sa spécificité est conforme au principe constitutionnel de laïcité, même s'il le met en œuvre à sa façon. La neutralité de l'Etat y est strictement respectée. Les mêmes règles de laïcité sont respectées dans les écoles, même si l'enseignement religieux y est autorisé - mais facultatif. Nos concitoyens y sont très attachés, même si la pratique religieuse n'y est guère plus active qu'ailleurs; ils souhaitent préserver des relations apaisées entre l'Etat et les différentes confessions.

Enfin, en votant cette loi, nous adresserons aussi à tous les fondamentalistes notre refus sans concession de tolérer des atteintes au droit des femmes. L'apparition du voile n'est pas concomitante à l'immigration, mais à la radicalisation de certains groupes islamistes. Il suffit de consulter certaines sites islamistes pour comprendre qu'après le voile, c'est la mixité qui sera battue en brèche, puis le droit de la femme à travailler. Je tiens à votre disposition des textes éloquents qui doivent nous rendre vigilants. Le combat pour l'égalité des sexes et pour le droit des femmes ne saurait supporter d'exceptions, fût-ce au nom de règles religieuses dont l'interprétation reste incertaine. De ce point de vue, l'école constitue le lieu d'apprentissage de l'égal respect auquel chacun a droit quel que soit son sexe. Ne pas réagir face à ces dérives, à ce communautarisme que notre tradition républicaine a toujours rejeté, n'est plus acceptable, ni même responsable.

Ce refus sans concession doit s'accompagner d'un effort plus marqué pour combattre toutes les discriminations et mieux intégrer tous les jeunes, qui ne demandent qu'à mettre leur énergie au service du bien commun. En tant que maire, j'ai le sentiment que nous progressons et que l'espoir sera plus fort que les peurs. En réaffirmant notre fidélité au principe de laïcité et aux valeurs de notre République, nous confortons cet espoir et nous marquons notre confiance dans une France unie dans sa diversité (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP).

M. Jean-Pierre Brard - Très bien !

M. Daniel Vaillant - Ce débat aurait pu et dû être l'occasion pour la République de réaffirmer avec force et clarté son attachement au principal facteur d'unité morale ou spirituelle de notre nation: la laïcité. Aujourd'hui, hélas, après les moulinets grandiloquents des uns et les déclarations contradictoires des autres, la confusion règne dans certains esprits. Qu'il me soit donc permis de revenir au cœur du débat, le principe de laïcité et son application au sein de l'école publique.

La laïcité ne se résume pas à la loi de 1905, bien que celle-ci en soit un élément primordial. La liberté n'est pas seulement la liberté de conscience et la séparation des églises et de l'Etat: c'est une conception globale de l'Etat et de la République, c'est l'égalité des chances, la lutte contre toutes les discriminations, l'égalité des territoires, le respect dû à l'Etat. C'est notre contrat social, c'est ce qui permet à chacun de trouver sa place dans la République. C'est la liberté de penser, la garantie du libre-arbitre contre les pressions de la famille, du marché, de la propagande, de la tradition ou de la religion. La laïcité libère l'individu et intègre le citoyen. Elle est le centre du creuset républicain forgé à l'école.

La laïcité n'est donc pas une simple garantie passive, mais un principe actif de libération et d'intégration. C'est le cœur du pacte républicain. Car la République, ce n'est pas la simple juxtaposition des intérêts individuels, ni l'addition des communautarismes et des corporatismes. Etre républicain, c'est mener un combat quotidien pour l'intérêt général. Aussi exige-t-elle de chacun un effort personnel. La laïcité assure à chacun la protection de sa liberté de conscience. En contrepartie, l'individu doit respecter l'espace public et ne pas afficher un prosélytisme agressif.

On est donc loin du libéralisme intégral, plus loin encore du communautarisme libéral. En effet, le recul de l'Etat et de ses fonctions de solidarité, le délaissement de certains territoires, l'abandon des politiques actives de lutte contre le chômage ou la précarité, le «laisser-faire, laisser-passer» minent notre contrat social. Je le dis avec force: je ne suis pas libéral si le libéralisme c'est la liberté du renard dans le poulailler, la loi du plus fort et du rapport de forces, le «chacun pour soi» contre le «tous ensemble», le désengagement de l'Etat, le recul de la solidarité républicaine, la concurrence sans limite. Je ne suis pas libéral, si le libéralisme consiste à mettre en place la société de marché.

Il est donc contradictoire de discourir sur la laïcité et son application à l'école quand, dans le même temps, l'Etat se désengage et que certaines autorités publiques s'en remettent aux leaders religieux pour régler certains problèmes. Je pense aux récents événements de Strasbourg, mais aussi à l'action de certains ministres qui flattent les communautarismes. Je pense à l'instrumentalisation électoraliste de ce débat. Je pense également à la volonté de le circonscrire à l'école, et de limiter le débat public à cette question, afin peut-être - ce ne serait pas la première fois que l'actuelle majorité agirait de cette façon (Protestations sur plusieurs bancs du groupe UMP) - de faire oublier à nos concitoyens les autres sujets importants: la hausse du chômage, de l'exclusion, de la précarité, de la pauvreté, le recul de la solidarité et celui de l'Etat...

Lorsque j'étais moi-même ministre des cultes, j'avais veillé à ne pas me substituer aux responsables de la composante musulmane en France, et je m'étais refusé à instrumentaliser tel ou tel groupe pour parvenir à un «succès rapide». Je n'étais pas non plus allé semer la confusion devant un congrès où les femmes étaient voilées et séparées des hommes. Mais, moi, je ne suis pas un tenant de la société libérale-communautariste.

C'est bien la laïcité qu'il nous faut promouvoir. Il ne s'agit pas seulement des signes religieux à l'école: il s'agit de remettre la laïcité, le «vivre ensemble» au cœur de notre projet de société. Aussi suis-je surpris de l'attachement à la laïcité que professe la majorité, elle qui a repoussé sans débat la proposition du groupe socialiste de créer un service civique et citoyen: celui-ci aurait pourtant permis de faire vivre concrètement aux jeunes cette laïcité. De même, Monsieur le ministre, vous réduisez le nombre des surveillants dans les écoles, vous mettez à mal la médecine scolaire, bref vous ne faites pas de l'éducation la priorité qu'elle devrait être. Et pourtant, l'école est bien le lieu principal d'affirmation des institutions républicaines en France.

Ce qu'il faut à la France aujourd'hui pour conforter la laïcité, c'est une réelle politique de lutte contre les discriminations et pour l'égalité des chances, qui permet l'égalité des conditions de vie - en évitant l'égalitarisme, qui n'aboutit qu'à l'échec.

Une loi réaffirmant la laïcité à l'école, bien qu'insuffisante, est néanmoins devenue utile. Il semble qu'une majorité d'entre nous se soit ralliée à ce principe. N'étant pas un nouveau converti, je m'en réjouis. Mais combien d'entre vous, Mesdames et Messieurs de la majorité, s'étaient opposés en 1984 à la création d'un «grand service public unifié et laïc de l'Education nationale» ! Je me rappelle aussi, en 1994, la tentative de M. Bayrou d'aggraver la loi Falloux en faveur de l'école confessionnelle. S'il avait existé un service public laïc de l'Education nationale, notre débat d'aujourd'hui n'aurait peut-être pas été nécessaire.

Car l'école de la République doit nécessairement être laïque. L'enseignement doit l'être. L'école a vocation, non pas à apporter une doctrine morale différente de celle des religions, mais à enseigner la doctrine commune à tous parce qu'elle est essentiellement humaine, et fondée sur les valeurs de notre République. C'est pourquoi aucun signe religieux ne doit être visible à l'école. Léon Bourgeois écrivait: «L'école doit être ainsi, à côté de la mairie qui est la maison commune des intérêts et des droits, la maison des devoirs. C'est là qu'on doit en prendre connaissance, conscience et habitude». Il n'est donc nullement attentatoire aux libertés, bien au contraire, d'interdire aux croyants d'arborer leurs signes à l'école. Mais si notre assemblée décide de voter une loi, celle-ci doit être claire et applicable. Il faut libérer les fonctionnaires de leur rôle d'arbitre, et donc définir une fois pour toutes ce qui est autorisé et ce qui ne l'est pas. Il faut donc que la loi, d'une part, prévoie une période de dialogue obligatoire avec ceux qui refuseront de s'y soumettre. Il faut surtout qu'elle interdise à l'école tous les signes religieux visibles. Les discussions interminables sur ce qui est visible, ostensible ou ostentatoire doivent prendre fin: il s'agit de réaffirmer le principe selon lequel l'école est un lieu de neutralité religieuse. Je ne vois donc pas en quoi un signe «discret», mais non «ostensible» - comment en jugera-t-on ? - serait acceptable.

Cette loi, si elle est claire, sera utile, mais ne réglera pas tout ? Le problème posé, et dont la question des signes religieux n'est qu'un symptôme, est celui de notre capacité à réaffirmer notre modèle social. «La République, quand elle est sociale, est émancipatrice», déclarait avec raison Jean Jaurès. C'est cette émancipation qui permettra de réduire les comportements communautaristes. Mais pour ce faire, il faut que notre République, effectivement, soit sociale (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Philippe Folliot - C'est une passion bien française que celle des débats sur les grands thèmes qui mettent en jeu l'avenir de notre contrat social et de la République. L'histoire qui nous saisit aujourd'hui est une longue histoire. Elle a commencé en 1598 avec la signature de l'édit de Nantes, et s'est poursuivie en 1685 avec sa révocation. Pour la première fois dans l'histoire de la chrétienté, était ouverte à chacun la possibilité de croire en Dieu différemment, et cette faculté nouvelle annonçait notre conception moderne de la laïcité.

En terres tarnaises, nous connaissons bien la détermination de celles et ceux qui, suite à la révocation de l'édit de Nantes, étaient mis devant le choix d'abjurer, de partir ou de résister. Le débat aura duré plus de deux cents ans pour déboucher finalement sur la loi de 1905, qui, si elle ne comporte aucune référence explicite à la laïcité, pilier de notre République, en jette tout de même les fondements. Ainsi n'est-ce pas sans émotion que j'évoque les deux tarnais m'ayant précédé à cette tribune pour défendre la laïcité: Jean Jaurès, député de Castres puis de Carmaux et le «petit père Combes», natif de Roquecourbe. La laïcité est indéfectiblement liée à la République. Elle est consubstantielle à la liberté, à l'égalité et à la fraternité, qui figurent en lettres d'or au fronton de nos édifices publics.

Situons la portée de notre débat: y a-t-il, dans notre pays, un risque que le pouvoir religieux l'emporte sur le temporel ? A voir la difficulté des différents cultes à remplir leurs temples, on peut en douter ! La liberté de conscience risque-t-elle d'être remise en cause ? Pas davantage ! Quant aux adversaires déclarés de la laïcité, j'ai eu beau chercher, je n'en ai pas trouvé ! Ne nous voilons pas la face ! (Sourires sur divers bancs) Le risque réel, qu'encourt notre société, c'est que les difficultés d'intégration de certains groupes ne favorisent une montée des extrémismes, alimenté par les peurs individuelles et collectives et par la transposition hors de propos, sur notre sol, de certains conflits, notamment proche-orientaux.

Autre danger redoutable, le refus exprimé par quelques-uns de l'égalité entre les hommes et les femmes, et dont la question du voile recouvre la dimension symbolique.

Veillons à ne pas stigmatiser une partie de la communauté nationale. La République ne peut se permettre de choisir parmi ses enfants. Prenons plutôt en considération les difficultés de caractère social que rencontrent ceux qui peinent à s'intégrer, à accéder à l'emploi ou au logement du fait notamment de leurs origines. Et ne négligeons pas le racisme rampant qui peut exister dans notre société.

Force est d'admettre que l'ascenseur social est en panne dans notre pays. Hier encore, beaucoup étaient prêts à accepter certaines difficultés s'ils avaient au moins la perspective que leurs enfants connaîtraient un sort plus favorable. Est-ce toujours le cas, alors qu'on ne montre en modèle que des footballeurs ou les gloires éphémères de Star Academy ? Notre jeunesse mérite mieux.

Je ne reviendrai pas sur les querelles sémantiques qui s'attachent à ce texte car je sais bien que d'autres s'emploient à la trancher. J'insiste pour ma part sur l'absolue nécessité de prévoir une phase de concertation préalable et de pédagogie avant toute décision.

Nous nous interrogeons aussi sur la portée réelle du texte, dans la mesure où seuls les signes religieux semblent proscrits et non les signes politiques. Est-ce à dire qu'un élève pourra sans dommage arborer un tee-shirt «j'aime Franco» ou «j'aime Mussolini» ? («Démago !» sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. Jean-Pierre Brard - Ne vous contentez pas de poser la question ! Dites ce que vous en pensez !

M. Philippe Folliot - Et il y aurait aussi à se préoccuper des signes commerciaux, lorsqu'on sait qu'il n'est pas rare que les élèves ne portant pas de vêtements de marque soient ostracisés !

Centré sur la question scolaire, le texte ne dit rien des autres services publics, et notamment des hôpitaux...

M. le Président - Il faut conclure.

M. Philippe Folliot - Chacun de nous se déterminera en fonction de ses principes. Au premier rang de ceux qui nous sont communs, il y a notre attachement à la République et notre détermination à en défendre toutes les valeurs (Applaudissements bancs du groupe UDF).

Mme Huguette Bello - Quand je prends la parole dans cet hémicycle, c'est souvent pour vous parler des difficultés de la Réunion, du chômage, de notre jeunesse inquiète, de tous ces retards que nous avons tant de mal à combler. Je vous épargnerai aujourd'hui ce triste catalogue pour vous demander simplement de ne pas nous créer, par une loi en tous points inutile, un embarras supplémentaire.

Dans la construction de la société réunionnaise, la laïcité joue un rôle décisif. Oui, notre vie est faite de diversité, de respect et de tolérance. Mais plutôt que de faire appel à des mots par trop solennels, laissez-moi évoquer certaines images.

Chez nous, les mosquées, les temples hindous ou chinois voisinent avec les églises catholiques. Chez nous, la nature est parsemée de petits édifices religieux que les fidèles fleurissent avec dévotion. Chez nous, à l'occasion des fêtes religieuses, les communautés échangent leurs vœux par des communiqués de presse. Chez nous, plusieurs fois par jour, l'appel du muezzin et les cloches des églises se répondent pacifiquement. Chez nous, personne ne s'étonne de voir l'évêque s'exprimer lors du Dipavali, la fête de la Lumière des Hindous. Chez nous, lorsqu'on inaugure un pont, les représentants de tous les cultes mêlent leurs prières. Chez nous, les cantines scolaires s'accommodent depuis toujours des interdits alimentaires: pas de porc pour celui-ci, pas de bœuf pour celui-là. Chez nous, il existe dans chaque cimetière un carré pour chaque culte. Chez nous, alors que la grande majorité de la population est catholique, une école coranique sous contrat - la seule en France - accueille des enfants.

Cet équilibre est aussi précieux que fragile, et il aura fallu beaucoup de temps et d'efforts pour qu'il s'établisse, dans une île où un article du «code noir» interdisait l'exercice de toute autre religion que la catholique, et où, pendant longtemps, les cultes non chrétiens étaient condamnés à la clandestinité. Tout cela explique que les Réunionnais soient aussi fortement attachés à la laïcité. Ils savent en effet que l'égalité entre des options spirituelles différentes est le garant de la liberté de conscience. Et ils savent aussi que la laïcité constitue la meilleure défense possible contre les périls du communautarisme. Le défi - dont parle M. Stasi - de «forger l'unité tout en respectant la diversité de la société», notre île l'a relevé avec panache !

Les signes ostensibles ? Dans un tel contexte, les proscrire nous semble inopportun, et même dangereux. Quand l'école, au mépris de toute réalité, interdisait la langue créole dans son enceinte, imagine-t-on quelle douloureuse gymnastique mentale elle imposait aux enfants ? Il ne serait pas moins cruel de mettre à mal des habitudes élémentaires, héritées de très anciennes civilisations, au nom d'on ne sait quelle tyrannie du convenable. L'école laïque, est-ce l'élargissement du point de vue ou la mutilation des identités ? Le dépassement de soi ou le repli ? La confiance ou la suspicion ?

Et qu'on ne se méprenne pas ! Sur les photos de classes de la Réunion, il suffit, le plus souvent, des doigts d'une seule main pour compter les foulards ! Quant au tika ou poutou - ce point rouge que les jeunes filles, selon la tradition hindoue, portent sur le front, et qui n'est d'ailleurs pas très répandu - faudra-t-il qu'elles l'effacent avant d'entrer en classe ?

Le plus sage serait de faire confiance aux enseignants de la Réunion, qui ont toujours su que la laïcité était d'abord synonyme de tolérance et de liberté.

Tous les responsables politiques et religieux de la Réunion ont souligné l'inutilité de cette loi. La ministre de l'outre-mer préconise de l'appliquer «avec souplesse et intelligence». Le recteur de la Réunion promet de fermer les yeux ! Nous lui en donnons acte, mais qui nous garantit qu'un chef d'établissement, par ignorance ou inconscience, ne ruinera pas un jour les efforts de modération ? Mieux vaudrait qu'il n'y ait pas de loi du tout !

Il y a tant de choses à dire sur l'avenir de l'école et de nos enfants que le débat m'en paraît presque irréel. Nous n'envelopperons dans le morceau d'étoffe du voile ni le trouble des petits Réunionnais, ni celui des petits métropolitains. Je crains que la vieille et noble patrie des cathédrales et de la Révolution n'agisse, dans cette affaire, non pas comme elle-même, mais comme un clone fantomatique d'elle-même.

Je ne défends pas ici le voile, mais il est trop facile de séparer les difficultés de certains de nos jeunes compatriotes de celles de l'ensemble de la jeunesse. Ne pensez-vous pas qu'une grande partie de ces jeunes, même hostiles au voile, se sentiraient obligés de prendre fait et cause pour celles qui refuseraient de l'abandonner ? Pourquoi ? Parce que l'affaire du voile traduit le désarroi de notre jeunesse, quelles que soient ses origines, son milieu social, ses convictions. La société qui se développe en Occident n'a plus la moindre force d'entraînement, ni sur les individus, ni sur les groupes.

Pour la jeunesse, cette loi aura un arrière-goût de capitulation: le pouvoir politique de leur pays aura renoncé à traiter leurs problèmes au fond. Mais ses conséquences seront pires encore pour les jeunes filles, car elles ouvriront la voie à la mauvaise foi, aux entêtements sans issue, au manichéisme sommaire.

Et puis, l'imposture est trop grosse ! Pour dangereux qu'il soit, ce voile est devenu une affaire de conscience. Quelle conscience y a-t-il, je vous le demande, dans cette course à l'exhibition précoce que nous laissons la publicité organiser dès la maternelle ? Les signes visibles de richesse, les signes ostentatoires de vanité, les signes ostensibles d'arrogance et de mépris, qui va s'y opposer ? Pendant que vous célébrez les «valeurs», les jeunes sont invités à vivre leur vie sur le mode de l'individualisme, de la compétition, de l'illusion, de l'envie et de la jalousie. Je ne vois aucun progrès lorsque la petite Marie qui s'endort rêve, plutôt que du voile de Farida, des Nike de Claire ou de François. Qu'on le veuille ou non, il y a quand même davantage d'être dans le voile que dans les Nike ! (Exclamations sur divers bancs) Combattre ce qu'un membre de la commission Stasi a appelé les «cléricatures de l'argent», voilà la première urgence éducative !

Je pense d'abord à une mise en cause hardie et généreuse des raisons de vivre que nous proposons à la jeunesse. Si une telle tâche était loyalement commencée, la question du voile s'apaiserait. Les esprits et les cœurs sortiraient des réserves où l'argent les enferme, et le voile tomberait de lui-même.

Nous comprendrions alors qu'il ne cachait pas seulement le visage de quelques adolescents, mais, à sa manière, le nôtre. Pour toutes ces raisons, je voterai contre ce projet de loi (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe des députés communistes et républicains)

M. André Gerin - La tournure prise par le débat sur la loi interdisant les signes religieux dans les écoles est caricaturale. Au-delà du voile, c'est le principe de laïcité qui appelle une démarche solennelle sur le respect de la loi commune. Il serait bien de commencer par les plus hautes autorités de l'Etat. A observer les propos tenus ce week-end, la Ve République est bien malade.

Aujourd'hui, en France comme en Europe, l'intégration de l'islam est le défi majeur pour l'avenir de la laïcité. L'islam doit accepter d'exister dans une société démocratique et pluraliste. La réussite d'un islam tolérant et populaire aura des conséquences bénéfiques sur le devenir de cette grande religion universelle. La France, de son côté, est mise en demeure d'expliciter la laïcité.

Ce double défi interpelle tous les républicains, de gauche comme de droite.

Telle qu'elle se pose aujourd'hui, la question des rapports de l'islam avec la République oblige les représentants de l'Etat à y répondre. Le séisme du 21 avril 2002 n'est pas né du hasard. Nous devons, pour qu'il ne se répète pas, engager une thérapie de choc, opérer un sursaut républicain, lutter contre les politiques sclérosées. En tant que communiste et républicain, républicain et communiste, je m'engage dans cette bataille pour la laïcité, tout en étant opposé à la politique expéditive et liberticide du gouvernement Raffarin, et conscient aussi des manquements des différents gouvernements depuis de longues années.

La laïcité est un idéal positif, à partir duquel nous repolitiserons notre pays, mettrons à genoux le Front national, ferons reculer l'abstention, réveillerons l'esprit civique. La République nous appelle à une prise de conscience: entre intégrisme et République, il y a incompatibilité. La laïcité est une valeur sacrée de notre République. Elle assure la liberté de conscience et la liberté religieuse de chaque citoyen.

Je m'engage pour dénoncer un ensemble d'attitudes, d'égoïsmes qui ont substitué l'individualisme à l'esprit de solidarité et encouragé l'affairisme financier, les lobbies, la technocratie, la confiscation des rouages de l'Etat. Stop à l'affaissement des principes républicains ! L'intégrisme religieux se nourrit de la dérégulation libérale comme tous ceux qui se croient au-dessus des lois.

Quelles que soient les limites de cette loi, je dis: il était temps. Toutes les forces politiques, républicaines peuvent contribuer à ce grand dessein pour la France et porter les 26 propositions du rapport Stasi.

Je fais mienne la proclamation solennelle du Président: «La République s'opposera à tout ce qui sépare, à tout ce qui retranche, à tout ce qui exclut». Mais on ne peut se satisfaire d'une simple déclaration d'intention. Au vu des coupes sombres opérées dans les budgets sociaux, quelle est la réelle volonté du Gouvernement de traiter les carences de la culture scolaire pour ce qui touche à l'éducation, à la morale et au civisme, à la formation du citoyen ?

Nous devons combattre la fracture sociale, la fracture ethnique, éradiquer la misère endémique qui frappe notre jeunesse dans le domaine de la santé, du logement, de l'éducation, du travail et de la culture.

Le Haut Conseil à l'intégration dresse un bilan sévère des politiques passées. L'intégration est en panne. La population immigrée est confrontée plus que les autres à la précarité sociale professionnelle et civique. Dans les collèges et lycées, des professeurs d'histoire sont mis en difficulté, des cours de biologie sont contestés.

L'immigration n'est pas la cause de ces dérives, comme ne cesse de le répéter le Front national. Elles sont le résultat d'une poussée d'intégrisme, de l'émergence de pensées régressives et agressives qu'engendre notre société du «tout-business». Il est urgent de redonner corps à une éducation où laïcité se conjugue avec République, pour former des citoyens capables de résistance face à la paupérisation économique, sociale, morale et culturelle.

Car c'est bien de résistance dont il s'agit. Quand on en vient à criminaliser la misère et l'immigration, où va-t-on ? Quand de pseudo-religieux pourrissent la vie des quartiers et des jeunes en profitant du malheur des gens, que fait-on ? Dans les cités, j'observe un recul des mariages mixtes, une pression d'enfer contre les adolescentes, à propos des tenues vestimentaires, des relations amoureuses et de la sexualité. Ces réalités demeurent largement ignorées.

Avec cette loi, nous devons tendre la main aux musulmans, pour une reconquête républicaine, en faveur d'un islam tolérant et populaire. Combattons ensemble l'islam radical et politique, cette extrême droite larvée qui veut mettre en cause le code civil pour assujettir la personne à des faux prophètes et reléguer la femme dans un statut d'infériorité. Combattons ce projet politique qui menace la République, qui s'accompagne de la recrudescence de l'antisémitisme et du racisme anti-arabe de même que d'un racisme anti-français, d'un esprit anti-services publics, d'une hostilité envers les représentants de la République, pompiers, police, élus. On se souvient de la Marseillaise sifflée au Stade de France...

Cette loi doit aider l'éducation à sortir de son autisme, et soutenir les enseignants laissés seuls face à leurs préoccupations. Il est urgent de briser l'omerta, d'aider les jeunes filles à refuser d'être les victimes des caïds et des islamistes. La loi doit nous permettre de mettre fin à ce sujets tabous pour protéger les adolescentes et relever le défi de la parité, de la mixité, de la sexualité. Sortons les lieux de prières des caves et des bas d'immeubles, construisons des minarets dignes du XXIe siècle !

Nous devons sans crainte sanctuariser l'école, admettre qu'il y a quelque chose de sacré dans le républicain, où se mêlent la patrie, la raison et l'humanité. N'oublions pas Jean Moulin, les idéaux de la Résistance, le chemin commun des gaullistes et des communistes, le programme du CNR. Comme, hier, Maurice Thorez tendait la main aux chrétiens, tendons aujourd'hui la main aux musulmans !

Avec fermeté et humanité, nous devons combattre les idées de ces extrémistes clones de Le Pen.

Je dis «oui» à la République, «oui» à la nation, et j'ajoute qu'en notre qualité de responsables publics, nous nous devons d'être exemplaires.

J'emprunterai mon dernier mot à Ernest Renan: «Ne vous brouillez jamais avec la France !» (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et sur plusieurs bancs du groupe UMP)

M. Jean Leonetti - Ce projet suscite des interrogations légitimes: est-il utile ?

Mme Christine Boutin - Non !

M. Jean Leonetti - Certains contestent donc le recours à la loi, prenant pour arguments l'existence d'une circulaire et la jurisprudence. Plusieurs éléments justifient cependant qu'une loi relative à l'application du principe de laïcité réaffirme les valeurs républicaines.

En premier lieu, les chefs d'établissement rencontrent des difficultés, la jurisprudence étant contradictoire et la circulaire contestée, ce qui fragilise leur autorité. D'autre part, le respect de l'égalité des droits entre les femmes et les hommes commande l'interdiction, dans les établissements d'enseignement, d'un voile destiné à soustraire les femmes au regard des hommes pour ne pas exciter leur désir.

La loi sera utile, encore, pour réaffirmer qu'à l'école de la République les jeunes Français doivent apprendre la volonté de vivre ensemble, la neutralité bienveillante et le respect de l'autre.

Mais d'utile, la loi est vite devenue nécessaire lorsque, de manière répétée, volontairement médiatisée et manifestement politisée, le port du voile est apparu non pas comme le respect d'une règle religieuse, mais comme une revendication identitaire, politique et provocatrice. Un défi était donc lancé à la République.

De nécessaire, la loi est devenue indispensable lorsqu'à la suite des propos tenus par le Président de la République, considérant à juste titre que la laïcité n'était pas «négociable», des manifestations, en France et dans le monde, ont été organisées et dirigées par les fractions les plus intégristes des mouvements religieux. On savait désormais qui se cachait derrière les voiles.

M. Yves Bur - Eh oui !

M. Jean Leonetti - Cette loi est-elle dirigée contre l'islam ? Notre pays entretient avec l'ensemble du monde arabo-musulman, des rapports d'amitié et de confiance. Mais les cicatrices de la guerre d'Algérie, le terrorisme international, la stigmatisation des jeunes délinquants issus de l'immigration alimentent le rejet et l'exclusion favorisés par les extrêmes de tous bords. Le socle des valeurs républicaines en est fragilisé.

Dans ce contexte de repli identitaire, certains en viennent à ignorer l'immense majorité des musulmans modérés qui vivent leur foi dans le respect des institutions républicaines. Non, l'islam modéré n'a rien à craindre de la laïcité, mais il a tout à redouter de l'intégrisme qui déforme son image et favorise le racisme. On en oublierait presque que l'on peut être issu de l'immigration et athée.

M. Jean-Pierre Brard - Et c'est fréquent, pourtant !

M. Jean Leonetti - Quant à imaginer que cette loi est suffisante pour réaffirmer la laïcité, rétablir la cohésion sociale et revitaliser les valeurs de la République, certainement pas: aucune loi, aussi ambitieuse soit-elle, ne peut répondre à un tel objectif. Mais ce texte constitue cependant un repère et un signal. Le repère s'adresse à tous les Français, quelque soit leur origine ou leur religion, qui veulent vivre les valeurs de la République, et une communauté de destin. Le signal s'adresse aux extrémistes, car la loi affirme clairement que la République ne négociera pas ses valeurs et que la lutte pour l'humanisme et la tolérance est un combat exigeant et intransigeant que nous saurons mener.

Surtout, la loi n'est pas suffisante parce qu'on ne peut réaffirmer les valeurs républicaines qu'en rétablissant l'égalité des chances et le Président de la République ne s'y est pas trompé. Beaucoup trop d'hommes et de femmes issus de l'immigration se sentent profondément Français mais ne sont pas toujours considérés comme tels, et sont souvent victimes de discrimination à l'embauche, au logement ou dans leurs loisirs.

Cette exclusion engendre la révolte et le repli identitaire; elle jette notre jeunesse dans les bras de l'islamisme radical. Nous avons désormais le choix entre l'intégration et l'intégrisme. Tous les enfants de France doivent retrouver une réelle égalité des chances. Pour cela, il faut sortir de l'assistanat compassionnel et considérer enfin que tous les Français ont les mêmes droits et les mêmes devoirs.

Mais nous n'aboutirons pas sans, plus largement, redéfinir un projet pour notre pays. Quelle France voulons-nous bâtir ensemble demain ? Voulons-nous favoriser les égoïsmes et replis en satisfaisant des revendications catégorielles, ou voulons-nous dessiner un avenir collectif ? Le 7 octobre 2001, les Français ont entendu avec tristesse et colère siffler la Marseillaise au Stade de France. J'ai alors demandé au Gouvernement de l'époque s'il n'avait pas le sentiment que l'intégration était en panne, sans obtenir de réponse. Il est encore temps d'ouvrir les yeux; cette loi permettra de réaffirmer les valeurs républicaines, la tolérance et l'humanisme que porte la France; elle est un coup d'arrêt au fanatisme et au communautarisme. La Répubique est de retour, si nous le voulons ensemble (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Pierre Balligand - Le débat relatif à l'application du principe de laïcité occupe l'agora philosophique et médiatique depuis plusieurs mois. Le fait qu'il pénètre officiellement dans l'enceinte du Parlement constitue donc, quelle que soit son issue, une bonne nouvelle pour la démocratie et pour notre République.

Les diverses prises de position, le dépôt par différents groupes parlementaires de propositions de loi convergentes et la multiplication de groupes de réflexion «_cuméniques» sur le sujet ont été autant de signaux que le monde politique souhaitait se saisir à nouveau d'une question trop longtemps abandonnée aux commentateurs et laissée à la rumeur qui, nous le savons tous, fait le lit des extrémismes.

On aurait cependant tort d'ignorer que ce débat est récurrent dans la société française. Il transcende jusqu'aux opinions politiques et religieuses, et, surtout, il est l'héritier de plus de deux siècles de compromis entre différentes écoles de pensée.

Le terme de laïcité n'est entré dans le dictionnaire qu'en 1872, mais l'idée de laïcité est bien antérieure. Effleurée dès le Moyen Age, approchée par le mouvement réformiste, renforcée par la Contre-Réforme puis guidée par les philosophes des Lumières, l'idée laïque, fondée à l'origine sur une défiance grandissante à l'égard des ordres et du clergé, a fait progressivement son chemin jusqu'à la Révolution française. La prééminence de la loi sur la religion est alors solennellement établie, au profit d'une nouvelle hiérarchie des normes, consacrée par la Constitution de 1791: en premier, la Nation; en deuxième, la loi; en troisième, le roi. C'est d'ailleurs la loi qui crée dès 1792 «l'état civil», reconnaissance supérieure d'une citoyenneté indépendamment d'un temps religieux rythmé par les sacrements du baptême et de l'extrême-onction.

Le plus étonnant est que cette «préhistoire» de la laïcité porte en germe l'essence des débats qui nous animent aujourd'hui - et peut-être aussi leur résolution. Ainsi, la loi a toujours vocation à être le vecteur prioritaire de l'affirmation de la laïcité. Elle n'a d'ailleurs pas à être considérée comme une simple défense: la loi, parce qu'elle est performative, est pleinement apte à fonder une identité républicaine qui transcende les croyances de chacun. La présente initiative législative mérite donc tout notre intérêt et justifie l'examen très attentif auquel nous nous apprêtons.

Par ailleurs, l'idéal de liberté, que brandissent aujourd'hui certains protagonistes de bonne foi, constituait déjà en 1789 une pierre d'achoppement entre défenseurs mêmes de la laïcité. La déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui institue une véritable liberté de pensée, proclame, au nom de cette liberté, que «nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses», tout en précisant immédiatement «pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi». Ce célèbre article 10 trahit - tout en le résolvant - le conflit nodal qui a opposé les partisans de «la liberté au nom de la laïcité» et ceux de «la laïcité au nom de la liberté».

Cent ans plus tard, le débat est d'ailleurs encore vif chez les républicains, entre les plus radicaux désireux d'en découdre avec le religieux, et les plus libéraux, soucieux d'asseoir la laïcité sur l'égalité de traitement et la tolérance. De cet affrontement naîtra un compromis historique entre républicains de gauche et républicains de droit: la loi de 1905 «concernant la séparation des Eglises et de l'Etat».

L'enseignement à tirer de cette longue histoire est qu'une assemblée de représentants du peuple est pleinement capable de légiférer en conscience sur ce sujet et que la République a su toujours opter pour une voie médiane, respectueuse des croyances de chacun.

Dans la seconde partie du XXe siècle, on s'est trop longtemps borné à regarder cette laïcité comme un acquis, faute dont nous payons peut-être aujourd'hui le prix. Ironie du sort, c'est au renouveau du religieux et surtout du parareligieux que l'on doit le réveil du concept de laïcité: l'essor du phénomène sectaire, sur lequel notre assemblée n'a pas craint de se pencher à plusieurs reprises, sous l'impulsion de nos collègues Brard et Guyard, a constitué sans doute pour une laïcité bien comprise le péril le plus insidieux que nous ayons jamais connu.

Notre vision du fait laïque nous conduit à une approche équilibrée, éloignée du laisser-faire autant que du jusqu'au-boutisme. D'où des questions préalables proches de celles que posait Jean Jaurès au détour des années 1900: un principe de neutralité de l'Etat a-t-il suffisamment de force pour s'adresser aux croyants et imposer l'égalité entre tous ? Un principe de séparation entre société civile et société religieuse peut-il unifier la société et garantir la fraternité entre tous les citoyens ? Les réponses sont certes dictées par l'histoire, mais notre société a profondément changé en près de cent ans. La laïcité ne saurait plus obéir à un arbitrage franco-français. L'ouverture du monde moderne, la logique des flux monétaires et financiers et des flux de population, la prééminence d'un idéal matérialiste n'ont d'égal aujourd'hui que la détresse économique et idéologique de beaucoup. La vision prométhéenne du communisme a vécu et l'utopie du progrès qui a guidé l'immigration des années cinquante n'est plus: confrontés au chômage de masse alors que le travail est plus que jamais la condition de l'intégration sociale, les Français n'ont d'autre recours que le repli communautaire, pour ne pas dire communautariste, pour affirmer leur identité, la nationalité n'ayant parfois plus que la valeur d'une simple «domiciliation».

La question qui nous est posée est donc celle du type de société, du mode de «vivre ensemble» que nous souhaitons léguer aux générations à venir. C'est pourquoi nous devons fermement exclure la juxtaposition des communautés à l'anglo-saxonne: cette conception n'a jamais été et ne sera jamais un modèle pour notre société où la séparation étanche entre pouvoirs temporel et spirituel n'a jamais été privatrice de libertés (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur de nombreux bancs du groupe des députés communistes et républicains).

En définitive, nous avons besoin d'une loi, car d'elle seule vient l'égalité, mais nous avons aussi besoin d'une charte, qui seule peut élever la laïcité au rang d'une valeur positive, vertueuse, respectueuse et consensuelle. Avec une loi qui départage et une charte qui rassemble, la laïcité sera alors à même de mettre à bas les communautarismes, de ne plus opposer les citoyens et de s'imposer comme le quatrième pilier de notre République.

La commission Stasi a eu l'insigne mérite d'esquisser cette approche constructive, et non uniquement défensive, car la laïcité ne doit pas se résumer à crier haro sur le voile.

A nous de faire - et ce sera l'objet de nos amendements - que la laïcité du XXIe siècle s'impose comme un ciment, et non comme un carcan ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur de nombreux bancs du groupe des députés communistes et républicains)

M. Jean Lassalle - J'aborde ce débat avec une très grande humilité et, pour dire la vérité, je me suis même longtemps demandé si j'allais y prendre part, tant je me sentais démuni. Jusqu'au dernier moment, j'ai hésité sur la façon dont j'attaquerais le sujet. En définitive, je commencerai par me féliciter que ce débat soit enfin ouvert et que la représentation nationale puisse le faire sien, sans tabou aucun. Et quand bien même il serait toujours trop tôt ou trop tard pour de telles discussions, rien ne serait pire, je crois, que de laisser les choses en l'état, sous prétexte que le sujet serait trop difficile à traiter.

En m'adressant à vous, je pense aussi à la formidable fête du peuple de France, un certain soir de juillet 1998 où il n'y avait ni voile ni couleur. Nous avons connu alors, à nous sentir si proches les uns des autres, un des plus grands bonheurs collectifs de notre histoire. Notre grand problème ne serait-il pas que nous sommes incapables de nous parler ? Avec nos portables, nos fax, nos télévisions et l'internet, nous sommes littéralement appareillés, au point que nous dire bonjour nous est un supplice (Sourires). Nous ne savons plus rencontrer les autres.

Nous avons perdu nos repères et, en premier lieu, celui que nous avions constitué par des siècles d'interrogations, d'espérance et de combats gagnés et perdus: la laïcité, qui garantissait la cohabitation harmonieuse de tous les groupes de pensée et de toutes les religions. Pourtant, sous le regard du monde entier, nous avions su progressivement ériger cette conception en modèle universel.

Mais précisément, notre débat n'est-il pas malaisé parce que nous sommes les premiers à l'aborder alors que le problème se pose partout sur la planète ? Tous les yeux sont braqués sur nous et nous nous sentons forcément bien petits, mais aussi très grands en songeant que de nos réponses dépendront celles que donneront les autres !

Notre embarras, révélateur de la crise que nous vivons, se mesure au nombre des citations que nous nous sentons obligés de convoquer, des penseurs que nous appelons à notre secours, des mots compliqués que nous employons sans être certains d'être toujours compris. Ce trouble profond vient peut-être de ce que nous ne sommes plus en harmonie avec nos territoires, l'équilibre entre ville et campagne s'étant rompu, et que nous suivons désormais une voie bien inhumaine, marquée par les concentrations suburbaines où les hommes et femmes se retrouvent pêle-mêle, sans dessein commun. N'est-ce pas à cette question qu'il faudrait s'attaquer d'abord ? Tant que nous ne saurons pas intégrer un peu mieux les populations dans un pays qui a tout pour être «vivable», nous ne résoudrons rien.

Ce dossier illustre parfaitement le mal-être, l'absence de perspectives et de repères dans cette société. C'est pourquoi le débat traverse tous nos groupes, comme il traverse probablement chacun d'entre nous, partagés que nous sommes entre le oui et le non, balançant au gré des arguments qu'on nous fait valoir ou des amis que nous rencontrons...

Mais, puisque le sujet est sur la table, je dirai simplement: parlons ! Cependant, prenons garde que la loi ne tue pas la loi. Nos concitoyens et ceux qui viennent se joindre à nous ont besoin de repères et ceux-ci ne peuvent venir que de la loi, mais si nous disons celle-ci trop vite, n'allons-nous pas tuer le débat ?

Or, si on tue le débat, la loi deviendra un fardeau plus redoutable que le mal qu'elle veut traiter. C'est pourquoi, comme à d'autres périodes de notre histoire, il serait bon de se donner le temps de la réflexion.

M. Pierre Forgues - Il faut conclure !

M. Jean Lassalle - Il faut partir de tout notre acquis commun pour élaborer, tous ensemble, dans le souci du bien commun, une loi que nous pourrions tous voter.

Pour ma part, je voterai contre ce projet, non parce que j'y suis opposé (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) mais parce que le moment n'est pas venu et parce que les risques de blocage sont réels. Je souhaite donc que le débat se prolonge.

M. Philippe Folliot - Très bien !

M. Jean-Pierre Brard - Après le butinage philosophique, à la conclusion imprévue, de notre collègue Lassalle, je crains que mon propos soit plus austère...

Pierre angulaire des valeurs républicaines, la laïcité est un élément central de notre patrimoine politique national, indissociable de la liberté, de l'égalité et de la fraternité, consacrée par la déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Dans l'ordre républicain, la société politique est en effet une société d'hommes libres, constituée par eux sous le guide de la raison, et dans laquelle les croyances religieuses ne peuvent qu'être des affaires privées. C'est pourquoi, la laïcité n'est pas une option spirituelle parmi d'autres, elle est comme l'écrit justement Régis Debray «ce qui rend possible leur coexistence, car ce qui est commun en droit à tous les hommes doit avoir le pas sur ce qui les sépare en fait».

Discuter aujourd'hui de sa pertinence et de son actualité, c'est d'abord réfléchir sur la manière de faire vivre la loi de 1905 pour tous, y compris pour ceux qui sont arrivés récemment dans notre pays. Aux termes de ce texte, la République assure la liberté de conscience, elle garantit le libre exercice des cultes, mais elle ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun d'entre eux. Cela signifie qu'elle ne reconnaît à aucun la faculté d'exercer une influence sur la loi commune.

Le rôle de l'Etat laïque n'est pas de se mêler du contenu des cultes ou de la manifestation publique des croyances mais simplement de veiller que leur forme extérieure ne trouble pas l'ordre public, qu'elle respecte l'intégrité physique des personnes, l'égalité des sexes et la paix civile.

Doit-on cependant en restant à l'énoncé du principe qu'on ne parle pas de religion à l'école, parce que la religion divise et que l'école doit unir; ou bien promouvoir cette «laïcité d'intelligence» chère à Régis Debray, qui donne aux élèves l'éclairage de leur propre histoire et de celle des autres, notamment dans le domaine religieux ?

La laïcité est le fruit d'une lutte âpre et courageuse menée par les républicains contre des forces hostiles très puissantes, que Jules Ferry dénonçait en ces termes en 1882: «Nous sommes institués pour défendre les droits de l'Etat contre un certain catholicisme que j'appellerai le catholicisme politique. Quant au catholicisme religieux, il a droit à notre respect et à notre protection dans la limite du contrat qui lie les cultes avec l'Etat».

En 1905, Aristide Briand présentait ainsi la loi de séparation: «Voulez-vous une loi de large neutralité, susceptible d'assurer la pacification des esprits et de donner à la République, en même temps que la liberté de ses mouvements, une force plus grande ? Si oui, faites que cette loi soit franche, loyale et honnête. Nous voulons qu'à ceux qui parcourent les paroisses en essayant de susciter la guerre religieuse, aux prêtres qui, entraînés par la passion politique, tenteront d'ameuter les paysans contre la République en leur disant qu'elle a violé la liberté de conscience, vous puissiez répondre tout simplement: voici notre loi, lisez-là, et vous verrez qu'elle est faite de liberté, de franchise et de loyauté.

Ce sont ces mêmes principes qui animaient Jean Jaurès... («Ah !» sur les bancs du groupe UMP)

Nous en sommes les héritiers !

M. le Président - Laissez M. Brard citer ses Evangiles... (Sourires)

M. Jean-Pierre Brard - Il déclarait en 1910: «Lorsqu'une nation moderne fonde des écoles populaires, elle n'y peut enseigner que les principes mêmes selon lesquels les grandes sociétés modernes sont constituées. Or, sur quels principes, depuis la Révolution surtout, repose particulièrement la France, dont ce fut le péril, mais dont c'est la grandeur, d'avoir par son esprit logique et intrépide, poussé jusqu'aux conséquences extrêmes, l'idée même de révolution ? L'idée, le principe de vie qui est dans nos sociétés modernes, qui se manifeste dans leurs institutions, c'est l'acte de foi dans l'efficacité morale et sociale de la raison, dans la valeur de la personne humaine raisonnable et éducable. C'est ce principe qui se confond avec la laïcité elle-même, c'est ce principe qui se manifeste, qui se traduit dans toutes les institutions du monde moderne».

Car la laïcité, la laïcisation de l'école, la séparation de l'Eglise et de l'Etat sont bien un trait spécifique de la République française. Ces batailles ont marqué le début d'un cycle historique pour le mouvement progressiste, avec la constitution du parti socialiste qui se divisa en 1920, porteur de valeurs fortes et d'une grande espérance, dans la lignée des idéaux de la Révolution de 1789.

En 1946, lors de la discussion de la Constitution de la IVe République, ce fut Etienne Fajon, député communiste de la Seine, qui défendit l'introduction de la laïcité dans le texte constitutionnel. Personnellement, je revendique son héritage, lui qui demanda à la Chambre, le 11 janvier 1940, de rejeter comme arbitraire et illégal, le projet de déchéance de certains élus et demanda, le 16 janvier, la libération de ses amis, ce qui lui valut, avec 28 autres députés, d'être déporté en Algérie. Je suis fidèle à cette tradition, alors que le renoncement l'emporte aujourd'hui chez certains de mes amis, dont je ne saurais mettre en cause la sincérité personnelle, marquant ainsi la fin d'un cycle historique auquel ils ont participé comme moi et qui fut ouvert par Jean Jaurès et Jules Guesde.

Dans un contexte marqué par de fortes manifestations d'intégrisme religieux, ne reculons pas, ne démissionnons pas, ne capitulons pas, réaffirmons clairement les principes de la laïcité ! Oui, les dérives intégristes existent et menacent notre Etat républicain et laïque. Je pense, à la fois, aux mouvements fondamentalistes protestants qui sévissent aux Etats-Unis et commencent à essaimer en France; à des groupes charismatiques d'obédience catholique et aux intégristes de Saint-Nicolas-du-Chardonnet; à certains groupes musulmans, notamment de la mouvance salafiste; aux mouvements ultra-orthodoxes juifs, tels le Kach du rabbin Kahane. Aucune croyance n'a le monopole de l'intégrisme («Très bien !» sur divers bancs).

Certes, la grande majorité des pratiquants des religions de notre pays ont un comportement respectueux de la laïcité. Ils aspirent au dialogue. J'en ai fait concrètement l'expérience à Montreuil: ils participent avec beaucoup d'intérêt à des rencontres inter religieuses, et s'associent volontiers aux initiatives pour mieux vivre ensemble. Mais des minorités remettent en cause les principes républicains au nom du dogme religieux et confinent leurs coreligionnaires dans le carcan du communautarisme.

La place de la femme, les fortes réticences - voire le refus - de l'égalité des sexes en sont les caractéristiques. C'est dans ce contexte que s'est posée la question du port du voile dans les établissements scolaires, dont l'ampleur a été largement sous-estimée par des administrations centrales très éloignées de la réalité, comme nous avons pu le constater lors des auditions de la mission d'information, excellemment conduite par le Président Jean-Louis Debré.

Quelles sont les motivations et la signification du port du voile ? Est-il vraiment un acte volontaire d'émancipation que revendiquent certaines femmes ? Ce n'est malheureusement pas le cas. Nous devons penser particulièrement aux jeunes filles réduites au mutisme, soumises en permanence à une autorité et à un contrôle masculins. Le voile est bien le symbole de l'infériorité et de la sujétion des femmes. Comment expliquer à des jeunes l'égalité des sexes si, dans la classe, une situation démontre exactement le contraire ? («Très bien !» sur divers bancs)

Le principe de laïcité autorise le port de tous les signes religieux d'une manière générale, mais l'exclut dans les lieux où l'on forme la conscience des citoyens de demain. Face à ces situations, les chefs d'établissement sont pratiquement désarmés du fait d'une jurisprudence complexe et confuse, et ils nous ont expliqué leur désarroi.

Le recours à la loi apportera beaucoup plus de clarté dans le droit et permettra de rétablir une homogénéité des pratiques. C'est avec ce souci de clarté que notre mission a préconisé à l'unanimité moins deux voix, l'interdiction des signes visibles, évitant ainsi les interprétations et les contentieux. Si nous ne voulons ni renoncer à notre rôle ni nous en remettre une nouvelle fois au Conseil d'Etat, nous devons légiférer clairement.

L'adoption de la loi recueille un large consensus dans l'opinion. Comme je l'ai constaté à Montreuil, elle rassemble des républicains de diverses sensibilités, depuis les communistes et les socialistes jusqu'aux républicains de l'autre rive et ils sont nombreux aussi. («Merci» ! sur les bancs du groupe UMP)

Plus que jamais, nous devons favoriser l'intégration, l'accès effectif aux droits pour tous - au travail, au logement, aux lieux de loisirs, à la liberté de culte - quelle que soit la couleur de la peau ou la consonance du nom. L'intégrisme se nourrit en effet des frustrations et des colères que nourrit le refus des droits, qui ravive les blessures de l'époque coloniale. Cet objectif d'intégration exige des moyens budgétaires importants, qui n'existent pas dans le budget de 2004. Mais les circonstances ne doivent pas nous faire perdre de vue le fond du débat.

Enfin, cette loi s'impose aussi pour des raisons juridiques. Elle seule peut, selon la convention européenne des droits de l'homme, limiter la possibilité pour la religion d'occuper les espaces publics, où la neutralité doit être assurée. Quant au caractère proportionné de l'interdiction par rapport à l'objectif poursuivi, rien ne permet de dire que l'interdiction des signes visibles serait censurée. Ces arguties ne sont que galéjades pour complaire à l'auteur de cette dispute sémantique («Très bien !» sur les bancs du groupe socialiste).

En votant cette loi, nous nous placerons dans la lignée des positions courageuses de nos lointains prédécesseurs, qui ont mis en pratique, sans pusillanimité, leurs convictions républicaines. Nous serons fidèles à la tradition qui a pris forme depuis la Révolution. Nous ferons vivre un principe républicain essentiel, la laïcité. Nous ferons rayonner la France dans le monde parmi ceux qui ont soif de lumière et qui chaque jour, courageusement, combattent l'obscurantisme (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe des députés communistes et républicains et sur les bancs du groupe socialiste).

La séance, suspendue à 23 heures 15, est reprise à 23 heures 25.

M. Guy Teissier - Ce débat a suscité un grand intérêt dans notre pays. Rien de plus normal: au-delà de la laïcité, c'est notre conception de la République qui est en cause. Le principe de laïcité est un des piliers de notre pacte républicain. Il est inscrit dans la Constitution, mais aussi dans nos traditions et notre identité républicaine. Il faut le faire vivre, en restant fidèle aux équilibres que nous avons su bâtir dans notre histoire.

L'adhésion à la communauté nationale repose sur l'adhésion à cette collectivité que nous nommons République, terme qui, dans sa magnifique ambiguïté, désigne à la fois la patrie et l'Etat. Le rôle de l'Etat est d'incarner les valeurs communes à tous les citoyens, et qui figurent depuis deux siècles au fronton de nos édifices: liberté, égalité, fraternité. Ces valeurs, nous y sommes tous profondément attachés car elles sont au cœur de l'identité française. Aussi ont-elles besoin de l'engagement, de la vigilance et du respect de chacun d'entre nous pour être respectées et défendues («Très bien !» sur les bancs du groupe UMP). La France n'a pas à craindre d'affirmer haut et fort les principes essentiels qui la fondent. Elle ne saurait être prise en otage par des comportements ou des convictions, fussent-ils respectables, en opposition avec les lois de la République. Sachons être fiers de nos valeurs. Sachons les incarner et les promouvoir ! Car, en définitive, ce ne sont pas les intérêts mais les idéaux partagés qui font la force des peuples et qui les rassemblent.

Depuis plus d'un siècle, la République et l'école se sont construites l'une avec l'autre. L'école a été le rêve de la République et elle reste sans doute la plus belle de ses réussites. Permettre à chaque esprit de conquérir sa liberté, faire vivre l'égalité des chances, donner corps à la fraternité en faisant de tous les élèves les enfants de la République: tels sont les nobles objectifs que la France s'est fixée lorsqu'elle a instauré l'enseignement gratuit, laïque et obligatoire. Mais, la laïcité à la française est depuis quelques années contestée, parfois par des comportements provocateurs, parfois de façon détournée ou sournoise. Malgré la force de l'acquis républicain, l'application du principe de laïcité est aujourd'hui remise en cause et cette évolution appelait un débat de fond. Au fil des crises, l'école et ses acteurs - au premier rang desquels les chefs d'établissement, les enseignants et les élèves - ont exprimé une forme de désarroi. L'école est ainsi devenue la caisse de résonance de bien des difficultés, d'abord parce qu'elle n'est pas, dans notre pays, un service public comme les autres. Elle est surtout l'institution investie par la nation des missions fondamentales d'instruire et d'édifier, génération après génération, le peuple français autour des principes républicains.

Comment ne pas regretter qu'il ait fallu attendre quinze ans pour que la puissance publique se saisisse de ce problème et se décide à agir !

En laissant au juge administratif, puis aux chefs d'établissement, la responsabilité de traiter un problème éminemment politique, les gouvernements successifs sont les premiers coupables de l'affaiblissement actuel du pacte social («Très juste !» sur les bancs du groupe UMP). C'est pourquoi je me réjouis que la majorité à laquelle j'ai l'honneur d'appartenir ait décidé de réagir. Il n'est que temps de renouer les liens qui unissent notre nation au principe de laïcité («Excellent !» sur les bancs du groupe UMP). A ceux qui s'interrogent sur la nécessité de ce débat ou qui font preuve d'une frilosité qu'on ne leur connaissait pas, à ceux qui craignent que le remède ne soit pire que le mal, je rappelle que le devoir de l'Etat est de penser l'avenir, et la vraie prudence consiste, non à occulter le débat, mais à l'ouvrir. Ce n'est pas dans la nostalgie que l'école construira son avenir. C'est en regardant devant elle avec confiance, qu'elle restera fidèle à son héritage.

C'est à l'école que se forge l'adhésion aux valeurs que nous avons en partage et que s'acquièrent les règles de comportement qui les expriment. L'esprit de responsabilité, le respect d'autrui et de ses différences, la tolérance, la solidarité constituent autant de valeurs constitutives du principe de laïcité à la Française.

Demain comme hier, l'école de la France doit être l'école de la République. La France ne saurait y laisser perdurer les ferments d'inégalité et de malaise que suscite l'affichage volontairement visible de tenues et de signes d'appartenance religieuse. Le présent débat est d'abord un débat pour agir et pour rendre notre école plus sûre de ses valeurs.

Dans notre tradition laïque, l'Etat protège le libre exercice par chacun de sa liberté de conscience, de son expression comme de sa non-expression. L'objectif du projet de loi est d'affirmer que «dans les écoles, les collèges et les lycées publics, les signes et tenues qui manifestent ostensiblement l'appartenance religieuse des élèves sont interdits». De longs commentaires ont été faits ici ou là sur le choix de l'adjectif «ostensible». Pour ma part, je suis sensible au terme retenu car il est, à mon sens, d'une portée plus restrictive et plus coercitive que tout autre. Signifiant «qui est donné pour être vu», il vise aussi bien la démonstration agressive que des comportements plus passifs. Notons ainsi que, ce qui est ostensible est forcément visible, alors tout ce qui est visible n'est pas forcément porté de façon ostensible («Eh oui !» sur les bancs du groupe UMP). Or, ce que nous devons combattre, ce n'est pas bien entendu l'adhésion à telle ou telle religion, mais bien, sous prétexte de religion, le message politique très éloigné de notre culture que d'aucuns veulent diffuser dans la sphère publique. Attaché à promouvoir une laïcité de tolérance, je défends la formulation retenue car elle permettra de rappeler les règles du bien vivre ensemble, dans le respect des convictions de chacun. Elle tend également à donner à chacun la possibilité d'exprimer sa foi, librement, hors de toute menace de se voir imposer d'autres convictions.

C'est en effet bien le respect de la neutralité de l'espace public qui permet la coexistence harmonieuse des différentes religions. Défendre cette neutralité, c'est donc d'abord défendre la liberté religieuse de chacun.

Il est essentiel de faire partager par chaque enfant, et notamment par ceux qui entrent dans la communauté nationale, les valeurs, l'originalité et la force du message français. Note société douterait-elle à ce point d'elle-même qu'elle ne serait plus capable d'affirmer ses valeurs ? L'école, dont le principe même est de rassembler tous les enfants, pourrait-elle être une communauté sans repères ? Il en existe suffisamment par ailleurs ! L'école doit être - ou redevenir - le lieu d'acquisition et de transmission des valeurs que nous avons en partage.

Mais il est également de notre devoir de rappeler que la laïcité ne se réduit pas à des interdits. L'autre pilier fondateur de la laïcité française, c'est le principe de l'égalité des options spirituelles et philosophiques. Convaincu que le respect d'autrui naît de sa connaissance, il m'apparaît essentiel de mieux prendre en compte dans chaque établissement scolaire la diversité culturelle de tous les enfants, en y développant l'enseignement de l'histoire du fait religieux, de l'immigration et de l'œuvre collective accomplie par la France en outre-mer. C'est aussi par la culture, vecteur de compréhension et de tolérance, que le message républicain de la France sera mieux partagé.

Ce que je sais, c'est que notre société est de plus en plus orpheline des valeurs qui ont forgé notre identité républicaine («Absolument !» sur les bancs du groupe UMP). Et ce que je crois, c'est qu'à force de fermer les yeux, nous affaiblissons la force du message républicain («Très juste !» sur les bancs du groupe UMP). Parce que nos compatriotes sont parfois déboussolés, il est de notre devoir de redonner à notre pays des repère forts, en veillant à ne pas se tromper de débat en stigmatisant une religion en particulier. Dans le même temps, nous devons combattre sans relâche tous les fondamentalismes.

En me donnant l'occasion de confirmer notre attachement à une laïcité ouverte et généreuse et de nous rassembler autour de nos valeurs communes, cette loi peut être la clé de l'harmonie républicaine à laquelle nous aspirons tous (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Christian Bataille - Au cours du XIXe et du XXe siècles, la laïcité est devenu un pilier de la République.

Dès l'empire romain, la religion unique, à travers les empereurs Constantin et Théodose, a été un instrument d'oppression, le pouvoir absolu civil se confondant avec le pouvoir absolu spirituel.

Au moment où a éclaté la Révolution française, le despotisme royal, associé au cléricalisme, avait fait de l'Ancien régime une société bloquée. Tous les efforts de la République ont ensuite conduit à dégager la vie quotidienne des citoyens de l'emprise de la religion.

Au cœur de ce débat, l'école. D'abord considérée comme une affaire privée relevant des familles et de l'église catholique, elle est devenue une prérogative publique. La loi de 1905 a conclu ce siècle de progrès moral et citoyen: sphères publique et privée seront désormais séparées. Les choix religieux relèvent désormais, de la conscience individuelle. Bientôt centenaire, ce texte est un modèle de tolérance et de liberté, Plusieurs fois améliorée, il s'enracine désormais profondément dans notre histoire. La loi de 1905 donne à la France une physionomie civile très différente du modèle anglo-saxon, lequel juxtapose les religions et les ethnies au lieu de les rassembler. Aux Etats-Unis, on doit ensuite établir des «discriminations positives» pour corriger les effets négatifs de cette conception.

Notons d'ailleurs que la réticence à défendre la laïcité s'accompagne souvent de la promotion de la «discrimination positive», si chère à certains. Contrairement à certains commentaires malveillants, la France n'est donc pas liberticide en raison de ses lois laïques. La laïcité doit être défendue comme un droit de l'homme, en parfaite harmonie avec nos principes républicains fondateurs.

C'est bien sûr dans l'enseignement que les principes laïques trouvent leur plein épanouissement. En 1910, à l'occasion d'un débat sur l'enseignement, Jean Jaurès déclarait: «Laïcité de l'enseignement et progrès social sont deux formules indissociables, nous n'oublierons ni l'une ni l'autre et, en républicains socialistes, nous lutterons pour tous les deux» («Très bien !» sur les bancs du groupe socialiste). Sans devenir forcément socialistes comme Jaurès, contentons-nous d'être républicains, en relevant que l'enseignement laïque a formé des générations de citoyens français, en préservant leur esprit critique et en contribuant à l'affranchissement des esprits. Il ne s'agissait plus, comme sous le concordat napoléonien, de déléguer aux églises l'enseignement, mais au contraire d'affirmer le rôle et la neutralité de l'Etat.

Les principes originels de la laïcité représentent un code défini pour les maîtres, dans une société où les élèves n'étaient pas considérés comme des personnes autonomes. Il est donc essentiel de préciser que les obligations qui valent aujourd'hui pour tous les fonctionnaires s'appliquent aussi aux élèves.

Par ailleurs, il est regrettable que le projet qui nous est soumis soit restreint aux seuls domaines de l'enseignement primaire et secondaire, et n'évoque pas le respect de la laïcité dans d'autres domaines, en particulier à l'hôpital et dans les autres services publics. Il faudra enfin, dans l'avenir, que les fonctionnaires d'autorité - en particulier les préfets et sous-préfets - ne mélangent pas sphères publique et privée et considèrent mieux les instructions de l'Etat, qui, à ma connaissance, n'ont pas été abrogées.

La laïcité nourrit, par ailleurs, d'autres débats parlementaires, et en particulier celui - hélas suspendu - sur le projet de constitution européenne, dans laquelle certains Etats, sous la pression du Vatican, voudraient voir figurer la référence à la religion. En consacrant un moment important de notre travail parlementaire à la laïcité, nous sommes dans le droit fil de l'histoire de notre assemblée. La majorité doit aujourd'hui aller plus loin si elle veut que ce texte soit un texte de rassemblement républicain. Pour cela, elle doit accepter les amendements du groupe socialiste.

M. Gérard Léonard - Pas tous, tout de même !

M. Christian Bataille - Par ce débat, nous renouons avec ceux qui attendent beaucoup de la République et notamment les jeunes femmes issues de l'immigration.

Chahdortt Djavann, jeune française d'origine iranienne, auteur de Bas les voiles, nous dit que notre époque ressemble beaucoup à 1905: «Les religieux défendent la religion, ce qui est logique, mais ceux qui, au nom d'une philosophie compassionnelle, au nom de la «liberté de s'aliéner», défendent la religion, auraient été en 1905 du côté des ennemis de la République».

Fadéla Amara, présidente du mouvement «Ni putes ni soumises», nous dit les choses différemment: «Il n'y a que la laïcité qui permette à chacun, quelles que soient ses convictions, de vivre dans cet espace commun qu'on partage tous.

«Le voile correspond à la volonté de tous ceux qui veulent renvoyer les femmes dans leurs foyers dans un rôle extrêmement traditionnel et surtout dans une situation d'oppression».

Chaque fois qu'on a cédé aux religieux, c'est toute la République qui a perdu.

Notre assemblée doit prendre ses responsabilités, en proscrivant les signes religieux visibles dans l'enseignement public (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et quelques bancs du groupe des députés communistes et républicains).

M. Maurice Leroy - Oui, il faut légiférer pour réaffirmer avec clarté la neutralité des établissements scolaires publics.

Voilà pourquoi dans la législature précédente j'avais déposé une proposition de loi pour «garantir le respect du principe de laïcité dans le cadre scolaire», proposition de loi que j'ai redéposée en décembre 2002.

Il faut une loi car comme l'affirmait justement Jules Ferry dans sa lettre aux instituteurs: «L'instruction religieuse appartient aux familles, l'instruction morale à l'école. Le législateur a voulu distinguer deux domaines: celui des croyances, qui sont personnelles, libres et variables, et celui des connaissances, qui sont communes et indispensables à tous». Lorsqu'il apparaît que des manifestations d'appartenance religieuse peuvent troubler l'ordre de l'école, la loi est fondée à les interdire. Encore faut-il que la loi soit claire !

La question qui se pose à notre société, avec le développement de signes religieux ou politiques différenciants, voire discriminants, à l'école, touche aux fondements de notre modèle républicain.

Elle dépasse en cela les clivages politiques traditionnels.

En aucun cas la République ne peut se négocier ou se dissoudre tant ses fondements et ses origines héritées des Lumières sont d'essence universelle.

Ce débat est à la fois un aboutissement et un commencement.

L'aboutissement d'un véritable combat pour la République, celui d'enseignants, de chefs d'établissement, d'intellectuels et de citoyens pour faire face à la montée d'intégrismes et de communautarismes qui chaque jour remettent en cause le pacte qui fonde notre vivre ensemble.

La laïcité, principe constitutionnel et fondement de notre République, est un principe de tolérance, de respect et de neutralité qui garantit l'intégration de chacun de nos concitoyens sans distinction de race, d'origine et de croyance.

L'école est précisément ce creuset où sont enseignés et inculqués les règles de la vie en commun, le respect des principes républicains.

Laisser tomber la laïcité à l'école reviendrait à laisser tomber la République.

Député de Vendôme, où s'est déroulé une des premières affaires de foulard, je me souviens de l'isolement des enseignants et du chef d'établissement qui avaient choisi de dire non.

Je rends aujourd'hui hommage à leur courage et à leur persévérance.

Je me souviens également que ces affaires n'avaient rien de spontané, mais qu'elles étaient téléguidées par des groupes intégristes, pour «tester» la perméabilité de la République.

Le voile est l'instrument d'une véritable stratégie politique.

En témoignent l'absentéisme forcé de jeunes filles dans les cours de sport ou de sciences naturelles, ou la remise en cause de programmes d'enseignement de l'histoire (Murmures sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains). Si vous ne me croyez pas, Monsieur Lefort, écoutez les témoignages d'enseignants ! Il en a été ainsi du génocide arménien, dont nous avons débattu avec émotion il y a peu.

L'islam, deuxième religion dans notre pays, est dans la République.

La laïcité est la meilleure garantie de son intégration.

Cette loi est une loi de protection, d'intégration, en aucun cas, elle n'est une loi d'exclusion.

C'est d'ailleurs la réussite de la commission présidée par Bernard Stasi ainsi que la mission parlementaire présidée par Jean-Louis Debré que d'avoir démontré qu'une loi garantissant la laïcité, d'une part, serait de nature à permettre une vraie intégration et, d'autre part, s'adresserait à toutes les religions mises sur un plan d'égalité.

Ceux qui seraient tentés de la présenter comme une loi particulariste, prendraient le risque de laisser l'islam de France s'enfoncer dans le fondamentalisme et l'intégrisme.

Aboutissement donc, cette loi est aussi un commencement. Celui d'une conscience républicaine retrouvée qui veut remettre en marche notre modèle d'intégration à la Française, véritable défi des prochaines décennies.

Comment garantir une vraie égalité des chances, dans l'accès au savoir, dans la formation, dans l'emploi entre les hommes et les femmes, en particulier pour celles et ceux issus de l'immigration ?

Cette loi aura de ce point de vue valeur de symbole et de principe pour nos concitoyens, attachés à une République qui leur ressemble et qui nous rassemble, ouverte et confiante en son avenir (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF).

M. Jean-Pierre Brard - Très bien ! Venez adhérer à l'intergroupe laïc ! (Sourires)

M. Jacques Brunhes - L'application du principe de la laïcité dans les écoles publiques est un sujet difficile, et controversé parce qu'il est au cœur des interrogations sur l'avenir de nos sociétés et de la recherche de sens qui marque notre époque.

La profondeur du débat dans le pays, les lignes de clivages dépassant les divisions idéologiques droite-gauche, la fracture au sein du monde de l'école qu'elle entraîne, en attestent.

La laïcité est un des fondements de la nation, un des piliers de notre démocratie. Au terme d'une histoire mouvementée, parfois violente, entre «les deux France», le principe de laïcité a obtenu l'adhésion de la quasi-totalité de la population en France, et a été consacré par la Constitution de 1946 et celle de 1958.

La laïcité dans l'enseignement repose sur deux principes: neutralité des programmes et des enseignants, d'une part, liberté des consciences des élèves, d'autre part. Mais elle est aussi l'apprentissage civique du respect mutuel, la reconnaissance de l'autre, l'exercice de l'esprit critique. Cette laïcité me semble aujourd'hui menacée.

Qui pourrait nier le danger communautariste ? L'échec de l'intégration des hommes et femmes issus de l'immigration la plus récente, leur exclusion dans ce que j'ai appelé souvent un nouvel apartheid social et spatial en est une cause. Aux effets de la politique ségrégationniste à l'intérieur, s'ajoutent ceux de la logique des minorités, développée tant dans le cadre de l'Union européenne que dans celui du Conseil de l'Europe.

Le combat pour la laïcité est indissociable du combat pour l'intégration. Comme l'affirme le rapport Stasi, la laïcité n'a de sens et de légitimité que si l'égalité des chances est assurée en tout point de notre territoire. Or la politique du Gouvernement ne fait qu'accroître les inégalités et la misère dans notre pays, éloignant encore plus l'horizon de l'intégration.

La laïcité forge l'unité de la nation tout en respectant la diversité de la société. Mais le droit légitime à la différence culturelle ne peut impliquer la différence des droits, sous peine de morcellement du corps social.

Faut-il un nouveau dispositif pour mieux faire appliquer le principe de laïcité ? Ma réponse est oui. Le pragmatisme qui pouvait s'envisager il y a quatorze ans, quand la question du «foulard islamique» s'est posée pour la première fois publiquement, ne peut plus l'être aujourd'hui. Le corpus actuel et une jurisprudence contradictoire placent les chefs d'établissement et les conseils d'administration des établissements d'enseignement devant une responsabilité discrétionnaire trop lourde, puisqu'on leur confie l'appréciation de la norme sous prétexte d'adaptation à la singularité des cas. Ils sont ainsi soumis à la pression des rapports de force locaux, ce qui introduit des disparités inacceptables dans l'application de la loi. L'unité et l'indivisibilité de la République en sont rompues, alors même que les tensions liées aux questions religieuses sont devenues trop fréquentes dans les écoles et dans la société. Par ailleurs, l'environnement familial et social impose parfois aux jeunes filles des choix qui ne sont pas les leurs s'agissant du port du voile, ôtant ainsi à l'espace scolaire ses caractéristiques de liberté et d'émancipation. Nous avons tous lu ou entendu des témoignages bouleversants de jeunes filles ou femmes décrivant le voile comme le symbole de leur oppression. L'une écrit: «Le voile est brandi comme un étendard par les organisations islamistes pour mettre en place leur projet sociétal où le droit religieux prime sur les principes républicains». Telle autre explique comment, devant l'évolution rapide de l'islamisme organisé, elle a changé d'avis et croit aujourd'hui utile de légiférer sur le voile.

Légiférer, ce n'est pas stigmatiser une communauté puisque la loi devra prohiber le port visible - et je dis «visible» à dessein, Monsieur le ministre - de tous les signes religieux. Il ne devra pas s'agir, non plus, d'exclusion automatique renvoyant les élèves vers les écoles confessionnelles, car la sanction ne devra être envisagée que comme dernier recours. C'est d'ailleurs le sens de l'amendement de la commission des lois, qui prévoit une procédure de dialogue et, je le souhaite aussi, d'efforts d'accompagnement des familles, avant la sanction. L'adoption de cet amendement par l'Assemblée est déterminante.

Je regrette d'autre part que la loi ne s'applique pas aux écoles sous contrat bénéficiant d'un financement public, souhait également exprimé par de nombreux collègues de la commission Debré.

Si je mesure bien les arrière-pensées et les manœuvres politiciennes de certains de ceux qui réclament une loi et si je les déplore, elles ne justifieront pas un vote négatif. Car le principe de laïcité au moment où l'on s'interroge sur la place des religions dans la future constitution européenne, doit être réaffirmé avec force.

La loi devra être sans équivoque, sans interprétations diverses possibles, claire et simple d'application. Gardons-nous, par exemple, de toute tentative de dévoyer le texte en prohibant les signes politiques. L'article 10 de la loi d'orientation de juillet 1989 a marqué l'ouverture de l'école sur le monde extérieur avec l'admission de parents d'élèves et d'élèves dans l'organisation du système scolaire et l'autorisation de l'information politique. Une conception étroite de la laïcité, liée à l'affaiblissement de notre démocratie, a souvent estompé cette information politique pourtant aussi nécessaire que l'information religieuse à la formation des futurs citoyens.

Si l'amendement de la commission des lois est adopté et si aucun dérapage ne vient altérer le texte, je le voterai en conscience.

Légiférer à ce sujet implique, à mes yeux, de lutter pour l'égalité et la plénitude des droits de toutes les composantes de la population, car laïcité et justice sociale vont de pair. Jean Jaurès soulignait déjà la conjonction de l'émancipation républicaine et de la démocratie sociale (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

M. Bernard Accoyer - Ce débat est difficile et important, car il touche aux fondements des valeurs républicaines. C'est surtout un débat nécessaire, dont le Parlement ne pouvait s'affranchir car notre société est menacée par des dérives communautaristes auxquelles il faut mettre fin.

Certains avancent qu'il ne serait pas nécessaire d'en passer par la loi, et leurs arguments méritent le respect. Mais comme le président Clément l'a excellemment mis en exergue, les motifs qui rendent le recours à la loi indispensable sont clairs. Mon propos sera donc politique, puisque nous sommes, collectivement, dépositaires de la souveraineté nationale et que, lorsqu'il s'agit, comme aujourd'hui, de réaffirmer les principes qui fondent notre société, il est de notre devoir à tous de nous saisir de la question et d'y apporter une réponse.

C'est notre honneur d'élus que de prendre nos responsabilités. Laissons à d'autres les hésitations, les renoncements et le manque de courage. Nous avons, hélas, vécu cette situation durant les dernières années face à tous les problèmes de notre société, qu'il s'agisse de l'avenir des retraites ou de celui de l'assurance maladie. La sanction a été majeure: n'oublions pas le message exprimé par nos concitoyens le 21 avril 2002, et sachons en tirer les leçons.

M. Jean-Pierre Brard - Mais lesquelles ?

M. Bernard Accoyer - Il est des circonstances dans la vie d'une démocratie où seules la force, l'autorité et la solennité de la loi sont légitimes. C'est pourquoi nous devons saluer le choix et la détermination du Président de la République et du Gouvernement, qui ont refusé la facilité et demandé au Parlement de légiférer. Le recours à la loi était indispensable, le débat le confirme.

Ne perdons pas de vue que la laïcité constitue pour chaque citoyen la première des protections: la liberté.

C'est ce qu'a rappelé avec force le Président de la République, le 17 décembre: «La laïcité est une double garantie: la garantie non seulement que nos propres convictions seront respectées, mais aussi la garantie que les convictions des autres ne nous seront jamais imposées».

Or, pour que cette liberté soit réelle, partout en France, le principe de laïcité doit s'appliquer en premier lieu au sein de l'école publique.

Il nous revient donc de réaffirmer les conditions dans lesquelles les élèves, collégiens et lycéens de toutes confessions peuvent se retrouver dans la même salle de classe, à l'école de la République où ils apprendront à vivre ensemble, dans la tolérance, à se respecter au-delà de leurs origines, de leurs différences et de leurs croyances.

Si l'école publique a pu remplir sa mission républicaine, sa mission d'intégration, de brassage social, religieux et philosophique, c'est qu'elle enseigne ce qui rassemble et unit les citoyens français. Au-delà de la transmission du savoir, l'école a pour mission d'inculquer à nos enfants ce socle de valeurs communes indispensable à la cohésion nationale et républicaine.

Comment ce message de tolérance, de liberté et de respect pourrait-il être compris ou même entendu dans des classes où le communautarisme aurait sa place ?

Sous couvert de la liberté de culte, certains souhaiteraient organiser notre société en communautés. Cela n'est pas conforme aux principes républicains de liberté et d'égalité.

L'intégration à la française, unique au monde, à laquelle nous sommes tous attachés, repose sur la neutralité de l'Etat quant aux croyances et convictions religieuses, philosophiques et politiques de chacun. La République ne connaît que des citoyens égaux en droits et en devoirs. Le pacte républicain est fondé sur cette exigence, et nous n'avons pas le droit de transiger.

Pour autant, il n'est pas question, par un mouvement de balancier, d'opposer aux excès du communautarisme un excès laïque qui nierait le fait religieux et briderait la liberté de croire, la liberté de culte, la liberté de tous les cultes.

Le projet écarte toute dérive de ce type. Il est marqué par l'équilibre, la nuance et le respect, tant dans les termes choisis que dans son champ d'application. Le dispositif retenu par le Gouvernement est le fruit d'une longue réflexion voulue et encouragée par le Président de la République.

Les conclusions de la commission Stasi, celles de la mission d'information de notre assemblée conduite par notre Président Jean-Louis Debré, le rapport de notre collègue François Baroin et le large débat qui s'est déroulé dans le pays ont permis la prise de conscience de la dérive qui menace notre société et l'émergence de solutions appropriées.

Le texte soumis au Parlement ne refonde pas la laïcité, n'invente pas de nouvelles règles et ne déplace aucune frontière. Il s'agit simplement de réaffirmer un principe essentiel et d'en garantir la stricte mais tolérante application à l'école publique.

Notre démarche, modeste, n'a rien de commun avec les déchirements qui ont précédé et suivi l'adoption de la loi fondatrice de séparation des églises et de l'Etat en 1905.

Décennie après décennie, l'application du principe de laïcité a permis de rassembler tous les Français autour de valeurs communes. C'est cet acquis que nous pérenniserons en adoptant ce projet, et c'est dans un climat apaisé que nous légiférons.

Dans ce cadre, le terme «ostensible» apparaît le plus sage. En effet, utiliser le mot «visible» entraînerait certainement la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l'homme.

Quant à l'adjectif «ostentatoire», qui induit une volonté de provocation, il pourrait être source de difficultés d'interprétation: comment déterminer où commence la volonté de provoquer ?

Le Gouvernement propose donc un texte soigneusement mesuré, sur lequel une très large majorité d'entre nous se retrouve.

Quant au champ d'application de la loi, celui des seuls signes religieux, il couvre précisément le domaine où il faut agir.

Le fait religieux a une dimension particulière dans la mesure où il peut avoir vocation, par son caractère universel, à se substituer aux règles de droit commun.

Naturellement, et c'est heureux, la propagande politique est interdite à l'école et nous avons d'ailleurs les moyens juridiques de la combattre. Aujourd'hui, c'est de la propagande religieuse et, surtout, du prosélytisme à dimension politique qu'il convient de préserver nos établissements d'enseignement. C'est à quoi tend ce projet, de façon particulièrement adaptée.

Mais notre démarche n'aura de sens qu'accompagnée d'une relance d'une politique d'intégration forte et généreuse, garantissant l'égalité des chances. Le groupe UMP a donc décidé de consacrer sa prochaine niche parlementaire à un débat sur ce sujet. Nous avons à offrir à tous les mêmes chances et les mêmes droits, dans le respect des différences, au nom d'une égalité qui interdit quotas et discriminations, fussent-elles positives, car notre conception de la citoyenneté exclut toute référence à l'origine ou à la religion. Notre nation ne connaît que des citoyens égaux en droits et en devoirs !

C'est en veillant au respect de cette exigence que nous retrouverons la cohésion sociale, que nous donnerons consistance au vivre ensemble. En adoptant ce projet, nous permettrons que notre devise, «Liberté, Egalité, Fraternité», ne devienne jamais une inscription un peu désuète à nos frontons, mais qu'elle soit une réalité de tous les jours ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Claude Perez - «Tout ça pour ça !», a-t-on envie de dire. Une formidable chance vient d'être gâchée, une de plus ! Au moment même où notre pays traverse une profonde crise morale et politique, où notre modèle républicain s'essouffle, attaqué par les communautarismes, par les intégrismes et par le racisme, menacé par l'incivisme et l'individualisme, vous aviez pourtant l'occasion de faire souffler un vent d'espoir, salutaire pour la citoyenneté et pour la République. Vous avez préféré ne pas choisir en légiférant à blanc, c'est-à-dire en vous contentant de paraphraser l'avis rendu par le Conseil d'Etat le 27 novembre 1989, bien que ce fut là la source de la discorde !

Ce faisant, vous optez pour une voie médiane, la pire: celle qui consiste sans le dire à frustrer ou à fâcher le moins de monde possible, à quelques semaines d'échéances électorales. En fait, vous obtiendrez l'effet contraire: vous alimenterez les frustrations !

Vous disposiez pourtant d'un bel exemple de ce qu'il fallait faire, avec la loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat, suffisamment précise pour définir jusqu'à aujourd'hui les rapports entre la République et les églises, en dépit de tous les efforts déployés pour la remettre en cause. En 1905, le conflit était pourtant au moins aussi difficile à dénouer qu'il est malaisé de relever le défi actuel: l'Eglise de France était toute puissante et disposait de nombreux relais dans le monde politique. Les parlementaires qui l'ont votée n'ont-ils d'ailleurs pas été excommuniés par le pape ? Mais la même mésaventure ne vous menace guère...

Disons-le tout net: ce projet préparé à la suite du discours du Président de la République n'est pas acceptable dans sa rédaction actuelle.

Tant qu'à proposer un texte, que n'avez-vous retenu les conclusions de la commission Debré, avec sa rédaction simple, forte et limpide ? La vôtre est si floue que les contentieux ne manqueront pas.

Pour être égale sur tout le territoire, la loi doit être claire. Ce ne sera pas le cas de celle-ci, tant s'en faut !

La mission d'information constituée à l'initiative du Président Debré après avoir entendu plus de 120 personnes, avait conclu qu'il convenait d'interdire expressément le port visible de tout signe religieux mais, faisant fi de ce travail avec beaucoup de légèreté, le Gouvernement nous propose un texte qui va à l'encontre de cette position et qui n'apporterait aucune garantie juridique supplémentaire aux chefs d'établissement. Pourtant, lassés d'être en première ligne, les enseignants attendaient que les élus du peuple prennent leurs responsabilités. Ils seront déçus !

Ce texte ne règle donc rien et certains membres éminents de la majorité ne se privent pas d'ailleurs de le clamer haut et fort. Mais pouvait-il en être autrement quand les deux ministres concernés au premier chef, après s'être prononcés résolument contre la loi, se retrouvent aujourd'hui contraints et forcés de défendre ce projet ?

Nul n'est dupe: nous savons tous que ce changement tient plus à la volonté du Président de la République, qui joue sa partition, qu'à une conversion soudaine. Mais, comme on ne fait bien que ce que l'on aime, la majorité ne peut que mal maîtriser le sujet dont elle s'est emparée. Elle n'est pas prête, tout simplement, à jeter toutes ses forces dans une bataille qui réclame une grande énergie.

La loi de 1905, réaffirmée par les constitutions de 1946 et de 1958, a été élaborée sur le rapport de Jean Jaurès, figure emblématique du socialisme français. Présentée le 21 mars 1905, elle est adoptée le 3 juillet suivant et mise en œuvre par Aristide Briant, qui en avait été le rapporteur dans cet hémicycle.

La laïcité est une valeur de combat - contre le fondamentalisme et l'obscurantisme. Toutes les avancées, tous les symboles, toutes les valeurs dont elle fut porteuse ont été arrachées de haute lutte. Il faut, en effet, de la volonté pour claquer la porte aux extrémistes religieux, hostiles à la liberté individuelle et notamment à celle de la femme.

La laïcité des institutions est au contraire garante de liberté pour les individus et permet la coexistence de tous les citoyens, sans tenir compte de leurs origines ou de leurs traditions.

Rien ne saurait empêcher les religions de s'organiser librement. Aucune autorité de l'Etat n'interdit l'entrée de leurs locaux et personne ne leur a interdit aucune manifestation publique. Il n'a d'ailleurs jamais été question de les brimer dans l'exercice de ces libertés, puisque c'est le fondement même de la laïcité que de le permettre.

Le laïc que je suis n'est pas choqué de l'affirmation, par chaque individu, de sa confession religieuse. Mais, tout liberté a ses limites et si cette affirmation visible devient interpellation, provocation ou moyen de pression, nous ne saurions l'approuver ni même le tolérer (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste).

M. Nicolas Perruchot - Nous y voici: au bout de six mois, le vaste débat sur la laïcité se conclut en queue de poisson, par la présentation d'une loi qui ne fait que reprendre à un mot près l'interdiction, déjà posée dans la circulaire Bayrou de 1994, des signes religieux ostentatoires à l'école.

M. Gérard Léonard - On a vu le résultat !

M. Nicolas Perruchot - Réécrire la loi de 1905, pierre angulaire de notre pacte républicain, méritait plus de circonspection. Montesquieu avertissait: «Ne faites pas de lois inutiles, elles affaiblissent les lois nécessaires». Or, cette loi qu'on nous présente comme nécessaire, qu'a-t-elle apporté et qu'apportera-t-elle ? Une méfiance accrue envers l'islam, une radicalisation de celui-ci, une tribune offerte gratuitement à l'intégrisme, un réservoir électoral pour l'extrême droite ! De plus, elle ne permettra pas aux enseignants et aux chefs d'établissement de mieux résoudre les problèmes qui se posent à eux... (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

Si nous l'adoptons en l'état, nous ne pourrons lutter contre toutes les formes de différenciation et de discrimination que cherchent à nous imposer les tenants d'un islam réactionnaire et fondamentaliste, intrinsèquement contraire à nos idéaux républicains. Croyant riposter à l'intégrisme, nous ne ferons que le raviver et fourbir les armes de l'extrême droite, sans pour autant clarifier l'application du principe de laïcité.

Ce projet est le produit d'un débat politique et médiatique perverti. Avril 2003: en condamnant, lors du congrès de l'UOIF, le port du voile sur les photos d'identité officielles, Nicolas Sarkozy relance le débat sur le voile islamique. Juin-juillet 2003: l'Assemblée crée une mission d'information sur la question du port des signes religieux à l'école, tandis que le Président de la République charge la commission Stasi de proposer une réforme de l'application du principe de laïcité. En novembre, alors que ces travaux ne sont pas achevés et que la nécessité d'une loi ne fait l'unanimité ni dans le corps enseignant ni parmi les politiques, c'est pourtant ce choix qui est annoncé par certains élus de l'UMP. Il sera confirmé en décembre par le Président de la République.

Depuis lors, nul ne peut s'opposer à la loi sans être aussitôt taxé d'opportunisme électoral, voire d'islamisme.

Pourtant, l'ambition était bonne: il s'agissait d'ouvrir enfin le débat sur l'échec de la politique d'intégration, seulement esquissé avec la discussion du projet relatif à l'immigration, et d'obtenir que l'islam de France soit gouverné de Paris, non de l'étranger, et que l'identité culturelle des étrangers soit respectée, à condition qu'elle respecte les valeurs républicaines. Mais pour cela, il ne fallait pas se borner à voter une loi sur le port du voile à l'école.

Parce qu'il signifie la soumission de la femme devant l'homme, le voile islamique ne saurait être accepté à l'école, lieu d'apprentissage des valeurs républicaines. Néanmoins, les statistiques ne justifient pas la médiatisation à laquelle nous avons assisté: sur 9 millions d'élèves, on ne compte que 150 cas par an, en nette diminution depuis 1994, date de la circulaire Bayrou, qui avait fait passer en un an de 9 000 à 300 le nombre de cas litigieux. Est-ce en légiférant pour deux cas par département que nous combattrons l'intégrisme ?

Dans sa rédaction actuelle, la loi ne ferait que conforter la circulaire sur l'application du principe de laïcité et la jurisprudence du Conseil d'Etat: demain comme aujourd'hui, le port de signes religieux manifestant une volonté de prosélytisme serait prohibé. Voici en effet ce que disait la circulaire Bayrou: «Il n'est pas possible d'accepter à l'école la présence et la multiplication de signes si ostentatoires que leur signification est précisément de séparer certains élèves des règles de vie commune à l'école, à plus forte raison lorsqu'ils s'accompagnent de la remise en cause de certains cours ou disciplines, qu'ils mettent en jeu la sécurité des élèves ou qu'ils entraînent des perturbations dans la vie en commun». La loi n'apporte donc aucun changement à l'état du droit.

Certes, elle peut constituer un signal politique ponctuel. Les enseignants et les chefs d'établissement attendent une clarification durable des règles existantes et ne souhaitent pas assumer seuls la responsabilité que représente l'exclusion d'un élève.

La loi ne répondra pas à ces problèmes concrets et il faudra attendre son décret d'application pour aborder le vrai débat: qu'entend-on par signe ostentatoire ? Va-t-on interdire le voile, les fichus, les bandanas, les barbes, les turbans ou tout autre signe de reconnaissance ?

D'aucuns affirment que son caractère solennel et public ferait de la loi, un symbole fort envers les adversaires de la laïcité. Mais ce que retiennent surtout les musulmans de France, c'est que la République, en parlant de «signes religieux», ne vise que le voile et que l'islam, parce qu'il n'y a que le voile qui pose problème. Si les propos de Luc Ferry ont été perçus comme maladroits, c'est qu'il a soulevé des questions qui ne s'étaient jamais posées, telle que la menace intégriste que constitueraient les Sikhs ou les Assyro-Chaldéens...

En visant certaines formes de l'islam, ce texte réveille tous les réflexes identitaires. Il place les nombreux musulmans modérés en porte à faux, comme s'ils avaient à se justifier de leur foi. Pire, il ouvre un boulevard à l'extrémisme, en poussant une partie des modérés dans les bras des fanatiques. Qui aurait jamais entendu parler du groupuscule du Parti des musulmans de France sans ce projet de loi ?

M. Jean-Claude Lefort - Très bien !

M. Nicolas Perruchot - A Blois se trouve une des plus grandes ZUP de France. La question du port du voile s'y pose de façon inquiétante, pas seulement à l'école, mais dans la rue, pas seulement pour les jeunes filles, mais pour les femmes, et de manière accrue depuis le mois de septembre. Voilà ce qui m'inquiète, car avec cet arsenal répressif, nous prenons le risque de renoncer au dialogue avec ces jeunes filles, de renforcer l'intégrisme, de favoriser l'essor d'écoles confessionnelles développant des principes communautaristes directement opposés à notre idéal républicain.

Arrêtons de nous voiler la face (Sourires): ce n'est pas en légiférant à l'école que nous ferons disparaître le voile dans les quartiers. La question de la laïcité se pose aussi dans les services hospitaliers, dans les stades, dans les piscines, où la mixité est remise en cause. Comment imaginer que la loi, à elle seule, puisse venir à bout de cet intégrisme provocateur qui cherche à pousser la République dans ses retranchements ?

Ce qui m'inquiète, c'est que l'on fait de la question du voile une question religieuse, alors que c'est une question d'intégration.

M. Jean Lassalle - C'est vrai !

M. Nicolas Perruchot - On feint de ne pas comprendre que lorsqu'une société n'arrive plus à accueillir, à porter des valeurs communes, il ne reste plus que le repli identitaire.

En confondant croyance religieuse et intégrisme, nous risquons de remettre en question ce pilier fragile de la laïcité française qu'est la tolérance de toutes les expressions religieuses, y compris dans la sphère publique.

Le problème c'est le manque de réponse politique à la crise de l'intégration. Qui croit un instant qu'avec cette loi, et les manifestations de méfiance qui ont précédé sa discussion, nous allons rassemblé la France autour de valeurs communes ? En 1905, le problème était de libérer l'Etat de la tutelle historique de l'Église. Aujourd'hui, nous devons unir et associer autour d'un pacte républicain renforcé, plus ouvert et qui intègre mieux. A défaut, nous deviendrons une vieille nation, repliée sur elle-même, agitant des grigris pour protéger des restes.

Cette loi ne fait que révéler l'échec de la politique d'intégration depuis vingt ans et exacerber l'intégrisme; elle n'apporte pas de solution. Occupons-nous d'abord des ghettos, luttons contre le financement des mouvements extrémistes, proposons enfin un vrai contrat d'intégration aux étrangers installés en France. Les voiles s'enlèveront d'eux-mêmes. A défaut d'avoir réussi à intégrer par la loi, évitons d'adopter une loi désintégratrice ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UDF)

M. Daniel Paul - La laïcité est partie intégrante de notre patrimoine commun. Elle est inséparable de l'établissement de notre République et de notre histoire collective. Elle est présente dans l'article 10 de la déclaration des droits de l'homme de 1789 sur la liberté d'opinion et de religion, comme dans la décision de septembre 1792 de l'Assemblée législative qui laïcise l'état civil et le mariage. Elle est présente, aussi, au cours du XIXe siècle, dans les efforts des républicains pour soustraire la société à la tutelle de l'église et à son emprise sur les consciences. Elle guide l'adoption des grandes lois scolaires de la fin du XIXe siècle, avec l'aboutissement que constitue la loi du 9 décembre 1905, consacrant la séparation des églises et de l'Etat.

La laïcité, c'est le respect. Elle vise à garantir la liberté de conscience, à développer la démocratie, à permettre le plein exercice de la citoyenneté. Elle est un des outils du «vivre ensemble» et d'une promotion sociale possible pour tous. Elle complète fort justement les principes de liberté, d'égalité, de fraternité.

La quasi-totalité des composantes de notre société se reconnaîtront progressivement, au fil du XXe siècle, dans «le pacte laïque». Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, c'est Etienne Fajon, député communiste, qui proposera d'intégrer la laïcité dans la Constitution de 1946, cette notion étant reprise en 1958.

Aujourd'hui, dans une société qui va mal, la priorité ne doit-elle pas être de permettre à tous, dans cette école, à laquelle il faut redonner la place et les moyens nécessaires, d'acquérir culture, formation et qualification professionnelle, mais aussi d'accéder aux éléments de la connaissance et du jugement.

Fallait-il détourner l'attention des mauvais coups que vous portez à la cohésion sociale, en particulier aux plus faibles de notre société, parmi lesquels ceux qui se heurtent aux difficultés d'intégration sont majoritaires ? Pourquoi faire croire aux chefs d'établissement que votre texte est la réponse aux difficultés qu'ils rencontrent alors qu'il ne changera rien ?

Pour une part importante de notre population, la laïcité a sans doute perdu de son sens mais elle demeure le ciment de la cohésion sociale. Or, ce n'est pas ce projet qui suscitera une adhésion populaire à la laïcité, alors que c'est ce que nous devrions rechercher.

La République fêtera l'an prochain le centième anniversaire de la loi de 1905. Pourquoi ne pas lancer un grand débat public et populaire, en se donnant comme objectif non d'exclure, mais de rassembler ceux qui composent aujourd'hui notre société, avec le souci de leur formation, de leur promotion, quelles que soient leurs origines. Celles-ci sont sans doute plus diverses qu'en 1905, mais l'immense majorité de nos concitoyens aspirent à la justice sociale, à «vivre ensemble», à fonder un pacte laïque du XXIe siècle, respectueux de tous et prenant en compte les évolutions de notre société. Il faut bâtir une laïcité d'aujourd'hui, porteuse de valeurs de rassemblement face à l'individualisme exacerbé. Pourquoi n'y aurait-il pas, chaque année, «une semaine de laïcité», avec des initiatives dans les entreprises, dans les réseaux d'éducation populaire, dans les écoles, mais aussi là où se joue l'essentiel, dans les cités, pour transmettre et réaffirmer les valeurs républicaines ? De même que nous avons célébré le bicentenaire de la Révolution française, organisons une fête populaire autour de la laïcité, afin de faire œuvre pédagogique, en même temps que politique, car c'est l'avenir même de notre pays qui est en jeu !

La mondialisation libérale a disloqué des sociétés fragilisées, entraînant des injustices profondes. Face à d'insolentes richesses, des frustrations et une immense pauvreté provoquent des migrations durables. Une paupérisation sociale, économique, morale et culturelle est à l'œuvre dans les pays développés eux-mêmes. En France, une part importante de la population est exclue du logement, du travail, des droits fondamentaux dans une société où les valeurs traditionnelles de citoyenneté et de solidarité sont elles-mêmes mises en cause, ce qui ouvre la voie à des réflexes individualistes ou communautaristes.

Le racisme se développe sur ce terreau d'injustices sociales, comme la peur de l'autre avec, comme corollaires, la violence et l'intolérance envers ceux qui sont différents, qui entraînent repli sur soi et atteinte à la dignité. Les valeurs de citoyenneté ont perdu leur sens pour une partie de la population, d'autant que le droit de vote n'est toujours pas reconnu à des personnes pourtant présentes sur notre sol depuis des décennies...

M. Lionnel Luca - Rien ne leur interdit d'être Français !

M. Daniel Paul - ...et que le droit de pratiquer leur culte dans un lieu approprié leur est souvent dénié.

L'ascenseur social est en panne, comme l'intégration. Dès lors, des discours extrémistes peuvent porter, tant la souffrance sociale et le sentiment d'être victime d'injustices rendent perméable. Combien de jeunes, en particulier de jeunes filles, sont victimes de pressions insupportables, dans un environnement difficile, avec un mode de relation fondé sur la loi du plus fort et sur son corollaire, la loi du silence. La plus grande vigilance et la plus grande fermeté s'imposent devant des formes d'intégrisme qui portent atteinte aux libertés individuelles et collectives, comme à l'égalité entre les hommes et les femmes, principe inscrit dans notre Constitution, et qui aboutissent à faire du voile un étendard identitaire.

Mais pourquoi, alors que l'ensemble de notre société est concerné, nous proposer un texte sur l'école ? Pourquoi et alors que les responsables de l'islam ne s'accordent pas sur sa signification, décréter que le voile est un symbole religieux ? Quel service rendu aux intégristes ! Pourquoi, dans l'urgence, prendre le risque de stigmatiser ainsi une partie de nos concitoyens en alimentant les extrémismes les plus dangereux ?

Pourquoi faire croire que le problème se limite à l'enceinte scolaire, qui plus est à l'enceinte scolaire publique ? Considérez-vous que le problème serait réglé si les jeunes filles voilées quittaient l'école de la République pour des écoles confessionnelles ou si elles quittaient l'école à l'issue de la scolarité obligatoire ?

Il faut expliquer toujours et encore ce qu'est la laïcité, ne pas croire que le principe en est acquis; ne pas laisser vacant le terrain de la justice sociale et de la citoyenneté.

Parce qu'il aboutit à diviser et à exclure, y compris ceux qui veulent vivre leur foi dans la laïcité, parce qu'il ignore les effets de la politique libérale qui nourrit le terreau sur lequel se développent les injustices sociales et que vous accentuez, parce qu'il ouvre un boulevard aux extrémismes qui mettent à mal les cohésions et les solidarités dont notre peuple a pourtant le plus besoin, votre projet ne répond pas aux enjeux auxquels notre société est confrontée (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe des députés communistes et républicains).

M. Alain Madelin - Une chose est claire: cette loi, quelque nom qu'on lui donne, est une loi contre le voile islamique. L'interdiction à l'école des autres signes religieux, kippas ou grandes croix, n'est là que pour assurer une fausse symétrie.

M. Jean-Pierre Brard - Ce n'est pas vrai ! Allez donc au lycée Turgot !

M. Alain Madelin - Je n'ai pas remarqué dans le rapport Stasi qu'on fit mention des menaces pour la République que créerait le port des grandes croix dans nos écoles. Et si la kippa y est citée, ce n'est pas comme une menace pour la République, mais pour les élèves qui la portent ! On peut y lire en effet qu'aucun élève juif ne peut la porter sans être lynché, au point que certains d'entre eux ont dû être «exfiltrés» de l'école publique... Autrement dit, faute de pouvoir assurer le respect de nos lois, il faut une nouvelle loi pour faire reculer l'antisémitisme en supprimant le juif ostensiblement visible... (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

La menace, donc, c'est le voile. Une menace limitée, toutefois: 1 260 cas de voile à la rentrée dont 20 cas difficiles et 4 cas d'exclusion, selon le ministre de l'intérieur. Dix cas de contentieux par an selon vous, Monsieur le ministre, à l'époque où vous pensiez qu'il était absurde de faire une loi pour cela... Et c'est une menace qui régresse («Non !» sur plusieurs bancs du groupe UMP): selon la médiatrice de l'Education nationale, on est passé de 300 à 150 cas en dix ans. Ce qui est sûr, c'est que l'immense majorité des jeunes musulmanes vit avec son temps, à l'heure de la société française.

M. Jean-Claude Lefort - Absolument !

M. Alain Madelin - Cela ne signifie pas que le voile ne pose pas de problème.

Il est légitime de demander à une jeune fille, pour qui le port du voile est l'expression d'un choix personnel et d'une conviction, de respecter les usages vestimentaires de l'école de la République.

M. Jean-Marc Ayrault - Il ne s'agit pas d'usages vestimentaires, mais du principe de laïcité.

M. Alain Madelin - Il est légitime de leur demander d'adopter ce qu'elles tiennent pour une prescription religieuse à leur époque, à notre pays, à notre laïcité, pour en permettre l'expression discrète. Il est tout aussi légitime de bannir le voile islamique de l'école lorsqu'il sert d'étendard politique à ceux qui veulent dessiner un espace où les lois de l'islam remplaceraient celles de la République. Légitime encore de ne pas accepter à l'école, là où se forgent les consciences, le voile de la contrainte, celui qu'il faut porter pour être respectée dans son quartier, celui qui enferme et qui renvoie à une conception de la femme contraire à nos valeurs.

Je ne pense pas pour autant qu'il faille une nouvelle loi. Les enseignants ont déjà tous les moyens nécessaires pour faire face à ces situations, comme on l'a vu avec la - trop spectaculaire - exclusion d'Alma et Lila de leur lycée d'Aubervilliers. Certes, leur tâche n'est pas facile. Cela tient à la complexité et la diversité des situations. Mais c'est aussi que nous sommes au carrefour de plusieurs libertés: la liberté religieuse, la liberté de conscience, la liberté pour les parents de choisir le genre d'éducation de leur enfant, la laïcité de l'école publique et la non-discrimination entre les sexes. C'est ce qu'a rappelé le Conseil d'Etat dans son arrêt de 1989, qui s'appuie sur notre droit fondamental et sur nos engagements internationaux. Cet arrêt rappelle la nécessité de ne restreindre une liberté que quand son exercice porte atteinte à l'ordre public. Je ne souhaite donc pas qu'on modifie les limites de cette liberté, et je souscris à l'amendement qu'a déposé Edouard Balladur.

Une prohibition pure et simple à l'école de tout voile, de tout foulard, et même de tout signe religieux est assurément une solution de facilité.

M. Jean-Pierre Brard - Non: une solution laïque et républicaine !

M. Alain Madelin - Même si l'on appelle la laïcité à la rescousse, je rappelle que celle-ci, jusqu'à présent, est la laïcité des enseignants et de l'enseignement, non la laïcité des élèves. C'est un devoir de neutralité pour les enseignants, c'est aussi une mission, celle de parler hardiment pour faire partager les valeurs universelles. Le devoir des enseignants laïques d'hier, quand l'Eglise contestait les droits de l'homme et la liberté de pensée, était d'ouvrir l'esprit de leurs élèves à ces valeurs universelles. Il ne serait venu alors à l'esprit d'aucun d'exclure des petits catholiques de l'école laïque.

Je ne crois pas que cette loi facilitera le travail des enseignants. Entre les signes «ostentatoires» et les signes «visibles», on a retenu la solution mi-chèvre mi-chou d'une prohibition de tout signe «ostensible». Cette synthèse audacieuse force l'admiration, mais que règlera-t-elle ? Il appartiendra toujours aux enseignants d'apprécier, ce qui est signe religieux et ce qui est ostensible. La tâche est assez difficile, Monsieur le ministre, pour qu'elle vous ait déjà égaré, en vous faisant déceler des signes prohibés sous un bandana, et même sous certaines pilosités...

M. Jean Glavany - C'était en effet ridicule !

M. Alain Madelin - Et que se passera-t-il si demain un enseignant se trouve confronté, non à une jeune fille voilée, mais à un gamin dont le tee-shirt s'orne d'un verset du Coran ?

On peut certes espérer, si la loi est votée, que le voile reculera, que la loi sera dissuasive et que de nombreuses jeunes filles trouveront dans son application le moyen d'échapper à une pression sociale qui les voile plus ou moins contre leur gré. Mais que ferez-vous des jeunes réfractaires ? L'école catholique, comme lieu d'asile politique ? Des cours par correspondance organisés à l'ombre des mosquées ?

Pour toutes ces raisons, je pense qu'il aurait mieux valu éviter une nouvelle loi. Toute la sagesse de nos institutions, celle du Conseil d'Etat, celle de la circulaire Bayrou de 1994, consistait à laisser aux enseignants le soin de régler les problèmes au cas par cas. Car si le voile peut opprimer, l'école laïque libère et l'exclusion prolonge l'oppression. Il eût été plus habile d'éviter ce psychodrame national en continuant de pratiquer ce que notre tradition laïque appelle des «accommodements raisonnables», ceux qui permettent d'inscrire le poisson le vendredi au menu de la cantine, de prévoir un plat de substitution lorsqu'il y a du porc, d'éviter le fixer des examens importants le jour de certaines fêtes religieuses, sans qu'il soit besoin d'inscrire Kippour ou l'Aïd-el-Kébir, au calendrier de nos écoles...

Ce que je regrette le plus, c'est que cette loi nous fasse passer à côté de la vraie question: celle de la place de l'islam en France, de sa compatibilité avec la modernité, la laïcité, les droits de l'homme. Ce n'est pas une commission sur la laïcité qu'il fallait constituer, mais une commission sur le rapport entre l'islam et la République. Tout comme il a fallu l'épreuve de force entre les juifs et la République pour parvenir au Sanhédrin de 1807, tout comme il a fallu le long affrontement avec l'Eglise catholique, nous ne pouvons pas éviter ce rendez-vous avec l'islam de France. Celui-ci doit se mettre en conformité avec nos mœurs, avec nos valeurs, avec les droits de l'homme; la République doit l'y inviter clairement et fermement.

Cette loi est inutile. La prohibition stricte va bloquer l'évolution de l'islam...

M. Jean-Pierre Brard - Pas du tout !

M. Alain Madelin - ...et encourager les intégristes. Pour éviter ce scénario, il reste une solution: que la loi soit appliquée avec pragmatisme, comme l'a dit le président de la commission des lois ou, pour parler comme le Président de la République, avec discernement. C'est-à-dire que, pour finir, le voile prohibé deviendra foulard ou bandana autorisé... Beaucoup de bruit pour peu de chose, mais avec le risque d'avoir creusé un fossé d'incompréhension avec ceux qui garderont le goût amer d'avoir vu la religion qu'ils pratiquent - ou qu'ils ne pratiquent pas, mais avec laquelle ils sont incités à se solidariser - instrumentalisée et stigmatisée (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Gérard Bapt - L'école n'est républicaine qu'avec des êtres libres, accessibles aux cheminements de la raison. Voilà le fondement de la laïcité à l'école, qui permet à l'enfant d'accéder à la connaissance, mais le prépare aussi à devenir un citoyen libre et responsable.

Mais l'idée de laïcité a donné lieu à des interprétations contradictoires. Nombre d'hommes religieux, ces derniers mois, ont voulu la ramener aux idées de tolérance et de coexistence. Pour les républicains conséquents, elle ne saurait s'y réduire. Tolérer, c'est accepter une agression qu'on juge supportable. La tolérance, ce peut être la coexistence de groupes armés qui conviennent de ne pas s'affronter... La laïcité, en revanche, est un espace de paix. Ce n'est pas simplement un compromis, qui permet que l'autre existe: c'est la rencontre de l'autre. C'est donc à tort que les religieux parlent de tolérance à propos du port des signes religieux à l'école. C'est confondre la rue, espace commun, et l'école. L'école républicaine de la grande époque avait poussé cette logique de l'égalité par l'abstention jusqu'au port de la blouse, effaçant même les manifestations des distinctions sociales dans l'habillement...

Tout à l'heure notre collègue UDF du Tarn évoquait Jean Jaurès et Emile Combes à propos des fondements de l'école républicaine. Mais, dans l'esprit de ces pères fondateurs, la laïcité de l'école n'était qu'une des dimensions d'une conception de la République, avec la société sans classes dont rêvait Jaurès - nous dirions aujourd'hui: une société où serait assurée l'égalité des chances et combattues toutes les discriminations. D'où notre insatisfaction à ne traiter de la laïcité que dans le cadre de l'école, si fondamentale soit-elle. D'où aussi l'importance que nous attachons à notre amendement sur le titre du projet. Sa prise en considération permettrait d'éviter qu'une seule communauté se sente concernée par ce texte.

Un siècle après la séparation de l'Eglise et de l'Etat, la question de la visibilité des signes chrétiens n'a plus la même acuité. Pour les musulmans, d'origine étrangère pour la plupart, le problème est plus aigu. Certes, la majorité d'entre eux est laïque, mais tous ne se sont pas déclarés en faveur d'une loi contre le voile. Outre la crainte de représailles des islamistes, il y a à cela d'autres motifs. Beaucoup de ces immigrés ont été longtemps délaissés par la République, et aujourd'hui on leur demande de lui faire confiance. D'autres, nombreux aussi, ont souffert du dogmatisme qui domine depuis des siècles les sociétés musulmanes, et souhaitent que les lois de la République les protègent contre l'intégrisme. Ils ont donc toutes les raisons de se dire favorables aux droits de l'homme, à l'égalité des sexes. Ils l'auraient fait mille fois et sans hésitation s'ils en avaient eu l'occasion dans leur pays d'origine. Mais en France, dans ce pays d'accueil où ils ont été marginalisés, souvent à cause de leur origine orientale ou musulmane, dans ce pays où ils n'ont pas eu droit à l'égalité des chances, ni pour eux-mêmes, ni pour leurs enfants, pourtant nés ici, dans ce pays d'accueil où ils n'ont pas toujours eu le sentiment d'être considérés comme des citoyens de plein droit, ils peinent à trancher entre le souvenir des blessures et l'envie de croire aux engagements pour l'avenir. C'est pourquoi, chez certains, une réticence à l'égard d'une loi sur la laïcité existe car ils craignent qu'elle leur jette encore une fois à la figure leur origine.

Il est vrai que les problèmes rencontrés par les immigrés sont innombrables, que la République n'a pas fait assez pour casser les ghettos. Il est indéniable que la France manque d'institutions d'accueil, et que les immigrés orientaux non fortunés sont toujours l'objet de grave discrimination.

A leur égard, la République doit se montrer plus ouverte et plus généreuse. Il faut évidemment tenir les promesses faites, consacrer tous les moyens nécessaires à une réelle politique de la ville, de l'emploi et de l'éducation, ne pas laisser en déshérence une partie du territoire et la part la plus jeune et la plus demandeuse de notre population. Evitons au premier chef d'appeler à l'aide les pompiers pyromanes, les prosélytes de l'islamisme toujours prêts à offrir leurs bons services pour assurer l'ordre dans les banlieues. Nous savons en effet que cet «ordre» serait une régression, en particulier pour ce qui concerne le droit des femmes, dans la mesure où, pour les islamistes, le voile est toujours synonyme de soumission. A l'inverse, l'école laïque doit garantir à chacun la liberté de choisir ses croyances philosophiques ou religieuses. Pour nous, la laïcité doit être une chance pour tout un chacun de vivre tranquillement, sans risque d'être stigmatisé en raison de ses convictions.

Ce débat nous donne aussi l'occasion de préciser au monde arabo-musulman notre conception du «vivre ensemble».

Aussi, ce que l'on présente parfois comme le modèle libanais de coexistence communautaire - et qui a ses mérites dans la phase historique et géopolitique que traverse le Moyen-Orient - n'est-il pas le nôtre. Parmi les réactions auxquelles l'annonce d'une loi sur la laïcité a donné lieu dans le monde, celle du dignitaire chiite libanais, Cheikh Fadlallah mérite toute notre attention. Après avoir participé dans les années 1980 à la montée en puissance politique de la communauté chiite libanaise, il s'est progressivement affirmé comme un leader proche des réformateurs iraniens, prônant la tolérance au nom d'un humanisme religieux universel. C'est cet ami de la France qui vient d'affirmer que le projet de loi sur la laïcité à l'école serait «une atteinte aux droits de l'homme musulman». Cette prise de position mériterait d'être analysée longuement, mais s'il est admissible que la part de la sphère publique par rapport à la sphère privée et religieuse puisse être envisagée de manière nuancée en fonction des cultures et des histoires régionales, il est des valeurs universelles qui devraient s'imposer à tous: libertés de pensée, de conscience, d'opinion et de choix de sa religion, respect de l'intégrité de l'individu.

Le dialogue des cultures, riche de tous les mélanges, doit poser ces questions de portée universelle. Il ne suffit pas de se réclamer de la tolérance. Dans la phase historique actuelle, les socialistes entendent porter une conception de laïcité ouverte et généreuse (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean Dionis du Séjour - Alain Madelin a bien posé la question: faut-il autoriser la présence de filles voilées dans les écoles de la République ? Tel est l'enjeu de notre débat, au-delà de l'habillage équilibré du projet de loi ? Je m'exprime ce soir à titre personnel, le principe du vote en conscience étant de règle au sein du groupe UDF, a fortiori sur ce sujet.

Ecoutons d'abord Chahdortt Djavann, auteur de Bas les voiles: «J'ai porté dix ans le voile. C'était le voile ou la mort. Je sais de quoi je parle. Que des jeunes femmes adultes portent le voile, cela les regarde... Mais imposer le voile à une mineure, c'est au sens strict, abuser d'elle, disposer de son corps, le définir comme objet sexuel destiné aux hommes. La loi française n'interdit rien aux majeures consentantes, protège les mineures contre tout abus de ce genre. Ce n'est donc pas au nom de la laïcité qu'il faut interdire le port du voile aux mineures, mais au nom des droits de l'homme et de la protection des mineures».

Le port du voile signifie un conditionnement social des jeunes femmes mineures et leur enfermement dans un statut d'infériorité par rapport aux hommes. Rares, en effet, sont les jeunes filles qui portent le voile spontanément, en dehors de toute pression de leur famille ou du milieu dans lequel elles vivent. Certains prédicateurs utilisent d'ailleurs les prétextes de la religion et de la pudeur pour imposer aux jeunes filles le voile, qui est en fait l'instrument de leur propre aliénation. Dès lors, accepter le port du voile par des mineures à l'école ferait de nous les complices d'une lecture intégriste du Coran, contre laquelle de nombreuses femmes musulmanes se battent. C'est pourquoi le voile ne doit pas être accepté dans le lieu où sont enseignés les droits et les valeurs de la République.

En interdisant le port du voile à l'école, nous donnerons un signe fort de refus du communautarisme et de l'intégrisme islamiste. Nous soutiendrons l'émancipation des femmes musulmanes dans notre pays, mais aussi nous favoriserons la lutte des femmes musulmanes en faveur de la laïcité dans les pays islamiques. Nous étions opposés à la pratique de l'excision et de la polygamie: nous les avons interdites. De même, il nous faut interdire le port du voile par des mineures à l'école, au nom d'un principe d'émancipation et de liberté. Et s'il est un lieu où notre République laïque ne peut pas tolérer une pratique aussi frontalement contraire à ses principes, c'est bien l'école.

La laïcité est un des fondements de notre pacte républicain, un des piliers de notre patrimoine national, au-delà des clivages politiques et religieux. La laïcité n'est pas un instrument idéologique de combat: elle est une philosophie de tolérance, de neutralité et de respect. Non seulement la laïcité n'est pas le contraire de la religion, mais elle est ce qui rend possible la coexistence de toutes les religions, car elle affirme que ce qui est, en droit, commun à tous les hommes est plus important que ce qui les sépare en fait.

Or les brèches dans les valeurs de la laïcité à l'école interviennent aussi sous des formes beaucoup moins spectaculaires que le port des foulards islamiques: on assiste à un véritable effritement de la laïcité. Par exemple, une grande tolérance s'est installée pour ce qui concerne les pratiques liées aux fêtes religieuses juives et au ramadan; l'absentéisme des élèves le jour des fêtes religieuses, le refus d'aller à la piscine, la demande de locaux de cantine séparés pour les musulmans, ou - plus grave - le refus des élèves de se présenter devant un examinateur du sexe opposé, sont autant de faits qui se multiplient subrepticement et qu'un Etat laïque ne peut tolérer.

En toile de fond, il y a le fondamentalisme religieux auquel il n'est que temps de porter un coup d'arrêt. La plupart des spécialistes de l'islam sont d'accord sur ce point: le voile, en Arabie saoudite, en Iran ou dans les pays d'Europe, n'est pas le signe d'une appartenance religieuse musulmane mais une référence exclusive aux courants fondamentalistes. On a constaté d'ailleurs que l'extension du port du voile est parallèle aux crises internationales qui touchent l'islam. C'est ainsi que l'on peut parler de «voile idéologique»: le voile est devenu un signe idéologique de propagande politique; il est la conséquence du travail de prosélytisme que mènent les islamistes dans les quartiers, dans un contexte social très défavorisé. Mme Hanina Chérifi, médiatrice de l'Education nationale pour les problèmes liés au port du voile, l'affirmait elle-même devant la mission d'information parlementaire sur les signes religieux.

C'est pourquoi la laïcité doit être traduite dans les faits de manière permanente et vigilante, par une loi conciliant à la fois la liberté individuelle et la liberté d'expression. Une conviction m'anime: c'est à l'école, lieu de formation des futurs citoyens, qu'il faut en priorité assurer l'équilibre consacré par la Constitution entre le caractère laïque de la République et la liberté de conscience.

Le principe de laïcité constitue un projet politique et social d'intégration des Français dans une communauté nationale une et indivisible, à l'opposé d'une conception de la société où se développeraient, côte à côte, des communautés distinctes. Assurer le respect du «pacte laïque», c'est éviter les revendications de la différence, tout en permettant la reconnaissance de la diversité, ce qui doit conduire à enrichir la communauté nationale dans l'accomplissement d'un projet commun.

Il faut donc une loi, pour répondre au vide créé par la dévalorisation de la circulaire de François Bayrou, que je salue comme le premier législateur français en la matière (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

Ayons aussi l'humilité d'entendre ceux qui doutent de l'opportunité d'une loi.

La loi se serait pas applicable ? Ils ont raison s'ils entendent par là qu'elle ne remplacera pas le discernement du chef d'établissement. Mais ce n'est pas pour rien que ceux qui sont en première ligne, disent à la fois qu'ils savent que la loi ne les aidera pas à apprécier chaque cas personnel, mais qu'ils en ont besoin, comme point d'appui juridique et symbolique.

La loi est mal ressentie à l'étranger ? A notre diplomatie de faire les efforts de pédagogie, mais cet argument ne saurait être poussé trop loin sans avoir de forts relents munichois. La France ne peut pas fixer sa position en tenant compte d'hypothétiques dégâts diplomatiques collatéraux ou d'intimidations à peine «voilées»...

La loi, aurait enfin des effets pervers, car elle risquerait de générer un réflexe de solidarité des musulmans modérés vers les musulmans intégristes. A cet égard, considérons plutôt que le présent texte n'apporte que la première pierre au vaste chantier qui consistera à adapter l'islam à notre République. Quelle en sera la durée ? Vingt ans ? Cinquante ans ? L'histoire nous le dira.

Oui, il y aujourd'hui tension entre l'islam et la République. Le nier, c'est nier la rue et la réalité françaises. Mais, qu'il soit permis de dire à un catholique pratiquant, ayant en mémoire la longue et difficile histoire de son église, qu'il est résolument optimiste sur le terme de cette évolution. Oui, la communauté musulmane s'adaptera à la République française.

A la République française, de construire une laïcité moderne, dépassant le modèle anti-religieux de son apparition face à une Église catholique toute-puissante, enfin ouverte au fait religieux, élément constitutif fondamental de l'humanité. Que la voix de Malraux résonne ici aujourd'hui: «Le XXIe siècle sera religieux ou ne sera pas». La solution n'est pas dans un repli frileux vers une laïcité nostalgique du XIXe siècle. A nous d'avoir comme projet de société, celui de construire une laïcité ouverte, tolérante, mais aussi forte et ferme.

A la communauté musulmane de faire son aggiornamento théologique et politique. A la lumière de notre histoire catholique, je dis aux musulmans de France que je leur fais pleinement confiance pour cela. Oui, la communauté musulmane, proche de dix millions de personnes, vivra un jour sereine et tolérante, dans notre pays. Encore faut-il le vouloir ! Ce soir commence une longue marche. A nous d'avoir du souffle, à nous d'avoir la force et le rayonnement pour attirer tous les Français vers notre modèle républicain, refondé, ressourcé pour répondre aux enjeux de ce siècle à venir (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP).

M. Bruno Bourg-Broc - Membre de la mission Debré sur la question des signes religieux à l'école, je n'ai jamais caché mon opposition à une nouvelle loi interdisant le port de tels signes - qu'ils soient visibles, ostensibles ou ostentatoires - ni occulté le fait que, pour respectueux que je sois du principe de laïcité, je défende le droit pour chacun de pratiquer librement le culte de son choix dans le respect des convictions de tous. Je suis, moi aussi, attaché à nos valeurs républicaines, qui concilient le mieux possible le principe de laïcité avec la liberté de conscience et la tolérance.

Ce projet de loi comporte des erreurs mais aussi des dangers.

Les conclusions de la commission Stasi, comme celles de la mission Debré, ont un point commun: légiférer apparaît nécessaire. Est-ce si sûr ?

Après quelques affaires, surmédiatisées de «voile à l'école», un climat passionnel s'est développé en France, mais ne nous sommes nous pas trompés de débat ? Qu'est-ce que la «laïcité à la Française» ? Qui peut réellement définir ce principe ?

La France est un pays laïc. Chez nous, le Président ne prête pas serment sur la Bible. Chez nous, chacun se soumet aux lois de la République et non à celles de Dieu. Chez nous, les Français comme les étrangers pratiquent la religion de leur choix, mais tous appartiennent à la communauté nationale. Chez nous, jusque-là, chrétiens, juifs et musulmans semblaient tendus vers un objectif commun, vivre ensemble et non côte à côte.

Certes, l'équilibre est fragile, mais il existe. Certains diront qu'il s'agit d'un mythe. Je crois qu'il s'agit au contraire d'une particularité bien française. Cet équilibre est-il rompu ? Ce savant dosage, si français, de liberté individuelle et de destin collectif est-il à ce point en péril qu'il faille aujourd'hui poser de nouveau cette question religieuse qui nous a tant de fois divisés ?

Car en fait, de quoi s'agit-il ? Quelques collégiennes ont souhaité assister voilées à leurs cours. Quelques enseignants s'en sont offusqués. Quelques proviseurs ont eu des difficultés à gérer les conflits. Quelques journalistes s'en sont emparés. Le «café du commerce a alors fait son office», amplifié par des éditorialistes et des échotiers.

Certes, certains enseignants sont confrontés à des difficultés réelles mais la loi les aidera-t-elle ?

MM. Guy Geoffroy et Lionnel Luca - Oui !

M. Bruno Bourg-Broc - Et voilà que le monde politique s'est cru forcé de réagir, et qu'à nouveau les Français se déchirent...

En réalité, la laïcité n'a rien à voir à l'affaire. Notre République ne prêche pas plus aujourd'hui qu'hier, la Bible, la Torah ou le Coran, mais la tolérance et la liberté. L'école républicaine n'enseigne aucune religion, mais s'efforce de diffuser la connaissance de l'ensemble d'entre elles, et devra le faire demain plus qu'hier.

M. Guy Geoffroy - Absolument !

M. Bruno Bourg-Broc - J'ai peur que nous fassions fausse route. La question n'était pas de savoir comment agir face à des élèves qui se présentent en classe avec leur croix, leur kippa ou leur voile. Elle se posait, tout d'abord, dans le cas où des élèves refusaient de suivre certains enseignements pour des motifs religieux. Elle se posait, encore, lorsque le port du voile apparaissait comme une forme d'embrigadement ou de soumission des intéressées. Mais, dans le premier cas, il n'y avait pas besoin de loi, et dans le second, il ne la fallait surtout pas.

Dans le premier cas, en effet, la réponse de la République a été clairement négative car, en France, la règle est générale et impersonnelle. Il eût suffi de rappeler quelques principes fondamentaux dans un «livret républicain», comme l'a suggéré le ministre devant notre commission.

Dans le second cas, la solution relève de l'éducation, de la transmission des principes et des valeurs que l'école a pour mission de diffuser; mais ce n'est ni par décret ni par la loi qu'on modifie les mentalités. Il faut en revanche saluer le travail de la médiatrice en poste depuis 1994, Madame Cherifi, mais aussi celui accompli par certains chefs d'établissement et leurs équipes. Or, qu'avons-nous fait ?

Ces dernières semaines, nous avons réveillé les vieilles passions que d'aucuns pensaient éteintes, suscité l'animosité de musulmans, stigmatisé et divisé une communauté alors que nous venions tout juste de l'installer en qualité de partenaire du dialogue républicain, froissé et pénalisé des chrétiens et des juifs qui, jusque-là, pratiquaient leur foi sans que cela soulève la moindre difficulté.

Ce projet peut conduire à l'exclusion et à la radicalisation des jeunes filles et leurs familles qui devraient pourtant être les premières bénéficiaires des vertus d'intégration de l'école républicaine. Et comment, concrètement, appliquera-t-on la loi ? Quelle sera l'interprétation par le juge national ou international ? Les jeunes ne seront-ils pas tentés par un autre système - école privée sous contrat ou non ?

Le problème le plus important est - comme l'a souligné le Premier ministre - celui de l'intégration, et nous devons avancer rapidement dans cette direction. Pourquoi, au passage, avoir écarté si vite l'idée du port d'une tenue comme cela se fait à Chicago, Tokyo ou Djakarta ?

Surtout, pourquoi donner aux extrémistes une occasion de s'opposer à la République, précisément au nom de la liberté.

Pour toutes ces raisons, cette loi me semble contre-productive, aussi ne puis-je m'y associer.

M. David Habib - Une bonne cause, même avec un mauvais avocat, reste une bonne cause.

Les députés socialistes ont envie de voter un texte qui confirmerait la modernité et la générosité de la laïcité.

Ils sont même prêts à admettre que notre réflexion se limite aux signes religieux à l'école, à condition d'opérer une avancée significative.

Mais pour cela, il vous faudra accepter, nos amendements (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) et notamment substituer «visible» à «ostensible» ainsi que confirmer votre attachement à une médiation préalable à toute sanction. Vous devrez surtout vous engager dans la lutte contre les discriminations qui sont à l'origine de comportements que nous voulons exclure de nos écoles.

Vous devrez enfin, monsieur le ministre, être plus clair durant cette discussion...

Je disais «mauvais avocat». Moi qui suis Aquitain, je constate que même votre ministre délégué est plus habile que vous. Lui, au moins, n'a pas successivement exprimé ses réserves quant à l'utilité de la loi avant de se l'approprier. Lui, au moins, ne s'est pas livré à des gesticulations excessives à l'origine de déclarations incroyables dénoncées par mes collègues à l'instant et qui évoquaient la notion de «pilosité abondante» avant de jeter l'anathème sur ces malheureux «bandanas»... Je veux, toutefois, au nom des Béarnais dont je suis l'élu, vous remercier de ne pas avoir accolé à cette énumération le béret qualifié par certains de «basque» mais dont nous revendiquons l'origine (Sourires).

Je souhaite toutefois voter cette loi parce que l'Etat doit préserver les services publics, et notamment l'école, du religieux.

L'école est un espace de neutralité: tel est le sens de la loi de 1905, mais telle est aussi celle des Français, qui vivent la laïcité comme un atout pour notre pays et une chance pour leurs enfants. Il faut certes respecter la liberté de conscience. La mission Debré et la commission Stasi ont, avec raison, insisté sur l'apport de la connaissance du fait religieux à notre éveil citoyen. Elles ont montré que l'institution devait accepter certains faits personnels qui relèvent de cette liberté-là, comme les interdits alimentaires. Mais elles ont surtout démontré que l'Etat devait protéger cet espace au service du peuple, accessible à tous et sans discrimination, que constituent l'école, et au-delà les services publics.

L'article premier de la loi se justifie par les fondements mêmes de notre organisation constitutionnelle. La République et l'école publique sont respectueuses de tous et partant, exigent des maîtres comme des élèves, une vraie neutralité.

Par ailleurs, l'école a une vocation émancipatrice: elle doit protéger chacun de nous contre la pression de son groupe pour le laisser libre de ses choix et de ses appartenances. Or, quelle est la liberté d'une jeune fille de 13 ans qui se voile ? Quelle est sa capacité à s'ouvrir à d'autres cultures, à d'autres religions ?

L'école doit d'autre part assurer la neutralité entre les religions, et c'est l'une des raisons qui nous poussent à préférer «visible» à «ostensible». Qui peut contester que le voile est certes un signe religieux, mais aussi un signe de ségrégation envers les femmes. Des études récentes mettent d'ailleurs en exergue l'aspect aliénant du voile, et la soumission à laquelle il contraint la femme.

En légiférant, nous assumons nos responsabilités à l'égard de ces jeunes filles. Maire d'une ville qui compte une forte communauté d'origine marocaine, je veux confirmer leur attente en la matière. Quel serait le message entendu par les fondamentalistes et par ceux qui rejettent l'égalité entre les femmes et les hommes, si nous renoncions maintenant à légiférer ?

M. Lionnel Luca - Très bien !

M. David Habib - Pensez-vous que les démarches prosélytes ne s'en trouveraient pas renforcées ?

Pensez-vous que nous protégerions le corps enseignant en renonçant à indiquer ce qui est autorisé et interdit, en le laissant seul trancher, face à ces comportements communautaristes et sexistes ?

Et que l'on ne vienne pas nous parler de «respect des différences», car la République n'a cessé de respecter les différences. Mais aujourd'hui, l'intérêt général, comme celui de notre jeunesse, est de réaffirmer ces valeurs qui nous unissent.

Certaines membres de la commission Stasi viennent d'exprimer leurs états d'âme car ils disent avoir eu la conscience absolue, dès le départ, qu'ils devaient «déborder sur ce qu'est la laïcité, ce qu'est la société française».

C'est ce qui les gêne et ce qui nous trouble. Vous auriez pu être à l'origine d'un grand texte qui aurait illustré votre attachement à cet idéal laïque, mais aussi, à ce modèle d'intégration à la Française qui est aujourd'hui en panne.

C'est que le Gouvernement et la majorité portent une responsabilité considérable dans le sentiment de discrimination qui pousse certains à se singulariser en portant des signes d'adhésion à une communauté. Pour parler clairement, la droite française n'a que très tardivement admis l'idée que les immigrés de la première génération et leurs enfants resteraient en France.

M. Lionnel Luca - Et qu'avez-vous fait, en quinze ans, à ce sujet ?

M. David Habib - Faut-il vous rappeler qu'à la fin des années 1970, l'objectif du gouvernement de M. Giscard d'Estaing était de favoriser leur retour.

Ensuite, s'est ouvert, sous la pression du Front national, un débat sur les droits des enfants d'immigrés opposant droit du sol et droit du sang, qui a donné lieu à des déclarations terribles ! Or, pour reprendre une expression de Patrick Weil, «quand on craint de devoir faire ses bagages, on ne cherche pas à s'intégrer». Voilà, Mesdames et Messieurs, votre faute politique ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

Aujourd'hui, tous les jeunes sont confrontés à des problèmes de logement et d'emploi, mais cela vaut tout particulièrement pour les jeunes issus de l'immigration.

Mourenx, ma ville, comptait 560 demandeurs d'emploi pour 8 000 habitants. Si je n'étais pas tenu par un devoir de confidentialité, je citerais leurs noms, et nous mesurerions alors le caractère insupportablement discriminatoire du chômage.

Or, votre politique a été de supprimer les emplois-jeunes...

M. Guy Geoffroy - Ah non ! Pas ça ! C'est de votre faute !

M. David Habib - Et que penser encore de cette responsable de l'opposition municipale qui a préféré être absente plutôt que de voter la vente d'un local et d'un terrain à une association en vue de construire un lieu de prière ?

Je sais bien que, parmi vous, certains maires ont un tout autre comportement. Mais vous avez suffisamment utilisé l'immigration pour que ce ne soit pas tu.

Monsieur le ministre, les socialistes vous suggèrent d'engager très vite la responsabilité du Gouvernement sur un grand texte en deux volets. Le premier tendrait à réduire les inégalités sociales dans notre pays. Le second viserait à ouvrir notre société aux populations qui ont immigré en France depuis cinquante ans. Nous constaterions alors que beaucoup reste à faire pour que la France soit plus laïque et plus respectueuse de tous.

Notre collègue Jean-Marc Ayrault a rappelé que la France se devait d'intégrer l'islam en son sein, et il a formulé des propositions tendant à une indispensable mixité sociale, seule à même de concilier valeurs républicaines et valeurs de toutes les spiritualités, dont l'islam. Le Premier ministre a entendu ces arguments, et s'est dit prêt à en tenir compte. Je m'en félicite. J'espère donc que le débat continuera de prospérer dans le pays en évitant le juridisme qui a marqué l'intervention d'un autre député béarnais, François Bayrou, assez habile pour dissimuler ses vraies convictions, derrière des arguties, et dont la seule proposition a été de renvoyer aux recteurs le soin de dire le droit.

A nous, ensemble, de faire vivre ce texte, lorsqu'il aura été adopté (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Marc Le Fur - En exprimant mes réserves, voire mon opposition à ce texte, j'ai conscience d'exprimer une position qui n'est pas dominante dans mon groupe politique, l'UMP.

J'en remercie d'autant plus son président, Jacques Barrot, d'autoriser non seulement le débat interne mais l'expression publique de cette opinion.

Ce projet m'inquiète. Pourquoi ? Je crains que les autres religions, et notamment les confessions chrétiennes, n'en subissent les effets collatéraux. De fait, en parlant de «signes religieux», ce projet globalise une question initialement singulière, celle du voile et, demain, ceux qui seront chargés d'appliquer ce texte seront amenés, presque automatiquement, à sanctionner tantôt de jeunes musulmanes portant le foulard, tantôt de jeunes juifs portant la kippa, tantôt de jeunes chrétiens portant la croix car, s'ils limitaient leurs sanctions aux seules jeunes musulmanes, ils se verraient immédiatement accusés d'islamophobie.

Déjà, des difficultés apparaissent et l'on entend les récriminations des Sikhs et des Assyro-Chaldéens, communautés qui ne posaient aucun problème jusqu'à présent.

Cette inquiétude diffuse parmi les croyants de toute confession est renforcée par le fait que les auteurs de ce projet et tous ceux qui appliqueront ce texte n'ont pas la même conception de la laïcité. Le mot est, il est vrai, très ambigu. Il existe bien une «laïcité neutralité» qui insiste sur la tolérance et le respect de la liberté de conscience, mais il existe aussi une laïcité de combat, qui récuse toute conviction religieuse...

M. Gérard Léonard - Ce n'est pas la conception du Gouvernement, en tout cas !

M. Marc Le Fur - ...or, certains partisans de ce projet s'inscrivent explicitement dans cette tradition intégriste de la laïcité qui voudrait confiner toute conviction religieuse à un espace strictement privé.

Nier l'apport social des grandes religions et notamment des religions du livre serait les agresser.

Nous aurions pu traiter autrement la question du voile: en interdisant l'ensemble des signes agressifs, qu'ils soient de nature politique, philosophique ou religieuse. Ainsi aurait-on réglé un problème que je considère bien davantage comme un signe d'appartenance politique que religieuse, tout en résolvant d'autres questions.

Un seul exemple: demain, le port du voile sera interdit mais celui du keffieh sera autorisé. Pourtant, le keffieh peut apparaître en particulier par les jeunes juifs, comme un signe d'agression.

Je m'inquiète aussi pour l'intégration. Si là est la grande affaire, est-il bien raisonnable de commencer par stigmatiser et exclure ? Autant il faut combattre fermement toutes les formes de communautarisme, autant ce serait une erreur de voir dans toute expression d'une identité l'affirmation d'un quelconque communautarisme. Il n'y a d'ailleurs communautarisme que lorsqu'une communauté agresse les autres.

Entre la nation et l'individu, il existe des familles, des groupes, des corps intermédiaires. Le nier serait nier la réalité et tomber dans un jacobinisme d'un autre âge.

Se sentir bien dans sa famille, ressentir sa famille comme admise dans la nation, n'est-ce pas le préalable à l'intégration ?

Notre histoire en est la preuve, l'intégration des catholiques dans la République n'est pas due aux mesures adoptées en 1905, qui exacerbèrent les passions mais bien à l'apaisement des années 1920 ou aux lois Debré au début de la Ve République qui, tout à la fois, reconnaissaient l'apport des catholiques à l'enseignement et pacifiaient les relations entre la République et eux.

Le grand défi républicain réside désormais dans la sécularisation de l'islam. Dans cet esprit, je suis prêt à prendre le pari que l'histoire retiendra la création du conseil du culte musulman comme un élément positif de l'intégration. De même, il me semble autrement plus important de promouvoir des élites issus des communautés d'origine étrangère que de montrer du doigt des jeunes filles.

Je m'inquiète pour la liberté. La famille politique à laquelle j'appartiens a toujours privilégié la liberté par rapport à la laïcité, contrairement à la gauche. La liberté de conscience, la liberté d'expression sont pour moi des valeurs premières, auxquelles on ne peut déroger que pour des raisons d'ordre public. Ces jeunes filles voilées peuvent nous surprendre, nous agacer, nous choquer, mais elles ne constituent pas, par elles-mêmes, une menace à l'ordre public. C'est pourquoi je souscris sans réserve à l'amendement présenté par Edouard Balladur: il ne peut y avoir de limitation à la liberté que pour des motifs d'ordre public, et les menaces qui pèseraient sur l'ordre public doivent être appréciées en tenant compte des circonstances.

En tant que législateur, je m'inquiète pour la majesté de la loi, qui doit être respectée. Le sera-t-elle plus que les circulaires ? Si le port du voile devient massif, exclurons-nous des établissements publics des centaines de jeunes filles ? Si nous ne le faisions, pas, cette loi serait un coup d'épée dans l'eau, mais si nous le faisons, où iront-elles ? Le respect de l'obligation scolaire n'exigera-t-il pas, alors, la création d'écoles confessionnelles musulmanes ? L'intégration y aura-t-elle gagné ?

Ce projet doit, nous explique-t-on, aider les chefs d'établissement confrontés aux difficultés que l'on sait. Or, le débat sur le port de la barbe qui a eu lieu en commission, et qui dépasse l'anecdote, révèle, ô combien ! les difficultés d'application que suscitera le texte. En esquivant ce type de débat, on renvoie aux chefs d'établissement la charge de gérer toutes les ambiguïtés d'un texte qui devait clarifier les choses.

Je m'inquiète enfin pour notre pays qui se singularise. Nos débats surprennent de nombreux pays voisins, il suffit de feuilleter la presse étrangère pour s'en rendre compte. Il est vrai que de nombreux pays se posent le problème de l'intégration, mais nous sommes parmi les seuls à le poser en ces termes. On peut, certes, avoir raison tout seul, mais reconnaissons que c'est assez rare; sachons, avec humilité, regarder ailleurs.

J'espère me tromper, mais j'ai la conviction que ce texte ne résoudra pas le problème qu'il vise à régler et en suscitera de nouveaux d'une autre nature. Bref, je crains que ce projet ne cause davantage de dommages qu'il n'apporte de solutions en exacerbant les tensions latentes (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP).

Mme Martine Billard - Tout le monde le sait: plus que des signes religieux, nous discutons ici du port du voile islamique en milieu scolaire. Remettre en scène sous cette forme l'idée de laïcité permet avant tout de se dédouaner de l'absence d'actions efficaces contre les discriminations et contre les inégalités, ainsi que de l'absence de réflexion de fond sur la place des religions et des non-croyants dans la société.

Les premiers foulards sont apparus à l'école à la fin des années 1980. A l'époque, la médiation, la discussion avec les jeunes filles et leur famille ont réussi à les convaincre d'abandonner ce signe qui, pour certaines, est revendiqué comme signe religieux et, pour d'autres, relève d'une culture qu'elles entendent ne pas trahir. Les enseignants ont su convaincre ces jeunes filles qu'elles pouvaient prendre autrement toute leur place en France.

La déstabilisation croissante de nombre de pays, l'aggravation des inégalités entre Nord et Sud et au sein de chaque pays, la malnutrition persistante, le développement du sida et d'autres épidémies amènent de plus en plus de citoyens de cette planète à rêver d'un âge d'or religieux. Sur ce terreau naissent des intégrismes destructeurs et haineux dont les femmes sont les premières victimes. Les trois religions du livre offrent bien des citations ou des interprétations qui justifient l'infériorité de la femme. Même tout religieux qui demande la mise en pratique intégrale de la Bible, du Talmud ou du Coran organise d'une façon ou d'une autre l'oppression des femmes. Ce n'est qu'en tenant compte de l'affirmation de l'égalité entre sexes qu'il est possible de pratiquer une religion ouverte et tolérante.

L'école publique doit rester laïque, si nous voulons rester à l'abri des conflits interreligieux. Les jeunes de toute origine, de toute religion ou sans religion doivent vivre ensemble pour apprendre à se connaître et à se respecter. Cela suppose, non seulement que les conflits religieux n'entrent pas à l'école, mais aussi que certaines de nos écoles ne se transforment pas en ghettos, fussent-ils de riches ou de pauvres, de blancs comme de «colorés». Notre société est différenciée, colorée. Mais il devient bien difficile de respecter cette diversité quand se développe dans nos grandes agglomérations une ségrégation spatiale, due au prix du logement. Gagnant l'école, cette ségrégation devient source d'injustices sociales, de discriminations et donc de ressentiments. Mais l'embrigadement par des intégrismes religieux ne résoudra aucune des injustices que l'on prétend combattre.

On ne cesse de parler d'intégration, de sommer les jeunes «issus de l'immigration» de s'intégrer. Mais de quelle immigration s'agit-il ? De la portugaise ou de l'espagnole ? Non, cette expression «politiquement correcte» fait, en fait, référence aux jeunes de couleur. De même, on parle de musulmans pour signifier «arabes». Mais que veut dire «immigrés» pour des jeunes nés en France de parents eux-mêmes parfois nés en France, seuls les grands-parents ayant quitté leur pays pour travailler chez nous ?

Devront-ils génération après génération, parce que non blancs et en raison de la consonance de leur nom, rendre compte de leur «francité» ? Que veut dire l'intégration pour des jeunes bardés de diplômes qui galèrent de boulot précaire en boulot précaire ? Et pour ceux, Français comme vous et moi, qui reçoivent de la Caisse d'assurance maladie des formulaires où la case «titre de séjour» est cochée uniquement en raison de leur nom ? Qui doit s'intégrer ? Ce jeune français qui travaille normalement, a des enfants et paie ses impôts mais dont le prénom est Mehdi ? Ou ne serait-ce pas plutôt nos institutions qui le rejettent ? Au lieu de difficultés d'intégration, ne s'agit-il pas plus souvent de discriminations ?

Ainsi repoussés, certains vont se réfugier dans des solutions identitaires, où certains glissements sémantiques vont les enfermer encore davantage: ainsi parle-t-on de «jeunes d'origine musulmane» à propos de jeunes dont les familles sont originaires du Maghreb alors qu'on ne parlerait jamais de «jeunes d'origine catholique» pour ceux qui sont issus de l'immigration italienne, ou polonaise. Quand on en est à vouloir nommer un «préfet musulman», comment s'étonner ensuite que des jeunes se laissent convaincre d'utiliser une religion comme moyen de se faire reconnaître ? Mais en quoi les assignations identitaires ethnico-religieuses, jusqu'à maintenant surtout le fait de l'extrême droite, seraient-elles devenues «positives» ?

Vouloir confondre à nouveau le politique et le religieux nous amènerait à une régression effroyable. La laïcité n'est pas seulement la tolérance: c'est avant tout la séparation entre la sphère religieuse, relevant du domaine privé, et la sphère politique où les religions ne peuvent ni ne doivent imposer leur façon de penser. L'oublier ne peut conduire qu'à la multiplication des conflits, et au repli.

Aussi, est-il effectivement nécessaire de réaffirmer la nécessité et la force de la laïcité. La commission Stasi proposait un certain nombre de pistes. Vous ne retenez que le refus du port de signes religieux à l'école. L'occasion de passer un nouveau contrat républicain avec l'ensemble de nos concitoyens est ainsi manquée Quel que soit le sens donné par une minorité de jeunes filles musulmanes au port du voile, celui-ci n'est en rien un symbole d'émancipation. Il stigmatise le corps et assimile le désir et la sexualité à quelque chose de honteux. Il entérine les schémas sexistes et il est, dans tous les cas, ou un élément de soumission ou d'aliénation, même s'il n'est pas toujours vécu comme tel.

La lutte pour la dignité des femmes passe par le combat pour l'égalité. Or, vous proposez d'interdire le voile à l'école mais vous continuez d'accepter que soit appliqué aux femmes originaires du Maghreb et résidant en France le code de la famille en vigueur dans leur pays d'origine, ce qui les maintient dans une situation d'infériorité quant au divorce et à la garde des enfants.

Comme nous le montre la complexité des débats qu'il a suscités, il est bien difficile de dire de quoi traite le projet: de la laïcité dans son ensemble ? Du voile islamique ? De la place des femmes dans la société ? Les déclarations du ministre de l'éducation nationale, le 20 janvier, n'ont rien éclairci: comment ne pas voir dans ses insinuations la stigmatisation de la religion musulmane et d'autres ?

Et pourquoi, si le débat porte sur la laïcité, ne pas réviser le statut scolaire de l'Alsace-Moselle, dans le sens, somme toute modéré, préconisé par la commission Stasi: rendre les enseignements religieux facultatifs a priori ? Pourquoi ne pas accepter aussi de faire de l'Aïd et du Kippour des jours fériés ?

Il est de la responsabilité des forces démocratiques de proposer des politiques concrètes pour lutter contre les inégalités sociales, les discriminations, les exclusions, le chômage, le racisme, la «peur» de l'autre. Faute de cela, nous aurons d'un côté ceux qui utiliseront la religion, dans ses aspects les plus aliénants, comme projet politique, et de l'autre le Front national. Mais le Président de la République se contente de déclarations, votre majorité d'un débat sans vote et votre gouvernement de réduire les crédits du FASILD, et des associations.

Cette loi ne résoudra pas les questions que pose à notre société la montée des intégrismes religieux. Pour autant, je ne souhaite donner aucune satisfaction aux organisations religieuses qui aliènent les femmes. Je m'abstiendrai donc lors du vote sur l'ensemble du projet.

M. Guy Geoffroy - Le nombre des orateurs, la richesse des propos tenus en témoignent: il fallait que ce projet nous fût présenté, car il touche à une question tout sauf mineure. Sur ce sujet, nous avons à faire preuve de clarté, mais aussi de beaucoup d'humilité. Pour ma part, j'éviterai d'ajouter aux définitions déjà données de la notion de laïcité et je m'efforcerai surtout d'apporter ma connaissance du terrain, acquise en tant que chef d'établissement du secondaire obligé, voici deux ans, de traiter une affaire de voile, et en tant que maire d'une commune qui a depuis déjà longtemps mis des locaux à la disposition de la communauté musulmane pour ses activités culturelles et cultuelles - et s'apprête à faire de même pour la communauté israélite, dans le même souci de faire de l'intégration une réalité.

La présente loi apporte des réponses à des situations dont il serait un peu léger de sous-estimer la gravité. Méfions-nous des statistiques, souvent appréciées en fonction des conceptions de chacun. La dernière édition d'un grand journal du soir, comme on dit, annonçait par exemple que, dans un grand lycée de la région parisienne, le proviseur recensait treize voiles et deux tenues plus complètes sans que cela paraisse lui poser problème. Ce qu'on estime pouvoir ou non être toléré, tel est déjà le premier problème ! Pour ma part, dans le dernier établissement que j'ai dirigé, j'ai vécu en une dizaine d'années la montée insidieuse mais régulière de comportements qui, même s'ils n'étaient pas très nombreux, témoignaient de la volonté d'utiliser les signes religieux pour miner les fondements mêmes de la République. Cela, nous ne devons pas l'accepter. Nous le devons d'autant moins que nous ne pouvons plus comme il y a quelques années dialoguer pour convaincre. Là où nous disons «dialogue», nos partenaires parlent maintenant de «négociation» !

Il nous faut donner un coup d'arrêt à cette évolution, car les lois de la République ou le principe de laïcité ne peuvent faire l'objet de négociations. Les chefs d'établissement n'ont pas trouvé dans l'avis du Conseil d'Etat de 1989 ni dans les circulaires qui ont suivi les réponses qui leur auraient garanti la sécurité juridique. Ils ont alors fait au mieux, comme le leur demandaient leurs supérieurs hiérarchiques, en termes qui sous-entendaient: «Surtout, pas de vagues !» Il nous faut réagir avec lucidité et courage et faire en sorte qu'eux et les équipes pédagogiques soient moins démunis demain quand il s'agira de faire face et d'ouvrir le dialogue - et non pas la négociation - afin de produire tous les effets d'intégration et d'apaisement attendus.

Je m'oppose au raccourci entre cette loi, qui interdit certains comportements, et le sentiment d'exclusion qu'on pourrait en éprouver. Je disais tout à l'heure, en débattant avec René Dosière sur la chaîne parlementaire, que je n'avais pas le sentiment que poser un interdit pour éduquer soit une marque d'exclusion.

M. Pascal Clément, président et rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République - Tout à fait !

M. Guy Geoffroy - En posant des interdits dans l'éducation de nos enfants, nous ne les excluons pas, au contraire, nous posons des repères qui leur permettent de se préparer à leur autonomie, à leur parcours vers le libre-arbitre, vers l'âge adulte, vers la vie responsable.

Avec cette loi, nous ne fermons pas la porte, nous n'excluons pas, nous rendons possible un vrai dialogue, tel qu'il relève de la responsabilité des chefs d'établissement. Je suis donc persuadé que la commission des lois prendra ce matin une position consensuelle sur l'amendement qui insiste sur le dialogue, qui doit être la priorité de l'application de cette loi.

Afin qu'elle permette vraiment de franchir un cap, il sera nécessaire, Monsieur le ministre, qu'une circulaire précise le contenu des futurs règlements intérieurs sur cette question. Nous vous faisons confiance pour mettre à la disposition de tous les établissements de France les moyens d'appliquer cette loi nécessaire.

J'évoquerai pour conclure une conversation que j'ai eue avec une jeune musulmane en novembre 1995. Elle était venue me demander de refuser l'inscription de jeunes de la cité qui voulaient poursuivre dans l'établissement que je dirigeais leur action pour contraindre les jeunes filles intégrées, qui voulaient vivre libres au sein de la communauté française, à porter le voile. Faisons en sorte, grâce à cette loi, de rendre l'apaisement possible, de faciliter le dialogue, de conforter la laïcité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Frédéric Dutoit - Ce projet est un leurre. La République n'est pas à la hauteur de cet enjeu de société.

J'ai rencontré des gens de tous horizons, de toutes confessions; j'ai pris le temps d'écouter, de discuter; j'ai lu avec une grande attention le rapport de la commission Stasi et celui de notre mission parlementaire; j'ai entendu vos surenchères verbales, Monsieur le ministre, sur les barbes et les bandanas. Aujourd'hui, je m'interroge: quelles peuvent être l'utilité et l'efficacité de cette loi ? Quel peut être son objectif ? La lutte contre les communautarismes et les intégrismes religieux, contre l'obscurantisme pour la dignité des femmes, pour l'émancipation du genre humain ?

Tel n'est à l'évidence pas le cas. Au lieu de panser les plaies, ce texte retourne le couteau dans la plaie et stigmatise une confession en particulier, ce qui est, d'ailleurs, contraire à l'esprit de la laïcité.

Je suis député de Marseille, deuxième ville de France, qui abrite des milliers de personnes de confession musulmane et qui est toujours privée d'une mosquée digne de ce nom car les représentants déclarés de cette communauté n'arrivent pas à s'entendre, au grand dam des musulmans mais aussi de la grande majorité des marseillais.

Marseille est une ville cosmopolite, fière d'être née de la rencontre entre Protis et Gyptis, l'immigré et l'autochtone. Vingt-six siècles après, au gré de son industrialisation, elle a accueilli des hommes et des femmes de toutes cultures, de toutes confessions, qui ont appris à vivre ensemble, à s'enrichir de leur présence, dans la fraternité et la solidarité. Le respect de l'autre est d'ailleurs une valeur de la République que Marseille s'est toujours enorgueilli de défendre.

Cette loi enrayera-t-elle à elle seule la montée des extrémismes politiques et religieux ? Guérira-t-elle la France d'un mal profond ? Au contraire, elle risque de rompre l'équilibre de la société française.

Une société laïque comme la nôtre doit accueillir le pluriel philosophique, le pluriel religieux, le pluriel culturel. Elle doit apprécier l'expression des différences, la foi dans le dialogue et la tolérance. C'est cette conception qui fonde l'unité de la nation, aujourd'hui comme demain.

Les dangers qui menacent la République ne sont pas la religion, la philosophie ou la politique. Notre société est rattrapée par ses insuffisances auxquelles s'accrochent des gens pas toujours bien intentionnés, comme les arapèdes se posent sur les rochers le long des côtes méditerranéennes.

Dans les quartiers nord de Marseille dont je suis l'élu où toutes les religions sont représentées, où les musulmans sont originaires du Maghreb, de l'Afrique noire et d'Europe, dans toutes les grandes villes de France, dans leurs banlieues, la laïcité est, il est vrai, parfois malmenée. En effet, la République n'est plus réellement ce ciment qui unit les hommes, surtout là où elle cumule toutes les tares de la société.

Le chômage, la mal-vie, l'horizon de tours HLM enterrent fréquemment les derniers espoirs en une société plus humaine.

La République a mal à ses valeurs: la liberté, l'égalité, la fraternité, la laïcité. Est-ce une raison pour ne plus croire en elles ? Pourquoi ne pas miser sur une nouvelle ambition sociale pour combattre les injustices et redonner une chance aux enfants de la République abandonnés à leur triste sort, voire livrés à quelques fondamentalistes ?

Pourquoi, subitement, donner la priorité à la sanction dans les établissements scolaires, à l'exclusion de jeunes filles déjà victimes, parfois sans s'en rendre compte, de leur asservissement ? Cela ressemble à s'y méprendre, à une nouvelle double peine.

Comme l'écrivait Jean Jaurès dans le premier numéro de l'Humanité, le 18 avril 1904: «A mesure que se développent chez les peuples et les individus la démocratie et la raison, l'histoire est dispensée de recourir à la violence. Qu'une vigoureuse éducation laïque ouvre les esprits aux idées nouvelles et développe l'habitude de la réflexion».

Un siècle après, la laïcité implique toujours que la conviction de l'autre, différent, participe à l'épanouissement de l'humanité. Aussi, convient-il d'aller vers une laïcité revisitée, ferment de l'émancipation de la citoyenneté et de la démocratie, une laïcité du XXIe siècle.

C'est au nom de ces principes humanistes que je combats les communautarismes et les intégrismes qui pourraient contraindre de plus en plus de jeunes filles à porter le foulard, voire le voile, dans l'école de la République, et qui prétendent les cantonner dans un rôle subalterne dans la famille et dans la société. Ces thèses sont dangereuses pour la démocratie, pour l'islam et les musulmans.

La laïcité, c'est la rencontre de l'autre, la liberté de conscience, la liberté de pensée, le refus de la pensée unique. C'est donc exactement le contraire de ce que recherchent les intégristes qui ne représentent ni les immigrés maghrébins, ni leurs enfants ou petits-enfants.

Ils ne sont donc qu'une minorité que ce projet et l'ambiance délétère qui accompagne son examen renforcent, malheureusement. Leur objectif est de braver la République, d'interdire, avec la complicité du Parlement, l'accès à l'enseignement public laïque à des milliers de jeunes filles, et de créer ainsi de nouvelles zones de non-droit sur le territoire national.

Comme l'a dit, il y a quelques jours, Malek Chebel, spécialiste reconnu du monde arabe et de l'islam, «l'ignorance est l'alliée des fondamentalistes. Le semblable est plus souvent violent que le dissemblable». J'invite la représentation nationale à entendre cette voix de la sagesse.

Au lieu de privilégier coûte que coûte la formation de personnalités libres et critiques dans l'école laïque, ce projet confine dans les ghettos une partie des élèves, à travers la série d'expulsions annoncée...

M. Guy Geoffroy - Mais non !

M. Frédéric Dutoit - ...la «déscolarisation» envisagée, la construction de nouvelles écoles confessionnelles ? J'ai d'ailleurs déjà un projet de ce type sur mon bureau de maire d'arrondissement.

Légiférer sur le port du foulard ou du voile à l'école ne réglera pas plus le problème auquel sont confrontées celles qui l'utilisent et celui des enseignants qui, même sous couvert de la loi, seront confrontés à des situations complexes.

L'interdiction systématique résonnera en écho au fondamentalisme qu'elle cherche à combattre. Elle suscitera de nouvelles provocations.

Légiférer vise donc davantage à dédouaner les responsables de la société et la nation qu'à conduire une réflexion citoyenne d'avenir. C'est le signe ostensible d'une France qui marche sur la tête (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

M. René-Paul Victoria - La laïcité est un principe juridique inscrit dans notre Constitution, mais surtout une éthique, une manière de vivre et de penser qui assure à tous le droit de pratiquer ou non sa religion dans le respect des lois françaises. Peut-elle s'accommoder du port de signes religieux à l'école ?

J'aurais aimé que jamais la représentation nationale n'ait à légiférer sur pareille question. Et j'aurais souhaité, en tant que représentant d'un département d'outre-mer, ne pas avoir à m'interroger sur l'opportunité de l'application d'une telle loi à La Réunion, terre profondément attachée à la République, fière et forte de sa diversité culturelle, issue de l'Europe, bien sûr, mais aussi de l'Afrique, de l'Inde et de l'Asie.

Certes, il aura fallu des décennies pour créer une telle convergence et oublier les douleurs et les fractures du passé. Le 20 décembre 1848 est doublement symbolique. Il a consacré un principe fondamental de la déclaration des droits de l'homme de 1789: «Tout homme naît libre..».. D'autre part, il a fait entrer la Réunion dans une dynamique interculturelle qui n'a plus cessé. C'est à partir de cet acte fondateur qu'a pu naître la société réunionnaise telle que nous la connaissons. L'abolition de l'esclavage portait en elle une avancée majeure sur le chemin de la liberté, de l'égalité et de la fraternité: la loi de départementalisation de 1946, attendue par les Réunionnais, de toute origine.

Cet héritage commun n'est autre que notre culture. Le génie de tous les Réunionnais, c'est d'avoir permis l'émergence de cette culture plurielle qui appartient à tous, sans que soit reniée l'identité de chacun.

M. Gérard Léonard - Très bien !

M. René-Paul Victoria - Dans les départements d'outre-mer, et en particulier à la Réunion, la France a réussi à marier sur un même sol des enfants aux visages indous, musulmans, européens, africains ou asiatiques. Ici, le minaret voisine avec le clocher de l'église, et le Koïlou tamoul ne dépare pas à côté d'une synagogue ou d'un temple bouddhiste. Tel est notre parcours initiatique de la tolérance, visité chaque jour par des milliers de nos compatriotes et d'autres touristes.

Dans la rue, chez nous, on peut croiser une procession chrétienne fervente, en même temps qu'un cavadee indien coloré et chatoyant. Dans les églises comme dans les temples, chacun pratique sa religion en toute liberté. Parfois, on va à l'église et au temple tamoul ou chinois. Dans les écoles, les regards des enfants reflètent la Chine, l'Afrique, l'Inde ou l'Europe. Dans ces établissements, jamais ne s'est posée la question du voile. Certaines jeunes filles en portent - personne n'en est choqué - mais la grande majorité ne le porte pas. Au fil des années, l'école publique et laïque a même pris l'habitude de tolérer les absences pour cause de fête religieuse: Ramadan, Eid-Ul-Fitr, Jour de l'An tamoul, Jour de l'An chinois, Vendredi saint... A la Réunion existe un groupe interreligieux, témoignage d'une cohabitation réussie, basée sur la réflexion, le dialogue et le respect mutuel.

Or, malgré sa diversité culturelle, la Réunion ne doit pas oublier l'impérieuse nécessité d'échanges avec d'autres cultures. C'est une urgence dans ce monde agité, où se conjuguent les ravages de l'intolérance et ceux de la course toujours plus effrénée aux profits. Contre ce mal du nouveau siècle, la Réunion doit faire entendre sa voix originale, afin de valoriser son exemple de métissage culturel et cultuel réussi.

Notre culture plurielle nous aide à vivre en citoyens français, et c'est parce que nous sommes Français, que nous avons la chance de donner une vraie dimension à notre culture originale. En un mot: nous sommes fiers d'être Français et heureux de vivre créoles. Je le dis avec fierté, la Réunion est le modèle le plus achevé au monde d'intégration d'hommes de couleurs, de cultures et de croyances différentes dans la République. Je propose ce modèle à la France de demain. Il peut enrichir la réflexion nationale, car ce qui est possible chez nous peut l'être également en métropole.

Je comprends qu'il importe d'affirmer notre principe de la laïcité, surtout dans un pays qui a connu les guerres de religion. La laïcité doit être défendue pour préserver la liberté religieuse et la paix entre les communautés. Mais je suis surpris par la vigueur du débat ouvert en métropole sur les problèmes du voile islamique et de l'intégration. La question de fond, souvent posée sur un ton passionné, voire polémique, est de savoir si la culture française a la capacité d'intégrer d'autres cultures qui ne soient pas marquées de l'empreinte judéo-chrétienne.

Pourquoi ces questions relatives au «communautarisme» tiennent-elles une si grande place dans la France métropolitaine aujourd'hui ? A mes yeux de «domien», ce questionnement est d'autant plus incongru que la France se veut la dépositaire de valeurs humanistes universelles, et le porte-parole privilégié des pays en voie de développement dans les instances communautaires ou internationales.

La France du XXIe siècle se sent-elle encore coupable d'avoir colonisé des peuples d'Afrique et d'Asie, ou de les avoir abandonnés ? Comment peut-elle se réconcilier avec ce chapitre si sombre de son histoire ? Sans doute en acceptant enfin ce que son génie a produit de meilleur, à partir de la pire des injustices que furent la colonisation et l'esclavage. Le meilleur, à la Réunion, c'est l'acceptation de la laïcité de l'Etat par l'ensemble des confessions. Cet exemple offre à la France, si elle s'en donne la peine, les moyens de forger un ciment laïque qui transcende les forces d'éclatement communautaires. Je rêve que chaque petit métropolitain puisse se plonger, au moins quelques jours, dans ce monde français interculturel et intercultuel qui porte au plus haut les valeurs des droits de l'homme, dans des espaces aussi variés que le bassin de la Caraïbe, le Pacifique ou l'Océan Indien...

La France métropolitaine doit inventer, elle aussi, son parcours initiatique de la tolérance. Elle en a la force, si la volonté politique est à la hauteur de l'enjeu. La France peut intégrer sereinement d'autres cultures sans y perdre son âge. Et ce n'est pas une vue de l'esprit.

L'Etat est le garant de la liberté d'expression, religieuse ou non. C'est ce qui fait que les soubresauts confessionnels qui agitent diverses parties du monde - musulmans et juifs au Moyen-Orient, musulmans et chrétiens en Europe, tamouls et musulmans en Asie du Sud-Est... - n'ont pas de prise sur la communauté réunionnaise, pourtant riche de toutes ces cultures. Si tel n'était pas le cas, depuis longtemps notre île serait à feu et à sang.

La loi de la République est évidemment valable outre-mer comme en Métropole. Nous avons combattu trop longtemps pour l'égalité législative, pour qu'il soit question d'y renoncer. Et la loi ne fera que protéger ce modèle que nous souhaitons partager avec la métropole. Car cette coexistence peut être menacée demain: nous devons prendre une assurance tous risques pour les générations à venir.

L'essentiel, toutefois, plus que la loi elle-même, sera l'état d'esprit qui présidera à son application: dialogue, compréhension, souplesse et intelligence. Evitons d'opposer la foi et la loi. Souhaitons que jamais, ni sur notre île, ni en métropole, il impose de recourir aux obligations de cette nouvelle loi ! Vœu irréaliste ? Mais les rêves nous aident souvent à faire progresser la société, à nous enrichir de nos différences pour faire vivre un idéal commun, en portant très haut, les couleurs de la France. Je pense, Monsieur le ministre, que c'est notre objectif commun (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Gérard Léonard - Très belle intervention !

Mme Conchita Lacuey - Ce projet de loi, ainsi que tous les débats, les commissions et les rapports qui l'ont précédé, trouvent leur origine dans le port du voile par des jeunes filles qui revendiquent leur religion dans l'enceinte de l'école. La question centrale que soulève le voile concerne l'égalité entre les sexes et les valeurs républicaines. La présence croissante dans l'espace public de jeunes filles voilées porte atteinte au respect de soi et entrave le droit effectif à l'égalité entre les sexes. N'oublions pas notre histoire, non plus que la signification du voile dans les pays extrémistes, et les combats que mènent les femmes et les hommes en Tunisie, en Algérie, au Maroc contre la charia et le code de la famille.

Le voile ne pose pas une simple question religieuse: c'est d'abord un instrument d'oppression, d'aliénation, de discrimination, un instrument de pouvoir des hommes sur les femmes.

Rappelons-nous également que beaucoup de musulmanes pratiquantes ne le portent pas.

Bien que minoritaire, ce comportement risque de devenir majoritaire dans certains établissements, créant ainsi une forte pression sur les élèves. Nous touchons là les limites de la liberté individuelle et de l'exercice de la liberté religieuse. C'est pourquoi le débat qui agite l'opinion depuis plusieurs mois entretient la confusion, faute de savoir hiérarchiser les problèmes et les valeurs en jeu. La question du voile est noyée dans celles, plus complexes, de la laïcité, de la religion et de l'intégration. Ln observe un détournement du langage: le voile islamique n'est pas un foulard, ou un bandana, et ne peut se comparer à la pilosité ou à la kippa.

La vraie question est de savoir si les signes religieux à l'école sont compatibles avec nos principes constitutionnels. Quels sont les principes constitutionnels concernés ?

C'est d'abord le principe de la laïcité de l'Etat, qui est à la fois un principe politique et une règle juridique. Dans l'enseignement public, la liberté de conscience et d'expression est à la base de la construction de l'enfant. Même dans le cas où de très jeunes filles auraient choisi librement de porter le voile, hors de toute pression, l'école doit rester un lieu neutre, protégé de toute manifestation religieuse ou politique.

D'autre part, l'égalité des sexes, inscrite dans nos textes constitutionnels, est un autre principe de même valeur, qu'il convient de défendre avec force. Le port du voile porte atteinte au principe de l'égalité entre hommes et femmes, et il est, à ce titre, anticonstitutionnel. Affirmer des valeurs républicaines n'est pas un acte d'exclusion ou de rejet. La pratique de la religion est un acte intime, qui ne doit s'afficher que sur les lieux de culte.

Ce que nul ne peut discuter, c'est que la France soit une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Si la séparation de l'Église et de l'Etat ne s'est pas faite sans douleur, la laïcité est devenue, depuis 1905, une valeur qui rassemble l'ensemble des citoyens. D'autres pays ont suivi cette évolution, comme l'Espagne qui, au début des années 1980, a renégocié son concordat avec Rome et dissocié les lois de la société civile, des normes religieuses. Au sein de l'Union européenne, en vertu de l'article 51 du projet de constitution, les relations Eglise-Etat relèvent de la responsabilité de chaque Etat. La France doit affirmer sa spécificité.

Le principe d'égalité entre les sexes est le modèle qui organise notre société et c'est lui qui offre la meilleure protection des minorités, puisqu'il garantit à tous, les mêmes droits et les mêmes devoirs. Laïcité, égalité et dignité des femmes sont ainsi les fondements majeurs de la cohésion sociale. On ne peut tolérer que les luttes menées par notre pays à la fin du XIXe siècle pour séparer l'Eglise et l'Etat, et plus récemment, les combats féministes des années 1970 soient remis en cause au sein de notre République.

Le voile, pour une femme musulmane, ce n'est pas seulement afficher une croyance religieuse. Dissimuler sa chevelure, c'est renoncer à une part de sa féminité et de son identité. S'exprimant récemment à ce sujet, le poète arabe Adonis nous alerte: «Voiler les femmes, c'est voiler la vie».

Notre République s'inscrit dans une tradition de lutte pour l'égalité et contre le racisme. Je sais que les enseignants donneront la priorité au dialogue avant toute décision d'exclusion.

Toutes les questions qui sortent du champ du statut du droit des femmes, sont de natures différentes et ne servent qu'à alimenter la confusion. Aucune loi n'interdit à une femme dans notre pays de circuler dans la rue voilée ou peu vêtue. C'est sa liberté absolue d'apparaître comme elle le souhaite. Mais quand cette apparence devient un symbole politique, quand elle est assimilée à une identité de repli, impliquant la soumission de la femme, c'est la liberté de la République qui est menacée et nous ne pouvons le tolérer.

Le principe d'égalité est le principe fondateur de tous les autres - liberté religieuse, liberté de conscience. La France est un Etat de droit où la loi protège le plus faible contre les excès du plus fort. Pour insuffisante et imparfaite qu'elle soit, la présente loi est donc nécessaire. Regrettons cependant qu'elle reste très en deçà des préconisations de la commission Stasi.

Si je considère que l'interdiction du voile est un préalable au processus d'intégration, elle ne résout en rien de difficultés d'intégration sociale et professionnelle, lesquelles doivent faire l'objet d'une réflexion approfondie et sereine.

Pour engager ce vaste débat sur la laïcité, il fallait donner un coup d'arrêt à l'islam intégriste. Il nous revient à présent de promouvoir les valeurs du mieux vivre ensemble et de garantir à tous les citoyens l'égalité des chances qui leur est due (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Lionnel Luca - Le texte qui nous est soumis doit permettre aux professeurs et aux chefs d'établissement, en première ligne sur ces questions, d'exercer leur mission en toute sérénité en se fondant sur une règle enfin précisée. Ce sont du reste ceux qui, très majoritairement, ont amendé la promulgation d'une loi leur permettant d'appliquer le principe de laïcité.

Dans le passé, il n'avait jamais fait de doute que les élèves ne devaient pas se présenter en cours dans une tenue témoignant de leur appartenance religieuse. Las, les choses ont changé au cours des dernières années et, même si les cas posant problème sont restés marginaux, la résonance médiatique qui leur a été donnée a conduit au débat national qui se poursuit aujourd'hui.

Il est du reste permis de s'interroger sur le point de savoir si cette provocation délibérée de certains groupuscules intégristes n'a pas pleinement atteint sont but, en focalisant le débat sur l'appartenance religieuse et en leur faisant une publicité qui vaut presque reconnaissance.

Inversement, on se réjouira d'avoir ainsi débusqué ceux qui, à couvert depuis des années, attisaient la braise. Désormais, nul ne peut plus feindre d'ignorer la réalité d'un mal dont le voile n'est que la partie la plus visible. Au-delà de l'habit religieux - et je note que les personnes auditionnées dans le cadre de la mission Debré ont confirmé que le Coran ne faisait aucune obligation de porter le voile -, c'est la question de la place de la femme dans notre société qui est posée. C'est l'égalité entre filles et garçons devant le savoir qui est insidieusement mise en cause, au profit d'une vision archaïque et presque médiévale. Où mieux qu'à l'école peut-on se former au respect de l'autre et des grands principes tels que l'égalité des sexes ? Dans son grand discours du 17 décembre, le Président de la République n'a-t-il pas réaffirmé que l'école est un «sanctuaire républicain» qu'il importe de défendre ? Nous nous y employons aujourd'hui.

Peu enclin au départ à ce qu'une loi se substitue à ce qu'une simple circulaire et un règlement intérieur auraient très bien pu rappeler, l'ampleur du débat m'a finalement persuadé qu'une loi simple et claire devait rappeler les exigences de la République et adresser un signal à tous ceux qui pourraient être tentés de bafouer nos valeurs.

A l'évidence, ce texte ne concerne nullement la sphère privée et personne ne songe à priver quiconque du droit de vivre sa foi comme il l'entend dans sa vie personnelle. Les manipulations des groupuscules intégristes à ce sujet ne doivent berner personne.

Il reste donc à souhaiter que cette loi permette de clarifier durablement une situation devenue bien confuse, qu'elle apaise les chefs d'établissement et les enseignants - qui l'ont attendue en vain de la gauche ! -, les croyants eux-mêmes et l'ensemble de nos concitoyens.

Quant à ceux qui se sentiraient exclus parce que minoritaires et incapables d'imposer leur vues à la majorité dans une démocratie comme la nôtre, terre de liberté où chacun est le bienvenu, rien ne les empêche d'aller faire du prosélytisme dans les territoires où ils sont majoritaires et où nous nous efforçons, lorsque nous y résidons, de respecter leurs coutumes et leurs traditions (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Michel Vaxès - «La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale». C'est ce qu'affirme l'article premier de notre Constitution et personne, ici, ne songerait à contester un seul de ces principes. Inspiré de l'article premier de la Constitution du 27 octobre 1946, cet article n'incluait pas à l'origine le mot laïque et c'est par voie d'amendement qu'il est venu s'y insérer. C'est non sans fierté que je tiens à rappeler aujourd'hui qu'il s'agissait d'un amendement communiste. Fidèle à l'héritage transmis par son défenseur, Etienne Fajon, je tenais à affirmer plus d'un demi-siècle plus tard notre attachement indéfectible au principe de laïcité.

M. Gérard Léonard - Alors,il faut assumer !

M. Michel Vaxès - Ce préalable est d'autant plus indispensable que ce projet de loi se veut relatif à «l'application du principe de laïcité», alors que ma conviction intime est qu'il n'est pas d'inspiration laïque. Qu'est-ce que la laïcité ? Emile Poulat la présente comme une refondation de la société par la reconnaissance à tous du droit à la liberté publique de la conscience. Comme la République, l'école laïque affirmera donc toujours mieux ce droit en déployant sa capacité à accueillir la diversité et à cultiver la tolérance.

Cela exige que nul ne puisse refuser à l'autre le droit d'être différent, et la nécessité pour tous de se conformer aux lois que la République se donne démocratiquement. Mais cela implique aussi que la République traite à égalité de droits et de devoirs, chacune et chacun de ses concitoyens. C'est d'ailleurs pourquoi la laïcité ne peut s'accommoder de prosélytisme. Il lui revient par contre d'encourager le débat démocratique.

C'est la reconnaissance de ce principe qui permet à la diversité des opinions de cheminer en quête d'une meilleure compréhension du monde, de la société des hommes, et des rapports qu'il leur est nécessaire de transformer pour garantir à chacun l'épanouissement. L'accueil de l'autre, le respect mutuel, le partage, sont les conditions essentielles d'une laïcité épanouie. Mais il faut impérativement pour cela que chacun ait le sentiment de compter et que personne ne soit mis au ban de la société.

C'est pourquoi, l'exclusion, les inégalités, les discriminations, l'injustice sociale, l'intolérance et toutes les formes de domination sont les vrais ennemis de la laïcité. Comment nous proposez-vous de les combattre ? En interdisant «le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifesteraient ostensiblement une appartenance religieuse». Au regard des exigences d'une laïcité épanouie, cette réponse ne paraît pas seulement inadaptée: elle est aussi contre-productive.

Pire, au moment où le monde médiatique agite foulard, croix et kippa comme autant de signes que l'école ne saurait voir, les inégalités s'accroissent continûment dans nos écoles et dans nos quartiers. Au fond, tout se passe comme si le Gouvernement ouvrait un front de diversion pour tenter de dissimuler une offensive antisociale sans précédent dans l'histoire des soixante dernières années. Comme s'il voulait détourner le regard du peuple de France des questions essentielles, pour l'empêcher de mener à bien son combat contre l'entreprise de démolition des acquis les plus marquants de ses luttes passées.

Pour combattre le mal, il faut en éradiquer la cause, ce qui ne nous dispense pas d'en apaiser les effets.

C'est pourtant le contraire que votre projet de loi nous propose !

Oui, il faut combattre l'intégrisme, religieux, comme politique, mais il faut combattre tout autant l'intégrisme économique et ses conséquences sociales, parce que cet intégrisme-là est la source de toutes les formes de domination et d'exploitation, y compris celle des femmes.

Oui, il faut combattre l'intégrisme et le prosélytisme, mais ne perdons pas de vue que l'un et l'autre se nourrissent des injustices, des discriminations, des exclusions, des inégalités. Voilà le mal qu'il faut éradiquer.

En quoi cette loi nous serait-elle utile ?

Certains diront que ce n'est pas là son objet, mais c'est bien pourquoi cette réponse me paraît dérisoire au regard des enjeux de la laïcité.

Oui, il faut combattre le prosélytisme mais les signes d'appartenance sont-ils réellement menaçants ?

S'il s'agissait seulement d'interdire le prosélytisme à l'école, il y avait bien d'autres moyens d'y parvenir. Pour l'essentiel, ils existent déjà, et résident dans les devoirs de l'écolier, du collégien, du lycéen, comme l'obligation d'assiduité.

Parce que je fais confiance à notre école et à ses valeurs, je la crois capable de transmettre une culture commune permettant à chacun d'adopter le libre examen comme méthode de pensée et d'action, d'obtenir de chacun le respect de règles communes.

Au lieu de cela, par l'interdit et l'exclusion, vous précipitez dans les bras de quelques fondamentalistes des jeunes qui ne recherchent rien d'autre qu'une identité et une reconnaissance que leur République leur a jusqu'ici refusé.

Croit-on sérieusement que l'exclusion de jeunes filles portant le foulard, leur maintien au domicile familial, l'errance dans leur cité dégradée ou leur scolarisation dans une école coranique aidera à leur émancipation ?

Croit-on qu'une mesure d'autorité leur permettra de résister aux pressions de leur entourage ?

Croit-on que dans le domaine des convictions quiconque puisse se libérer autrement que par la force de sa propre conscience ?

Forte du soutien de la nation, ces jeunes filles pourraient d'elles-mêmes retirer leur voile, enfin perçu pour ce qu'il est, le symbole de la soumission.

Monsieur le ministre, plus l'objectif est juste et moins il doit y avoir de honte à reconnaître que l'on s'est trompé de route. Mais le pouvez-vous encore quand c'est toute votre politique qui se trompe de sens ?

Je voterai contre ce texte parce que j'ai la conviction que sans rien renier de leur culture ou de leurs convictions, les citoyennes et les citoyens de ce pays ont la capacité d'élever leur conscience pour adhérer à une idée de la nation qui sait résister à toutes les pressions: la laïcité.

M. Henri Nayrou - La Constitution est la loi fondamentale de la nation, qui dispose, en son article premier, que «la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale».

Le dictionnaire Larousse définit la laïcité comme le système qui exclut les églises de l'exercice du pouvoir politique ou administratif.

En fait, l'enseignement public est neutre en matière de religion, de philosophie et de politique, mais les libertés de conscience et de croyance sont garanties.

Partant, la dénomination «Loi sur la laïcité» n'est-elle pas maladroite ? Ne s'agirait-il pas plutôt du rappel de la neutralité nécessaire au bon fonctionnement de notre société ?

Les signes extérieurs auxquels se réfère le projet de loi recouvrent deux réalités différentes. La première concerne des personnes soucieuses de leur originalité, qui refusent certaines formes d'intégration sociale. La seconde renvoie au principe d'égalité des hommes et des femmes. À cet égard, il est fondamental de rappeler les principes constitutionnels et d'assurer, par la loi, la neutralité des services publics en général, et de l'enseignement en particulier, en interdisant tous les signes visibles d'appartenance à un groupe.

Paradoxalement notre débat est aujourd'hui critiquée par des personnalités du monde occidental, notamment au Royaume-Uni ou aux Etats-Unis.

Les efforts de la communauté éducative en matière de signes religieux étant restés vains, une loi était-elle pour autant nécessaire ? Le temps nous le dira.

Il reste que la laïcité ne se réduit pas à une interdiction. Elle est l'affirmation de la plus grande des libertés, celle qui garantit la liberté de conscience. Il est nécessaire d'inscrire dans la loi, de manière symbolique, la nécessité de la pédagogie et du dialogue pour expliquer aux élèves ce qu'est la laïcité. Or, le projet réduit la laïcité à une simple interdiction. Aussi avons-nous déposé un amendement qui restaure le temps du dialogue.

La loi doit être claire et précise. La moindre marge d'interprétation sera un prétexte à des dérives procédurières dangereuses pour la paix sociale.

Permettez-moi d'achever mon propos en citant un poème envoyé par le maire d'un petit village des Pyrénées ariégeoises: «Place dans ton cœur ta croix, ton voile, ta kippa. Marche vers ton école et dans son encrier trempe ta belle plume. Sur le grand livre, fais-la tourner, fais-la danser, fais-la chanter. Regarde, elle a déjà écrit: Laïcité».

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance qui aura lieu cet après-midi, mercredi 4 février, à 15 heures.

La séance est levée à 3 heures.


Le Directeur du service
des comptes rendus analytiques,

François GEORGE
ORDRE DU JOUR DU MERCREDI 4 FÉVRIER 2004

A QUINZE HEURES: 1ère SÉANCE PUBLIQUE

1. Questions au Gouvernement.

2. Suite de la discussion du projet de loi (n° 1378) relatif à l'application du principe de laïcité dans les écoles, collèges et lycées publics.

M. Pascal CLÉMENT, rapporteur au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
(Rapport n° 1381.)

M. Jean-Michel DUBERNARD, rapporteur pour avis au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.
(Avis n° 1382.)

A VINGT ET UNE HEURES TRENTE: 2ème SÉANCE PUBLIQUE
Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne trois heures après la fin de séance.

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.
www.assemblee-nationale.fr


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