LE MONDE | 07.05.03 | 13h05
MIS A JOUR LE 07.05.03 | 15h53
Les militants aux urnes : de Lille à Marseille, voyage dans les sections PS
Comment les militants socialistes ont-ils voté? Dans quelle ambiance? Et pour qui? Enquête sur dix journées pas comme les autres au sein des sections du PS.
BESANÇON, LE 29 AVRIL
"La cuisine électorale" L'isoloir est dans la cuisine. Bulletins et enveloppes sont posés près du micro-ondes et du réfrigérateur. "La cuisine électorale", s'amuse un militant. Le bureau de vote de la section de Besançon (Doubs), 259 électeurs inscrits, est présidé par son secrétaire, Bruno Medjaldi - favorable à François Hollande. Il est entouré de deux représentants des motions NPS et Nouveau Monde. "L'enjeu est important, mais ce n'est pas la guerre, explique M.Medjaldi. C'est comme pour les scènes de ménage : on s'engueule mais on reste ensemble… pour les enfants." Sur le trottoir, de petits groupes se forment. La police municipale écume la rue voisine, distribuant les PV aux voitures de militants mal garées. Le stationnement est payant jusqu'à 19 heures, et que le maire soit socialiste n'y change rien : il n'est que 18 h48. Ancienne adhérente de la section, Suzanne Florel, "née en 14" et surnommée "la Blumette" n'a jamais failli au PS. Les jeunes eux, ne font que passer. "Ce soir, dit l'un d'eux, on a organisé une réunion entre jeunes du MJS, des Verts et du PC pour débattre du 21 avril et de ses conséquences." Le maire, Jean-Louis Fousseret, arrive à son tour, serre les mains des hommes, embrasse les femmes, engloutit une part de pizza, débat avec les uns et les autres, reprend de la pizza, s'en va, discute sur le trottoir, revient, et disparaît… en oubliant de voter!
MARSEILLE, LE 29 AVRIL
Les consignesde Tony Tony Lorenzi, secrétaire de la section, petit homme à voix grave et au crâne dégarni, connaît son monde. Par exemple, ces quatre petites dames assises, dans le centre culturel de la Rose, là où la très populaire 13 e section a organisé le scrutin. Elles parlent du prochain voyage en Corse, du thé dansant, de leurs enfants et petits-enfants. Elles ne disent pas pour qui elles ont voté, mais on comprend qu'elles ont écouté Tony. Lui, qui dit être "un homme de terrain, pas un intellectuel", explique son vote pour la motion Hollande : "Il faut un parti fort." Après quatre heures d'attente, l'heure du dépouillement arrive : 255 votants, un bulletin nul, 2 voix pour NPS, 23 pour Nouveau Monde et 229 pour Hollande - soit 89%. Le résultat n'étonne personne : tous les élus de Marseille se sont engagés derrière le premier secrétaire. La motion Hollande a aussi séduit de nouveaux militants. Un jeune informaticien antillais, adhérent de l'après 21-avril, témoigne : "Je ne veux pas que le PS vire complètement à gauche. Les jeunes sont dans le monde. On ne peut pas penser comme il y a vingtans." L'éclatement de la gauche locale a fait le reste. Georges, par exemple, dit qu'il a voté Hollande "sans conviction", bien qu'il rêve d'un "nouvel Epinay". Horizon lointain : "Il faudra encore beaucoup de défaites." Il hésite et ajoute : "Mais alors ce serait très, très, très difficile à vivre."
LENS, LE 29 AVRIL
"Ils veulent tous être chefs" Cohabitation, le retour. La salle municipale Jean-Nohain où se tient le scrutin est aussi celle où Jean-Paul Delevoye a installé les instances régionales de l'UMP. "On prête la salle à toutes les formations politiques", explique le maire (PS), Guy Delcourt. C'est encore la municipalité qui a prêté les quatre isoloirs et l'urne. Le bureau est resté ouvert toute la journée pour permettre aux militants de venir voter avant, pendant ou après le travail. Mais les militants ne se bousculent pas. "Quand on a l'opportunité de s'exprimer, il faut la saisir", explique Céline, une jeune militante convaincue. D'autres, comme Charles, ex-mineur de fond et syndicaliste, sont déroutés par le nombre de motions : "On devrait tous être d'accord, pour moi, ce sont des ‘‘cacheux de places'', comme on dit en patois… ils veulent tous être chefs!" La motion Hollande l'emporte nettement. "Ce n'est pas un blanc-seing, nuance M.Cecak, le secrétaire de section. Il doit compter avec l'avis de la base!"
MASSY, LE 29 AVRIL
La colère de "Juju" "E ; E ; E…" : vers 22 heures, à l'heure du dépouillement, le secrétaire de section de Massy, fief de Jean-Luc Mélenchon, fait sourire ses camarades en répétant la lettre qui désigne la motion Emmanuelli-Mélenchon. Sans surprise, Nouveau Monde fait un carton dans cette section où l'ex-Gauche socialiste avait recueilli 85% des voix au congrès de Grenoble, en 1998. Il y a bien un isoloir au fond de la salle, mais presque personne ne l'utilise.On coche le "E" et on plonge l'enveloppe dans l'urne. "C'est pas très démocratique, mais bon… Demain, il faudra bien qu'on travaille tous ensemble", relativise le "Hollandais" de service, Pierre-Henri Lienemann, frère de Marie-Noëlle. "Si je fais six voix, c'est bien!", dit-il, bon perdant.
Changement de ton à la "fédé" d'Évry, une heure plus tard : au niveau départemental, c'est ici que se joue le match entre Julien Dray et son ex-compère Jean-Luc Mélenchon. Vers 23 heures, on chuchote que la motion A (Hollande) est majoritaire. Quelques minutes plus tard, on ne sait plus. Entre-temps, d'autres résultats sont tombés. Un contentieux à Grigny, sur les terres de "Juju", empêche de donner les résultats définitifs. Il sera tranché au congrès. Mais Julien Dray veut s'affirmer en nouveau patron. "C'est ma section! lance-t-il, rageur. Ça fait un an qu'on me traite comme un chien, ici!" Et d'ajouter, en aparté : "C'est sûr, il y a eu manip…"
LIBOURNE, LE 30 AVRIL
Le caniche et la rose. Ici, on ne fait pas de manières : une table en formica, dans un angle de la pièce, fait office d'isoloir. Pas de rideau, juste un stylo noir et un document du PS détaillant le contenu des motions. Le maire de la commune, Gilbert Mitterrand, est l'un des premiers votants. Il dit avoir voté pour la motion Hollande "sans enchantement". Son refus de signer l'un des cinq textes en concurrence a déboussolé des militants. Catherine, l'une des 35 adhérents du 21 avril, a envisagé de voter pour Nouveau Monde. "Mais il faut un leader, dit-elle, et tous ces responsables de mouvements vont bien finir par s'entendre." Françoise, 70 ans, admiratrice de François Mitterrand, n'a pas hésité : quand elle est arrivée, vers 21 h30, à la Bourse du travail, tenant son caniche d'une main et de l'autre une rose fraîchement coupée, elle a tout de suite choisi la motion Emmanuelli : "Qu'il y ait une ou cinq motions, ça ne change rien pour moi, lâche cette petite femme alerte. Je pense que le parti doit représenter le peuple et qu'il devrait être plus à gauche."
LOUHANS, LE 5 MAI
Montebourg, bien sûr ! A 18 heures, au siège du PS local, on se salue, on évoque la retraite, le match de foot du petit dernier. Rémi Chaintron, secrétaire de la section et conseiller général du cru, entonne le rituel "A voté!". On l'apostrophe : "Rémi, où est la motion d'Arnaud?" Arnaud qui? Un quadragénaire imposant trouve la question saugrenue : "On s'est assez battus pour le faire élire, alors on vote pour Montebourg!" A 18 h35, le député arrive enfin. Son pronostic au niveau national : 18% pour la motion de NPS. Un peu après lui, la moitié des militants a déjà voté. Rémi Chaintron rêve d'un score "soviétique" à Louhans : pourquoi pas 100% pour Montebourg? Son rêve est manqué, mais de peu : sur 51 votants, 48 ont choisi NPS.
LILLE, LE 5 MAI
Dolez extrapole La section dite "du centre" fait les choses sérieusement. A 17 heures, tout est en place au deuxième étage de la petite mairie de quartier. Sur la table d'émargement traîne un exemplaire jauni de Ma part de vérité, de François Mitterrand, en édition de poche. Pierre Mauroy et Martine Aubry, tous deux inscrits ici, se font attendre. Marc Dolez, le premier secrétaire rebelle de la fédération du Nord, compte peu de partisans affichés. "Pourquoi Marc a-t-il fait cela? Ça diminue l'unité du parti", déplore Charles, 83 ans, ancien comptable. Martine Aubry arrive, fait la bise à tout le monde et se réjouit : "On disait que je serais minoritaire à Lille ; ce ne sera pas le cas." Mais la motion Dolez pourrait bien arriver en tête dans le département. "Mais il ne fera pas 50%, c'est bien ça qui le rend fou", glisse-t-elle. Mais elle ne veut insulter ni l'avenir ni l'adversaire : "Marc est un copain, assure-t-elle. Il a très bien fait bouger la fédération et nos lignes politiques ne sont pas fondamentalement différentes." Pierre Mauroy se montre plus abrupt : "C'est Dolez qui a créé la division ; c'est à lui de parler. Il a simplement à dire : "Je veux une synthèse"." A 23 heures, ni Mme Aubry ni M.Mauroy ne sont là quand les résultats tombent. La motion Hollande est largement en tête à Lille-centre, avec près de 70% des voix, mais 20% se sont portées sur Marc Dolez. "Dans cette section, c'est un petit séisme", affirme Jean-Louis, qui se revendique haut et fort de la motion Montebourg-Peillon et qui envisage déjà une alliance avec le premier fédéral. Ce dernier est enfermé, depuis le début de soirée, à quelques centaines de mètres de là, au siège du PS nordiste. "C'est historique : la motion Hollande est défaite dans le Nord", assure-t-il promptement, en extrapolant les résultats à venir -et en annonçant qu'il sera à nouveau candidat pour diriger la fédération.
PARIS, LE 6 MAI
Les internautes votent en vrai. La bouteille de Pauillac 1980 est presque vide, mais les militants de la section des internautes, "Temps réels", continuent de discuter dans le salon. Certains se rencontrent pour la première fois en chair et en os. D'habitude, ils devisent par mails. Ingénieurs, webmasters, journalistes du net… une trentaine d'adhérents (sur 59 inscrits) sont venus voter dans l'appartement d'une prof d'informatique, rue de Turenne, dans le quartier du Marais. Parquet, moulures, tableaux abstraits sur les murs. Grâce à l'outil informatique, le secrétaire de section a calculé que le mot "internet" apparaissait 19 fois au total dans les cinq motions -contre 15 occurrences pour le terme "ouvrier". "Je ne sais pas quoi voter", avoue ce consultant, qui avait animé des sites satiriques sur Jacques Chirac, en 2002, comme "Chiracvoyages". Il finit par glisser son bulletin dans la boîte noire, posée sur le guéridon. François Hollande sort vainqueur avec 14 voix -sur 28 exprimées- devant NPS (10), Utopia (3) et Marc Dolez (1) ; Nouveau Monde n'obtient aucun suffrage.
VILLEURBANNE, LE 6 MAI
"Une case et une seule" Reine, ouvrière à la retraite, vingt ans au PS, a pris son poste à 18 heures derrière l'urne transparente où les enveloppes orange siglées "République française" -un prêt de la mairie- vont tomber une à une. Dans la salle des fêtes du centre culturel, la plus grosse section du Rhône (535 adhérents) vote. Dans une atmosphère cordiale mais concentrée, chacun veille. Le maire, Jean-Paul Bret, ancien adjoint de Charles Hernu accueille les militants un peu comme ses invités. Il explique aux perplexes qu'il faut cocher "une case et une seule". Ici, explique un homme âgé, "on vote d'abord pour le maire, pour les gens qu'on connaît". Sont affichés bien en vue, au-dessus de la pile d'enveloppes et de bulletins, la liste des candidats au bureau de la section pour chacune des motions. Le représentant de Nouveau Monde -qui n'obtiendra que 4 voix-, Manan Atchkzaï, Afghan d'origine, français depuis 1994 et chef d'entreprise, s'assume "ultraminoritaire". Le jeune représentant d'Utopia lui, veut curieusement rester anonyme.
C'est entre la motion Hollande et NPS que se joue le scrutin. Avec une particularité : si le maire soutient la direction sortante, le secrétaire de la section, Lilian Zanchi, son adjoint à la mairie, a "signé pour Montebourg", entraînant derrière lui 9 des 17 membres du bureau. Du jamais vu à Villeurbanne. Avant le congrès de Grenoble, en novembre 2000, la motion Hollande avait recueilli 82%. "Quoi qu'il advienne, prédit un militant, ça va tanguer dans la section." A 22 heures, on dépouille. La motion Hollande obtient 65% ; NPS, 32%. "C'est bien", déclare le maire. "C'est mieux que ce qu'on espérait", juge le secrétaire de section.
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