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LE débat bioéthique n'est pas une affaire de spécialistes ! Le problème ne réside pas
dans la scientificité des questions, comme on voudrait trop souvent le faire croire, mais dans
leurs implications philosophiques, ou, plus simplement, humaines. Toutes les questions tournent
en effet autour de la vie même: de la naissance et de la mort.
Aux deux bouts de la vie, les choix sont dictés par des volontés qui ressortissent à trois
ordres: scientifique, médical, économique.
Ces trois instances ne peuvent évidemment, à elles seules, dicter les décisions qui les
dépassent: là où le biologiste veut aller de l'avant en imitant son confrère astronome, la
conscience se révolte. Le médecin, face à une demande d'avortement ou d'euthanasie, n'est pas
suffisamment "outillé" pour répondre avec pertinence: ce qu'il peut techniquement faire,
a-t-il le droit de l'accorder ou de le refuser ? Sur ce point, le serment d'Hippocrate est
plus sévère que toutes nos législations actuelles. Mais la juridicisation de la société met
les médecins mal à l'aise et peut les pousser à se protéger de façon excessive.
Quant à la sphère économique, elle ne peut être d'aucune aide, bien au contraire, car la
recherche du profit maximal combinée avec la loi du marché et régulée par elle ne peut être
ici d'aucun secours.
C'est donc l'éthique, baptisée dans ce cas bioéthique, qui doit orienter les choix et fixer
des normes à ce qui est acceptable. Quand l'éthique propose des points de repère, elle apparaît
froide et inhumaine, peu soucieuse des situations particulières. Mais le souci de compassion,
absolument nécessaire dans l'application des règles, ne doit pas dispenser de leur énonciation.
D'ailleurs, les experts du Comité consultatif national d'éthique ne peuvent se substituer au
politique. C'est à lui qu'il appartient de fixer, par la loi, les normes qu'une culture se donne
en ces matières. Sans oublier qu'en dernier ressort la conscience reste souveraine, car, sur ces
débats incertains où la ligne de démarcation est floue, la loi admet l'objection de conscience,
comme elle le fait pour les soldats, les journalistes, etc. Le Comité consultatif national
d'éthique s'est donné, presque dès sa création (1983), en France, deux critères essentiels pour
arriver à un consensus. Le premier, sur lequel personne n'est jamais revenu, repose sur la
non-commercialisation du corps humain ou de ses produits (organes, sang, etc.). Le second fait
référence à la philosophie kantienne: agis de telle sorte de prendre toujours l'être humain
comme une fin, jamais comme un moyen.
Si le premier principe est assez bien respecté en France, le second a toujours fait l'objet
d'un débat passionné, non dénué d'arrière-pensées défensives ou utilitaristes: à partir de quel
moment un embryon devient-il une personne ? Sous-entendu: jusqu'à quel moment pouvons-nous
"l'éliminer" ou "l'utiliser", et à partir de quel moment mérite-t-il le respect dû
à une personne humaine "à part entière" ? La question est, en son principe, piégée.
Quoi qu'il en soit, personne jusqu'ici n'est parvenu à trancher le débat de façon convaincante
et consensuelle.
Le Comité d'éthique a défini l'embryon comme "personne humaine potentielle" dès sa
conception. On devine l'embarras derrière la formule: personne humaine, certes - la dignité due
à tout être humain de sa conception à sa mort est ici fortement reconnue -, mais potentielle
néanmoins, ce qui laisse la porte ouverte à cette idée selon laquelle la potentialité pourrait
admettre des "seuils", qui rendraient les interventions de plus en plus acceptables moralement
au fur et à mesure qu'elles se rapprocheraient du moment de la conception.
Sur ce point, il faut choisir son camp: celui de la potentialité ou celui de la personne.
Le magistère de l'Eglise, les catholiques et bon nombre de croyants ont choisi cette seconde
perspective. Et si certains parmi eux admettent l'avortement, thérapeutique ou non, c'est
toujours comme un moindre mal au sein d'un conflit de devoirs. Jamais comme un droit.
Quant au clonage, thérapeutique ou non, il contredit les deux critères de la bioéthique. Tout
d'abord, il contrevient à l'idée qui consiste à prendre tout être non comme un moyen, mais comme
une fin. Ensuite, il implique l'idée qu'un embryon, dans la mesure où il est obtenu
artificiellement, n'a pas un statut de personne, potentielle ou non.
Mais surtout - c'est peut-être ce qui crée aujourd'hui les réactions les plus vives - il
confère à l'homme un pouvoir exorbitant: celui de pouvoir se reproduire "à l'identique", ce qui
est contraire au principe fondamental de l'humain qui veut que chaque être soit singulier et, en
cela justement, digne de respect. Dans la même ligne de raisonnement, le clonage est une
reproduction non sexuée; en ce sens, il efface une dimension fondamentale dans le processus de la
reproduction: l'altérité sexuelle, source et symbole de toute altérité et de toute différence.
Toutes les questions relatives au diagnostic préimplantatoire ou à la thérapie génique doivent
être replacées dans ce contexte.
D'autres voies restent cependant ouvertes: tout d'abord la recherche sur les cellules souches
adultes "pluripotentes", très prometteuse, et qui ne pose aucun des problèmes relatifs au clonage,
mais aussi celle qui concerne les embryons "surnuméraires" qui, sans projet parental, semblent
promis à la mort ou, ce qui y ressemble fort, à une congélation indéfinie. Il faudrait cependant,
en ce cas, un encadrement légal très strict qui prendrait notamment acte du fait que c'est
seulement une carence dans la technique des procréations médicalement assistées qui produit
momentanément cette situation anormale.
Reste l'autre bout de la vie: la mort. Ici, nous avons trois termes que l'on accole souvent mais
qui doivent être radicalement dissociés: euthanasie, acharnement thérapeutique, soins palliatifs.
La question du refus de l'acharnement thérapeutique et celle du choix des soins palliatifs est
globalement la même: comment éviter la souffrance en fin de vie ? Comment accompagner, de
façon la moins douloureuse, la plus humaine possible, une vie qui s'achève ? Le consensus est
axé sur cette position humaniste et humanisante qui réfléchit au cas par cas et associe tout
l'entourage familial ou soignant du malade.
Par contre, les oppositions se radicalisent à propos de l'euthanasie, qui implique un
changement fondamental de la norme sociale, sanctionné par la loi comme un véritable choix de
société. Ceux qui revendiquent en effet le "droit de mourir dans la dignité" ne souhaitent
pas seulement pour eux, au cas par cas, l'accompagnement le plus approprié et le plus humain
possible. Ils souhaitent - ils le disent et le proclament eux-mêmes - un droit. Ce droit de vie
et de mort sur soi, droit au suicide assisté, ne peut être inscrit dans aucune loi.
Les chrétiens, dans ce débat, ont longtemps été vus comme se situant du côté du courant
vitaliste (qui défendrait "la vie" à tout prix et qu'il est assez facile de disqualifier). En
réalité, il n'en est rien. Le courant chrétien, s'il adopte parfois (malheureusement) des arguments
"vitalistes", est d'inspiration essentiellement personnaliste. C'est à ce niveau que les
chrétiens doivent sans cesse resituer les questions: telle technique, tel progrès scientifique
nous promeut-il en tant que personne et nous rend-il, chacun et tous ensemble, plus hommes ?
Ce qui se joue au début et à la fin de la vie humaine concerne en réalité la dignité de chaque
être humain. Parce que toute personne doit être infiniment respectée, nous ne pouvons admettre que
quiconque s'arroge le droit de fixer arbitrairement les bornes en deçà desquelles la vie humaine
n'aurait plus à être respectée. Et parce que toute personne a droit à un infini respect, nous
pensons que doit s'exercer envers chacun un devoir de compassion sans bornes qui peut parfois
conduire jusqu'à la transgression.
Paradoxe ? Sans doute. Mais c'est la grandeur et le tragique de la vie humaine qui sont
ici en jeu.
Le groupe paroles est constitué de seize personnalités catholiques, de générations, de
sensibilités et d'expériences différentes.
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CERTAINS, dont je suis, prétendent que le diagnostic génétique pré-implantatoire (DPI),
réalisé sur les embryons humains avant leur transfert dans l'utérus, est le moyen grâce auquel
l'eugénisme pourra accéder à ses fins après quelques millénaires d'essais douloureux et inopérants.
Cette conviction, fondée aussi bien sur les traces historiques de la recherche de "pureté" que
sur l'actualité de la technoscience, est largement réfutée par le monde biomédical. Celui-ci se veut
rassurant en arguant que l'exemple du diagnostic prénatal (DPN) montre que l'éthique professionnelle
résiste aux pulsions eugéniques. Bien sûr, ce raisonnement ignore que la disposition de nombreux
embryons hors du corps féminin modifie radicalement le champ d'action eugénique.
Un pas important vient d'être franchi pour la reconnaissance de cette situation. Il s'agit
d'un article publié par deux acteurs d'un laboratoire américain en vue, souvent présenté comme
pilote des innovations biologiques en procréation humaine. Le responsable de cette structure,
Jacques Cohen, décrit l'avenir merveilleux que va permettre le tri des embryons, dont il est l'un
des praticiens actifs: "Dans les dix ans ou vingt prochaines années, nous serons capables de
passer au crible chaque embryon humain pour toutes les anomalies chromosomiques numériques aussi
bien que pour de nombreuses affections génétiques. L'analyse réalisée avec des biopuces permettra
d'identifier de multiples allèles variétés de gènes pour les maladies monogéniques et polygéniques,
dont le diabète, l'hypertension et la schizophrénie. Dans un futur proche, il sera possible
d'établir les prédispositions individuelles pour les maladies cardiovasculaires, tous les types
de cancers et les maladies infectieuses. Dans un futur différé, on devrait pouvoir identifier
divers traits génétiques comme la stature, la calvitie, l'obésité, la couleur des cheveux et de
la peau, et même le QI..."
En quelques phrases est dévoilée non seulement la mystique génétique, qui attribue tout
pouvoir au génome (jusqu'à contrôler l'intelligence), mais aussi le but ultime du DPI, qui
pourrait être de "normaliser" l'espèce. Bien sûr, concèdent les auteurs, "la plupart des
centres de fécondation in vitro FIV ne semblent pas souhaiter de telles technologies,
mais cela ne va pas durer...". Alors, ajoutent-ils, "un couple pourra sélectionner un
embryon à partir d'un assortiment de caractères génétiques et phénotypiques".
Après avoir montré les progrès techniques récents, qui visent à analyser la totalité du
génome et de son expression dans une seule cellule embryonnaire, les auteurs concluent:
"Quand et comment cela se fera n'est pas prévisible, mais tous ces problèmes seront
résolus" Il serait facile de leur rétorquer que l'analyse extensive du génome des quelques
embryons obtenus par FIV amènerait à découvrir tant de défauts potentiels que, la plupart du
temps, aucun embryon ne serait jugé digne de développement.
Car nos fervents adorateurs du génome ne font aucune place à des technologies complémentaires,
indispensables pour augmenter notablement le nombre des embryons produits, donc pour justifier
l'inflation de diagnostics variés. Pour leur part, les chercheurs impliqués dans de nouvelles
solutions à cette insuffisance du nombre des ovules (donc des embryons) disponibles chez les
mammifères sont absolument étrangers au DPI. S'ils s'efforcent de faire évoluer in vitro
les énormes ressources d'ovocytes "jeunes", qui dégénèrent normalement dans l'ovaire, afin de
transformer ce potentiel en ovules, c'est tantôt pour la sélection d'animaux de haute qualité
génétique, tantôt pour la conservation d'espèces en voie de disparition et, dans l'espèce humaine,
pour préserver le potentiel procréatif de jeunes femmes exposées à des traitements affectant leur
fertilité (on sait déjà conserver par congélation ces échantillons ovariens).
Le récent engouement pour le "clonage thérapeutique" devra aussi résoudre le problème
de la pénurie des ovules, réceptacles nécessaires pour le génome à reproduire. Ainsi, deux champs
technologiques se développent simultanément en ignorant qu'ils vont devenir complémentaires, et
que cette complémentarité modifie complètement les enjeux du DPI.
Il serait temps de se demander ce qui va résulter de la rencontre de la FIV avec la génétique
quand la production industrielle d'ovules sera fonctionnelle. En tout cas, ces remarques devraient
rendre plus discutable la politique de l'autruche adoptée jusqu'ici par la plupart des praticiens
de l'Assistance médicale à la procréation (AMP) et par tous ceux qui attendent que les choses
soient réalisées pour admettre qu'elles ne sont pas des fantasmes. Peut-être est-ce cette exigence
que la chose soit déjà démontrée pour mériter analyse qui explique que l'article américain que j'ai
cité soit jusqu'ici passé inaperçu.
Quand la même équipe a annoncé ultérieurement avoir réalisé la "première modification
génétique de la lignée germinale humaine" (par transfert de mitochondries dans l'ovule), la
presse mondiale s'est enflammée à l'énoncé des mots-clés du sensationnalisme génétique. Il s'agit
pourtant là d'une expérimentation humaine dont les applications médicales risquent de demeurer
aussi limitées, et d'intérêt improbable, que bien d'autres "révolutions" de la FIV (du transfert
des gamètes dans la trompe de la patiente à l'association de l'embryon in vitro avec des
cellules nourricières, en passant par la fragilisation de l'enveloppe embryonnaire avant transfert).
Pour la première fois, des praticiens de l'AMP, et non des moindres, annoncent l'avenir: la FIV
n'aura bientôt plus pour but d'aider des procréations empêchées, mais de sélectionner l'humanité.
Cette version eugénique de la médecine préventive avance furtivement. Pourquoi ne rencontre-t-elle
presque aucune résistance ?
Jacques testart est directeur de l'unité 355 de l'Institut national de la santé et de
la recherche médicale (Inserm).
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Elle a une grimace enfantine, comme pour s'excuser de ne pas trouver les mots savants. Si elle
est là, c'est à cause de son mari: son "sperme n'est pas assez riche", lâche-t-elle tout de go.
Assis en face d'elle, le couple accueille la nouvelle avec une gravité polie. L'homme, en baskets
usées et chemise à carreaux, a une quarantaine d'années. Sa compagne, tee-shirt bleu marine et
collier bon marché, en a trente-sept. De la rue monte le bruit des scooters, des klaxons, parfois
l'écho d'une cloche d'église. Le Vatican est à deux pas. C'est la deuxième fois que Mario et Gina
se retrouvent ici, à Rome, dans cette salle d'attente aux volets mi-clos. La patiente au mari
défaillant continue son babil. Ils l'écoutent distraitement. Sur les murs sont accrochés des
clichés d'embryons, bulles pastel sur fond rose. Et des photos du plus célèbre gynécologue
d'Italie, Severino Antinori, cinquante-six ans, posant au milieu de bambins hilares et de parents
émus, qui brandissent leurs nourrissons comme des trophées.
Des docteurs, ils en ont "vu plein !", soupire Gina. Ils ont "tout essayé".
En vain. "Dans les centres de santé publique, insiste-t-elle, personne ne s'occupe de
ces choses-là". Adopter un enfant ? Ils y ont songé, bien sûr, mais "c'est trop
compliqué. Et puis, ce n'est pas pareil". Le "Professore" Antinori est leur
"dernier recours". Pour consulter chez lui, ils ont fait plus de cent kilomètres. Mais,
pour avoir un gosse, ils en feraient cent mille ! "On sait que c'est très cher", ajoute
Gina. "Moins cher, quand même, qu'une voiture neuve !", tente de plaisanter son mari.
Depuis l'ouverture, à la fin des années 1980, du Centre de recherches associé pour la
reproduction humaine et contre l'infertilité (Raprui), dirigé par le professeur Antinori et
son épouse, la biologiste Caterina Versaci, plusieurs milliers de couples sont venus, comme
eux, d'Italie, mais aussi d'Allemagne, de France, du Koweït ou d'Arabie saoudite. Avec un taux
de succès (c'est-à-dire de naissances) estimé à plus de 25%. Ce pourcentage varie "selon
l'âge de la patiente et le nombre de tentatives déjà effectuées", précise prudemment la
brochure de présentation.
Sur quelque cinq mille expériences de fécondation in vitro (FIV), réalisées au Centre
depuis 1987, environ un quart auraient réussi. Mais ces performances n'ont pas fait, à elles
seules, la réputation du gynécologue romain, ce virtuose de la procréation, adoré de ses patientes
et fustigé par le Vatican. Le "papa des enfants impossibles", comme il aime à s'entendre
appeler, doit surtout sa célébrité à ces nombreuses "nonne-madre" (grand-mères mères),
ces femmes ménopausées dont il a dirigé les grossesses et présidé aux accouchements. La plus
connue d'entre elles, Rossana Della Corte - âgée de soixante-trois ans à la naissance de son
enfant, en 1994 -, figure au Guinness des records. Ces enfanteuses aux cheveux gris seraient
aujourd'hui, assure Severino Antinori, quelque cinquante mille à travers le monde, grâce aux
méthodes mises au point par ses soins.
La technique est la même, depuis le cas de Paola R., première "nonna-madre"
officiellement enregistrée, ayant accouché à quarante-sept ans. Il a fallu, pour commencer,
"recréer un cycle menstruel normal, de manière à rendre la muqueuse utérine adaptée à
l'implantation d'un embryon", explique le docteur Antinori dans son livre-plaidoyer,
I miei figli impossibili (1994, Carmenta editore). Pour ce faire, des prises régulières
d'œstrogène et de progestérone, par voie orale et sous-cutanée, sont nécessaires. "Après
trois cycles de ce traitement", poursuit-il, les ovules d'une donatrice - à qui il signale
seulement qu'on a fait une fécondation in vitro "avec le sperme du mari" de Paola R. -
ont été implantés dans l'utérus de cette dernière. Pour peu que la nature accepte de se charger
du reste. Dans le cas de Paola R., la nature a été bonne fille. Au neuvième mois, "un bébé de
trois kilos et demi est né". Aussi simple et nu qu'un miracle.
"Ces juges de Fréjus sont ridicules !", tonne, avec un sourire théâtral, le
gynécologue italien, en agitant la photocopie de la dépêche de l'AFP annonçant, fin mai,
l'accouchement d'une femme de soixante-deux ans dans une clinique française du Var. Severino
Antinori jubile. Cette fois, c'est aux Etats-Unis que le traitement de la patiente a été,
semble-t-il, ordonné. Un traitement identique, grosso modo, à celui qu'ont suivi Paola R. et
Rossana Della Corte - et qui reste interdit en France.
"A sa façon, Antinori reprend le fantasme latin Tota mulier in utero - toute la
femme est dans l'utérus -: une femme ne peut être mère que si elle passe par la grossesse et
l'accouchement. C'est une vision archaïque, opposée à la conception anglo-saxonne qui veut
qu'une femme est mère quand elle est reconnue comme telle par la société", commente la
psychanalyste parisienne Geneviève Delaisi de Parseval. L'affluence relativement modeste que
connaît le cabinet du docteur Antinori semble lui donner raison: quelque deux mille patientes -
dont seulement quatre cents femmes ménopausées, précise-t-il lui-même - sont reçues chaque année
en consultation. La vision "archaïque" de la mère-utérus n'est pas, à l'évidence, massivement
partagée. Mais, même minoritaires, ces candidates à la grossesse doivent-elles, pour autant,
être rejetées dans les limbes ?
"Pour procréer, les hommes n'ont pas besoin d'être aidés médicalement ni d'avoir le feu
vert de la société. Les femmes, elles, ne sont pas logées à la même enseigne. Une grossesse
tardive est souvent vécue comme une transgression", constate le professeur Emile Papiernik,
de l'hôpital Cochin. Les dangers physiques de ces grossesses sont connus et ne font que grandir
avec l'âge. Autre argument, culturel celui-là: la confusion des temps et des rôles. "L'idée
qu'un enfant soit élevé par sa grand-mère peut choquer. C'est pourtant vieux comme
l'humanité !", relève le professeur Papiernik. "On aurait tort de s'en offusquer...
tant qu'il s'agit de la vraie grand-mère", souligne-t-il. Aux yeux du scientifique français,
Severino Antinori n'est qu'un "faux prophète". Quant aux patientes, elles jouent avec le
feu: "C'est folie de penser que la jeunesse est éternelle. Il y a un âge pour être mère et
un autre pour être grand-mère. C'est dans cette confusion des rôles que l'enfant peut se
perdre", estime-t-il. "Rien n'est moins anodin, sur le plan psychique, que d'être enceinte
à soixante ans", renchérit Mme Delaisi de Parseval. "Le sujet humain se situe dans la
différence des sexes et dans la différence des générations, rappelle-t-elle. La succession
des générations constitue une sorte de noyau dur auquel il ne faut pas toucher sans précaution
ni réflexion. Antinori court-circuite cette chaîne des générations à travers la vie d'une seule
femme, sans se soucier de savoir si elle a déjà eu des enfants, si elle en a perdu, et comment
les choses vont se passer ensuite. Les femmes, pour lui, ne sont que des laboratoires".
DANS son bureau de la rue Properzio, Severino Antinori lève les bras au ciel. Tous
"ses" enfants et toutes "ses" mères vont bien, il le jure ! Lui qui aime tant
la patrie de Voltaire et de Napoléon, lui qui place Jean-Jacques Rousseau parmi ses auteurs
préférés, il ne comprend pas, "venant d'un pays comme la France", ces "blocages"
et cette "défiance" à son encontre. "Ce que je fais n'est pas de la transgression,
puisque c'est bon pour l'humanité. C'est une révolution positive !", s'exclame-t-il.
"Il faut arrêter de penser qu'une femme, à quarante-cinq ans, est finie !",
plaide-t-il avec fougue. Il serait même prêt, quoique le mot le fasse hésiter, à se dire
féministe, "au sens, précise-t-il, où il défend le droit des femmes à lutter contre
les discriminations". En assurant la longévité de leur utérus ? "L'éthique, c'est
ce qui permet d'alléger les souffrances humaines. Les limites de l'éthique, c'est ce qui risque
de les aggraver. Tout le reste n'est que rhétorique !", balaye-t-il. D'ailleurs,
ajoute-t-il, il est le premier, quoi qu'on dise, à sélectionner soigneusement ses patientes,
selon des "critères médicaux très stricts". Il lui est ainsi "fréquemment arrivé de
refuser des femmes de moins de quarante ans, mais d'accepter, en revanche, des femmes âgées
de cinquante ou soixante ans, parce que ces dernières étaient en meilleure forme physique".
L'âge social, celui de l'état civil, ne correspond pas forcément à l'âge biologique: telle
serait, au fond, la seule vraie (re)découverte du professeur Antinori ?
Très connu en Italie, où il est devenu un habitué des plateaux de télévision, cette star
paradoxale se dit "croyant, mais pas clérical", et se vante d'avoir gagné son procès
en diffamation contre le Vatican. Ce patriarche en herbe, qui défend les vertus du couple et la
norme hétérosexuelle, tout en se présentant comme "un libéral et même un ultralibéral",
ce roi de l'automarketing n'a de cesse d'être à l'avant-scène. Dernier tollé en date, celui qu'il
a provoqué, il y a quelques mois, en annonçant son intention de réaliser le premier clone humain.
On est loin de ce que professait l'auteur de I miei figli impossibli, qui affirmait
considérer la vie "comme un miracle inimitable" et jurait qu'il "refuserait
catégoriquement toute tentative visant à la 'pré-construction' d'un nouvel être en
laboratoire". La "nature", prêchait-il, "doit être respectée". Volte-face ?
Ou esbrouffe ? Professeur de bioéthique à l'université de Sienne, Cinzia Caporale pencherait
plutôt pour la seconde hypothèse. "Venant d'Antinori, ces promesses de clonage ne sont qu'un
coup de publicité", estime-t-elle.
Depuis la naissance de Dolly, première brebis clonée, venue au monde en 1997, en Ecosse, les
techniques se sont affinées. D'autres mammifères ont été clonés. Pourtant, les incertitudes
restent fortes et les succès exceptionnels. "Les expériences faites sur les animaux sont trop
récentes et trop peu nombreuses pour qu'on puisse en tirer des données fiables, explique
l'universitaire italienne. Il faudra encore dix ou vingt ans de travaux et d'analyses sur les
animaux avant de songer au clonage humain. Pourquoi prendre un tel risque aujourd'hui ?
Il faudrait être fou comme les raéliens, pour tenter un coup de poker pareil !"
LA secte des raéliens, implantée au Canada, au Nevada et aux Bahamas, a récemment créé,
à cette fin, une filiale baptisée Clonaid. Dotée d'une idéologie "100% scientiste", cette
secte se montre "très favorable à toutes les utilisations du génie génétique", confirme le
chercheur français Bertrand Jordan, dans le numéro de mai de la revue Médecine/Sciences.
Les raéliens aussi ont publiquement promis de réussir le premier clone humain. Les moyens
financiers "non négligeables" dont dispose cette organisation, mais "aussi et
surtout, insiste Bertrand Jordan, son caractère sectaire", représenteraient de
"sérieux atouts". De quoi faire pâlir d'envie Severino Antinori ?
"Ces gens n'ont aucune expérience scientifique !", commence par s'énerver le
gynécologue italien. "Je ne suis pas en compétition avec les raéliens", se reprend-il
aussitôt, en s'efforçant au calme. Mais le coup a fait mouche. Le bouillonnant
"Professore", dont le quotidien britannique The Times annonçait, fin février,
qu'il réaliserait le premier clone humain "avant la fin de l'année", évite désormais
de donner des dates - hormis celle d'un colloque en octobre, qui devrait réunir des experts
mondiaux du clonage dans la ville de Monte-Carlo. Cette modestie soudaine a mis en joie ses
détracteurs. "En Italie, la communauté scientifique et médicale déteste Antinori.
Pourquoi ? Parce qu'il est bon ! s'amuse la professeure Caporale. Avec
Flamigni et Bilotta, il est l'un des meilleurs professionnels italiens de la procréation
médicalement assistée. Et, pour la pub, il les bat tous... A présent, il va être contraint
d'inventer quelque chose de plus spectaculaire encore que les "nonne-madre" et le clonage
humain. Un homme qui tombe enceint, ça ferait bien, non ?" Chiche !
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Jamais, dans l'histoire mêlée des sciences du vivant et de la politique, un chef d'Etat n'a
dû faire face à un dilemme aussi douloureux, aussi lourd de conséquences, que celui auquel est
aujourd'hui confronté George W. Bush. Avant les premiers jours de septembre, le président
américain se prononcera sur le financement fédéral – actuellement interdit – des recherches
ayant pour objet la création et l'utilisation d'embryons humains. L'importance du sujet, associée
à l'hégémonie des Etats-Unis dans le champ des biotechnologies, fait que le choix de M. Bush
dépassera de beaucoup la seule orientation de la politique américaine de recherche en biologie.
S'il accepte le principe d'un financement public, M. Bush sera applaudi par tous ceux qui, à
travers le monde, veulent au plus vite, pour des raisons médicales et économiques, explorer ce
nouvel eldorado de la maîtrise du vivant. S'il refuse, le président américain confortera son image
de républicain pour qui la pratique scientifique ne peut être dissociée d'un profond ancrage moral
et religieux. A ce titre, il ne manquera pas d'être félicité par Jean Paul II, qui a mis tout
le poids de son autorité pour tenter de dissuader le président américain de franchir un tel pas.
La récente adoption par la Chambre des représentants d'un texte qui prévoit de criminaliser
toute tentative de création d'un embryon humain par clonage, que ce soit à des fins
reproductrices ou thérapeutiques (Le Monde du 2 août), témoigne de la force du courant
d'opinion qui, outre-Atlantique, continue à se manifester contre tout risque de réification de
l'embryon humain. Pour le Vatican comme pour une majorité (265 voix contre 162) des députés
américains, tout ce qui est techniquement possible ne doit pas être réalisé et, en dépit des
perspectives enthousiasmantes dessinées par les scientifiques, il importe de maintenir certains
interdits, de s'opposer parfois aux hommes de laboratoire comme à leur volonté de faire coûte
que coûte le bien de l'humanité souffrante.
Farouche adversaire de la dépénalisation de l'interruption volontaire de grossesse comme
de l'abolition de la peine de mort, défenseur affiché de la vie humaine avant la naissance,
M. Bush ne devrait pas, en toute logique, être embarrassé pour s'opposer au financement public
de travaux qui conduisent, de facto, à faire de l'embryon humain un matériel de laboratoire. Or
tel n'est plus le cas. Aux Etats-Unis, comme dans nombre de pays industrialisés, la réflexion
éthique et le paysage politique commencent à évoluer rapidement, modifiant la donne classique
opposant une "droite" par nature conservatrice à une "gauche" traditionnellement plus confiante
face aux progrès de la science. Sans doute faut-il voir là les premiers fruits de l'intense
travail de lobbying des milieux scientifiques et économiques concernés, amplement relayé par
de nombreuses associations de malades, ainsi que par des médias soucieux de soutenir toute
quête scientifique pouvant aisément être mise en scène.
On observe ainsi les prémices d'un nouvel argumentaire qui parvient à concilier l'opposition
à l'avortement et l'acceptation de l'usage de l'embryon humain. Ce qui, hier encore, aurait
constitué un tour de force est simplement exposé par le sénateur ultraconservateur Orrin Hatch.
Se rangeant aux côtés de ceux qui acceptent le principe de la destruction d'embryons humains
à des fins thérapeutiques, il fait valoir qu'un embryon conçu in vitro n'a, à lui seul, aucune
possibilité de se développer pour devenir un être humain. "La vie humaine commence dans un
ventre, pas dans une éprouvette ou un réfrigérateur, vient-il d'expliquer. A mes yeux,
la moralité dicte que ces embryons, qui sont jetés tous les jours, doivent être utilisés pour
améliorer et allonger la vie humaine". D'autres vont plus loin en expliquant que, dès lors
que le principe de l'utilisation de l'embryon serait accepté, mieux vaudrait avoir recours à des
cellules sexuelles masculines et féminines et créer in vitro des embryons dont les
constituants pourraient ensuite être utilisés à des fins médicales.
LIGNÉES DE CELLULES-SOUCHES
Outre-Atlantique, de tels embryons ont déjà été créés (Le Monde du 13 juillet) sans
autre but que de démontrer que l'on pouvait ainsi établir des lignées de cellules-souches dont
des centaines d'équipes de biologistes à travers le monde attendent de pouvoir être autorisés à
les mettre en culture et à les utiliser chez l'homme. S'il devait accéder aux demandes formulées,
entre autres, par les responsables des National Institutes of Health, M. Bush ferait que
les Etats-Unis rejoindraient rapidement, au nom du pragmatisme, le Royaume-Uni, où, par principe,
aucun tabou n'est à respecter vis-à-vis de l'embryon dans les toutes premières phases de son
développement.
Dans un tel contexte, l'une des questions centrales, trop souvent masquée, est celle de la
chronologie à respecter. La hiérarchie catholique fait ainsi valoir que de multiples voies restent
à explorer, qui n'imposent pas de détruire ou de créer des embryons à des fins thérapeutiques.
De fait, la découverte de l'existence, dans les organismes adultes, de cellules-souches, laisse
entrevoir les mêmes perspectives, tout en permettant de faire l'économie des lourdes questions
éthiques relatives à l'embryon, à son statut et à son usage.
Dans l'attente des décisions du président américain, et alors qu'un consensus semblait ces
derniers temps se dégager à l'échelon de l'Union européenne (Grande-Bretagne exceptée) pour ne
pas autoriser la création d'embryons aux seules fins de la recherche, la France a curieusement
du mal à organiser un véritable débat public sur des questions aussi essentielles. On ne sait
pas, par exemple, quelle est la position précise du premier ministre sur ce sujet qui, après
avoir évoqué son intérêt pour le clonage thérapeutique – sans utiliser le terme –, a suivi le
Conseil d'Etat et retiré cette possibilité du texte du projet de loi sur la bioéthique.
Le président de la République a quant à lui clairement redit, en février, son opposition
radicale à une telle autorisation, qui risquerait, selon lui, "de conduire à des trafics
d'ovocytes". Quoi qu'il advienne, l'examen de ce texte par le Parlement français sera
conditionné par le choix qu'aura, d'ici là, fait George W. Bush.
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REMIS le 31 janvier à Lionel Jospin, un avis de la Commission nationale consultative des
droits de l'homme (CNCDH) se prononce contre la légalisation – souhaitée par le gouvernement –
du clonage humain à des fins thérapeutiques. La CNCDH ouvre ainsi officiellement le débat sur l'un
des aspects les plus controversés de la révision des lois de bioéthique, qui doivent être soumises
au Parlement lors du premier semestre de 2001. La CNCDH avait, dans les derniers jours du mois de
décembre, été saisie par le premier ministre de l'avant-projet de loi «tendant à la révision
des lois de 1994 relatives à l'éthique biomédicale» (Le Monde du 25 décembre 2000).
Estimant que le texte qui lui est soumis est, sur bien des points, conforme à l'avis qu'elle avait
donné le 29 juin 2000 (Le Monde du 13 juillet 2000), la CNCDH se démarque, sur le clonage
thérapeutique, de l'arbitrage rendu par Lionel Jospin.
Sans utiliser explicitement le terme de «clonage thérapeutique», le texte de
l'avant-projet de loi prévoit le «prélèvement de cellules» sur des personnes volontaires et
la possible inclusion du noyau de ces cellules dans des ovocytes préalablement énucléés afin de
constituer des embryons. Ces derniers ne pourraient être utilisés à des fins procréatives mais
pourraient néanmoins être cultivés afin de fournir des «cellules souches», dont
l'utilisation soulève aujourd'hui, de l'avis des biologistes, de nombreux espoirs thérapeutiques.
S'il était adopté, ce texte ferait de la France le deuxième pays, après la Grande-Bretagne, à
autoriser le clonage thérapeutique par voie législative.
RISQUE DE «BANALISATION»
La CNCDH redit être favorable à la possibilité d'une recherche utilisant des embryons humains
conçus in vitro et ne faisant plus l'objet d'un projet parental (embryons dits
«surnuméraires»). Elle explique, en revanche, avoir été «très partagée» sur la
réponse à donner au sujet de la constitution de lignées de cellules souches embryonnaires.
«L'importance du pas à franchir en ce qui concerne les principes est reconnue de tous, de même,
en sens contraire, qu'il n'est pas fait d'objection à la constitution de lignées à partir de
cellules issues de sang fœtal, du cordon ombilical ou de cellules adultes», peut-on lire dans
le texte remis au premier ministre. Une partie, minoritaire, des 107 membres de cette commission
se sont prononcés en faveur d'une autorisation de telles recherches. Ces membres ont avancé que
si l'intérêt thérapeutique de ces travaux était confirmé par des recherches poursuivies, à
l'étranger, la France serait amenée à les utiliser «sans s'être impliquée dans les
responsabilités éthiques».
A l'inverse, une majorité des membres de la CNCDH a estimé que la décision devant être prise
«est de celles qui ne peuvent intervenir dans la précipitation et au nom seulement d'un intérêt
scientifique, si légitime soit-il». Ces membres expriment notamment leurs inquiétudes quant
aux risques d'une «banalisation» de l'utilisation des embryons humains. Se rangeant à l'avis
du groupe européen d'éthique, que préside Noëlle Lenoir, et au nécessaire respect d'une «approche
de précaution», la commission estime, en conclusion, qu'«il appartiendra au Parlement, lorsque
le dilemme scientifique sera éclairci, de se prononcer sur une ouverture qui est aujourd'hui, selon
la CNDCH, prématurée».
Ce texte comporte en annexe la position spécifique défendue par Mgr Jean-Marie Lustiger,
archevêque de Paris. Opposé au clonage thérapeutique, Mgr Lustiger est aussi hostile aux recherches
conduisant à la destruction d'embryons humains surnuméraires actuellement conservés par congélation.
Il critique l'absence de mention explicite du clonage thérapeutique. «Il aurait mieux valu dire
clairement ce que l'on est prêt à accepter ou non, écrit-il. Il s'agit de problèmes
suffisamment difficiles et graves pour être traités de manière transparente».
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"Quelle analyse faites-vous de l'annonce faite par le docteur Severino Antinori concernant le lancement d'un programme de clonage reproductif dans l'espèce humaine ?
– Cette annonce ne m'a nullement surpris. Mais je suis en revanche stupéfait de la faiblesse des réactions que cette déclaration a pu susciter, tout comme de la lâcheté des scientifiques présents à Washington. Aucun d'entre eux n'a eu le courage de se lever et de condamner solennellement ce qui venait d'être dit. J'estime que le Conseil de l'ordre des médecins italiens s'honorerait en interdisant immédiatement à M.Antinori d'exercer la médecine dans son pays. Il faut le dire simplement: quand bien même on pourrait techniquement y parvenir, il faut aujourd'hui interdire la photocopie d'êtres humains. Et je ne parviens pas à comprendre que les scientifiques distingués présents à la conférence de Washington n'aient pas trouvé autre chose à faire valoir que la complexité ou le caractère risqué, dangereux, d'une telle entreprise. Si l'on devait rester au niveau de la sécurité sanitaire et de la santé publique, une tentative de clonage reproductif serait certes, en l'état actuel des connaissances, honteuse. Mais au-delà des considérations techniques, elle est, tout simplement, moralement inacceptable. Donner la vie en détournant son sens: il a manqué parmi ces universitaires un Miguel de Unamuno philosophe qui s'était frontalement opposé au "Viva la muerte" franquiste.
– Est-ce dire que tout doit être mis en œuvre pour contrecarrer de telles entreprises ?
– Ne nous berçons pas d'illusions. Je pense que nous irons toujours plus loin dans ce domaine, que nous n'arrêterons ni la quête de la connaissance ni les recherches dans le champ des sciences du vivant. Pour autant, j'estime que nous nous devons d'arrêter, d'interdire, certaines des applications qui en résultent dès lors qu'elles constituent une atteinte à la dignité humaine. Nous pouvons agir en amont mais aussi en aval. Il me semble impossible et vain de stopper la pratique de cette espèce de sport, à la fois intellectuel et économique, qui se caractérise par la transgression – ou plus précisément par la tentative de transgression – de tous les interdits. Mais la communauté internationale doit en interdire certaines applications.
– N'existe-t-il pas un risque à jeter définitivement l'opprobre sur une pratique comme le clonage reproductif ?
– Je connais les arguments de ceux qui estiment que l'on ne peut condamner ad vitam aeternam telle ou telle pratique, a fortiori quand elle est présentée comme une thérapeutique. Je sais qu'en de telles matières, rien n'est jamais définitif. Pour autant, aujourd'hui, il me semble que c'est la seule conduite qui moralement peut être tenue; la seule qui soit acceptable. N'oublions quand même pas qu'au nom de la science, il y a peu, certains ont voulu créer une race humaine pure. N'oublions pas que “L'Homme cet inconnu”, du docteur Alexis Carrel, était, il y a un peu plus d'un demi-siècle, l'une des lectures favorites des Français et que René Barjavel écrivait sur la production industrielle d'humains préformés en soldat. A travers le monde, certains talibans de la pensée y réfléchissent sans doute.
– A la veille de la révision des lois de bioéthique, le débat en France tarde à s'ouvrir. Alors que le président de la République s'exprime clairement contre le clonage reproductif, le premier ministre donne l'impression de ne pas avoir de certitudes personnelles.
– Grâce au gynécologue-obstétricien romain qui vient de s'exprimer à Washington, ce docteur “Foléthique”, le débat va peut-être enfin s'ouvrir à l'échelon national et international. Il faut bien reconnaître que ces questions ne sont pas simples pour moi. Il est d'ailleurs hautement symptomatique que la question du clonage thérapeutique se soit jouée à une seule voix devant le Conseil d'Etat. Lionel Jospin souhaite que ce débat s'ouvre, s'enrichisse et que l'on puisse parvenir à un consensus national. Quel beau sujet de société! Voilà de la nouvelle politique. En ce qui me concerne, je le dis simplement: je suis pour que la loi autorise, tout en l'encadrant très fortement, la pratique du clonage thérapeutique. Il nous faut aussi, dans le même temps, faciliter au plus vite les recherches sur les cellules-souches adultes. Je pense d'autre part qu'il existe au sein du gouvernement une majorité en faveur de la légalisation du clonage thérapeutique et que l'on n'échappera sans doute pas, en France comme ailleurs, à une forme de politisation de ce débat, j'espère au bon sens du terme.
– Que répondez-vous à ceux qui dénoncent les risques de réification de l'embryon humain induits par ces travaux ?
– Pour moi, il n'y aurait là aucune réification de l'embryon. Je comprends bien ces craintes mais il ne s'agit ici que d'un matériel humain qui serait utilisé à des fins thérapeutiques. Nos anciens et nous-mêmes vivront plus longtemps. Alzheimer, Parkinson, procurons-leur une belle vie. Je redis que l'on ne parviendra pas à arrêter ce type de recherches. Nous pourrons seulement interdire certaines des applications de ces recherches. Et il nous faut nous donner les moyens de cette interdiction tout comme nous devrions pouvoir interdire au médecin romain de mettre en œuvre son programme de clonage reproductif.
– Comment une telle interdiction pourrait, en pratique, être effective ?
– En passant au plus vite à des actions internationales qui seront conduites au nom d'un droit d'ingérence éthique à construire. Comme viennent de le demander l'Allemagne et la France, il faut obtenir que Kofi Annan, secrétaire général des Nations unies, organise au plus vite une assemblée générale extraordinaire et solennelle de l'ONU. Il faut mettre en chantier la rédaction d'une convention internationale qui interdirait la pratique du clonage reproductif humain et qui, surtout, comporterait des sanctions économiques contre les pays qui transgresseraient cet interdit. Si l'on apprend qu'en Afghanistan, en Irak, ou ailleurs, de tels travaux sont menés, la communauté internationale doit pouvoir agir et obtenir que cela cesse. On peut aussi imaginer que des sanctions pénales puissent être prononcées. Il existe aujourd'hui un Tribunal pénal international. Rien ne nous interdit de penser qu'il puisse agir également dans le champ de l'éthique, dès lors que certains oseraient mettre en œuvre des gestes qui porteraient atteinte à la dignité humaine. Il existe une Organisation mondiale du commerce, pourquoi ne pas créer une Organisation mondiale de l'éthique? Dans un monde sans idéologie, il faut que la conscience mondiale se situe face à ce type d'interdits".
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