• LE MONDE | 20.09.02 | 12h19
• MIS A JOUR LE 20.09.02 | 19h19
Toulouse se relève difficilement de l'explosion d'AZF
Un an après l'accident qui a détruit l'usine du groupe TotalFinaElf, le 21 septembre 2001, faisant 30 morts et des milliers de blessés, la Ville rose reste traumatisée. Cette catastrophe, une des plus importantes que la France a connues, a aussi ouvert un débat sur les risques industriels.
Toulouse de notre correspondant régional
L'explosion survenue dans l'usine AZF de Toulouse, le 21 septembre 2001, constitue, selon la Fédération française des sociétés d'assurances, "le plus grand sinistre industriel en France". Au total, le coût de la catastrophe, qui a fait 30 victimes, devrait être de l'ordre de 2,3 milliards d'euros. L'explosion s'étant déroulée dans l'enceinte d'une de ses entreprises, il est entièrement à la charge du groupe TotalFinaElf.
Une explosion imprévue. A 10 h 17 le vendredi 21 septembre 2001, l'explosion de 300 tonnes d'ammonitrates - des engrais agricoles que l'usine fabriquait depuis quarante ans -, entreposés dans le hangar 221 de l'entreprise, a provoqué un "effet de blast" (onde de souffle) dévastateur sur la ville et un tremblement de terre de 4,3 sur l'échelle de Richter. L'étude de danger de l'industriel, conforme aux dispositions de la directive Seveso, envisageait divers types d'accidents mais aucune hypothèse d'explosion n'était retenue, les ammonitrates étant réputés comme un produit inerte.
Autour du site chimique, le périmètre de protection établi par l'administration n'était que de quelques centaines de mètres. On a donc construit alentour écoles, HLM, commerces, bureaux, rocades... Or les conséquences de l'explosion ont été ressenties jusqu'à 6 kilomètres à la ronde.
Des causes incertaines. Le processus qui a abouti à l'explosion n'a pas encore été établi avec certitude. Cependant, toute cause autre qu'accidentelle - attentat ou acte de malveillance - est exclue par les enquêteurs.
Des victimes par milliers. 30 personnes sont mortes dont 21 appartenaient au personnel des entreprises du site chimique. 2 242 personnes ont été hospitalisées, dont une quarantaine garderont de lourds handicaps physiques. Au total, le nombre de personnes blessées physiquement ou psychologiquement ayant eu recours à une expertise médicale s'élève à 8 133.
Un comité de suivi médical a été mis en place, qui se préoccupe particulièrement de l'impact de l'explosion sur la santé mentale de la population. Une "souffrance psychique" a été relevée chez des milliers de personnes, se traduisant par "une anxiété généralisée" et "un état dépressif" sur le long terme.
Une population durablement traumatisée. La ville a craint un moment la propagation d'un nuage toxique que la présence de produits extrêmement dangereux sur le site - phosgène, chlore, ammoniac - rendait plausible. Par précaution, la préfecture a appelé la population à rester confinée. Aucune pollution de l'air n'a cependant été relevée.
Si les installations industrielles du site chimique n'avaient pas résisté, en particulier les canalisations de phosgène de la SNPE, c'est sans doute par milliers qu'on aurait compté les morts. Toulouse a découvert avec stupeur qu'elle vivait avec une bombe à retardement fichée en plein cœur de ses HLM, de ses écoles et de ses commerces, et que celle-ci, malgré toutes les assurances officielles, avait fini par exploser.
Depuis, la population ne veut plus entendre parler de risque à proximité des habitations et le gouvernement s'est rendu à ses raisons en supprimant l'essentiel des activités chimiques.
Des dégâts considérables. La ville de Toulouse a tout entière été ébranlée, mais ce sont les quartiers populaires du sud-ouest de l'agglomération qui ont le plus souffert. 35 000 logements, dont 17 000 HLM, ont été endommagés, un tiers étant complètement détruits ou gravement sinistrés. Plusieurs centaines de milliers de fenêtres et de vitres ont dû être remplacées. Les travaux engagés représentent, selon la préfecture, l'équivalent de la construction d'une ville de 10 000 habitants et il a fallu reloger 1 700 familles dans l'urgence. Outre 49 écoles, 19 collèges et 2 lycées, Toulouse a dû fermer provisoirement sa grande salle de spectacles, le Zénith, son grand stade, le Stadium, son hôpital psychiatrique, son Palais des sports, sa principale salle de rock et son dépôt de bus. La rentrée des 30 000 étudiants de l'université du Mirail a été retardée d'un mois et le site devra être totalement réhabilité. 1 300 petites entreprises et commerces ont été également touchés.
70 000 dossiers d'indemnisation déposés. Malgré la lourdeur des procédures et les difficultés rencontrées dans les copropriétés, 95 % des cas sont réglés, y compris pour ceux qui ne bénéficiaient d'aucune assurance. Les procédures d'expertise ont été allégées, grâce, en particulier, au relèvement du plafond de dégâts décidé par Lionel Jospin (de 100 000 à 300 000 francs).
L'efficacité des services collectifs. Malgré la saturation du téléphone et des systèmes de communication, le 21 septembre, le fonctionnement des secours s'est révélé efficace. La mobilisation des services de l'Etat, de la mairie et des collectivités territoriales, soutenue par une multitude d'actions bénévoles, a permis d'éviter le pire. Le gouvernement a immédiatement débloqué 1,5 milliard de francs et 18 millions d'euros de dons ont été alloués à un fonds d'urgence.
Il n'empêche, des milliers de gens ont dû se passer de fenêtres pendant de longs mois, ce qui a entraîné de nombreuses situations de détresse. Personne n'est cependant mort de froid à Toulouse pendant l'hiver. La plupart des réparations ont été effectuées dans les logements, et il ne reste plus qu'une cinquantaine de familles en mobile homes.
Une ville sans chimie. La plate-forme chimique du Sud toulousain où était située AZF s'est réduite comme peau de chagrin. Elle ne compte plus aujourd'hui que 200 salariés sur les 1 100 qui y étaient employés précédemment. Après de longues hésitations de Lionel Jospin sur son sort et la décision du groupe TotalFinaElf de fermer AZF, Jean-Pierre Raffarin a interdit l'utilisation du gaz phosgène par la SNPE, réduisant des deux tiers l'activité de cette entreprise et condamnant sa filiale Tolochimie. Il ne reste plus sur le site - qui devrait être dépollué, mais dont l'avenir reste incertain dans la mesure où il se situe en zone inondable - que les activités carburant de la SNPE et deux petites entreprises chimiques, Raisio et Isochem. Le périmètre reste néanmoins classé Seveso, principalement à cause de la fabrication par la SNPE du carburant d'Ariane et des missiles nucléaires.
Une journée de commémoration
Samedi 21 septembre, à midi, sur la place du Capitole, Michel Plasson dirigera l'Orchestre national du Capitole. Au programme : la Symphonie n° 5 de Ludwig van Beethoven, dite Le Destin. La municipalité invite tous les Toulousains à venir se recueillir, "sobrement et dignement", avec un ruban blanc à la boutonnière. A 10 h 17, heure de l'explosion, toutes les cloches de la ville sonneront le glas et trois minutes de silence seront observées.
De leur côté, les salariés se rassembleront, toutes grilles fermées, sur le site chimique. Non loin de là, le collectif Plus jamais ça organise une manifestation à travers la ville qui se prolongera par des débats tout l'après- midi sur la prairie des Filtres.
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