Le Monde - Société -
Le clonage humain, série 1: Clonage reproductif


– S O M M A I R E –

Vers le clonage humain ?
Noëlle Lenoir: “Le clonage reproductif devrait être reconnu comme crime international”
L'ONU face au clonage humain
Merci, docteur Antinori
Clonage: la tentation du pire
Clonage humain: le Dr Antinori menacé par le conseil de l'ordre italien
Le docteur Antinori lance un programme de clonage humain reproductif
Le clonage humain bientôt hors la loi aux Etats-Unis

– Clonage, les autres séries –
Clonage humain, 2
Clonage humain, 3
Clonage & nanotechno



dossier
jeudi 2 janvier 2003 | 09h03

Vers le clonage humain ?


Les Académies nationales des Etats-Unis ont organisé, mardi 7 août, une confrontation entre certains des biologistes les plus célèbres et trois francs-tireurs qui se disent résolus à expérimenter le clonage comme technique de reproduction humaine (le professeur Antinori, de l'université de Rome, le biologiste Zavos, de l'université du Kentucky, et Brigitte Boisselier, des universités de Dijon et de Houston). Les autres intervenants ont rappelé les enseignements du clonage animal soulignant son taux d'échec considérable. Le clonage est au cœur du débat politique aux Etats-Unis. Fin juillet, la Chambre des représentants a interdit toute forme de clonage humain. Début septembre, le président George W. Bush doit se prononcer sur le financement fédéral apporté aux recherches menées sur les cellules souches. L'Union européenne n'échappe pas au débat: la Grande-Bretagne vient d'autoriser le clonage thérapeutique.



• LE MONDE | 16.08.01 | 12h34
• MIS A JOUR LE 18.09.02 | 11h53

Noëlle Lenoir: "Le clonage reproductif devrait être reconnu comme crime international"

Noëlle Lenoir est présidente du Groupe européen d'éthique des sciences et des nouvelles technologies.

La récente décision de George W. Bush en faveur d'un financement fédéral limité des travaux sur les cellules-souches humaines imposera-t-elle, selon vous, à l'Union européenne de mieux se situer face à cette question à la fois éthique, scientifique et économique ?

Devant l'impatience de la communauté scientifique américaine de pouvoir s'engager résolument dans cette voie de recherche, la décision du président des Etats-Unis est un habile compromis éthique. Il donne le feu vert à un financement fédéral des recherches sur les lignées de cellules souches embryonnaires existantes, sans remettre en cause ses engagements électoraux de s'opposer aux recherches impliquant la destruction d'embryons. De la même façon, l'Union européenne devrait, elle aussi, incessamment se prononcer sur le financement des recherches sur les cellules souches, au titre de son programme-cadre de recherche pour 2002-2006.

Certes, les Etats membres de l'Union ont des législations contrastées, depuis la Grande-Bretagne, qui vient d'autoriser le clonage thérapeutique, jusqu'à l'Irlande, dont la Constitution exclut toute recherche sur l'embryon. Mais cette situation est comparable à celle des Etats-Unis, où les Etats fédérés ont des lois différentes, la recherche sur les embryons étant, par exemple, prohibée dans six des cinquante Etats. L'Union européenne, qui n'a pas de compétence législative directe pour réglementer la recherche, devrait néanmoins clarifier le statut juridique des cellules-souches humaines.

Pouvez-vous préciser ?

Les cellules-souches sont avant tout des produits pour le marché européen; elles sont soit assimilées à des "dispositifs médicaux", comme n'importe quel appareillage médical, soit considérées comme des organismes génétiquement modifiés (OGM), dans le cas où elles font l'objet de modifications génétiques. Par ailleurs, le droit européen interdit de délivrer des brevets aux laboratoires qui utilisent des embryons humains à des fins commerciales ou industrielles. Or, les cellules souches prélevées sur des embryons serviront bien à un usage industriel, pour mettre au point des traitements. Il faut remédier à cette apparente contradiction, car la recherche et la médecine ont besoin de sécurité juridique pour progresser. Le Groupe européen d'éthique travaille sur la question de la brevetabilité des cellules souches embryonnaires humaines et va essayer de trouver des réponses cohérentes d'ici à la fin de l'année.

L'hétérogénéité des dispositions législatives et réglementaires au sein des Quinze constitue-t-elle, selon vous, un frein ou un élément positif ?

Sur un sujet comme celui de la recherche sur l'embryon, on ne peut empêcher une hétérogénéité qui conduit à une spécialisation des pays. Après tout, elle existe bien pour le nucléaire. Ne nous faisons pas d'illusions, les nécessités du marché, en l'occurrence celui des produits thérapeutiques d'origine humaine, contraindront à des positions communes dans beaucoup de cas. La décision de George W. Bush qui autorise le financement des recherches américaines sur les lignées cellulaires existantes - au nombre, selon ses estimations, de soixante dans le monde, dont seulement vingt aux Etats-Unis - montre bien que les cellules-souches constituent un gisement de ressources mondiales. Ces cellules, qu'elles soient embryonnaires, fœtales ou adultes, ont vocation à être importées et exportées d'un pays à l'autre, et c'est pourquoi le Groupe européen d'éthique a recommandé, en novembre 2000, de prévoir des autorisations au niveau national ou européen pour assurer le respect des règles éthiques et de sécurité.

Y a-t-il, selon vous, au sein de l'Union européenne, un socle solide, un puissant consensus contre la pratique du clonage reproductif ?

Le clonage reproductif n'a pas, en effet, pour finalité de se procurer des cellules-souches, mais de faire naître des bébés comme clones presque parfaits de leur géniteur. Le consensus européen pour le condamner vient d'être rappelé à l'occasion de l'adoption à Nice, sous la présidence française, de la Charte des droits fondamentaux des citoyens européens. Le consensus est aussi, me semble-t-il, mondial. La Déclaration de l'Unesco sur le génome humain et les droits de l'homme, qui demande aux Etats de l'interdire, n'a-t-elle pas été approuvée en 1998, à l'initiative de la France, par les Nations unies ? Il est urgent de transformer cette invite en une prescription obligatoire, comme le suggèrent la France et l'Allemagne. Compte tenu des débats récents aux Etats-Unis, je ne pense pas que ce pays, qui avait fortement soutenu la Déclaration sur le génome humain, s'y opposerait aujourd'hui.

Les pays devraient criminaliser cette pratique, comme l'a fait la Grande-Bretagne, et certains d'entre eux pourraient même aller jusqu'à la reconnaissance d'une compétence universelle de leurs juges pour poursuivre les auteurs de tels agissements. Fabriquer des clones humains devrait être considéré comme un crime international, "d'une gravité telle qu'il touche l'ensemble de la communauté internationale", pour reprendre une expression du Conseil constitutionnel français en 1999.

Propos recueillis par Jean-Yves Nau
Article paru le 16 août 2001


• LE MONDE | 09.08.01 | 11h22
• MIS A JOUR LE 18.09.02 | 11h54

L'ONU face au clonage humain

Paris et Berlin ont transmis une requête à Kofi Annan afin que l'Assemblée générale des Nations unies organise une "convention internationale contre le clonage des êtres humains à des fins de reproduction". Le calendrier prévu ne permettrait pas à la négociation internationale de s'ouvrir avant 2003.
NEW YORK (Nations unies) correspondance

La requête franco-allemande ne pouvait guère tomber plus à propos. Elle a été transmise à Kofi Annan le jour même où, à Washington, le médecin italien Severino Antinori et deux de ses collègues se disaient prêts à cloner, pour la première fois, un être humain à des fins de reproduction, avant la fin de l'année. Ces praticiens font valoir qu'ils sont prêts à tenter l'expérimentation dans des laboratoires tenus secrets, abrités par des pays qui n'interdisent pas le clonage humain - quitte à utiliser pour ce faire des bateaux "voguant sur les eaux internationales".

En saisissant conjointement l'ONU, Paris et Berlin entendent précisément mettre cette pratique hors la loi, quel que soit le lieu qui l'abrite. Dans une lettre adressée à Kofi Annan, les deux pays demandent que la question d'une "convention internationale contre le clonage des êtres humains à des fins de reproduction" soit ajoutée à l'ordre du jour de l'Assemblée générale de l'ONU, qui s'ouvre à la mi-septembre. L'organisation d'une telle convention vise, selon le projet, à "engager, dans le cadre universel des Nations unies, la négociation d'un instrument juridique international interdisant le clonage des êtres humains à des fins de reproduction".

La procédure proposée risque pourtant de n'aboutir que longtemps après la naissance du premier bébé conçu par clonage, à en croire le docteur Antinori. Si l'assemblée générale de l'ONU accepte la demande franco-allemande, elle instituera avant la fin de l'année un comité ad hoc chargé de définir le mandat de la convention. Selon le calendrier suggéré, l'assemblée générale validerait ce mandat à l'automne 2002, ce qui permettrait à la négociation proprement dite de débuter en 2003, dans le meilleur des cas. La convention internationale contre le clonage des êtres humains à des fins de reproduction qui serait alors adoptée par les pays de l'ONU deviendrait le premier instrument universel et juridiquement contraignant en la matière.

"INSTRUMENT DE PROHIBITION"

Après le choc provoqué par l'annonce, en 1996, de la création de la brebis clonée "Dolly", des organisations aussi variées que le Parlement européen, le Conseil de l'Europe ou l'Organisation mondiale de la santé (OMS) ont adopté des documents condamnant le clonage humain à des fins de reproduction. Le 9 décembre 1998, l'assemblée générale de l'ONU a même endossé, à l'initiative de la France, la Déclaration universelle sur le génome humain et les droits de l'homme de l'Unesco, affirmant que "des pratiques qui sont contraires à la dignité humaine, telles le clonage à des fins de reproduction d'êtres humains, ne doivent pas être permises". Mais aucun de ces textes n'a force de loi. "Cette fois, nous voudrions entrer dans le détail en instituant un instrument juridique de prohibition, explique Yves Doutriaux, représentant adjoint de la France à l'ONU. Ce sera un processus long et compliqué, qui posera sans doute des problèmes juridiques et techniques complexes". Quoique plus prompt à agir, le Conseil de sécurité de l'ONU ne peut se saisir de la question qui ne relève pas du mandat, limité à la paix et à la sécurité, que lui confère la charte des Nations unies.

Le projet franco-allemand mûrit de son côté depuis plusieurs mois. Les ministres des affaires étrangères Hubert Védrine et Joschka Fischer s'étaient entendus pour engager une initiative dans ce sens lors d'une rencontre à Berlin, le 21 juin. "Ce sont des sujets de civilisation qui nous interpellent", souligne Yves Doutriaux. Si jeudi matin, l'annonce de l'initiative franco-allemande ne suscitait que peu de réactions outre-Rhin, la bioéthique, et plus particulièrement l'utilisation des embryons, y avait donné lieu, au printemps, à un débat très vif. La production d'embryons à des fins de recherche est en effet interdite par une loi très stricte datant de 1990. Le débat a néanmoins été ravivé par le projet de deux scientifiques désireux de mener des recherches sur des cellules souches issues d'embryons importés.

Tandis que le chancelier Schröder est sur le principe favorable à un développement encadré des travaux dans le secteur, sans y inclure le clonage, le président de la République, Johannes Rau (SPD lui aussi), d'ordinaire fort discret, a prononcé en mai un discours remarqué pour s'y opposer. Pour l'instant, la classe politique allemande, après un débat de haut niveau au Parlement fin mai, n'est pas prête à assouplir la loi. Dans un pays encore marqué par le souvenir des expérimentations nazies, le sujet est particulièrement sensible.

Dans la proposition de résolution défendue par les deux pays, l'assemblée générale de l'ONU se déclarerait consciente des "immenses perspectives d'amélioration de la santé" offertes par les nouvelles technologies, tout en rappelant que "certaines pratiques peuvent faire courir des dangers à l'intégrité et à la dignité des individus". L'organe onusien se dirait "particulièrement préoccupé par les annonces rendues publiques dans la période récente, relatives à des recherches en cours en vue de pratiquer des clonages d'êtres humains à des fins de reproduction" et ferait montre de sa détermination "à empêcher une telle atteinte à la dignité des individus". L'Unesco, l'OMS et la Commission des droits de l'homme seraient associées aux travaux préparatoires à la convention internationale. "Nous pressentons un large consensus sur cette question, poursuit le représentant français à l'ONU. Elle dépasse les différentes approches religieuses ou culturelles". Si tel est le cas, l'assemblée générale des Nations unies devrait accepter par consensus l'ajout du projet franco-allemand à son agenda dès le 14 septembre, et ouvrir la voie à l'organisation de la convention.

Philippe Bolopion avec Philippe Ricard à Francfort
Article paru le 9 août 2001


• LE MONDE | 08.08.01 | 13h17
• MIS A JOUR LE 08.08.01 | 13h49
L'édito du Monde

Merci, docteur Antinori


IL faut aujourd'hui remercier le docteur Severino Antinori. Provocatrices, nullement dénuées de relents publicitaires et financiers, émanant, qui plus est, d'un homme qui est fort loin d'avoir les compétences scientifiques dont il se laisse parer par les médias, ses déclarations, faites mardi 7 août au sein de ce temple moderne qu'est, à Washington, le siège de l'Académie américaine des sciences, sont, paradoxalement, constructives.

On peut d'ores et déjà espérer que l'écho international qu'elles auront permettra d'ouvrir un débat essentiel, que les démocraties modernes peinent ou rechignent à organiser.

Le sujet, sans doute, n'est pas simple, qui impose de faire la part entre les deux formes de clonage que nous offrent désormais les biologistes et les médecins: le clonage "reproductif" et le clonage "thérapeutique". Pour autant, point n'est besoin d'être docteur en médecine ou spécialiste bardé de diplômes de biologie et de génétique pour saisir l'essentiel de ce qui se trame désormais dans les cornues des nouveaux maîtres du vivant.

Deux positions s'affrontaient jusqu'ici. La première faisait valoir qu'en raison du respect dû à la personne humaine ou, pour certains, au nom de convictions religieuses, le clonage sous toutes ses formes devait être solennellement condamné. L'autre soutenait qu'une exception pouvait être faite au vu des nouvelles espérances nourries par des biologistes qui se disent sur le point, pour peu qu'on les laisse agir, de bâtir une nouvelle branche de la médecine moderne, capable de guérir des maladies dégénératives jusqu'à présent incurables et souvent perçues comme le fruit de la fatalité ou celui du temps qui passe. Mais le clonage reproductif était catégoriquement exclu de la discussion.

Le docteur Antinori, en voulant faire de celui-ci le prolongement naturel du clonage thérapeutique, impose à chacun - citoyens, responsables scientifiques et gouvernementaux, institutions internationales chargées de l'éthique - de prendre clairement position et de dire s'il accepte ou s'il refuse l'effacement d'interdits séculaires.

Au lendemain de l'annonce de la naissance de Dolly, premier mammifère créé par clonage d'une cellule adulte en mars 1997, des voix s'étaient élevées pour s'inquiéter de l'insuffisance des dispositifs nationaux face aux pressions des biologistes. Il apparaissait déjà que l'instrumentalisation de la reproduction serait difficilement freinée. Quatre ans plus tard, le docteur Antinori vient nous dire que la menace est plus présente que jamais.

Tous les pays vont être appelés à légiférer sur ces questions. La Grande-Bretagne l'a fait la première. Le processus vient de commencer aux Etats-Unis. Pour sa part, le Parlement français sera saisi, au début de 2002, du projet de loi adopté le 20 juin par le conseil des ministres. Quelles que soient les solutions retenues, elles ont pour objectif de nous prémunir contre la tentation du pire.

La rédaction • ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 09.08.01


• LE MONDE | 08.08.01 | 11h03
• MIS A JOUR LE 08.08.01 | 12h10

Clonage: la tentation du pire

Le médecin italien Severino Antinori et deux de ses collègues ont provoqué l'hostilité unanime des spécialistes de l'embryologie, réunis mardi 7 août, à Washington, à l'initiative des académies nationales de Etats-Unis, en présentant leurs projets de clonage à des fins de reproduction humaine.
WASHINGTON de notre envoyé spécial

Trois francs-tireurs contre toute une communauté scientifique. Trois chercheurs prêts à faire voler en éclats toutes les barrières éthiques contre les plus prestigieux spécialistes de l'embryologie, désireux de mettre en garde contre les dangers de leur propre discipline. Les académies nationales des Etats-Unis ont été le théâtre, mardi 7 août, à Washington, de la plus importante confrontation publique organisée, jusqu'ici, entre scientifiques sur le clonage comme technique de reproduction humaine. Cette conférence entrait dans le cadre des travaux entrepris par un groupe de savants, associant plusieurs académies et présidé par le professeur Irving Weissman, de l'université de Stanford, qui remettra au Congrès, fin septembre, un rapport sur le clonage humain. La réunion de mardi devait établir un état des connaissances acquises, des expériences engagées et des débats en cours parmi les équipes travaillant sur le clonage animal. Les invitations adressées au professeur de médecine Severino Antinori, de l'université de Rome, au biologiste Panayiotis Michael Zavos, de l'université du Kentucky, ainsi qu'à Brigitte Boisselier, docteur en chimie des universités de Dijon et de Houston, étaient destinées à faire la clarté sur l'avancement de leurs projets. Ou à montrer l'impossibilité d'y parvenir.

AVARES D'INFORMATIONS

Les trois hérétiques proclamés ont été, en effet, avares d'informations sur leurs recherches, comme d'arguments contre les condamnations ou les mises en garde formulées par les autres participants. Le professeur Zavos a assuré que son collègue Antinori et lui-même commenceront en novembre à mettre en œuvre le clonage au bénéfice de couples stériles. M. Antinori s'est montré, lui, nettement plus évasif. Le week-end précédent, le gynécologue italien, célèbre pour avoir développé des techniques de procréation pour les femmes ménopausées, avait pourtant affirmé dans plusieurs journaux qu'il comptait deux cents couples prêts à s'engager dans cette voie. S'il le fallait, il se disait même prêt à opérer sur un navire croisant dans les eaux internationales ou dans un pays n'interdisant pas cette pratique. Mme Boisselier, directrice scientifique de la société Clonaid, basée aux Bahamas, s'est refusée, de son côté, à toute précision sur les procédés qu'elle emploie. Elle a indiqué que son entreprise travaillait exclusivement, aux Etats-Unis, "sur les cellules souches et le clonage des bovins" et qu'elle "avance" sur le clonage humain dans un autre pays, où la loi ne s'y oppose pas mais dont elle n'a pas voulu dire le nom. Membre de l'Eglise raélienne – du nom du gourou Raël, son dirigeant français – Mme Boisselier n'a pas évoqué, cette fois, la croyance de ce groupe dans le clonage comme moyen d'accéder à l'immortalité, préférant affirmer que sa société reçoit une "énorme demande" venant de couples stériles.

Les autres intervenants ont insisté sur les enseignements du clonage animal, caractérisé à ce jour par un taux d'échec considérable, qu'il s'agisse de gestations avortées, de morts à la naissance ou dans les jours qui suivent, ou de handicaps lourds. L'Ecossais Ian Wilmut, directeur de l'Institut Roslin et "inventeur" de la brebis Dolly, a notamment détaillé les expériences menées sur différentes espèces, de la souris au porc, montrant à quel point la technique, qu'il a lui-même le premier fait aboutir, est précaire. Est-il imaginable de faire courir sciemment de pareils risques à des êtres humains ? Les trois vedettes de la journée répondent que les parents savent "que la technologie n'est pas sûre" (M. Zavos); que les taux d'échec du clonage, selon les données de l'expérimentation animale, "sont proches de ceux de la reproduction sexuelle dite normale" (Mme Boisselier); que les obstétriciens et les néonatologistes sont beaucoup plus avancés que les fabricants de brebis ou de souris dans la "détection de malformations de l'embryon", ce qui leur permettra d'interrompre les grossesses mal engagées (M. Antinori). Donc, dit encore Mme Boisselier, le clonage animal fournit déjà "toutes les informations dont nous avons besoin pour avancer dans le clonage humain".

La rencontre organisée par les académies nationales américaines s'est inscrite dans une phase relativement intense du débat ouvert aux Etats-Unis sur le clonage. Le 31 juillet, la Chambre des représentants a voté, à une large majorité bipartisane de 265 voix contre 162, un texte interdisant toute forme de clonage humain. Déposée par un député républicain de Floride, Dave Weldon, cette proposition de loi tend à rendre illégal le clonage thérapeutique aussi bien que le clonage à visée reproductive. Les seules recherches autorisées sur les cellules souches devraient être menées à partir des embryons surnuméraires, issus de fécondations artificielles et inutilisés. Cette position a peu de chances d'être suivie par le Sénat, où les démocrates sont devenus majoritaires et qui avait refusé, en 1998, une telle interdiction totale. Cependant, le chef de file démocrate, Tom Daschle, sénateur du Dakota du Sud, s'est déclaré "très mal à l'aise" au sujet du clonage, "même à des fins de recherche".

LES ESPOIRS DES MALADES

George Bush, parti en vacances pour un mois au Texas, a prévu de profiter de ses loisirs pour arrêter sa propre position. Dans l'esprit de ses engagements de campagne, le président avait décidé, en janvier, de reconsidérer la décision de son prédécesseur, Bill Clinton, autorisant l'attribution de crédits fédéraux aux recherches menées sur les cellules souches. Le refus de toute forme de clonage humain avait été recommandé à M. Bush par le pape Jean Paul II, auquel il avait rendu, en juin, une visite aux motivations électorales transparentes. Cependant, le public américain, y compris la minorité catholique, est favorable au clonage thérapeutique, et les espoirs des malades auxquels cette technique pourrait venir en aide ennoblissent une cause défendue plus discrètement par les entreprises de biotechnologie et les scientifiques.

Patrick Jarreau


• LE MONDE | 07.08.01 | 11h45
• MIS A JOUR LE 07.08.01 | 12h41

Clonage humain: le Dr Antinori menacé par le conseil de l'ordre italien

Le docteur italien Severino Antinori, qui projette de mettre prochainement en oeuvre un programme de clonage humain, se heurte à la réticence de ses confrères et risque la radiation.

À la veille de la présentation, mardi 7 août, à Washington, devant l'Académie américaine des sciences, d'un programme de clonage reproductif dans l'espèce humaine, le président américain, George W. Bush, a fait savoir qu'il demeurait fermement opposé à toute tentative de ce type. L'annonce de ce programme devait être faite par le docteur Severino Antinori, un gynécologue-obstétricien exerçant dans une clinique de Rome et qui a acquis une certaine notoriété internationale en acceptant de mettre en œuvre les techniques de procréation médicalement assistée chez des femmes ménopausées. "Si le but de ce programme est de cloner un être humain, le président est opposé à toute tentative en ce sens", a déclaré, lundi, Scott McClellan, l'un des porte-parole de M. Bush à Crawford, le village texan où le président américain est en vacances.

En présence de Panayiotis Michael Zavos, généticien américain d'origine grecque avec qui il prévoit de mener son entreprise controversée, le docteur Antinori devait indiquer devant l'Académie américaine des sciences que les premières tentatives de clonage reproductif chez les deux cents couples volontaires qui ont d'ores et déjà été sélectionnés seraient faites en novembre. Pour le médecin italien, il est clair que rien ne doit s'opposer à la mise en œuvre de la technique du clonage à des fins de reproduction, qui constituera selon lui une avancée scientifique majeure. "Vous ne pouvez pas mettre de barrières au clonage thérapeutique, a déclaré le docteur Antinori, lundi 6 août, à l'agence Reuters. Cloner nous aidera à mettre fin à de nombreuses maladies, à donner aux hommes stériles la chance d'avoir des enfants. Nous ne pouvons pas passer à côté d'une pareille occasion".

PROCÉDURE DISCIPLINAIRE

Le médecin italien n'a pas encore fait savoir où il réaliserait son programme, la plupart des pays industrialisés interdisant, de manière explicite ou pas, une telle pratique. Pour sa part, le conseil de l'ordre des médecins italiens, s'il est favorable au clonage thérapeutique (qui prévoit la création ou l'utilisation d'embryons sans programmer leur développement), est fermement opposé au clonage reproductif uniquement à des fins de prévention ou de guérison de maladies. Cette instance a d'ailleurs entamé une procédure disciplinaire à l'encontre du docteur Antinori en mars dernier, lorsque le médecin romain avait, pour la première fois, dévoilé ses intentions.

Le docteur Mao Falconi, président de ce conseil pour la région de Rome, a précisé que le docteur Antinori risquait, au terme de cette procédure, d'être radié. Ce conseil a par ailleurs demandé, lundi, au Parlement italien d'adopter une législation en vue de criminaliser le clonage humain reproductif.

"Le docteur Antinori doit se rappeler que l'ordre des médecins a plusieurs fois réitéré qu'il respectait le protocole du Conseil européen interdisant la création d'un être humain génétiquement identique à un autre, a indiqué, dans un communiqué, Giuseppe Del Barone, président du conseil de l'ordre des médecins italiens. L'ordre a également confirmé une nouvelle fois sa propre opposition à une telle pratique, considérée comme contraire à la dignité de l'homme". Le docteur Del Barone a par ailleurs accusé son confrère de "privilégier le folklore par rapport à la science".

Jean-Yves Nau


• LE MONDE | 07.08.01 | 09h42
• MIS A JOUR LE 07.08.01 | 20h54

Le docteur Antinori lance un programme de clonage humain reproductif

Le spécialiste italien, devant la condamnation unanime dont le clonage humain reproductif fait l'objet, a indiqué que son équipe pourrait devoir opérer sur un bateau situé dans les eaux internationales.

Le docteur Severino Antinori, gynécologue-obstétricien italien, a annoncé, mardi 7 août à Washington, dans le cadre d'un colloque de l'Académie américaine des sciences, le lancement du premier programme international de clonage humain à visée reproductrice. Selon le Sunday Times (du 5 août), le spécialiste italien va, dans un premier temps, proposer cette technique à près de deux cents femmes volontaires de plusieurs pays. Le docteur Antinori avait déjà annoncé son intention de mettre en œuvre ce procédé de procréation scientifiquement assistée qui est condamné par la quasi-totalité des institutions éthiques nationales et internationales (Le Monde du 21 juin). Selon le Sunday Times, le médecin italien, qui dirige une clinique à Rome célèbre pour appliquer les techniques de procréation assistée chez les femmes ménopausées, a constitué une équipe internationale composée de vingt spécialistes, dont un biologiste moléculaire britannique.

La plupart des demandes qui ont été retenues proviennent, selon le docteur Antinori, de femmes vivant avec un homme souffrant de stérilité. Huit des deux cents femmes sont d'origine britannique. La prise en charge sera effectuée gratuitement.

En pratique, l'opération sera similaire à celle qui, en 1997, a permis la création de Dolly. Il y aura dans un premier temps stimulation de la fonction ovarienne de la femme et prélèvement d'un nombre élevé d'ovocytes. Ces cellules seront ensuite énuclées et on introduira en leur sein le noyau d'une cellule prélevée sur le corps de l'homme. Si les chercheurs obtiennent que l'embryon ainsi créé in vitro se développe, ils le placeront dans l'utérus de la future mère. L'enfant qui verrait ainsi le jour serait pratiquement le double génétique de l'homme stérile. Outre la condamnation éthique dont elle fait l'objet – au nom du respect de la dignité humaine – dans la plupart des pays industrialisés, cette technique soulève une série de graves questions quant à son innocuité.

Le recul dont on dispose en matière de clonage reproductif chez l'animal montre que les manipulations nécessaires à l'obtention d'un embryon peuvent induire une série d'anomalies et de malformations. Cette pratique peut aussi être à l'origine d'une mortalité précoce. En l'état actuel des connaissances, de très nombreuses tentatives sont d'autre part nécessaires avant d'obtenir un embryon, ce qui impose de disposer d'un nombre élevé d'ovocytes. Tous ces éléments ne font nullement hésiter le spécialiste italien qui, devant la condamnation unanime dont le clonage humain reproductif fait l'objet, a indiqué que son équipe pourrait devoir opérer sur un bateau situé dans les eaux internationales.

Outre la communication du docteur Antinori, la réunion de Washington a été marquée par la présence de Brigitte Boisselier, ancienne spécialiste de biochimie de la société Air Liquide et représentante de l'Eglise raélienne. Cette secte a elle aussi annoncé son intention de financer un programme voisin de celui du docteur Antinori (Le Monde du 8 juin). Ian Wilmut, du Roslin Institute d'Edimbourg, créateur de Dolly, ainsi que les professeurs André Van Steirteghem (Université libre néerlandophone de Bruxelles) et Alan Trouson (Clayton, Australie), deux des meilleurs spécialistes mondiaux de la reproduction humaine et animale, étaient également présents.

Jean-Yves Nau
• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 07.08.01


• LEMONDE.FR | 02.08.01 | 13h01
• MIS A JOUR LE 07.08.01 | 11h42

Le clonage humain bientôt hors la loi aux Etats-Unis

A l'issue d'un débat de trois heures, la Chambre des représentants a adopté, mardi 31 juillet, un projet de loi criminalisant toute tentative de créer un embryon humain par clonage. Dans un communiqué en date du 1er août, Walter Schwimmer, secrétaire général du Conseil de l'Europe, s'est félicité de l'adoption de ce texte "conforme aux principes et recommandations" de l'instance européenne.

Au soir du mardi 31 juillet, après un vif débat de plus de trois heures, la Chambre des représentants a adopté par 265 voix contre 162 un projet de loi interdisant la création de tout embryon humain par clonage. Ce texte, qui expose le contrevenant à une peine d'emprisonnement de dix ans maximum et à une amende d'au minimum un million de dollars, représente une victoire pour le président américain, Georges W. Bush, mais une défaite pour la communauté scientifique, qui souhaite pouvoir développer la recherche dans ce domaine. Sur le plan médical, le clonage constitue en effet un espoir en matière de greffes ou de remplacements d'organes, voir, à terme, dans le traitement de maladies mortelles aujourd'hui incurables. Sa criminalisation apparaît donc comme une mauvaise solution aux yeux des chercheurs, qui ne contestent cependant pas les risques éthiques lié à l'emploi de cette technique à des fins de reproduction.

A l'annonce de l'adoption du "Human Cloning Prohibition Act" proposé par le représentant républicain de Floride, David Weldon, la Maison Blanche a exprimé sa "satisfaction", son porte-parole, Ari Fleischer, précisant que ce texte contient "les mesures appropriées pour l'éthique, la science et le respect d'une culture qui privilégie les valeurs de la vie". Ce sont essentiellement les élus républicains opposés également à l'avortement qui ont soutenu ce projet car le clonage implique effectivement la production et la destruction des embryons dans le dessein d'obtenir des cellules souches. "Si les scientifiques avaient l'autorisation de cloner des embryons, ces derniers pourraient éventuellement être vendus et commercialisés en masse" a averti le républicain James Sensenbrenner, président de la commission judiciaire de la Chambre des représentants. "C'est une question d'éthique" a-t-il conclu précisant que ce texte a pour objet d'interdire la création d'embryons clonés, mais pas d'empêcher "la recherche sur les cellules souches".

Pourtant, les élus américains avaient rejeté, par 249 voix contre 178, un projet de loi concurrent qui posait l'interdiction du clonage visant à créer un être humain, mais qui, dans le même temps, autorisait le recours à cette technique dans un but thérapeutique. "Tous les membres du Congrès sont d'accord pour condamner et interdire le clonage humain. Toutefois, l'utilisation de techniques de transfert nucléaire de cellules somatiques à des fins thérapeutiques est la clé pour déverrouiller les miracles" offerts par les cellules souches, a assuré le démocrate de Floride Peter Deutsh qui, comme beaucoup des membres de son parti, a ainsi insisté sur les espoirs que représente la culture de cellules souches.

En 1997, l'administration Clinton avait prudemment décrété un moratoire de cinq ans sur les expériences de clonage humain dont le financement était public, mais, jusqu'à présent, la loi américaine n'interdisait pas leur financement par des organismes privés. Le débat sur cette question devrait s'intensifier dans les mois à venir car l'affaire est éminement politique. George Bush subit les pressions d'une partie de sa majorité qui souhaite que le président américain refuse, comme il en a le pouvoir, d'autoriser le développement de la recherche publique sur les cellules souches. Au contraire, le Sénat, à majorité démocrate, pourrait faire obstacle à la Chambre des représentants en se prononçant pour l'interdiction partielle du clonage humain.

Dans un communiqué en date du 1er août, le Conseil de l'Europe s'est félicité de la décision des représentants américains, son secrétaire général, Walter Swimmer, estimant que le projet de loi adopté "est conforme aux principes et recommandations" de cette instance européenne. "Je ne peux qu'encourager d'autres pays à suivre l'exemple des Etats-Unis", a-t-il ajouté. En Europe également, le débat sur le clonage apparaît polémique tant cette technique touche au fondement naturel de l'espèce humaine avec toutes les représentations culturelles qui y sont liées.

Avec AFP