• LE MONDE | 08.08.01 | 11h03
• MIS A JOUR LE 08.08.01 | 12h10
Clonage: la tentation du pire
Le médecin italien Severino Antinori et deux de ses collègues ont provoqué l'hostilité unanime des spécialistes de l'embryologie, réunis mardi 7 août, à Washington, à l'initiative des académies nationales de Etats-Unis, en présentant leurs projets de clonage à des fins de reproduction humaine.
WASHINGTON de notre envoyé spécial
Trois francs-tireurs contre toute une communauté scientifique. Trois chercheurs prêts à faire
voler en éclats toutes les barrières éthiques contre les plus prestigieux spécialistes de
l'embryologie, désireux de mettre en garde contre les dangers de leur propre discipline. Les
académies nationales des Etats-Unis ont été le théâtre, mardi 7 août, à Washington, de la plus
importante confrontation publique organisée, jusqu'ici, entre scientifiques sur le clonage comme
technique de reproduction humaine. Cette conférence entrait dans le cadre des travaux entrepris
par un groupe de savants, associant plusieurs académies et présidé par le professeur Irving
Weissman, de l'université de Stanford, qui remettra au Congrès, fin septembre, un rapport sur
le clonage humain. La réunion de mardi devait établir un état des connaissances acquises, des
expériences engagées et des débats en cours parmi les équipes travaillant sur le clonage animal.
Les invitations adressées au professeur de médecine Severino Antinori, de l'université de Rome,
au biologiste Panayiotis Michael Zavos, de l'université du Kentucky, ainsi qu'à Brigitte
Boisselier, docteur en chimie des universités de Dijon et de Houston, étaient destinées à faire
la clarté sur l'avancement de leurs projets. Ou à montrer l'impossibilité d'y parvenir.
AVARES D'INFORMATIONS
Les trois hérétiques proclamés ont été, en effet, avares d'informations sur leurs recherches,
comme d'arguments contre les condamnations ou les mises en garde formulées par les autres
participants. Le professeur Zavos a assuré que son collègue Antinori et lui-même commenceront
en novembre à mettre en œuvre le clonage au bénéfice de couples stériles. M. Antinori s'est
montré, lui, nettement plus évasif. Le week-end précédent, le gynécologue italien, célèbre pour
avoir développé des techniques de procréation pour les femmes ménopausées, avait pourtant affirmé
dans plusieurs journaux qu'il comptait deux cents couples prêts à s'engager dans cette voie. S'il
le fallait, il se disait même prêt à opérer sur un navire croisant dans les eaux internationales
ou dans un pays n'interdisant pas cette pratique. Mme Boisselier, directrice scientifique de
la société Clonaid, basée aux Bahamas, s'est refusée, de son côté, à toute précision sur les
procédés qu'elle emploie. Elle a indiqué que son entreprise travaillait exclusivement, aux
Etats-Unis, "sur les cellules souches et le clonage des bovins" et qu'elle "avance"
sur le clonage humain dans un autre pays, où la loi ne s'y oppose pas mais dont elle n'a pas voulu
dire le nom. Membre de l'Eglise raélienne – du nom du gourou Raël, son dirigeant français – Mme
Boisselier n'a pas évoqué, cette fois, la croyance de ce groupe dans le clonage comme moyen
d'accéder à l'immortalité, préférant affirmer que sa société reçoit une "énorme demande"
venant de couples stériles.
Les autres intervenants ont insisté sur les enseignements du clonage animal, caractérisé à ce
jour par un taux d'échec considérable, qu'il s'agisse de gestations avortées, de morts à la
naissance ou dans les jours qui suivent, ou de handicaps lourds. L'Ecossais Ian Wilmut,
directeur de l'Institut Roslin et "inventeur" de la brebis Dolly, a notamment détaillé
les expériences menées sur différentes espèces, de la souris au porc, montrant à quel point
la technique, qu'il a lui-même le premier fait aboutir, est précaire. Est-il imaginable de faire
courir sciemment de pareils risques à des êtres humains ? Les trois vedettes de la journée
répondent que les parents savent "que la technologie n'est pas sûre" (M. Zavos); que les
taux d'échec du clonage, selon les données de l'expérimentation animale, "sont proches de ceux
de la reproduction sexuelle dite normale" (Mme Boisselier); que les obstétriciens et les
néonatologistes sont beaucoup plus avancés que les fabricants de brebis ou de souris dans la
"détection de malformations de l'embryon", ce qui leur permettra d'interrompre les
grossesses mal engagées (M. Antinori). Donc, dit encore Mme Boisselier, le clonage animal fournit
déjà "toutes les informations dont nous avons besoin pour avancer dans le clonage humain".
La rencontre organisée par les académies nationales américaines s'est inscrite dans une phase
relativement intense du débat ouvert aux Etats-Unis sur le clonage. Le 31 juillet, la Chambre
des représentants a voté, à une large majorité bipartisane de 265 voix contre 162, un texte
interdisant toute forme de clonage humain. Déposée par un député républicain de Floride, Dave
Weldon, cette proposition de loi tend à rendre illégal le clonage thérapeutique aussi bien que
le clonage à visée reproductive. Les seules recherches autorisées sur les cellules souches
devraient être menées à partir des embryons surnuméraires, issus de fécondations artificielles
et inutilisés. Cette position a peu de chances d'être suivie par le Sénat, où les démocrates
sont devenus majoritaires et qui avait refusé, en 1998, une telle interdiction totale. Cependant,
le chef de file démocrate, Tom Daschle, sénateur du Dakota du Sud, s'est déclaré "très mal
à l'aise" au sujet du clonage, "même à des fins de recherche".
LES ESPOIRS DES MALADES
George Bush, parti en vacances pour un mois au Texas, a prévu de profiter de ses loisirs pour
arrêter sa propre position. Dans l'esprit de ses engagements de campagne, le président avait
décidé, en janvier, de reconsidérer la décision de son prédécesseur, Bill Clinton, autorisant
l'attribution de crédits fédéraux aux recherches menées sur les cellules souches. Le refus de
toute forme de clonage humain avait été recommandé à M. Bush par le pape Jean Paul II, auquel
il avait rendu, en juin, une visite aux motivations électorales transparentes. Cependant, le
public américain, y compris la minorité catholique, est favorable au clonage thérapeutique,
et les espoirs des malades auxquels cette technique pourrait venir en aide ennoblissent une
cause défendue plus discrètement par les entreprises de biotechnologie et les scientifiques.
|