Le Monde - Société -
Le clonage humain, série 2: Clonage «thérapeutique»


– S O M M A I R E –

La Grande-Bretagne, royaume de l'embryologie
France: appel d'offres de 4 millions de francs pour les cellules souches thérapeutiques
Les députés veulent que le Parlement se saisisse de la question du clonage thérapeutique
Lionel Jospin renonce à légaliser le clonage à visée thérapeutique
Clonage thérapeutique: perplexité d'un citoyen, par Jean-Paul Caverni
Jacques Chirac se prononce contre le clonage thérapeutique
Le Groupe d´éthique européen rejette le clonage thérapeutique
Vers une nouvelle voie de création de cellules souches
Les cellules souches confirment leurs promesses thérapeutiques

– Clonage, les autres séries –
Clonage humain, 1
Clonage humain, 3
Clonage & nanotechno



• LE MONDE | 16.08.01 | 11h50
• MIS A JOUR LE 17.08.01 | 11h22

La Grande-Bretagne, royaume de l'embryologie

Londres s'est doté d'une législation sur le clonage thérapeutique humain moins restrictive que celle des Etats-Unis. En accueillant dans ses universités des savants américains à la pointe de ces travaux, le Royaume-Uni espère attirer dans leur sillage les industries nord-américaines utilisant les cellules souches.
LONDRES de notre correspondant

"J'ai dédié ma carrière à la découverte des bénéfices médicaux de la technologie émergente des cellules souches. Mais après avoir travaillé pendant cinq ans dans ce domaine aux Etats-Unis, je suis de plus en plus frustré en raison du problème du financement public des recherches. C'est pourquoi, à partir du mois prochain, j'entends poursuivre mes travaux au Royaume-Uni". Le flegme légendaire des lecteurs du Financial Times a "craqué", mercredi 15 août, à la lecture des explications données par Roger Peterden de sa décision de se transférer avec armes et bagages au Royaume-Uni.

Vers une banque de cellules souches embryonnaires

Le Medical Research Council (MRC) étudie la création de la première banque de cellules souches embryonnaires. Actuellement, il existe des banques américaines et européennes de cellules adultes prélevées dans la moelle épinière et les tissus de cerveaux d'enfants et d'adultes. A l'initiative du directeur de la santé publique britannique, Liam Donaldson, un groupe de spécialistes examinent la faisabilité d'une telle institution, basée à Londres et destinée à stocker exclusivement les lignées de cellules souches existant dans le monde.

Le Wellcome Trust, la plus riche organisation philanthropique au monde, filiale du géant Glaxo SmithKline, et la Royal Society, l'académie britannique des sciences, sont associés à ce projet. Cette banque serait copiée sur le Projet du génome humain, consortium de dix-huit pays, lancé en 1990. Fondé en 1913, le MRC a dépensé l'an dernier 4,5 millions de livres (7,1 millions d'euros) pour encourager la recherche sur les cellules souches.
(Corresp.)

L'université de Californie a espéré jusqu'à la dernière minute retenir l'éminent gynécologue américain à San Francisco, espèces trébuchantes à l'appui. En vain. La décision, annoncée le 10 août, du président George W. Bush d'autoriser le financement fédéral de recherches sur les cellules souches dans des limites très strictes, a balayé les derniers états d'âme du professeur. A la rentrée, ce dernier enseignera à l'université de Cambridge. Le Medical Research Council, le conseil de recherche médical du Royaume-Uni, financera ses travaux, qui pourraient servir à soigner des maladies du pancréas, l'une de ses spécialités. Fuyant les attaques des milieux ultrareligieux et des ligues anti-avortement américains, le praticien a accepté une diminution substantielle de ses rémunérations pour pouvoir travailler dans un pays dont il est sûr qu'il deviendra le bastion mondial de la recherche sur les cellules souches embryonnaires.

L'homme plus facile à cloner que les animaux ?

Les hommes pourraient être plus faciles à cloner que les animaux tels que moutons, vaches, cochons et souris, en raison d'un trait génétique qui réduirait les risques de cancer et de croissance excessive du fœtus, selon une étude du centre médical de Duke University, en Caroline du Nord, publiée mercredi 15 août par la revue Human Molecular Genetics.

Selon Keith Killian, coauteur de l'étude – qui va à l'encontre des prévisions de la communauté scientifique –, la différence réside dans la présence chez l'homme et chez certains primates de deux copies d'un gène appelé le "récepteur de facteur de croissance 2 ressemblant à l'insuline" (IGF2R).

L'embryon humain reçoit une copie fonctionnelle de chacun des deux parents, tandis que les animaux n'en reçoivent qu'une copie. La conséquence est une plus grande susceptibilité du fœtus animal au cancer et aux complications de clonage telles que des malformations, une immaturité pulmonaire, une excroissance cardiaque et une immunité réduite.
(AFP.)

L'écho rencontré dans la presse londonienne par cette défection met en exergue l'ambition de la Grande-Bretagne de devenir le pays d'élection des chercheurs en embryologie. Les éditorialistes espèrent que les "poids lourds" comme le docteur Peterden entraîneront dans leur sillage des sociétés de biotechnologie nord-américaines. Certains optimistes y voient déjà les germes d'une inversion du traditionnel "exode des cerveaux", cette fois des Etats-Unis vers la Vieille Angleterre…

UN PASSÉ DÉJÀ RICHE

"Cet afflux de chercheurs est un phénomène nouveau. Nous recevons de nombreuses demandes d'informations de sociétés américaines de biotechnologie sur les conditions de délocalisation. Le Royaume-Uni est la première grande nation au monde dotée d'un cadre réglementaire bien défini au sein duquel les chercheurs peuvent étudier toutes les pièces du puzzle de la recherche sur les embryons", indique un porte-parole de la Biotechnology Industries Association, qui représente une centaine de compagnies de cette branche.

A l'origine de cet engouement, le vote, en janvier, par le Parlement de Westminster, d'une loi permettant de financer le clonage thérapeutique humain par des fonds publics. La législation interdit toutefois le clonage à but reproductif. Par ailleurs, toute recherche dans le domaine des cellules souches est soumise à l'autorisation de l'organisme de régulation, le Human Fertilization and Embryology Authority. Le gouvernement Blair a identifié ce domaine comme étant d'une importance particulièrement grande et a investi des fonds publics pour que les recherches aillent de l'avant.

Il faut dire que le royaume prospère sur un passé déjà riche: premier bébé-éprouvette (1978), découverte de cellules souches des souris (1981), loi autorisant la recherche sur les embryons jusqu'au quatorzième jour (1990), naissance de la brebis Dolly, premier animal né par clonage d'une cellule adulte (1997), etc. A l'ombre des universités britanniques – Cambridge, Oxford, Edimbourg, Reading… – se sont développés des pôles d'excellence d'entreprises de biotechnologie. Tony Blair a fait de la recherche scientifique de haut niveau l'une de ses priorités. A ses yeux, la pharmacie et la biotechnologie sont les deux seuls secteurs industriels où la Grande-Bretagne est en avance sur les Etats-Unis. Forte de 42 000 employés, l'industrie biotechnologique britannique est la première en Europe et la deuxième au monde, derrière celle des Etats-Unis.

Mais si les investissements des firmes de capital-risques appuient cette expansion, la méfiance de la City pénalise l'essor de la recherche à grande échelle dans ce domaine controversé. "Depuis la fin de l'année dernière, la biotechnologie est considérée comme un secteur dangereux en raison des nombreuses désillusions. Le marché se détourne de ces valeurs sans profit à court terme, aux ventes petites avec des perspectives à cinq ou dix ans". Comme l'indique un analyste, les milieux financiers se détournent des "pousses" innovantes qui appliquent et valorisent commercialement les découvertes. Ainsi, le laboratoire écossais Roslin, qui a mis au monde la brebis Dolly, en a fait l'amère expérience: sa récente augmentation de capital s'est soldée par un retentissant fiasco.

Marc Roche


• LE MONDE | 16.08.01 | 12h34
• MIS A JOUR LE 16.08.01 | 15h28

France: appel d'offres de 4 millions de francs pour les cellules souches thérapeutiques

L'Eldorado promis par les potentialités des cellules souches embryonnaires humaines sera-t-il investi par la recherche française ? Soixante-trois équipes de recherche ont répondu à l'appel d'offres conjoint lancé en 2000 par l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et l'Association française contre les myopathies (AFM) sur les cellules souches thérapeutiques, destiné à financer une quinzaine de projets à hauteur de 300 000 francs.

La première utilité de cet appel d'offres a été de constituer un observatoire des laboratoires désireux et capables de se lancer dans cette recherche. Le paysage français est bien pauvre à cet égard, si l'on compare la situation du monde anglo-saxon (Etats-Unis, Royaume-Uni). La législation très contraignante pour étudier l'embryon humain dans l'Union européenne, mis à part en Grande-Bretagne, en est sans doute en partie responsable. Mais, bien qu'il ait toujours été possible d'étudier les cellules souches embryonnaires animales, peu d'équipes se sont lancées dans cette recherche. Même si celle de l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) dirigée par Jean-Paul Renard a été une des premières au monde à cloner les bovins, elle reste isolée et les projets de recherche présentés dans le cadre de l'appel d'offres n'ont guère émané que d'équipes d'établissements publics de recherche ou universitaires engagées dans la recherche biomédicale.

La grande majorité des projets présentés concernent l'étude et le développement de cellules souches humaines contenues dans différents tissus et dites cellules souches adultes. Les propriétés des cellules souches adultes et embryonnaires sont très différentes. Les premières ont, en général, un moindre potentiel de multiplication et de différenciation. Les cellules souches adultes, tapies dans un organe, ont naturellement pour rôle de se reproduire et de donner naissance aux divers types de cellules qui forment l'organe lorsque celles-ci sont abîmées ou vieillies, et non pas de se transformer en n'importe quel tissu.

MULTIPLIER ET SPÉCIALISER

Mais elles sont déjà à la base de traitements qui ont fait leurs preuves comme les greffes de cellules souches hématopoïétiques, à savoir les cellules de la moelle capables de régénérer tout le système cellulaire du sang. Le quart des projets présentés portent sur une meilleure caractérisation de ces cellules. La peau est le deuxième organe dont on utilise à l'heure actuelle les cellules souches adultes. Ces dernières ont un tel pouvoir de prolifération que les cultures de cellules de peau recouvrent une surface 10 000 fois supérieure à celle de l'échantillon prélevé sur le sujet brûlé et permettent de le recouvrir.

Si la plupart des organes possèdent des cellules souches adultes, pourquoi a-t-on besoin des cellules souches embryonnaires ? Parce que ce sont les seules que l'on sait capables de se transformer dans chacun des 200 tissus qui constituent l'homme. L'avenir de la thérapie cellulaire demande aussi que l'on soit capable non seulement de multiplier les cellules mais aussi de les spécialiser. Certaines maladies neurodégénératives, par exemple, ont été soignées par des cellules prélevées sur des fœtus avortés, notamment la maladie de Parkinson et, très récemment, la maladie de Huntington. Les résultats très prometteurs de ces tentatives conduisent à penser que, lorsqu'on saura amener au degré souhaité de spécialisation les cellules souches, on aura à sa disposition de vraies cellules thérapeutiques pour ces maladies.

PROCESSUS DE DIFFÉRENCIATION

Toute cellule du corps humain a une cellule souche embryonnaire comme ancêtre. Mais on connaît encore mal l'ensemble des processus de différenciation, ce qui fait qu'une cellule identique à toutes les autres lors des premières divisions de l'œuf fécondé met en route un programme qui conduira ses descendantes à devenir des cellules musculaires et non pas hépatiques. Etudier les cellules souches embryonnaires doit permettre de décrypter ces signaux qui, progressivement, dictent à une cellule souche sa spécification. Il est possible, en outre, que la mise au jour des molécules qui règlent ces phénomènes permette, à terme, de conduire des cellules souches adultes au degré de spécialisation nécessaire pour les utiliser sans danger et qu'il ne soit pas utile de transformer les cellules souches embryonnaires en cellules thérapeutiques. Mais il est clair qu'aujourd'hui leur étude est irremplaçable.

L'appel d'offres Inserm-AFM n'est heureusement pas le seul moyen de financement pour cette recherche. Le ministère de la recherche a aussi lancé quelques "actions incitatives"… Mais l'Institut national de la santé américain consacre annuellement environ 1 milliard de francs (160 millions d'euros) à la seule recherche sur les cellules souches adultes humaines.

Elisabeth Bursaux


• LE MONDE | 10.07.01 | 16h32

Les députés veulent que le Parlement se saisisse de la question du clonage thérapeutique

Le temps n'est plus où députés et sénateurs se déclaraient insensibles, sinon allergiques, aux controverses philosophiques et morales inhérentes à l'avancée des sciences du vivant. Dernier symptôme de cette évolution: la publication, mardi 10 juillet, du rapport d'information de la "Mission commune préparatoire au projet de loi de révision des "lois bioéthiques" de juillet 1994".

Fruit d'un long travail conduit par une mission composée de cinquante-sept députés et présidée par Bernard Charles (PRG, Lot), ce rapport traite de l'ensemble des sujets d'actualité déjà abordés depuis près de deux ans par le Conseil d'Etat, le Comité consultatif national d'éthique, le Conseil national de l'ordre des médecins ou la Commission nationale consultative des droits de l'homme. Il aborde ainsi les différentes problématiques relatives à l'assistance médicale à la procréation, à la recherche scientifique sur l'embryon humain, au don et à l'utilisation des produits du corps humain, ainsi qu'à la brevetabilité de ces derniers. Il approuve, pour l'essentiel, les dispositions contenues dans le projet de loi sur la bioéthique.

Le rapport de la mission de l'Assemblée nationale traite aussi sans ambiguïté de l'une des questions les plus controversées du moment: celle de la légalisation du "clonage thérapeutique". Cette pratique consiste, schématiquement, à fabriquer un embryon humain à des fins non pas de reproduction, mais de recherche et de traitement médical. En février, le président de la République, Jacques Chirac, s'est déclaré opposé à une telle proposition, tandis que le premier ministre, Lionel Jospin, après avoir pris position, à la fin de l'année 2000, en faveur du clonage thérapeutique, a finalement choisi de s'aligner sur la position du Conseil d'Etat (Le Monde du 21 juin).

UN MOT QUI "PRÊTE À CONFUSION"

"La question du recours au clonage thérapeutique fait l'objet d'un débat en France, mais aussi en Europe et aux Etats-Unis, a expliqué, mardi 10 juillet, Alain Claeys (PS, Vienne), rapporteur de la mission d'information. Il faut être attentif aux questions terminologiques. L'utilisation du mot "clonage" prête à confusion. Il faut insister sur le fait que l'objectif n'est pas de parvenir au développement d'un être humain, mais d'obtenir, à partir des cellules somatiques d'un patient, les cellules souches dont la différenciation contrôlée permettrait de traiter l'affection dont il est porteur sans provoquer de phénomène de rejet". Selon M. Claeys, que l'on soit convaincu ou non de l'opportunité d'ouvrir un tel domaine controversé de recherche, "on ne peut pas accepter le fait que le Parlement soit exclu de ce débat alors que le Comité d'éthique, la Commission des droits de l'homme, le Conseil d'Etat, le premier ministre et le président de la République ont exprimé leur propre point de vue".

Le rapport souligne que la commission spéciale qui sera chargée de l'examen du projet de loi pourrait organiser sur cette question une "audition publique", au cours de laquelle défenseurs et opposants au clonage thérapeutique pourront "éclairer le choix final du législateur". Pour M. Claeys, si cette technique devait finalement être autorisée, il faudrait régler la question du don des ovocytes, ces cellules sexuelles féminines indispensables à la création des embryons conçus à des fins thérapeutiques. La mission, qui juge que ce serait "une erreur, et même une faute", de ne pas commencer le débat de révision des lois de 1994 avant la fin de la législature, estime qu'il faut faire pression sur la Commission de Bruxelles afin d'obtenir une interprétation rigoureuse du texte controversé de la directive européenne de 1998 sur la brevetabilité du vivant.

Jean-Yves Nau
• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 11.07.01


• LE MONDE | 07.08.01 | 19h51

Lionel Jospin renonce à légaliser le clonage à visée thérapeutique


Une étape importante dans le débat sur la bioéthique vient d'être franchie. Contrairement à ce qu'il avait initialement programmé, le gouvernement ne proposera pas d'autoriser par voie législative la pratique du clonage dit thérapeutique, cette technique qui, de l'avis des biologistes, pourrait permettre de soigner de nombreuses affections aujourd'hui incurables. Lionel Jospin a, sur ce point, choisi de suivre les conclusions de l'assemblée générale du Conseil d'Etat qui, à une voix de majorité, s'est prononcée, jeudi 14 juin, contre cette disposition.

Sans jamais utiliser le terme de "clonage thérapeutique", le texte de l'avant-projet de loi du gouvernement prévoyait bien d'autoriser, sous certaines conditions très précises, le "prélèvement de cellules" sur des personnes volontaires. Les noyaux de ces cellules auraient ensuite pu être inclus dans des ovocytes énucléés afin de constituer des embryons humains, ces derniers ne pouvant toutefois pas être utilisés à des fins procréatives.

Tout en condamnant de manière explicite le clonage reproductif, le gouvernement entendait ainsi permettre aux biologistes français de participer aux recherches dans ce domaine en pleine expansion. Présentant le 28 novembre 2000 les grandes lignes de l'avant-projet de loi de relecture des lois de bioéthique de 1994, le premier ministre s'était dit convaincu du fait que "la société française aspire à ce que la prise en compte de valeurs fondamentales encadre, sans les rendre impossibles, l'avancée des connaissances scientifiques et leurs applications potentielles dans le domaine de la santé humaine".

RÉIFICATION DE L'EMBRYON

Il répondait ainsi par avance aux arguments de ceux pour qui la légalisation de la pratique du clonage thérapeutique conduirait à une réification de l'embryon humain tout en constituant l'étape précédant l'acceptation du clonage reproductif. Cette disposition était, au sein du gouvernement, défendue notamment par les ministres de la recherche et de la santé.

La controverse avait été relancée, début février, par le président de la République. S'exprimant à Lyon dans le cadre d'un congrès mondial sur les sciences du vivant, Jacques Chirac avait, pour la première fois, pris publiquement position contre la légalisation de la technique du clonage thérapeutique. "Je ne suis pas favorable à l'autorisation du clonage thérapeutique, avait déclaré M. Chirac. Il conduit à créer des embryons à des fins de recherche et de production de cellules et, malgré l'interdit, rend matériellement possible le clonage reproductif et risque de conduire à des trafics d'ovocytes".

On précise à l'hôtel Matignon qu'en prenant acte du vote de l'assemblée générale du Conseil d'Etat, M. Jospin espère qu'un large débat démocratique pourra s'ouvrir sur ce sujet très sensible afin que la question puisse être mieux abordée lors de l'examen, sans doute pas avant 2002, du texte par le Parlement. Seule la Grande-Bretagne a, aujourd'hui, autorisé par voie législative la pratique du clonage thérapeutique.

J.-Y. N.
• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 16.06.01


• LE MONDE | 23.02.01 | 13h33
• MIS A JOUR LE 23.02.01 | 15h09

Clonage thérapeutique: perplexité d'un citoyen, par Jean-Paul Caverni


LA révision des lois de bioéthique a rouvert le débat sur le clonage humain thérapeutique: doit-on l'autoriser ? Les avis, divergents, des instances consultées par le premier ministre sont commentés, le plus souvent par des généticiens, des religieux et des politiques. Les débats sont passionnés. Parfois dramatisés. Ils ne sauraient être restreints à certains, quelque compétence qu'ils aient: le débat éthique doit être citoyen.

Quel avis raisonné peut donc se faire le citoyen, une fois éclairé ?

Il faut d'abord comprendre. Si le noyau de l'une des cellules de mon organisme est implanté à la place du noyau d'un ovocyte, les cellules (dites «souches») cultivées in vitro donneront différents tissus génétiquement identiques à ceux de mon organisme vieillissant ou malade. Il serait alors possible de le réparer sans risque de rejet. Ce sont les perspectives thérapeutiques qui légitiment la démarche envisagée, dite clonage thérapeutique. L'objection éthique pourtant est radicale. L'embryon ainsi créé est réifié (c'est-à-dire réduit à l'état de chose), ce qui est incompatible avec son statut de personne humaine potentielle. Il y aurait donc là crime de lèse-humanité. Mais s'agit-il ici d'embryon ? Il n'y a, pour la production de telles cellules, ni fécondation ni croissance intra-utérine.

Dans le même temps où ils opposent un veto moral au clonage thérapeutique, certains préconisent qu'une voie de recherche acceptable serait de cultiver des cellules souches prélevées sur les embryons surnuméraires, actuellement congelés issus de fécondations in vitro: or il s'agit bien là d'embryons ayant eu un projet parental au moins potentiel, même s'il se trouve abandonné.

D'après les spécialistes, aucune des deux voies précédentes n'a de succès assuré. Il serait en effet étonnant que l'on puisse être sûr des résultats d'une recherche avant de l'avoir mise en œuvre. La seconde voie paraît pourtant la plus incertaine: si un problème crucial est le rejet par le corps receveur du tissu cultivé, une cellule souche prélevée sur un embryon «étranger» n'offre pas les meilleures garanties. Un argument surprenant est donné par des tenants de la seconde voie: si la recherche à partir d'embryons surnuméraires s'avérait un échec, il serait toujours temps de légaliser le clonage thérapeutique. La surprise résulte d'une interrogation simple: si des principes moraux essentiels sont mis en cause par le clonage thérapeutique, pourquoi ces principes seraient-ils demain moins essentiels qu'aujourd'hui ? Si la légalisation est envisageable, pourquoi ne pas y procéder dès à présent ?

Une autre question doit être posée en écho: peut-on interdire ? L'interdiction est-elle une arme efficace dans le combat éthique ? L'histoire rend sceptique: Ambroise Paré disséqua les cadavres en cachette. La greffe d'organes est un exemple plus récent, qui a posé un problème moral et légal redoutable: celui de la définition de la mort. Lorsque l'électroencéphalogramme est plat mais que le cœur bat encore, qu'en est-il du patient ? Selon la loi, avant 1968, il était vivant: pouvait-on alors lui prélever un organe ? Devant l'intérêt thérapeutique, la loi fut, finalement, modifiée. En fait, c'est la définition de la mort qui fut modifiée. Ne doit-on pas donc changer la définition de ce qui est ou n'est pas un embryon ?

La question se complique par le fait que la loi française ne s'applique qu'en France. Il se pourrait bien que, au-delà des mers ou des montagnes, on autorise ce que l'on interdirait ici. Cette réalité ne doit pas conduire à la licence: elle doit à tout le moins signaler que la réflexion politique, philosophique, psychologique, juridique et sociale est urgente. Une interdiction ne saurait nous en préserver. Peut-être même une interdiction nous empêcherait-elle de poser les problèmes.

Nul doute que les problèmes existent. Si l'ovocyte pourvu de mon noyau était réimplanté dans un utérus et qu'il arrive à terme, naisse et vive, je n'en ressusciterais pas pour autant comme enfant. Mais aurait été mis au monde un être dont on ne peut imaginer ni qu'il soit traité comme chose, ni qu'il soit armé psychologiquement pour faire face à la vie mentale et sociale. Quel serait par ailleurs le vécu de la femme qui aurait porté et mettrait au monde cet être ? De telles perspectives, à tous égards inquiétantes, doivent être proscrites par des accords internationaux implacables. Imaginer qu'une interdiction ponctuelle et locale évite les risques vertigineux sur lesquels ouvre le génie génétique serait déraisonnable, et sans doute source de grands dangers.

Le citoyen raisonnable reste donc perplexe. Perplexe sur notre capacité à anticiper les progrès de la connaissance pour ne pas les subir.

Jean-Paul Caverni est professeur de psychologie cognitive à l'université d'Aix-Marseille-I et membre du Comité consultatif national d'éthique.
• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 24.02.01


• LE MONDE | 15.11.00 | 15h07
• MIS A JOUR LE 15.11.00 | 16h48

Le Groupe d´éthique européen rejette le clonage thérapeutique


LE 14 NOVEMBRE, le Groupe d´éthique européen (GEE), réuni au grand complet, a rendu public, à Paris, son dernier avis sur «Les aspects éthiques de la recherche sur les cellules souches humaines et leur utilisation». Ces cellules souches ont un tel intérêt potentiel dans la thérapeutique régénérative qu´elles portent en elles une grande part des espoirs de la médecine de demain.

Premier enfant né après DPI en France

Premier succès de la mise en œuvre du diagnostic préimplantatoire (DPI) en France: un enfant est né le 13 novembre, à l´hôpital Antoine-Béclère, de Clamart (Hauts-de-Seine), indemne d´une redoutable maladie génétique qui avait fait perdre auparavant trois enfants à cette famille. Car c´est là le but du DPI: rechercher, après fécondation in vitro, les embryons non porteurs du gène délétère et les réimplanter dans l´utérus de la mère. «Les indications du DPI sont celles du diagnostic prénatal, explique le professeur Arnold Munnich, généticien, chef du service qui a mis au point à Necker le DPI et travaille en liaison étroite avec le service du professeur Frydmann à l´hôpital Béclère. Le DPI évite le recours à l´interruption de grossesse qui suit le diagnostic prénatal pratiqué après quelques semaines de gestation». Encore rare aujourd´hui – il ne se pratique que dans deux centres, à Paris et Strasbourg, et bientôt à Montpellier –, il est proposé en priorité aux familles déjà durement éprouvées par la survenue de maladies génétiques mortelles.

Le problème éthique vient de ce que ces cellules souches sont les cellules des embryons. Et la plupart des pays ont banni la recherche sur l´embryon.

La situation se complique par les attentes encore plus fortes concernant les cellules issues d´embryons clonés, c´est-à-dire d´embryons créés par transfert de noyau d´une cellule d´un individu à un ovocyte énucléé. Le clonage humain a été banni dès l´annonce du succès du clonage de la brebis Dolly. En revanche, utiliser les cellules souches adultes qui résident dans la plupart des organes humains et qui servent à les régénérer ne soulève aucun problème éthique.

Le GEE a «tenu compte du pluralisme de sa composition et de la diversité culturelle européenne, aux sensibilités nationales très contrastées», selon Noëlle Lenoir, sa présidente. L´avis présenté a été adopté à l´unanimité et le groupe a été guidé par la considération du caractère extrêmement prometteur des cellules souches pour la thérapeutique, «plus encore que la thérapie génique», insiste Ann McLaren, embryologiste britannique et membre du GEE.

«ÉTHIQUEMENT INACCEPTABLE»

«Le groupe juge éthiquement inacceptable la création d´embryons à partir de dons de gamètes afin de se procurer des cellules souches, étant donné que les embryons surnuméraires représentent une source alternative disponible», précise l´avis. Quant au clonage thérapeutique, le GEE estime que «la création d´embryons par transfert de noyaux de cellules somatiques pour les besoins de la recherche sur la thérapie par les cellules souches serait prématurée».

En effet, le GEE insiste sur l´importance de mener des recherches et de les financer sur les autres cellules souches humaines, « à partir d´embryons surnuméraires, de tissu fœtal et de cellules souches adultes ».

L´Europe devrait édicter des règles imposant un contrôle et une transparence des recherches menées sur l´embryon et sur les cellules souches. L´évaluation scientifique de leur utilisation « devrait être conduite en liaison avec l´Agence européenne pour l´évaluation des médicaments », lit-on dans l´avis. Les éléments biologiques humains ne devraient pas pouvoir être vendus. Sont ainsi bannis le commerce des embryons, des tissus de fœtus morts, des ovocytes. Cette interdiction devrait permettre d´éviter que les femmes soient soumises à des pressions. Concernant les essais thérapeutiques, le caractère encore lacunaire du savoir scientifique impose d´afficher la sécurité et le respect de la santé du patient comme les deux préalables: tout mettre en œuvre pour éviter les contaminations bactériennes ou virales, d´une part, « mesurer les risques que les cellules souches transplantées causent des anomalies ou entraînent la formation de tumeurs ou de cancers », d´autre part.

Le GEE, présidé par Noëlle Lenoir, est placé auprès de la Commission européenne et rend des avis consultatifs. Ces avis ne sont pas destinés à passer au-dessus des avis nationaux, et le GEE ne prétend pas édicter ses choix. Ses avis sont cependant précieux, notamment pour les pays européens qui ne se sont pas encore dotés de lois de bioéthique ou qui envisagent de les compléter. «Le groupe a trouvé un point d´équilibre entre la liberté de la recherche et le respect de la dignité humaine», a conclu Göran Hermerén, philosophe suédois et membre du groupe.

Elisabeth Bursaux • ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 16.11.00


• LE MONDE | 08.02.01 | 14h16
• MIS A JOUR LE 08.02.01 | 18h20

Jacques Chirac se prononce contre le clonage thérapeutique

Le chef de l'Etat relance la controverse bioéthique.
LYON de nos envoyés spéciaux

S'exprimant jeudi 8 février à Lyon, lors de l'ouverture du congrès Biovision Forum mondial des sciences du vivant, Jacques Chirac a pour la première fois pris publiquement position sur plusieurs des thèmes actuellement les plus controversés du débat bioéthique. Le chef de l'Etat s'est notamment prononcé contre la légalisation de la technique dite du clonage thérapeuthique, procédé qui consiste à créer des embryons humains, non destinés à se développer.

«Je ne suis pas favorable à l'autorisation du clonage thérapeutique, a déclaré M. Chirac. Il conduit à créer des embryons à des fins de recherche et de production de cellules, et, malgré l'interdit, rend materiellement possible le clonage reproductif et risque de conduire à des trafic d'euvocytes». Le chef de l'Etat a estimé «indispensable de lancer et de financer des programmes de recherche portant sur les cellules souches adultes. Bien qu'à leurs débuts, ces recherches permettent d'espérer qu'il sera demain possible d'éviter le recours à des cellules embryonaires». Sur la question des recherches pouvant être menées sur les embryons humains, M. Chirac a expliqué s'être «beaucoup interrogé après avoir beaucoup consulté». «Tout en étant conscient que le débat ne peut être définitivement clos aujourd'hui, je pense pour ma part que les perspectives ouvertes par les thérapies cellulaires peuvent justifier une évolution comme l'on estimés le comité consultatif jnational d'éthique et le conseil d'Etat», a-t-il déclaré.

Convaincu de l'importance croissante des questions bioéthiques, M. Chirac a multiplié les consultations sur le sujet. Il a ainsi longuement reçu à l'Elysée le généticien Axel Kahn, mais aussi à plusieurs reprises le président du Comité national d'éthique, le professeur Didier Sicart, tous deux opposés à la légalisation du clonage thérapeutique. Il a également rencontré le président de groupe Démocratie libérale à l'assemblée nationale, Jean-François Mattei, qui fût l'un des plus ardents promoteurs de la loi sur la bioéthique votée en 1994, les rapporteurs de l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, le député socialiste Alain Claeys et le sénateur centriste Claude Hurier. Il s'est aussi rendu à l'académie nationale de médecine, a longuement conversé avec Noëlle Lenoir, présidente du groupe européen d'éthique et a interrogé sur le sujet les autorités religieuses du pays. Enfin, le président a évoqué ces questions avec le président de la Commission européenne, Romano Prodi, et surtout avec le chancelier allemand Gerhard Schröder. Ce dernier, dans un point de vue publié le 7 février par Les Echos a d'ailleurs rappellé la nécessité d'encadrer le clonage thérapeutique après son autorisation en Grande-Bretagne, sur l'impulsion du premier ministre Tony Blair.

En prenant position contre la légalisation du clonage thérapeutique et en faveur d'une possible recherche encadrée sur les embryons humains surnuméraires, le chef de l'Etat effectue une analyse similaire à celle de la commission nationale consultative des droits de l'homme. Il rejoint aussi treize des trente-deux membres du Comité consultatif national d'éthique au sein duquel une faible majorité vient de se dégager en faveur de ce procédé. Le chef de l'Etat se range ainsi ouvertement dans le camp de ceux qui reconnaissent à l'embryon humain sinon un statut de personne, du moins une singularité le distinguant d'une chose. Pour autant, il ne pousse pas la logique jusqu'à s'opposer aux recherches sur les embryons surnuméraires. En exprimant publiquement ses convictions, M. Chirac relance une controverse qui quitte le seul champ de l'éthique pour s'inscrire désormais pleinement dans le domaine politique. La légalisation du clonage thérapeuthique auquel Lionel Jospin avait – sans cependant utiliser l'expression – donné son aval, devient un nouveau sujet d'affrontement entre les deux futurs candidats à la présidentielle.

Raphaëlle Bacqué et Jean-Yves Nau
• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 09.02.01


• LE MONDE | 09.08.01 | 11h22

Vers une nouvelle voie de création de cellules souches


Pourra-t-on créer des cellules souches embryonnaires sans avoir à créer un embryon ? C'est le but d'une recherche très active conduite par PPL Therapeutics PLC, la compagnie écossaise qui avait participé au clonage de l'agnelle Dolly en 1996. Selon le Wall Street Journal daté 3-4 août, cette société aurait mis au point un système moins controversé que la création d'embryons pour obtenir des cellules souches ayant des caractéristiques embryonnaires.

Alan Colman, directeur des recherches de PPL, se propose de faire remonter le temps à des cellules humaines adultes pour les ramener au stade embryonnaire. Il a déclaré au Wall Street Journal qu'il a déjà réussi à obtenir cette inversion du temps biologique, ou dédifférenciation, sur des cellules de bovin. Plusieurs compagnies pharmaceutiques sont aussi engagées dans cette recherche mais aucun article scientifique sur le sujet n'a encore paru. Cette annonce de PPL prend tout son sens au moment où les débats concernant le caractère éthique de la création de cellules embryonnaires par clonage ont lieu dans nombre de pays, et notamment aux Etats-Unis. La Chambre des représentants a voté, le 31 juillet, un texte interdisant et criminalisant tout clonage humain, et le Sénat est appelé à se prononcer sur le sujet. Enfin, le président Bush a fait part de sa réticence à laisser faire cette recherche.

L'intérêt thérapeutique des cellules souches est connu depuis longtemps. Il en existe dans l'organisme adulte, dont le rôle est de pourvoir au remplacement, à l'intérieur d'un tissu, des cellules vieillies ou endommagées. Elles sont le plus souvent capables de donner naissance à des cellules de plusieurs lignages et sont très utilisées depuis de nombreuses années. Les greffes de moelle, par exemple, sont la transfusion de cellules souches hématopoïétiques, à savoir les cellules capables de renouveler toutes les lignées cellulaires du sang.

Les cellules souches adultes auraient, cependant, un moindre potentiel de multiplication que les cellules souches embryonnaires. Ce qui a décuplé l'intérêt pour ces dernières, qui sont susceptibles de se diviser et de donner naissance à tous les tissus et organes différenciés qui constituent un être humain, mais ont aussi un potentiel prolifératif quasi sans limite. Cependant, des cellules dérivées d'un embryon "étranger" susciteraient chez le receveur une réaction de rejet immunitaire et obligeraient à lui proposer un traitement immunosuppresseur. Ce qui ne serait pas le cas si l'embryon était créé par transfert du noyau d'une cellule du receveur dans un ovule – ce qu'on appelle le clonage thérapeutique. Le clonage embryonnaire, reproductif ou thérapeutique, repose sur le fait que le noyau de la cellule qui se substitue à celui de l'ovule et porte tout le patrimoine génétique de l'embryon est reprogrammé par des facteurs contenus dans l'ovule et revient ainsi au même stade initial que celui des gamètes (Le Monde du 9 août). Il perd tous les éléments qu'il avait acquis au cours de la différenciation et qui avaient réduit au silence la plupart de ses gènes.

La mise au jour des mécanismes de la reprogrammation permettant de rendre à toute cellule les capacités de son ancêtre, la cellule embryonnaire, rendrait inutile le passage par le clonage embryonnaire et serait le vrai point de départ de la recherche concernant la thérapie cellulaire à partir des cellules souches. Elle n'est encore aujourd'hui qu'à l'état de promesse car les chercheurs ne savent pas encore dériver les diverses lignées cellulaires des cellules embryonnaires.

Elisabeth Bursaux


• LE MONDE | 01.08.01 | 11h35
• MIS A JOUR LE 18.08.01 | 18h32

Les cellules souches confirment leurs promesses thérapeutiques

Isolées chez l'embryon ou le fœtus, les cellules souches humaines peuvent participer à la formation de n'importe quel tissu biologique. Une capacité dérangeante du point de vue éthique, mais aux applications thérapeutiques extraordinairement prometteuses.

RÉGÉNÉRER n'importe lequel de vos organes à partir de cellules prélevées dans votre propre corps, cultivées en laboratoire puis réintroduites dans votre organisme. Une utopie ? Plus vraiment. En quelque trois ans, ce projet a pris beaucoup de consistance, s'appuyant sur des résultats de plus en plus convaincants. Une première étape avait été franchie en 1998: deux chercheurs américains, James A.Thomson, de l'université du Wisconsin à Madison, et John Gearhart, de l'université Johns-Hopkins à Baltimore (Maryland), annonçaient, indépendamment, qu'ils avaient isolé et cultivé des cellules dites "souches", issues d'embryons précoces et de fœtus humains.

Une nouvelle étape, spectaculaire, dérangeante d'un point de vue éthique, vient d'être également franchie avec l'annonce par une équipe américaine de la greffe de cellules souches humaines dans des cerveaux de fœtus de singe. Depuis quelques semaines, on assiste, outre-Atlantique, à une multiplication des publications scientifiques cherchant, de manière parfois provocatrice, à témoigner de la richesse des promesses thérapeutiques que laissent entrevoir ces nouvelles manipulations du vivant. Les milieux scientifiques et religieux attendent d'ailleurs avec impatience la décision que doit prendre, dans les prochains jours, le président George W.Bush quant au financement fédéral – actuellement interdit – des recherches biologiques sur les cellules souches provenant d'embryons humains.

Depuis 1998, on a appris à isoler et cultiver des cellules-souches chez l'homme alors qu'auparavant on ne savait le faire que chez le singe et la souris. Ces cellules sont en effet très particulières. Elles ne sont pas encore spécialisées et sont dites "indifférenciées". Mais, après plusieurs mois de culture dans cet état, elles se montrent capables, une fois intégrées à nouveau dans un organisme, de se diriger vers n'importe quel destin cellulaire: cellules épithéliales, osseuses, musculaires ou neuronales… D'où leur dénomination de cellules souches "pluripotentes".

Savoir cultiver et orienter vers un destin donné ces cellules souches humaines ouvre donc la voie à la régénération d'organes. Une des applications potentielles les plus prometteuses est leur utilisation en thérapie cellulaire. Pour les patients souffrant d'infarctus du myocarde, par exemple, la greffe de ces cellules capables – théoriquement – de s'implanter dans un tissu adulte, de se "transformer" en cellules cardiaques fonctionnelles,par exemple, et de redonner vie à la région détruite, pourrait évidemment constituer une solution de remplacement à la transplantation d'un organe entier.

On anticipe aussi leur utilisation dans le traitement de maladies dégénératives du système nerveux central telles que la maladie de Parkinson ou celle d'Alzheimer. Mais la liste des désordres susceptibles de bénéficier de ce type de traitement est longue: lésions de la moelle épinière, diabète insulinodépendant, atteinte sévère du foie, du rein, arthrite rhumatoïde… Et si l'on songe qu'il sera aussi possible de manipuler génétiquement ces cellules souches, avant transplantation, afin de leur faire produire in vivo telle ou telle molécule, la liste des applications médicales s'allonge encore.

Eventuellement, on peut aussi faire appel au clonage thérapeutique, technique mise au point sur les mammifères avec la brebis Dolly: on prend une cellule chez l'adulte et on la fait fusionner avec un œuf fécondé vide de tout matériel génétique. Après quelques jours de développement, on obtient un œuf constitué d'une centaine de cellules, le blastocyste, comprenant une masse interne, qui sera la source de lignées de cellules pluripotentes cultivables. Ces dernières ayant les mêmes composants génétiques que l'adulte donneur, elles sont donc compatibles immunologiquement avec le donneur/receveur.

PEAU, OS, MUSCLE, CARTILAGE...

Le succès de Thomson et Gearhart constitue donc une avancée importante qui fait dire à la biologiste Nicole Le Douarin, dans Des chimères, des clones et des gènes, que "la possibilité d'isoler, de multiplier sans limites et de modifier génétiquement des cellules souches embryonnaires pluripotentes dans plusieurs espèces de mammifères, y compris l'homme, peut être considérée comme un des acquis majeurs de la biologie expérimentale au cours des deux dernières décennies".

Néanmoins, des controverses ont aussitôt surgi, car cet acquis débouche sur l'utilisation d'embryons humains. A des fins thérapeutiques ou de recherche, certes, mais cela pose tout de même des problèmes éthiques (et politiques) complexes, loin d'être résolus pour le moment. Pour certains, l'embryon humain, à peine conçu, même en éprouvette, est une personne, et donc, à ce titre, a droit au respect et à la dignité. De nombreux biologistes, en revanche, considèrent qu'il est difficile de définir à quel stade du développement l'embryon acquiert le statut de personne humaine. La législation française, quant à elle, interdit pour le moment la recherche sur les embryons alors que de telles recherches sont possibles en Grande- Bretagne et aux Etats-Unis (pour ce dernier pays, en dehors de tout financement fédéral).

Mais, les scientifiques ayant plus d'un tour dans leur sac et, probablement du fait de ces controverses, les recherches sur d'autres cellules, tout aussi singulières, ont suscité un regain d'intérêt: des cellules souches, encore, mais cette fois retrouvées chez l'adulte. Après trois ans de travaux émaillés d'avancées remarquables, l'impression dominante est que, chez l'adulte, il suffit de chercher pour trouver de telles cellules souches ! En effet, si l'on sait depuis longtemps que certains tissus adultes – la peau, le sang, le foie, le muscle – contiennent des cellules capables de proliférer et de renouveler le tissu auquel elles appartiennent, on découvre depuis quelques mois des cellules souches un peu partout.

De plus, il apparaît que leurs potentialités de différenciation vers tel ou tel destin dépassent leur tissu d'origine. Ainsi, Yann Barrandon, de l'Ecole normale supérieure, à Paris, a récemment trouvé des cellules souches multipotentes dans la peau, plus exactement dans les follicules pileux qui fabriquent les poils et les cheveux. Elles sont capables de se spécialiser et d'engendrer, au bout du compte, des cellules de l'épiderme, des glandes sébacées et des follicules pileux. Et l'équipe de Marck Hedrick, de l'université de Californie à Los Angeles, a obtenu des cellules de muscle, d'os et de cartilage à partir de cellules souches trouvées dans du tissu graisseux humain. En réalité, dans ce dernier cas, il n'est pas sûr qu'il s'agisse véritablement de cellules issues du tissu graisseux et non de cellules pluripotentes circulantes.

Une grande partie des recherches se concentre, en fait, sur les cellules souches de la moelle osseuse et sur celles du système nerveux central. Dans ces deux tissus, plusieurs équipes de chercheurs ont isolé – en général chez la souris – et cultivé des cellules souches capables de donner naissance à des cellules d'autres tissus, foie, muscle, peau, etc., lorsqu'elles sont placées dans certaines conditions expérimentales. Mais ont-elles la même plasticité que les cellules souches pluripotentes de l'embryon ? Cela reste à démontrer.

Ce domaine de recherche semble, néanmoins, tellement prometteur que plusieurs sociétés de biotechnologies s'y intéressent. Par exemple, Geron, à Menlo Park, en Californie, détient des brevets sur les technologies de culture de cellules souches embryonnaires mises au point par John Gearhart et James Thomson. Une start-up californienne, Stem Cells, se dit propriétaire de vingt-cinq brevets américains concernant les cellules souches neuronales. Le Suédois Jonas Frisén, qui a publié de nombreux travaux sur ces mêmes cellules souches neuronales, est cofondateur de Neuronova, à Stockholm. Et parmi d'autres, on peut citer Curis, PPL Therapeutics, Anthrogenesis.

Quant à la traduction thérapeutique de ces avancées, "il va se passer des années avant qu'il y en ait, estime Laure Coulombel, de l'Inserm (unité 474, hôpital Cochin), sauf peut-être en ce qui concerne les maladies neurodégénératives parce que les cellules souches neuronales ont des propriétés extraordinaires de prolifération en culture".

Catherine Tastemain

Des chimères, des clones et des gènes, de Nicole Le Douarin. Editions Odile Jacob, Paris 2000, 480 p., 195 F (29,73 euros).