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Pénombre — la lettre grise n° 6

NOTICE

 B ien des hypothèses ont été échafaudées autour de ce manuscrit de Péhaimécy roi que la Lettre grise publie aujourd’hui pour la première fois dans son intégralité. Comme on le sait, le manuscrit est une suite probablement incomplète de fragments relatifs à un drame conçu avant la disparition de la psychiatrie hospitalière. Certains ont voulu y voir d’abord une première version d’une pièce à succès de Sophocle. Inutile de s’attarder sur une conjecture aussi saugrenue: le lecteur vérifiera de lui-même que si le dramaturge comme à son habitude a emprunté à une tradition certes moins répandue que celle que nous attribuons maintenant à Homère, nous sommes ici en présence d’une source originale et fondatrice.

D’autres ont cru pouvoir affirmer que certaines tournures de langage, présentes en quelques endroits de ces fragments, prouvent qu’il s’agit là d’un des tous derniers documents de travail de la Fédération Unifiée des Praticiens Psychiatres Chimiofreudiens (canal historique). Selon cette interprétation, ce groupuscule moribond aurait tenté de façon quasi désespérée, en une sorte d’attentat suicide, arrimé à la seule planche qui pouvait le sauver, d’introduire un virus autodestructeur dans le programme démédicalisé de survie informatique de la direction du healthcare. Il aurait alors nécessairement ignoré que l’ordinateur de ce service avait été débranché depuis longtemps et que la direction utilisait déjà la méthode dite du Palmarès Médiatique Standardisé International pour les attributions de crédits annuels. Comme il est peu vraisemblable que les psychiatres aient connu un tel retard médico-technologique et soient restés à l’écart de la Cotation par Versement Spontané auprès de l’agence Figmag.com, on est conduit à chercher une autre piste.

Encore plus déroutante est l’affirmation selon laquelle la secte Pénombre, qui fit tant de ravages avant que la statistique et la démographie soit enfin réunies dans notre transparente Maison de la Vrainumérologie, aurait pu jouer un rôle quelconque dans l’histoire du manuscrit de Péhaimécy roi. Probablement moins connue de nos lecteurs qui pourraient lui accorder quelque crédit, cette rumeur mérite notre attention.

Après avoir introduit dans les esprits de nos iCitoyens une grande confusion à propos du vrai chiffre du crime, du vrai chiffre de l’immigration clandestine, de l’optimisme toujours record des Français (qui se rapproche déjà de moins 20 à l’époque où se situent les faits) et de l’accélération de la décroissance du différentiel d’augmentation du chômage de notre province au sein de l’Union, des membres de cette association auraient rencontré quelques médecins ou responsables administratifs du secteur public psychiatrique.

À cette époque donc, que l’on peut situer à l’été 1998, un groupe se proclamant «groupe de travail de Pénombre sur les usages du nombre en santé mentale» aurait vu le jour. Pendant plus d’un an, il aurait réuni des personnes intéressées par la mise en place d’un nouvel outil d’évaluation dans le domaine de la psychiatrie. Échanges d’information, confrontation de points de vue, circulation d’idées à propos de la statistique, de la psychiatrie, de la politique auraient permis de baliser une zone non couverte par les groupes habitués à intervenir dans chacune de ces «sphères». Zone grise où pourraient s’observer et se dire les enjeux d’une opération aux finalités incertaines. L’entreprise n’allait pas de soi, les participants s’observaient, les enjeux ne se disaient pas facilement. Vint alors une demande pressante d’une sorte de conseil élargi de l’association, que certains participants du groupe voyaient plutôt comme un comité central, d’organiser une «nocturne». Le sens de ce mot est particulièrement obscur: certains prétendaient qu’il s’agissait de porter les débats au grand jour ! D’autres croyaient que c’était l’ultime répétition avant le grand soir ! Et quelques-uns se demandaient ce qu’on pourrait acheter à cette nocturne… Bref, l’affaire aurait traîné en longueur jusqu’à ce que l’on décide de mettre d’abord noir sur blanc les propos échangés dans la zone grise…ainsi serait né ce manuscrit.

Le lecteur pourra juger que la lumière n’est pas totalement faite sur cet épisode confus de la période obscurantiste pré-vrai-chiffre. En attendant les résultats promis par un autre groupe de travail «Enquête et origines» qui nous en apprendra sans doute plus sur ces mythes anciens, nous souhaitons maintenant que cette pièce connaisse enfin l’épreuve du public. Et si le cadre grandiose et fastueux des nocturnes ne se prête pas à l’examen serein d’une situation en pleine évolution, qu’un nouveau cycle de débats s’ouvre sur l’agora du nombre.

Lucio Nero

© Pénombre 2001


Table des matières

Notice de Lucio Nero
Petite histoire du P.M.S.I. en psychiatrie, par le Dr. Olivier Boitard
Mesure pour mesure ou fétiche contre fiction, par Elisabeth Zucker-Rouvillois
Histoire conjointe de la psychiatrie publique 1950-2000 et de la mise en place d'outils d'évaluation médico-économique, par Denis Dehgan
«Y'a pas de raison !», par le Dr. Jean-Paul Liauzu
Les données molles se rebiffent, par le Dr. Bernard Odier
Au cœur du P.M.S.I., par Anne Depaigne
Chronologie de l'élaboration du P.M.S.I. en psychiatrie, par la même
«Comment en est-on arrivé là», par Anne Depaigne
Politique, Médecine, Statistique et Ineptie ou les sept couleurs du vertige, par René Padieu
Le P.M.S.I. en psychiatrie: petite conversation entre gens de bonne compagnie, par Denis Dehgan
«Soyez transparents», par le Dr. Jean-Paul Liauzu
Sigles
Citations


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