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Pénombre — la lettre grise n° 6 |
PÉHAIMÉCY ROIPar ordre d’entrée en scène Premier psychiatre: Olivier Boitard La voix d'une ombre: Élizabeth Zucker-Rouvillois Le dim: Denis Dehgan Deuxième psychiatre: Jean-Paul Liauzu Le dernier psychiatre: Bernard Odier La sociologue: Anne Depaigne L’évaluateur: René Padieu | ||
PROLOGUEPéhaimécy:"Mes enfants, croissance nouvelle du vieux Hachpée,Qu’est-ce, la raison que vous avez d’être assis devant moi comme cela, Couronnes de branches suppliantes ? La ville est pleine d’encens, pleine De prières et de gémissements mêlés. J’estimais, mes enfants, que d’autres ne devraient pas m’en instruire, Autres que moi, des messagers. Je suis venu ici moi-même, Moi, qu’on appelle en tout lieu Péhaimécy le Grand. Parle, toi, vieillard, puisque tout te désigne pour prendre la parole en leur nom ! […]Le premier psychiatre:Eh bien ! Péhaimécy, seigneur de ma terre,Tu nous vois avec nos âges, assis Près des autels qui sont à toi; les uns, n’ayant pas la force encore De voler loin, les autres, lourds, avec leur vieillesse, Psychiatres -moi de l’Appée- et ceux-là, la fleur Des jeunes hommes. Le reste du peuple, sous ses couronnes, Siège sur la place, et auprès du double sanctuaire De Pallas, et encore dans la cendre prophétique d’Isménos. Car la ville, tu le vois toi-même, est submergée Si dangereusement à l’heure qu’il est ! pour sortir la tête Des abîmes de la houle meurtrière, elle n’a plus de force; Elle se meurt dans les fruits des coques de la terre, Elle se meurt dans les pâturages des troupeaux de bœufs, et dans les enfantements Sans naissance des femmes. Là le dieu porte-feu S’abat et frappe la ville, peste la plus haineuse, Et par lui se vide la demeure hachepéenne. Et, noir, Hadès s’y engraisse des gémissements et des pleurs. Ce n’est pas que nous t’égalions à un dieu, Ni moi ni ces enfants, assis près de ton foyer, Mais nous voyons en toi le premier des hommes, Dans les événements de la vie et dans le commerce avec les dieux; Toi qui, à ton entrée dans la cité hachepéenne, as payé pour nous Le tribut de la dure chanteuse, Et cela, sans que nous t’en ayons dit plus, Et sans apprentissage, mais on dit, on croit, Qu’un dieu t’a aidé à relever notre vie. Et maintenant, toi, Péhaimécy, l’homme le plus fort de la terre, Tous ici, tournés vers toi, nous te supplions De trouver pour nous un recours, que tu tiennes ton savoir De l’un des dieux, pour avoir entendu sa parole, soit d’un homme peut-être Quand l’expérience est acquise, les circonstances mêmes De la décision, je les vois garder aussi toute leur force !" |
C ’est sans aucune prétention scientifique que nous souhaitons décrire rapidement ici telle que nous l’avons vécue et sans y être directement impliqué – l’histoire du P.M.S.I. en psychiatrie.
Si le caractère subjectif de ces lignes n’échappera pas au lecteur, elles reflètent cependant les sentiments de nombreux psychiatres de secteur public.
Tout commença par ce qu’on a appelé le «groupe des treize». Alors que le «Programme de Médicalisation des Systèmes d’Information» était établi dans les hôpitaux fournisseurs de soins médicaux, chirurgicaux ou obstétricaux (donc dits M.C.O.), treize psychiatres estimèrent que la psychiatrie devrait -elle aussi- «bénéficier» de cette évaluation statistique avec ses conséquences sur le financement des hôpitaux.
Leur motivation ? Selon les treize, il fallait lutter contre la «spécificité» de la psychiatrie trop souvent première étape de la ségrégation. Être logé à la même enseigne que M.C.O. était pour eux une garantie d’avenir d’une discipline soupçonnée trop souvent d’être contaminée par son objet: la folie.
Les collègues psychiatres les plus indulgents plaidaient qu’après tout il valait mieux préparer la sauce avec laquelle nous serions mangés. Les plus réalistes ne s’étonnaient point que la profession compte en son sein quelques masochistes.
Des groupes de travail furent donc mis en place au ministère. L’un d’entre eux centra sa réflexion sur la «fiche par patient» qui décrivait tous les actes effectués autour du patient, qu’ils soient hospitaliers ou ambulatoires.
Cette fiche d’évaluation avait été mise en place bien avant l’instauration du P.M.S.I. en M.C.O. et avait acquis au fil des ans sa légitimité au sein de la profession grâce à sa simplicité. Invention française, issue de la psychiatrie, la fiche par patient était tout sauf «tendance». Ce groupe d’études tomba vite en quenouilles.
L’autre groupe avait pour but d’établir un programme permettant d’établir une comparaison avec les établissements de M.C.O.: le ministère tenait beaucoup à pouvoir enfin comparer l’activité des psychiatres à celle des médecins régis par la règle des trois S: somatiques, scientifiques, sérieux. Comme on l’a vu les treize ne voulaient pas s’éloigner du programme M.C.O. mais ne pouvaient oublier que la psychiatrie publique exerçait désormais la majorité de ses activités en dehors des murs de l’hôpital dans les structures dites sectorielles: centre médicopsychologique (C.M.P.), centre d’accueil thérapeutique à temps partiel (C.A.T.T.P.), hôpitaux de jour, appartements thérapeutiques, maisons communautaires et bien d’autres. Il fallait donc trouver une méthode pour évaluer l’ensemble des activités des secteurs de psychiatrie. Ce groupe se mit au travail à la vitesse d’un train d’honorable parlementaire jouissant de la vue sur le jardin du Luxembourg: ce dont personne ne se plaignit en dehors des autorités ministérielles. Il élabora un programme informatisé d’évaluation à expérimenter sur quelques secteurs de France et de Navarre dont on trouvera le détail par ailleurs.
De l’avis des «spécialistes», ce programme était plutôt bien établi et les collègues qui s’y étaient engagés fournirent leurs données avec sérieux. Viennent les résultats: totalement inexploitables. Des statisticiens, amateurs comme certains collègues psychiatres mais aussi d’éminents professionnels expliquent ici pourquoi, et nous ne nous risquerons pas à évoquer les écarts types, moyennes ou autres variances. Une chose est certaine: le programme mis en place ne peut pas être appliqué à grande échelle tel quel.
La représentante du ministre reconnaissait à demi-mot ce qui était considéré comme un échec par nos autorités.
Pour notre part, nous eûmes une bouffée d’estime pour toux ceux qui avaient travaillé sur le sujet: monter une expérience et constater qu’on ne retrouve pas les résultats attendus est une preuve de sérieux scientifique. Ministère, élaborateurs, expérimentateurs n’avaient pu aboutir mais au moins n’avaient pas triché.
Las ! Chassez le mauvais politique, il revient au galop. Les responsables ministériels nous indiquèrent quelques semaines plus tard qu’en y regardant de plus près, tout compte fait, à part naturellement quelques résultats aberrants mais accessoires, on peut tout à fait utiliser la méthode à grande échelle et que bien sûr, le P.M.S.I. en psychiatrie entrera en vigueur comme prévu en 2001. Ce «scrogneugneu» administratif, que l’on croyait réservé à quelques badernes dépassées, ne laisse pas d’étonner les statisticiens du groupe Pénombre et d’inquiéter l’immense majorité des psychiatres.
Le P.M.S.I. sera t-il appliqué dans notre discipline même si, S.I. en psychiatrie veut dire statistiquement impossible ?…
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