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Pénombre — la lettre grise n° 6 |
Péhaimécy:"Tu demandes. Et pour cela – si tu veux bienRecueillir en écoutant, et te faire le serviteur de la maladie -, Tu pourras trouver force, et soulagement de tes maux Dans les paroles que je prononcerai en étranger à cette déclaration, En étranger à ce qui s’est fait. Car sinon je ne suivrais pas Ce long chemin, qu’avec un indice je n’aurais pas pris. Mais maintenant – citoyen tard venu parmi les citoyens – Je proclame bien fort ceci pour vous tous, Hachepéens: Quiconque d’entre vous sait de Laïos, fils de Labdacos, Sous les coups de quel homme il a péri, Je lui ordonne, à cet homme, de tout me faire connaître." |
L a psychiatrie produit des chiffres sur son activité depuis plusieurs siècles(1). La culture statistique ne devrait pas lui être étrangère.
Pourtant, le “PMSI”(2), relevé médico-économique fondé sur la mesure de l’activité des établissements psychiatriques, que le ministère veut mettre en place en 2001, soulève une importante levée de boucliers dans le corps médical.
L’histoire récente de la psychiatrie (c’est-à-dire son histoire depuis l’après-guerre) explique en grande partie ces réticences. C’est cette histoire que nous allons analyser.
Durant les années 50, le modèle de la psychiatrie publique d’avant-guerre, peu ou prou vieux d’un siècle (loi de 1838), est reconduit, même s’il est contesté. La psychiatrie se fait alors essentiellement sous la forme d’hospitalisations longues, sous le régime du “placement” autoritaire, décidé par le Préfet ou sollicité par les familles.
Les éléments qui permettent alors de faire des statistiques sont les registres légaux qui recueillent une information sommaire concernant l’admission des patients, ainsi que le comptage des “journées”, fondement du budget hospitalier. En effet, l’asile est rémunéré selon le “prix de journée”. Plus nombreux sont les patients hospitalisés, plus longs sont leurs séjours, plus l’hôpital gagne de l’argent. On comprend que le nombre de journées aille croissant.
À cette époque, les thérapeutiques médicamenteuses ne sont pas encore efficaces. L’asile est pour l’essentiel un endroit où l’on conserve les patients qui posent un problème d’ordre public, et où l’on tente de les traiter avec les moyens modestes de l’époque. Sa nécessité pour le corps social ne fait aucun doute. Son coût est modéré: personnel peu qualifié, moyens faibles, nombre de patients relativement peu important – car on ne reçoit que les plus gravement atteints.
De 1960 à 1985, on observe deux révolutions (dont l’une est facteur de l’autre):
Pour organiser le lien entre l’hôpital et le patient sorti, on crée des dispensaires (sur le modèle de la lutte contre la tuberculose) dans les secteurs, c’est-à-dire proche du domicile du patient - l’hôpital psychiatrique traditionnel étant en général plutôt excentré. On peut ainsi faire sortir plus précocement les patients, et exercer une surveillance médicale tout en les laissant retrouver leur milieu de vie habituel: “Fondée sur les notions d’accessibilité et de continuité des soins, la sectorisation vise à promouvoir une évolution du dispositif de soins sortant d’une logique institutionnelle au profit de prises en charges diversifiées et de proximité adaptées aux besoins des patients”(3).
De ces deux révolutions résulte une ouverture sans précédent de l’asile. Cette ouverture dans le sens de la sortie, s’accompagne aussi d’une ouverture dans le sens de l’admission: de plus en plus de patients viennent à l’hôpital sous le régime du placement libre, et non plus du placement préfectoral. Ils n’y restent que quelques semaines. L’image de la psychiatrie se modifie insensiblement, l’asile fait place à l’établissement de soins.
À cette époque, les moyens financiers ne font pas défaut. Les projets sont facilement budgétés. Le contrôle financier porte sur les dépenses - mais absolument pas sur la justification des hospitalisations.
Toutefois, la diminution du nombre de journées d’hospitalisation finit par inquiéter les directeurs d’hôpitaux. D’autant que le financement des dispensaires est à part – il ressort des Directions Départementales de l’Action Sanitaire et Sociale (DDASS). Car il n’y a donc pas prise en charge globale du patient sur le plan financier: si la cure psychiatrique relève du prix de journée, la post-cure, elle, relève de la dotation de la DDASS.
Ainsi, la diminution du nombre de journées (et le déficit budgétaire qu’elle entraîne) ne pourra donc être compensée – pour le directeur d’hôpital - par une augmentation du budget destiné aux structures ambulatoires, géré par les DDASS. Or, l’un des principaux soucis d’un directeur d’hôpital n’est-il pas d’équilibrer son budget – qu’il vaut mieux important et en augmentation qu’étriqué et s’amenuisant ?
Mais l’État finit par s’alarmer du caractère inflationniste des dépenses dans tous les secteurs de la médecine. Le prix de journée fait alors place au budget global (1985): la dotation de chaque établissement est figée une fois pour toutes. Avec cette enveloppe, l’hôpital doit faire face à l’ensemble des dépenses requises par les soins (et in fine, par la population). Seule, une petite modulation est permise à travers le “taux directeur”, fixé annuellement par l’État et reventilé par les DDASS.
En psychiatrie, la “globalisation” intervient encore à un autre niveau. En effet, la budgétisation des structures extérieures à l’hôpital (dispensaires, qui s’appelleront désormais “CMP”, centre médico-psychologiques) est retirée aux DDASS et échoit à l’hôpital psychiatrique qui gère désormais la continuité de la prise en charge du patient psychiatrique. Ce dont psychiatres et directeurs se félicitent pour des raisons différentes. Les psychiatres voient la globalité du “secteur” inscrite dans la lettre même de la budgétisation. Les directeurs voient restauré leur volant d’action financier, corrodé au cours des années précédentes par la diminution du nombre des journées.
Cette situation de gel budgétaire est censée être provisoire: on pense déjà à mettre en place des outils de recueil d’information destinés à mesurer l’activité des établissements pour en déduire leur dotation. C’est la naissance du “PMSI”, qui s’installe d’abord dans les disciplines “MCO” (médecine, chirurgie, obstétrique) – décalque direct du modèle américain des DRG ou “diagnostic related groups”.
PMSI signifie “programme de médicalisation des systèmes d’information”. Ce terme plutôt ambigu et peu compréhensible exprime une chose: la volonté du ministère d’introduire un descriptif de l’activité médicale dans l’arbitrage budgétaire. Le but de l’opération est non seulement de rationaliser les dépenses, mais aussi de corriger des inégalités régionales importantes (et donc, d’une certaine manière, de sortir du “gel” du budget global).
Pour mettre en place ce système d’information “médicalisé”, l’État crée des Départements d’Information Médicale (DIM). Un corps de médecins rompus au recueil de ces données est créé. Ces médecins sont censés représenter l’indispensable maillon(4) entre données médicales nominatives (protégées par le secret médical) et données agrégées, globalisées.
La mise en route du PMSI en MCO ne se fait pas sans difficulté (adaptation des modèles américains au fonctionnement hospitalier français, prise en compte de l’évolution des pratiques, notamment ambulatoires). Mais le PMSI finit par s’imposer et entrer dans les habitudes. On s’accorde à dire qu’il décrit assez bien l’activité en chirurgie, mais qu’il peine un peu en médecine. Parallèlement, certains ne manquent pas de souligner qu’il y aurait eu d’autres voies pour corriger les inégalités régionales (travaux de E. Coca(5)), en utilisant des données existant déjà, données essentiellement économiques et démographiques. Mais cette voie semble pour l’instant abandonnée au profit du “tout PMSI”.
Or, pour la psychiatrie, il n’existe pas de modèle américain directement exportable. Peut-être pour combler ce vide, la direction Générale de la Santé met en place dans les hôpitaux psychiatriques un recueil statistique dès 1988: c’est la “fiche par patient”, descriptif à la fois du patient lui-même et des soins dont il bénéficie – avec l’idée de connaître la trajectoire des patients dans les différentes structures de soin.
Les items qui décrivent le patient (qui apparaît nominativement) sont plus sociaux que médicaux, bien que le diagnostic soit recueilli dans la fiche.
Les items concernant l’activité médicale (au sens large) ne réfèrent pas à chaque soignant individuellement, il ne s’agit pas d’une “fiche par intervenant”.
La mise en place de la fiche par patient se fait dans la mauvaise humeur. En effet, les restrictions budgétaires ont commencé à poindre: rationnement et rationalisation sont confondus.
L’exploitation de la fiche patient au niveau national, régional voire départemental est rendue difficile par l’insuffisance et le flou des consignes de codage (qui ne seront pratiquement pas revues - de la création de la fiche en 1986 à aujourd’hui). Pourtant, au niveau de l’établissement et du secteur, en comparatif sur plusieurs années, c’est un outil qui permet une bonne compréhension du fonctionnement des institutions psychiatriques(6) – pourvu que la saisie en soit solidement encadrée. C’est dans cet esprit que la DDASS de Paris a commandé aux DIM du département la rédaction d’un guide commun de codage, guide qui a rendu les données plus homogènes et leur exploitation plus pertinente.
Avec le temps, la fiche par patient a fini par entrer dans les mœurs. Les analyses statistiques qu’elle permet servent assez peu la recherche épidémiologique proprement dite, mais sont volontiers utilisées par les directions hospitalières, et un peu moins par les médecins. Au niveau national, elle aboutit à la publication de moyennes “molles”, étant donné la disparité des modes de saisie. Mais dans tous les cas, elle joue un rôle fondamental -rôle symbolique- celui de précurseur, d’annonciateur du PMSI avec lequel, à tort, elle est souvent confondue. Au cours de la décade 1990 - 2000, de manière générale, l’ambiance dans les secteurs devient de plus en plus morose. Les restrictions jouent un rôle évident, mais d’autres facteurs semblent aussi très importants - c’est la perte d’un certain nombre d’illusions:
Deux autres facteurs liés à la gestion du corps des psychiatres des hôpitaux contribuent à cette morosité:
Enfin, depuis la mise en place du budget global, les directeurs d’hôpitaux exercent une pression importante sur les secteurs pour supprimer des lits: un grand nombre de journées d’hospitalisation engendre des dépenses, alors que le budget doit rester constant. De réticents qu’ils étaient dans les années 70, ils deviennent moteurs dans la réduction du nombre de lits. À l’inverse, les psychiatres voient avec inquiétude diminuer les capacités d’hébergement de l’hôpital, alors que ces lits ne sont pas toujours remplacés par des places dans des structures intermédiaires, loin s’en faut: entre 1990 et 1997, la hausse de 25% des capacités d’hospitalisation partielle (+4 861) ne compense pas la diminution de 32% des lits d’hospitalisation complète (-26 711); il en résulte un recul de la capacité totale en lits et places de 21% en sept ans(8).
En 1990, la Direction des Hôpitaux lance une double opération:
Leurs travaux seront interrompus deux ans (94 – 96), puis repris – jusqu’à aboutir aux résultats dont on trouvera un résumé un peu tendancieux dans la “lettre d’information de la mission d’appui…” de décembre 1999(9). Tendancieux, en effet, car ils présentent les travaux de la mission PMSI comme une réussite presque complète. Pourtant, les résultats obtenus (lien faible entre critères prédictifs de la dépense et dépense elle-même) permettent de douter de l’efficacité de l’outil qui sera mis en place. Mais aux critiques, la réponse du ministère est univoque: il faut d’abord lancer le recueil de données en routine, quitte à le modifier en cours de route en fonction des résultats obtenus.
C’est donc dans un contexte de désillusion et d’amertume que va être mis en place un outil qui semble encore bien imparfait – et qui suscite plusieurs craintes chez les psychiatres:
Rien d’étonnant, dans ces conditions, que le débat sur le PMSI soit passionné, partisan et fâcheusement rempli d’amalgames.
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(1) Comme en témoigne par exemple l’excellent article de Michel Caire, “Un état des fous de Bicêtre en 1792”,
Nervure, Tome VI, n°7, septembre 1993.
(2) Nous reviendrons plus loin sur la signification de cet acronyme.
(3) Guilmin A., L'offre de soins en psychiatrie: des "modèles" différents selon les départements ?, Études et résultats n°48, Janvier
2000, DRESS, ministère de l'Emploi et de la solidarité.
(4) Indispensable ? probablement – mais il n’existe pas aux États-Unis…
(5) On consultera par exemple son ouvrage “Maîtriser l’évolution des dépenses hospitalières: le PMSI” édité chez Berger
Levrault.
(6) Ou du moins suscite de bonnes questions.
(7) Consécutive à la disparition des primes à la chefferie de service; en effet, un jeune chef de service se devait de
muter dès qu’il accédait à cette nouvelle fonction; il s’éloignait alors du centre universitaire près duquel il avait fait
son internat, et ne s’en rapprochait que graduellement, à l’ancienneté; certes, un praticien “non chef” pouvait rester
sur place, mais la différence de salaire entre un chef et un non chef incitait l’immense majorité des praticiens
hospitaliers à passer dès que possible le concours de la “chefferie de service”.
(8) A. Guilmin, op. cit.
(9) “Pluriels”, la lettre de la mission nationale d’appui en santé mentale – 74 bis, avenue Edison, 75013 Paris –
Directeur de la publication: G. Massé.
(10) il n’est peut-être pas anodin que la fiche par patient et le PMSI proviennent de deux entités distinctes du ministère
de la Santé: la fiche patient (spécifiquement psychiatrique) est une production de la Direction Générale de la Santé,
alors que le PMSI a été élaboré par la Direction des Hôpitaux; par ailleurs, la DGS recueille annuellement des
renseignements très généraux sur l’ensemble des établissements de santé (publics et privés, court séjour, moyen
séjour et psychiatriques) à travers la “SAE”; l’existence de la fiche patient n’a jamais dispensé de remplir la SAE.
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