![]() | ![]() | Christophe Lenoir – avril 1997 Le statut & les limites de la mise en abyme de la télévision par elle-même | ![]() |
Ce texte propose, à partir des multiples formes d'abyme à la
télévision et des scandales qu'ont pu susciter un certain nombre d'entre elles,
de considérer le rôle fonctionnel de la mis en abyme dans les limites tracées
par ses écarts. Question d'ordre énonciatif, impliquant un type de contrat de
lecture particulier, la mise en abyme constitue l'image que la télévision
entend donner d'elle-même, en même temps qu'elle donne ses propres clefs de
lecture. Le mode d'interaction figuré à la télévision par la mise en abyme
procède ainsi d'un dispositif de légitimation, indispensable à l'établissement
de sa crédibilité, en intégrant la conscience méta-énonciative du spectateur.
Tous les niveaux de mise en abyme par inscription du cadre dans le cadre ou
de la situation d'énonciation et de réception dans le cadre, pour inhabituels
qu'ils soient au cinéma (ils sont analysés comme des éléments antagonistes à un
contrat de lecture fictionnalisant), sont pourtant de règle à la télévision.
Si la référence aux conditions de l'énonciation est alors considérée comme
le caractère d'un mode documentarisant, il apparaît néanmoins que ce sont les
mêmes schémas narratifs qui sont mis en jeu, qu'il s'agisse d'une fiction,
d'une non-fiction ou de la narration d'une expérience vécue.
La télévision a précisément pour particularité d'alterner ces modes, voire
de les mélanger. L'auto-réflexivité de la télévision est donc déjà largement
induite par sa nature de programme qui diffuse des programmes. Cette composante
structurelle est redoublée par le nombre d'émissions parlant spécifiquement de
la télévision à la télévision. La référence à son propre discours et à sa
propre structure sociale ne va cependant pas sans heurts: au delà de leur
aspect de performance anecdotique, les écarts peuvent permettre de préciser la
fonction générale de la mise en abyme, en en marquant les limites.
Les émissions sont de plus en plus conçues comme des éléments d'une grille
continue, s'enchaînant les unes aux autres, et faisant donc référence les unes
aux autres. Cet emboîtement s'articule autour de l'inscription de
l'énonciation, la télévision s'énonçant elle-même comme un artefact, un
spectacle interactif, dont chaque élément à la fois s'emboîte et s'enchaîne.
La télévision ne cesse de croiser direct et différé, rétrospective et
prospective, réalité et fiction au long d'un flux ininterrompu. A partir du
dispositif comprenant un plateau et un animateur, ces modes d'adresse peuvent
être actualisés aussi bien au niveau d'une grille quotidienne, d'une partie de
journée, d'une émission, que d'une rubrique, la télévision semblant mettre
systématiquement en abyme ses propres programmes, à l'image d'une mosaïque
d'émissions mosaïques. Francesco Casetti et Roger Odin analysent comme un des
traits marquants de la néo-télévision la dissolution des genres de la
paléo-télévision en une structure mixte, un flot englobant: «la structure
syntagmatique tend vers un flux continu».
Les programmes ne peuvent plus être compris comme une juxtaposition
d'émissions autonomes, et les genres vont également en s'hybridant au sein des
émissions. Alain Le Diberder, qui rejoint Hervé Bourges à la présidence des
chaînes publiques (puis Canal Plus) après être passé par le cabinet de Jack
Lang, s'en explique ainsi dans un entretien accordé à Dominique Mehl: «Mon
idée c'est qu'on va plutôt vers des émissions hybrides qui mélangent des choses
qui peuvent être très éloignées, comme le documentaire, le jeu et la variété.
(…) On peut concasser; [les téléspectateurs] feront le tri. On peut s'adresser
à eux en leur montrant de la télévision…» Dominique Mehl voit dans ce mélange
des genres le passage à une télévision relationnelle, prétendant à l'établissement
d'une relation plus qu'à la diffusion d'un message: «Le mélange des genres,
enfin, remplace le contact ponctuel entre un public et un programme par un
rapport durable entre le spectateur et la télévision». Ce changement organique
s'est opéré parallèlement à un changement structurel: «La télévision est passée
du stade d'une administration à celui d'une entreprise. C'est une entreprise de
communication et de spectacle».
Requena propose de considérer effectivement les chaînes comme autant de
macro-unités discursives, entités composées de sous unités partielles,
elles-mêmes parcellisable (en rubriques, séquences, etc.) l'unité ultime étant
le spot publicitaire. Au-delà de la dialectique fragmentation VS continuité, on
pourrait donc parler d'une dialectique fractale (de type "chou-fleur", au sens
où l'objet peut se décomposer en sous objets conservant la même structure que
l'objet), chaque élément constitutif étant l'image, la mise en abyme, du tout.
Le dispositif télévisuel aurait également pour particularité de mettre
systématiquement en scène ses propres conditions d'énonciation sur le mode de
la "vache-qui-rit".
L'émission Culture pub amène ce dispositif à un nombre impressionnant de
factorielles, en conformité avec le projet même de l'émission: l'entrée en
scène de chaque sub-animateur est suivie par un travelling, marqué physiquement
par la présence des rails visibles à chaque plan d'ensemble; l'émission joue
également de la présence traditionnelle des moniteurs, qui pour l'occasion
renvoient effectivement au contenu de l'émission, démultipliant ainsi chaque
type d'abyme télévisuel, de l'inscription des moyens de production jusqu'au
cadre dans le cadre.
L'articulation entre le flux et les éléments qui le composent s'effectue
donc par inscription des signes de l'énonciation, permettant de relier
rubriques, émissions, programmes, autour de vues du dispositif, de la figure
récurrente de l'animateur et de la multiplication des inserts au logo des
chaînes. Le flot apparaît alors comme une structure fractale où chaque genre se
retrouve en abyme à chaque niveau (unité thématique, émission, rubrique,
séquence ou spot), chaque niveau renvoyant en abyme au dispositif télévisuel
lui-même, en tant que moyen (c'est un artefact qui s'énonce comme tel et qui
montre son dispositif de fabrication), et en tant qu'objet d'une relation entre
la chaîne et le téléspectateur.
Le spectacle télévisuel ne cesse de se présenter comme tel, sans que cette
auto-inscription introduise de rupture: au contraire, elle permet de relier en
un tout ses éléments, indépendamment de leur hétérogénéité (et comme le
déclarent les acteurs du champ de production, ces éléments sont de plus en plus
construits dès le départ en vue de cette intégration future).
Elle n'introduit non plus aucune perte de vraisemblance, son spectacle étant
précisément décrié à cause du peu de distance qu'aurait le spectateur vis à vis
des images (l'inscription de la situation énonciative dans le spectacle a
cependant pu être posé par ailleurs comme un facteur de distanciation, que ce
soit au théâtre ou en peinture).
Jacques Ellul expose précisément ces reproches dans un entretien paru en
1992: «la télévision est un instrument exceptionnel par son impact … c'est très
important quant à la perte de l'esprit critique … le visuel est de l'ordre du
réel … et c'est le réel que nous avons sous les yeux et ce réel est beaucoup
plus immédiatement ressenti … or la télévision ne donne jamais qu'une photo du
monde réel».
L'opposition entre le "réel télévisuel" où le monde symbolique construit par
la télévision et la réalité sociale objectivable constitue également
l'hypothèse de travail d'une part de la sociologie de la communication de
masse, comme la théorie de la culture, montrant que si le monde présenté par la
télévision diffère considérablement de la réalité sociale, celui-ci sera
pourtant interprété comme réalité sociale effective.
Ce différentiel entre l'univers symbolique de télévision et la réalité
sociale est donc dû à un impact particulier de la télévision, une légitimité
spécifique qui donnerait à ses images force de réalité. L'énonciation
télévisuelle construirait un espace narratif particulier, sa propre mise en
évidence comme artefact accréditant, suivant les termes de Bourdieu à propos de
la légitimité, le sacrifice de son intérêt ou point de vue égoïste au point de
vue du groupe, reconnu dans sa valeur et comme fondateur de toute valeur; le
reproche émis à son encontre était précisément de faire valoir son point de vue
comme celui du groupe, donc de jouir d'une légitimité indépendante des
promoteurs de légitimité institutionnellement reconnus.
La mise en abyme des conditions d'énonciation induit plusieurs niveaux
narratifs. L'animateur raconte ce qui se déroule sur le plateau, livrant en
permanence un commentaire paraphrastique de l'action en train de se dérouler,
la faisant passer de simple action au rang d'une histoire en train de se
construire. Ce jeu de mise en abyme continue d'une émission a un rôle avant
tout fonctionnel: l'animateur canalise l'intérêt du spectateur en jouant très
librement de l'annonce et de l'analepse, pouvant rappeler des phases ou des
moments forts comme annoncer ceux qui vont suivre; parallèlement au déroulement
linéaire de l'action, ce déroulement non linéaire du récit qu'il livre (et des
informations hors-texte, en voix off ou en surimpression) permet de passer de
l'énigme (il manque un élément de compétence au spectateur pour comprendre
l'action) au suspense (le spectateur possède un élément de compétence lui
permettant d'anticiper l'action).
Par ce jeu, l'animateur construit le lien entre les micros-événements du
plateau et la continuité de l'émission, voire la continuité de grille; il est
détenteur du pouvoir de faire d'une parole particulière la parole qui sera
entendue, répartissant les temps de parole et se réservant le commentaire
final. Ce statut est tellement admis que sa mise en scène peut être rendue
transparente par excès d'artifice sans le mettre pour autant en cause: c'est le
ressort de l'émission N'Oubliez pas votre brosse à dent.
Les provocations portant sur le code (où la télévision met volontairement en
scène ses propres artifices) ne font jamais que souligner à quel point la
télévision ne perd aucune crédibilité à se présenter comme un artefact. Par
exemple, Nagui n'éprouve aucune difficulté à parodier le rôle de l'animateur,
en tendant le micro à un membre du public pour le reprendre aussitôt sans qu'il
ait pu dire quoi que ce soit. Mettre en abyme le déséquilibre de la relation
entre l'intervieweur et l'interviewé ne peut que renforcer le sentiment de
conscience de la nature de la relation: le déséquilibre formel entre
l'animateur et les autres intervenants fait partie du principe affiché de cette
relation. Néanmoins, même s'il est devenu le jeu de références méta-génériques,
ce déséquilibre n'en empêche pas moins le dépassement du dispositif.
Pierre Bourdieu a lui-même subit ces «règles formelles à géométrie
variable»: participant à l'émission Arrêt sur image, il a pu noter précisément
comment l'animateur impose la problématique de l'émission et la hiérarchisation
des intervenants, jouant de son autorité au nom des téléspectateurs («Pour
donner de l'autorité à sa parole, il se fait porte-parole des auditeurs: “la
question que tout le monde se pose”, “c'est important pour les Français…”»).
La mise en abyme du dispositif contribue à accréditer cette autorité, par le jeu
des plans de coupe sur le public: «l'interpellation brutale qu'il adresse à
ceux qui contestent sa manière de mener le débat est applaudie par les gens
présents sur le plateau et qui font une sorte de claque». La distribution de
la parole est elle-même justifiée par des impératifs renvoyant à un niveau
supérieur, comme la grille de programme pour le minutage, ou l'Institution en
général pour la précellence des titres: «M. Alain Peyrefitte est présenté
comme “écrivain” et non comme “sénateur RPR” et “président du comité éditorial
du Figaro”, M. Guy Sorman comme “économiste” et non comme “conseiller de M.
Juppé”». A ces experts nantis d'une caution institutionnelle (définis comme
échappant aux positions partisanes, «des observateurs présentés comme des
arbitres, parfaitement neutres et convenables») sont opposés «un petit nombre
d'acteurs perçus et présentés comme engagés».
Les jeux de langage et de posture lors des différentes interventions de
l'animateur, combinés aux effets de mise en scène des protagonistes (éclairage,
décors, maquillage, attitude verbale et physique) rendent encore plus évidentes
ces différences de statut. L'animateur joue alors d'une triple modalité, se
présentant comme médiateur du public et membre d'une institution au service du
public, il cumule la reconnaissance du public, la fonction institutionnelle et
la légitimité journalistique (soit à son propre titre, soit par l'intervention
de journalistes ou l'insertion d'un reportage), ce qui permettra d'accréditer
ou de dénier la légitimité de tel ou tel discours sur son plateau.
Les règles "à géométrie variable" dont parle Bourdieu ont donc pour
caractéristique d'allier la fonction relationnelle de la télévision (par la
construction de l'image du public et par la construction de la relation
privilégiée de l'animateur avec lui) et sa fonction messagère (par la
construction de l'image du journaliste et par la construction de l'image des
experts). Ces deux niveaux sont reliés par le même effet d'abyme: la mise en
abyme de la relation des spectateurs à la télévision d'une part, et d'autre
part la mise en abyme de la relation du journaliste au monde, garantissant la
validité de chacun d'eux, et excluant le modèle inverse (la relation
ambivalente de la télévision).
Dans le cas d'émissions en différé, le réalisateur d'un reportage est par
exemple de plus en plus appelé à témoigner de son expérience et de la
situation relatée, donnant à son récit une valeur intra-diégétique. Dans le
cadre du journal télévisé, en direct, des envoyés spéciaux sont présentés sur
le lieu des faits qu'ils relatent. Tout se passe donc comme si le fait lui-même
n'était pas interrogé, la seule chose important étant l'effectivité du référent
(le fait que ces images soient bien des images du réel). L'interprétation des
faits est rarement mise en cause, le "bidonnage" d'un reportage étant rarement
décrié à l'antenne (le journaliste Aziz Zemouri poursuivra même en diffamation
Martine Aubry et Laurent Carhalat pour avoir affirmé que son reportage sur les
banlieues avait été "bidonné"; le tribunal correctionnel de Paris leur donnera
pourtant raison); de même, la démonstration de la manipulation opérée par
Patrick Poivre d'Arvor en prétendant s'être entretenu avec Fidel Castro aura
valu une sanction à l'auteur de la démonstration, et non à l'auteur de la
manipulation.
Selon Barsam, la figuration des conditions de l'énonciation permet de
garantir l'authenticité du référent et de distinguer le "comme si" de la
fiction du "c'est comme ça" du document, défini alors comme une non-fiction.
Cette croyance basée sur l'image en tant que réalité implique une intention de
l'ordre du "sincère et véritable". Cette intentionnalité particulière est
validée par les différents niveaux de mise en abyme: l'inscription de
l'énonciation, la référence au vécu de l'animateur, et le caractère
intradiégétique du narrateur. La mise en abyme remplit alors clairement une
fonction rhétorique: le destinateur et le destinataire sont donnés comme des
entités ayant une correspondance effective dans le réel, le signe étant
prétendu équivalent au référent.
La rupture interviendrait dans les cas où la mise en abyme, au lieu d'offrir
le spectacle d'une énonciation "sincère", renverrait de façon directe au
contexte sociologique et politique de l'énonciation, ou dans les cas où
serraient utilisés des codes incompatibles avec le lieu de l'énoncé, renvoyant
directement aux conditions d'énonciation du discours et non plus à ses
conditions figurées.
Dans le cas Polac comme dans le cas Amar il y aurait donc mise en cause
frontale du statut de l'énonciation, cette distinction n'étant pas respectée.
La référence au propriétaire de la chaîne revient à subsumer l'entité
énonciatrice TF1 à un personnage référentiel doté d'intérêts économiques et
politiques clairement définis, en contradiction avec les types d'énonciateurs
normalement figurés (par exemple le journaliste, doté de qualités morales
[éthique], ou l'animateur, doté de qualités charismatiques, révélant
éventuellement son univers affectif mais pas son univers socio-économique - dû
moins en tant qu'énonciateur statutaire d'une émission ou d'une chaîne).
Considérer que la chaîne agit en fonction d'intérêts particuliers et non des
intérêts généraux revient en outre à lui dénier toute légitimité, alors que
tout le dispositif télévisuel tend, notamment par la mise en abyme, à
accréditer cette légitimité.
Depuis son exclusion, Polac a inversement gagné le statut d'un énonciateur
dont la motivation de l'énonciation ne peut être mise en doute, statut
entretenu par la maîtrise de ses apparitions télévisuelles et de leur mise en
abyme (sa courte émission littéraire sur M6, filmée par lui-même à l'aide d'un
camescope posée sur une étagère de bibliothèque, était montrée comme le choix
de contrôler tout le processus de sa propre énonciation télévisuelle; son
apparition dans un spot publicitaire pour le Crédit Municipal de Lille a fait
de même l'objet d'un make-off, où il est précisé qu'il a lui-même vérifié la
conformité du fonctionnement de cette banque à ce qui est énoncé dans son
texte).
L'irruption des gants de boxe met en abyme la construction symbolique du
représenté, présentant en situation de commutativité l'énonciateur journaliste
et l'énonciateur animateur amuseur, alors que suivant le point de vue éthique
de l'énonciateur journaliste, un référent symbolique (de l'ordre de la
fiction), et un référent réel ne sont pas commutable.
La présence en abyme de ces mêmes gants sur un autre plateau télévisuel
(Studio Gabriel) ne pose par contre aucun problème, la distinction étant de
toute façon posée par la différence de statut des différents animateurs (Nulle
part ailleurs fonctionne sur le même mode, la page d'information est par
exemple présentée par un journaliste distinct), qui permet donc de distinguer
le mode d'adresse, relationnel ou messager (si Bourdieu s'insurgeait contre la
mixité de ces deux modes, cette mixité n'est précisément possible que dans la
mesure où ils sont perçus comme distincts).
Inversement, dans le cas de la fausse interview de Castro par Patrick Poivre
d'Arvor rien ne mettait en cause le statut du journaliste: c'est au contraire
la démonstration de cette manipulation qui mettait en cause ce statut,
impliquant par la même sa sanction.
La suspension de l'émission de Karl Zéro le Vrai journal durant un mois
(novembre 1996) par le Conseil supérieur de l'audiovisuel a donné lieu à de
nombreux commentaires. Si les Guignols de l'info, sur sa même chaîne, prirent
sa défense (une part importante de cette émission semblant consacrée à la
défence de la chaîne contre ce qui est présenté comme des tentatives de
censure), le traitement de l'affaire dans une émission comme Lignes de mire
revenait plutôt à justifier la sanction et à la présenter comme méritée. Le
fautif avait été invité pour faire son autocritique, face à Daniel Billalian,
représentant l'éthique journalistique, et à Jacques Chancel, présentateur de
l'émission, prenant part au débat au nom de l'institution télévisuelle dans son
ensemble. Des témoignages, dont celui du responsable des programmes de Canal
Plus Alain de Greef, soulignaient que le bon sens et l'ensemble de la
profession se trouvaient du côté du CSA.
A l'encontre des arguments circonstanciés de Karl Zéro (la mise en garde
aurait une origine politique, et ferait suite à un reportage sur les incidents
liés à la visite du président de République en Israël, l'incrimination de sa
parodie de Pulp Fiction, Peuple Fiction, étant un prétexte secondaire),
l'argumentaire de l'émission faisait prévaloir une nouvelle fois
l'incompatibilité du fait d'amuseur et du fait journalistique, même sous le
couvert de la satire, seule l'éthique du journaliste permettant de garantir la
véracité des informations en ne présentant que des faits préalablement
vérifiés. La réaction du CSA et des professionnels à l'utilisation du logiciel
Flame (permettant d'incruster différentes images indépendamment de leur
réalité) hors d'une fiction tend donc à sauvegarder la crédibilité de
l'information journalistique par la garantie d'un lien référenciel entre
l'image et sa source. A l'inverse de l'amuseur, le journaliste doit donc
répondre de son autocensure, dont l'éthique est alors à comprendre, très
explicitement, comme la forme intériorisée, volontaire, acceptable et même
valorisée: l'information n'apparait vraie que suivant le procédé rhétorique qui
met en scène le caractère référenciel de l'image.
La mise en abyme "incompatible" (elle est qualifiée au mieux de
"provocation", au pire d'infraction à une déontologie ou de violation de règles
de bienséance) serait précisément celle qui circonscrirait la logique
dialogique télévisuelle dans un cadre, en tant que discours délimité,
contingent à des règles énonciatives non transparentes et à un contexte
socio-politique opaque et particulier, non directement inscrit dans l'espace du
discours, en contradiction avec le propos du média sur lui-même.
Bourdieu expliquait ainsi ce qu'il aurait voulu dire lors de son passage à
Arrêt sur image: «La télévision, instrument de communication, est un instrument
de censure (elle cache en montrant) soumis à une très forte censure. On
aimerait s'en servir pour dire le monopole de la télévision, des instruments de
diffusion (la télévision est l'instrument qui permet de parler au plus grand
nombre, au-delà des limites du champ des professionnels) (…) pour dire des
choses qui méritent d'être dites au plus grand nombre (par exemple qu'on ne
peut rien dire à la télévision). (…) Faire la critique de la télévision à la
télévision, c'est tenter de retourner le pouvoir symbolique de la télévision».
La "provocation" tient en la mise en abyme de ces aspects "scandaleux" du
processus de production: cette forme de mise en abyme n'apparaît vraiment
possible qu'en dehors du média lui-même.
La revue Entrevue s'est faite par exemple une spécialité de montrer les
discordances entre l'image des présentateurs et leur comportement
hors-antenne, tout en affirmant sa filiation avec les émissions de Philippe
Ardisson, alors exclu de la télévision. Celui-ci s'est également exprimé sur la
disparition de toute forme d'impertinence à la télévision, justifiant en
partie son projet de chaîne de "radiovision" à destination des jeunes.
Alain Ayache et André Rousselet (ancien P.D.G. de Canal Plus et
d'Info-matin) se sont ainsi associés pour lancer en mars 1997 un magazine
consacré à la part cachée de la télévision, connu d'abord sous le nom de toute
notre Télé (devenu Télévision). Une autre revue, Télérama, c'est faite
spécialiste de la dénonciation du non-respect de son cahier des charges par
TF1. A travers ces revues et à travers la diffusion parallèle du documentaire
de Pierre Carles il se dessinerait peut-être un espace off propre à la
télévision, dans l'espace laissé libre par sa censure et son autocensure.
Cet espace off, l'espace du scandale, apparaît cependant comme le parallèle
d'un autre espace off comprenant les revues traitant de la télévision et de ses
vedettes sur un ton au contraire parfaitement consensuel. Sabine
Chalvon-Demersay et Dominique Pasquier voient dans cette presse (la presse
consacrée à la télévision réalisant par ailleurs les tirages les plus
importants de la presse française, justifiant sa qualification de dernière
presse populaire) un rôle de stylisation, de consolidation et de prise en
charge de l'image personnelle des animateurs. A l'opposé des figures de la
transgression que pouvaient camper les vedettes d'Hollywood, les articles
consacrés aux animateurs semblent consacrer leur appartenance aux valeurs
domestiques: une biographie idéale est construite autour de chacun d'eux; par
exemple un élément récurent de la biographie de Dechavanes, réputé pourtant
impertinent, sera l'attention consacrée à sa fratrie. Cette réaffirmation
constante des valeurs de la famille se double d'un hygiénisme poussé parfois
jusqu'au messianisme, à travers de nombreuses publications consacrées à
l'hygiène, la santé, la forme, la minceur, la prophylaxie sous toutes ses
formes (voir par exemple Sacré régime de Jean-Pierre Foucault).
Au contraire de tout excès ou de tout scandale, l'espace figuré par les
vedettes de télévision serait celui d'une véritable apologie de la modération.
Le paradoxe apparaît alors entre la revendication d'une identité moyenne et
leurs salaires colossaux. Malgré un tabou longtemps maintenu, la presse s'est
faite l'écho de cette surenchère, leur imposant de nouvelles tactiques de
justification. Leur salaires sont par exemple relativisés par rapport à ceux
des autres stars, en particulier celles du sport; un autre argument tient au
fait que s'ils coûtent de l'argent, ils en rapportent à la chaîne; mais dans
tous les cas, la modestie semble de mise, défendant contre toute attaque cette
image d'individu moyen, à l'opposé des prodigalités ostentatoires du cinéma. La
défense de cette image passe également par les formes de mise en abyme sur le
média lui-même, comme si la mise ne scène de leur proximité tempérait
effectivement les échos lointains des scandales.
Un des premiers retentissements interne à la télévision dû à ses propres
décalages salariaux a lieu le 29 septembre 1988, l'annonce du salaire perçu par
Christine Ockrent entraînant un mouvement de grève à Antenne 2. Le problème
c'est alors posé à la rédaction de TF1 de déterminer qui allait traiter ce
sujet, du spécialiste des médias, du spécialiste du social, ou du spécialiste
de la politique. Ce fut finalement le présentateur en titre Patrick Poivre
d'Arvor, réalisant ce jour une audience record, record renouvelé le 3 avril
1989 en invitant dans son journal tous ceux qui contribuent à sa réalisation.
Le média aurait-il d'autant plus d'audience qu'il parle de lui-même et de ses
propres incidents ? Ces incidents contribuent toujours, bien que parfois
paradoxalement, à la consolidation de l'image des stars. La première ouverture
du JT, le 26 juin 1949, doit déjà son impact au filmage de la chute du ballon
où avaient pris place Pierre Sabbagh et son cadreur Michel Wakewitch: «Si
j'ai pu continuer à faire le journal, c'est aussi grâce à l'histoire du ballon»
a déclaré Pierre Sabbagh dans un entretien rétrospectif sur sa carrière.
Cette crise est provoquée par la Présidence de la chaîne, par la lecture
d'un communiqué inséré dans le JT et annonçant la rupture d'un des contrats qui
la lie avec Jean-Luc Delarue. La direction précisera de la même façon
l'engagement de procédures judiciaires à l'encontre de la presse, ce
contentieux étant alors couvert essentiellement par la presse écrite à la suite
de la publication du rapport Griotteray. La chaîne ne communique donc ses
intentions que de la façon la plus institutionnelle et univoque (le
communiqué), se faisant même reprendre sur ce terrain (le juge des référés,
saisit par Delarue, a intimé l'obligation de lire un rectificatif dans le même
journal). Inversement, Delarue rend compte de la polémique qu'il suscite sur le
ton de l'humour, en se plaçant lui-même en tête de son palmarès hebdomadaire
des personnalités les plus médiatisées.
Indépendamment des querelles de personnes, ce conflit fait apparaître une
nouvelle dimension de la mise en abyme, où celle-ci ne sert plus tant ni
d'espace d'expression ni d'espace de promotion à la chaîne, mais aux
producteurs qui sont les seuls à être énonciativement présents en tant
qu'animateurs. Le président n'est pas un animateur, il ne peut s'exprimer que
comme un élément étranger à la grille des programmes, il n'a pas de
personnalité éditoriale; le scandale soulevé par Elkabbach au nom de l'identité
du service public s'est retourné contre lui.
Sa chute aura pour seul cadre télévisuel la retransmission de sa conférence
de presse lors des journaux télévisés, où il hasardera, accompagné dans la rue
par les journalistes après sa sortie, «il y a des chênes qu'on n'abat pas»,
réduit au jeu de mot citationnel pour toute mise en scène. C'est le minimalisme
même (la question est alors posée en terme de maladresse ou d'authenticité
calculée) de la mise en scène de sa chute qui en motivera la rediffusion.
La mise en examen puis le procès du journaliste vedette de TF1 aura
également eût un retentissement considérable dans les médias. Néanmoins,
lui-même disparaîtra de l'écran pour ne réapparaître qu'à l'issue du procès.
Une émission du Cercle de minuit présentée par Laure Adler, à laquelle il était
invité pour parler de son dernier ouvrage un Héros de passage, sera même
déprogrammée. Patrick Poivre d'Arvor avait pourtant inauguré ce type
d'apparition à l'occasion de la sortie des Enfants de l'aube en 1982 à
Apostrophe: «le présentateur du 20 heures, sur sa chaîne, dans une émission
littéraire, ce fut un événement !» La présence transversale d'un
présentateur est donc aussi un moyen évident de cultiver sa notoriété au-delà
de son rôle dans une seule émission, lui-même étant susceptible d'en produire
(Patrick Poivre d'Arvor a produit Ex libris et à la Folie). Il aura inauguré
alors une nouvelle forme de mise en abyme, in abstentia, son absence totale
faisant de son retour un événement.
La diffusion de l'émission de Laure Adler, prévue initialement le 1er avril,
sera finalement repoussée 15 jours plus tard du fait du retour de Patrick
Poivre d'Arvor à l'antenne du JT ce jour-là. Patrick Poivre d'Arvor déclarera
«La morale du journaliste, je ne sais pas trop ce que c'est. Chacun accorde
sa morale avec l'idée qu'il se fait du journalisme et de son éthique personnelle.
J'essaie de ne pas juger les autres, j'ai déjà suffisamment à faire avec
moi-même». Manifestement, l'éthique relève de questions plus télévisuelles que
proprement journalistiques: le journaliste est avant tout un médiateur entre le
téléspectateur et l'actualité. Cette éthique est d'autant plus fragile qu'elle
relève souvent d'une simple figuration (par exemple le panorama devant lequel
sont filmés en direct les envoyés spéciaux doit être emblématique du lieu et de
l'action, fonctionnant comme métonymie du lieu, légendé par un sous-titre)
devenue un simple élément de code: les "bidouillages" montrent que ces codes
peuvent fonctionner en l'absence de référent réel, en confit avec la
revendication d'une éthique journalistique (le cas présent montre néanmoins que
cette éthique est de moins en moins revendiquée). L'information en tant que
message est en effet garantie par la crédibilité accordée aux journalistes,
tandis qu'en tant que relation elle doit sa légitimité à la mise en scène de la
concordance des décisions de l'animateur avec la volonté du téléspectateur.
La mise en abyme permet alors de distinguer le mode de communication employé
par la télévision, relationnel (en mettant en scène sa relation avec le
spectateur) ou messager (en mettant en scène sa fonction journalistique). Ces
modes se distinguent donc plus en tant que modes d'adresse et de légitimation
qu'en tant que distinction d'ordre éthique: revendiqués tour à tour et
étroitement mêlés, la figuration de leur distinction permet ce mélange.
Dans le passage d'une télévision monopolistique à une télévision
multipolaire (l'éclatement de l'ORTF), puis concurrentielle (l'arrivée de
chaînes privées), la mise en abyme devient un vecteur d'identité des chaînes et
de fluidité des programmes, au service du marketing de la station ou du groupe
auquel elle appartient. Ces stratégies sont cependant peu pérennes, soumises
aux changements de direction des chaînes, elles-mêmes dépendant des alternances
politiques et des changements stratégiques de leur groupe.
La seule figure stable, indépendante de ces changements, demeure donc celle
de l'animateur; les chaînes élaboreront leurs stratégies, leur promotion et
leur image autour des contrats d'exclusivité qui les lient. Lui même est le
seul responsable télévisuel, en tant que producteur, à être énonciativement
présent à l'écran, en tant qu'animateur. Or ses propres intérêts ne sont pas
forcément ceux de la chaîne. Elément structurel spécifique à la télévision, la
mise en abyme transcrit en partie une réalité économique, l'emboîtement des
intérêts des producteurs-animateurs et des chaînes. La mise en abyme de la
télévision par elle-même trouve ses premières limites dans leurs propres
intérêts, mais aussi dans leurs inévitables divergences.
De façon gigogne, on peut ainsi distinguer plusieurs fonctions dans la mise
en abyme:
L'espace hors-champ est continuellement nié par les multiples formes
d'interactivité, les émissions s'adressant textuellement au téléspectateur.
Casetti et Odin parlent de ce fonctionnement en terme de contact: «[est
alors] abolie la séparation entre espace de la réalisation et espace de la
réception… tout se passe à l'intérieur d'un même espace télévisuel qui se
confond lui-même avec l'espace quotidien». Au noyau de la programmation,
le spot publicitaire, qui a pour fonction même d'amener un objet télévisuel
dans l'espace quotidien, joue très bien de cette dissolution du cadre: un
spot pour des tranches de fromage à tartiner présente par exemple des
personnages dans un décor de safari référant directement aux films du genre,
salivant devant des sandwichs dévoilés par un mouvement arrière de la caméra,
dévoilant en même temps l'écran de télévision sur lequel se déroule ce spot
dans le spot…
De plus, le flux télévisuel est dépourvu de clôture temporelle, sa naissance
relève de l'histoire et sa fin de la catastrophe (CF. la fin de la Cinq). Sa
propre temporalité est même programmée d'avance par les impératifs de la
grille. Le cadre figuré dans la mise en abyme "de flux" est donc simplement
celui de la situation énonciative, qui est représentée comme un dialogue. La
mise en abyme relève alors d'un niveau plus spéculaire que réflexif: la
figuration d'une situation dialogique entre l'énonciateur télévisuel et
l'énonciataire téléspectatoriel. A l'image d'un dialogue, la figuration
constante de l'énonciation remplit une fonction phatique.
La réflexivité de l'espace télévisuel pourrait donc correspondre à l'espace
d'un dialogue, sa mise en abyme contribuant à instaurer l'image d'une relation
mutuelle, d'une situation dialogique transparente.
Le médium ne peut donc mettre en abyme ses conditions de production que dans
des limites bien précises. Si le représenté renvoi à un univers symbolique,
tout en étant donné à lire sur le mode de la réalité, mettre en abyme les
conditions de production du discours revient à mettre en cause réalité du
référent et statut du destinateur et du destinataire.
Tous ces "glissements" d'anthologie sont régulièrement rediffusés dans le
cadre d'émissions à caractère rétrospectif sur la télévision. Néanmoins leur
statut a changé, dans la mesure où ils ne s'inscrivent plus dans leur flux
d'origine mais constituent des textes finis, sécables, matériellement clos et
de ce fait susceptibles d'être réintégrés dans n'importe quel flot, des
"chutes" qui contribuent à témoigner de l'artefact du spectacle, comme les
chutes proposées dans un bêtisier, tout en étant intégré dans le spectacle et
en évitant de mettre en question sa nature d'artefact.
Bourdieu constate ainsi l'échec de sa prestation: «Or voilà qu'une nouvelle
émission de la même série revient à quatre reprises, quel acharnement !
sur des extraits de mes interventions, et présente ce règlement de comptes
rétrospectif comme un audacieux retour critique de l'émission sur elle-même.
Beau courage en effet: on ne s'est guère inquiété, en ce cas, d'opposer des
“contradicteurs” aux trois spadassins chargés de l'exécution critique des
propos présentés». (…) «Conclusion (que j'avais écrite avant l'émission):
on ne peut pas critiquer la télévision à la télévision parce que les dispositifs
de la télévision s'imposent même aux émissions de critique du petit écran.
L'émission sur le traitement des grèves à la télévision a reproduit la
structure même des émissions à propos des grèves à la télévision».
La télévision s'attache à mettre en abyme un processus de relation,
euphémisant la relation de proximité qu'elle revendique entretenir avec le
téléspectateur. L'inflation factorielle des formes de mise en abyme de la
télévision par elle-même s'inscrirait dans la même logique de dévoilement du
relationnel que remarque Dominique Mehl dans les réality-shows: la télévision
ne cesse plus de se raconter et de rejouer ses scènes de ménage.
Ce besoin de mettre en scène la légitimité de la relation tout en revenant
sur ses propres scandales peut apparaître comme une réponse à l'absence de
légitimité culturelle d'une télévision construite autour de ses animateurs. Au
moment de sa genèse, alors que l'ORTF n'avait pas à rendre compte des
contraintes du marché mais de contraintes politiques, ses animateurs, bien que
populaires, ne bénéficiaient d'aucune reconnaissance de la part de
l'institution dont les dirigeants étaient issus de l'appareil politique et les
techniciens d'appareils corporatistes. Les dirigeants privilégiaient donc
l'image de marque, par le biais de programmes à vocation culturelle, notamment
de fictions liées à la littérature. Sabine Chalvon-Demersay et Dominique
Pasquier remarquent ainsi que les animateurs transgressaient l'ensemble des
valeurs défendues par l'institution, et pourtant c'étaient eux que le
spectateur connaissait, reconnaissait, récompensait, alors que les présidents
se reconnaissaient volontiers dans les grandes dramatiques télévisuelles ou les
émissions consacrées aux art, à la littérature ou à la science. Cette
schizophrénie latente dans l'attitude des autorités politiques vis à vis de la
télévision se retrouve dans la formulation du cahier des charges des chaînes
publiques, celles-ci se trouvant dorénavant en compétition avec des chaînes
privées, accordant une place prééminente aux animateurs susceptibles de capter
un maximum d'audience, entraînant une surenchère salariale allant pourtant à
l'encontre du credo des chaînes publiques.
Il demeure qu'en adulant ainsi le personnage familier, débonnaire et
routinier de l'animateur, les téléspectateurs ont consacré le petit écran
comme média de compagnie fondé sur l'habitude et la proximité. La mise en abyme
relève alors de la mise en scène de la connivence, la référence à la situation
d'énonciation étant un ressort récurent des formes d'expression populaire, du
mélodrame du XIX ème siècle au cinéma burlesque. Mais elle pourrait également
relever d'une légitimation à travers les formes de la bonne conscience
culturelle, en intégrant un niveau méta et un caractère réflexif qui sont le
propre des champs savants, autonomes et se donnant comme conscients
d'eux-mêmes. Peut-être la télévision redeviendrait-elle alors une télévision
messagère, le message n'étant plus que le discours de la relation elle-même.
Cependant, si la télévision revendique encore une signification en tant
qu'espace de représentation, celle de la volonté du téléspectateur, la
représentation systématique du "relationnel" ne relève-t-elle pas seulement de
la fascination du spectacle ? «Sondage, référendum, média, sont des
dispositifs qui ne relèvent plus d'une logique figurative mais simulative, ils
ne visent plus au référent, mais au modèle». Le problème ne tient plus en la
différence entre le réel et sa représentation (ce qui implique encore une
dimension critique et spéculative), mais en "la transfiguration" spéculaire du
réel en modèle. Dans le passage d'une télévision de l'offre à une télévision de
la demande, la production de la demande devenant elle-même un spectacle, la
télévision n'est-elle déjà plus qu'un simple espace de dissimulation,
dissimulation du social, et dissimulation de sa propre part sociale dans le
simulacre de sa transparence ? Mais peut-être le concept même de
télévision se sera-t-il dissout, se dissolvant lui-même, noyé dans la
contemplation infinie de sa propre parodie.
Plus qu'elle ne se décrit, la télévision se constitue par sa réflexivité.
Les descriptions du "corps" de la télévision la constituent en tant que
telle, non seulement de façon discursive, mais bien de façon effective. En
même temps qu'elle se présuppose, la télévision se rend observable: ce qui est
intéressant est alors le fait qu'elle ait besoin de se rendre observable comme
corps et pas seulement comme spectacle.
Ainsi les acteurs de la télévision ne se contentent pas de la faire vivre,
ils lui assignent un sens qui devient ce qu'elle est; ce sens est l'objet de la
mise en scène que constitue la télévision: se donner comme un corps observable,
et non disparaître comme moyen anecdotique derrière un résultat qu'elle
produirait et qui serait un spectacle. Elle est elle-même ce spectacle, dont
les agents sont les composantes (en premier lieu les animateurs, mais tous les
agents de la télévision deviennent des composantes de son spectacle dès lors
que la télévision les met en scène).
La procédure d'énonciation de la télévision relève donc largement de sa
propre sanction: elle est son propre schéma d'interprétation, où les "faits"
sont une donne structurelle, constituée et constitutive de la donnée.
L'énonciation qui établit un fait doit donc se soumettre aux procédures qui
l'établissent comme tel. La télévision, en parlant des choses, démontre aussi
sa propre compétence à en parler. Par cet accord sur la construction du sens,
elle est reconnue comme familière et acceptable.
Quand la télévision parle d'elle-même, elle parle en fait de la façon de
l'observer, en rendant donc compte d'une structure qui n'est pas tant sa
structure de production que sa structure d'observation et de compréhension: ses
règles de lecture.Sommaire
La mise en abyme de l'abyme
Rôle structurel de la mise en abyme
Un énoncé en abyme…
…qui s'énonce en abyme
Paul Amar et les gants de boxe
Patrick Poivre d'Arvor et Fidel Castro
Karl Zéro et le CSA
Les animateurs VS les chaînes
Delarue-Elkabbach
Patrick Poivre d'Arvor
Relation ou spectacle ?
Sources et références
Emissions citées La mise en abyme de l'abyme
Rôle structurel de la mise en abyme
De l'effet chou-fleur à l'effet
Vache-qui-rit:
La construction en abyme des
programmes
Un énoncé en abyme…
…qui s'énonce en abyme
Rôle fonctionnel de la mise en abyme
Mise en abyme et vraisemblance
Rôle narratif de la mise en abyme
La mise en abyme comme mode de
légitimation
Le caractère intradiégétique du
narrateur
Le scandale, incitation à la mise en
abyme
Les chaînes VS les animateurs
L'affaire Polac
Paul Amar et les gants de boxe
Patrick Poivre d'Arvor et Fidel Castro
Karl Zéro et le CSA
L'impossibilité de la mise en abyme
Les discours sur la télévision hors du
média lui-même
Les animateurs VS les chaînes
Christine Ockrent
Delarue-Elkabbach
Patrick Poivre d'Arvor
Effets choux-fleur, puzzle,
vache-qui-rit et poupée russe.
Conclusion
Limites de la mise en abyme
L'absence de cadre
Relation ou spectacle ?
Annexes
Notes:
Sources et références:
Emissions citées:
Les citations sont effectuées au titre du droit à la citation à des fins de
recherche, avec mention des sources.
Les mentions sont faites suivant leur ordre dans le texte.
Pour le texte et la mise en code HTML: © Christophe Lenoir 1997