Débat - Démographie et catégories ethniques

A propos l'emploi des catégorisations en sciences sociales.

Claude Grasland
Animateur de la rubrique "Espace Sociétés Territoire" de la revue européenne de géographie CYBERGEO

Etant géographe et non pas démographe, je trouve quelque peu ésotériques certains des conflits internes à l'INED, même si je ne sous-estime pas les enjeux scientifiques, ethiques et idéologiques qu'ils sous-tendent.

Mais je pense que les discussions devraient porter sur le fond : l'emploi des catégorisations en sciences sociales, qu'elles soient ethniques ou non. Car ce problème des catégorisations concerne non seulement les catégorisations sociales (groupes, classes sociales, ...) mais aussi les catégorisations spatiales (maillages territoriaux) et les catégorisations historiques (découpage du temps) qui ont pour point commun d'être à la fois des outils d'observation de la réalité sociale ET une dimension de la réalité sociale ayant des effets objectifs et subjectifs (mais bien tangibles) sur les actions et/ou les représentations.

J'ai pour ma part beaucoup travaillé sur les maillages territoriaux dans cette perspective (HDR intitulée "Contribution à l'analyse géographique des maillages territoriaux") et je suis de plus en plus convaincu que ce problème des maillages n'est l'apanage d'aucune des sciences sociales mais un problème commun à résoudre collectivement en faisant un effort de formalisation (mathématique, logique, statistique, conceptuel) pour dépasser les problèmes de vocabulaires inhérents à chaque discipline.

J'ai exploré d'un peu plus près les frontières géographie-sociologie et je pense qu'il existe un certain nombre de manières de dépasser la querelle stérile posée par le débat Le Bras/ Tribalat.

En élargissant le cadre conceptuel de l'analyse structurale de BLAU on peut montrer que la distinction classique en sociologie entre paramètres de positions qualitatifs (nominal parameters =classes sociales, sexe, religion) et paramètres de position quantitatifs (graduate parameters = revenus, éducations, etc.) s'observe également dans l'espace ou elle correspond à des paramètres de positions territoriaux (appartenance à une aire délimitée associée à des variables de relation booléennes du type appartenance commune) et des paramètres de positions spatiaux (positions en x,y ou distance à un centre mesurée en temps, coût, kilomètre, ... mais associées à des métriques continues ou subcontinues d'éloigenement).

Si on croise dans un tableau la distinction qualitatif/quantitatif et sociologique/géographique on obtient un tableau des positions qui comporte en fait de nombreuses zones d'incertitudes puisque des positions utilisées en sciences sociales sont d'un genre intermédiare entre le qualitatif et le quantitatif (ex. les castes en Inde) ou intermédiaire entre le sociologique (pris ici au sens d'un attribut individuel indépendant de la position dans l'espace) et le géographique (pris ici au sens d'un attribut lié à la position dans l'espace).

Je vous laisse le soin d'explorer les combinatoires possibles de cas intermédiaires en ajoutant (et c'est le point essentiel à mon avis) que dans une perspective temporelle ou biographique on observe des transitions d'une catégorie à une autre. Ainsi, le lieu de naissance est à l'instant t0 une variable de position géographique territoriale (commune, région, pays) ou spatiale (coordonnées précise) mais qui peut glisser au cours de la vie de l'individu vers un attribut sociologique qualitatif (nationalité dans les pays à droit du sol) ou quantitatif (distance à un lieu symbolique de la vie en société) (1).

Si vous pensez que ce débat mérite une discussion plus large, je suis prêt à détailler plus précisément les idées exposées succintement ci-dessus,

Claude GRASLAND


Notes:

(1) Voir en particulier l'article de P. Ethington sur l'emploi de la notion de "distance sociale" chez Simmel.