Débat - Démographie et catégories ethniques

L'expérience française en Algérie

Kamel Kateb (kateb@ined.fr)

Le débat engagé depuis plusieurs mois sur les catégories ethniques pour être fécond devrait à mon sens intégrer deux dimensions complémentaires : la première est constituée par l'expérience historique dans l'utilisation des catégories ethniques dans les documents statistiques officielles ; la seconde est constituée par une réflexion théorique qui toucherait aux différents aspects du problème (ethnologique, sociologique, représentation politique etc...).

Dans cette brève contribution pour ma part je m'en tiendrai à la première dimension du problème en m'appuyant sur l'expérience française en Algérie.

Les éléments se trouvent dans les débats du Congrès international de démographie en 1878 et reproduit par les annales internationales. A la question faut-il introduire l'utilisation des catégories ethniques dans les statistiques officielles, Worms, E. représentant français répondit par la négative en argumentant de la manière suivante : " grâce à la législation qui commence à régir la plupart des pays d'Europe, il existe une tendance très heureuse à l'assimilation des diverses nationalités et races qui peuvent composer un seul et même Etat... "

M. de Pietra Santa autre représentant français fut plus nuancé concernant les pays européens mais affirmative concernant l'Algérie " le seul territoire français " où il était absolument nécessaire d'aborder le recensement sous l'angle ethnique.

La particularité de l'Algérie sous domination française c'est que la prise en compte des catégories ethniques allaient être à l'initiative non pas des autorités politiques et administratives mais d'abord préconisée par les personnalités scientifiques qui travaillaient sur la production scientifique des services du gouvernement général de l'Algérie. Ainsi, C'est R. Ricoux médecin démographe qui souleva le premier en 1878 au congrès de démographie l'idée de la discrimination des juives qui avaient acquis la citoyenneté française (décret crémieux) :

" En 1870, les israélites indigènes furent en masse décrétés citoyens français, mais les dénombrer à ce titre constitue une confusion des plus regrettables, et il est temps de signaler la pente où l'on s'engage. "

Pour le recensement de 1886 la circulaire du GGA contenait :

" En outre, il est indispensable de tenir le plus grand compte des divisions indiquées pour les français, les israélites nés depuis le décret du 24 octobre 1870, ceux qui ont été naturalisés par ce décret... "

Or, au cours de cette période et jusqu'au début du siècle un climat politique anti juive était dominant dans la population française en Algérie au point de créer une Ligue anti-juive dont la revendication principale était l'abrogation du décret Crémieux avec effet rétroactif. C'est le gouvernement de vichy en 1940 qui leur donna satisfaction. Le recensement différencia les citoyens français jusqu'en 1931 ;

Des listes ont été utilisées en 1940 pour exclure les juifs de la fonction publique et leurs enfants des collèges et lycées par les autorités d'Alger sous les ordres du gouvernement de Vichy.

Ce qui se dégage de ces quelques lignes c'est que l'adoption des catégories ethniques pour les pays européens était vu comme un danger pour le processus d'édification d'état nation alors en cours en Europe. Les populations indigènes d'Algérie n'étant pas assimilable (à priori) à la nation française pouvait être discréminé ethniquement. Le décret Crémieux à ouvert une " brèche " dans le processus d'assimilation des groupes devant constituer le nation française (indigène africain de confession juive, donc probablement non européen) il fallait gérer cette situation qui correspondait à une mise devant le faite accompli.

Pour les européens qui avaient opté pour la naturalisation il seront différenciés tant qu'ils constitueront un danger pour la présence française : " par quel moyens nos nationaux se maintiendront-ils aussi nombreux que ces étrangers et ces naturalisés ? " (V. Demontès professeur au collège de France)

" Nous savons pourquoi les français de race et de naissance, doivent, en Algérie, attacher tant de prix aux idées françaises et à leur maintien intégral dans un pays si diversement peuplé : les statistiques sont là pour prouver qu'elle est la gravité d'une pareille question... " (Mallarmé, A.)

En 1931, le danger du nationalisme algérien commençait à émerger les directives données aux agents recenseurs étaient de mettre à la question des nationalités : " français " pour tout européen qui se qualifierait d'algérien.