Débat - Démographie et catégories ethniques

A propos de la prétendue nécessité des catégories ethniques

J.L. Rallu (INED) rallu@ined.fr

Un certain nombre d'interventions dans ce débat tendent à renvoyer les deux partis dos à dos: l'étude des origines n'est pas nouvelle, de nombreuses études y sont consacrées et les deux antagonistes l'ont pratiquée eux-mêmes(F. Héran); le débat concerne en fait l'ensemble des catégories sociales (Grasland), etc... Cependant, il est certains points qu'on ne peut ignorer.

L'un des antagonistes et un certain nombre de chercheurs réclament l'utilisation de la variable ethnie qui serait une variable indispensable pour étudier les différences sociales; un aspect majeur de la distinction sociale consisterait dans la discrimination. On est alors près d'accuser tous ceux qui pensent que l'ethnie n'est pas indispensable de vouloir cacher la discrimination ou en nier l'existence en France, en d'autres termes d'en faire un phénomène inavouable, alors que d'autres pays le reconnaissent. – Cette présentation est une erreur inacceptable. Comme nous l'avons montré dans un texte contributif au débat, purement méthodologique, et allons le rappeler brièvement, les catégories ethniques ne sont pas nécessaires pour mesurer la discrimination ou la distance sociale de populations récemment immigrées.

Dans ce débat on a beaucoup utilisé de concepts sans les définir. Qu'est ce que la discrimination? On peut proposer ce modèle de base : la discrimination se traduit, à niveau de qualification égale, par une moindre chance d'accès à l'emploi ou par un emploi moins élevé, ou encore à emploi égal, par une moindre rémunération. Ce modèle peut être utilisé à partir de simples données de recensement (cf. La population des départements d'outre-mer, Evolution récente, migration et activité, Population N°3, 1997). Une enquête permet d'élaborer des modèles plus complexes incluant d'autres variables dans le cadre d'une analyse multi-variée. Pourquoi les deux volumes issus de l'enquêteMGIS (Faire France et De l'immigration à l'assimilation) n'incluent-ils pas (ou si peu) de croisement des variables niveau d'étude et situation d'emploi ou profession, ni d'étude multi-variée de la distance sociale selon des modèles plus complexes?

Non seulement la distance sociale a été étudiée à de nombreuses reprises sans utiliser de classifications ethniques (cf. la contribution de F. Héran), mais on devrait même ajouter que, dans le cas de la migration extra-communautaire en France, comme dans la plupart des pays de la CE, l'utilisation de l'ethnie ne peut qu'ajouter à la confusion et minorer le phénomène de discrimination (cf. texte long sur census.ined.fr/ledébat). Considérer ensemble les différentes générations issues de la migration: les deuxième et troisième générations, dont l'insertion est sensiblement meilleure que celle des migrants nés à l'étranger, ne peut que réduire les écarts entre les ‘non migrants' et les populations issues de la migration. D'autres auteurs, prétendent même que le phénomène doit se mesurer rapidement après l'entrée du migrant. Après un certain temps, des mécanismes compensatoires se mettent en place et réduisent la discrimination apparente sur le marché de l'emploi: par exemple, les réseaux de migrants, les relations familiales ou culturelles qui permettent d'obtenir des emplois dans des secteurs ‘immigrés' ou marginaux (J. Renaud, V. Piché et L. Gingras, Immigration et intégration économique à Montréal: l'origine nationale serait-elle discriminatoire? in Anciennes et Nouvelles Minorités, INED-J.Libbey 1997). Bien évidemment cette étude utilise le lieu de naissance.

Pourquoi aussi, lorsqu'on aborde les catégories ethniques, cite-t-on toujours les exemples des pays d'Amérique du Nord et de l'Angleterre? Les pays les plus en avancés dans ce domaine sont les pays anglo-saxons de l'hémisphère sud. La Nouvelle-Zélande utilise un mode de collecte et de traitement des métis, satisfaisant sur le plan de la théorie des ensembles, alors que les Etats-Unis et l'Angleterre ne collectent même pas de données sur les métis. L'Australie utilise des catégories ethniques pour distinguer les populations aborigènes. Elle a utilisé au recensement de 1986, une catégorie voisine de l'ancestry américaine et comparé les résultats à ceux des lieux de naissance.

L'imprécision de ces données a fait abandonner la question et maintenant les recensements demandent le lieu de naissance de la personne et celui de ses parents.

Dans ces conditions, on est en droit de se demander ce que reflète la nécessité (pour certains) de catégories ethniques pour l'analyse de la discrimination ou de la distance sociale ? S'agit-il simplement d'un manque de réflexion préalable, ou attend-on le flou de la variable ethnie pour présenter une mesure de la discrimination ? L'impression est qu'avec l'enquête MGIS, une belle occasion d'étudier la discrimination a été manquée alors que les données pour le faire étaient disponibles.