Libellule ?

 L e pape est mort. Si vous n'êtes pas au courant, c'est que vraiment, vous ne vous intéressez pas à ce que vous racontent les médias. Ce qui n'est pas bien. J'évite de faire de la morale, mais sincèrement, il est presque antisocial de vivre sans prendre en considération l'image du monde que produisent les médias. C'est AN-TI-DÉ-MO-CRA-TIQUE ! Voyons, c'est connu: sans une Presse Libre la Démocratie n'est que coquille vide. Mais comment déterminer si la presse, et plus largement les médias, sont libres ? Question subsidiaire ou plutôt, préliminaire: qu'est la liberté comme concept appliqué à cette expression figée, «la liberté des médias» ? Je suggère aux médiateurs de se réunir en conclaves (c'est de saison…) et d'élire la définition qui sera la plus consensuelle. Une fois celle-ci trouvée ils évalueront si le médium dans lequel ils travaillent répond aux critères. S'ils déterminent que ce n'est pas le cas ils sauront que ce médium précis n'est pas en état de défendre la démocratie, voire, qu'il contribue à l'affaiblir. De cela ils peuvent tirer deux conclusions: je n'ai pas de problèmes de conscience à travailler pour un médium anti-démocratique ou, j'ai un problème de conscience à travailler pour un médium anti-démocratique. Si la seconde a leur faveur, ils devront faire un choix: préférer la soupe à leur conscience ou leur conscience à la soupe.

Rien n'est simple: si vous n'êtes pas médiatrice ou médiateur, vous pouvez vous dire, comme ça, in abstracto, que bien sûr il faut se mettre en accord avec sa conscience. Je pense que la paye en fin de mois est beaucoup plus importante que la conscience en début de mois. On peut vivre avec des remords de conscience, on ne peut pas vivre sans ressources. Par contre, pour l'écho que j'en ai, les médiateurs semblent en majorité mettre leur “conscience morale” au-dessus de tout. C'est bien. Moi, je ne peux pas, c'est au-dessus de mes forces. De temps à autres je considère cette question de la conscience, puis je regarde mon compte en banque, et je me dis: mon gars, il te faut choisir entre la morale et la survie. Pour l'instant j'ai toujours opté en faveur de la survie et je pense continuer dans cette voie. Si bien sûr l'état de mon compte me permet d'opter pour la morale je changerai d'option, mais telles que vont les choses, il semble bien que je doive pour un certain temps persister dans mon choix habituel. Mais je ne suis pas un médiateur, donc le choix m'est facile, quoique pénible. Sincèrement, si je pouvais me le permettre, je choisirais toujours ma conscience. Je ne le peux pas.

Remarquez, c'est une des raisons qui m'incitent à ne pas postuler pour un emploi de médiateur: je pense aussi qu'il faut toujours privilégier sa conscience à ses revenus dans cette profession, mais je ne suis pas naïf et sais qu'ici comme ailleurs le choix se fera généralement en faveur des revenus. Et je ne me vois pas, dans un journal, dans une télé, sur une radio, raconter des insanités pour être assuré de ne pas me faire lourder et de perdre mon emploi et le salaire qui va avec.


Donc, le pape est mort. Triste chose, mais quoi ! Nous sommes tous mortels, sauf les membres de l'Académie française. Le pape n'y étant pas, il fallait bien qu'il meure un jour. La question est: quel jour ? Il semble que ce soit le 3 avril, ou le 2, ou le 1° avril. Ou peut-être avant. Comme on parlait de l'évènement depuis trois ou quatre semaines, et qu'à plusieurs reprises on annonça son décès, tout cela est bien incertain. Dois-je le dire ? La dernière fois que je le vis à la télévision, soit environ trois semaines avant l'annonce de sa mort (ne possédant moi-même pas de télévision, je la vois de manière très épisodique), je me fis la réflexion qu'on nous montrait une marionnette (d'un sens, ça lui aurait fait plaisir, d'être une “Marie honnête”…), un type que trois ou quatre personnes en arrière-plan manipulaient, une lui tenant le corps, une pour le bras, une pour la tête, plus un «metteur en scène». Mais probablement je me trompe, on ne peut imaginer de telles manières au Vatican, endroit où, on le sait, la pratique du mensonge et de la manipulation n'ont pas lieu.

Incidemment, je dois me plaindre: le taux de fréquentation de ce site à chuté de manière vertigineuse du 2 au 4 avril, et je suis persuadé que le décès de ce pape n'y est pas pour rien. C'est ainsi. Mais le 5, les choses revinrent à la normale.

Cette considération me ramène au début de cette page: les médias nous assomment d'informations sur le pape. À les lire, entendre et voir on croirait que le monde a cessé de tourner pour s'immobiliser sur le Vatican. Le fait, attesté par le retour à une fréquentation normale de mon site personnel, que les internautes ont repris leurs habitudes le 5 avril, donne à croire qu'il y a une certaine déconnexion entre l'«émotion universelle» que postulait Le Monde ce jour-là et la réalité effective. Pour information, un sondage express fait auprès des personnes que j'ai rencontrées ces deux derniers jours (5 et 6 avril 2005), donne le résultat suivant:

Les médias en font:
Trop: 100%
Assez; 0%

Pas assez: 0%
Trop peu: 0%

Sans opinion: 0%
Ne se prononce pas: 0%

Sur un échantillon représentatif de toutes les personnes rencontrées par moi ces deux derniers jours. Ce qui confirme ma supposition de déconnexion entre médias et public.

Quelle est la différence entre le sondeur interactif et ordinaire et celui directif et extraordinaire ? Au premier on dit ce qu'on pense, au second on dit que qu'on pense qu'il pense qu'on pense. J'ai beaucoup d'activités, et une d'entre elles est de faire des sondages express sur des sujets d'actualité. Bien sûr, je ne dis pas à mes interlocuteurs que je les sonde, je leur pose une question comme ça, l'air de ne pas y toucher, genre, «Et alors, vous en pensez quoi de ce qu'ils racontent sur le pape, les médias ?» Et donc, la réponse 100% commune est: ils exagèrent. Ce qui ne dit rien de ce que pensent mes interlocuteurs sur la mort du pape, ça, c'est une question d'ordre privé, mais beaucoup sur la tendance de plus en plus forte des médias de ne plus savoir déterminer où sont les limites du raisonnable.

Un jour, j'écrivis quelque chose sur les sondages. Qui se résume en: les sondages sont une religion comme les autres, et avec la même crédibilité. Je ne sais pas si on trouve encore ce texte dans mes pages, mais il existe du moins sur le site de l'association Pénombre, qui eut l'obligeance de le publier. Vous le trouverez en cliquant sur ce lien. Je ne voudrais surtout pas me hausser du col, mais comme le comité de rédaction de Pénombre est formé pour l'essentiel de professionnels de la statistique, je pense que s'ils ont jugé bon de le publier, ce texte leur a paru rendre compte de manière assez juste, bien que sur le mode humoristique, de ce que sont les sondages tels que publiés dans les médias.