Médias

 O n dit, “les médias”; mais que désigne donc ce mot ? Des réalités diverses: un certain mode de communication, un ensemble de techniques de communication ou un type spécifique d'entreprises. À coup sûr j'en oublie, la polysémie d'un terme imprécis est infinie. Du moins, ces trois «définitions» sont les plus usuelles. En tant que “spécialiste” des sciences du langage, la première acception me semble la plus cohérente; en tant que personne informée, je sais que la deuxième est la mieux reçue par ceux qui contribuent à l'élaboration de ces techniques; comme membre d'une société participant de «la société de l'information», la troisième m'apparaît la plus couramment acceptée. Commençons à discuter du point de vue du linguiste, pour voir par après ce qu'il en est des deux autres.


Le mot “média”, “médias”, est un anglicisme «savant», un concept né dans une société de culture anglo-saxonne (les États-Unis) mais dans un milieu savant, lequel a la particularité de définir ses concepts par des mots… non anglo-saxons, formés sur des racines latines ou grecques, quand ce ne sont pas des mots de ces langues directement repris. C'est qu'après le XII° siècle les classes hautes et cultivées en Angleterre, puis après dans l'ensemble de la Grande-Bretagne, étaient culturellement reliées aux sociétés qui se revendiquaient de la latinité – pour dire les choses, étaient «franco-normandes». Du fait, l'anglais “savant” est très latinisant. medium, au pluriel media, est un mot latin qui signifie “moyen” avec la même polysémie qu'en français: “vecteur”, “intermédiaire“ et “instrument”. Tel que défini au départ il s'applique aux «moyens de communication», ceux s'adressant à un large public étant dits mass media, “médias de masse” – moyens de communication pour les masses. Comme je le disais dans une autre page, un «médium» est une méthode de communication «médiate», non immédiate. La seule méthode immédiate est «le langage», cela dit en un sens large: tout système de signes permettant à deux individus de communiquer, d'échanger des informations symboliques. En ce sens, l'écriture n'est pas un langage mais la trace d'un langage.

Donc, medium est polysémique, et on parle de médias pour désigner des réalités de divers ordres: le téléphone, l'écriture et le cinéma sont des médias, mais le premier désigne le vecteur, le deuxième la méthode, le troisième un processus complexe englobant le vecteur, le discours et l'appareil industriel qui permet de fixer le message et de le diffuser par le vecteur. Le téléphone n'est pas strictement un «moyen de communication», il s'agit d'un instrument qui, comme son nom l'indique, «transporte le son à distance»: on émet un son en un lieu, et quelqu'un ne se trouvant pas à distance d'audition peut l'entendre en usant de ce téléphone; ce n'est donc un «moyen de communication» que par l'usage qu'on en fait. L'écriture est strictement un moyen de communication, même quand des artistes (calligraphes ou peintres) utilisent son aspect esthétique – mais en ce cas c'est parce que «beaux-arts» et «belles-lettres» aussi sont des moyens de communication. L'écriture en tant qu'écriture, que transcription graphique d'une langue, ne depend pas d'un vecteur ni ne requiert une méthode ni n'a une forme particuliers: il se peut que vous lisiez ce texte dans la forme où je l'ai composé (texte “électronique” affichable sur un écran d'ordinateur), mais peut-être est-il imprimé sur du papier ou gravé sur une plaque de bois ou de métal, ou sur une pierre, enfin peut-être est-il codé autrement que comme je l'ai fait à l'origine, et par exemple transcrit en morse ou en braille ou en langage des signes, ou même traduit dans un autre langue que celle où je le compose, le français[1]. Enfin, le cinéma est donc à la fois un «système de signes», un vecteur (l'appareil de projection) et un processus ou plutôt, des processus permettant d'engrammer le message et de le diffuser.

Outre cette polysémie native, le mot prit des sens nouveaux quand il se diffusa hors des sphères où il apparut: par «les médias», on désigne généralement des entreprises particulières dont l'objet social est de diffuser des messages via des médias (au sens strict) ou des structures formelles qu'on reçoit par le biais d'un média; le premier cas concerne par exemple les organes de presse ou les chaînes de télévision, le deuxième est bien représenté par ce qu'on nomme l'Internet qui, stricto sensu, n'est pas l'Internet et n'est pas un média… Dans cette rubrique de mon site que j'ai donc intitulée «Les médias», je traite de ces médias-ci, les discussions sur les médias au sens exact du terme ayant lieu ailleurs, dans les rubriques sur «La société» ou celles sur «Les illusions» ou «La propagande».

Évidemment, l'indétermination du mot permet une indétermination de ce qu'on dit quand on parle de ces objets, «les médias»:


[1] Le cas du «langage des signes» est d'ailleurs une sorte de traduction, contrairement au braille ce n'est pas une translittération, pour des langues naturelles analytiques telles que le français: le langage des signes mélange signes formels (“lettres”, “syllabes”) et signes iconiques inanalysables (“idéogrammes”).