Les réactions de nos abonnés

 S ur ce site personne ne peut réagir à un texte mais tous peuvent s'exprimer sur les forums et même, créer des nouveaux sujets dans les forums existants[1]. C'est ainsi, chaque site a sa politique. Sur certains, tout se fait en un seul sens, du mainteneur vers le visiteur; sur d'autres – dont certains “blogs” – tout le monde s'exprimera sans limite, contrôle ni censure; entre ces deux bornes, on a toutes les cas possibles, avec cinq grands classiques: celui de mon site; celui courant des forums libres et des commentaires d'articles filtrés; celui où l'on ajoutera assez librement des “posts” sur les forums et des commentaires par ailleurs; celui où les seules personnes «inscrites» peuvent écrire; celui où existent des degrés, «administrateurs», «modérateurs», «membres» et «invités». Et il y a les sites commerciaux. Comme celui créé par la SA Le Monde.

Le site connut des évolutions: au début, personne ne pouvait faire de commentaires sur les articles, mais les forums et “chats” étaient d'accès libre. À-peu-près au même moment vint la possibilité de commenter les articles et disparut l'accès libre aux forums. Cela est réservé aux abonnés. Le nec plus ultra du commerce: vous vendre votre propre travail. Enfin, commenter les articles… En commenter certains. L'internaute abonné (le «lemondenaute»[2] ?) n'a d'avis à émettre que sur les «Opinions» et certains “papiers” sur les «Entreprises». Vous êtes abonné-e et vous avez un avis sur les articles des rubriques «France», «Horizons», «International», «Médias», «Société», «Culture» ? Gardez-les pour vous. Il serait intéressant de savoir pourquoi la SA Le Monde juge inopportun de faire réagir l'abonné de son site Internet sur autre chose que “les opinions” et “l'entreprise”, et plus encore de savoir en quoi il lui a paru opportun de les faire réagir sur ces rubriques. Mais voilà, nous devrons nous contenter des réactions sur ces domaines. Là-dessus, ça m'importe assez peu, ce texte s'inscrit dans une série concernant Internet et les «lieux de parole» que sont supposés être les forums, “chats” et commentaires (ici: “réactions”).


Donc, les abonnés au site “lemonde.fr” «réagissent». Leur réaction est mesurée: pas plus de 500 signes, soit environ cinquante mots, compte non tenu des auxiliaires, des articles et des prépositions. Certains contournent l'obstacle en rédigeant une «réaction» en deux, trois voire quatre parties. Sans vouloir être malotru, force m'est de constater que nos abonnés tendent à réagir un peu (beaucoup…) sur commande: ils ont des opinions principalement sur les sujets IMPORTANTS. Je mets le mot en majuscules comme on fait dans les médias de presse, où les mots IMPORTANTS sont mis en valeur pour que le lecteur ne s'y perde pas. Qu'est-ce qu'un sujet IMPORTANT ? Celui dont “tout le monde” parle. Mais aussi et surtout, dont chacun croit qu'il a quelque chose à dire. Comme par exemple la grippe aviaire, l'économie, les médias, la politique politicienne et les «sujets de société», ceux-là même qui forment le fond des “opinions” – et bien sûr de la rubrique «Entreprises», pour l'économie. Et au fait, oui: la religion et les articles se rapportant au Moyen Orient. Je me suis mis récemment (en aoüt 2005) à la recension de ces «réactions», et pour l'heure, le thème qui en a vu le plus est celui, récent à la date où je débute ce texte (le 15/11/2005), des – comme l'écrit Le Monde sur son site – «banlieues en crise»: 226 messages sur un seul article, 161 sur un autre, 122 sur un troisième; les autres ont tous moins de cent réactions, la plupart au plus vingt. On peut les trouver dans les pages de «longues propagandistes» qui figurent dans la rubrique «Propagande» de ce site, avec les articles auxquelles elles se réfèrent, mais je les ai aussi rassemblées dans des pages spéciales, en trois classements: par dates; par nombre de réactions; par auteurs, classés selon le nombre de leurs contributions.

Le plus gros contributeur (46 messages) est un anonyme. Non que la majeure partie ne le soit, ils ont pour la plupart un pseudonyme ou un nom indéchiffrable, mais celui-ci est on ne peut plus anonyme, puisqu'il n'a pas de nom… Il y a un problème avec lui – ou elle – et ses quatre suiveurs (respectivement 45, 36, 30 et 29 messages), ils – ou elles – n'ont pas grand chose à raconter. Au fait: ils ou elles ? C'est que, les noms qu'on utilise dans ces listes de contribution ne montrent rien d'autre que ce que veux donner à voir le contributeur: Gerard B., deuxième contributeur, est-il un Gérard ou une Isabelle ? -amanda- (11 réactions) est-elle une Amanda ou un Gaston ? Et bien sûr il y eut, avec «les banlieues en crise», une floraison de noms «banlieusards» (Fouad.H, D.Hussein, Ahmed.C…) qui n'indiquent rien sinon le fait que les sujets «banlieusards» suscitent généralement des pseudonymes, réels ou inventés, de ce genre. Et enfin, tous les LibertéEquitéSolidarité (36 réactions), monrog (30 réactions) ou jacklittle (29 réactions). Donc, ces trois derniers ainsi que “l'anonyme”[3] et que Gerard B. réagissent platement. Pour vous en faire une idée propre, vous pouvez consulter la «page des réactifs» en cliquant sur ce lien.

Au fait, j'oubliais: les abonnés peuvent aussi réagir sur les articles de la rubrique «Technologies». Un nom trompeur car n'y figurent que celles dites “de l'information”, les autres apparaissant dans la rubrique «Sciences», ce qui est souvent abusif, notamment pour les bio-technologies.


Incidente: après une ultime mise à jour des pages de réactions “l'anonyme” passe en deuxième position avec 49 réactions, surclassé par Gérard B. avec 53 réactions; les trois suivants gardent leur place mais avec désormais 42, 34 et 30 réactions. J'en resterai là. Les “réactions” dont je parlerai datent donc d'entre le 28 août et le 16 novembre 2005, pour majorité en octobre et novembre, la moitié pour ce dernier mois. C'est non significatif: il se trouve qu'avant octobre «les réactions des abonnés du Monde.fr» ne m'ont pas paru d'un intérêt particulier, et très probablement ils vont cesser assez vite de m'intéresser. Mais je reviendrai là-dessus un peu plus loin.


Le site “lemonde.fr” est donc un site commercial ou pour être plus exact, un site à but lucratif immédiat, ce qui est autre chose. Par exemple, la plupart des sociétés industrielles et commerciales ont des sites où elles proposent leurs produits à la vente, ce qui fait que le site n'est pas «à but lucratif», c'est plutôt une vitrine, une sorte de catalogue; il y a aussi le cas des sociétés commerciales qui ne travaillent que sur Internet, comme Amazon, mais ici on a un site indirectement lucratif, puisque ce qu'il vend se trouve ailleurs ou, dans le cas de la vente de logiciels, n'est pas disponible immédiatement en tant qu'élément d'Internet. Décrire le site de la SA Le Monde comme à but lucratif immédiat pointe ceci: “lemonde.fr” vend ce qui forme sa substance, les articles, les dossiers thématiques la version PDF du journal, etc. Et bien sûr, il vend «de l'espace» sous deux formes: aux annonceurs «de l'espace publicitaire» et aux abonnés «de l'espace d'expression». Tout ça entre guillemets car sur Internet qui est un univers pleinement relativiste l'espace et le temps sont peu différenciables.

Avant de continuer sur les “réactions”, un peu d'humeur: j'espére qu'il n'en va pas de même pour les abonnés, mais pour le péquin moyen, le visiteur gratuit, ce site est d'une rare agressivité publicitaire. À un moment j'ai même songé ne plus le visiter, à cause du temps phénoménal de chargement des pages, chacune activant au moins une publicité animée, et souvent deux ou trois publicités «flash». J'ai pu résoudre ce problème et depuis le temps d'affichage est trois à six fois plus rapide. Puis il y a les fameuses publicités “pop-up” qui vous ouvrent des pages intempestives à tout vat. Pour éviter ce désagrément les navigateurs actuels sont assez efficaces, heureusement.

Pour mieux définir notre site, c'est ce qu'en langage contemporain on nomme un «centre de profit», c'est-à-dire un objet que le concepteur réalise sans autre projet que faire du profit, ou un objet a priori non profitable dont il compte faire du profit – le cas courant pour ce second aspect étant la “hot line”. Dans les faits, il semble que ces sites Internet sont rarement profitables. Peu importe: un centre de profit, donc. D'où la tendance évoquée plus haut à rendre payantes des prestations qui à l'origine ne l'étaient pas et qui, sur la majorité des sites, sont gratuites, comme cette opportunité de donner son avis dans les forums et par des commentaires. Pour mon compte, il m'importe peu: dans les débuts de ma fréquentation d'Internet, plus exactement quand je crus commencer à en comprendre le fonctionnement, il m'arriva de m'exprimer ainsi. Avec plus de familiarité je vis que c'était vain: sur un forum on ne s'exprime pas, on ajoute sa voix à d'autres qui finissent par faire un bruit immense et incompréhensible. Il y eut même un moment où je fis, mais à plus grande échelle, quelque chose du même ordre que ce que fait avec les réactions et dans un but similaire: reprendre l'ensemble des contributions à un forum donné et les rassembler dans des pages à ma manière, en vue de les critiquer. Non pas de critiquer chaque contribution, mais de critiquer le phénomène même des forums.

Il faut s'entendre: le forum n'est pas en soi un brouhaha inaudible, ça dépend de quoi il traite et de comment il le fait. Beaucoup de forums traitent de questions précises et selon des règles qui le sont autant, comme par exemple tous ceux d'aspect texchnique qui traitent de tel logiciel, tel langage de programmation, telle science ou technique. Il y a aussi les nombreux forums spécialisés – le terme n'est pas tout-à-fait exact mais fera l'affaire – où l'on discute d'un sujet précis dans une perspective constructive, et ceux conçus et alimentés par des passionnés – de voitures, d'artistes ou autres thèmes précis. Il y a aussi les forums, que dire ? De communion ? de polémique ? Ceux où les thèmes sont abordés d'emblée d'une manière radicale et partisane. Ceux-là sont d'un très faible intérêt pour qui n'a pas une manie obsessionnelle relativement aux sujets qui en font le cœur. Puis donc, il y a les forums «généralistes». C'est de ceux-là que je dis qu'ils font un bruit inaudible à force de confusion.

Concernant les “réactions des abonnés”, ils ressortent du même phénomène que lesdits forums, et ont les mêmes défauts: seuls les articles «fédérateurs» trouvent écho auprès des “réactifs”, et l'alignement inorganisé de réactions disparates et souvent insipides enlève tout intérêt à la pratique. Pour prendre un exemple récent (toujours à la date où j'écris, qui est maintenant le 18/11/2005), et qui en l'occurrence ne compte pas dans les réactions des pages y consacrées, sont recensées les «Opinions du mercredi 16 novembre 2005» suivantes, dans l'ordre donné sur le site:

  1. Analyse Le Parti socialiste au malheur de l'opposition, par Jérôme Jaffré
  2. Chronique culture Deleuze, musique intacte, par Francis Marmande
  3. Chronique TV Fraise des bois sur France 3, par Dominique Dhombres
  4. Billet Leçons de vie, par Eric Fottorino
  5. Editorial du "Monde" Internet sous contrôle
  6. Point de vue Adeptes de la causalité flasque, par François-Xavier Ajavon
  7. Point de vue Incendiaires et cogneurs, par Didier Peyrat
  8. Point de vue L'embastillé de Rangoun, par Robert Ménard et Patrick Poivre d'Arvor
  9. Point de vue Notre école a failli, par Alain Bentolila

La même liste, cette fois classée par nombre de réactions:

  1. Editorial du "Monde"31 réactions
  2. Analyse par Jérôme Jaffré – 28 réactions
  3. Chronique TV par Dominique Dhombres – 22 réactions
  4. Point de vue par François-Xavier Ajavon – 19 réactions
  5. Point de vue par Alain Bentolila – 19 réactions
  6. Point de vue par Didier Peyrat – 16 réactions
  7. Billet par Eric Fottorino – 11 réactions
  8. Chronique culture par Francis Marmande – 6 réactions
  9. Point de vue par Robert Ménard et Patrick Poivre d'Arvor – 2 réactions

Ce n'est pas systématique, mais dans l'ensemble l'éditorial (celui anonyme ou ceux de temps à autres signés Colombani ou Minc) suscite un grand nombre de réactions; de même, les chroniques de MM. Dhombres et Fottorino en rassemblent généralement plus que ce qu'elles n'en méritent. On peut dire que ce sont comme les vitrines du quotidien, et l'abonné réactif se sent obligé d'avoir un avis sur la manière dont elle est disposée. C'est largement indépendant de leur qualité – ce qui ne peut manquer: les chroniques de Dominique Dhombres sont d'une rare indigence, leur seul but apparent est de «faire réagir le lecteur», ce en quoi il réussit assez bien semble-t-il.

Vous l'aurez remarqué, la moins sujette à “réactions” est l'opinion signée par MM. Ménard et Poivre d'Arvor, qui pourtant traite d'une question d'importance: à partir du cas d'un journaliste birman, ils pointent à la fois toutes les failles du système de gouvernement birman et toutes les faillites de la supposée «communauté internationale» à y remédier, dans un article dense et bien argumenté. Voici les deux réactions actuelles à cet article:

  1. bernadette c. ♦ 16.11.05 | 20h48 ♦ comment peut-on encourager les touristes à continuer à se rendre en Birmanie, n’y a-t-il pas là une contradiction ? Quel motif donnez-vous, Monsieur Ménard pour cela ? Si on y va on cautionne, non ? Car de toutes façons les touristes ne peuvent témoigner puique leur liberté de mouvement y est restreinte. J’aimearis qu’on m’explique
  2. Edouard ♦ 17.11.05 | 15h00 ♦ Tout le monde se fiche bien de la Birmanie, la preuve c’est la misere des reactions a cet article. Une seule reaction. Les gens preferent conspuer Israel a propos des "territoires occupes" ou fustiger a longueur de journee les US sur la guerre en Irak. Ou deblaterer pendant des heures sur les banlieues. Merci au Monde de sortir des articles de ce type et de nous rappeler ce qui se passe la bas. Comment peut-on aider Win Tin et Aung San Suu Kyi ? Que faire a notre echelle de simple citoyen ?

Edouard dit, comme moi, que les “réactifs” aiment réagir sur ce qui fait réagir tout le monde et se désintéressent du reste; bernadette c., représente bien ce que je considère comme les “réactions” structurées sur une idéologie dogmatique et sectaire: le propos des auteurs est de dire aux potentiels touristes qu'il ne faut pas renoncer à se rendre dans ce pays, d'abord pour ne pas punir les habitants de l'impéritie de leur gouvernement puis pour faire du «tourisme intelligent» (presque militant) en notant puis en rapportant tout ce qu'ils ont constaté sur place qui confirme que le régime birman est bien dictatorial; probablement bernadette c. a de bonnes intentions, mais elle est lisiblement dans le schéma du tout ou rien: la logique du journaliste et du démocrate est qu'on lutte contre une dictature en étant présent et informant sur elle; la logique du dogmatique rigide est de ne surtout pas entrer en contact avec les pays «impurs». Mais les deux contributions recensées de notre réactive montrent assez que la prise en compte de la complexité du réel n'est pas son fait:

  • Bernadette c. ♦ 05.11.05 | 17h22 ♦ Dans une seconde étape, d’ici une trentaine d’années, la construction d’un véritable prototype de réacteur fonctionnant en continu, DEMO, est envisagée. Pourquoi les études concernant la régénération du tritium et la tenue des matériaux ne sont pas plus avancées ? Pourquoi Silva a été abandonné ? Pourquoi l’accord de Cardiff du 12 juillet 2005 et la création de ETC est-il si peu médiatisé ? A vous de trouver...
  • Bernadette c. ♦ 13.11.05 | 07h26 ♦ La fatwa serait donc un moyen de diffusion d’une pensée d’un genre réflexif qui se pratique généralement par des consultations privées, mais une fatwa écrite sous forme d’un communiqué de presse destiné à de multiples audiences aurait été produite. Ce que je n’ai pas compris c’est s’il fallait faire le lien avec la fatwa «préventive». Par contre je m’interroge: Le fait que le débat en France ait été ramené au plan théologique n’entraîne-t-elle pas une fracture plus grande entre la perception qu’ont les Français de souche sur "immigré" et "musulman" ?

La première “réaction” est tout-à-fait dans l'ordre des théories du complot, très dans le style «on nous cache tout on ne nous dit rien»; la seconde montre que Bernadette c. a du mal, dans sa bonne volonté pour comprendre les choses, à appréhender la réalité de «l'autre» dans les termes de sa propre culture: la fatwa est autant «un genre réflexif qui se pratique généralement par des consultations privées» que peut l'être la jurisprudence en droit français: on traite d'une «question privée» en la rapportant au système judiciaire actuel, et cet éclairage «privé» a une portée générale concernant les interprétations possibles d'une loi «publique». Bien sûr, il y a le problème de la fin: «la perception qu’ont les Français de souche sur "immigré" et "musulman"». Est-ce que messieurs Massignon et de Monfreid n'étaient pas «Français de souche» ? Pourtant, ils furent musulmans. Est-ce que Nicolas Sarkozy, étant Français et n'étant pas musulman, est «Français de souche» ? Qu'est-ce finalement qu'un «Français de souche» ? Un non-Africain, un non-Asiatique, un non-Océanien et non-Américain autres que d'ascendance européenne ?

S'il me pose problème que la notion de «Français de souche», si elle ne fut pas inventée par lui du moins fut répandue par le Front national, elle a surtout ce défaut de désigner une non-réalité pour mieux masquer une réalité: les «Français de souche» sont là en contraste avec ceux que d'autres nomment assez justement «minorités visibles», la majorité ou les minorités «non visibles». Si vous ne connaissez pas son nom, Isabelle Carrasco (une personne de ma connaissance) a l'aspect du «Français de souche» méridional; si vous ne le connaissez pas, Azouz Begag (un ministre de votre connaissance) a les aspects du non-«Français de souche». Pourtant, ils sont tous deux à la fois «Français de souche» et non-«Français de souche». Français de souche car leurs familles ont décidé de «faire souche» en France; non-Français de souche car leurs familles sont «de souche extra-française». Le «Français de souche» musulman ou d'origine immigrée (d'une certaine «origine immigrée») a-t-il la même appréciation concernant "immigré" et "musulman" que le «Français de souche» "non-immigré" et/ou "non-musulman" ? C'est une question. Faire des généralités bien-pensantes du genre, «Le fait que le débat en France ait été ramené au plan théologique n’entraîne-t-elle pas une fracture plus grande entre la perception qu’ont les Français de souche sur "immigré" et "musulman" ?», est plein de bonnes intentions, j'en suis persuadé, mais ressort du même processus mental qui fait écrire à Bernadette c.: «comment peut-on encourager les touristes à continuer à se rendre en Birmanie, n’y a-t-il pas là une contradiction ?». Pour elle, la prise en compte d'un monde complexe où les êtres ne se répartissent pas entre «ceux qui sont dedans» et «ceux qui sont dehors» est difficile, semble-t-il…


Pour elle… C'est une limite de l'exercice. Comme indiqué plus tôt on présume que les contributeurs qui n'usent pas d'un pseudonyme opaque (“deathwind” ou “1941”, par exemple), ne nous trompent pas sur leur sexe. Non que ça importe tant, mais les choses étant ce qu'elles sont dans ma société, je sais que pour le lecteur ordinaire le sexe supposé des contributeurs est un indicateur. Pour moi, j'use des pronoms en fonction du genre attribuable au pseudo, “elle” pour ceux féminins, “il” pour ceux masculins ou non déterminés (ça concerne les pseudos bizarres et ceux «genre anglais» comme “deathwind”). On présume en outre qu'un même pseudonyme est utilisé en toute circonstance par une même personne, ce qui n'est pas évident, à deux titres: n'étant pas abonné au site lemonde.fr, je ne sais pas si un pseudonyme une fois créé est persistant et est activé par un mot de passe; et même dans ce cas, qui me certifie qu'un seul et même individu utilise tel pseudonyme ? Cependant, sur ce second point les choses sont plus simples: quand on lit les “réactions” signées jacklittle on n'a pas de doute: c'est bien le (ou la) même imbécile qui les rédige toutes. Et sur le premier elles ne sont pas très compliquées de mon point de vue: je n'ai pas idée que le sexe des individus influe de manière positive ou négative sur la forme, la qualité ou la pertinence de leurs “réactions”. Disons qu'il y a des manières conventionnellement dites «masculine» et «féminine» de s'exprimer, mais c'est assez peu lié au sexe biologique des personnes même si, tout aussi conventionnellement, on les y rapporte.

Mais on ne sait rien des contributeurs hors ce qu'ils racontent et qu'on peut rarement vérifier: rares sont les “réactifs” qui donnent une indication sur les moyens de les contacter, trois seulement indiquent une adresse de courriel et moins d'une dizaine un site ou un blog, ce qui sur un peu plus de mille pseudos, fait mince. 1.079 pseudonymes, mais peut-être moins, peut-être plus de “réactifs”: si un même pseudo peut être utilisé par plusieurs personnes, une même personne peut, et c'est à coup sûr le cas cette fois, utiliser plusieurs pseudos. Les cas sûrs sont ceux où une même personne a d'abord utilisé un certain alias (p. ex. C. Courouve) puis un autre (p. ex. Cl. Courouve) pour se fixer sur un dernier (p. ex. ccourouve@aol.com) sans qu'on doute guère que ce soit la même; il y a le cas probable des oublieux qui ont réagi avec un certain pseudo puis l'ont oublié, et en ont pris un autre; enfin, on ne peut éliminer l'hypothèse des “réactifs schizophrènes” s'exprimant sur un certain ton avec tel pseudo et sur un tout autre ton avec tel autre. Et bien sûr, bien qu'étant plutôt optimiste, je ne puis m'empêcher de penser que certains utilisent des alias conçus pour mettre sur le dos de certaines personnes – individus ou groupes – des propos qui ne leurs appartiennent pas. Je le peux d'autant moins qu'il m'est arrivé de recevoir des courriers à un certain nom, de répondre, et d'avoir une réponse à ma réponse sous un autre nom. Il peut y avoir un «jeu» étrange dans ce schéma: untel écrit sous tel pseudo une chose scandaleuse et peu après, sous tel autre, en fait la critique outragée et vengeresse.

Remarquez, je n'y songeais pas plus que ça jusqu'au début de ce mois de novembre 2005. Bien sûr j'en avais l'idée, mais d'une manière très générale: je soupçonne de longue date que des dogmatiques acharnés tentent de susciter l'aversion envers des opinions qui leurs déplaisent en se présentant comme tenants de ces opinions et en émettant des propos très répulsifs ou incohérents, et soupçonne aussi que sous un autre alias ils se font premiers critiques de ces aberrations. Cette idée m'est revenue en constatant qu'alors que jusqu'à ce moment on n'en voyait guère de noms “musulmans” (cinq en tout); depuis et en à peine quinze jours, ils ont fleuri: quatorze (ou quinze: pour un pseudo j'ai un doute). Certes, l'ethnicisation et la théologisation outrancières du phénomène des «banlieues en crise» a pu susciter un désir plus grand de la part des “ethniques” de réagir, mais on ne peut, du moins je ne puis m'empêcher de penser que quelques petits malins «de souche» ont pu juger opportun d'apporter une touche «ethnique» aux “réactions des abonnés”.

Au-delà, il y a quelques éléments de biographie parfois glissés dans leurs réactions par les “réactifs”; par exemple, “l'anonyme” se présente comme un Français expatrié à Boston, et nous apprend entre autres qu'il gagne plus de 1,2M€ par an, a des enfants d'âge scolaire, pratique divers sports, surtout motorisés, voyage beaucoup, va à l'opéra, travaille 11 à 12 heures par jour, ne prend pas de pause-déjeûner et, au milieu de tout ça, a le temps de se faire dévaliser deux fois à Avignon dont une fois rue Saint Ruff, pour être précis. On se demande où il trouve le temps d'inonder les visiteurs du site “lemonde.fr” de “réactions”… On trouvera le même gnere de choses chez d'autres “réactifs”, cela de manière plus ou moins développée et plus ou moins régulièrement. Là encore, il y a doute: sauf ceux donnant une indication précise sur eux qui permette de les situer on doit croire nos “réactifs” sur parole, et ma foi ce n'est pas évident.

Mais tout ça importe peu: compte ce que nos réactifs ont à dire. Et ma foi, il faut constater que beaucoup d'entre eux n'ont pas grand chose d'intéressant à écrire.


Je l'écrivais plus haut, c'est la loi du genre: la majeure partie des contributions aux forums et commentaires «généralistes» a peu d'intérêt. Et quand il y en a de plus d'intérêt, elles se perdent parmi les autres. En outre, et comme dit aussi, une bonne part des “réactifs” du site ici discuté, à la fois réagissent seulement sur certains sujets et certains auteurs. La liste ci-dessus illustre pleinement mon hypothèse, que je rappelle: «Qu'est-ce qu'un sujet IMPORTANT ? Celui dont “tout le monde” parle. Mais aussi et surtout, dont chacun croit qu'il a quelque chose à dire. Comme par exemple la grippe aviaire, l'économie, les médias, la politique politicienne et les “sujets de société”, ceux-là même qui forment le fond des ‘opinions’». Et comme précisé, édito et chroniques sollicitent aussi le commentaire. C'est ainsi. l'article de Marmande, que je n'ai pas lu (je les lis rarement), et celui de Ménard et Poivre, que j'ai lu, ont donc droit à beaucoup moins que la portion congrue, qui se situe alentour de 21 réactions dans l'absolu, mais sans les 12 plus forts ensembles de réactions – sur 121 en tout – on tombe alentour de 16 réactions en moyenne. Est-ce juste ? La chronique de Dhombres est à l'aune des précédentes: creuse et insipide. Limite poujadiste. Due sa brièveté, je peux vous proposer la chronique de Fottorino:

«Aller là où les autres ne vont pas. Repousser les Cassandre. Se munir de quelques pierres philosophales soutirées, au hasard, à Kierkegaard ("Le chemin n'est pas difficile, c'est le difficile qui est le chemin"). Il existe un professeur pour ces leçons de vie. Il s'appelle Richard Descoings et parle ce mercredi dans Le Parisien. Patron de Sciences-Po, il a fait entrer dans son saint des saints des jeunes des banlieues en 2001. La prochaine étape, à ses yeux, sera d'installer des universités de l'autre côté du périph'. Qui commence ?»

Pas de quoi fouetter un banlieusard, ni même un parisien, encore moins un chat. Onze réactions là-dessus… L'éditorial est dans son ton habituel, du genre «ça s'rait vach'ment bien si on était tous gentils» mâtiné du constat «hélas le monde est peuplé de méchants mais quand même». Jérôme Jaffré nous sert son habituel discours pseudo-objectif avec réinvention totale du passé en fonction de la description des faits au filtre des médias et des sondages (par exemple, il écrit que «dans les urnes, le PS peut encore être le réceptacle électoral du mécontentement envers la droite, comme ce fut le cas aux régionales et aux européennes de 2004. Mais il ne domine plus, même à gauche, la vie politique et le débat d'idées comme naguère». Je ne sais où se situe ce naguère, car autant que je me souvienne, sauf la courte période 1978-1982 le PS n'a jamais «dominé le débat d'idées» et pour ce qui est de sa domination de «la vie politique» (sic), pour le moins elle fut très aléatoire, “à éclipses”. Alain Bergounioux le rappelait sur France Culture quand son interviouveur (le désolant Nicolas D.) évoquait la “crise du PS” annonçant son supposé éclatement, en 1993-1994 il connut une crise bien plus grave et déjà à l'époque on prédisait son délitement. Et en tous les cas, depuis 1988 le PS n'a jamais eu l'opportunité, comme le RPR en 1995 et l'UMP en 2002, de gouverner seul, et de 1988 à 1993 il n'eut en outre qu'une majorité relative à l'Assemblée nationale. Bref, ce bon vieux Jaffré raconte n'importe quoi, comme d'habitude, mais avec le style pontifiant de la certitude établie et de la vérité d'évidence. Le «point de vue» de F.-X. Ajavon est lamentable, un libelle douteux qui se voudrait polémique et n'est qu'outrancier. Restent les deux autres points de vue plébiscité, qui ont de la tenue et de la cohérence, qu'on soit ou non d'accord avec les opinions exposées. Enfin, le meilleur texte de ce jour est celui de Ménard et Poivre d'Arvor. Mais il a un défaut: il parle d'un sujet «hors actualité» concernant un pays lointain et mal connu en France, la Birmanie.

Factuellement, ce qui fait le succès des trois «points de vue» à plus de 15 réactions vient de ce qu'ils traitent de sujets se rapportant, même si vaguement pour Ajavon, aux «banlieues en crise». Pour le reste, celles des opinions que j'étrille ne valent pas plus que ce que j'en dis, de même pour les “réactions” qu'elles suscitent, mais celles dont je ne dis pas de mal n'ont pas droit à de bien meilleures “réactions”. Pour en juger, cliquez sur ce lien.


Considérez par exemple les “réactions” à l'édito: les deux seules pertinentes sont celle de sixcylindres, sinon qu'il/elle reprend un élément erronné de l'éditorial à propos de l'origine d'Internet, et celle de Guil; celle de ponponette me fait assez rire, mais sans plus; les autres sont dogmatiques, les «anti-américains» anti-américanisent, les «pro-américains» pro-américanisent, ça tourne en rond et au bout du compte on se dit que les uns comme les autres auraient mieux fait de s'occuper d'autre chose que de “réagir” de la manière dont ils le font habituellement. Parmi tous ces contributeurs, aucun n'a, lisiblement, une connaissance précise de ce qu'est Internet et de la manière dont ça fonctionne, sinon Guil, ce qui fait que leur discussion sur l'édito du Monde n'a aucune valeur. Sauf donc l'avis de sixcylindres qui a l'intérêt de mettre en avant l'important: ce qui compte n'est pas l'État ou l'organisme qui contrôle, mais le contexte où ce contrôle se fait. Surtout, il pointe une question importante, car l'hypothèse de l'éditorialiste est la suivante: «La démocratie ne peut que gagner du terrain lorsqu'un tel moyen de communication et d'expression se développe. A supposer que cela ne soit pas un voeu pieux, en confier les clés à un organisme international communément accepté par tous relève, dès lors, du bon sens». Or pour l'heure les institutions internationales ont le défaut de fédérer beaucoup plus d'États non démocratiques que d'États démocratiques, ce qui donne à penser qu'il vaut mieux attendre un peu. Comme l'écrit sixcylindres, «Prenons le temps d’en discuter, et accompagnons la démocratie. Et la solution, la bonne, viendra».

L'édito et les “réactions” fourmillent d'inexactitudes, en premier cette attribution des réalisations matérielles et logicielles concernant Internet aux seuls États-Unis et, de la part des libéraux durs de durs, l'affirmation que tout ça est du au dynamisme des entreprises privées, enfin qu'Internet forme un réseau simple avec un serveur central unique. Tout ça est faux: l'idée qui préluda à la réalisation d'Internet est d'origine étatique, précisément, d'origine militaire; un appel d'offre du Pentagone avec un cahier des charges très détaillé fut remporté par une entreprise française, Bull pour la nommer, qui conçut à cette occasion, et réalisa le double protocole TCP/IP et bien évidemment le système de réseau qui l'articule; certes des ingénieurs et scientifiques étatsuniens participèrent au projet mais la pièce maîtresse, TCP, fut l'œuvre d'un ingénieur français; les développements précédents et suivants se firent essentiellement dans les universités; comme l'indique clo.clo, ce qui ce qu'on appelle faussement Internet, qui est précisément HTTP et le “www”, fut créé en Europe; contrairement à ce qu'il/elle écrit, une bonne part du “hard” est conçu hors des États-Unis, principalement au Japon et en Europe et notablement en France, pays qui a de longue date une haute compétence en matière de télécoms. Mais le point le plus douteux, le fantasme parcourant l'édito et nombre de “réactions” à propos du «serveur central», plus que d'être inexact, est un contre-sens total: le but du Pentagone fut précisément d'avoir un réseau décentralisé où chaque machine peut contacter chaque autre machine sans devoir en passer par un serveur et sans être tributaire d'une ligne spécifique. La seule raison qui fait que pour l'heure Internet est structuré de manière hiérarchique et centralisée est la commodité, et non la nécessité, comme c'est le cas pour ce qu'on appelle les systèmes propriétaires (propres à une certaine entreprise) où la structure hiérarchique et la centralisation sont obligatoires.

Cela n'a guère d'intérêt, sinon pour observer que l'ignorance induit la peur et que la peur induit les raisonnements incohérents. Comme moi vous aurez pu noter que les “anti” comme les “pro” (“anti” et “pro” vous savez qui…) expriment la même crainte: que le «serveur central» tombe – ou demeure – en de mauvaises mains. Je réfère de nouveau à Guil qui écrit avec justesse que «n'importe quel serveur de nom relais pourrait prendre la place du serveur "racine" si celui-ci venait à disparaitre - c’est le principe même de l’Internet. Seul un souci de cohérence interdit d’avoir plusieures "racines" à un moment donné. Mais dans l’éventualité improbable d’une coupure du .fr par exemple, d’autres serveurs de noms pourraient décider de continuer à servir ce domaine». Mais si même ce n'était pas le cas et s'il fallait absolument un «serveur central», l'actuel ne l'est que par le consentement de tous: si demain les États-Unis devenaient une dictature fasciste et décidaient de censurer Internet, les démocraties – et même les pays qui ne sont pas démocratiques – s'entendraient très vite pour choisir un autre serveur de référence et la question serait réglée presque instantanément. Probablement, il serait en Suisse…

Conclusion, les gens, en premier les personnes censées nous informer, écrivent sans savoir. Ils ont souvent des opinions sur des questions qui les dépassent. Cependant, Que jacklittle, FLORENCE L., Stephane - San Francisco, Deathwind, s, Guillaume «DA:16s.20» L. ou meleze racontent n'importe quoi n'est pas bien grave; qu'en revanche la rédaction du quotidien Le Monde se reconnaisse dans un éditorial incohérent, inexact, rempli de poncifs éculés sur Internet, sur les États-Unis, sur la démocratie sur la capacité des organisations internationales à gérer «démocratiquement» l'Internet, pose plus de problèmes. Ce n'est pas le tout de débiner, voici le texte en question pour vous permettre de juger:

«Les Etats-Unis doivent-ils garder les rênes d'Internet ? Beaucoup, de l'Union européenne à l'Argentine, mais aussi les pays à régime non démocratique, de la Chine à l'Iran, plaident pour l'"internationalisation" de sa gestion. Ce débat devait animer le Sommet mondial sur la société de l'information, qui se tient à Tunis jusqu'au 18 novembre. Même s'il a été évacué dès son ouverture, avec l'annonce d'un "compromis" maintenant le statu quo — dont le négociateur américain, David Gross, s'est immédiatement félicité —, ce débat de fond, tout comme la question de la réduction de la "fracture numérique" entre riches et pauvres, perdurera à l'avenir.
Comment "internationaliser" Internet ? Les options, libérales ou étatiques, visent toutes à rompre la relation d'autorité qui soumet la gestion et l'administration de la Toile au département du commerce américain. Historiquement, Internet est une création américaine. Ses entreprises, ses chercheurs et ses ingénieurs l'ont, pour l'essentiel, inventé. Depuis, les Etats-Unis y détiennent presque tous les pouvoirs. Ils peuvent, s'ils le souhaitent, "débrancher" un pays. Si l'idée lui en venait, Washington pourrait rendre inaccessibles tous les sites inscrits au ".fr". Il lui suffirait d'agir sur un seul ordinateur, la "racine ultime" qui orchestre le fonctionnement des douze "serveurs racines" sur la planète. Tenu en un lieu secret, ce grand maître de la Toile est contrôlé par l'Icann, une société privée à but non lucratif placée sous l'autorité du département du commerce américain.
Les Etats-Unis plaident pour un maintien de cette structure, arguant de la nécessité de "préserver la sécurité et la stabilité" de la fonction assurée par l'Icann. S'ils admettent la légitimité de la demande des Etats de gérer leur "nom de domaine" et considèrent que le "dialogue" doit se poursuivre, il est difficile de voir une ouverture dans leur exigence de maintien du statu quo. La réaffirmation, dans une déclaration officielle, le 30 juin, de "l'importance capitale" que revêt Internet pour les Etats-Unis, exprime clairement leur volonté d'en conserver le contrôle ultime.
Cette position est-elle tenable ? A l'inverse, le Réseau a-t-il à gagner à passer sous un contrôle international ? Deux visions s'affrontent. Celle de la "garantie" américaine est légitimée par l'histoire d'Internet. L'internationalisation, elle, s'inscrit dans son développement. Internet est déjà utilisé par un milliard d'hommes. En nombre de "connectés", l'Asie vient en tête, suivie de l'Europe; l'Amérique du Nord est désormais derrière. En deux décennies, Internet a échappé aux seuls Etats-Unis. La plus grande part du développement du Réseau est aujourd'hui commerciale, culturelle ou scientifique. Son rôle politique est devenu incontournable et son importance stratégique vitale.
Washington refuse de céder la place à la communauté internationale en invoquant la nécessité d'exclure toute prise sur lui d'Etats non démocratiques. Argument de poids, quand on sait que l'ONU a accepté que le Sommet mondial se tienne dans un pays qui interne ses internautes. Certes, si des Etats autoritaires disposaient du contrôle de leur nom de domaine principal, ils verraient leur pouvoir renforcé. Mais Internet véhicule autant la propagande que la contestation. La démocratie ne peut que gagner du terrain lorsqu'un tel moyen de communication et d'expression se développe. A supposer que cela ne soit pas un voeu pieux, en confier les clés à un organisme international communément accepté par tous relève, dès lors, du bon sens. Sauf à juger que seul Washington est aujourd'hui capable d'assurer la sécurité du réseau virtuel, comme celle du monde réel.
Article paru dans l'édition du 17.11.05

L'indice concret de la méconnaissance qu'a l'éditorialiste de ce qu'est Internet, le voici: «Si l'idée lui en venait, Washington pourrait rendre inaccessibles tous les sites inscrits au ".fr". Il lui suffirait d'agir sur un seul ordinateur, la "racine ultime" qui orchestre le fonctionnement des douze "serveurs racines" sur la planète. Tenu en un lieu secret, ce grand maître de la Toile est contrôlé par l'Icann, une société privée à but non lucratif placée sous l'autorité du département du commerce américain». Je pense que vous aurez reconnu ici la bonne vieille «théorie du complot»: quand on ne sait pas, on imagine que les choses se passent «en un lieu secret», qu'au sein même de la Terre existe une «racine ultime»; et bien sûr elle dispose d'extensions en surface – les tentacules de la Pieuvre… Là-dessus, force m'est de constater que cet aspect n'a pas frappé les “réactifs”: il y a bien une vague mention à propos du côté assez parano de l'édito de la part de Stephane - San Francisco, mais celui-ci est tellement et si ridiculement “pro”, et si désinformé (écrire «Ou serait l’Internet aujourd’hui sans les Sun, Microsoft, IBM, HP, CISCO, Dell et autres compagnies innovantes» est au-delà du ridicule: on se demande plutôt où ne serait pas Internet avec Microsoft, IBM et Dell…) que sa critique tombe à plat. Clairement, cet aspect ne choque pas nos “réactifs” parce que pour la plupart ils ont leurs propres versions de la «théorie du complot», qui s'expriment d'ailleurs largement dans ces “réactions”; d'ailleurs, l'éditorialiste, désigné comme Le Monde, fait parfois les frais de ces théories.

Tout ça me pose problème: selon moi, et selon beaucoup d'autres, la démocratie n'existe que quand les citoyens sont éduqués et informés. Or, éduqués, en France, ils le sont mal, informés, ils le sont encore plus mal. Je crains que ce ne soit le cas un peu partout, et pas seulement en France. Cet éditorial me semble significatif de la chose: son auteur est donc nettement sous-informé sur les réalités techniques et matérielles de l'Internet, et il a bâti sa connaissance du sujet sur des bribes d'informations ramassées je ne sais où mais en tout cas pas auprès d'une personne compétente ou d'un document fiable, car en ce cas il aurait constaté que son fantasme de «racine ultime» était sans fondement; prenant ses informations à bonne source il aurait su que, comme l'écrit Guil, «n’importe quel serveur de nom relais pourrait prendre la place du serveur "racine" si celui-ci venait à disparaitre», et même, il aurait pu apprendre que, comme écrit encore Guil, «c’est le principe même de l’Internet» qu'on n'ait pas besoin, comme je l'explique plus haut, d'une «racine ultime» dans les réseaux TCP/IP. Remarquez, l'usage même de l'expression «racine ultime» témoigne à la fois de l'incompétence de l'auteur et du fond “complotiste” animant cet édito. Maintenant, il n'est pas si évident de trouver la personne compétente: j'ai consacré une page de ce site à la supposée «loi de Moore», qui n'est pas une loi, mais passons, l'intérêt ici est que dans cette page je cite plusieurs textes exposant ce qu'est cette loi et coment elle s'énonce. Problème, il y a plusieurs versions… On a par exemple:

  1. «[…] La loi de Moore, cette règle qui voudrait que tous les dix-huit mois la puissance des circuits intégrés double. Il s'agit en fait, à coût égal, du doublement du nombre de transistors sur un circuit intégré»;
  2. «Selon la loi de Moore, le nombre de transistors d'un processeur devrait doubler tous les 18 mois»;
  3. «“Le nombre de transistors intégré dans une puce doublera tous les deux ans”. C'est la loi de Gordon Moore»;
  4. «Gordon Moore […] avait prévu en 1965 déjà que le nombre de transistors montés sur une puce […] doublerait tous les 18 à 24 mois et ce, à prix constant»;
  5. «L'axiome posé par Gordon Moore d'Intel Corp. établit que le nombre de transistors dans un processeur doit doubler tous les 18 mois»;
  6. «Loi de Moore. Cette loi est en réalité une constatation de Gordon Moore (un des cofondateurs de Fairchild SemiConductors et Intel), qui, lors de la préparation d'un discours a tracé la courbe d'évolution de la puissance des microprocesseurs. Il s'est alors aperçu que la puissance de ceux-ci était multipliée par deux à chaque nouvelle génération (c'est-à-dire tous les 18 à 24 mois)».

Aucune de ces mentions n'est exacte. Voici le texte de 1965 qui établit la «loi»:

«La complexité pour un coût minimum par composant a progressé à un taux d'en gros un facteur de deux par année. À coup sûr, pour le court terme on peut s'attendre à ce que ce taux se maintienne, s'il ne progresse pas. Sur le long terme c'est un peu plus incertain, bien qu'il n'y ait pas de raisons de croire qu'il ne restera pas constant pour au moins une dizaine d'années. Ce qui implique qu'en 1975, le nombre de composants par circuit intégré pour un coût minimum sera de 65.000».

On le voit, la progression énoncée est «un taux d'en gros un facteur de deux par année», ce qui nous éloigne des 18 mois et des deux ans. Moore explicite précisément son idée dans le texte, il s'agit d'un doublement à la fois à coût constant ou dégressif et à surface égale. La dernière citation donne bien le contexte où la «loi» fut produite mais donne en revanche une version ultérieure de l'histoire datant de 1978: ce n'est pas par hasard, comme semble le suggérer l'auteur de la citation, que Moore fit ce constat, il s'agissait d'une intervention auprès d'industriels et le but de Moore était de prouver qu'ils avaient intérêt à remplacer les transistors classiques par ses circuits intégrés car leur potentiel économique était énorme; imaginez: deux fois plus de puissance chaque année pour le même prix et le même encombrement ! Il n'y a nul hasard dans la «loi» et ça n'a rien de technique, c'est un simple argument commercial à faible valeur de constat et de prédiction (factuellement, à peine émise elle se révéla fausse).

Il faut savoir que toutes ces citations proviennent de sites «techniques», certains maintenus par des informaticiens patentés, la dernière venant même d'un site tenu par un enseignant en la matière, lequel doit donc colporter cette version de l'histoire dans ses cours. Lequel la colporte, car son site reprend la substance de ses cours. Mon assertion selon laquelle les Français sont mal éduqués se vérifie donc ici. Si vous saviez combien de notions fausses ou fallacieuses ou inexactes ou approximatives sont diffusées dans nos écoles et même dans nos universités, vous ne le croiriez probablement pas. Ou peut-être que si. Moi je trouve ça extrêmement grave, parce que par après elles se diffusent et se maintiennent dans le domaine public. Je ne suis pas très étonné de la description très défectueuse de ce qu'est Internet que l'on lit dans l'éditorial cité. Pourtant, l'auteur aurait pu, ne serait-ce qu'en consultant la désormais célèbre encyclopédie libre en ligne Wikipedia, apprendre ce point essentiel: Internet est un réseau de réseaux et non pas un réseau unique, ce qui disqualifie donc l'idée que puisse exister je ne sais quelle «racine ultime». Si notre auteur tient aux images arborescentes, Internet n'est pas une sorte de chêne – ou de… marronier – avec un seul tronc et des racines et branches multiples, mais une sorte de palétuvier dont chaque branche finit par former ses propres racines et à la fois est reliée au réseau de branches-racines et a son autonomie.

Il se peut – il est probable – que notre auteur ait formé son opinion sur l'Internet à partir d'informations recueillies auprès d'un «spécialiste», un des mainteneurs du site de son quotidien ou un des journalistes «scientifiques»; comme montré avec la supposée «loi de Moore», s'adresser à une personne théoriquement compétente n'est cependant pas le gage d'obtenir une information exacte: ma fréquentation des facultés m'a hélas montré que l'incompétence est la chose la plus répandue chez les «spécialistes», en tous domaines et de l'étudiant de première année jusqu'au professeur au bord de la retraite. Il y a, c'est normal, une certaine corrélation et même une corrélation certaine qui est pratiquement de l'ordre de la causalité, entre le fait de recevoir une mauvaise éducation et celui de ne pas savoir s'informer correctement. Prenez par exemple cette histoire de «loi de Moore»: à l'occasion d'un texte qui depuis ne figure plus sur ce site –, où j'évoquais «la loi de je ne sais plus qui affirmant que “la puissance des ordinateurs double” tous les (N) mois”» – ce n'est pas une citation mais le texte était de cette tonalité – je décidai de savoir la «loi» de qui et le nombre de mois; et fis donc la découverte que sauf pour les cas de sites qui citent d'autres sites, personne n'avait la même version, ni sur ce qui «double», ni sur le temps que ça met à «doubler». Fascinant. Je ne suis pas médiateur, par contre j'ai reçu une bonne éducation et je sais m'informer, et là-dessus, l'Internet (celui visible du couple HTTP/www) est un outil précieux pour aller à la source, trouver l'information initiale ou celle la plus fiable. Par contre ça prend un peu de temps, on ne boucle pas ça en cinq minutes, si je me souviens il m'a fallu entre une demi-heure et trois quarts d'heure pour localiser le texte de Moore. C'était aux temps déjà anciens où je n'avais pas l'ADSL; aujourd'hui je pense que ça me prendrait 20 à 30 minutes maxi.

Je suis un particulier donc je n'ai pas vraiment nécessité à trouver une information très exacte pour illustrer de manière incidente un de mes textes: par honnêteté, si je ne suis pas certain de ce que j'avance je le dis, dans une forme du genre évoqué à propos de la «loi de Moore» ou en spécifiant clairement que ce que j'avance n'est pas frappé au coin de l'exactitude. Mais ça vient de ma bonne éducation. Les médiateurs sont le plus souvent mal éduqués et n'ont pas les mêmes précautions, ni hélas le désir ou la capacité de faire ce que nécessaire pour parler avec compétence de ce sur quoi ils écrivent. Une «bonne éducation», ça consiste en quoi ? Et bien, en deux choses: une méthode et des connaissances. Je suis ce qu'en d'autres temps on appelait un honnête homme, c'est-à-dire que sans en être spécialiste j'ai des lumières sur à-peu-près tous les domaines, que j'ai un vocabulaire assez étendu et donc, une bonne méthode de base pour parvenir à connaître et comprendre une question particulière. Bien sûr j'ai mes domaines de prédilection et il y en a d'autres où mes compétences sont très limitées, mais ça n'a guère d'importance, ce qui compte est que, discutant d'une question donnée, je sois en état d'en dire des choses qui ne soient pas fausses; et si je ne le puis, je n'en parle pas. Par exemple j'ai, ou du moins je le crois, des choses pertinentes à dire sur l'enseignement des mathématiques en France, mais je n'en ai guère à dire sur les mathématiques elles-mêmes. Donc, je ne m'aventurerai pas à “réagir” sur ce domaine.


Avoir un vocabulaire étendu ne me sert pas à en faire étalage dans mes textes, qu'au contraire j'ai tendance à écrire au plus simple. Bien sûr, dans mes textes les plus techniques, notamment ceux concernant la linguistique, la psychologie, l'informatique, il m'arrive d'utiliser des termes peu usuels, mais on n'a pas besoin d'écrire de manière compliquée pour discuter de sujets complexes et encore moins pour ceux simples – ce genre de pratique se voit surtout chez ceux qui se la jouent «anarchistes de droite». Non, ça me sert surtout comme lecteur, quand je lis un texte traitant d'un sujet pointu avec des termes inhabituels, ça aide beaucoup. Mais, avoir du vocabulaire a un autre intérêt, ça vous évite d'utiliser les mots à tort et à travers, de parler de pédophilie quand ça n'a pas lieu d'être, d'invoquer le crime contre l'humanité ou la démocratie mal à propos, de reprendre des concepts de la sociologie, du droit ou de la psychiatrie en dépit du bon sens, et bien sûr de faire un édito sur Internet en l'entrelardant de termes techniques ou pseudo-techniques sans même avoir idée des notions qui sont derrière. Et bien sûr, avoir des connaissances, même limitées, sur un peu tout ne fait pas de vous un humain universel, mais vous permet d'appréhender votre réalité d'une manière moins dogmatique que quand vous ne connaissez rien sur rien ou même quand vous connaissez tout sur un seul sujet et rien sur le reste.

On sait depuis longtemps et on a pu vérifier empiriquement au cours des deux derniers siècles, que la démocratie est fortement tributaire du niveau d'éducation des citoyens et de leurs possibilités d'information. Ce qui en revanche semble échapper à certains qui, pour notre malheur, forment nos élites économiques, politiques, étatiques et médiatiques actuelles, est la nécessaire modification structurelle des modes d'éducation et d'information quand on arrive à ce qu'on peut nommer une «fin de cycle». Je dis que cela semble leur échapper, ce qui est faux, elles n'ont qu'un mot à la bouche: la réforme, la réforme, la réforme. Avec ce “petit” problème qu'elles veulent bien tout réformer, sauf leur propre pratique et la situation qui y est liée. Et bien sûr «leurs» institutions. Par exemple, d'accord pour réformer l'école mais pas pour réformer les «grandes» écoles. D'accord pour réformer le droit du travail pour l'employé mais pas pour l'employeur. D'accord pour réformer la basse administration, mais pas la haute. Le pire est bien sûr l'attitude des médias les plus anciens (presse, radio, télé) envers le petit nouveau, Internet: Le Monde fait de grands articles concernant la Liberté de la Presse même quand les journalistes ayant affaire à la police ou à la justice ont violé la loi, mais pour ce qui concerne Internet, le quotidien est sur une nette ligne de non-liberté. C'est d'ailleurs un des fonds de l'éditorial cité. En le lisant, on comprend pourquoi Le Monde a une sympathie certaine pour Nicolas Sarkozy: en tant qu'organe il est certes pour la liberté, mais la liberté surveillée…


Vous savez quoi ? Je ne sais pas qui vous êtes. En toute probabilité, vous êtes une personne assez semblable aux médiateurs et aux “réactifs” dont je parle si mal ici. C'st que, voyez-vous, je connais beaucoup de gens, et pour la plupart ils parlent sans connaître et jugent sans savoir. Ils ont des «opinions», comme les médiateurs discutés dans cette page, et comme pour au moins cinq d'entre eux, leurs opinions se fondent sur une méconnaissance profonde de ce dont ils «pensent quelque chose». J'ai fait une autre page à propos d'un sujet intéressant, «l'expérience de Milgram». Non: j'en ai fait cinq. L'une s'intitule «Comment on rend compte de l'expérience — descriptions, analyses», et pour partie je m'y livre au même exercice que pour la «loi de Moore», montre de quelles manières ceux qui l'évoquent en parlent. Là aussi, on a de tout, et le plus souvent on a des choses de ce genre:

«En parlant de soumission, ça me refait penser à l'expérience de Milgram».

C'est tel que, et dans le reste de la page où j'ai trouvé ça, on n'en saura pas plus. Par contre il y a un lien vers une autre page où l'expérience est décrite. Ladite page est d'ailleurs l'une des plus citées en tant que bonne description de l'expérience. Ce qui n'est pas si évident, mais peu importe. Dans la page en question (la mienne, je veux dire…), je dresse une typologie des divers cas d'évocation de cette «expérience de Milgram», que je vous redonne ici:

  1. La majorité des indications de «l'expérience de Milgram» sur le Net sont des “mentions”, sous six formes principales:
    1. «Ça me fait penser à (variantes: ça me rappelle, c'est comme, ça ressemble à) l'expérience de Milgram»;
    2. Même chose accompagnée d'un lien vers une page exposant ou mentionnant l'expérience de Milgram;
    3. «Comme le (dé)montre (nous apprend, le confirme) l'expérience de Milgram…»;
    4. Citations plus ou moins étendue d'une page exposant ou mentionnant l'expérience;
    5. Duplication d'une page exposant ou mentionnant l'expérience;
    6. Pages de lien (en partie ou totalement) consacrées à «l'expérience de Milgram», sans mention particulière, que ce soit description, analyse ou opinion.
    Bien sûr, un même site peut comporter plusieurs de ces variantes.
  2. Deuxième groupe important, les pages relatant l'expérience de manière plus ou moins détaillée dans le cadre d'un discours plus large, pour illustrer le propos de l'auteur concernant un peu tout: soumission à l'autorité, tendance forte à l'obéissance, capacité courante à accepter d'appliquer la torture, niveau moyen de conscience morale assez bas, déresponsabilisation, éthique en sciences sociales, sciences sociales et éthique, etc.
  3. À équivalence, on trouve d'assez nombreuses pages à visée informative, encyclopédique ou pédagogique décrivant l'expérience, avec en général une partie sur «ce que nous apprend cette étude», parfois une partie sur les discussions et considérations par Milgram et/ou d'autres auteurs à propos de l'expérience; ces pages sont en général uniquement consacrées à cette expérience, mais comportent parfois plusieurs sections dont l'une consacrée à notre objet.
  4. Au final, un très petit nombre de pages se livre à une exploration approfondie de «l'expérience de Milgram», que ce soit dans une approche scientifique, philosophique, morale, politique, théologique ou autre.

Pour les points «éthique en sciences sociales» et «sciences sociales et éthique» j'avais mis cette note:

«Le premier cas concerne le caractère éthique ou non d'un tel type d'expériences […], le second, “ce que nous apprennent les sciences sociales sur l'éthique des individus”».

Ce qu'on trouve sur Internet ressemble beaucoup aux “réactions des abonnés”, et aux articles auxquels ils réagissent, et au reste des articles du site et du journal, et à ce qu'on entend à la radio ou à la télé, et ailleurs: une majorité de lieux communs basés sur des informations partielles ou fausses ou mal comprises, une masse encore importante d'opinions mieux informées mais très partisanes et orientées, une moindre masse de choses beaucoup plus précises et exactes mais énoncées par des «épigones» (un terme défini dans le Petit Larousse comme «disciple sans originalité») qui répètent bien leur leçon, enfin quelques rares avis un peu plus… Et bien, un peu plus quoi ? Je ne sais trop que dire. Peut-être devrais-je plutôt écrire «un peu moins»: un peu moins superficiels, un peu moins dogmatiques, un peu moins bornés, un peu moins «épigonaux». Un peu ou beaucoup moins, ça dépend. La différence est d'ordre qualitatif, et la qualité ne se mesure pas en termes quantitatifs, c'es logique. Bien sûr, pour dire ou faire il faut savoir et le savoir se mesure, mais il importe surtout de savoir estimer si l'on sait où si l'on ne sait pas, d'être en capacité de déterminer si l'on peut parler ou agir à bon escient dans tel domaine, sur telle question. Et cela est impondérable. On connaît cette pensée attribuée à Montaigne et selon quoi «mieux vaut une tête bien faite qu'une tête bien pleine». C'est vrai et tout le démontre.

J'ai en mémoire un cas notable: étant étudiant à Montpellier, je vis qu'à la faculté des sciences on avait assez mauvaise opinion des étudiants qui avaient effectué leur DEUG à l'antenne de Perpignan, car on y attachait plus d'importance à la qualité de l'enseignement qu'à la quantité de notions ingurgitées. C'est sûr, à l'issue du DEUG les étudiants de Montpellier réussissaient bien mieux les examens à base de QCM. Mais à l'issue de la licence, quand il fallait monter un dossier avec projet pour les filières à numerus clausus, tout s'inversait: les anciens étudiants de Perpignan étaient presque tous acceptés, et il ne restait guère de places pour ceux les autres. Et pire que tout, les places suivantes étaient presque toutes prises par d'anciens élèves d'IUT, qui eux avaient appris à travailler en équipe et à s'épauler les uns les autres plutôt qu'à se concurrencer… C'est que, dans la recherche, ce qu'on demande aux postulants est une qualité de pensée et d'action, et non plus une quantité de connaissances accumulées. L'idée est simple: si l'on vous apprend à apprendre vous serez toujours en état d'apprendre ce qu'il faut quand il le faut; si l'on se contente de vous gaver d'informations prédigérées sans solliciter votre intelligence, ma foi, si au départ vous n'avez pas une certaine qualité de pensée à l'arrivée vous ne l'aurez pas plus.

Incidemment, Montaigne ne parlait ni de lui-même, ni des enfants à éduquer, mais des éducateurs. Voici précisément ce qu'il écrivait:

«comme j'ai plutôt envie de faire de [l'enfant qui s'adonne à l'étude] un homme habile qu'un savant, je voudrais que l'on prenne soin de lui choisir un guide qui eût plutôt la tête bien faite que la tête bien pleine. Et qu'on exige de lui ces deux qualités, mais plus encore la valeur morale et l'intelligence que le savoir, et qu'il se comporte dans l'exercice de sa charge d'une nouvelle manière»[4].

Je ne suis pas surpris de ma convergence de pensée avec Montaigne, il semble évident que «l'idéal» est à la fois une tête bien pleine et bien faite mais que le préférable est une tête bien faite, que mieux vaut «la valeur morale et l'intelligence que le savoir» quand donc c'est un savoir sans intelligence ni morale.


Dernières nouvelles du front: un “billet” d'Éric Fottorino en date du 18 novembre 2005 – et insipide, comme à l'habitude – intitulé «Farenheit Cécilia», a vu 65 “réactions”; le même jour, une “chronique” de Thomas Ferenczi, «José Manuel Barroso, un an après», en vit deux, et un “point de vue” de Paul Thibaud, «Diagnostic sur nos peurs et torpeurs», trois; enfin un autre “point de vue”, d'Ahmed Charaï, «Le Maroc, un jeune pays vieux de treize siècles», vit… zéro “réactions”. C'est ainsi. Vous voyez comme le choses sont: si Ferenczi avait publié «José Manuel Barroso, six mois après» en mai dernier, à coup sûr il aurait eu beaucoup plus de “réactions”. Depuis, ce cher Barroso est passé de mode…


On pourra croire, avec ce qui précède, que j'ai une opinion négative des “réactifs” et des médiateurs. Ce qui n'est pas le cas. Le problème que j'essaie de pointer est que les gens ont tendance à penser selon des schémas préétablis et surtout, n'exprimer d'opinion que sur les sujets «dans l'actualité», indépendamment de la pertinence de ces sujets, et indépendamment de la pertinence de leur opinion, bien sûr. Prenez les chroniques télé de Dominique Dhombres: sinon que, selon moi du moins, elles sont très en-deça de ce qu'on peut attendre d'un billetiste, il ne s'agit justement de rien de plus qu'un billet sans prétentions – sinon celle de l'auteur de montrer qu'il a de l'esprit, démonstration non faite… Bref, qu'on apprécie ou non sa prose elle ne mérite pas de “réactions” en ce sens que, sauf cas exceptionnel, ce n'est que discours creux, rhétorique pure, c'est, avec les guillemets requis, «de l'esprit» au mauvais sens de l'expression. Malgré cela, sa chronique du 16/11/2005 arrive en troisième pour le nombre de “réactions” concernant les «opinions» alors que le très intéressant texte de Ménard et Poivre se retrouve bon dernier. Pourquoi ? Parce que les “réactifs” abonnés aiment faire la morale à leur journal ou/et aux autres “réactifs” et ont une opinion sur la politique intérieure et que le PS est dans l'actualité avec son congrès, alors que la junte de Rangoon n'y est pas et que, n'est pas, la Birmanie est bien loin.


[1] Les temps changent: ce que j'écrivais alors (à la mi-novembre 2005) n'est plus vrai, car dans le dernier trimestre 2005, au moment même où je commençais ce texte, apparut ou, plus exactement, explosa une nouvelle sorte de «spams», les pseudo-“posts” et les pseudo-membres sur les forums ouverts. Je pense comprendre le pourquoi de la chose, mais force est de constater que le phénomène a très vite atteint un niveau important (en février 2006, j'en étais à plus de cinq «membres» et «messages» par jour). Du coup, et contre mon gré, j'ai du restreindre l'accès des forums aux seuls membres inscrits, et après validation de l'inscription par l'administrateur. On a là de nouveau la preuve que la délinquance porte tort avant tout aux non délinquants.
[2] Je me moque ici d'un autre site qui a suivi une pente assez similaire de restriction d'accès, celui de Libération, qui désigne ses visiteurs du doux nom de «libénautes»…
[3] Ce nom de “l'anonyme” avec les guillemets désigne notre contributeur sans nom. J'écris cette note car il se trouve que parmi les «réactifs» l'un a choisi comme pseudo anonyme
[4] Citation reprise de l'excellente traduction (en cours) due à Guy Jacquesson, disponible en ligne sur le site http://homepage.mac.com/guyjacqu/.