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Constitution européenne, considération I
Le long chemin à venir
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L e 29 mai 2005, le peuple français est appelé
à répondre à cette question :
« Approuvez-vous le projet de loi
qui autorise la ratication du traité établissant une Constitution pour l’Europe ? »
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Par le fait, les bulletins sont pourvus des mentions “OUI” et “NON”, ce qui donne aux
« partisans du “oui” » l'avantage de se prévaloir de choisir l'option positive ; c'est un
artifice, je ne vais pas « dire “non” », mais « dire que je désapprouve » ; si au lieu de ces
deux mots sommaires on avait eu comme mentions « J'APPROUVE » et « JE DÉSAPPROUVE », les
tenants de l'approbation auraient difficilement pu « négativiser » leurs supposés opposants
en parlant des « partisans du “je désapprouve” » ; dans ce cas-là, il aurait fallu savoir
exactement ce que l'approbateur ou que le désapprobateur visaient. Par exemple, pour mon
compte j'aurais plutôt tendance à approuver le traité, mais désapprouve sa ratification
par la France, pour l'instant. Je considère que nos dirigeants ont mal défendu la cause
de leurs mandants, le peuple français, et je désire qu'ils repartent à la négociation,
mais cette fois, en faisant préalablement une consultation pour savoir ce que nous,
électeurs, désirons obtenir. Une Constitution n'est pas un texte comme les autres, elle
définit les règles du jeu politique pour longtemps, peut-on espérer. Et bien, sommes-nous
ou ne sommes-nous pas des démocraties ? Si nous en sommes, le processus pour amener
à rédiger et valider cette Constitution doit être inverse de celui actuel, ou plutôt, il
doit se réaliser en trois ou quatre phases : les responsables politiques sollicitent leurs
mandants pour savoir s'ils désirent se voir, à un certain niveau de décision, dotés d'une
Constitution ; suite à cela, et si la réponse est favorable, ils recueillent les avis de
leurs mandants, sous la forme assez classique des cahiers de doléances, puis convoquent
une Assemblée constituante, qui discute des doléances exprimées par le peuple et rédige
une proposition de Constitution qui sera soumise, ou non, à l'approbation des mandants.
En l'occurrence, ça se passerait un peu différemment, en ce sens que les premières
étapes seraient « nationales », je veux dire, concerneraient les gouvernements et peuples
des États-membres, qu'il y aurait une étape intermédiaire de recension des doléances à ce
niveau, plus la convocation d'une « constituante » au niveau européen (ou la transformation
de l'Assemblée européenne en Assemblée constituante), et que le référendum serait aussi
réalisé au niveau de toute l'Union. Ce qui permettra aux Allemands, et aux citoyens des
autres États-membres où le référendum n'est pas prévu, d'y participer. Il faudrait bien
sûr prévoir un quorum pour chaque État, malgré tout, il faudrait par exemple fixer
que le moindre nombre de votes exprimés dans le même sens que celui de la majorité doit
être, dans un des États-membres, d'un quart ou d'un tiers, et la moindre participation
d'au moins les deux tiers ou les trois quarts des électeurs, quelque chose comme ça.
Je vous parle là d'une chose qui n'a guère de chances de se réaliser tout de suite.
Selon moi, une procédure de cet ordre n'aura lieu, au mieux, que dans cinq ou six ans,
plus probablement dans une bonne dizaine d'années. En attendant, que faire ? Selon
moi, adopter ce texte.
Le problème, en ce moment, c'est la caricature que dressent les tenants du “oui” de
ceux qui se préparent à désapprouver la loi de ratification. Ils sont bien épaulés en
cela par un grand nombre de journalistes, et plus largement de médiateurs, qui divisent
les électeurs en « camp du “non” » et « camp du “oui” » ; or, s'il y a une certaine justesse à
considérer qu'il y a un « camp du “oui” », il est faux de croire qu'il y auraitr le moindre
« camp du “non” ». Je m'explique.
Même si leurs points de vue sur le contenu du texte divergent, il y a une convergence
de presque tous les partisans du “oui”, celle qui réunit les élites dans le désir de ne
surtout rien changer de la structure générale des institutions de l'UE. Justement parce
qu'en l'état elle tend à assurer leur statut social. Intéressant de considérer que parmi
nos responsables politiques Hollande, Bayrou, Borloo, Breton et Sarkozy sont considérés
comme des « jeunes » : moyenne d'âge, 52 ans ; plus jeunes du groupe, 50 ans. 52 ans, L'âge
où Jose Maria Aznar a pris sa retraite de la politique ; probablement, Tony Blair la
prendra à 56 ans, et fut premier ministre à 44 ans ; Bill Clinton devint président de son
pays à 46 ans, et arrêta à 54 ans ; bref, dans notre bon pays de France, les politiciens
« entrent dans la carrière » quand on en sort dans beaucoup d'autres pays. À vue de nez, en
France la moyenne d'âge des « jeunes » est d'environ 52 ans et l'échelle de « jeunitude » va
de 44 à 56 ans environ… Je ne sais pas si vous vous rappelez de l'époque où l'on
parlait des « bébés-Chirac » : leur moyenne d'âge était au-delà de 40 ans. Lui à l'époque
était « jeune » : environ 55 ans… Mais l'âge ne fait rien à l'affaire, c'est une
question de statut social ; cependant, dans certains contextes l'âge y fait tout de même.
Il y a cette évidence, une société large doit se stratifier pour coordonner l'action de
ses membres ; dans une zone comme celle de l'UE, où les États-membres comptent 400.000
habitants et plus, le nombre minimum de ces strates est de cinq, dont une strate « hors
catégories » ; leurs noms varient selon les époques et selon les idéologies, disons : les
« dirigeants », les « cadres de direction », les « cadres d'exécution », les « exécutants » et
les « indépendants, libéraux et “inactifs” ». On a le plus souvent plus de strates que ça,
mais c'est le minimum.
Cette stratification est fonctionnelle ; elle devient problématique quand les fonctions
sociales se figent et tendent à se confondre avec les statuts ; dit autrement, quand la
« mobilité sociale » se réduit jusqu'à être presque nulle, que les « charges » tendent à
devenir héréditaires et que les positions dans la hiérarchie sociale se « naturalisent ».
Ce qui arrive souvent. En fait, ça arrive au minimum toutes les deux générations, et
souvent ça dure bien plus longtemps. Cela dépend des modèles de société, il en est de
« dynamiques » et d'autres plus « statiques », et en outre, quand une société s'enrichit
l'immobilité sociale tend à être beaucoup plus problématique : quand le « bien social »
est réduit, ceux qui en possèdent le plus n'en détiennent pas une part tellement plus
élevée que ceux qui en possèdent le moins ; quand il augmente, sa répartition étant
globalement à-peu-près la même, le fameux « la moitié pour moi, la moitié pour vous », le
« moi » représentant une frange réduite du corps social, moins de 20% des membres de la
société, fatalement la richesse des plus riches progresse considérablement plus vite que
celle des moins riches, jusqu'au point où, relativement, la part des moins riches, en
tant que « pouvoir d'achat », tend même à diminuer, alors que celle des plus riches
augmente de plus en plus vite.
On a l'exemple de la chose actuellement, avec les revenus boursiers et les salaires
des cadres de direction qui augmentent sans cesse, que le PIB de nos pays progresse ou
non, alors que dans le même temps le pouvoir d'achat des salariés et indépendants les
moins riches stagne ou diminue depuis presque vingt ans. Mais cet aspect économique n'en
est qu'un parmi d'autres, dans beaucoup de secteurs cet immobilisme se traduit par une
« hérédité des charges » qui ne s'attache pas particulièrement au revenu financier, par
exemple, dans les domaines judiciaire ou « politique » (au sens des fonctions publiques
électives), où cette fois la « richesse » consiste plutôt en ce que j'appelle « l'influx
social », la capacité des personnes en charge d'influer sur la société ; contrairement à ce
que beaucoup croient, les élus et les magistrats ne sont souvent pas des personnes très
pourvues financièrement ; certes, ils font partie des franges supérieures de revenus, mais
sont très en-dessous, par exemple, des hauts-fonctionnaires ou des cadres de direction,
et pour les élus, beaucoup d'entre eux ont des revenus assez bas, en fait. Ce qui les
intéressent dans leurs situations c'est le « pouvoir », c'est-à-dire la capacité à imposer
leur décision pour influer sur le destin de leurs semblables.
En France, et dans la plupart des pays de l'UE (probablement dans tous) la mobilité
sociale est très réduite, en ce moment ; et ceux qui en tirent le plus profit, dirigeants,
cadres de direction et franges décisionnaires des cadres d'exécution, n'ont surtout pas
envie que ça change ; ce sont eux qui veulent à toute fin que le texte soumis à notre vote
soit approuvé, ou du moins une majorité d'entre eux. Ils trouvent appui chez les cadres
d'exécution et chez certains exécutants, ceux animés d'un désir contradictoire : « avancer »
mais « sans rien changer » ; on les a tellement bien convaincus que « la révolution » est une
chose non souhaitable qu'ils n'en veulent à aucun prix. Or, une analyse sérieuse de
l'Histoire montre qu'une révolution bien menée est un événement souhaitable, on en eut
l'exemple récent avec les pays en périphérie de la Russie : ceux où les révolutions se
sont imposées connurent une transition favorable ; ceux où au contraire la « réaction » ou
la « contre-révolution » triomphent connaissent des répressions sanglantes. Et ne parlons
pas de la Russie, où l'idée même d'un changement institutionnel qui sorte ce pays de son
« soviétisme capitaliste » (c'est ainsi : en Chine aussi on a une « économie sociale de
marché », celle que nous propose le traité constitutionnel justement, et on voit ce que
ça donne…) semble inenvisageable à moyen terme.
Bien que certains des tenants du “oui” parmi les dirigeants, cadres de direction et
assimilés, soient sensiblement animés par le simple désir de se maintenir là où ils sont,
sans autre projet (c'est assez nettement le cas pour Jacques Chirac, qui voit, peut-on
penser, l'opportunité de crédiblibilse sa candidature à un troisième mandat présidentiel
en cas d'approbation du projet de loi, puisqu'il aura réussi à casser le processus de
redressement de la gauche de 2003 et 2004 tout en minorant le rôle de ses principaux
adversaires à droite), je vois avec effaremment que la plupart des « partisans du “oui” »
sont sincères. Certes, ils nous mentent, mais « avec sincérité ». Tenez, il y a peu j'ai
assisté à une réunion-débat avec Ségolène Royal (encore une « jeune » de 50 ans passés) ;
parmi tous ses propos, qui tenaient plus de la propagande que de l'explication de vote,
j'en ai retenu un particulièrement peu crédible : en cas de « victoire du “oui” »,
Chirac et Raffarin ne seront pas en état d'en profiter pour se relégitimer. Je me rappelle que la
mème Royal, et ses camarades de parti, me disaient la même chose entre le 21 avril et le
5 mai 2002 : votez Chirac, ça ne le légitimera pas. On a vu ce qu'il en fut… La
question est bien sûr de savoir pourquoi ils nous mentent et/ou se mentent. J'ai mes
idées là-dessus, mais le mieux est de leur demander. Pour savoir, justement.
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