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Constitution européenne, considération IV
Un cadvre dans le placard
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A u lendemain de la deuxième guerre mondiale,
les pays d'Europe qui, par les circonstances, se retrouvèrent «en occident» ou «en
orient», inventèrent chacun un roman sur «la fin de la guerre» qui avait bien peu à voir
avec les faits et qui, selon le «camp» où les aléas les classèrent, et selon la situation
de chacun, différaient assez. Exemple: dans les pays du Pacte de Varsovie, «le vainqueur»
et conséquemment «le libérateur» était en avant tout l'Union soviétique, alors qu'en
Europe occidentale c'étaient les États-Unis. Par dessus ça, la majeure partie des pays
concernés sinon tous, quel que fut «leur» camp d'après-guerre, avaient nécessité à ne pas
trop s'attarder sur leur rôle véritable entre 1918 et 1945, notamment leurs errances
entre 1938 et 1943 à 1945, et leurs «tuteurs» préféraient aussi ne pas s'y attarder quand
ils n'aidèrent pas à une réécriture de l'Histoire nationale assez douteuse. L'exemple le
plus flagrant est bien sûr le cas de l'Allemagne: pour des nécessités géostratégiques,
tant les États-Unis que l'URSS durent s'appuyer sur la partie qui leur en revenait chacun
et, ma foi, on remit à plus tard le réglement de comptes qui semblait nécessaire, malgré
le semblant de réglement du procès de Nuremberg, où les deux super-puissances eurent à
cœur de ne surtout pas y faire remonter les chaînes de responsabilités dans cette guerre,
car il serait apparu que le rôle de l'URSS jusqu'en juin 1941, celui des USA jusqu'en
décembre 1941 voire jusqu'en août 1942, n'était pas si clair…
Depuis la fin officielle de la deuxième guerre mondiale, dont on célèbre abondamment
la 60° commémoration cette année, il y eut plusieurs phases, qui ne se firent pas toutes
en même temps ni de la même manière pour les pays concernés, et qui pour certains, suite
à des nécessités internes, sont parfois très en retard sur les avancées qu'ont connu les
pays qui allèrent le plus loin dans la réévalutaion du «roman national». Le cas le plus
intéressant pour une zone très en retard est celui des anciens membres de la Fédération
yougoslave, qui pour l'essentiel vivent encore comme avéré et véritable le roman élaboré
dans les quelques années qui suivirent le conflit, un «fait historique»; à l'inverse,
l'Allemagne ex-RFA a fait un énorme «travail de mémoire» au cours des trois dernières
décennies, pour peu à peu assumer comme sien son passé peu glorieux des années 1928 à
1945, jusqu'au point où son chancelier a pu déclarer, lors des commémorations de 2005,
«ce passé est notre passé». Cela ne fit pas grand bruit en France, où l'on discuta plus
du bruit que ça fit outre-Rhin que des implications d'une telle attitude ici-même. C'est
que, mon pays ne semble pas encore prêt à dire, par la voix de son premier ministre ou de
son président, et pour la période 1940-1962, «ce passé est notre passé». On y fait même
des lois qui promulguent que les manuels scolaires doivent faire toute sa place au rôle
positif de la colonisation française, positivité assez peu perceptible après 1945…
Bref, après 1945 chaque pays d'Europe glissa son cadavre dans le placard et s'empressa
de pointer celui du voisin. On eut ce consensus confortable, un «méchant» tout désigné,
l'Allemagne hitlérienne; si confortable que même l'Autriche et, d'une certaine manière,
même l'Allemagne surent en tirer parti. Cela devient de plus en plus difficile, mais il
est intéressant de noter que l'Autriche se posa, au sortir du conflit, en victime de
l'anschluss; si c'était une victime, alors ce fut une victime consentante qui courut
au devant de son «bourreau»… Et ainsi pour beaucoup de pays d'Europe, notamment la
Hongrie, la Tchécoslovaquie et la Roumanie, dont les régimes dictatoriaux des années 1930
n'attendirent pas l'invasion de l'Allemagne pour édicter des lois anti-juives. Mais aucun
pays européen ne peut s'exonérer d'une attitude au moins ambigüe, souvent peu glorieuse,
pour la période 1940-1944, et souvent pour la période 1936-1948; aucun, y compris l'URSS
et les États-Unis (qui sont, selon moi, des pays européens). Il n'est jamais bon d'avoir
un cadavre dans le placard. D'abord, ça donne un parfum curieux et assez déplaisant à la
maison; puis, les rapports entre parents et enfants sont problématiques; enfin, pour
«ceux qui savent», il y a cette épée de Damoclès au-dessus de leur tête: et si quelqu'un
découvrait le cadavre dans le placard ? Bâtir sa vie sur un mensonge, c'est la bâtir
sur du sable: on fait monter la maison, et chaque fois qu'on croit que c'est fini,
quelqu'un arrive et tape dedans, et ça s'écroule.
Savez-vous que beaucoup de nos dirigeants, que ce soit dans le domaine économique ou
politique, ou celui de la haute fonction publique, sont des usurpateurs ? Non pas
une majorité, mais beaucoup. Cela vient du fait qu'ils sont héritiers de ceux qui ont
contribué à inventer notre roman national post-1945, et des institutions qui vont avec.
Cela a entraîné une suite de mensonges et de manœuvres douteuses dont nous ne sommes
toujours pas sortis. Savez-vous encore que beaucoup d'institutions et d'associations
puissantes de 2005 sont des héritages directs de l'État français ? Par exemple, les
«ordres» (de médecins, d'avocats, etc.); par exemple, la FNSEA; par exemple, l'ENA, qui
est une reprise directe de l'École des cadres d'Uriage; par exemple, la politique de
décentralisation culturelle. Etc. Je ne dis pas que tout ça est mauvais, je dis juste
que, contrairement à ce qu'on nous raconte il n'y eut pas de rupture entre 1940 et 1945,
et que l'État français relaya la III° République et fut relayé par la IV°; il y eut une
rupture de politique, mais aucune rupture structurelle. Ça ne laisse d'interroger…
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