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Constitution européenne, considération III
Les origines et le devenir de l'Union européenne
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D ans une autre «considération» j'en parle, et
j'esquisse ou développe la question dans plusieurs pages de ce site, ce qui motiva
certains États européens à créer une Communauté était la nécessité de se dégager de leur
dépendance à la puissance étatsunienne tout en se préservant de la puissance soviétique.
En ce moment, un discours dominant date les débuts de la construction européenne entre
1953 et 1957, avec une préférence pour 1954; c'est faux: cette construction commence dès
le lendemain de la deuxième guerre mondiale, et la première institution fédérative, le
Conseil de l'Europe, est créée en 1949. Ce qui démarre vers 1954 est tout autre chose:
une «communauté de défense» concernant une partie des membres de ce Conseil de l'Europe,
et dont le but principal est tout à la fois de se doter d'un appareil industriel et
militaro-industriel en état, comme dit, de permettre à cette entité de résister, le cas
échéant, à une attaque soviétique, sans devoir en appeler aux États-Unis.
On oublie le contexte, mais à l'époque les Européens ne se faisaient guère d'illusions
quant à la manière dont leur «allié» d'Amérique du Nord «règlerait le problème» en cas de
conflit entre l'URSS et les pays d'Europe occidentale: avec la bombe atomique. Je ne sais
pas si c'eut été le cas, mais du moins c'était la crainte partagée par bien des gens dans
tous les pays fondateurs de la CECA puis de la CEE. Nonobstant la volonté de certains de
réécrire l'Histoire, il est souvent difficile de comprendre une situation passée, car le
contexte a changé, et les informations dont on dispose à tel moment ne correspondent pas
à celles disponibles dix, vingt ou cinquante ans plus tôt: en 1945 et dans les trois ou
quatre lustres suivants, une guerre atomique était de l'ordre du vraisemblable, parce que
l'on ne mesurait pas nettement les conséquences à long terme et à distance de ces bombes:
ce n'est que dans la décennie 1960 et plus encore dans la suivante qu'on les connut. De
1945 à 1965 environ, les bombes atomiques puis nucléaires inquiétaient certes plus que
celles «classiques» par leur puissance, mais peu par l'effet subséquent et la durabilité
des radiations résiduelles. On le voit notamment avec la littérature et le cinéma de
science-fiction, où longtemps les aspects «mutation», «dégénerescence» et «atteintes
corporelles à long termes» n'intervinrent pas, alors qu'ils devinrent dominants au début
de la décennie 1970 dans les récits sur le thème «après la guerre atomique».
Donc, vers 1945 et plus encore au milieu de la décennie 1950, le risque de l'usage des
bombes nucléaires était considéré réel, et l'était peut-être, dirais-je même, l'était
probablement; on se rappellera que lors de «La crise des missiles de Cuba» en 1962, leur
usage fut sérieusement envisagé, ce qui montre qu'à ce moment encore les responsables
politiques et militaires n'avaient pas idée des risques périphériques de ce type d'armes
(Cuba n'est qu'à 150km de la Floride). En fait, la peur d'une «guerre atomique»
s'atténua bien avant qu'on prenne la réelle mesure de ce type de risques, par l'effet de
«l'équilibre de la terreur», les arsenaux réciproques des deux «super-puissances» rendant
peu envisageable un tel conflit. La menace était certes là, mais elle devenait chaque
année plus virtuelle.
Je le rappelle dans la «considération II», le but explicite des inventeurs de la
Communauté européenne du charbon et de l'acier (la CECA) fut de mettre en commun les deux
matières premières, et les industries de transformation de base, permettant au six pays
fondateurs de se doter des capacités nécessaires à remonter aussi vite que possible une
industrie d'armement autonome et puissante. Bien sûr, l'aspect «assurer la paix» n'était
pas absente, mais d'une autre manière que cette réinvention a posteriori, il ne
s'agissait pas d'établir la paix en Europe, mais de créer les conditions pour que les
pays européens qui, à la fois, furent le plus engagés dans les deux conflits réputés
mondiaux (une analyse sérieuse fait considérer que «la première guerre mondiale» fut en
réalité une guerre limitée à l'Europe, sont caractère «mondial» dérivant du fait que les
pays concernés étaient «mondiaux» du fait de leurs colonies, mais factuellemnt très peu
de ces colonies furent directement atteintes par le conflit) et en subirent le plus les
conséquences directes par la destruction d'une bonne part de leur appareil industriel,
celle de beaucoup de bâtiments, et la désorganisation subséquente de leur économie, ont
désiré se protéger d'un nouvel événement de cet ordre. Durant la période de construction
de la CEE, soit en gros de 1945 à 1965, la France et les Pays-Bas furent des «pays en
guerre», mais hors Europe.
Lisant ou entendant ce lieu commun insupportable, «l'Europe est en paix depuis 1945»,
je m'énerve: d'abord cela fait l'impasse sur une bonne moitié de l'Europe, Russie exclue
(allez donc expliquer à la Pologne, la Tchécoslovaquie, la Hongrie, aux États baltes et
balkaniques, même à la Grèce, que «l'Europe est en paix depuis 1945»: je crains qu'ils
aient une autre appréciation de la chose…); ensuite ça ne tient pas compte que de
1945 à 1975, il n'y eut pas une année sans qu'un au moins des pays d'Europe occidentale
(Espagne et Portugal compris) ne participe à une guerre coloniale ou post-coloniale, et
depuis 1975, il ne se passa pas trois ans sans que l'un ou l'autre (et parfois presque
tous) ne participe à un conflit. La réalité est: un certain nombre de pays d'Europe, pour
l'essentiel ceux de «l'Europe de neuf», n'ont pas connu de guerre entre eux et sur
leur sol métropolitain depuis 1945.
On le sait, en 1954 le projet de CED (Communauté européenne de défense) échoue. On me
donna comme explication lors de réunions d'information sur le référendum du 29 mai 2005
que certains partis, ou certaines fractions de partis, eurent un réflexe frileux de repli
souverainiste, ou quelque chose de ce genre. C'est idiot. La raison réelle de ces partis
ou de ces fractions fut le refus de devoir engager une bonne part de leurs ressources
plutôt limitées à l'époque, dans le but de réarmer l'Allemagne. 1954, c'est l'année de
l'appel de l'abbé Pierre, les six pays fondateurs sont en pleine phase de reconstruction
de leur appareil industriel, des logements et des infrastructures, et mobiliser leurs
ressources au réarmement de l'Allemagne signifiait, prendre des années de retard à cette
reconstruction et retarder d'autant leur autonomie vis-à-vis des États-Unis. L'échec de
la CED amena la création en 1957 de la CEE, une organisation plus raisonnable et valable
à long terme. Et plus réaliste: remonter tout l'appareil industriel et commercial offrait
de toute manière l'opportunité de recréer un appareil militaro-industriel, ce que l'idée
inverse n'assurait pas. La suite le démontra d'ailleurs.
Cela dit, le projet originel marqua la mise en place de la CEE et marque encore celle
de l'UE: certes ces institutions, surtout à partir de la CE, se réformèrent peu à peu
pour aller vers une organisation plus ouverte, mais pas vraiment plus démocratique. Une
chose me paraît étrange: beaucoup de détracteurs de l'UE nous la décrivent comme au moins
libérale, souvent «ultra-libérale»; je vois ça autrement: une organisation dirigiste et
quasi soviétique, avec un præsidium qui contrôle tout, décide tout, dirige tout,
qui nomme tous les hauts-responsables de l'exécutif et du judiciaire; une bureaucratie
proliférante aux ordres du præsidium, qui édicte toutes les règles, lesquelles ont
valeur de lois; un parlement-croupion, formé pour (grande) partie d'«apparatchiks» liés
directement au præsidium et pour moindre part, à égalité de démagogues impuissants
et finalement complices des apparatchiks, et enfin de démocrates de bonne volonté qui,
face à cet appareil, ne peuvent pas grand chose…
Pöur moi, la question est simple: doit-on maintenir, pour les temps à venir, une
structure dirigiste et non démocratique, ou doit-on évoluer vers un système ayant les
caractéristiques générales de la majorité des pays de l'UE, avec une véritable
subsidiarité et une prééminence du législatif sur l'exécutif ?
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