Chat «Europe oui-non»

«Pour»

Annick Le Petit
Harlem Désir

«Contre»

Benoît Hamon
Article de Paul Quinio Commentaire local
Texte du traité (et du projet)

Les «pour» sont pour, les «contre» ne sont pas contre

Voici ce qui oppose le plus, à gauche, ce qu'on nous présente comme «les partisans du oui» VS «les partisans du non»: les premiers sont bien tels, les seconds ne le sont pas. C'est que, si on vote pour ce traité constitutionnel, tel que fait, on en a pour au moins cinquante ans à se le trimballer, tandis que dans le cas contraire il suffira de se remettre autour de la table, de rediscuter le coup et, dans deux, trois ou quatre ans on aura un autre texte mieux conçu — espérera-t-on… La deuxième chose est que les partisans du oui mentent. Ce qui va de pair: le projet de traité étant bien ce que disent ses opposants, un élément de blocage pour toute avancée sociale au niveau européen et une constitututionalisation des aspects les plus libéraux des divers traités antérieurs, prétendre le contraire va contre la vérité.

Il y a d'autres points. Par exemple, “Matthieuropeen” demande à Annick Le Petit:

«Certains partisans du non affirment que la constitution européenne serait contraire aux règles françaises de la laïcité, et notamment à la récente loi contre les signes religieux à l'école. Qu'en est-il ?»

Ce à quoi elle répond:

«C'est faux. Contrairement aux rumeurs, le traité constitutionnel ne fait aucune référence à l'héritage chrétien. Il suffit de lire l'article 1.52, qui est court et très clair: “L'union respecte et ne préjuge pas du statut dont bénéficie, en vertu du droit national, les églises et les associations ou communautés religieuses dans les Etats membres. L'union respecte également le statut dont bénéficie en vertu du droit national, les organisations philosophiques et non confessionnelles. Reconnaissant leur identité et leur contribution spécifique, l'union maintient un dialogue ouvert, transparent et régulier avec ces églises et organisations”. C'est le seul article qui mentionne les relations entre l'union européenne et les organisations religieuses».

Mais, «les rumeurs» n'en étaient pas: à la conférence intergouvernenmetale (CIG) où l'on discuta de la version finale du texte, plusieurs États, au premier rang desquels la Pologne, l'Espagne, l'Italie, l'Autriche, l'Irlande (qui ont en commun un fond culturel catholique très lourd), pesèrent le plus qu'ils purent pour l'obtenir. En contrepartie du refus de cette demande, se rappellera-t-on aussi, on leur accorda de retirer la citation de Thucidide en tête du texte, que je rappelle:

«Notre Constitution ... est appelée démocratie parce que le pouvoir est entre les mains non d'une minorité, mais du plus grand nombre»,

ce qui, on le voit, va à l'encontre du modèle de pouvoir «chrétien», version catholique, qui est justement entre les mains d'une minorité; on le retira au fallacieux prétexte que la démocratie athénienne était injuste, puisque n'accordant la citoyenneté qu'à une minorité, les hommes libres des tribus, à l'exclusion des femmes, esclaves et métèques (non «athéniens de souche»). C'est assez comique, considérant «l'héritage chrétien» des siècles passés relativement aux femmes, aux esclaves et aux non-chrétiens… Une demi-vérité (les «rumeurs») en entraînant une autre, Annick Le Petit affirme avec aplomb que «c'est le seul article qui mentionne les relations entre l'union européenne et les organisations religieuses; on ne peut pas dire que ce soit faux; par contre, ce n'est pas le seul article qui, pour répondre à la question de “Matthieuropeen”, «serait contraire aux règles françaises de la laïcité», ou au moins le pourrait être. Voici:

«ARTICLE II-70
Liberté de pensée, de conscience et de religion
1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion. Ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites».

Or, «la loi contre les signes religieux à l'école» limite clairement «la liberté de manifester sa religion […] en public», donc ceux qui prétendent que cette loi serait «anticonstitutionnelle» en cas d'adoption du traité, ont raison. Mme Le Petit énonce une demi-vérité: c'est en effet«le seul article qui mentionne les relations entre l'union européenne et les organisations religieuses, mais ce n'est pas le seul qui mentionne les règles européennes en matière de religion. Si en outre on le combine avec l'article subséquent:

«ARTICLE II-71
Liberté d'expression et d'information
1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontières»,

on voit où le bât blesse: au Danemark, l'Église de scientologie a toute liberté de s'exprimer, donc en France les «autorités publiques» ne pourrait arguer de leur loi nationale pour empêcher l'expression de cette Église; en Grande-Bretagne, l'expression de propos négationnistes ou pro-nazis est de libre expression, donc ni l'Allemagne ni la France ne pourraient utiliser leur appareil législatif ad locus si «l'expression» vient de Grande-Bretagne.

Mais Annick Le Petit joue petit bras, on voit ici qu'elle est formée à la rhétorique «langue de bois» propre au PS «canal historique» (ex-SFIO) et au PCF; mieux vaut aller voir chez Harlem Désir par exemple, qui fut à bonne école chez les trotskystes. En voici un petit exemple:

non: Dans «Libération», Claude Bartolone dit que les partisans du oui, veulent échapper à des discussions sur le fond du texte du traité constitutionnel (lire l'article)?
Harlem Désir: Pas du tout, au contraire. Dans tous les débats que j'anime, je viens avec le texte du traité – car il faut former son jugement à partir de la réalité du texte – et j'apporte toujours le texte du traité de Nice. Car le véritable choix c'est entre le nouveau traité ou en rester au traité de Nice. La lecture comparée des deux textes est le meilleur plaidoyer pour le oui. Tout ce que les partisans du non reprochent au traité constitutionnel se trouve déjà dans le traité de Nice et donc, si l'on rejetait le nouveau traité, on conserverait toutes les dispositions qui, selon eux, motivent leur refus, par exemple unanimité pour les règles de fiscalité ou pour les révision du traité, la mention de la concurrence «libre et non faussée», etc. Par contre en rejetant le nouveau traité, on perdrait toutes ses avancées démocratiques: extension des pouvoirs du Parlement européen, charte des droits fondamentaux, droit de pétition à des citoyens, etc.

Vous voyez l'entourloupe ? Et bien, contrairement à Mme Le Petit, M. Désir ne prétend pas, contre le sens, que les opposant à ce traité ne disent pas vrai: il admet que les plus mauvais aspects du traité de Nice — et de quelques autres — se retrouvent dans ce projet. Et qu'en outre, «on conserverait [la disposition de l']unanimité pour les règles de fiscalité ou pour les révision du traité». “Mais”, «si l'on rejetait le nouveau traité […] on perdrait toutes ses avancées démocratiques». Or, ce que demandent les opposants de gauche au traité est justement, qu'on retire du projet la partie III qui rend constitutionnelles les dispositions qu'ils rejettent, pour n'en conserver que «ses avancées démocratiques»

D'ailleurs, Harlem Désir contredit son propos: quand “gil”, qui se dit «partisan du oui», l'interroge sur «la procédure de révision» qui requerrait l'unanimité et s'inquiète, «cela ne nous condamne-t-il pas à un immobilisme de nature libérale ?», il le «rassure»:

«C'est vrai qu'il faut l'unanimité, ça a toujours été le cas pour les traités européens, mais il est faux de dire que cela condamne à l'immobilisme. Les traités ont fait l'objet de quatre révisions ces vingt dernières années malgré cette règle et le nouveau traité propose des mécanismes plus souples pour les révisions ultérieures. Il prévoit également (pour faire passer des sujets de l'unanimité à la majorité qualifiée, par exemple) la possibilité d'initiatives constitutionnelles venant du Parlement européen et la convocation d'une future convention pour réviser le traité».

Encore une entourloupe: les «mécanismes plus souples pour les révisions» sont applicables aux traités non constitutionnels, en revanche, les procédures pour modifier le traité constitutionnel sont plus complexes et plus difficiles à mettre en œuvre; or, puisque toute une partie des traités antérieurs bascule dans la partie III du projet de Constitution, leur possible révision devient problématique. Quant à «la convocation d'une future convention pour réviser le traité», la question que posent beaucoup de détracteurs du projet actuel est semble-t-il de bon sens: pourquoi ne pas convoquer une Assemblée constituante dès maintenant pour composer une vraie Constitution, plutôt que d'escompter une future et hypothétique «convention» qui de toute manière n'aurait le pouvoir que d'amender le texte actuel à la marge ?

Considérez par exemple ce que dit Henri Emmanuelli: quoi qu'il arrive l'an prochain, le traité constitutionnel sera opératoire au plus tôt en 2009, puisque le traité de Nice régit les institutions et la politique européennes jusqu'en 2009, voire 2012; profitons donc des quatre ans qui viennent pour convoquer une Assemblée constituante ou transformer le Parlement actuel en Assemblée constituante, pour rédiger une Constitution qui soit, comme c'est l'usage (sauf pour celle de la V° République) discutée et votée par les représentants du peuple, et non par une commission ad hoc faussement dénommée «convention», dont les représentants furent désignés par la CIG et la Commission, et soumettons ce texte démocratiquement constitué à l'approbation des Européens. Ce qui me paraît tout de même assez raisonnable. De cette manière, «En rejetant le traité, on renforcerait toutes ses avancées démocratiques», au contraire de ce qu'avance Harlem Désir. Comme dit au début de ce texte, avec la solution Emmanuelli on retarde la décision de trois ou quatre ans au pire, ce qui ne change rien puisque nous sommes régis par le traité de Nice au moins jusqu"en 2009, tandis qu'avec la solution Désir, nous repoussons assurément «les avancées démocratiques» à vingt, trente ou cinquante ans.

Mais tout cela n'est que paroles. J'ai mon opinion, assez proche de celle exposée par Emmanuelli, soit: a minima, abroger toute la partie III du traité, qui n'a rien à faire dans un texte à prétention constitutionnelle, au mieux, convoquer une Assemblée constituante. Le mieux est, pour l'heure, de vous faire votre propre opinion plutôt que de lire ou écouter des propos de campagne ou des articles qui s'attachent à la forme («la guerre au PS») plutôt qu'au fond — le texte —, ou des opinions comme la mienne. Et pour cela, vous trouverez le texte un peu partout en fascicules (entre 3€ et 6,50€ — je vous conseille ceux à 3€, c'est le même texte…), ou sur le site de la Commission européenne, ou de l'Assemblée idem, ou sur ce site même.