Chat «Europe oui-non»

«Pour»

Annick Le Petit
Harlem Désir

«Contre»

Benoît Hamon
Article de Paul Quinio Commentaire local
Texte du traité (et du projet)

«En rejetant le traité, on perdrait toutes ses avancées démocratiques»

A l'occasion du débat interne au Parti socialiste sur le traité de Constitution européenne, Harlem Désir, député européen partisan du oui, était notre invité vendredi 19 novembre à 11 h 00.

vendredi 19 novembre 2004 (Liberation.fr - 13:15)

non: Comment vit-on dans un parti où les militants sont divisés en deux blocs?
Harlem Désir: On débat et je crois que si le PS est capable de maîtriser ce débat en faisant en sorte qu'il porte bien sur le fond, les enjeux européens, et qu'il ne soit pas détourné il en aura fait un grand moment de démocratie militante. Je crois que ce débat intéresse beaucoup d'autres citoyens au-delà des adhérents du PS. Il a montré que notre parti est vivant et divers à l'image de la gauche.

non: Dans «Libération» , Claude Bartolone dit que les partisans du oui, veulent échapper à des discussions sur le fond du texte du traité constitutionnel (lire l'article)?
Pas du tout, au contraire. Dans tous les débats que j'anime, je viens avec le texte du traité – car il faut former son jugement à partir de la réalité du texte– et j'apporte toujours le texte du traité de Nice. Car le véritable choix c'est entre le nouveau traité ou en rester au traité de Nice. La lecture comparée des deux textes est le meilleur plaidoyer pour le oui. Tout ce que les partisans du non reprochent au traité constitutionnel se trouve déjà dans le traité de Nice et donc, si l'on rejetait le nouveau traité, on conserverait toutes les dispositions qui, selon eux, motivent leur refus, par exemple unanimité pour les règles de fiscalité ou pour les révision du traité, la mention de la concurrence «libre et non faussée», etc. Par contre en rejetant le nouveau traité, on perdrait toutes ses avancées démocratiques: extension des pouvoirs du Parlement européen, charte des droits fondamentaux, droit de pétition à des citoyens, etc.

gil: Bonjour, je suis moi aussi un partisan du oui à la constitution mais il me reste un doute majeur: celui de la procédure de révision de cette dernière. Il me semble qu'il faudrait l'unanimité qui est pratiquement impossible à atteindre. Est-ce vrai et cela ne nous condamne-t-il pas à un immobilisme de nature libérale?
C'est vrai qu'il faut l'unanimité, ça a toujours été le cas pour les traités européens, mais il est faux de dire que cela condamne à l'immobilisme. Les traités ont fait l'objet de quatre révisions ces vingt dernières années malgré cette règle et le nouveau traité propose des mécanismes plus souples pour les révisions ultérieures. Il prévoit également (pour faire passer des sujets de l'unanimité à la majorité qualifiée, par exemple) la possibilité d'initiatives constitutionnelles venant du Parlement européen et la convocation d'une future convention pour réviser le traité. Enfin, il étend les possibilités de coopération renforcée entre quelques Etats, minimum un tiers, ce qui, comme on l'a vu avec l'euro, permet d'aller de l'avant même quand il n'y a pas accord unanime. Ce traité ne fige donc pas l'avenir de l'Europe dans le marbre. Il n'est qu'une étape.

fred91: bonjour, je ne suis pas militant du PS, mais je dois dire que l'utilisation du catastrophisme pour pousser à voter oui aurait tendance à me faire voter non... Pour Maastricht (j'avais voté oui), on avait même parlé de guerre... Des arguments rationnels, par pitié...
C'est ceux auxquels j'essaie de me tenir comme vous le voyez depuis le début de ce chat; mais il est vrai qu'on ne peut pas négliger le fait que le non ne serait pas sans conséquences sur la dynamique européenne. Car nous ne dirions pas seulement non à un texte mais également aux autres Européens qui l'approuvent et souhaitent sa ratification, en particulier nos partenaires du parti socialiste européen dans leur immense majorité.

louisa: Vous qui êtes à Strasbourg, comment vos collègues socialistes des autres pays réagissent-ils à ce débat interne au PS français?
Ils respectent notre liberté de débat et de choix. Mais ils sont en même temps étonnés et inquiets. Etonnés, car, s'ils partagent beaucoup de nos insatisfactions quant aux insuffisances du nouveau traité, celui-ci ne comporte que des avancées et aucun recul, ils ne comprennent pas en quoi refuser d'engranger les acquis aiderait à aller plus loin. Inquiets aussi car si le PS fait campagne contre la ratification, si la France rejette le nouveau traité avec le non catholique polonais, le non conservateur britannique, une renégociation embourberait l'Europe pendant des années sur la base d'un rejet essentiellement antieuropéen.

jabberwock: Que pensez-vous de l'entrée de la Turquie dans l'UE?
Je pense que la Turquie doit faire la preuve qu'elle peut devenir une véritable démocratie européenne si elle souhaite réellement rejoindre l'Union. Elle a commencé à évoluer, il lui reste beaucoup à faire en matière de libertés, de respect des minorités, kurdes en particulier, de reconnaissance du génocide arménien. Les négociations d'adhésion devront donc être conduites avec beaucoup d'exigence et en laissant ouvertes deux possibilités: soit s'en tenir à l'avenir à un partenariat privilégié, ou, si la Turquie va jusqu'au bout de sa démocratisation, l'adhésion. Mais si on pose des conditions et on prend un engagement vis à vis d'un peuple, on se doit de respecter cet engagement si ce peuple respecte les conditions. Sinon, il s'agit d'autre chose, le rejet des Turcs simplement parce qu'ils sont musulmans. Nous nous sommes battus pour que l'UE reste laïque, une communauté basée sur des valeurs universelles et non sur une identité religieuse. L'entrée de la Turquie serait un symbole fort d'un refus de la guerre des civilisations.

éon: J'ai relu la motion Attika du congrès de Grenoble en 2000 et à l'époque, les propositions de la Gauche socialiste, dont tu faisais partie, sont en opposition frontale avec le contenu de la constitution Giscard. Pourquoi ce changement radical de ta part et pourquoi se cantonner dans un accompagnement social du libéralisme que tu as si souvent combattu avant?
Je ne pense pas qu'Attika pouvait condamner un projet de constitution qui n'était pas encore écrit à l'époque. Avec la Gauche socialiste, comme beaucoup d'autres dans le parti, nous nous sommes battus pour une réorientation sociale de la construction européenne et pour l'Europe fédérale, mais cette exigence et cette ambition n'empêchent pas d'accepter d'avancer par étapes, par réformes successives, avec les autres Européens. Par exemple, la Gauche socialiste a voté oui à Maastricht, comme l'ensemble du PS, malgré notre insatisfaction sur bien des aspects du traité, en particulier le statut de la banque centrale, mais nous avons privilégié l'avancée que représentait l'adoption d'une monnaie commune.

Iskander DEBBACHE.: Ne pensez vous pas que le modèle européen devrait plutôt être étendu à toute la planète ce qui éviterait au moins des délocalisations en même temps qu'un développement intégré ?
Deux remarques. La première c'est que l'Europe est une référence partout où des peuples essaient de se regrouper; cette semaine, Thabo Mbeki, président sud africain, reçu au Parlement Européen a expliqué comment l'Union africaine essayait de s'inspirer de l'UE pour bâtir une Afrique pacifiée et démocratique avec par exemple, demain, un Parlement panafricain, une commission panafricaine, un partage de souveraineté, des fonds de solidarité et de cohésion entre région les moins pauvres et les plus pauvres, etc. Il va de même en Amérique latine avec le Mercosur. Deuxième remarque: il n'y a qu'en renforçant l'unité politique de l'Europe que nous pèserons davantage dans les grandes institutions internationales pour imposer des règles sociales ou environnementales à la mondialisation. C'est déjà un peu le cas au sein de l'OMC ou nous avons défendu les médicaments génériques contre les droits de propriétés intellectuels de l'industrie pharmaceutique. Demain l'Europe doit unifier sa représentation au sein de la Banque mondiale, du FMI et des organes des Nations unies si elle veut peser sur la gouvernance mondiale.