Chat «Europe oui-non»

«Pour»

Annick Le Petit
Harlem Désir

«Contre»

Benoît Hamon
Article de Paul Quinio Commentaire local
Texte du traité (et du projet)

«Rien ne justifie qu'au niveau européen, le PS oublie d'être socialiste»

Notre série de chats consacrés à la Constitution européenne a commencé vendredi 22 octobre avec Benoît Hamon, député européen socialiste, partisan du «non».

jeudi 28 octobre 2004 (Liberation.fr - 11:47)

marol: Comment est l'atmosphère au sein du PS?
Benoît Hamon: Elle est contrastée, c'est une atmosphère de débats qui étaient jusqu'ici réservés aux instances nationales. On est passé à une étape différente, celle du débat militant. Ça a plutôt apaisé la discussion. On est revenu à un échange sur le fond. Oui ou non, cette Constitution pourra-t-elle nous permettre des politiques de gauche ou pas? On a provisoirement quitté le débat concernant les ambitions de tel ou tel à l'élection présidentielle. Quand on parle de la Constitution le débat est riche; dès qu'on se sert de la Constitution pour parler d'autre chose, c'est moins bon.

rené: Vous êtes député à Strasbourg. Comment ce débat au sein du PS français est-il vécu par vos collègues socialistes européens?
A la fois de façon curieuse et intéressée. Curieuse parce que il y a l'envie de savoir davantage ce qui justifie une expression aussi forte du non à la Constitution au sein du PS français, une volonté de faire le tri entre des arguments qui pourraient relever d'une opportunité tactique et des arguments sur le fond qui justifient notre rejet de la Constitution. Et naturellement de l'intérêt vis-à-vis de la position d'un parti, historiquement associé à la construction de l'Europe, qui aujourd'hui s'interroge sur l'orientation de la construction européenne, au point de se préparer à refuser le projet de Constitution. L'intérêt du débat français c'est qu'il a provoqué une contagion démocratique, d'abord parce que les députés européens viennent débattre avec les partisans français du non. Le parti socialiste français n'est d'ailleurs plus le seul à organiser une consultation démocratique de ses militants, le parti socialiste belge vient de prendre à son tour, le parti de consulter ses militants. C'est le deuxième parti en Europe à le faire. Ce qui est intéressant c'est que ça amené son principal dirigeant à dire et à déclarer dans la presse que le oui n'était pas automatique, le PS belge pourrait dire non. Ça amène à cette conclusion que dés lors que le débat à lieu, qu'il fait l'objet d'un consultation militante le oui n'est plus automatique. Il est frappant de constater qu'au sein du PSE, les directions des grands partis qui affichent le oui, n'ont pour aucune d'entres eux organisé de consultation des militants.

marol: N'avez-vous pas peur d'être catalogué dans le camp des souverainistes?
Absolument pas. D'abord parce que notre non porte sur la nature libérale de la construction européenne, donc sur le contenu des politiques que cette Constitution sacralise et pas sur la construction européenne elle-même.

tom: Vous appartenez au parti socialiste dont la tradition a été de largement favoriser l'intégration européenne. En vous déclarant opposé à cette constitution, ne défendez-vous pas des intérêts personnels très éloignés de votre ancrage politique?
Encore une fois non. Le parti socialiste est socialiste et européen à la fois. Rien ne justifie qu'au niveau européen, quand on lui demande de se prononcer sur un texte, il oublie d'être socialiste. Ce qui veut dire que jusqu'ici nous avons fait le pari que l'intégration économique produirait de l'intégration politique. Qu'à l'union économique et monétaire succéderait à la fois l'Europe sociale, qui garantit aux citoyens des droits sociaux, et une Europe politique qui garantirait aux citoyens une maîtrise collective de leur destin. Cette Constitution loin de nous garantir à la fois l'Europe politique et l'Europe sociale, nous désarme, constitutionnalise un régime économique et soustrait toute forme d'orientation économique à quelconque contrôle politique.

FRED: Rocard dit «l'Europe puissance, l'Europe fédérale c'est fini !», vous y croyez?
Je ne suis pas résigné, c'est pour ça que je dis non à cette Constitution. Avec cette Constitution, nous abandonnons les armes de la puissance économique, nous abandonnons les armes de la puissance diplomatique et militaire (article 41 paragraphe 2 exigeant la compatibilité de la politique de défense commune avec les obligation du traité de l'Atlantique nord).

ng92: Benoît je suis à 100% ok sur le non, mais qu'est-ce qu'on propose en termes de calendrier et de méthode pour sortir d'une crise européenne. C'est un silence qu'il faut nécessairement combler par rapport à l'opinion.
Si jamais le PS dit non et que la France dit non, tout le monde se remettra autour de la table. La question essentielle c'est «quelle sera la signification du non à cette constitution dans le débat européen». Si c'est un non souverainiste comme en Angleterre ou aux Pays-Bas, cela n'aura pas la même signification qu'un non de gauche qui s'oppose à la ratification de cette Constitution en France. Dans un cas on réoriente la construction européenne à gauche, dans l'autre on se retrouve dans l'impasse et la crise, qui sont celles de la construction européenne aujourd'hui.

yoda: le débat sur la constitution européenne, quand on s'y intéresse, est passionnant. Mais les Français dans tout ça ? Pensez-vous vraiment qu'ils accrochent au débat ?
Pas vraiment. Un des père de l'unité italien a dit dans la deuxième moitié du 19e: «Nous avons fait l'Italie, maintenant il faut faire des Italiens.» S'il fallait faire des Européens à l'image de l'Europe telle qu'elle est aujourd'hui, nous aurions pour les plus chanceux des marchands, dans la grande majorité des consommateurs, et pas de citoyens. Les dernières élections européennes ont montré une abstention record dans toute l'Europe, dépassant les 50%, y compris dans les nouveaux pays; cela illustre le décrochage massif du citoyen européen à l'égard de la construction européenne et la première manière de répondre au citoyen qui décroche, c'est de respecter le mandat pour lequel j'ai été élu: le projet du parti socialiste aux dernières européenne, c'est « maintenant l'Europe sociale». Je n'ai pas envie, comme les partisans du oui à la Constitution, de devoir leur avouer dans quelque temps que l'Europe sociale, finalement, sera pour après-demain ou après-après-demain.

ng92: Comment assumez-vous aujourd'hui l'accord technique passé entre le Parti socialiste européen et la droite au sein du Parlement européen? Pourra-t-il être rompu?
J'ai voté contre, comme tous les socialistes français. Maintenant, tout l'enjeu c'est la manière dont on repolitise au sein du parlement européen. L'affaire Buttiglione, nous offre l'occasion de repolitiser le débat, en refusant la ratification de la commission Barroso, qui outre son caractère réactionnaire, est aussi ultralibérale. On verra qui soutient Barroso(la droite), qui le récuse (je l'espère la gauche).

gorodish: comment expliquer la position de Daniel Cohn-Bendit pourtant défenseur de l'Europe sociale ?
Je m'interroge. Daniel Cohn-Bendit fait parti de ceux qui vivent avec, d'un côté, l'Europe telle qu'ils la rêvent, et de l'autre côté l'Europe telle qu'ils la font. L'Europe telle que la fait Cohn-Bendit c'est sans doute de savoir agiter des symboles, mais en étant incapable de proposer des droits et conquêtes nouvelles pour l'ensemble de ceux qui sont victimes dans tous les pays d'Europe, de la mondialisation libérale. Or l'Europe a été construite pour garantir ces droits, résister à la mondialisation libérale, et pas, comme elle le fait maintenant, accélérer celle-ci.