«La Constitution n'est pas contradictoire avec la volonté d'une Europe plus sociale»
A l'occasion de notre série de chats sur la Constitution européenne, nous avons reçu jeudi après-midi Annick Le Petit, porte-parole du Parti Socialiste, favorable au oui.
jeudi 04 novembre 2004 (Liberation.fr - 18:31)
Martin: pensez-vous que l'élection de Bush aura une incidence sur le vote des Français pour l'adoption de la constitution européenne ? Annick Le Petit: je pense que cela va mobiliser davantage les Français pour voter en faveur d'une Europe forte et unie. C'est le seul moyen de faire face à la politique hégémonique de George Bush.
Matthieuropeen: Certains partisans du non affirment que la constitution européenne serait contraire aux règles françaises de la laïcité, et notamment à la récente loi contre les signes religieux à l'école. Qu'en est-il?
C'est faux. Contrairement aux rumeurs, le traité constitutionnel ne fait aucune référence à l'héritage chrétien. Il suffit de lire l'article 1.52, qui est court et très clair: «L'union respecte et ne préjuge pas du statut dont bénéficie, en vertu du droit national, les églises et les associations ou communautés religieuses dans les Etats membres. L'union respecte également le statut dont bénéficie en vertu du droit national, les organisations philosophiques et non confessionnelles. Reconnaissant leur identité et leur contribution spécifique, l'union maintient un dialogue ouvert, transparent et régulier avec ces églises et organisations.» C'est le seul article qui mentionne les relations entre l'union européenne et les organisations religieuses.
laura: Le PS, ne s'est-il pas fragilisé avec cette histoire de constitution européenne?
Au contraire, je pense que le PS a raison de débattre sur ce sujet important. L'Europe c'est bien souvent, aux yeux des Européens, un empilement de traités successifs, une confusion des lieux de décision, une technostructure, bref tout ce qu'on déteste, les taux d'abstention à chaque élection européenne, notamment la dernière, le montrent bien: l'Europe paraît bien loin des préoccupations concrètes et de la réalité quotidienne. C'est pourquoi, en débattre, surtout lorsqu'il y a un enjeu, c'est une façon d'en parler et de donner envie de se plonger dans des textes a priori rébarbatifs. C'est donc bien que les militants socialistes français en débattent puis votent le premier décembre.
Matthieuropeen: Serait-il possible de savoir ce qui se passera si la majorité des socialistes votent contre le traité constitutionnel européen? L'aile européenne du Parti Socialiste fera-t-elle quand même campagne pour le oui en dehors du Parti, comme le suggère Mme Guigou?
D'abord je ne crois pas à cette hypothèse. Ensuite, si c'était le cas, nous serions totalement isolés au sein du Parti socialiste européen, de plus, nous risquerions de le déstabiliser fortement, puisque nous sommes depuis les dernières élections européennes, les députés socialistes les plus nombreux au sein du groupe des socialistes européens.
reda: Il semble que le positionnement sur la Constitution au sein du PS soit dicté par des ambitions présidentielles?
Je pense que Reda vise ceux qui ont choisi de dire non... Il faudrait directement leur poser la question. Pour moi, ce referendum doit être l'occasion de parler de l'Europe et de montrer que voter pour le traité constitutionnel n'est pas contradictoire avec la volonté d'une Europe plus sociale.
reda: Y a-t-il dans ce débat, une fracture entre jeunes et anciens du PS?
C'est une bonne question. Cela aurait pu être le cas, mais ce ne l'est pas. A ma grande surprise, la majorité du mouvement des jeunes socialistes se prononce pour le non, parce que cette majorité appartient au mouvement d'Arnaud Montebourg, le NPS. Pour ma part, je suis convaincu qu'une bonne partie d'entre eux voteront oui dans l'isoloir.
Matthieuropeen: B. Hamon affirme que la constitution européenne constitutionnalise la «directive service» et que cela permet à une société polonaise de faire travailler sur le sol français des salariés aux conditions de travail polonaises (bas salaires, temps de travail, peu de charges, mauvaise couverture sociale etc...). Est-ce vrai?
Ce n'est pas ce traité constitutionnel qui le permet. Le code du travail français s'applique de la même manière pour les entreprises qui travaillent en France. Si le code du travail en France doit changer, ce sera de la responsabilité du gouvernement Raffarin.
slytheglide: Ne pensez-vous que la Constitution européenne devrait présenter une alternative crédible au modèle de plus en plus libéral américain plutôt qu'une pale copie de celui-ci avec tous les inconvénients mais sans les avantages?
Je considère que le traité constitutionnel n'est pas une pale copie du modèle américain. En effet, l'Union européenne doit être une alternative et une force face au gouvernement Bush et à ce qu'il veut imposer. Pour revenir au traité constitutionnel, les articles, notamment dans la partie une, portent sur le développement durable et ne seraient certainement pas approuvés par l'administration Bush.
Martin: Le PS peut-il survivre a une crise aussi importante que celle rencontrée aujourd'hui et comment ?
Je l'espère! Au moment où nous allons, en 2005, célébrer les cent ans du Parti socialiste, nous pouvons constater qu'il a connu des crises bien plus graves et qu'il s'en est remis. La politique, c'est aussi être capable de prendre des risques et d'aller au bout de ses idées.
must75: Ne craignez-vous pas que, dans l'esprit des Français, dire oui à l'Europe soit synonyme de dire oui à la Turquie ?
Certains voudraient créer cette confusion. Ce n'est pas par hasard si l'UMP, pendant la campagne des élections européennes puis à nouveau au moment de la signature par les 25 chefs de gouvernement du traité constitutionnel a agité l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne comme si elle devait se faire tout de suite. L'adhésion ou pas de la Turquie sera d'actualité dans dix ou quinze ans. Quel sera à ce moment là l'état de l'Union européenne ou l'état de la Turquie? Nous ne le savons pas, mais j'espère que l'Europe sera suffisamment forte pour être capable de faire adhérer la Turquie.
Martin: oui ou non à la Turquie pour vous ?
Aujourd'hui, l'Europe n'a pas les capacités de financer l'adhésion d'un pays comme la Turquie. J'espère qu'elle en aura la capacité dans 10 ou 15 ans. De la même manière, la Turquie aujourd'hui ne remplit pas tous les critères pour entrer dans l'Union européenne, j'espère qu'elle les remplira dans 10 ou 15 ans. En attendant, l'actualité montre que l'exigence européenne peut faire bouger un pays qui souhaite y adhérer, la preuve: sous la pression de l'Union européenne, le gouvernement turc a reculé, en renonçant à une loi sur l'adultère qui condamnait les femmes. Une loi bien sûr contraire aux valeurs de l'Union européenne. Ces valeurs sont désormais inscrites dans le traité constitutionnel.
Martin: le débat sur la constitution est-il bien mené par le gouvernement?
Non. Jacques Chirac n'a pas non plus bien mené le combat de la France pour une meilleure harmonisation fiscale en Europe et pour une Europe plus sociale. Le parti socialiste le lui avait demandé, François Hollande avait été reçu par le chef de l'Etat comme les autres chefs des partis politiques pour lui dire ce que les socialistes souhaitaient voir inscrit dans le traité constitutionnel. Le chef de l'Etat n'en a malheureusement pas tenu compte.