Traité constitutionnel européen: Interrogations, série 2

 D e mon point de vue, la gauche et la droite ne sont pas des notions politiques valides, et si l'on doit diviser les positions de manière binaire, il vaut mieux parler de réalisme et d'irréalisme; tendanciellement, les partis classés «à droite» sont irréalistes, sans pour autant que ceux classés «à gauche» soient toujours réalistes. Voici comment je vois les choses: à un certain moment de l'histoire de France, l'opposition entre «réalistes» et «irréalistes» fut déterminée avec les termes «la droite», appliquée aux irréalistes, et «la gauche», appliquée aux réalistes; dans un état antérieur, l'opposition s'établit sur les termes «monarchistes» et «républicains», mais le temps passant, ça perdit de sa pertinence, des groupes divers, plus ou moins réalistes ou irréalistes, apparurent; une bonne part de l'idéologie réaliste du début du XIX° siècle devint, par les évolutions sociales, irréaliste, bref, on ne s'y retrouvait pas, d'où l'apparition de ce nouveau déterminant. Aujourd'hui — plutôt, depuis environ trois décennies — on est dans la même situation: les étiquettes ne certifient plus la teneur de l'idéologie qu'elles recouvrent. Résultat: entendant, à propos des consignes de vote pour le référendum à question unique et choix binaire prévu le 29 mai 2005, qu'il y a un “oui” de droite et un “oui” de gauche, un “non” de droite et un “non” de gauche, je doute. Alors, je me forme mon opinion de trois manières: pratiquement, j'étudie le document qu'on me demande d'accepter ou de refuser; politiquement, j'essaie d'évaluer si ce texte contribuera à un intégration plus forte de l'Union européenne ou “non”; enfin, socialement, et presque sociologiquement, j'évalue les arguments des tenants de telle ou telle position, et tente de déterminer leur niveau de réalisme.

Pour l'aspect pratique, il y a le texte «TCE #1»; pour celui politique, il est un peu tôt pour que je me détermine, on verra bien ce qui se sera dit et fait d'ici aujourd'hui (le 1° avril 2005) au 29 mai. Reste l'aspect social, déjà discernable. De ce point de vue, si je vois plusieurs “non” réalistes — et tout autant de “non” irréalistes — mais aucun “oui” réaliste. Comment fais-je cette détermination ? C'est simple: les réalistes étaient leurs affirmations avec le contenu du texte, à la manière dont je le fais dans «TCE #1» et ne justifient pas leurs convictions en contraste («voter oui c'est […]»); certes il constatent ou énoncent le caractère ceci ou cela (en général «libéral» ou «fédéraliste») du texte, mais ce n'est pas strictement en contraste, ce serait plutôt une manière de préciser leur position propre à partir de laquelle ils émettent leur critique; les irréalistes imputent au TCE telle ou telle implication («en votant [ceci] il arrivera [cela]») sans spécifier quelle partie précise du texte justifie leur affirmation; ceci bien sûr vaut autant pour les tenants du “non” que ceux du “oui”, par exemple, quand de Villiers affirme que dire oui au texte c'est ouvrir la porte à la Turquie, il s'agit de vaine affirmation, l'entrée de ce pays dans l'UE peut se faire avec ou sans le texte. L'autre tendance des irréalistes est le prophétisme catastrophiste, en gros: si vous votez [ceci] la Terre arrêtera de tourner sur son axe. Factuellement, qu'on vote pour le oui ou pour le non ne changera pas grand chose, comme le remarquent les personnes les plus raisonnables, cela quel que soit leur choix, l'application de ce traité aurait lieu au plus tôt en 2009, donc un refus — mais aussi, une acceptation — est correctible dans les quatre ans à venir.

Les irréalistes ont ceci en commun qu'ils étaient leur conviction non sur la lettre du texte (les centaines d'articles qui le composent) mais sur «l'esprit», en ce cas, le fait qu'on nomme ça «traité constitutionnel». Factuellement, c'est un traité comme un autre, la première partie a d'assez loin un aspect vaguement constitutionnel en le fait qu'elle s'intéresse pour l'essentiel à l'organisation des pouvoirs, mais c'est tellement flou que ça laisse place à bien des incertitudes sur les procédures effectives; le reste n'a pas grand intérêt d'un point de vue «constitutionnel». Comme le disent les opposants les plus raisonnables, ça ne fait guère plus que renforcer l'orientation générale des politiques actuelles de l'UE, en renforçant un peu leur tendance déjà lourdement «libérale» (plus justement, capitaliste). si vous comptez vous rendre à l'un des nombreux meetings que les partisans du oui vont organiser dans les semaines à venir, faites ceci: chaque fois qu'un orateur fera une affirmation péremptoire sur ce que permet le traité, demandez-lui quels articles étaient son affirmation. Faites-en autant avec ceux du non, d'ailleurs. Cela ne vous permettra peut-être pas de prendre votre décision, mais du moins vous saurez alors si votre interlocuteur appuie ses convictions sur les faits ou sur des préjugés sans rapport avec le texte qu'il défend ou réfute, bref, s'il est honnête ou non. Pour ce qui me concerne, je n'ai pas de conseils à vous donner, et je déciderai de ce que je fais un certain 29 mai 2005. La seule chose dont je sois sûr est que j'irai voter, ne serait-ce que pour voter blanc.