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Le Complot Juif International expliqué
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E n tout temps et tout lieu on trouve, dans les
sociétés grégaires hiérarchisées, des «dominants» et des «dominés». C'est intrinsèque et
nécessaire : le fait hiérarchique implique et requiert une telle répartition. Mais il
y a deux mode de répartitions qu'on peut définir, hors qualification d'une structure
d'État, comme «démocratiques» et «non démocratiques». Dans les modes démocratiques la
position dans la hiérarchie est une fonction que tout membre de la société apte à la
remplir peut assumer ; dans les autres, la position des individus est prédéterminée
et, une fois acquise, ne peut être modifiée ou ne le peut guère. Il y a mille manières de
réaliser une société démocratique ou non démocratique, par contre il n'y a qu'une manière
de différencier les deux modes, cette question de position. C'est la raison même pour
laquelle j'explique, dans divers textes, que l'organisation d'une société n'est pas un
indicateur fiable pour déterminer si elle est ou non une démocratie : dans un état
donné d'une société humaine une certaine forme est bien la réalisation d'une organisation
démocratique, toute société évolue et, évoluant, la forme élaborée à un tel moment en tant
que forme démocratique, restant en l'état, deviendra non démocratique. Ça se relie à une
autre question que j'explore beaucoup, celle de l'information.
Une société s'organise en groupes, eux-mêmes organisés en sous-groupes, la moindre
répartition étant de trois groupes, «clercs», «gens d'arme» et reste de la population.
Une société n'est démocratique que si la majorité des individus peut indifféremment
appartenir à chaque groupe et à l'intérieur de ceux-ci, à chaque sous-groupe, et pour
qu'une société le soit effectivement il faut à la fois qu'une part significative de ses
membres accède au cours de la vie à au moins deux groupes et qu'à moyen terme ceux qui y
participent soient en part significative autres que ceux qui y participaient dans la
période précédente équivalente ou que, durant cette période, une part significative de
ses membres participe d'au moins deux groupes. Dès lors que cela n'a pas lieu on n'a pas
affaire à une société réellement démocratique. Si ma description, dont j'espère qu'on
excusera la complexité, est juste, et je crois qu'elle l'est, les partisans de la
démocratie décrivant chacun à sa manière la chose selon ce modèle général, on peut
considérer que les sociétés qu'on nous vend actuellement comme des démocraties n'en sont
pas, ou tendent à ne plus l'être si elles le furent.
Ce qui précède ressort globalement de l'évidence, on ne peut dire que je révèle la
moindre chose nouvelle. Mais c'est une chose que je fais assez souvent : j'énonce, en
prolégomènes, des évidences puis, en cours de texte, il m'arrive d'introduire des choses
qui ne sont pas des lieux communs, par exemple qu'il y a un Complot Juif International. Je
sais, s'il y a une chose parmi les plus évidentes, c'est que cet énoncé n'est pas neuf.
Par contre, ma manière d'aborder la question est, je crois, assez particulière. Non pas
unique, je ne suis pas naïf au point de croire que je suis le seul à penser ce que je
pense, mais du moins elle est le fait d'un nombre limité de personnes.
Qu'est-ce à dire, «le Complot Juif International» ? Il en va pour «les juifs»
comme pour tout autre groupe idéologique : ils défendent un modèle social qui n'a
qu'une pertinence limitée, valable seulement en un certain temps et un certain lieu ;
passés ce temps et ce lieu, vouloir le maintenir crée de la tension, les gens vont se
diviser entre tenants de ce modèle et tenants d'un modèle plus efficient, ça ne durera
qu'un temps, les tenants du modèle plus efficient finiront par s'imposer après quelques
années, décennies ou siècles, «les juifs» ne seront plus qu'un reliquat de ringards
réactionnaires, et voilà la fin des choses. Sauf que non, ne voilà pas la fin des choses,
parce qu'à un instant donné tous les modèles sociaux inventés ou adoptés par une société
sont présents et actifs. Une société obéit aux mêmes règles que tout autre élément de
l'évolution, et se construit par accumulation.
Considérez une entité comme un humain, les éléments qui le constituent sont ceux
réalisés il y a plus de quatre milliards d'années dans le si fameux «bouillon originel» :
aussi loin que l'on remonte dans le temps, les molécules du vivant sont remarquablement
constantes dans leur constitution, la seule chose qui «évolue» est leur niveau de
polymérisation, par exemple, les molécules d'ADN sont plus longues mais nullement plus
complexes chez un mammifère que dans la bactérie la plus archaïque. L'on peut continuer
ainsi : les cellules de notre humain sont semblables à n'importe quelle cellule de
n'importe quel être ; l'organisation de ces cellules varie assez peu d'un insecte à un
humain ; la structure des vertébrés est remarquablement similaire des cordés jusqu'aux
mammifères ; rien de plus semblable à la composition organique et squelettique d'un
mammifère que celle d'un autre mammifère ; et in fine, pour le phylum qui
nous concerne, il n'est guère évident de différencier un humain de n'importe quel autre
primate simien, et les interminables querelles sur «le premier ancêtre» le montrent à
suffisance.
Pour les sociétés, il en va de même : chaque structure antérieure constitue celle
ultérieure et l'imbrication successive de chaque structure construit le «corps social».
Dans cette optique, on peut considérer que la «famille» est la forme élémentaire de la
société, que le «clan» ou «famille de familles» en est le deuxième niveau, la «tribu» ou
coalition de clans le niveau suivant, etc. Incidemment, il en est aussi de même par le
fait que l'apparition d'une forme nouvelle de société n'induit pas la disparition des
antécédentes : s'il y a une succession des formes, la bactérie d'il y a 3,5 milliards
d'années n'a pas pour cela été «remplacée» et coexiste avec les formes actuelles les plus
complexes. De même, en ce début de XXI° siècle, coexistent toutes les formes de sociétés,
depuis le clan jusqu'à la fédération intercontinentale. La question étant, pour les
sociétés, de déterminer comment on passe d'un niveau au suivant. Ma réponse est : par
l'extension des capacités de communication. Et ma réponse seconde, par l'invention
successive d'un «ancêtre fondateur» légendaire ou mythique.
Ne pas considérer les deux derniers termes comme équivalents : l'ancêtre légendaire est
supposément un être réel, humain ou héros, dont les membres de la société sont réputés
descendre ; l'ancêtre mythique, c'est le démiurge, «l'artisan de l'univers», il n'enfante
pas mais crée l'humanité. Souvent les deux conceptions coexistent, mais en général l'une
ou l'autre domine, et enfin il arrive qu'elles s'entremêlent. On peut considérer que les
mythes tendent à créer de la fluidité et de la mobilité sociale tandis que les légendes
tendent à créer de la rigidité et de la contrainte sociale. Le principe est le suivant :
si «l'ancêtre fondateur» est un être assumé comme non relié généalogiquement au groupe
concerné et créateur d'un «modèle humain universel et intangible», tous les membres du
groupe sont rattachés au même rang à cet ancêtre et tous se valent ; dès lors qu'il est un
géniteur initial, il y a une hiérarchie générationnelle qui se crée, les membres «les
plus proches de l'ancêtre» étant factuellement ceux ayant «le plus d'humanité». Cela est
bel et bon, mais comme dit, le plus souvent les deux fictions coexistent. On peut dire
que l'ancêtre légendaire correspond au parent biologique, tandis que l'ancêtre mythique
est le parent social : l'un donne «la substance», l'autre «l'essence», l'un «le corps»,
l'autre «l'esprit», ou encore, l'un est «l'inné», l'autre «l'acquis» ; bref, l'ancêtre
légendaire est «du côté de la nature», l'ancêtre mythique «du côté de la culture» ; tout
être participant à la fois de la nature et de la culture, il est donc logique que les
deux fictions de l'origine coexistent. L'aspect de la société dépendra de celle qui
domine, ou des deux si aucun ne domine, mais le plus souvent on a affaire à des sociétés
«matérialistes» (vers la légende) ou «idéalistes» (vers le mythe).
Cela correspond bien sûr aux sociétés «évolutives», et toutes ne le sont pas ou du
moins, ne l'étaient pas ; depuis un demi siècle environ c'est de moins en moins
vrai, et la quasi-totalité de l'humanité vit désormais dans le cadre d'une société
évolutive. On connaît l'histoire : au cours des sept à neuf derniers millénaires
se développa en divers endroits — pour ce que j'en peux savoir, quatre à six zones —,
des types de sociétés désignables comme «empires», ayant en commun de restituer au niveau
du corps social une organisation du même type que celui des espèces les plus évoluées, en
l'occurence, les vertébrés terrestres. Cela n'eut pas lieu partout, des ensembles assez
vastes comme l'Amérique du Nord, l'Océanie, l'Asie des steppes ou l'Afrique australe, ont
conservé longtemps — selon les cas, jusqu'au XVIII° ou au XIX° siècles, voire jusqu'au XX°
siècle — des modes d'organisation «non impériaux» — même si certains peuples de ces zones,
comme les Turco-Mongols, surent très bien prendre en main des empires existants, mais sans
appliquer le modèle à leur zone d'expansion initiale. On peut donc dire qu'il y a deux
sortes d'empires, ceux qui veulent «changer les esprits» et ceux qui veulent «changer les
corps», ceux qui cherchent l'adhésion de leurs membres à un ensemble de règles morales
sansconsidérer la manière dont ils s'organisent localement, et ceux qui au contraire
veulent tirer parti des capacités de travail de leurs membres sans vraiment s'intéresser à
leur adhésion aux dogmes. L'un ou l'autre cas n'est pas tenable indéfiniment : on se
met en société à la fois pour œuvrer et pour communier ensemble, et non pour l'un ou
l'autre. Ce qui explique pourquoi, au bout d'un moment, un modèle social est destiné à
l'obsolescence et doit laisser la place à un autre.
Mais donc, ça ne se passe pas vraiment ainsi, un modèle ne remplace pas le précédent,
il s'y superpose. Cependant, il y a un «petit» problème : les tenants d'un modèle
antérieur tendent à ne pas accepter leur rôle subalterne dans le nouvel ordre des choses.
Et ça peut durer très longtemps : beaucoup de tensions actuelles s'appuient sur des
revendications basées sur un état des choses disparu depuis plus de cinq siècles, voire un
à deux millénaires. Certaines tensions ont une cause mythique ou/et légendaire dont les
strates les plus anciennes remontent à l'âge du bronze ou plus — voir par exemple le cas
de la zone entre Égypte, Turquie et Irak. Les complots naissent de cela.
Pour y revenir, qu'est le Complot Juif International ? Le nom donné depuis en
gros le milieu du XIX° siècle à l'un des complots en cours. Tiens, vous savez qui est
Melchisedek ou Melchisedech ou autres variantes ? Selon vos centres d'intérêt ce
sera oui ou non. C'est un des nombreux personnages épisodiques qui parsèment la Bible ; on
en parle dans trois versets de la Genèse :
«14.18 — Melchisédek, roi de Salem, fit apporter du pain et du vin :
il était sacrificateur du Dieu Très Haut.
14.19 — Il bénit Abram, et dit : Béni soit Abram par le Dieu Très Haut, maître du
ciel et de la terre !
14.20 — Béni soit le Dieu Très Haut, qui a livré tes ennemis entre tes
mains ! Et Abram lui donna la dîme de tout».
Ne serait-ce biblique, je taxerais cela de sibyllin. Or ces trois versets eurent une
grande influence sur les cultures dérivées de la Torah via le christianisme :
certains messianismes anciens, puis la Matière de Bretagne, puis une certaine
franc-maçonnerie, puis les rosicruciens, puis une partie des doctrines ésotériques et
d'autres que j'oublie, tirent de ce passage l'idée que dès l'époque abrahamique la venue
du Christ fut annoncée. Eh ! Le pain et le vin, le roi de Salem (le «roi de Paix»),
le prêtre-roi et autres exégèses et gloses, désolé, je ne suis guère compétent sur cela :
lire entre les lignes n'est pas mon fort. Sans vouloir dire de bêtises, c'est je crois de
ce passage que les rosicruciens bâtirent tout leur délire sur l'éternité des corps : pour
eux, me semble-t-il, Jésus est Melkisedek (et non pas “était” : selon eux, comme
selon les gnostiques, le Christ n'est pas mort en croix et vit toujours parmi nous). Au
passage, une certaine interprétation de l'histoire des trois religions bibliques peut
donner à penser que l'islamisme est une résurgence tardive de la philosophie gnostique
mâtinée de platonisme et de judaïsme ancien, avec quelques apports nouveaux propres à
cette religion. De même, la base idéologique du christianisme à l'origine de la doctrine
catholique romaine semble devoir beaucoup à la gnose.
Les complots sont le fait de personnes bloquées sur un certain état de la société où
le groupe mythique ou légendaire auquel ils se relient tenait le haut du pavé dans un
certain territoire. Dans l'espace européen d'obédience chrétienne — lequel se déploie
actuellement sur la plus grande partie du monde, la seule partie n'étant pas sous
l'influence directe d'une nation de culture euro-chrétienne est l'Asie la plus orientale
(en gros, la zone continentale allant de l'Iran à la Chine en passant par l'Inde, avec un
statut indéterminé pour l'Afghanistan et le Pakistan, et qui inclut aussi le Japon et,
plus ou moins, la Corée) — le groupe qui se relie au plus ancien mythe est «les juifs» ;
c'est aussi lui qui se relie à la plus ancienne légende, celle de la descendance d'Adam.
Factuellement c'est faux, il y a des antécédents, notamment en Mésopotamie et en Égypte,
mais dans le cadre «judéo-chrétien» les mythes et légendes moyen-orientaux plus anciens
que ceux de la Torah n'ont plus d'influence consciente. Et cette antériorité légendaire
pose problème et explique la persistance du fantasme du «complot juif» : le plus ancien
dans la généalogie est aussi le plus menaçant, car il dispose du «droit d'aînesse», et
les «cadets» craignent de le voir réclamer un jour ou l'autre son droit.
Il y a depuis longtemps trois positions relativement aux premiers récits placés en tête
de la Bible : les «spiritualistes», les «matérialistes» et les gens comme moi, qui disent
qu'il y en a à prendre et à laisser, et se fichent de l'historicité ou de l'anhistoricité
de ces récits[1]. Spiritualistes et
matérialistes se divisent chacuns en deux groupes, les «pour» et les «contre» ; les
spiritualistes pour considèrent que la spiritualité biblique est à prendre en bloc, ceux
contre, la refusent en bloc ; chez les matérialistes pour, chaque découverte qui valide
tel passage confirme la validité historique de l'ensemble ; chez ceux contre, chaque
découverte qui invalide tel passage invalide l'ensemble. Les gens raisonnables ont une
autre manière de voir les choses : il se peut que telles parties soirnt historiquement
exactes, que telles ne le soient pas, mais ça importe peu : quand on raconte l'histoire
d'un peuple, on n'en raconte jamais qu'une partie, celle qu'on juge exemplaire, et pour
les parties non historiques, en tant que modèles de comportement elles ont une valeur
historique, celle que comme exemple elles eurent dans leur contexte d'énonciation. Enfin,
même si on peut admettre la validité globale de l'œuvre, il faut cependant tenir compte
de ce que les temps changent, et certains exemples valables pour un certain contexte ne
le sont plus dans un autre. Ce qui amène au passage où Esaü vend son droit d'aînesse.
Les chapitre 25 à 27 de la Genèse sont une sorte de modélisation de ce qui arrive dans
une société évolutive quand on passe d'un certaint état à un autre état. Voici :
Chapitre : 25. La mort d'Abraham : ses descendants
25.1 — Abraham prit encore une femme, nommée Ketura.
25.2 — Elle lui enfanta Zimran, Jokschan, Medan, Madian, Jischbak et
Schuach.
25.3 — Jokschan engendra Séba et Dedan. Les fils de Dedan furent les
Aschurim, les Letuschim et les Leummim.
Verset : 25.4 — Les fils de Madian furent Epha, Epher, Hénoc, Abida et Eldaa.
- Ce sont là tous les fils de Ketura.
25.5 — Abraham donna tous ses biens à Isaac.
25.6 — Il fit des dons aux fils de ses concubines ; et, tandis qu'il vivait
encore, il les envoya loin de son fils Isaac du côté de l'orient, dans le pays d'Orient.
25.7 — Voici les jours des années de la vie d'Abraham : il vécut cent soixante
quinze ans.
25.8 — Abraham expira et mourut, après une heureuse vieillesse, âgé et rassasié
de jours, et il fut recueilli auprès de son peuple.
25.9 — Isaac et Ismaël, ses fils, l'enterrèrent dans la caverne de Macpéla, dans
le champ d'Ephron, fils de Tsochar, le Héthien, vis-à- vis de Mamré.
25.10 — C'est le champ qu'Abraham avait acquis des fils de Heth. Là furent
enterrés Abraham et Sara, sa femme.
25.11 — Après la mort d'Abraham, Dieu bénit Isaac, son fils. Il habitait près du
puits de Lachaï roï.
25.12 — Voici la postérité d'Ismaël, fils d'Abraham, qu'Agar, l'Egyptienne,
servante de Sara, avait enfanté à Abraham.
25.13 — Voici les noms des fils d'Ismaël, par leurs noms, selon leurs
générations : Nebajoth, premier-né d'Ismaël, Kédar, Adbeel, Mibsam,
25.14 — Mischma, Duma, Massa,
25.15 — Hadad, Théma, Jethur, Naphisch et Kedma.
25.16 — Ce sont là les fils d'Ismaël ; ce sont là leurs noms, selon leurs parcs
et leurs enclos. Ils furent les douze chefs de leurs peuples.
25.17 — Et voici les années de la vie d'Ismaël : cent trente-sept ans. Il expira
et mourut, et il fut recueilli auprès de son peuple.
25.18 — Ses fils habitèrent depuis Havila jusqu'à Schur, qui est en face de
l'Egypte, en allant vers l'Assyrie. Il s'établit en présence de tous ses frères.
25.19 — Voici la postérité d'Isaac, fils d'Abraham.
25.20 — Abraham engendra Isaac. Isaac était âgé de quarante ans, quand il prit
pour femme Rebecca, fille de Bethuel, l'Araméen, de Paddan Aram, et soeur de Laban,
l'Araméen. 25.21 — Isaac implora l'Eternel pour sa femme, car elle était
stérile, et l'Eternel l'exauça : Rebecca, sa femme, devint enceinte.
25.22 — Les enfants se heurtaient dans son sein ; et elle dit : S'il en est ainsi,
pourquoi suis-je enceinte ? Elle alla consulter l'Eternel.
25.23 — Et l'Eternel lui dit : Deux nations sont dans ton ventre, et deux
peuples se sépareront au sortir de tes entrailles ; un de ces peuples sera plus fort que
l'autre, et le plus grand sera assujetti au plus petit.
25.24 — Les jours où elle devait accoucher s'accomplirent ; et voici, il y avait
deux jumeaux dans son ventre.
25.25 — Le premier sortit entièrement roux, comme un manteau de poil ; et on lui
donna le nom d'Esaü.
25.26 — Ensuite sortit son frère, dont la main tenait le talon d'Esaü ; et on lui
donna le nom de Jacob. Isaac était âgé de soixante ans, lorsqu'ils naquirent.
25.27 — Ces enfants grandirent. Esaü devint un habile chasseur, un homme des
champs ; mais Jacob fut un homme tranquille, qui restait sous les tentes.
25.28 — Isaac aimait Esaü, parce qu'il mangeait du gibier ; et Rebecca aimait Jacob.
25.29 —
Comme Jacob faisait cuire un potage, Esaü revint des champs, accablé de fatigue.
25.30 — Et Esaü dit à Jacob : Laisse-moi, je te prie, manger de ce roux, de ce
roux-là, car je suis fatigué. C'est pour cela qu'on a donné à Esaü le nom d'Edom.
25.31 — Jacob dit : Vends-moi aujourd'hui ton droit d'aînesse.
25.32 — Esaü répondit : Voici, je m'en vais mourir ; à quoi me sert ce droit
d'aînesse? 25.33 —
Et Jacob dit : Jure-le moi d'abord. Il le lui jura, et il vendit son droit d'aînesse à
Jacob. 25.34 —
Alors Jacob donna à Esaü du pain et du potage de lentilles. Il mangea et but, puis se
leva et s'en alla. C'est ainsi qu'Esaü méprisa le droit d'aînesse.
Chapitre : 26. Isaac chez Abimélek
26.1 — Il y eut une famine dans le pays, outre la première famine qui eut lieu
du temps d'Abraham ; et Isaac alla vers Abimélec, roi des Philistins, à Guérar.
26.2 — L'Eternel lui apparut, et dit : Ne descends pas en Egypte, demeure dans
le pays que je te dirai.
26.3 — Séjourne dans ce pays-ci : je serai avec toi, et je te bénirai, car je
donnerai toutes ces contrées à toi et à ta postérité, et je tiendrai le serment que j'ai
fait à Abraham, ton père.
26.4 — Je multiplierai ta postérité comme les étoiles du ciel ; je donnerai à
ta postérité toutes ces contrées ; et toutes les nations de la terre seront bénies en ta
postérité, 26.5 —
parce qu'Abraham a obéi à ma voix, et qu'il a observé mes ordres, mes commandements, mes
statuts et mes lois.
26.6 — Et Isaac resta à Guérar.
26.7 — Lorsque les gens du lieu faisaient des questions sur sa femme, il
disait : C'est ma soeur ; car il craignait, en disant ma femme, que les gens du
lieu ne le tuassent, parce que Rebecca était belle de figure.
26.8 — Comme son séjour se prolongeait, il arriva qu'Abimélec, roi des
Philistins, regardant par la fenêtre, vit Isaac qui plaisantait avec Rebecca, sa femme.
26.9 — Abimélec fit appeler Isaac, et dit : Certainement, c'est ta femme.
Comment as-tu pu dire : C'est ma soeur ? Isaac lui répondit : J'ai parlé ainsi, de
peur de mourir à cause d'elle.
26.10 — Et Abimélec dit : Qu'est-ce que tu nous as fait ? Peu s'en est
fallu que quelqu'un du peuple n'ait couché avec ta femme, et tu nous aurais rendus
coupables. 26.11 —
Alors Abimélec fit cette ordonnance pour tout le peuple : Celui qui touchera à cet homme
ou à sa femme sera mis à mort.
26.12 — Isaac sema dans ce pays, et il recueillit cette année le centuple ; car
l'Eternel le bénit.
26.13 — Cet homme devint riche, et il alla s'enrichissant de plus en plus,
jusqu'à ce qu'il devint fort riche.
26.14 — Il avait des troupeaux de menu bétail et des troupeaux de gros
bétail, et un grand nombre de serviteurs : aussi les Philistins lui portèrent envie.
26.15 — Tous les puits qu'avaient creusés les serviteurs de son père, du
temps d'Abraham, son père, les Philistins les comblèrent et les remplirent de poussière.
26.16 — Et Abimélec dit à Isaac : Va-t-en de chez nous, car tu es beaucoup plus
puissant que nous.
26.17 — Isaac partit de là, et campa dans la vallée de Guérar, où il s'établit.
26.18 — Isaac creusa de nouveau les puits d'eau qu'on avait creusés du temps
d'Abraham, son père, et qu'avaient comblés les Philistins après la mort d'Abraham ; et il
leur donna les mêmes noms que son père leur avait donnés.
26.19 — Les serviteurs d'Isaac creusèrent encore dans la vallée, et y
trouvèrent un puits d'eau vive.
26.20 — Les bergers de Guérar querellèrent les bergers d'Isaac, en disant : L'eau
est à nous. Et il donna au puits le nom d'Esek, parce qu'ils s'étaient disputés avec lui.
26.21 — Ses serviteurs creusèrent un autre puits, au sujet duquel on chercha
aussi une querelle ; et il l'appela Sitna.
26.22 — Il se transporta de là, et creusa un autre puits, pour lequel on ne
chercha pas querelle ; et il l'appela Rehoboth, car, dit-il, l'Eternel nous a maintenant
mis au large, et nous prospérerons dans le pays.
26.23 — Il remonta de là à Beer Schéba.
26.24 — L'Eternel lui apparut dans la nuit, et dit : Je suis le Dieu d'Abraham,
ton père ; ne crains point, car je suis avec toi ; je te bénirai, et je multiplierai ta
postérité, à cause d'Abraham, mon serviteur.
26.25 — Il bâtit là un autel, invoqua le nom de l'Eternel, et y dressa sa
tente. Et les serviteurs d'Isaac y creusèrent un puits.
26.26 — Abimélec vint de Guérar auprès de lui, avec Ahuzath, son ami, et
Picol, chef de son armée. 26.27 —
Isaac leur dit : Pourquoi venez-vous vers moi, puisque vous me haïssez et que vous
m'avez renvoyé de chez vous ?
26.28 — Ils répondirent : Nous voyons que l'Eternel est avec toi. C'est
pourquoi nous disons : Qu'il y ait un serment entre nous, entre nous et toi, et que
nous fassions alliance avec toi !
26.29 — Jure que tu ne nous feras aucun mal, de même que nous ne t'avons point
maltraité, que nous t'avons fait seulement du bien, et que nous t'avons laissé partir en
paix. Tu es maintenant béni de l'Eternel.
26.30 — Isaac leur fit un festin, et ils mangèrent et burent.
26.31 — Ils se levèrent de bon matin, et se lièrent l'un à l'autre par un
serment. Isaac les laissa partir, et ils le quittèrent en paix.
26.32 — Ce même jour, des serviteurs d'Isaac vinrent lui parler du puits
qu'ils creusaient, et lui dirent : Nous avons trouvé de l'eau.
26.33 — Et il l'appela Schiba. C'est pourquoi on a donné à la ville le nom de
Beer Schéba, jusqu'à ce jour.
26.34 — Esaü, âgé de quarante ans, prit pour femmes Judith, fille de Beéri, le
Héthien, et Basmath, fille d'Elon, le Héthien.
26.35 — Elles furent un sujet d'amertume pour le coeur d'Isaac et de Rebecca.
Chapitre : 27. Esaü supplanté
27.1 — Isaac devenait vieux, et ses yeux s'étaient affaiblis au point qu'il
ne voyait plus. Alors il appela Esaü, son fils aîné, et lui dit : Mon fils ! Et il
lui répondit : Me voici !
27.2 — Isaac dit : Voici donc, je suis vieux, je ne connais pas le jour de ma mort.
27.3 — Maintenant donc, je te prie, prends tes armes, ton carquois et ton arc,
va dans les champs, et chasse-moi du gibier.
27.4 — Fais-moi un mets comme j'aime, et apporte-le-moi à manger, afin que mon
âme te bénisse avant que je meure.
27.5 — Rebecca écouta ce qu'Isaac disait à Esaü, son fils. Et Esaü s'en alla
dans les champs, pour chasser du gibier et pour le rapporter.
27.6 — Puis Rebecca dit à Jacob, son fils : Voici, j'ai entendu ton père qui
parlait ainsi à Esaü, ton frère :
27.7 — Apporte-moi du gibier et fais-moi un mets que je mangerai ; et je te
bénirai devant l'Eternel avant ma mort.
27.8 — Maintenant, mon fils, écoute ma voix à l'égard de ce que je te commande.
27.9 — Va me prendre au troupeau deux bons chevreaux ; j'en ferai pour ton père
un mets comme il aime ;
27.10 — et tu le porteras à manger à ton père, afin qu'il te bénisse avant sa
mort. 27.11 —
Jacob répondit à sa mère : Voici, Esaü, mon frère, est velu, et je n'ai point de poil.
27.12 — Peut-être mon père me touchera-t-il, et je passerai à ses yeux pour un
menteur, et je ferai venir sur moi la malédiction, et non la bénédiction.
27.13 — Sa mère lui dit : Que cette malédiction, mon fils, retombe sur
moi ! Ecoute seulement ma voix, et va me les prendre.
27.14 — Jacob alla les prendre, et les apporta à sa mère, qui fit un mets
comme son père aimait.
27.15 — Ensuite, Rebecca prit les vêtements d'Esaü, son fils aîné, les plus
beaux qui se trouvaient à la maison, et elle les fit mettre à Jacob, son fils cadet.
27.16 — Elle couvrit ses mains de la peau des chevreaux, et son cou qui était
sans poil. 27.17 —
Et elle plaça dans la main de Jacob, son fils, le mets et le pain qu'elle avait préparés.
27.18 — Il vint vers son père, et dit : Mon père! Et Isaac dit : Me voici !
qui es-tu, mon fils ?
27.19 — Jacob répondit à son père : Je suis Esaü, ton fils aîné ; j'ai fait ce
que tu m'as dit. Lève-toi, je te prie, assieds-toi, et mange de mon gibier, afin que ton
âme me bénisse. 27.20 —
Isaac dit à son fils : Eh quoi ! tu en as déjà trouvé, mon fils ! Et Jacob
répondit : C'est que l'Eternel, ton Dieu, l'a fait venir devant moi.
27.21 — Isaac dit à Jacob : Approche donc, et que je te touche, mon fils, pour
savoir si tu es mon fils Esaü, ou non.
27.22 — Jacob s'approcha d'Isaac, son père, qui le toucha, et dit : La voix est
la voix de Jacob, mais les mains sont les mains d'Esaü.
27.23 — Il ne le reconnut pas, parce que ses mains étaient velues, comme les
mains d'Esaü, son frère ; et il le bénit.
27.24 — Il dit : C'est toi qui es mon fils Esaü? Et Jacob répondit : C'est moi.
27.25 — Isaac dit : Sers-moi, et que je mange du gibier de mon fils, afin que
mon âme te bénisse. Jacob le servit, et il mangea ; il lui apporta aussi du vin, et il but.
27.26 — Alors Isaac, son père, lui dit : Approche donc, et baise-moi, mon fils.
27.27 — Jacob s'approcha, et le baisa. Isaac sentit l'odeur de ses vêtements ;
puis il le bénit, et dit : Voici, l'odeur de mon fils est comme l'odeur d'un champ que
l'Eternel a béni.
27.28 — Que Dieu te donne de la rosée du ciel Et de la graisse de la terre, Du
blé et du vin en abondance !
27.29 — Que des peuples te soient soumis, Et que des nations se prosternent
devant toi ! Sois le maître de tes frères, Et que les fils de ta mère se prosternent
devant toi ! Maudit soit quiconque te maudira, Et béni soit quiconque te bénira.
27.30 — Isaac avait fini de bénir Jacob, et Jacob avait à peine quitté son
père Isaac, qu'Esaü, son frère, revint de la chasse.
27.31 — Il fit aussi un mets, qu'il porta à son père ; et il dit à son père :
Que mon père se lève et mange du gibier de son fils, afin que ton âme me bénisse !
27.32 — Isaac, son père, lui dit : Qui es-tu ? Et il répondit : Je suis ton
fils aîné, Esaü.
27.33 — Isaac fut saisi d'une grande, d'une violente émotion, et il dit : Qui
est donc celui qui a chassé du gibier, et me l'a apporté ? J'ai mangé de tout avant
que tu vinsses, et je l'ai béni. Aussi sera-t-il béni.
27.34 — Lorsque Esaü entendit les paroles de son père, il poussa de forts
cris, pleins d'amertume, et il dit à son père : Bénis-moi aussi, mon père !
27.35 — Isaac dit : Ton frère est venu avec ruse, et il a enlevé ta bénédiction.
27.36 — Esaü dit : Est-ce parce qu'on l'a appelé du nom de Jacob qu'il m'a
supplanté deux fois ? Il a enlevé mon droit d'aînesse, et voici maintenant qu'il vient
d'enlever ma bénédiction. Et il dit : N'as-tu point réservé de bénédiction pour moi ?
27.37 — Isaac répondit, et dit à Esaü : Voici, je l'ai établi ton maître, et je
lui ai donné tous ses frères pour serviteurs, je l'ai pourvu de blé et de vin : que puis-je
donc faire pour toi, mon fils ?
27.38 — Esaü dit à son père : N'as-tu que cette seule bénédiction, mon
père ? Bénis-moi aussi, mon père ! Et Esaü éleva la voix, et pleura.
27.39 — Isaac, son père, répondit, et lui dit : Voici ! Ta demeure sera
privée de la graisse de la terre Et de la rosée du ciel, d'en haut.
27.40 — Tu vivras de ton épée, Et tu seras asservi à ton frère ; Mais en errant
librement çà et là, Tu briseras son joug de dessus ton cou.
27.41 — Esaü conçut de la haine contre Jacob, à cause de la bénédiction dont
son père l'avait béni ; et Esaü disait en son coeur : Les jours du deuil de mon père vont
approcher, et je tuerai Jacob, mon frère.
27.42 — On rapporta à Rebecca les paroles d'Esaü, son fils aîné. Elle fit
alors appeler Jacob, son fils cadet, et elle lui dit : Voici, Esaü, ton frère, veut tirer
vengeance de toi, en te tuant.
27.43 — Maintenant, mon fils, écoute ma voix ! Lève-toi, fuis chez Laban,
mon frère, à Charan ;
27.44 — et reste auprès de lui quelque temps,
27.45 — jusqu'à ce que la fureur de ton frère s'apaise, jusqu'à ce que la
colère de ton frère se détourne de toi, et qu'il oublie ce que tu lui as fait. Alors je
te ferai revenir. Pourquoi serais-je privée de vous deux en un même jour ?
27.46 — Rebecca dit à Isaac : Je suis dégoûtée de la vie, à cause des filles
de Heth. Si Jacob prend une femme, comme celles-ci, parmi les filles de Heth, parmi les
filles du pays, à quoi me sert la vie ? |
La Bible est un ouvrage intéressant. Lisant la partie de la Genèse qui nous parle de
Jacob-Israël, si l'on doit prendre le récit pour vrai, on ne peut que faire ce constat :
c'était un salaud. Ou un con. Ce qui au final revient au même. Sinon, on peut considérer
cette partie, dans le récit plus large qui conte les tribulations des Hébreux jusqu'à
leur installation comme le moment où l'on passe d'une société à dominante mythique vers
une société à dominante légendaire.
[1] Entendons-nous : je ne me désintéresse pas des
travaux archéologiques qui, dans la zone d'apparition des religions chamito-sémitiques,
apportent chaque année plus son lot d'informations sur la généalogie de la Torah (les
mythes, légendes, croyances et dogmes dont dérivent ses plus anciens textes) et qui
infirment ou confirment telles parties des livres «historiques», bien au contraire je
trouve ça passionnant, comme tout ce qui fait progresser le savoir et la connaissance ;
simplement, tout cela n'a pas d'influence sur ma manière de considérer la fonction
de ce livre en tant que texte fondamental de trois religions tout ce qu'il y a de plus
actuelles – sans compter les multiples sectes qui s'y relient. Ni sur mon point de vue
à propos des religions et croyances en général, et de ces trois là en particulier.
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