![]() | Longues propagandistes, série 4 |
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En extra: Les éditos du Monde |
A ssis dans le salon de sa villa au nord de Tel-Aviv, entouré d'une collection de statuettes japonaises représentant des samouraïs, Leonid Nevzline mène son combat contre Vladimir Poutine. Agé de 45 ans, cet oligarque russe vit depuis août 2003 en Israël, où il s'est réfugié pour fuir la justice russe. Moscou a émis à son encontre un mandat d'arrêt international pour "complicité de meurtre" dans le cadre de l'affaire Ioukos, la compagnie pétrolière russe que le Kremlin a entrepris de démanteler et de transférer à des structures contrôlées par l'Etat.
La Russie "allié stratégique" d'Israël Selon un communiqué du gouvernement israélien, le président Poutine a déclaré, jeudi 28 avril, que la Russie est un "allié stratégique" d'Israël, lors de trois heures d'entretien avec Ariel Sharon. Les deux dirigeants se sont mis d'accord sur la mise en place d'un système de coopération dans la lutte antiterroriste prévoyant un partage d'informations en temps réel sur d'éventuelles menaces. Concernant la vente de missiles sol-air antiaériens Strelets à la Syrie, M. Poutine s'est engagé à ce que ces armes "ne parviennent pas à des organisations terroristes". "Le système que nous allons fournir à la Syrie est à courte portée et ne menace en aucune façon le territoire israélien". a-t-il également précisé. A propos du programme nucléaire iranien, M. Poutine a déclaré: "Nous travaillons avec l'Iran pour l'utilisation de l'atome à des fins pacifiques et nous sommes contre tout programme destiné à doter l'Iran d'une arme atomique." M. Sharon insiste depuis des mois sur la nécessité de transmettre le dossier nucléaire iranien au Conseil de sécurité de l'ONU afin que des sanctions soient imposées à Téhéran. – (AFP.) |
Vêtu d'une chemise déboutonnée et de jeans, l'allure juvénile, Leonid Nevzline n'a pas de mots assez durs pour parler du régime de Vladimir Poutine. Il accuse le Kremlin d'être au coeur du "système de corruption qui sous-tend tout l'Etat russe, jusqu'au plus haut niveau" et d'avoir monté de toutes pièces le procès contre son ancien associé, Mikhaïl Khodorkosvki, l'ancien patron de Ioukos, afin de mettre la main sur sa compagnie.
Leonid Nevzline est devenu, au fil des mois, le chef de file des oligarques russes en exil qui ont juré la perte de Vladimir Poutine. Sa fortune, évaluée en 2003 à 2 milliards de dollars par le magazine Forbes, a subi le contrecoup des poursuites judiciaires et des saisies d'actifs visant Ioukos, mais elle reste conséquente. Leonid Nevzline contrôle aujourd'hui, à lui tout seul, 67% du capital de la holding Menatep, enregistrée à Gibraltar, qui détient plus de 60% de Ioukos.
Dans la quiétude du quartier balnéaire aisé de Hertsélia Pitouach, noyé dans les pins, les lilas et les palmiers, Leonid Nevzline passe le gros de ses journées pendu au téléphone avec Moscou et avec d'autres hommes d'affaires russes, exilés en Israël ou à Londres. Il reçoit régulièrement des émissaires venant de Moscou, dans cette maison à l'ambiance californienne. Les baies vitrées s'ouvrent sur un jardin avec piscine, et le garage abrite une luxueuse décapotable.
Leonid Nevzline multiplie les tribunes dans la presse russe et cherche à fédérer des forces politiques contre le pouvoir de Vladimir Poutine. En Israël, il compte comme soutiens l'ancien dissident Natan Chtcharanski, "un des leaders mondiaux de la pensée politique". selon lui, et Benyamin Nétanyahou. Il a investi dans le secteur pétrochimique israélien et a fondé un institut portant son nom, le Centre de recherches Leonid Nevzline pour les juifs de Russie et d'Europe de l'Est, qui veut venir en aide aux immigrés arrivant en Israël.
A 4 000 km de là, son ancien partenaire, Mikhaïl Khodorkovski, croupit depuis octobre 2003 dans une cellule de la prison Matrosskaïa Tichina de Moscou, en attente du verdict de son procès pour "évasion fiscale à grande échelle". qui doit être prononcé le 16 mai. Mikhaïl Khodorkovski risque dix ans de prison. Les deux hommes, liés par une vieille amitié, s'étaient rencontrés à la fin des années 1980, pendant le "boom" des coopératives d'étudiants autorisé par Gorbatchev, qui avait jeté les fondements du nouveau capitalisme russe. "On a été au coeur de cette révolution des mentalités". dit-il avec fierté.
Les deux partenaires avaient ensemble développé une banque, Menatep, qui allait bénéficier de nombreux transferts de fonds du budget fédéral russe et remporter, en 1995, des enchères contestées pour acquérir la société Ioukos. Ils avaient, au passage, financé la réélection de Boris Eltsine, en 1996. Ioukos s'est ensuite hissé au rang du numéro un du pétrole russe, avec une capitalisation d'environ 40 milliards de dollars. La chute de ces oligarques et le démantèlement de leur empire sont des faits marquants de la présidence de Vladimir Poutine.
Qui Leonid Nevzline tient-il pour responsable de cette disgrâce ? La version la plus couramment mise en avant en Russie met en cause des personnalités issues du KGB, entourant M. Poutine, qui chercheraient à rétablir l'autorité de l'Etat dans le secteur des hydrocarbures afin de renforcer le poids du pays sur la scène mondiale. Leonid Nevzline complète cette explication en évoquant un scénario fait de nouvelles luttes de clans, où le principal gagnant serait non pas l'Etat russe, mais l'un des oligarques les plus mystérieux de Russie, Roman Abramovitch, 38 ans, classé cette année "première fortune du pays" par Forbes, avec 15 milliards de dollars.
En 2003, l'année où les ennuis judiciaires de Ioukos ont commencé, Roman Abramovitch avait tenté de faire fusionner sa société pétrolière, Sibneft, avec Ioukos. Le projet a fait long feu.
"Je sais qu'Abramovitch a été le principal artisan de la campagne contre Ioukos". affirme Leonid Nevzline dans un entretien accordé au Monde, jeudi 28 avril, alors que le président russe effectuait une visite officielle en Israël. "Il voulait mettre la main sur Ioukos. Grâce à ses relations passées avec la "famille Eltsine" et son amitié avec Poutine, dont il est, je pense, un partenaire financier, Roman Abramovitch contrôle les services du procureur général de Russie, avance l'homme d'affaires exilé. J'ai moi-même entendu Roman Abramovitch dire, au début du pouvoir de Poutine, que "tout était arrangé": le secteur du gaz -le géant étatique Gazprom- irait aux gens de Poutine, tandis que lui, Roman, aurait le secteur du pétrole."
Il fut un temps où Leonid Nevzline participait activement à la vie publique en Russie, comme membre du Conseil de la Fédération russe (élu en 2001) et président du Congrès juif. Le portrait qu'il dresse de la Russie de Vladimir Poutine est celui d'un pays où des postes au sein des institutions d'Etat sont mis en vente par le Kremlin "au plus offrant". et où des grosses entreprises donnent des enveloppes d'argent à des "membres du Parlement, des forces de l'ordre, du parquet". pour parvenir à leurs fins. "La société Rosneft, entièrement dirigée par Igor Setchine, qui est un proche de Poutine, a payé pour la campagne contre Khodorkovski au sein des médias et dans les organes judiciaires russes". ajoute-t-il.
Leonid Nevzline estime clairement ne plus avoir grand-chose à perdre en se livrant à de pareilles accusations. La holding Menatep, qu'il contrôle, a cessé toute activité en Russie et a investi dans les hydrocarbures et les télécommunications en Europe centrale. Leonid Nevzline se dit prêt à financer des opposants politiques au régime de M. Poutine en Russie et appelle de ses voeux un "changement de régime". même s'il juge peu probable un scénario semblable à ce qui s'est produit en Ukraine et en Géorgie. Il dit s'appuyer sur un "bon réseaux de contacts" au Etats-Unis.
Devenu en 2003 citoyen israélien, Leonid Nevzline coordonne ses activités avec d'autres oligarques russes en exil. Parmi eux: ses amis actionnaires de Ioukos, Vladimir Doubov et Mikhaïl Broudno, qui vivent à Tel-Aviv; l'ancien magnat de groupe médiatique russe, Vladimir Goussinski, ainsi que Boris Berezovski, qui a obtenu le statut de réfugié politique à Londres, et un proche associé de ce dernier, l'homme d'affaires Badri Patarkatsichvili, réfugié en Géorgie. Tous ces millionnaires recherchés par la justice russe sont d'origine juive, ce qui fait dire à Leonid Nevzline, qui se revendique "sioniste et russophile". que la politique du Kremlin serait animée de forts relents d'antisémitisme. "Poutine n'a pas d'amis en Israël". insiste-t-il.
Natalie Nougayrède
Article paru dans l'édition du 30.04.05
L' introduction a été brève. C'est parce que la Constitution européenne est un "enjeu majeur" que Lionel Jospin a justifié son retour sur un plateau de télévision, trois ans après les avoir quittés au soir du premier tour de l'élection présidentielle, en 2002. "J'ai voulu être avec ceux, notamment socialistes, qui disent qu'il faut voter pour", a expliqué l'ancien premier ministre, invité de "Question ouverte", jeudi 28 avril, sur France 2.
Laurent Fabius vante le non à New York A l'heure où Lionel Jospin parlait sur France 2, Laurent Fabius donnait une conférence, en anglais, à l'université de Columbia, sur "l'avenir de l'Union européenne". Devant 150 personnes et trois équipes de télévision, l'ancien premier ministre a expliqué pendant une heure et demie "les remarquables réalisations de l'Union européenne" et les "profondes réformes aujourd'hui nécessaires pour mettre fin à la déconnection entre le projet européen et les institutions censées l'incarner". Il a regretté "le choix de l'élargissement au détriment de l'approfondissement de l'Union par manque de courage politique". Et redit combien il s'oppose, avant tout, à la partie III de la Constitution européenne "qui ne concerne pas le droit et les rapports de pouvoir, mais les politiques elles-mêmes. Ainsi, on ne pourra plus les changer." Puis, alors qu'on lui demandait son avis sur le retour de Lionel Jospin dans le débat public, M. Fabius a fait mine de renoncer à tout esprit polémique, avant de lâcher: "Plusieurs anciens responsables politiques se sont exprimés récemment, comme Lionel Jospin, Valéry Giscard d'Estaing ou Simone Veil. C'est intéressant... Après, on n'est pas nécessairement de leur avis." |
Tendu mais appliqué, il a commencé par dégager le traité européen des "interférences" politiques intérieures, soulignant, sans s'y attarder, la "colère" et le "mécontentement" des Français face à un "gouvernement désordonné dans sa façon de faire, le lundi de Pentecôte en étant le dernier exemple". "Voter contre le traité, c'est sanctionner la France, c'est sanctionner l'Europe, pas le pouvoir en place, a-t-il tranché. Si nous avons un problème politique à régler en France, (...) ne le réglons pas en prenant l'Europe à témoin..., en otage."
Ecartant d'un mot la directive Bolkestein, "sans rapport" avec la Constitution, ainsi que le "textile chinois", Lionel Jospin a alors dénoncé "l'incompatibilité des non entre eux". "Il y a une certaine logique du non antieuropéen à l'extrême droite et à l'extrême gauche, a-t-il exposé, mais il n'y a pas de cohérence d'un non proeuropéen." La zone d'influence du non ainsi réduite, il a pris soin de se démarquer du premier secrétaire du PS, François Hollande. "Je suis d'accord avec ceux qui disent qu'ils ne veulent pas être amalgamés, le non de l'extrême gauche, voire du Parti communiste, avec le non de l'extrême droite, a-t-il déclaré. Ils n'ont rien en commun."
En revanche, il y a bien, selon lui, "compatibilité du oui de gauche et de droite". "Non pas qu'il y ait une collusion, a précisé Lionel Jospin, mais parce que, les uns et les autres, nous savons que nous ne pouvons pas construire l'Europe si, à chaque alternance, de gauche ou de droite, on la remet en cause."
Un bref rappel à son propre bilan et l'ancien premier ministre a déroulé ses arguments non sans dénoncer les "affreuses caricatures" du non et les risques d'une France qui "s'isolerait". "Le terme de carcan libéral n'a aucun sens, a-t-il poursuivi. Le propre du libéralisme c'est justement de ne vouloir aucun cadre (...) de préférer la jungle, le "Laisser faire, laisser passer"."
Certes, Lionel Jospin aurait "souhaité que l'Europe aille plus loin, notamment en matière d'harmonisation fiscale". Ce point figurait parmi ses engagements de campagne, en 2002, au même titre que l'élaboration d'un traité social. "Mais, a-t-il tempéré, il faut bien se garder des conquêtes pour plus tard." Plus tard ? Sur ce terrain, Lionel Jospin reste prudent. S'il ne revendique "aucun rôle particulier", il entend bien ne pas être exclu de la partie: "Je souhaite que la gauche se rassemble, que les socialistes soient au coeur de cette gauche, si je peux contribuer à cela, je le ferai."
Après l'émission, ses partisans envoyaient des Texto enthousiastes. "Il est le meilleur, il nous donne envie de nous battre", exultait Pierre Schapira, adjoint au maire de Paris. Mais, à gauche, les réactions des partisans du non ont été vives. Au PS, Jean-Luc Mélenchon s'est dit "estomaqué d'entendre que le oui de gauche et le oui de droite seraient compatibles (...). Beaucoup l'entendront comme un aveu." "Le oui de Jospin est apparu aussi socialiste que son projet en 2002", ont cruellement réagi les comités du non socialiste créés par Henri Emmanuelli, tandis qu'Arnaud Montebourg a comparé, dans un entretien, vendredi, à Libération, le "retour de Jospin à un passeport pour le désespoir". "Quel dommage qu'il soit revenu pour nous faire la leçon !". a ironisé le PCF. "Il n'a pas apporté d'arguments nouveaux", affirme la secrétaire nationale du parti, Marie-George Buffet.
La droite est restée quasi muette, à l'exception de Brice Hortefeux, secrétaire général délégué de l'UMP, qui a évoqué "Hibernatus". "En trois ans, a-t-il déclaré, rien n'a changé chez lui, ni en qualité, ni en défaut."
Le prochain rendez-vous de Lionel Jospin est fixé le 19 mai à Nantes. Pour un meeting du oui.
Isabelle Mandraud
Article paru dans l'édition du 30.04.05
L e préfet de la Marne a décidé, vendredi 29 avril, pour des raisons sanitaires, de mettre fin au Teknival prévu jusqu'à dimanche sur une ancienne base aérienne à Marigny-le-Grand (Marne), en raison, a-t-il dit, de l'apparition en nombre sur le site de chenilles urticantes.
"La manifestation doit s'arrêter le plus vite possible", a déclaré à la presse sur place le préfet Dominique Dubois, en expliquant que la présence - qui serait due aux températures très douces - de nombreuse chenilles urticantes pouvait faire courir "un risque vital" aux participants.
Un "teufeur" décède, victime d'un arrêt cardiaque Un homme de 47 ans qui participait au Teknival de Marigny-le-Grand (Marne) est décédé sur place, samedi matin, d'un arrêt cardiaque vraisemblablement lié à "une intoxication aux stupéfiants", a déclaré à l'AFP le préfet de la région Champagne-Ardennes, Dominique Dubois. "Nous avons eu un décès, ce matin vers 7 h 30, un homme de 47 ans victime d'un arrêt cardiaque, je pense pour un problème d'intoxication aux stupéfiants. Il n'avait pas été admis au poste médical avancé" installé sur l'ancienne base aérienne ou se tient le Teknival, a précisé le préfet. (AFP) |
Le préfet s'est dit "dans l'obligation d'interdire l'accès au site" du festival de musique techno, débuté jeudi, et où quelque 40 000 personnes étaient attendues dans la nuit de vendredi à samedi.
Selon M. Dubois, le contact avec les chenilles urticantes peut provoquer de l'urticaire généralisée, de l'asthme, voire des oedèmes s'il y a eu consommation d'alcool ou de stupéfiants chez les victimes.
Parmi les quelque 8 000 personnes présentes sur le site en fin d'après-midi, selon la préfecture, plusieurs dizaines avaient déjà été soignées sur place pour des urticaires, a constaté une correspondante de l'AFP.
Six postes de secours et un poste médical avancé ont été installés sur le terrain de 320 hectares de l'ancienne base et une cinquantaine de pompiers et 700 gendarmes devaient assurer la sécurité de l'événement où environ 100 000 personnes étaient attendues jusqu'à dimanche.
Plusieurs associations de protection de l'environnement avaient protesté contre la tenue du Teknival sur un site distingué par l'initiative européenne"Natura 2000" et considéré comme "l'un des plus exceptionnels de Champagne-Ardennes", selon l'association écologique Cap 21.
Plusieurs associations avaient déposé jeudi un recours en référé contre l'autorisation préfectorale donnée à l'organisation de ce Teknival. Le tribunal administratif de Chalons-en-Champagne a suspendu vendredi soir l'autorisation verbale du préfet, mais la décision est de pure forme.
Le Teknival est organisé sur cette base désaffectée de l'OTAN, où s'était déroulé en mai 2003 le premier Teknival légal, qui avait rassemblé en trois jours 45 000 personnes, sans incident.
Avec AFP, Reuters
LEMONDE.FR | 30.04.05 | 11h26
L' ex-conseiller diplomatique de Charles Pasqua, Bernard Guillet, a été mis en examen, jeudi 28 avril, pour "recel d'abus de biens sociaux" et "trafic d'influence aggravé" par le juge Philippe Courroye (Le Monde du 28 avril). M. Guillet a été laissé en liberté sous contrôle judiciaire, par le juge des libertés et de la détention, et ce, contre l'avis du parquet de Paris qui avait requis son placement en détention provisoire.
M. Guillet est suspecté d'avoir touché des commissions sur la revente de barils de pétrole exportés par l'Irak, du temps de Saddam Hussein, en marge du programme onusien "Pétrole contre nourriture".
La mise en examen de M. Guillet intervient dans le cadre de l'enquête du juge Courroye portant, à l'origine, sur les commissions versées par la société Total à des intermédiaires, afin d'accéder à certains marchés, notamment en Irak et en Russie. Plusieurs cadres du groupe sont poursuivis dans cette affaire (Le Monde du 23 octobre 2004).
Egalement soupçonné d'avoir bénéficié des largesses de l'ancien régime baasiste, sous forme de "coupons" pétroliers, Charles Pasqua pourrait être mis en cause dans ce dossier. Réélu sénateur des Hauts-de-Seine, en septembre 2004, M. Pasqua bénéficie d'une immunité qui le met à l'abri de toute mesure coercitive (garde à vue, contrôle judiciaire, incarcération).
Jeudi, l'ancien ministre de l'intérieur s'est dit "indigné que l'on mêle -son- nom à cette affaire, à laquelle -il est- totalement étranger". Ironique, M. Pasqua a ajouté: "Ces derniers temps, je m'étonnais qu'on ne sorte rien contre moi, alors que je me suis lancé dans la campagne contre la Constitution européenne ! Or, à chaque fois qu'il y a une élection, on trouve quelque chose pour me mettre en cause. Je ne crois pas aux coïncidences..."
Sur le fond, M. Pasqua a déclaré: "Comme je l'ai dit à plusieurs reprises déjà, je n'ai rien à voir là-dedans. Je n'ai jamais reçu quelque somme que ce soit de Saddam Hussein, jamais commercé dans le pétrole. Si mon nom apparaît, il doit tout de même être facile de vérifier que ces accusations sont délirantes". a-t-il assuré. Selon l'ancien ministre, les documents, sur lesquels semble s'appuyer la justice française, "ne sont pas nouveaux": "Ce sont des éléments tirés du rapport de Charles Duelfer, dont les liens avec la CIA sont notoires."
Chef de l'Iraq Survey Group (ISG), le groupe des inspecteurs américains en Irak, Charles Duelfer avait provoqué une vive réaction des autorités françaises, en octobre 2004, lors de la publication d'un rapport selon lequel des personnalités et des entreprises françaises auraient bénéficié de l'argent du pétrole irakien (Le Monde du 9 octobre 2004).
M. Pasqua a, par ailleurs, affirmé qu'il entendait "prendre toutes les mesures, y compris judiciaires, afin de défendre -ses- intérêts". "Je ne me laisserai pas traîner éternellement dans la boue". a-t-il souligné.
F. Lh.
Article paru dans l'édition du 30.04.05
E n 2006, les policiers spécialisés dans l'antiterrorisme pourraient découvrir, pour la première fois, les bienfaits du voisinage et travailler dans un même bâtiment. Le ministère de l'intérieur espère réunir la direction de la surveillance du territoire (DST), la direction centrale des renseignements généraux (DCRG) et la division nationale antiterroriste (DNAT). Ces services s'installeraient dans un immeuble situé rue de Villiers, à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine).
Le projet réclame encore d'ultimes arbitrages. Afin d'étudier la répartition des mètres carrés et des étages, une réunion technique a eu lieu à la direction de l'administration de la police nationale (DAPN), lundi 25 avril, avec les directeurs de la DST et de la DCRG, Pierre de Bousquet et Pascal Mailhos.
Dix jours plus tôt, les deux hommes ont visité le site pressenti. "Tout cela n'est pas encore totalement tranché, explique-t-on à la direction générale de la police nationale (DGPN). En tout cas, le projet s'inscrirait dans un grand plan de réaffectation des locaux de la police."
Le déménagement offrirait un gain de place, en particulier pour les fonctionnaires des RG et de la DNAT, confinés dans l'enceinte du ministère de l'intérieur, dans le 8e arrondissement à Paris. La DST devrait quitter ses locaux – qu'elle partage avec d'autres services – situés rue Nélaton, dans le 15e arrondissement. Elle est la moins enthousiaste à l'idée de cette réunion. "La DST tient farouchement à son indépendance, mais c'est le sens de l'histoire, explique-t-on dans l'entourage du ministre de l'intérieur, Dominique de Villepin. Il faut décloisonner."
Ce regroupement permettrait de résoudre des problèmes de sécurité, notamment au cours des gardes à vue de suspects dans le domaine du terrorisme. La mutualisation des moyens, souhaitée depuis des années, pourrait enfin trouver des applications concrètes. Les cellules de garde à vue, par exemple, pourraient être communes à la DNAT et à la DST.
En septembre 2003, le ministère de l'intérieur s'était déjà penché sur un regroupement des fonctionnaires de la DST, de la DCRG et du service de coopération technique internationale de police (SCTIP). L'administration avait même repéré un immeuble, situé rue de La Boétie, dans le 8e arrondissement à Paris. Mais le loyer réclamé par la société d'assurances propriétaire des lieux s'était révélé trop important.
Le projet ne se limite pas aux seuls services antiterroristes; il concernerait l'ensemble des sections de la DCRG et de la DST, de l'intelligence économique aux courses et jeux. Mais ces deux directions et la DNAT ont un point en commun, qui laisse deviner de futurs rapprochements: elles travaillent toutes sur le terrorisme islamiste.
Tout en écartant l'idée d'une fusion entre les services, M. de Villepin a souvent insisté sur la nécessité d'une coopération dans ce domaine. Pour cela, il a créé en 2004 le conseil du renseignement intérieur (CRI), qui réunit chaque mois des représentants de la DST, des RG, du SCTIP et de la gendarmerie.
En outre, des pôles régionaux de lutte contre l'islamisme radical sont lancés partout en France, réunissant les fonctionnaires des RG et de la DST.
Piotr Smolar
Article paru dans l'édition du 30.04.05
L a bataille du référendum fait sortir de leur retraite les grands anciens. Faut-il penser que la nouvelle génération de responsables politiques – qui ont quand même tous atteint la cinquantaine – n'est pas à la hauteur du défi que représente l'adoption du traité constitutionnel européen ?
Il est vrai que, selon les sondages d'intentions de vote, les plus de 65 ans sont la seule classe d'âge indéfectiblement acquise au oui. Longtemps, les 18-24 ans ont été favorables, en majorité, au traité constitutionnel européen, mais ils ont fini par douter eux aussi. S'ils n'ont pas rallié massivement le camp du non, du moins sont-ils partagés, avec un léger avantage pour le refus du traité. Entre 25 et 64 ans et, surtout, entre 30 et 54 ans, le non domine. Les dirigeants politiques qui appartiennent à ces catégories d'âge seraient-ils atteints, eux aussi, d'une forme sournoise d'euro-doute ? Ou bien hésiteraient-ils à affronter un air du temps porteur de mécontentement, de protestation, voire de révolte contre les élites ?
En fait, l'atonie de certains des défenseurs naturels du oui est venue rappeler une réalité propre à la France. Dans ce pays, si l'on a de hautes ambitions politiques, on hésite à s'afficher d'emblée pro-européen. L'Europe est plus facile à défendre en"contre" qu'à promouvoir de façon offensive.
En 1992, pendant la campagne pour le traité de Maastricht, les partisans du oui avaient tardé à répondre à la campagne de Philippe Séguin pour le non. Et ceux qui s'y étaient attelés les premiers n'avaient pas été des dirigeants de parti ni des candidats potentiels à la présidence de la République, mais les militants du Mouvement européen, association discrète de parlementaires dévoués à la cause de l'Union. Familiers des débats et des assemblées de Bruxelles, Strasbourg et Luxembourg, souvent bien implantés localement, ils n'exerçaient pas de responsabilités nationales de premier plan et n'étaient pas candidats aux premiers rôles.
Si l'on est au pouvoir, président de la République, premier ministre ou membre important du gouvernement, on défend l'Europe, parce qu'on travaille tous les jours avec elle, parce qu'on sait ce qu'il en coûterait de la perdre et qu'on aurait du mal, de toute façon, à s'en dissocier. En revanche, si l'on est dans l'opposition ou dans la compétition pour le pouvoir, on ménage le sentiment anti-européen.
De la sorte, les anti-européens ont toujours une longueur d'avance, comme on l'a vu, de nouveau, dans la campagne pour le référendum du 29 mai. Ils partent les premiers. Ils profitent de la complexité des textes pour "révéler" au public ce qu'"on" lui cache. Incrédules, les pro-européens laissent faire ou, penauds, rentrent la tête dans les épaules. Pourquoi ? Parce que l'Europe est, auprès d'une partie des Français, une mauvaise cause. Elle n'est ni aussi belle, ni aussi simple, ni aussi pure qu'on le voudrait. Elle impose des renoncements plus visibles que ses bienfaits. Elle offusque le sentiment national en obligeant à composer avec ses voisins. Elle accompagne des changements économiques et sociaux douloureux pour ceux qui en font les frais.
C'est ainsi que, en 1992, Jacques Chirac avait longuement hésité avant de se prononcer pour le oui, et il avait accepté que les moyens de campagne de son parti, le RPR, fussent partagés entre partisans et adversaires du traité de Maastricht. Au PS, Lionel Jospin, plutôt que de prendre parti simplement pour le oui, avait préféré dire "non au non".
Treize ans plus tard, les mêmes font campagne pour le oui. Sans doute peut-on les soupçonner, l'un et l'autre, d'arrière-pensées. Le président de la République laisse planer le doute sur une éventuelle candidature à un troisième mandat en 2007. L'ancien premier ministre, quoi qu'il dise, est de retour dans une vie politique dont il s'était retiré en 2002. Néanmoins, ils sont passés, tous les deux, de l'autre côté de la barrière. Européens de fait et de pratique, ils n'ont pas le choix. Ils peuvent espérer convertir des anti-européens, pas les séduire.
Plus évidemment désintéressés, d'autres aînés de la politique ont repris du service pour secourir le oui. Raymond Barre, ancien premier ministre, Simone Veil, ancienne présidente du Parlement européen, Jacques Delors, ancien président de la Commission européenne, Edmond Maire, ancien secrétaire général de la CFDT, sont sortis de leur réserve afin de défendre l'Union européenne, menacée par un rejet du traité constitutionnel en France. De droite ou de gauche, issus ou proches de la démocratie chrétienne, ils jettent le poids de leur autorité et la force de leur témoignage dans le combat pour l'union politique de l'Europe. Qu'ils n'attendent plus aucune gratification pour eux-mêmes montre que l'enjeu de cette bataille est au-delà des calculs politiques, puisqu'il mobilise des hommes et des femmes qui, s'ils n'ont rien à y perdre, n'ont rien non plus à y gagner.
La situation de Valéry Giscard d'Estaing est différente. D'abord, puisque la Constitution européenne est son œuvre, la défendre devant les Français est bien le moins qu'il puisse faire. Ensuite, on ne peut pas jurer qu'il ne songe pas, si la Constitution est ratifiée dans toute l'Union, à inaugurer la présidence du Conseil européen qui en est l'une des innovations. Celui qui présida la Convention européenne est, comme Jacques Chirac et Lionel Jospin, un"grand ancien" dont l'horizon ne se borne pas au 29 mai ni à une place déjà définie dans l'Histoire.
Patrick Jarreau
Article paru dans l'édition du 30.04.05
J acques Chirac l'a confié lui-même aux téléspectateurs: il n'aime pas – ou il n'aime plus – les anniversaires et les bilans. Sans doute est-ce la raison pour laquelle le président de la République n'a prévu aucune célébration du dixième anniversaire de sa première élection, le 7 mai 1995, à l'Elysée. Il est vrai que la période actuelle, à trois semaines d'un référendum à hauts risques pour son initiateur, sur fond de malaise social et de record d'impopularité pour le couple exécutif, invite à la sobriété.
M. Chirac est le troisième président à franchir le cap des dix ans. Et les précédents ne sont guère réconfortants. En mai 1968, les manifestants scandaient à l'intention du général de Gaulle: "Dix ans, ça suffit !" En mai 1991, François Mitterrand était environné par les crises et confronté à son divorce avec une opinion de plus en plus sévère sur la montée des affaires et l'échec du gouvernement face au chômage.
Même si on lui fait la grâce de ne pas rappeler les affaires qui ont jalonné son septennat de 1995 à 2002, et contre lesquelles il a su se mettre judiciairement à l'abri, force est de reconnaître que son bilan ne prête pas à l'autocélébration, dont l'UMP, en voie de "déchiraquisation". se garde bien.
M. Chirac, qui manie excellemment l'art de faire campagne, tout en ayant réalisé de médiocres scores au premier tour de l'élection présidentielle, en 1995 et, plus encore, en 2002, comme président sortant, a souvent fait la démonstration de l'impuissance de l'action comme de l'incohérence et de l'inconséquence des promesses qui n'engagent que ceux auxquels elles sont destinées...
L'aura qu'il a fini par conquérir sur la scène internationale et le rôle qu'il a joué dans l'opposition à l'engagement américain en Irak l'ont sauvé d'un bilan qui aurait pu paraître au mieux vide, au pire en contradiction avec ses engagements de candidat. On se souvient que le champion de la lutte contre la "fracture sociale". celle qui, à ses yeux, menaçait en 1995 l'"unité nationale". s'est métamorphosé, cinq mois après son élection, en gardien de l'orthodoxie monétaire. Tant pis si, depuis, l'insécurité sociale a regagné du terrain.
M. Chirac a à son actif la professionnalisation des armées, l'ouverture de grands chantiers humanitaires, un combat verbal contre la mondialisation "ultralibérale". Il est l'homme du beau et courageux discours du Vél'd'Hiv, où il assuma la responsabilité historique de la France en tant qu'Etat dans la déportation des juifs pendant l'Occupation. Il est aussi celui qui se tira une balle dans le pied en prononçant, en 1997, la dissolution de l'Assemblée nationale. Une parenthèse de la cohabitation qui a débouché, avec un quinquennat auquel ce président plus opportuniste et pragmatique que gaulliste s'est résigné, sur une présidentialisation accrue du régime.
Ironie de l'Histoire, c'est sur l'Europe – terrain sur lequel, même s'il n'est plus eurosceptique, il a souvent tempéré ses élans – que l'opinion va lui dire "stop ou encore". Le 30 mai, il saura s'il doit préparer sa sortie ou... rêver d'une suite.
Article paru dans l'édition du 08.05.05
C' est une révolution à la fois progressive et brutale, encore assez virtuelle, qui couve dans la discrétion des états-majors: la "numérisation de l'espace de bataille" est en marche sans retour possible. Jusque-là, l'art de la guerre était pragmatique: les artilleurs tiraient un coup long et un coup court, pour se régler; les généraux échafaudaient des plans sur des tableaux muraux; et sur le terrain, les officiers appliquaient ces consignes en plaçant leurs unités sur les cartes d'état-major avant de les envoyer dans la boue des champs de bataille.
Et puis, un peu après que la société civile eut basculé dans l'ère d'Internet, l'armée a découvert les systèmes d'information et de communication et son monde – l'espace de bataille – a changé de visage. Demain – aujourd'hui déjà –, le fantassin, la section, la division, l'avion de combat et le sous-marin, le satellite et le drone, le robot ne sont plus que des capteurs reliés entre eux et au commandement par un vaste réseau informatique crypté.
Utiliser les yeux de tous, faire bénéficier chaque soldat des observations d'une constellation de satellites, permettre au conducteur de char de voir le champ de bataille sur son écran, raccourcir la boucle entre la détection, la décision et l'action, entre les systèmes d'armes et les donneurs d'ordres, donner à tout responsable d'une action militaire la supériorité informationnelle: telle est l'approche qui prévaut dans la volonté de créer cet "intranet du champ de bataille".
La numérisation ne se limite pas au passage de l'analogique au numérique, elle n'est pas dictée par la professionnalisation des armées, par la réduction des effectifs, et n'est pas uniquement la réponse aux avancées technologiques, mais elle en est la synthèse. Elle répond au défi de l'interopérabilité, de plus en plus nécessaire avec l'évolution des conflits, qui montre la nécessité de réponses – presque toujours – multinationales. Cela suppose une standardisation des armements et une capacité de mise en réseau: la guerre plug-and-play (autoconfigurable) ne relève plus du domaine des jeux électroniques.
Cette révolution qui prend parfois l'allure d'une fuite en avant un peu inquiétante (on a très peu de "retour d'expérience" ), est liée à la transformation des armées, accélérée par la fin de la Guerre froide: il s'agit de les retailler en unités plus flexibles, légères et rapidement déployables. Peut-être cette numérisation est-elle née d'un rêve de stratège: disposer en permanence de toutes les informations utiles sur ses amis comme sur ses ennemis, afin d'être toujours capable de surprendre l'adversaire.
Aujourd'hui, la suprématie d'une nation n'est plus seulement liée à sa puissance de feu, mais à la circulation des informations entre ses systèmes d'armes, à leur capacité de s'intégrer dans un ensemble plus vaste, un"système de systèmes".
La numérisation est aussi une réponse à la nouvelle approche des conflits: les guerres doivent se gagner vite, en limitant au minimum les dommages collatéraux, notamment la destruction de l'outil économique. Il faut annihiler des centres de décision, pas de raser des villes.
Parallèlement à un blitzkrieg high-tech, la guerre se gagne aussi, et parfois surtout, sur le plan médiatique. Si l'écran d'ordinateur n'a pas remplacé le fusil ou le missile, il en est devenu l'indispensable complément. La guerre en réseaux, le Network Centric Warfare, que les Français traduisent par "combat infocentré". fait apparaître un nouveau type de combattants, les "guerriers de l'information" (les Knowledge Warriors).
Les Américains se sont lancés massivement, depuis le début des années 1990, dans cette numérisation. Ils ont donné au Global Information Grid (GIG, "réseau global d'information") un surnom: "God's eye view" ("la vision de l'œil de Dieu"). Dans les années qui viennent, les forces américaines seront dotées de centaines de milliers d'ordinateurs qui permettront aux capteurs de disposer en direct des informations fournies par cette Toile militaire.
Les promoteurs de ce système prédisent que ce maillage d'ordinateurs deviendra l'arme la plus puissante de l'arsenal américain et qu'il imprimera autant sa marque sur la guerre du XXIe siècle que les armes nucléaires l'ont fait sur la Guerre froide. Au cours de la prochaine décennie, le Pentagone prévoit de dépenser quelque 200 milliards de dollars dans le Centric Warfare Program.
En France, la numérisation du champ de bataille fait l'objet d'une approche prudente, mais déterminée. Le système d'information régimentaire (SIR) relie déjà toutes les unités de l'armée de terre au commandement, et, en 2007, deux brigades devraient être numérisées.
La numérisation de l'artillerie sol-sol est en passe d'être achevée avec le système Atlas-Canon, et elle précède celle des hélicoptères et de la défense sol-air, des blindés, des véhicules de transport tactique et de l'infanterie. Le programme Félin (Fantassin à équipement et liaisons intégrés), qui devrait équiper l'armée de terre vers 2007, permettra une visualisation des images vidéo transmises par les autres combattants.
Sur un assistant personnel, le soldat disposera d'une vision "en trois dimensions" de l'environnement urbain dans lequel il évolue. Mais cette révolution présente aussi de risques: trop d'information tue l'information. Si des filtres ne sont pas mis en place rapidement, si des mécanismes de synthèse, d'élimination de l'information non pertinente ne sont pas en place, la Toile militaire deviendra ingérable et paralysera la décision.
La diffusion ultrarapide, transversale, de l'information risque de s'affranchir de la hiérarchie, colonne vertébrale des armées, et de bousculer la notion pyramidale du commandement. C'est pour cela qu'à ce propos, la revue française Doctrine rappelle sagement la maxime du maréchal de Lattre: "Un outil ne vaut que par la main qui l'anime."
Laurent Zecchini
Article paru dans l'édition du 10.05.05
C' est en septembre 2000 que j'ai décidé d'édifier un musée d'art contemporain sur l'île Seguin. Je rêvais alors d'un lieu où se comblerait la distance qui sépare trop souvent nos contemporains et l'art de leur temps, où je pourrais enfin ouvrir au plus grand nombre une collection que je rassemble depuis plus de trente ans. Mon objectif était de l'inaugurer en 2005.
J'avais conscience alors de me lancer dans une entreprise difficile mais exaltante. Une entreprise unique par son ambition et son propos: ce musée dédié à l'art contemporain venait en complément et non en concurrence des équipements publics de notre pays. Unique également par son inscription dans une opération d'aménagement qui se voulait exemplaire: ce musée devait contribuer à faire revivre le site des anciennes usines Renault à la faveur d'un urbanisme ambitieux et d'une conjugaison de volontés fortes; la mienne bien sûr, mais aussi celle de la ville de Boulogne-Billancourt, chargée d'aménager cette cinquantaine d'hectares en déshérence depuis 1989.
C'était une immense fierté pour moi de lancer un tel projet et je m'y suis engagé avec enthousiasme. Après avoir conclu un accord de principe avec la ville de Boulogne-Billancourt, je lançai en janvier 2001 une consultation internationale d'architecture à l'issue de laquelle je sélectionnai la proposition de Tadao Ando.
Pour constituer l'équipe de maîtrise d'oeuvre, celui-ci s'associait à Michel Macary, l'architecte du Louvre et du Grand Stade, entre autres, et au bureau d'études Setec, remarquable ingénieur – notamment du viaduc de Millau -Aveyron-. Très rapidement, j'organisais aussi la maîtrise d'ouvrage. Les études progressaient à un rythme soutenu.
Au cours de mes discussions avec Tadao Ando, je voyais peu à peu apparaître le bâtiment dont j'avais rêvé, un bâtiment dont la force et la sérénité devaient, à mes yeux, braver le temps. Le dossier de permis de construire était déposé, obtenu, puis les appels d'offres lancés. Entre-temps, j'avais confié à l'ancien ministre de la culture, Jean-Jacques Aillagon, le soin de me proposer le schéma d'administration du futur musée. J'en avais pressenti le directeur, Philippe Vergne. Je préparais même l'exposition d'ouverture avec la première grande rétrospective de l'oeuvre de l'artiste américain Jeff Koons.
Une promesse de vente du terrain m'était consentie le 13 septembre 2004 par Renault. Les conditions mises à l'achat prévoyaient notamment un cadre réglementaire stabilisé pour l'aménagement des terrains Renault, conditions qui devaient être impérativement satisfaites avant le 28 février 2005. C'est-à-dire l'année où je devais initialement inaugurer le musée !
Certes, depuis 2000, j'avais appris à prendre patience. J'avais pris acte des retards infligés à ce projet en raison des opérations de démolition des anciens bâtiments, de dépollution du site, de renforcement des berges, opérations qui n'avaient pas été instruites à temps. C'était alors l'échéance de fin 2007 qu'on me disait devoir viser.
Cette prévision était, hélas, trop optimiste encore.
L'hiver dernier, il m'a en effet fallu prendre acte de l'enlisement administratif de l'opération d'aménagement. Des recours d'abord gracieux puis contentieux, non instruits à temps par la ville de Boulogne-Billancourt, remettaient en cause le plan local d'urbanisme. Il me fallait donc renoncer à mon intention de poser la première pierre le 21 mars 2005.
Mais, surtout, je constatais qu'à part un projet de "façade-enveloppe", contestable et contesté, le plan d'urbanisation de l'île et de ses abords, pour lequel le musée devait servir de locomotive, restait très approximatif. Or un voisinage de qualité et des accès performants sont des préalables indispensables à l'attrait de tout lieu culturel.
J'avais d'ailleurs fait de l'environnement urbain du musée l'une des conditions sine qua non au lancement de mon projet. Depuis septembre 2000, je n'ai eu de cesse de connaître précisément la nature des programmes que l'on m'avait promis sur l'île et le calendrier de leur réalisation. Toutes mes demandes se sont heurtées à des réponses imprécises ou à de vagues promesses. Mes interlocuteurs semblaient assimiler à de l'acharnement mon impatience à connaître le voisinage du musée, exigence pourtant exprimée dès l'origine à travers une correspondance soutenue.
L'incertitude sur le statut foncier du reste de l'île et l'énoncé successif de programmes très ponctuels mettaient peu à peu en évidence l'absence de tout concept pour le renouveau de l'île Seguin et la fragilité d'une opération qui paraissait reposer sur des expédients.
Pourtant mes partenaires s'étaient engagés à bâtir jusqu'à 150 000 m2 de programmes sur l'île Seguin en complément du musée. Naturellement, j'avais bien conscience que ces constructions ne pourraient être édifiées du jour au lendemain.
Mais tout de même ! Les programmes qu'on me propose aujourd'hui ne couvrent tout au plus que quelques milliers de mètres carrés et ne s'inscrivent dans aucune perspective concrète. Cinq ans après le lancement de cette opération, aucun exploitant, aucune institution ni personne n'a contracté un engagement ferme ! Comment imaginer que je mobilise le talent d'un immense architecte et un investissement de 150 millions d'euros pour construire un bâtiment dont l'environnement serait défiguré pendant plus d'une décennie par le voisinage au mieux d'un immense chantier, au pire d'un terrain vague ?
Le retrait des recours contre le plan local d'urbanisme, le 22 avril, éteint certes un contentieux qui obérait l'ensemble de l'opération. Mais, même dans l'hypothèse où par l'alliance des meilleures volontés toutes les incertitudes, qui demeurent grandes, seraient levées, je ne pourrais lancer le chantier de construction au mieux qu'en fin d'année, ce qui repousserait l'ouverture du musée à 2009-2010. Une échéance, hélas, encore très incertaine et en tout cas bien trop lointaine pour moi.
Chacun doit bien se rendre compte que le temps d'un projet culturel privé ne peut pas être celui d'un projet public. Le temps d'un entrepreneur, c'est celui de son existence, de son âge, de son impatience à concrétiser son rêve.
Le temps d'une administration, c'est celui des procédures, d'une patience sans limite qui s'accommode des inerties, des remises en cause politiques ou budgétaires, d'une résignation face aux pesanteurs, aux mois qui s'ajoutent à des semestres pour aboutir à des années de retard, en bref d'une constance sans passion. L'éternité est le temps de l'art, pas celui des projets qui veulent le servir.
Je ne veux faire ici le procès de personne, mais je dois constater que je n'ai plus la patience de persévérer dans le projet de doter la France du musée conçu par Tadao Ando. Je renonce à ce si beau projet avec une immense déception et une grande tristesse, avec d'autant plus de tristesse que beaucoup de talents s'y étaient engagés à ma demande, ceux bien sûr de Tadao Ando et de son équipe, mais aussi ceux des artistes qui ont conçu des oeuvres spécifiques pour ce musée, ceux de l'équipe que j'ai réunie autour de ce projet, ceux des entrepreneurs qui ont répondu aux appels d'offres.
Pour autant je n'aime ni subir ni renoncer. Aussi face à la situation bloquée de l'île Seguin, et a contrario devant l'accueil que m'ont réservé d'autres villes, j'ai décidé de ne pas baisser les bras.
Mon désir de faire partager ma passion pour l'art reste intact, c'est pourquoi je saisis cette formidable chance que constitue la disponibilité du Palazzo Grassi pour commencer sans tarder à ouvrir ma collection au public.
Dans cet extraordinaire creuset des cultures qu'est Venise, le Palazzo Grassi a acquis une grande réputation, à l'initiative de Gianni Agnelli, qui fut mon ami. C'est cet héritage dont j'assumerai désormais la responsabilité. Avant la fin de cette année, j'y déploierai un cycle d'expositions ouvert à l'art contemporain et à celui du XXe siècle. Fort de l'appui de la ville de Venise, de ses maires successifs, Paolo Costa et Massimo Cacciari, je tenterai de donner un nouveau souffle à cette prestigieuse institution. La possibilité m'étant offerte d'y ajouter un bâtiment nouveau, j'engagerai des travaux qui permettront de doubler les surfaces d'exposition.
C'est à mes yeux une première étape. Après Venise, je souhaiterais pouvoir associer d'autres villes, en Europe et, je l'espère, en France, essayant ainsi de constituer un réseau international dans lequel circuleront les oeuvres, les propositions, les idées, les regards.
Contrairement au regretté projet pour l'île Seguin, enlisé dans les incertitudes, les longueurs, et les pesanteurs, je manifeste ainsi mon désir de faire vite et d'ouvrir enfin ma collection au plus grand nombre. Je fais en même temps le choix que l'art a fait depuis bien longtemps: le choix de l'universalité, le choix de l'Europe.
Venise n'est ni le refuge d'une passion déçue ni un pis-aller. C'est – dans le meilleur de la tradition de cette ville – un point de départ et l'espérance de nombreuses aventures.
par François Pinault
Article paru dans l'édition du 10.05.05
L es commémorations sont faites pour célébrer les mythes historiques, pas pour se livrer à des examens de conscience. Il en aurait été ainsi du 60e anniversaire de la fin de la seconde guerre mondiale, qu'une cinquantaine de chefs d'Etat et de gouvernement fêtent, lundi 9 mai à Moscou, si les dirigeants des Républiques baltes n'avaient pas rompu avec le politiquement correct.
Le président lituanien et le président estonien ont refusé de se rendre à Moscou. La présidente lettone a accepté l'invitation du président Poutine pour dire leur fait aux Russes. Tous les trois entendent protester contre la manière dont la Russie officielle continue à écrire l'histoire, considérant que la victoire sur le nazisme n'a pas marqué pour leurs peuples une libération, mais le début d'une nouvelle oppression.
Les Etats baltes ont été annexés par Moscou en 1945 après avoir été une première fois occupés par les Soviétiques en 1939 puis être tombés sous le joug nazi. Pour eux, la libération date de 1991. Les Polonais ne sont pas loin de penser la même chose. Or la ligne officielle russe actuelle reprend mot pour mot les fables de la propagande soviétique: les Baltes auraient librement demandé leur rattachement à l'URSS.
Les Russes ne sont certes pas les seuls à devoir examiner honnêtement la manière dont leur histoire est écrite. Les Baltes ne sont pas au-dessus de tout reproche. Les déportations en Sibérie expliquent peut-être que beaucoup d'entre eux aient, en 1941, accueilli les Allemands comme des libérateurs – ce qu'ils n'étaient pas. Elles ne sauraient justifier leur participation à la persécution des juifs vivant sur leur sol. Cette part tragique de leur histoire devrait être soumise au même examen critique qu'ils réclament à juste titre des Russes.
George W. Bush, plus connu pour son penchant manichéen, a montré dans un discours, samedi à Riga, capitale de la Lettonie, que la reconnaissance des erreurs ne devait pas être à sens unique. Après avoir admis que l'esclavage et la ségrégation raciale avaient été une honte pour les Etats-Unis, il a regretté que le président Roosevelt ait accepté avec les accords de Yalta la division de l'Europe pour un demi-siècle. Et que les Américains aient sacrifié la liberté des plus faibles à la stabilité internationale, ou plus exactement à une illusion de stabilité.
Sa visite en Géorgie, où les Américains ont été très actifs pour favoriser l'arrivée au pouvoir du président Saakachvili, s'inscrit dans cette nouvelle politique. Les Etats-Unis, sous la direction de George W. Bush, ne sont pas une puissance du statu quo mais une puissance du changement démocratique. L'expérience irakienne montre que c'est aussi une politique risquée. Mais on peut regretter que l'Union européenne ne tienne pas, dans ses relations avec Moscou, le même langage de fermeté démocratique. Les Européens de l'Est ont eu pendant cinquante ans l'impression d'être abandonnés. En ce jour de commémoration, le soutien de l'Union ne devrait manquer à aucun pays en mal de liberté.
Article paru dans l'édition du 10.05.05
S irotant une bière sur une terrasse ensoleillée du vieux Tbilissi, près de l'ancienne place Lénine, rebaptisée place de la Liberté, Gueorgui Kandelaki commente avec une prudente satisfaction l'évolution politique de son pays, un an et demi après la "révolution de la rose" dont il a été l'un des participants les plus actifs. "Il n'y a pas assez de contre-pouvoirs en Géorgie. Les prérogatives présidentielles ont été accrues, tandis que l'opposition est insignifiante. Je veux croire que c'est temporaire", dit cet ancien activiste du mouvement des étudiants géorgiens, Kmara (Assez), qui avait pris part à l'assaut de la foule contre le Parlement, en novembre 2003.
Devenu journaliste à Tbilissi, Gueorgui Kandelaki s'efforce de répandre, ailleurs dans l'ex-URSS, les recettes du renversement de régime. Il fait partie de cette jeunesse géorgienne qui a bénéficié, dans les années 1990, de nombreuses bourses pour étudier aux Etats-Unis. Il a fréquenté une université en Caroline du Nord et a appris les méthodes du "soft power" à l'américaine qui, au grand dam de Moscou, s'exerce dans l'ancien espace soviétique aux moyens de fondations et d'ONG.
Au lendemain de la révolution géorgienne, Gueorgui Kandelaki s'est mis à voyager comme émissaire officieux de Tbilissi vers d'autres républiques: "L'Ukraine, trois fois, la Moldavie, une fois, le Kazakhstan, et des rencontres avec les oppositions de Biélorussie et d'Azerbaïdjan", énumère-t-il. Il a aussi été en contact avec des militants venus de Serbie (les anciens d'Otpor, le mouvement d'étudiants qui contribua au renversement de Slobodan Milosevic, en 2000). Un réseau régional de "champions de la liberté", comme les appelle George Bush, s'esquisse ainsi. L'argent, pour les déplacements de Gueorgui, est venu de programmes d'aides américains. Autant dire que, pour ce jeune homme qui cache une étonnante force de conviction derrière des allures débonnaires, la venue du président des Etats-Unis à Tbilissi s'inscrit dans toute une stratégie. "L'importance de cette visite ne peut être sous-estimée, car elle rend les espoirs nés de notre révolution encore plus réalistes", dit-il. Gueorgui a lu avec satisfaction, sur le site Internet du Washington Post, comment Sergueï Lavrov, le ministre russe des affaires étrangères, a commenté avec irritation – "S'il fait cela, ces pays vont se croire tout permis" – l'annonce de la tournée de M. Bush dans la région balte et le Caucase.
Tout est possible, croit fermement Gueorgui. Même une révolution au Kazakhstan. "Ce sera difficile, concède-t-il: j'ai vu, sur place, les richesses que le régime de Nazarbaev peut déployer grâce à ses revenus pétroliers. Il n'y a, après tout, qu'un seul pays pétrolier qui soit démocratique, dans le monde: la Norvège." Quant à la Russie, Gueorgui est sceptique. Lors d'un voyage en Lituanie, il a rencontré des jeunes militants démocratiques venus de Moscou: "Ils sont exposés à de fortes manipulations."
Mais en Azerbaïdjan, il faut s'attendre, dit-il, à "des événements", à l'approche des élections législatives de novembre. "La Géorgie fera attention, dans ce cas, à ne pas trop s'impliquer", ajoute le jeune émissaire: "Le maintien de bonnes relations bilatérales avec ce pays est important pour nous, au moment où l'oléoduc Bakou-Ceyhan (qui traverse la Géorgie, vers la Turquie, et fait l'objet de forts soutiens américains) doit entrer en fonction cette année."
Entretemps, Tbilissi pavoise. La ville est couverte d'affiches honorant George Bush, qui, depuis une immense estrade, s'adressera à la foule, mardi. Promue plateforme de la promotion des valeurs occidentales, dans ces contrées jouxtant le Proche-Orient et le flanc sud de la Russie, la petite Géorgie s'attend à recevoir 200 millions de dollars, sur cinq ans, de nouvelles aides gouvernementales américaines.
Nathalie Nougayrède
Article paru dans l'édition du 10.05.05
L ors de sa deuxième intervention télévisée de la campagne référendaire, mardi soir, Lionel Jospin a appelé les Français à "se battre avec le oui" pour une Europe plus sociale plutôt que de "se crisper sur le non", qui "ne changera rien en France et nous affaiblira en Europe". Même placés dans un "shaker", les non à la Constitution européenne sont "incompatibles" et "irréalistes", a-t-il estimé, et laisseraient les voisins européens "sidérés".
"Tout ce que l'on voit, c'est que tous ces non sont incompatibles entre eux et que tous ensemble ils sont absolument irréalistes", a insisté l'ancien premier ministre socialiste, invité du journal télévisé de TF1. Citant les prises de position de Jean-Marie-Le Pen, Olivier Besancenot, Marie-George Buffet et Laurent Fabius, il s'est interrogé sur les lendemains du référendum en cas de victoire des opposants au nouveau traité de Rome.
"Qu'est-ce qu'on va en faire si les Français s'exprimaient dans ce sens ? On va les mélanger dans un shaker ? On va l'agiter ? On va demander au président de la République - que l'on veut paraît-il sanctionner par ailleurs - de présenter ce shaker du non à nos partenaires européens sidérés ? , s'est interrogé l'ancien chef du gouvernement, à qui François Hollande avait choisi de céder la place pour la dernière ligne droite avant le référendum, dimanche. Je pense qu'une telle attitude non seulement va isoler la France mais même va nous laisser incompris par les autres Européens".
Lionel Jospin a plaidé pour "une démarche positive, qui ne soit pas de résignation mais qui permette des combats, des actions". Pour lui, l'Europe est "une magnifique aventure historique" mais aussi "une réalité actuelle décevante". C'est pourquoi il estime qu'il faut "d'abord voter le traité pour que l'Europe ne soit pas affaiblie et la France pas isolée, puis se concentrer sur l'essentiel et peser de tout son poids pour faire bouger les politiques européennes".
"Il faut parler croissance, il faut parler emploi, il faut mener une grande politique de recherche, il faut défendre nos intérêts commerciaux - on le voit face à la Chine -, il faut jouer un rôle dans mondialisation pour la réguler mieux", a-t-il insisté. Et d'ajouter:"s'il y a une majorité anti-libérale à partir de 2007, il sera plus facile de le faire".
Avec Reuters et AFP
LEMONDE.FR | 24.05.05
D epuis que Lionel Jospin a affirmé, mardi soir sur TF1, que les différents non sont "incompatibles entre eux et absolument irréalistes", chaque camp tente de décrédibiliser l'autre. L'ancien ministre de l'intérieur Jean-Pierre Chevènement, partisan du non, a affirmé mercredi que "le non républicain a sa cohérence", contrairement à ce qu'affirment les partisans du oui, dont Lionel Jospin. "Nous articulons l'abandon de la souveraineté monétaire et les délocalisations. Laurent Fabius remet en cause l'indépendance de la banque centrale, le pacte de stabilité budgétaire, accepte l'idée d'une Europe à géométrie variable", a expliqué le président d'honneur du Mouvement républicain et citoyen (MRC) sur France 2. Il a ajouté que "le oui de Lionel Jospin ne se différenciait en rien du oui de la droite". "Ses arguments sont exactement les mêmes, ils sont parfaitement compatibles", a-t-il jugé.
Jean-Luc Mélenchon, sénateur socialiste de l'Essonne opposé à la Constitution européenne, a renchéri: "C'est le propre des référendums de mêler des opinions extrêmement diverses." "En France, il y a douze familles politiques et deux réponses possibles" au référendum du 29 mai, a-t-il observé sur Europe 1. Interrogé sur les conséquences des divisions actuelles du PS et le risque d'avoir deux candidats à la présidentielle de 2007, l'animateur de la minorité Nouveau Monde a répondu: "J'espère que non. Vraiment je les invite tous à atterrir, et en particulier ceux qui ont fait monter le ton de cette manière tout à fait déraisonnable." "Agresser comme cela [Laurent] Fabius pendant quinze jours... Mais qu'est-ce qu'il leur a fait ?", a-t-il lancé, avant de dénoncer le terme de "poison xénophobe". employé à propos des déclarations du numéro deux socialiste.
Avec AFP
LEMONDE.FR | 25.05.05
Q uel est l'horizon de la politique ? A cette question où se noue la relation complexe entre intérêts et principes, électeurs et valeurs, inquiétudes et espérances, Laurent Fabius a clairement répondu dès mai 2003, un an après l'échec retentissant de la gauche à la présidentielle. C'était au congrès de Dijon d'un Parti socialiste qui sauvait encore les apparences de l'unité. Comme il le racontera ensuite, dans Cela commence par une balade (Plon, 2003), le futur chef du "non de gauche" à la Constitution européenne avait prévu d'y intervenir sur la mondialisation, estimant dans un premier temps que c'était le sujet décisif de l'époque, "la plupart des questions" étant mondiales et appelant "des réponses qui le soient aussi". Mais, on s'en souvient, il lui préféra le voile islamique en France, s'offrant un succès de tribune républicain et ouvrant ainsi la voie à Jacques Chirac qui en fit une loi. Or, commentant son choix, Laurent Fabius écrit ceci: "Entre le lointain et le prochain, j'avais choisi le prochain."
Toute politique est d'abord un discours dont les mots, leur sélection et leur agencement, sont des actes. Donc, le prochain plutôt que le lointain. On a tort de ne lire la volte-face européenne de Laurent Fabius, hier symbole du libéralisme à gauche, qu'à l'aune de son ambition présidentielle. La part faite du calcul - de l'opportunisme, il faut bien le dire si l'on a quelque mémoire -, il n'en reste pas moins une part de conviction sur l'état de la France et celui de la gauche. La métaphore du prochain et du lointain laisse entendre qu'à trop privilégier ce dernier, ses idéalités et ses subtilités, la gauche aurait perdu le premier, en d'autres termes son assise électorale et sa base sociale.
Le constat de cette perte fut d'ailleurs le commentaire sociologique, trop vite oublié, de l'après-séisme de 2002: partagés entre l'abstention massive et le vote pour l'extrême droite, les ouvriers et les employés se sont durablement détournés de la gauche. Depuis vingt ans, tout un monde du travail s'est senti socialement dévalorisé, économiquement malmené, culturellement culpabilisé, spatialement ghettoïsé et politiquement effacé. Symbolisées par le chômage de longue durée qui, parfois, touche plusieurs générations d'une même famille, les crises et politiques économiques ne l'ont pas seulement privé de travail mais aussi de parole, de dignité et de visibilité. La classe ouvrière d'hier a été abîmée dans son identité propre, redevenue l'objet de fatalités sans espoir et non plus le sujet d'une histoire où s'inventeraient des lendemains, fussent-ils aléatoires.
Enquêtant depuis 1985 dans la même région ouvrière, celle de Sochaux-Montbéliard et des usines Peugeot, deux sociologues, Stéphane Beaud et Michel Pialoux, ont amplement décrit cette chute (Retour sur la condition ouvrière, Fayard, 1999; Violences urbaines, violence sociale, Fayard, 2003). C'est là, nous ont-ils appris, dans ce ressentiment accumulé, mélange d'exaspération et de désespérance, qu'il faut rechercher la clé de la persistance électorale du Front national.
Sans fard, ils ont souligné combien l'idéologie de la "préférence nationale" avait pénétré le monde ouvrier, y compris à l'abri d'étiquettes progressistes. "Moi, de toute façon, j'ai pas voté pour les étrangers, j'ai voté français": c'est ainsi qu'une ouvrière, "moderne, de gauche", fit comprendre son vote pour le FN à un délégué CGT, lequel ajouta pour Beaud et Pialoux ce commentaire: "C'est la première fois de ma vie, là, que je voyais le gaucho-lepénisme moyen."
Comment y mettre fin ? Comment faire sortir la question sociale de cette emprise du national, de ses pathologies et de ses exclusions ? En commençant par dire"non", n'a cessé de répéter Laurent Fabius. Un "non" à l'Europe dans l'instant du vote, qu'on le veuille ou non, du moins l'Europe telle qu'elle se fait et telle que la soutient la gauche européenne, qu'elle soit politique ou syndicale. Un"non" français au nom d'une Europe sociale dont notre gauche nationale saurait seule inventer le chemin. Le prochain, en effet, plutôt que le lointain. Mais quel prochain ? Un prochain défini par le statut social ou par l'identité nationale ? C'est tout le risque du"non" dit de gauche: un pari sur le sens du vote, sa dynamique et ses lendemains.
Et c'est tout notre désaccord: la conviction que le repli national, fût-il coloré de social, imposera sa symbolique. Car il a une longueur d'avance. Celle que non seulement la droite mais aussi une partie de la gauche lui ont donnée sur les questions de l'immigration et de l'insécurité, des cités et de la religion, des prétendus "sauvageons" en somme et du passé colonial en prime. Cette gauche qui a admis un discours d'ethnicisation d'un monde ouvrier renouvelé par les immigrations maghrébine et africaine. Cette gauche qui démonise l'islam et brandit la Turquie en épouvantail. Cette gauche qui croit encore, comme Fabius il y a vingt ans, que Le Pen, s'il apporte de mauvaises réponses, pose les bonnes questions.
Edwy Plenel LE MONDE | 27.05.05 | 14h15
L' Union américaine pour les libertés civiles (American Civil Liberties Union, ACLU), a rendu publics, mercredi 25 mai, des résumés d'entretiens entre des agents du FBI (police fédérale) et des détenus de Guantanamo. Dans ces centaines de pages, des prisonniers se plaignent dès avril 2002, quatre mois après l'ouverture du camp de détention pour les "ennemis combattants" capturés en Afghanistan, d'attitudes "irrespectueuses" envers le Coran. Une dizaine de témoignages font état de la profanation du livre sacré. Depuis des mois, d'anciens détenus font des récits similaires.
Il y a deux semaines, l'hebdomadaire Newsweek affirmait que le Coran avait été jeté dans les toilettes à Guantanamo, provoquant des émeutes en Afghanistan au cours desquelles 16 personnes étaient mortes. Sous la pression de l'administration, Newsweek désavouait son article dont les sources étaient anonymes. Le Pentagone a affirmé à plusieurs reprises que les témoignages d'anciens prisonniers n'étaient pas crédibles et qu'ils étaient incités à travestir la réalité. La semaine dernière, pour Scott McClellan, le porte-parole de la Maison Blanche, les faits décrits par Newsweek "étaient faux".
Les documents révélés par l'ACLU renforcent plutôt les thèses du magazine américain et confirment en tout cas que le Coran était un sujet de contentieux entre les détenus et leurs gardiens, conduisant certains prisonniers à mener une grève de la faim ou à menacer de se suicider. Pour punir les récalcitrants, les interrogateurs les privaient de leur Livre saint et le leur rendaient s'ils se montraient coopératifs.
Les procès-verbaux rédigés par la police fédérale ont été obtenus par l'ACLU dans le cadre d'une procédure judiciaire lancée contre le gouvernement sur le traitement des prisonniers à la base militaire de Cuba. "L'administration détient des documents montrant qu'elle était informée de nombreuses allégations de profanation du Coran", explique Amrit Singh, un des avocats de l'Union américaine pour les libertés civiles. "L'incapacité à les prendre en compte pose de graves questions. Dans quelle mesure ces profanations étaient-elles autorisées par des officiels de haut rang ?", ajoute-t-il.
Le 6 avril 2002, un détenu affirme que "les gardes maltraitent les prisonniers en leur jetant des poubelles parfois pleines de détritus dans leurs cellules et donnent des coups de pied dans le Coran". Dans un témoignage du 1er août 2002, un prisonnier déclare: "Leur comportement est mauvais. Il y a environ cinq mois, les gardiens ont battu des détenus. Ils ont jeté le Coran dans les toilettes".
Pour le porte-parole du département de la défense, Lawrence Di Rita, "ce n'est pas crédible. Ce même détenu a été interrogé le 14 mai dernier. Il a été très coopératif, a répondu aux questions et n'a pas corroboré les allégations de 2002. Ces accusations fantastiques contre nos gars faisant quelque chose de vraiment haineux contre le Coran pour choquer les détenus ne tiennent pas debout".
Jameel Jaffer, un avocat de l'ACLU, n'est pas convaincu. "Malheureusement, nous avons appris au cours des dernières années que les déclarations de prisonniers sur leurs traitements à Guantanamo et ailleurs étaient parfois plus crédibles que les communiqués du gouvernement", explique-t-il.
Deux autres "ennemis combattants" de Guantanamo, tout en reconnaissant ne pas l'avoir vu directement, déclarent au FBI avoir entendu des récits de profanation du Coran par d'autres prisonniers. Il faut prendre ses récits avec prudence. La police fédérale fait état d'un incident où un détenu "a accusé à tort un garde d'avoir jeté le Coran après l'avoir fait lui-même. De nombreux prisonniers ont réagi à cette accusation". Cela aurait provoqué une émeute autour des 19 et 20 juillet 2002. Les procès-verbaux décrivent un cas où une femme, interrogeant un détenu, lui a déclaré être en période de menstruation et "lui a jeté du sang de son corps au visage et sur la tête".
Ce récit est similaire à celui de l'ex-sergent Erik Saar, ancien traducteur de l'armée américaine à Guantanamo, de décembre 2002 à juin 2003. Le Pentagone a indiqué que deux femmes, s'étant comportées ainsi, avaient en fait aspergé d'encre rouge des détenus et avaient été réprimandées. "Le gouvernement continue à ne pas vouloir voir les preuves grandissantes d'abus généralisés. Si nous voulons réellement réparer l'image de l'Amérique dans le monde, l'administration Bush doit tenir pour responsables les officiels de haut rang qui ont autorisé les mauvais traitements et les tortures", a souligné Anthony Romero, le directeur de l'ACLU.
Eric Leser
Le monde entier va dépenser en 2005 environ 191 milliards de dollars pour se défendre contre le terrorisme, dont 44% à la charge des Etats-Unis, a estimé, mercredi 25 mai, le cabinet privé américain Homeland Security Research Corporation (HSRC). Ce chiffre devrait tripler en dix ans et dépasser 517 milliards en 2015, dont 35% pour les Etats-Unis. Pour parvenir à ces chiffres, HSRC a additionné les dépenses de "sécurité intérieure", c'est-à-dire "les activités de contre-terrorisme d'une nation, à l'intérieur de ses frontières, par les autorités civiles", et les dépenses de "défense intérieure", c'est-à-dire les activités antiterroristes d'une nation et de son armée à l'intérieur et à l'extérieur de ses frontières. Ces calculs ont été réalisés dans l'hypothèse qualifiée de "tension persistante", avec des attentats terroristes mais en l'absence d'attaque majeure du type 11 septembre 2001. – (AFP.)
Article paru dans l'édition du 27.05.05
Cathy: Ne trouvez-vous pas que la campagne s'est "noyée" dans l'explication de texte, qui en fait intéresse peu de monde ?
Raphaëlle Bacqué: Oui, c'est vrai. Mais est-ce que vraiment les gens s'en désintéressent ? Dans toutes les réunions publiques, des gens arrivaient avec leur Constitution, les livres sur le traité se sont très bien vendus. Mais c'est vrai que, du coup, beaucoup de gens ont perdu de vue le contexte, les enjeux, les suites et que l'on y revient un peu maintenant.
Jecallon: Pensez-vous que cette campagne référendaire soit identique à celle du traité de Maastricht, ou la division avait été plus nettement droite gauche, et ou l'implication des citoyens avait été - dans mon souvenir - moindre ?
Raphaëlle Bacqué: La division n'avait pas été plus nette. La gauche s'était divisée avec les chevénementistes et la droite s'était divisée à 60/40 entre Pasqua/Séguin et la tendance Chirac/Juppé. Les citoyens s'étaient aussi passionnés pour la campagne et on avait connu un peu le même phénomène éditorial qu'aujourd'hui, toute proportion gardée. la différence, cependant, est que le référendum avait eu lieu le 26 septembre, après l'été et la campagne avait donc été moins suivie, du fait de la coupure des vacances.
Monique: La force du débat est-elle un signe de la qualité de la démocratie en France, ou plutôt un regain du débat qui n'avait pas eu lieu avant le premier tour de la présidentielle de 2002 ?
Maxx974: Pensez-vous que le choc du 21 avril 2002 - et l'image qu'il a montrée des relations entre les citoyens et leurs élus - a pris une importance équilibrée au cours de cette campagne ? On peut se dire déçu du peu de changement dans la conduite des élus.
Raphaëlle Bacqué: Il est clair que la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour, en 2002, a empêché le vrai débat d'avoir lieu sur le type de réforme, le type de représentation politique, etc. Et que nous avons en partie ce débat maintenant.
Il est vrai aussi que la classe politique n'a pas paru prendre en compte le 21 avril et le désaveu qu'il représentait à gauche et à droite. De la même façon, le président n'a pas tiré les conséquences des échecs électoraux de la droite aux européennes, aux régionales, aux cantonales. On finit toujours à avoir les débats que veulent les Français et nous l'avons amorcé pour cette campagne référendaire. Mais il reste encore à mener plus à fond pour la gauche, sur le choix entre une gauche plus réformiste ou pas et sur une droite plus libérale ou pas.
Komotini_ths_Elladas: Pensez-vous que le débat a vraiment permis aux citoyens de comprendre un texte sibyllin ?
Jean-Charles_Guichard: Selon vous, la vraie question de la campagne a-t-elle été bien comprise: oui à cette Constitution ou non mais..., ou alors oui à une Constitution, ou non à une Constitution pour l'Europe.
Raphaëlle Bacqué: Je crois que pour une grande majorité les Français continuent d'ignorer ce qu'il y a dans la Constitution et continuent à ne pas savoir comment l'interpréter. Car le texte est non seulement très complexe, mais il permet parfois des interprétations diamétralement
opposées qui ont sans aucun doute dérouté beaucoup d'électeurs.
Par ailleurs, la question ne peut être que sur un texte précis: oui ou non à cette Constitution. Le vrai problème est qu'aujourd'hui, une part non négligeable d'électeurs vont aussi répondre à d'autres questions: oui ou non au pouvoir en place, oui ou non à la façon dont on gère la mondialisation, oui ou non à la classe politique française telle qu'elle est.
Zack: Sommes-nous en train de constater l'abandon de la vision d'une Europe citoyenne (en France), au profit d'une Europe aux entités souverainistes et libéralistes ?
Dumb_&_happy: A vos yeux, comment expliquer que les opposants au traité aient pu faire du débat sur la Constitution un affrontement entre partisans d'une Europe sociale et tenants d'une Europe libérale (ce qui est à mon sens une grossière erreur de lecture du texte) ?
Raphaëlle Bacqué: Ce qui est frappant, c'est de voir que les partisans du oui n'ont pas compris qu'ils auraient une vraie campagne à mener et ils l'ont entamée trop tard. Du coup, ils ont laissé les souverainistes et "l'autre gauche" (c'est-à-dire une part du PS, l'extrême gauche,
le PCF, les alter) la mener et imposer leurs propres thèmes.
Par ailleurs, le président de la République, qui décidait lui-même du référendum, n'a pas expliqué pourquoi il le lançait et quelle vision de l'Europe le traité impliquait. Du coup, chacun a été entraîné dans un débat sur d'autres sujets qui pourtant ne sont pas tous déconnectés du débat européen...
Pour_1_oui_ou_1_non: Comment peut-on expliquer l'attrait que cette campagne suscite dans les ménages français ? A l'inverse, pourquoi dans les autres pays tels que l'Allemagne ou l'Espagne (pour prendre deux consultations différentes), la Constitution indiffère-t-elle la population ?
Raphaëlle Bacqué: D'abord, en Allemagne et en Espagne, les populations ne sont pas consultées puisque les ratifications se sont faites par voie parlementaire. Donc, de fait, les Allemands et les Espagnols ne se sont pas passionnés pour une question qu'on ne leur posait
pas.
En France, c'est très différent. La question de l'identité française est une question importante dans notre pays depuis déjà plusieurs années, mais elle a pris des formes diverses, comme la question de la place de la France dans le monde et a fortiori dans cette Europe dont nous avons longtemps été géographiquement le centre et qui s'élargit aujourd'hui, en nous obligeant
à reconsidérer notre position.
J'ajouterai que les Français restent un peuple passionné par la politique et ce n'est pas seulement anecdotique. Nous avons à la fois une très grande défiance à l'égard de nos élus et une grande foi dans la capacité de la politique à changer le monde ou au moins notre société.
Vylène_Fermière: Vous semblez sous-entendre que beaucoup vont voter non pour sanctionner le gouvernement, ce qui est déplacé. Mais beaucoup vont voter oui pour affirmer leur soutien au projet européen en général. N'est-ce pas tout aussi déplacé ?
Raphaëlle Bacqué: On voit aujourd'hui dans les sondages, et ne serait-ce qu'autour de soi, qu'effectivement beaucoup de non sont aussi motivés par la volonté de sanctionner le gouvernement (ce n'est pas la seule motivation, mais celle-ci est très forte). Sans doute est-ce "déplacé", comme vous le dites, mais c'est le risque classique des référendums qui se transforment en plébiscites. Pour le oui, cela me semble moins "déplacé'" de voter pour la Constitution pour affirmer son soutien au projet européen tel qu'il est, puisque c'est Constitution en est une étape...
Cathy: Le référendum est-il toujours un outil adapté à un Etat moderne ?
Raphaëlle Bacqué: Non, je ne dis pas du tout que l'on ne devait pas faire de référendum. Je pense qu'au contraire il est bon qu'à un moment ou à un autre, les peuples se prononcent, notamment sur l'Europe qui a des implications importantes sur leur vie et les choix du pays. Nous sommes dans le temps des peuples, dans des démocraties d'opinion.
Par ailleurs, le référendum vient compenser la vraie faillite de nos institutions. Celles-ci ont en effet montré leurs limites. Regardez ce qui s'est passé le 21 avril 2002. L'extrême droite et l'extrême gauche ont été, d'une certaine façon, la clé de la présidentielle. Or, ils ne sont pas représentés à l'Assemblée nationale. Quoi que l'on pense de ces mouvements, cela pose un problème au bout d'un moment.
Le référendum permet donc de retremper la légitimité populaire. Cela dit, cela ne nous dispensera pas de modifier nos institutions et d'améliorer la démocratie représentative qui est tout de même la façon la plus efficace de faire fonctionner une démocratie.
Huskie: Bonjour, Jacques Chirac ne s'est-il pas pris lui-même au piège de la tentation "plébiscitaire" ?
Raphaëlle Bacqué: Pour le coup, je crois que Jacques Chirac était intimement convaincu que la question européenne méritait référendum, justement pour les raisons que je viens d'énoncer plus haut et qui tiennent aux failles de notre démocratie représentative. Qu'il ait cru, cependant, que la gauche en pâtirait bien plus que lui, certainement. On peut avoir quelques grands principes et les accompagner de petits calculs...
Marcelle: Quel est le portrait type de l'indécis ?
Raphaëlle Bacqué: D'après les derniers sondages, les indécis sont plus souvent des femmes, des jeunes et des moins de cinquante ans. On ne peut cependant tirer de conclusions sur leur profil socio-professionnel, car il semble qu'ils se recrutent un peu partout.
Martin: Comment analysez-vous le "retour" de Jospin pour soutenir le oui ?
Raphaëlle Bacqué: On peut l'analyser de diverses manières. Il est d'abord le signe de la faiblesse et du défaut de leadership de l'actuelle direction du PS et d'abord de François Hollande. Veut-il pour autant, à cette occasion revenir dans le jeu politique ? Peut-être est-ce son désir, mais le peut-il vraiment ? Il peut aussi vouloir tenter d'éviter une fracture trop irrémédiable dans ce PS qu'il a longtemps dirigé.
Cabasset: Quelles seront les conséquences du référendum sur le Parti socialiste ?
Raphaëlle Bacqué: Cela va être très dur. Plus encore si le non l'emporte. Si le oui gagne, François Hollande et les siens peuvent exclure de la direction, ou au moins sanctionner, Laurent Fabius, mais ils restent avec une aile gauche (LCR,PCF, alter, une part des Verts) très radicalisée, qui peut les empêcher de gagner les élections.
Si le non l'emporte, M. Fabius peut essayer de prendre la tête du PS, mais il n'est pas du tout sûr qu'il ait une majorité. Et l'on verra quels rapports il pourra établir avec une "autre gauche" qui le vilipendait il y a encore quelques mois...
RaphaëlA: La partie est-elle définitivement jouée ? Le non gagnera-t-il dimanche soir ?
Muriel: Les derniers sondages montrent le non gagnant à 54%. Pourquoi un tel emballement ? Une surprise est-elle envisageable dimanche, selon vous ?
Raphaëlle Bacqué: Une élection n'est jamais jouée avant d'avoir eu lieu. Cependant, la progression et la consolidation du non sont des signes avant-coureurs d'une possible victoire. A 54% pour le non et 46% pour le oui, on assiste à un début de décrochage du oui.
Généralement quand un candidat ou un camp sont assez en tête juste avant un scrutin, une bonne part des indécis le rallient en raison de ce que l'on pourrait appeler un conformisme de la victoire. Ils veulent être dans le camp des gagnants. Cela dit, chaque élection recèle son lot de surprises.
En tout cas, une victoire confortable du oui me paraît exclue. Ce que l'on peut avoir c'est: soit une victoire nette du non avec un oui décroché, soit une victoire à l'arraché du oui...
Romuald: On a beaucoup reproché l'arrogance des tenants du oui tout au long de la campagne. Qu'en pensez-vous ?
Maria: Quels ont été, selon vous, les moments saillants de cette campagne ?
Raphaëlle Bacqué: L'arrogance ou l'inconscience devant la montée des mécontentements ? Je pencherais plutôt pour la deuxième solution. Il me semble par ailleurs que les partisans du non ont beaucoup joué sur le thème "nous sommes des dominés, des exclus du débat" or tout le débat (sur Internet, dans les médias, partout dans la société) montre au contraire que leurs thèmes de campagne ont été très relayés et ont eu beaucoup d'impact.
Ce qui frappe dans cette campagne est l'émergence de certains thèmes: peur des délocalisations, peur de perdre les services publics, peur des nouveaux pays entrants, prise de conscience soudaine de la concurrence chinoise, que l'on avait pas perçus aussi nettement jusque-là.
Agnès: Qui a commis les plus grosses erreurs lors de cette campagne ?
Raphaëlle Bacqué: Jacques Chirac, en premier lieu: défaut d'explication en début de campagne, apparitions maladroites, trop tardives. Une partie des partisans
du oui qui ont cru que la foi traditionnelle en l'Europe suffirait à faire voter le traité.
Certains reprochent à François Hollande de n'avoir pas su gérer son opposition interne, mais le référendum interne du PS était censé la régler. Quant à Fabius, il joue un quitte ou double et il sera intéressant de voir sur quelle base il entend tirer parti d'une victoire du non, si elle a lieu.
Chat modéré par Stéphane Mazzorato
LEMONDE.FR | 27.05.05 | 15h13
R ecevant tour à tour le premier ministre israélien, Ariel Sharon, et le président de l'Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, George Bush, pratiquant un grand écart diplomatique assez rare dans un si court laps de temps, a trouvé les mots pour satisfaire pleinement l'un et l'autre.
Au premier, il a affirmé à Washington le 11 avril: "Les nouvelles réalités sur le terrain font qu'il est irréaliste d'envisager que les négociations sur le statut final entraînent un retour complet -d'Israël- aux frontières de l'armistice de 1949. Tout accord sera effectué sur la base de changements acceptés mutuellement et reflétant ces réalités." L'administration américaine faisait connaître sa "compréhension" quant au maintien des grands blocs de colonies situés en Cisjordanie dans les futures "frontières définitives" d'Israël. M. Sharon exultait, les Palestiniens se disaient scandalisés.
Le 26 mai, pour sa première visite à Washington, Mahmoud Abbas a "obtenu" une déclaration à la tonalité fort différente. "Toute modification des lignes de démarcation de 1949 doit être mutuellement acceptée, a expliqué M. Bush. Une solution viable à deux Etats doit assurer la continuité territoriale de la Cisjordanie; une situation de territoires dispersés ne marchera pas. (...) Telle est et restera la position des Etats-Unis (...)."
Les Palestiniens exultent. "Le président Bush n'a pas changé de position". ont déclaré les autorités israéliennes. Mais les commentateurs ne s'y sont pas trompés. Certains mots – les modifications de frontières "mutuellement acceptées" – "restent les mêmes". écrit l'éditorialiste du quotidien Haaretz, "mais la musique a changé". "Le discours du président Bush constitue une défaite pour Israël". a estimé le président de la commission des affaires étrangères et de la défense de la Knesset, Youval Steinitz.
Depuis le début de l'Intifada (29 septembre 2000), c'est la première fois que le gouvernement américain insiste aussi clairement sur le fait que les "frontières de 1949" – généralement appelées "frontières de 1967" (elles furent celles d'Israël jusqu'à la guerre de Six Jours, en juin 1967) – constituent le point de départ d'une négociation entre les deux parties sur l'aspect territorial du conflit. Le principe d'un retrait des Israéliens aux frontières de 1967 a été une exigence palestinienne constante depuis les accords d'Oslo entre les deux parties, en 1993.
Empêtré dans une crise politique liée au retrait de Gaza, prévu pour le mois d'août, M. Sharon peut espérer, une fois encore, gagner du temps. Mais Shimon Pérès, dirigeant du Parti travailliste, a tiré d'autres conclusions des propos du président américain. Selon lui, Israël devra "évacuer d'autres implantations" et "il est inconcevable que toutes les colonies restent en place". En attendant, les négociations bilatérales israélo-palestiniennes stagnent, la construction du "mur de sécurité" israélien à l'intérieur de la Cisjordanie et les confiscations de terres palestiniennes continuent. Le changement de "musique". à Washington, est remarquable. Il faut espérer qu'il ne soit pas une posture diplomatique conjoncturelle.
Article paru dans l'édition du 29.05.05
"F rançais ! Françaises ! Ici Londres..." Jamais, depuis mai 1940, le reste de l'Europe n'a observé avec autant d'attention et d'inquiétude ce qui se passe en France. Il y a soixante-cinq ans, l'avenir d'une Europe en guerre dépendait des Français. Aujourd'hui, c'est l'avenir d'une Europe en paix.
Les sentiments des Britanniques en cette occasion sont plus partagés. En 1940, ils étaient unis dans l'ardent espoir que les Français prononceraient un non retentissant contre les envahisseurs nazis. Ils avaient à leur tête Winston Churchill, francophile de toujours et grand admirateur des prouesses militaires françaises.
En 2005, une étroite majorité de Britanniques espère modérément que les Français vont dire non au traité constitutionnel. Une minorité éclairée espère ardemment que les Français vont dire oui. La place de Churchill est occupée par Tony Blair, qui est lui-même déchiré.
D'un point de vue tactique, un non français lui épargnerait la bataille difficile de son propre référendum.
D'un point de vue stratégique, il a besoin du oui français pour conserver une chance d'atteindre son double objectif historique – ancrer la Grande-Bretagne à la fois dans l'Europe et avec l'Amérique – avant que n'arrive le moment, pour lui, de passer la main à Gordon Brown.
Dans toute l'Europe, on assiste à une éruption de divers non incompatibles. Un non danois pour défendre le généreux Etat-providence est très différent d'un non polonais. Même les non français sont incompatibles. Jean-Marie Le Pen et les communistes français forment un drôle de couple. Ces non français ont toutefois quelque chose en commun: le sentiment de peur.
Lors des quelques jours que j'ai passés en France, récemment, j'ai trouvé un pays en proie à la peur: de l'inconnu, des étrangers, du changement. Peur du "plombier polonais" devenu proverbial, qui prend votre travail, peur d'une Union européenne (UE) élargie où Paris ne se trouverait plus aux commandes, d'un monde de plus en plus dominé par le "libéralisme anglo-saxon". La peur est mauvaise conseillère.
Français ! Françaises ! Qu'est-il arrivé à votre assurance ? Ne vous rendez-vous pas compte que la France demeure l'un des pays du monde les plus riches, les plus brillants, les plus attrayants, un pays qui possède non seulement un passé prestigieux, mais aussi, potentiellement, un grand avenir ?
Les non français et les non britanniques sont, de tous, les plus incompatibles. Si on laisse de côté le souci partagé du droit à la souveraineté nationale, ils sont presque diamétralement opposés. Pour les Britanniques, le traité constitutionnel est trop centralisateur, dans l'intérêt d'une superpuissance européenne, trop régulateur, dans la défense d'une prétendue "Europe sociale". dirigiste, étatiste; en un mot: français. Pour les Français, il est dangereusement néolibéral, dérégulateur, laissant le modèle social européen être englouti par le capitalisme du libre-échange de style anglo-saxon; en un mot: britannique.
Un vote pour le oui, écrivait récemment André Fontaine dans Le Monde, consoliderait "l'Europe de Tony Blair". Comme celui-ci aimerait lire cela dans un journal britannique ! En fait, le seul moyen de convaincre à la fois Français et Britanniques de voter oui serait d'organiser un échange massif de nos critiques sur le traité. Les arguments des Français contre le traité aideraient à convaincre les Britanniques qu'il s'agit réellement d'une bonne chose dans l'ensemble, et inversement. Cet échange servirait également le sort enlisé d'Eurotunnel et d'Eurostar, ces projets franco-britanniques emblématiques en difficulté.
Comment deux peuples peuvent-ils voir le même objet de manière aussi différente ? En partie parce que, Français et Britanniques, optiquement programmés par des versions contrastées des Lumières, avons des points de vue différents. Plus sérieusement, cet effet apparemment paradoxal est possible parce que le traité constitutionnel, compromis énorme et complexe entre les gouvernements nationaux, contient effectivement des éléments majeurs appartenant aux deux. Et à juste titre.
Au moins une des choses que critiquent le plus les Français comme étant britannique ou "anglo-saxonne". est en fait indispensable pour l'avenir de la France. Au moins une de celles que critiquent le plus les Britanniques comme typiquement française est indispensable à l'avenir de la Grande-Bretagne.
Quiconque observe le taux élevé de chômage structurel dans l'économie française ne peut sérieusement douter qu'elle a besoin d'une bonne dose de dérégulation et de libéralisation de son marché du travail, dans le style britannique. D'autre part, la leçon évidente de la crise irakienne est que, dans le monde d'après la guerre froide, le Royaume-Uni seul n'est plus capable d'influencer significativement la politique américaine. Pour ce faire, il faut le poids conjugué de l'Union européenne. Aucune des deux anciennes puissances mondiales européennes ne peut faire grand-chose isolément.
Soyons franc: ce traité est un document embrouillé et peu engageant. En réalité, ce n'est pas une Constitution, mais un traité. C'était une erreur d'intégrer autant de dispositions légalistes et bureaucratiques détaillées dans le document. Son principal architecte et auteur, Valéry Giscard d'Estaing, a reconnu récemment dans Time que le texte est plus efficace contre l'insomnie que la plupart des somnifères vendus en pharmacie. Autant pour la prose impérissable de son Préambule !
Mais c'est le meilleur traité que nous ayons. Avec tous ses défauts, il rend davantage possible à une Union de 25 membres (et bientôt plus) de fonctionner en interne et de parler d'une seule voix – ou, du moins, de mieux coordonner les voix – sur la scène internationale. Ces deux tâches sont urgentes.
On pourrait m'opposer qu'en établissant une comparaison avec cet autre mois de mai, il y a soixante-cinq ans, j'ai quelque peu dramatisé les conséquences d'une autre "drôle de défaite" en France. C'est naturellement exact. Mais la dédramatisation à laquelle on assiste en certains lieux – l'Europe s'en remettra, s'époussettera et votera un programme minimum de changements institutionnels qui conviendra parfaitement – me semble une sous-estimation dangereuse.
Les compromis durables entre 25 gouvernements sont difficiles à réaliser. Ce n'est pas dans l'air du temps actuellement en Europe, comme le montrent les négociations difficiles sur l'avenir du budget de l'UE. Et cela prendra du temps. Du temps que nous n'avons pas, car les puissances émergentes d'Asie, surtout la Chine et l'Inde, grandissent très vite, tandis que l'hyperpuissance américaine, en l'absence d'une réponse européenne unifiée, sera de nouveau tentée de faire cavalier seul. Toutes les tentatives précédentes pour unifier l'Europe ont échoué. Il n'est écrit nulle part que celle-ci doit réussir.
La semaine dernière, à un rassemblement des socialistes européens pour le oui au Cirque d'Hiver, à Paris, j'ai entendu Carmen Gonzalez, la femme de l'ancien premier ministre espagnol Felipe Gonzalez, faire un discours édifiant. Son thème était simple: l'erreur tragique de la gauche a trop souvent été de sacrifier le bien au nom du mieux. A vrai dire, le mieux est l'ennemi du bien.
Ce traité est loin d'être le meilleur, mais il est ce que nous obtiendrons de mieux. Si nous y renonçons, le reste du monde, de Beijing à Washington, nous prendra pour des clowns.
Français ! Françaises ! Soyez courageux. L'Europe attend que la France fasse son devoir. Nous vous demandons de voter oui dimanche, malgré tout.
Timothy Garton Ash est directeur du Centre d'études européennes du St Antony's College, à l'université d'Oxford (Royaume-Uni).
par Timothy Garton Ash
Article paru dans l'édition du 29.05.05
L e référendum se décidera autour des questions sociales. Pourtant, le social a donné lieu, dans la campagne, à nombre de contre-vérités ou de "vérités cachées". les partisans du oui comme du non revendiquant la "légitimité sociale" de leur vote.
Il est d'autant plus difficile de s'y retrouver que l'opposition à la Constitution est liée à l'élargissement de l'Union, réalisé il y a un an. Lequel, contrairement à la Constitution, n'a jamais donné lieu à débat public ni à référendum. Pour preuve, les craintes – systématiquement attisées par les opposants à la Constitution – à propos des travailleurs polonais ou lettons. D'où l'intérêt de présenter dans la transparence les risques sociaux futurs, afin de mieux juger de l'apport social de la Constitution.
Sur le premier aspect, disons-le: l'élargissement a apporté des décalages économiques et sociaux qui seront très longs à combler et qui stimulent déjà des comportements de dumping social. Ce constat est conforté par nombre d'études. Ajoutons que l'absence de solidarité de l'Union européenne (UE) des Quinze (sur leurs contributions, les fonds structurels, ou la mobilité des travailleurs) retardera le processus de rattrapage social. D'où un deuxième constat: c'est surtout l'élargissement, et non la Constitution, qui a été mal préparé.
De même, admettons que les délocalisations Ouest-Est ont déjà eu lieu de manière massive dans les grandes entreprises industrielles transnationales, souvent par la sous-traitance, et qu'elles continueront d'avoir lieu, pour s'étendre aux PME et aux services. Enfin, les pratiques de certains des nouveaux Etats membres ne se résorberont pas toujours au rythme du rattrapage économique, car elles reflètent aussi des orientations idéologiques, parfois libérales à l'excès. D'où un troisième constat: il sera désormais difficile (mais pas impossible) d'avancer dans le domaine social.
Comment, dès lors, juger de la contribution sociale de la Constitution ? Rappelons que la dimension sociale n'y avait pas été prévue. Il a été très difficile de faire accepter à la Convention l'idée même d'un groupe de travail sur le social – dont nombre de propositions sont d'ailleurs restées lettres mortes. Les politiques sociales (et fiscales) continuent d'être soumises au vote à l'unanimité. L'UE continue à ne pas être habilitée à agir ni même à proposer des mesures sur le droit de grève et les salaires.
Enfin, tout reste à faire au regard de la définition et de la consolidation du modèle social européen. Le projet de traité a donc bien raté l'opportunité de hisser une fois pour toutes le social parmi les dimensions essentielles de la construction communautaire (au même titre que l'économique et le monétaire). Pourtant, la Constitution apporte des éléments nouveaux. D'abord la reconnaissance des droits sociaux fondamentaux. Même si leur respect n'est toujours pas contraignant, ils pourront servir de base à une interprétation juridique future. De même, la reconnaissance d'une base juridique pour les services publics et d'intérêts généraux est une avancée significative. Enfin, l'avantage majeur de la Constitution est de permettre, malgré tout, de consolider ce qui est déjà acquis sur le social. Elle permet de garantir ces acquis sociaux plutôt que de tenter de jouer à quitte ou double dans une renégociation hypothétique de la Constitution.
En matière sociale, ce ne sont donc pas les "bénéfices" de la Constitution qu'il faut souligner mais plutôt les "coûts" de sa non-adoption. Car une renégociation déboucherait presque certainement non pas sur "plus" mais bien sûr "moins" de social, compte tenu de la position des nouveaux Etats membres, qui revendiquent haut et fort leur tendance libérale.
Dans un contexte libéral, l'acceptation de la Constitution ne serait qu'une première étape. Il faudra déployer encore bien des efforts pour continuer à faire progresser les droits sociaux dans une Union européenne élargie. Mais avant de s'atteler à des luttes futures, encore faut-il consolider les fruits des luttes passées.
Daniel Vaughan-Whitehead est conseiller principal au Bureau international du travail (BIT), à Genève.
par Daniel Vaughan-Whitehead
Article paru dans l'édition du 29.05.05
L' inconscient n'est pas seulement structuré comme un langage. Il serait également capable de percevoir le sens et la valeur émotionnelle de mots présentés de manière très brève (subliminale). C'est ce qu'ont démontré le docteur Lionel Naccache (unité 562 de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale et hôpital de La Pitié, Paris) et ses collaborateurs. Leur étude est publiée dans la revue américaine Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS) datée du mardi 17 mai.
Cette équipe de l'Inserm, dont le directeur, Stanislas Dehaene, est également signataire de l'article, travaille sur la neuro-imagerie cognitive. Elle s'intéresse en particulier à ce qui est propre aux actions conscientes. Procédant par exclusion, ces chercheurs s'attachent à voir tout ce que nous sommes capables de faire inconsciemment. "Beaucoup de processus cognitifs ne sont pas conscients, explique Lionel Naccache. Mais, est-ce que cela va jusqu'à des niveaux de représentation très abstraits, en l'occurrence accéder au sens d'un mot par un processus non conscient ? Nous ne le savions pas."
Lionel Naccache et ses collaborateurs ont eu l'opportunité de conduire une expérience avec trois patients souffrant d'une épilepsie réfractaire aux médicaments, maladie pour laquelle ils devaient subir l'implantation intracrânienne d'une électrode. C'était l'occasion d'enregistrer, avec leur accord, les réponses d'une structure cérébrale, l'amygdale. Celle-ci joue un rôle fondamental dans les réactions émotionnelles à des stimuli effrayants ou menaçants présentés selon diverses modalités, dont des mots écrits. Ce procédé a permis "de mesurer le traitement sémantique subliminal réalisé par le cerveau de manière plus fine que par des évaluations comportementales" .
Le raisonnement à la base de l'expérimentation était le suivant: si l'activité neurologique dans l'amygdale peut être modulée par la qualité menaçante ou, au contraire, neutre de mots présentés de manière masquée, ce qui exclut leur perception de manière consciente, cela prouverait alors que le sens attaché à ces mots a été perçu de manière non consciente.
Pour présenter les mots de manière subliminale, les chercheurs ont adapté un modèle mis au point dans les années 1970: celui de l' "amorçage masqué" . Lors de chaque test, un mot était présenté pendant seulement 29 millisecondes. Il était précédé et suivi de pancartes comportant des signes dénués de sens (symbole d'un dièse, esperluette...), qui, eux, étaient visibles chacun pendant 71 millisecondes, produisant ainsi un effet de masque vis-à-vis du "mot cible". "Cette technique permet de supprimer la perception consciente du mot" , explique Lionel Naccache.
Des tests avec des mots rendus visibles par la suppression de toute inscription sur la pancarte faisant suite au "mot cible" étaient insérés de manière intermittente et aléatoire entre les tests avec les mots masqués. Cette modalité avait pour but de renforcer l'attention des sujets et le traitement sémantique des mots présentés. Les patients qui se sont prêtés à l'expérience devaient obligatoirement presser des boutons pour indiquer si le mot qui leur avait été présenté, même de manière masquée, avait ou non un sens menaçant. La moitié des 92 mots présentés - masqués ou non - avaient une connotation menaçante.
Durant la passation du test, l'électrode implantée dans le crâne permettait de mesurer les modifications du potentiel électrique au sein de l'amygdale en fonction du temps, traduisant sur le plan électrique l'impact du stimulus (technique dite des potentiels évoqués).
Les enregistrements réalisés ont permis de constater des différences de potentiels, apparaissant environ 800 millisecondes après le stimulus, selon que le mot était menaçant ou non, même lorsqu'il était présenté de manière masquée. "Bien que notre essai n'ait inclus que trois patients, il semble que cette différence s'explique par la valeur sémantique attachée au mot, analyse Lionel Naccache. Cela tendrait à prouver l'existence d'une première étape, inconsciente, dans le traitement d'un mot présenté visuellement de manière subliminale, avant que n'entre en jeu une amplification consciente. Il y aurait donc un décodage inconscient préalable de la signification du mot."
Commentant ces résultats, Juan Segui (laboratoire de psychologie expérimentale, CNRS-UMR 8581, Boulogne-Billancourt) estime que "les débats sont assez ouverts sur les possibilités de percevoir les caractéristiques sémantiques ou la valeur émotionnelle de mots présentés de manière subliminale" . "Lionel Naccache, ajoute-t-il, est un chercheur extrêmement sérieux et qui connaît bien ces questions. On peut observer un traitement non conscient des propriétés d'un stimulus par des techniques comportementales comme le temps de réponse, mais aussi en utilisant un indice psychophysiologique ou de l'imagerie cérébrale. Ces dernières techniques permettent de refléter les processus en jeu de manière beaucoup plus précoce, parce qu'elles court-circuitent les étapes décisionnelles de la réponse."
Le travail de Lionel Naccache renvoie à un modèle qu'il a contribué à développer en compagnie notamment de Stanislas Dehaene et de Jean-Pierre Changeux. Celui d'un "espace de travail global" . "A chaque instant, de nombreux réseaux cérébraux modulaires traitent l'information de manière inconsciente. L'information représentée localement au sein de l'un de ces processeurs n'accéderait au contenu conscient du sujet qu'en présence d'une amplification attentionnelle descendant de nombreux neurones distribués à travers l'ensemble du cortex cérébral" , résume Lionel Naccache. Lorsqu'ils sont activés, les neurones appartenant à cet espace de travail permettraient alors différents processus mentaux, comme la mémorisation à long terme.
Ce modèle scientifique de la conscience s'appuie sur un constat fondamental à propos des bases cérébrales de la conscience visuelle d'un point de vue biologique. "Lorsque nous rapportons avoir conscience de voir un objet, ce n'est pas de l'objet extérieur que nous prenons conscience, mais plutôt d'une représentation visuelle élaborée par notre cerveau. Magritte avait raison avec son fameux "Ceci n'est pas une pipe". Nous avons conscience de la représentation de la pipe et non de la pipe elle-même" , conclut Lionel Naccache.
Paul Benkimoun
Article paru dans l'édition du 05.06.2005
S ix mois après le tsunami d'Asie du Sud et du Sud-Est, qui a coûté la vie à environ 180 000 personnes (quelque 50 000 sont toujours portées disparues), le bilan de l'exceptionnel élan de générosité internationale fait apparaître un constat troublant: le taux d'utilisation des fonds mobilisés est faible. Les évaluations émanant de plusieurs sources se recoupent. Si l'on en croit Interaction, une coalition d'ONG américaines, 20% seulement de l'aide privée mondiale récoltée après la catastrophe ont été effectivement dépensés. En France, les ONG fournissent une fourchette comparable: entre 10% et 30% des sommes reçues ont été consommées sur le terrain. Pour sa part, l'ONU estime que ses différentes agences ont utilisé 35% des dons, mêlant contributions d'Etats et privées. Les contraintes du travail de reconstruction et le volume énorme des dons expliquent ce bilan.
Encore 49 000 disparus Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, a reçu, samedi 25 juin, les familles des victimes françaises du tsunami afin de faire notamment le point sur l'avancement des recherches. Sur les 95 victimes françaises, 26 sont encore portées disparues, six mois après la catastrophe, dont de nombreux enfants. Seize corps avaient été reconnus par leurs proches immédiatement après la catastrophe et 53 corps ont été identifiés ultérieurement. Au Sofitel de Khao Lak, 11 des 42 victimes françaises n'ont toujours pas été retrouvées. Les familles ont obtenu que de nouvelles fouilles soient entreprises sur le site: un corps a ainsi été sorti des décombres le 17 mai. Selon un bilan établi au début du mois de juin, entre 176 000 et 184 500 personnes seraient mortes à l'occasion du tsunami et 49 000 seraient encore portées disparues. L'Indonésie recense 128 803 morts et 37 066 disparus, le Sri Lanka entre 31 000 et 39 000 morts et 4000 disparus, l'Inde 10 749 morts et 5540 disparus, la Thaïlande 5395 morts et 2817 disparus. |
L'aide d'urgence, pratiquement achevée aujourd'hui, a coûté moins que ce qui avait été initialement estimé. La deuxième phase, celle de la reconstruction, est longue à mettre en place, et devrait durer dix ans. Il est donc normal que l'argent disponible tarde a être utilisé. A la Croix-Rouge française, 7 millions d'euros ont été dépensés, sur les 105 millions reçus. "Pour le reste, 70 millions d'euros ont été engagés sur des programmes en cours de préparation, explique Alain Peigney, directeur des opérations internationales, qui ajoute: "Nous attendons d'autres évaluations pour les 35 millions restants"
Le travail de reconstruction demande du temps. Les ONG doivent d'abord évaluer les besoins. Elles tentent d'associer au maximum les populations locales aux projets. La coordination avec les autres entités (ONG, institutions Internationales, Etats) ralentit le processus d'aide. Elles doivent aussi négocier avec les autorités locales et nationales des pays touchés, souvent dans des contextes tendus, comme au Sri Lanka et en Indonésie. Au Sri Lanka, la Croix-Rouge attend toujours que le gouvernement définisse les zones constructibles pour pouvoir lancer son programme d'édification de logements. Les nombreux contrôles sur les dépenses ralentissent encore un peu plus l'affectation des dons. "Après le sprint de l'urgence, démarre maintenant le marathon de la reconstruction", résume Elizabeth Byrs, porte-parole du bureau de coordination des affaires humanitaires de l'ONU (OCHA).
L'objectif de l'ONU et des autres acteurs est clair: reconstruire, mais en mieux. L'impatience est grande chez les populations touchées. Et les donateurs demandent des comptes. "On nous demande de faire vite, mais aussi de faire bien. Il y a une tension entre ces deux objectifs, que nous essayons de concilier", analyse Eric Chevallier, délégué interministériel adjoint en charge de l'aide de la France.
La faiblesse des sommes dépensées s'explique aussi par l'ampleur des sommes reçues. Le total des dons a atteint des sommes jamais vues. Environ 10 milliards de dollars ont été versés, selon l'ONU, par l'ensemble des donateurs: Etats, organisations internationales et privés. On estime que ces derniers ont donné plus de 4,5 milliards de dollars. "L'ONU a reçu au total 1 milliard de dollars, dont 212 millions ne proviennent pas des Etats mais des entreprises et des particuliers, ce qui n'était jamais arrivé auparavant". souligne Elizabeth Byrs, d'OCHA. Au niveau européen, l'engagement des Etats membres et de la Commission se chiffre à 3 milliards d'euros, avec une contribution de Paris s'élevant à 66 millions d'euros. Mais le premier donateur, en France, est la générosité privée, qui a mobilisé plus de 270 millions d'euros. Un Français sur deux a participé à l'aide.
Trop d'argent a-t-il donc été donné pour le tsunami ? En janvier, Médecins sans frontières (MSF) avait suspendu son appel aux dons, estimant en avoir reçu suffisamment. Le son de cloche peut être différent dans d'autres organisations, où l'on estime que les zones touchées continuent d'avoir besoin d'être aidées. Selon Antoine Peigney, de la Croix-Rouge, tous les besoins ne sont pas encore évalués. Les sommes récoltées trouveront toutes une destination tant le travail de reconstruction est gigantesque. Certains acteurs, comme l'Organisation des nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), n'ont pas encore reçu tout l'argent nécessaire. "L'ONU a encore besoin de 300 millions de dollars pour reconstruire" souligne-t-on à OCHA.
Olivier de Pins
Article paru dans l'édition du 26.06.05
L e non français résonne encore dans l'Hexagone, à la fois dans sa politique et dans la société tout entière. Le non a été un vote massif: 55% des voix, près de trois millions d'avance sur le oui, un écart sept fois plus important que celui observé dans l'autre sens pour la ratification du traité de Maastricht en 1992. Ce non a été un vote réfléchi: annoncé à partir de la mi-mars par les instituts de sondage, il ne s'est jamais démenti et s'est même amplifié. En ce sens, il n'est pas la réplique du 21 avril, coup de tonnerre dans notre ciel politique, somme de milliers de choix individuels dont aucun ou presque ne voulait aboutir au résultat collectif de l'élimination de Lionel Jospin au profit de Jean-Marie Le Pen.
Le vote à ce référendum est un dégradé sociologique qui accentue la double fracture du pays, sociale et territoriale. Selon le sondage "sortie des urnes" d'Ipsos, 76% des personnes gagnant plus de 4 500 euros par mois ont voté oui, contre 37% parmi celles gagnant moins de 2 000 euros. 70% des diplômés des grandes écoles, doctorants, titulaires de DEA ou de DESS ont voté oui, contre 28% des personnes sans diplôme.
Si l'on classe les villes et arrondissements de plus de 20 000 habitants selon leur vote, à un bout de la France, Neuilly-sur-Seine, la ville bourgeoise de Nicolas Sarkozy, détient le record du oui, avec82,5%, suivie de Paris-16e, Paris-7e, Paris-8e, Paris-6e, Saint-Cloud (Hauts-de-Seine) et Le Chesnay (Yvelines). A l'autre bout, Le Grand-Quevilly (Seine-Maritime), la ville ouvrière de Laurent Fabius, détient le record du non, avec 81,2%, suivie de Liévin (Pas-de-Calais) et de Grande- Synthe (Nord).
Le non est d'abord un vote de gauche. On peut évaluer à près de 60% le poids des électeurs de gauche dans le total des voix du non. Le non a mobilisé les extrêmes – de gauche et de droite –, auxquels s'est ajoutée une majorité des électeurs socialistes et Verts. La cassure du principal parti de gauche, le PS, que l'on peut évaluer à 3,5 millions de voix pour le oui, 4 millions pour le non, situe l'exact endroit où la France s'est coupée.
Dans ces conditions, il est tentant d'imputer la victoire du non à la vigueur du rejet d'un pouvoir exécutif trop usé ou à la sinistrose des Français. Dans cette façon de voir, l'Europe aurait été l'innocente victime de nos factions et de nos peurs. Mais cette approche ne va pas assez au fond des choses. Car le oui et le non opposent deux visions fondamentalement distinctes, faute que le chef de l'Etat, une fois encore, ait su trouver les mots pour rassurer les Français, faute aussi que les défenseurs du oui de gauche aient eu assez de force pour convaincre leurs propres troupes.
Les enquêtes post-électorales et les consultations fouillées auprès des internautes révèlent que le vote du 29 mai recoupe étroitement le clivage entre ceux pour qui la France doit prendre acte de la société mondialisée et de ses nouvelles règles du jeu et ceux pour qui la France doit le plus possible en rester à l'écart. Il est inexact de croire que l'Europe s'est trouvée prise en otage dans un débat qui ne la concernait pas. Le non s'appuie en effet sur l'idée que l'Europe n'est plus celle de l'après-guerre, dont la finalité était d'assurer la paix sur le continent, mais qu'elle est devenue l'accélérateur, voire l'organisatrice, de mutations indésirables.
Au sein de la droite modérée, le clivage du oui – très majoritaire – et du non oppose ceux qui voudraient que la France s'adapte plus vite à la société mondialisée et à ses règles du jeu et ceux qui s'inquiètent pour le maintien de l'identité française. Pour les partisans du oui, la concurrence est une bonne chose qu'il faut encourager, la montée de la gestion privée dans le secteur public souhaitable, les réformes nécessaires, le modèle social français à bout de souffle. La priorité du pays doit aller à la reconnaissance du travail et du mérite.
Les partisans du non au sein de la droite modérée sont, pour leur part, méfiants envers les grandes institutions comme l'Etat, le Parlement ou la justice et hostiles à la classe politique. Ils développent une opinion critique sur l'islam, s'inquiètent plus que les autres du nombre d'immigrés en France et réclament des mesures contre les flux migratoires. Ils se sentent davantage français qu'européens, refusent l'affaiblissement des Etats au profit de l'Union européenne. Leur priorité va au respect de la loi et de l'ordre public.
Dans notre système présidentiel, le travail des leaders politiques est de fédérer des électorats de nature différente. A droite, on voit bien la synthèse recherchée par Nicolas Sarkozy. En mettant en avant trois éléments: le respect de la loi et de l'ordre public en tant que ministre de l'intérieur, son opposition à l'entrée de la Turquie en tant que président de l'UMP et ses propos tranchés visant à le démarquer de l'ensemble de la classe politique, il veut jeter les bases d'un rassemblement beaucoup plus large que le simple oui de droite prolibéral.
A gauche, et en particulier au sein de l'électorat socialiste, coupé en deux, le oui et le non épousent parfaitement les contours d'un partage entre un électorat que l'on pourrait appeler social-raisonnable et un autre électorat de nature social-protestataire. Les partisans du oui intègrent la notion de société mondialisée et ses règles du jeu. Les partisans socialistes du non rejettent non pas l'idée européenne mais son fonctionnement actuel, accusé d'être porteur d'un triple démantèlement: les services publics, le modèle social français et, par le biais des délocalisations, l'avenir des emplois.
Les socialistes du oui sont moins critiques que les autres envers la mondialisation, moins opposés par principe au libéralisme, plus prêts à accepter l'ouverture du capital des entreprises publiques ou leur ouverture à la concurrence. Leur confiance dans les grandes institutions est plus élevée et ils n'ont pas d'hostilité de principe envers la classe politique. Le modèle social français leur paraît devoir être profondément réformé. Ils font leur le propos de Tony Blair donnant la priorité à la recherche des emplois de demain sur la préservation à tout prix des emplois menacés. L'Europe ne leur paraît pas être le fourrier de la mondialisation mais au contraire en limiter les excès.
Les socialistes du non sont beaucoup plus fermes dans leur attitude. Leur degré de critique envers la mondialisation, leur opposition au libéralisme et aux privatisations est massive. Pour eux, l'Union européenne n'est pas un objet sacré au-dessus des affrontements mais elle fait au contraire système avec les trois éléments précités. Elle leur paraît accélérer les effets négatifs de la mondialisation. Les socialistes du non préfèrent le maintien des politiques nationales à la mise en place de politiques européennes, qui pourraient susciter trop de remises en question. Les oui socialistes pensent que la France a beaucoup à apprendre des autres pays européens, les non socialistes pensent au contraire que la France a beaucoup à leur apporter.
A la différence de la droite, le travail de fédération et de jonction des électorats tarde à s'engager au sein de la gauche. Le non de gauche a pour lui de porter la souffrance et la protestation d'une large partie de l'électorat populaire. Ici, la référence au 21 avril 2002 sonne juste si l'on veut bien se rappeler que le déficit de voix de Lionel Jospin provient de l'électorat populaire et des salariés du secteur public, en raison du profil trop "social-raisonnable" adopté par le premier ministre candidat.
Mais le non de gauche fait aussi courir le risque d'une incompréhension des mutations en cours, d'un repli sur la sphère nationale et d'un insupportable décalage entre un discours tout feu tout flamme dans l'opposition et une pratique tellement plus modeste une fois parvenu au pouvoir.
Pour sa part, le oui de gauche doit comprendre pourquoi il a si peu convaincu au cours de la campagne. Il ne peut offrir aux électeurs comme seule perspective l'entrée dans la société mondialisée et l'acceptation de ses règles du jeu. La grande majorité des électeurs de gauche ne pourrait suivre ses porte-parole qu'à la condition de les voir y porter les objectifs de transformation et de justice qui sont les leurs.
Jérôme Jaffré pour "Le Monde"
Article paru dans l'édition du 19.07.05
"P opulisme: attitude politique consistant à se réclamer du peuple, de ses aspirations profondes, de sa défense contre les divers torts qui lui sont faits."
Comme l'a relevé l'un de nos lecteurs, qui livrait à l'appui de ses remarques cette définition tirée du Petit Larousse (Le Monde du 29 juin), il n'est sans doute pas excessif de qualifier Nicolas Sarkozy de populiste.
En promettant de "nettoyer au Kärcher" la cité de la Courneuve, après le meurtre d'un adolescent, ou en s'en prenant directement, à propos d'un crime commis par un récidiviste, à un juge qui, a-t-il dit, devra "payer pour sa faute". le président de l'UMP a usé d'un style et d'un vocabulaire qui appartiennent au registre classique de l'extrême droite. On aurait tort d'y voir l'expression de dérapages verbaux. Interrogé ultérieurement, M. Sarkozy a plusieurs fois revendiqué ses propos, auxquels il ne trouve rien à redire. Il ne faut pas s'y tromper: alors que le dictionnaire souligne que l'usage du terme "populisme" est "souvent péjoratif", le ministre de l'intérieur n'est pas loin d'y voir un éloge.
"Vous voulez être compris des donneurs de leçons, je veux être entendu du peuple ! J'emploie des mots pour être compris de tous. (...) Vous avez dit 'populisme'; je réponds "peuple"", a-t-il lancé, le 22 juin à l'Assemblée nationale, à l'adresse de ses détracteurs socialistes.
On pourrait se contenter de considérer l'outrance comme un faux pas qui menacerait son auteur d'une inéluctable sanction électorale. Surtout s'il est multirécidiviste... Mais le problème ne se pose pas en ces termes. Si M. Sarkozy, dont l'ambition personnelle n'est plus à démontrer, emprunte aussi ouvertement le chemin du populisme, c'est qu'il l'estime payant. Et s'il l'estime payant, c'est qu'il perçoit une demande en la matière.
Le président de l'UMP, comme à son habitude, va plus vite et plus loin que ses concurrents, mais il n'est manifestement pas le seul à faire cette analyse. La campagne pour le référendum sur la Constitution européenne en a donné l'illustration. Alors que le camp du oui peinait à défendre un texte qu'il jugeait lui-même "trop compliqué", les partisans du non ont habilement surfé sur les inquiétudes et les peurs de l'électorat populaire.
Dans un contexte socio-économique profondément dégradé, le rejet de la Turquie et du "plombier polonais" a eu l'effet d'un rouleau compresseur que rien ne pouvait arrêter. Un autre présidentiable, Laurent Fabius, a jugé opportun d'emprunter cette voie. Il s'agissait là de l'Europe. Il est aujourd'hui question de sécurité et d'immigration. A la différence de M. Sarkozy, qui multiplie les déclarations péremptoires, l'ancien numéro deux du PS a suggéré ou laissé dire. Le style n'était pas le même. Mais le registre est semblable.
MM. Fabius et Sarkozy ne sont pas nés de la dernière pluie. D'où vient donc leur appétit à "se réclamer du peuple, de ses aspirations profondes, de sa défense contre les divers torts qui lui sont faits" ? Tel n'a pas toujours été le cas des leaders potentiels de la droite et de la gauche républicaine. Il suffit pour s'en convaincre de remonter quelques années en arrière.
Printemps 1998. Le paysage de la "gauche plurielle" est dominé par la personnalité de Lionel Jospin, qui est alors à Matignon depuis un an. L'ancien premier secrétaire du PS, à qui tout semble encore réussir, est réputé pour sa rigueur et sa droiture. "Un rigide qui évolue, un austère qui se marre, un protestant athée". selon l'autoportrait qu'il livrera dix-huit mois plus tard. Bref, rien qui prédispose au populisme.
A la même époque, la droite affronte le séisme des élections régionales, qui ont vu cinq présidents de région issus de ses rangs se faire réélire grâce aux voix de l'extrême droite. L'alliance avec le Front national est réclamée par une partie de la base, lasse d'enchaîner les défaites électorales. Mais elle est condamnée sans ambiguïté à l'Elysée, comme à la direction du RPR, alors présidé par Philippe Séguin.
A quelques jours du scrutin régional, ce dernier n'avait pas hésité à exclure du RPR son ancien secrétaire général, Jean-François Mancel, coupable d'avoir affirmé que le FN "devrait faire partie de la droite de demain". Jacques Chirac ne fut pas en reste. Le 23 mars 1998, dans une allocution solennelle, prononcée à la radio et à la télévision, il commentait gravement "l'épreuve" née du scrutin régional. "Je ne peux que désapprouver celles ou ceux qui ont préféré les jeux politiques à la voix de leur conscience", soulignait le chef de l'Etat.
Ce faisant, MM. Chirac et Séguin ne cherchaient pas, en l'espèce, à se "réclamer des aspirations profondes du peuple". mais à contenir celles d'une partie de leur base. A droite comme à gauche, on n'observe rien de tel aujourd'hui. La déflagration du 21 avril 2002 est passée par là.
L'élimination de M. Jospin dès le premier tour de l'élection présidentielle fut interprétée comme un désaveu de l'électorat populaire. La qualification concomitante de Jean-Marie Le Pen a toutefois conduit à élargir le champ du diagnostic.
A droite comme à gauche, chacun s'est convaincu qu'un fossé s'était creusé entre le "peuple" et les "élites". Partant de ce diagnostic largement partagé, il convenait de trouver des remèdes.
C'est à M. Chirac qu'est revenue, dans l'urgence, cette responsabilité. Sa première décision, au lendemain d'un second tour aussi triomphal qu'ambigu, fut de nommer Jean-Pierre Raffarin à Matignon. Ne disposant d'autre légitimité que la confiance du chef de l'Etat, M. Raffarin était d'autant plus exposé aux regards des électeurs.
A maintes reprises, il leur assura avoir "compris le message" du 21 avril, auquel il répondit en affichant ostensiblement sa "modestie" et son désir de "proximité". Pour combler le "fossé", il chercha ainsi à se rapprocher de l'autre rive. Convenait-il de nier la spécificité et la responsabilité particulière du politique pour s'attirer de nouveau les faveurs d'un électorat déçu ? La pente était forte...
Encore ne s'agissait-il que de communication, domaine de prédilection de M. Raffarin. Marqué par l'expérience de son prédécesseur, Alain Juppé, qui avait laissé de son passage à Matignon le souvenir d'un homme "hautain" et "cassant", le sénateur de la Vienne a cherché à conforter une image faite de rondeurs et de consensus.
Un pas supplémentaire a été franchi après le référendum du 29 mai, qui a été perçu par certains comme une réplique du 21 avril. Le diagnostic fut peu ou prou le même qu'il y a trois ans. Le remède n'ayant pas agi, il convenait de forcer la dose. M. Raffarin parti, c'est M. Sarkozy qui administre sa potion. Il ne s'agit plus seulement de mettre en scène une prétendue "proximité" avec le "peuple", mais de devancer, tout au moins en paroles, ses désirs présumés.
La responsabilité du politique ne doit certes pas le conduire à ignorer les préoccupations de ses électeurs. Mais elle devrait l'amener à prendre en compte d'autres paramètres. Le séisme du 21 avril avait suscité une vaste mobilisation, à droite comme à gauche, pour défendre les valeurs de la République face au Front national. Il serait pour le moins paradoxal qu'un traumatisme voisin aujourd'hui puisse conduire, in fine, certains à calquer une partie de leur discours sur celui de l'extrême droite.
Jean-Baptiste de Montvalon
Article paru dans l'édition du 20.07.05
jolafrite: Comment peut-on raisonnablement croire qu'il n'y a plus de dopage dans le cyclisme, quand on voit que la moyenne de vitesse augmente chaque année ?
Stéphane Mandard: Je répondrai en reprenant la phrase de Jean-Marie Leblanc, patron du Tour de France, qui disait: eh oui ! les coureurs vont plus vite qu'en 1950, c'est étonnant, n'est-ce pas ? Les organisateurs nous expliquent depuis environ trois ans que le revêtement des routes est meilleur, et que cette année, par exemple, le vent a soufflé d'ouest en est, donc a poussé les coureurs à rouler plus vite. En ce qui me concerne, j'observerai seulement que les moyennes actuelles sont supérieures à celles des grandes époques de l'EPO.
Poupou: Existe-t-il des produits dopants indétectables ? Lesquels ?
Stéphane Mandard: Logiquement, s'ils sont indétectables, on ne les connaît pas, par définition. La politique antidopage a fait des progrès, notamment scientifiques, dans la recherche, mais elle a toujours un temps de retard sur ceux qui élaborent les molécules. Je prends l'exemple de l'affaire Balco aux Etats-Unis, dont on a pu trouver la nouvelle molécule, la THG (tétrahydrogestrinone), qui était un stéroïde modifié, dont on a pu seulement détecter la présence dans les urines de sportifs parce qu'un échantillon avait été envoyé par un entraîneur. Aujourd'hui, par exemple, en ce qui concerne les transfusions sanguines qui sont utilisées notamment par les coureurs cyclistes, les scientifiques sont seulement capables de faire une détection entre deux donneurs, et non pas si le propre sang du coureur est réinjecté.
Lelaf: Quelles sont les méthodes qui expliquent que les coureurs ne sont presque jamais pris lors des contrôles antidopage mais par des moyens détournés (douanes, perquisition...) ? Les Festina ou Pantani n'ont jamais eu de contrôle antidopage positif. Ces coureurs ont pourtant reconnu se doper lors des courses !
Stéphane Mandard: Aujourd'hui, cela reste très simple d'échapper à un contrôle antidopage. Les coureurs savent parfaitement quand prendre un produit et quand l'arrêter par rapport à un éventuel contrôle, en compétition, mais aussi hors compétition. C'est-à-dire que les coureurs ont une telle assistance médicale, de la part de médecins souvent peu scrupuleux, qu'ils connaissent parfaitement le temps de disparition de produits comme par exemple l'EPO. Aujourd'hui, on sait qu'avec des microdoses régulières après une cure faite durant la saison, l'EPO reste dans les urines moins de vingt-quatre heures. Or, comme les contrôles antidopage interviennent soit – contrôle urinaire – après l'arrivée des coureurs, soit – contrôle sanguin – le matin avant le départ des coureurs, il n'y a pas d'incertitude. Les coureurs peuvent savoir quand ils seront contrôlés. Comme en plus ils arrivent à contrôler leur hématocrite [pourcentage du volume occupé par les globules rouges par rapport au volume total du sang], ils connaissent tous les paramètres qui peuvent indiquer la prise de produits dopants. Et certaines équipes ont les mêmes machines que les contrôleurs antidopage, ce qui leur permet de surveiller en permanence l'évolution des différents paramètres sanguins qui peuvent indiquer des stimulations exogènes.
Lelaf: Pourquoi l'UCI [Union cycliste internationale] et l'organisation du Tour n'enlèvent-elles pas les victoires acquises par des coureurs ayant eu recours au dopage ? Exemple: l'équipe Festina a été reconnue coupable de dopage. Comment se fait-il que les victoires acquises par cette équipe et ses coureurs (dont Virenque) restent-elles à leur palmarès (acquis, comme l'a reconnu la justice, de façon illégale) ?
Stéphane Mandard: C'est une bonne questio, qu'il faudrait leur poser. Je veux bien le faire moi-même. Je n'ai pas de réponse, quant à moi. Je peux juste observer qu'il y a quand même une tendance de l'UCI, par le passé, à couvrir certaines affaires, même si aujourd'hui elle communique beaucoup sur la lutte antidopage. Lors des JO à Athènes où des sportifs avaient été contrôlés positifs, on les avait dépossédés de leur médaille, donc ce serait possible.
Lili: Quelle ambiance règne-t-il sur le Tour sur ces questions de dopage ? Comme à l'époque du scandale Festina, l'ambiance est-elle à la suspicion générale, ou l'attention se relâche-t-elle, du fait qu'un seul cas de dopage a été avéré ?
Stéphane Mandard: Je crois que les journalistes sont de moins en moins dupes. Il y a des journalistes purement sportifs qui sont vraiment sur un événement qui est aussi leur passion et qui ont du mal, parfois, à voir la vérité en face; donc, quand certains publient des informations qui ne vont pas dans le sens de la course, cela crée des crispations entre les suiveurs qui n'ont pas la même perception du problème. Mais je constate que cette année, notamment, même des journalistes qui s'enthousiasmaient pour les exploits d'Armstrong sont un peu plus circonspects et s'interrogent beaucoup. Les gens ne semblent plus trop y croire.
Jobalain: Qu'en est-il des rumeurs disant que Lance Armstrong se dope de manière à ne jamais être pris ?
Stéphane Mandard: Il avait été pris en 1999 avec un corticoïde et en fait, l'UCI avait produit a posteriori un certificat médical qui justifiait la prise de ce produit. Du coup, il n'avait pas été déclaré positif, même si l'échantillon d'urine avait, lui, révélé la présence d'une substance dopante. Et c'était l'année de sa première victoire sur le Tour de France. Et pour nous faire un peu de pub, ce sont nos confrères du Monde qui avaient révélé l'affaire. Lui, bien sûr, face à ses détracteurs, aux suspicions, aux doutes, répète qu'il est le sportif le plus contrôlé au monde et qu'il n'a jamais été contrôlé positif, et dont qu'il ne se dope pas. Or les dernières affaires de dopage – je pense notamment à l'affaire Cofidis – ont montré que des coureurs qui n'avaient jamais été contrôlés positifs, comme David Millar par exemple, ont avoué avoir pris de l'EPO, notamment.
Fanch: Je m'interroge surtout sur ses équipiers, qui peuvent être seconds à Roubaix et gagner une étape de montagne...
Stéphane Mandard: Je crois que ceux qui connaissent un peu le sport et le cyclisme s'interrogent sur ce type de transmutation, de transfiguration, je ne sais pas quel superlatif employer. Armstrong a lui-même parlé de quelque chose d'extraordinaire, de surréaliste. Je crois que c'est le mot. Quand on voit le visage de George Hincapie lorsqu'il triomphe dans ce sommet après avoir enchaîné cinq ou six cols très difficiles, un terrain normalement réservé aux grimpeurs, qui sont de petit gabarit, alors que lui mesure 1,91 m pour plus de 80 kg, et quand on voit sa décontraction et son rictus quand il franchit la ligne d'arrivée, on a l'impression que lui-même est étonné par sa performance.
Etienne26: Pensez-vous que les pratiques de dopage sont moins répandues dans les équipes françaises, situation qui tendrait à justifier leur performance plutôt moyenne ?
Stéphane Mandard: C'est vrai que depuis quelques jours, les coureurs français se plaignent de ne pas pouvoir suivre le rythme effréné du Tour de France et de finalement ne pas pouvoir disputer le classement général, et se contenter de coups d'éclat, d'échappées au long cours pour viser des étapes seulement. Certains coureurs français et des médecins français ont dénoncé un Tour de France à deux vitesses. Cela veut-il dire qu'il y a d'un côté des coureurs français propres et de l'autre des équipes étrangères qui ne respectent pas les règles ? Le suivi médical des équipes françaises est certainement plus poussé que dans beaucoup de pays, et de ce fait, il se peut que le contrôle des pratiques dopantes sur le territoire français soit plus poussé qu'à l'étranger, et du coup, rende plus difficile pour les Français de recourir à des produits dopants qu'à l'étranger. En même temps, l'affaire Cofidis a rappelé l'an dernier que les équipes françaises étaient loin d'être irréprochables.
Gaël Puebla: Diriez-vous comme Hein Verbruggen l'a dit autrefois: "Il y a un petit groupe de tricheurs; et puis il y a un groupe beaucoup plus grand de coureurs qui sont obligés de suivre, sinon ils se sentent défavorisés; la troisième catégorie ne se dope pas mais se bourre de médicaments autorisés; la quatrième, plus petite, ne prend rien du tout" ? Si oui, où situer la majorité des coureurs français ?
Stéphane Mandard: C'est difficile de répondre à ce genre de question. Je ne pense pas que Verbruggen dirait cela aujourd'hui. Il est d'ailleurs étonnant qu'il ait un jour admis cette réalité. C'est très compliqué comme question, on ne peut pas quantifier, classer les coureurs dans des catégories. Je pense que dans les équipes françaises, le dopage est moins scientifiquement organisé aujourd'hui. Et comme la plupart des grands coureurs ne sont plus dans les équipes françaises, il y a moins recours à des médecins italiens qui se sont fait une spécialité de la préparation scientifique du dopage. Les coureurs qui ont recours à ces médecins appartiennent à des équipes étrangères, qui ont plus de moyens. Ensuite, la médicalisation du sport en général et du cyclisme en particulier est quelque chose de très répandu, dans les équipes françaises également.
Etienne26: Quid de la fameuse "black list" opérée par l'UCI pour surveiller les coureurs à risque ?
Stéphane Mandard: La black list n'est pas un grand mystère. C'est très simple: c'est, selon les informations communiquées par l'UCI, les cinquante meilleurs coureurs du monde, d'une part, et ensuite, sont dans le collimateur de l'UCI des coureurs qui ont des grosses performances du jour au lendemain, qui apparaissent dans un palmarès et en disparaissent aussitôt. Ce sont aussi des coureurs qui, à travers les contrôles sanguins inopinés, ont des paramètres jugés anormaux qui peuvent laisser penser qu'il y a des stimulations exogènes. Donc ceux-là seront normalement, toujours selon l'UCI, l'objet de contrôles urinaires ciblés pour vérifier si ces paramètres anormaux correspondent à la prise de produits dopants.
Bbays: Ne pensez-vous pas que certains journalistes se voilent la face (volontairement, je pense) en faisant comme si de rien n'était et en s'extasiant sur les performances fantastiques de certains coureurs ?
Stéphane Mandard: C'est évident, et les téléspectateurs ou les lecteurs peuvent le constater dans certains journaux ou sur certaines chaînes de TV. Quand une chaîne de télévision publique est partenaire et quasiment coorganisatrice du Tour de France, qu'elle retransmet quasiment douze heures sur vingt-quatre les étapes dans leur intégralité, avec des émissions avant et après la course, cela fait une part d'audience importante pour cette chaîne durant l'été, et on imagine mal qu'étant partie prenant de ce spectacle sportif, elle crache dans la soupe. Son intérêt est que le spectacle continue.
Webs: Ne pensez-vous pas tout simplement que les fédérations sportives, les médias et les sportifs eux-mêmes sont complètement dépassés par les enjeux financiers colossaux que représentent un Tour de France, mais aussi la Ligue des champions en foot, le tennis, les records des nageurs, et j'en passe ?
Stéphane Mandard: C'est vrai qu'il y a des intérêts communs entre les organisations d'événements sportifs privés, fédérations sportives et médias. Pour revenir aux médias, aujourd'hui, les meilleures audiences partout dans le monde, c'est le sport. Une chaîne comme Canal+ a acheté les droits de retransmission du championnat de France [de football] pour une somme colossale qui, de mémoire, dépasse les 600 millions d'euros. Donc le sport est une source d'audience, de revenus publicitaires. C'est devenu, pour certains médias, leur principale source de revenus. A partir de là, on n'est pas forcément dans la meilleure position pour avoir une relation distanciée, neutre et objective par rapport aux spectacles sportifs.Quand on est partie prenante d'un spectacle, c'est difficile d'être à la fois juge et partie.
Bertrand: Quelle est la politique aux Etats-Unis en ce qui concerne le contrôle antidopage durant les entraînements ?
Stéphane Mandard: Je ne suis pas un spécialiste de ce qui se passe aux Etats-Unis. Je sais qu'a été créée une agence antidopage américaine, que les Américains avaient beaucoup de retard en matière de lutte contre le dopage, qu'ils ont par le passé couvert beaucoup de contrôles positifs de leurs plus grands champions. Apparemment, ils se sont mis au travail. L'affaire de la THG, dont nous avons parlé, en est un exemple. Dick Pound, le patron de l'Agence mondiale antidopage, souligne que la collaboration avec l'agence américaine antidopage progresse et se félicite du travail et des signes encourageants qu'elle semble lancer. Maintenant, par rapport au cyclisme en particulier, je ne sais pas si par exemple elle opère beaucoup de contrôles inopinés sur les coureurs américains. C'est vrai qu'en discutant avec des confrères américains, on se rend compte que le sextuple vainqueur du Tour bénéficie d'une aura aux Etats-Unis qui semble un peu le protéger.
Poupou: Le cyclisme est-il le sport où il y a le plus de dopage ? Si oui, pourquoi ?
Stéphane Mandard: Je ne sais pas si le cyclisme est le sport où il y a le plus de dopage. On sait qu'en athlétisme il y a beaucoup de cas de dopage qui ont été révélés. Des sports comme l'haltérophilie sont contaminés. Dans le football, le sport où il y a le plus d'intérêt et d'enjeux, moins de contrôles sont pratiqués. Mais le procès de la Juventus de Turin qui s'est achevé l'an dernier par la condamnation du médecin à un an de prison pour fraude sportives montre qu'il y a également eu recours à de l'EPO, à un moment où la Juventus gagnait tous les trophées nationaux et européens. Par rapport au cyclisme, ce qui est peut-être différent, c'est que le recours à des adjuvants est quelque chose de culturel. C'est-à-dire que dès les origines, dès les premiers Tours de France, les coureurs prenaient au départ de l'alcool, puis des amphétamines, puis des anabolisants, puis l'EPO, le dopage sanguin. Il y a une progression dans le dopage qui tient aussi au fait que c'est un sport très difficile, tout simplement. Quand on enchaîne trois semaines de course par tous les temps, c'est très dur. Et il y a donc une tendance à favoriser la prise de produits. Comme c'est très ancré dans la culture, il est difficile, voire impossible, de s'en défaire. Mais je crois que c'est surtout propre au sport de haut niveau et à la haute compétition, tous sports confondus, même si l'on voit que chez les amateurs, pour faire comme les professionnels, on essaie aussi le pot belge ["cocktail" d'amphétamines et d'antalgiques], par exemple.
Gaël Puebla: Compte tenu des positions de votre journal, quel est l'état de vos relations avec le milieu cycliste professionnel ? Notamment avec Bjarn Riis et son fichier"presse" ?
Stéphane Mandard: Les relations ne sont pas simples. Avec certains, il n'y a aucun problème, avec d'autres, c'est beaucoup plus tendu. Cela peut aller des insultes à des pressions, à des refus de communiquer avec nous, à des"engueulades". Concernant Bjarn Riis, je n'ai jamais eu affaire à lui.
Srvgh: Si l'on fait un peu de prospective, quel avenir voyez-vous à moyen ou long terme à cette philosophie du sport basée sur le toujours-plus-vite, toujours-plus-fort ? Ne peut-on imaginer qu'il y aura un jour un ras-le-bol de tous, et une refondation des valeurs sportives, de plus en plus dévoyées aujourd'hui ?
Stéphane Mandard: Je crois que le problème, ce sont les termes "valeurs sportives". Soit on parle du sport comme d'un loisir, soit on parle du sport de compétition, et ce n'est plus la même chose. Je pense que les valeurs du sport de compétition ne sont pas celles auxquelles on veut nous faire croire: fraternité, respect des règles, etc. Le sport de compétition a une logique qui est celle de la société, c'est-à-dire toujours plus de performances, de résultats, avec à la clé l'argent, la célébrité. Je crois donc qu'il faut surtout arrêter de vouloir faire des sportifs des modèles et des héros, et les replacer à leur place, dans notre société, dont la logique est d'ériger le culte du corps, du dépassement de soi. Le sport n'y échappe pas. Le sport illustre bien le modèle dans lequel on vit aujourd'hui.
Chat modéré par Constance Baudry et Fanny Le Gloanic
LEMONDE.FR | 20.07.05 | 17h10
Stella: Dans quelle mesure le gouvernement français pourrait-il intervenir puisque qu'il s'agit d'une entreprise privée ?
Denis222: Quels sont les moyens que possèdent les pouvoirs publics pour contrer une telle OPA ?
Elie Cohen: Danone est une entreprise privée, c'est une entreprise qui est donc la propriété des actionnaires, et il se trouve que ses deux principaux actionnaires ont moins de 10% du capital au total. Parmi ces deux actionnaires, il y a la Caisse des dépôts, émanation de l'Etat, qui n'a que 3% du capital. Donc, d'un point de vue actionnarial, l'Etat ne peut rien faire d'autre que d'encourager la Caisse des dépôts à monter dans le capital jusqu'à disons 34% pour pouvoir empêcher l'opération. La raison est que dans les statuts de Danone, il y a une clause que l'on appelle une "pilule empoisonnée" qui fait que si un actionnaire ne contrôle pas plus de 66% du capital, il ne peut pas prendre le contrôle, il ne peut exercer que 6% des droits de vote. Donc d'un point de vue capitaliste, l'Etat ne peut empêcher l'opération que si la Caisse des dépôts a plus de 34% du capital.
D'un point de vue légal, l'Etat ne pourrait empêcher l'opération que si l'acquéreur potentiel présentait des dangers pour l'entreprise, soit du point de vue de la sécurité alimentaire, soit du point de vue de la solvabilité, ce qui n'est pas le cas pour un éventuel investisseur comme Pepsi ou Nestlé, ou toute autre entreprise qui a pignon sur rue.
Le troisième moyen qu'a l'Etat d'empêcher l'opération, c'est de froncer les sourcils, de montrer ses muscles, et de parler à haute voix. C'est-à-dire de faire de la dissuasion en expliquant que Pepsi ou un autre n'est pas le bienvenu. En fait, pour un investisseur américain, le fait que l'Etat français montre sa très forte désapprobation est un signal très négatif qui peut bloquer l'opération dès le départ. Un investisseur étranger n'aime pas avoir face à lui un Etat unanimement hostile.
Lyfuko: Dans l'affaire Danone, pensez-vous qu'une intervention de l'Etat français soit de nature à avantager ou au contraire à représenter un risque futur pour Danone ?
Elie Cohen: L'intervention de l'Etat français avec le concert unanime de la classe politique française a d'ores et déjà produit un résultat: tout investisseur étranger sait que Danone a un statut particulier comme emblème de l'identité alimentaire française. C'est donc une dissuasion forte à l'égard de tout investisseur étranger, mais pour l'avenir, cela veut dire que Danone sera beaucoup moins légitime pour faire des acquisitions à l'étranger. Or il faut rappeler que Danone ne fait en France que 20% de son chiffre d'affaires et que Danone se développe aujourd'hui essentiellement dans cinq pays: la Chine, l'Indonésie, le Mexique, la Russie et les Etats-Unis. Il lui sera très difficile demain d'aller faire des acquisitions alors même qu'il aura fait la démonstration que sur son territoire national il est protégé par son gouvernement.
Catherine: Vous pensez donc que l'OPA n'aura pas lieu, finalement ?
Elie Cohen: Premièrement, il n'y a jamais eu l'ombre d'un début d'OPA. Il n'y a eu depuis le début que des rumeurs. Or les rumeurs sont rarement innocentes, les rumeurs proviennent soit de l'entreprise elle-même qui cherche à créer des réactions visant à dissuader d'éventuels prédateurs, soit elles sont le fait des entreprises qui veulent faire l'opération mais qui tâtent le terrain, qui explorent les possibilités avant de s'engager. Dans tous les cas, une rumeur n'est jamais innocente.
La rumeur ayant produit ses effets, on sait maintenant que l'entreprise est hostile à une OPA inamicale et l'entreprise est soutenue par l'ensemble de la classe politique française, et même par les syndicats qui, avec la CFDT, défendent un modèle social français dont Danone serait le parfait représentant. Donc en conclusion, quel que soit l'initiateur de la rumeur, il sait maintenant qu'une prise de contrôle hostile sera combattue par l'entreprise, par les syndicats et par le gouvernement.
Personnellement, je considère qu'un investisseur américain ayant observé la mobilisation des élites politiques françaises y regardera à trois fois avant de s'engager plus avant. Il est difficile, même quand on est américain, d'aller contre la volonté explicitement manifestée du gouvernement français. Il faut bien voir que la déclaration solennelle du président de la République française à Madagascar n'a aucun précédent dans l'histoire des affaires. Il faut bien voir que la mobilisation de la classe politique française pour défendre une entreprise de yaourts et d'eaux minérales, et pas une entreprise stratégique de défense, de high-tech, est sans précédent également. Donc le message envoyé par le gouvernement français, à mon avis, a été entendu.
Golgt: Si on part du principe qu'on reproche à la France d'être trop interventionniste, ne risque-t-on pas de "froisser" Bruxelles ?
Elie Cohen: Il est clair qu'on vient de donner un exemple d'interventionnisme paroxystique. Et à mon avis, ce n'est pas Bruxelles qui risque d'être froissée, ce sont les marchés financiers internationaux. La France a un important programme de privatisations. Le gouvernement a même annoncé récemment qu'il allait l'accélérer. Comment convaincre les investisseurs étrangers d'acheter des actions françaises s'ils ne peuvent pas les vendre à qui ils veulent, quand ils veulent, et s'ils doivent composer avec le risque permanent d'interférence de l'Etat français ? Ça, c'est pour le volet privatisation.
Deuxième élément: il se trouve qu'aujourd'hui, 40% de la capitalisation boursière du CAC 40 sont détenus par des investisseurs étrangers. Ces investisseurs, à partir d'aujourd'hui, vont devoir apprécier le risque qu'il y a à détenir des actions d'entreprises qui, du jour au lendemain, peuvent devenir des symboles nationaux, et qui sont donc ne seront pas des actifs liquides.
Donc, en résumé, l'image que la France donne d'elle-même aux marchés financiers internationaux est clairement négative. S'agissant de Bruxelles, comme il n'y a pas eu d'OPA formelle, et que l'Etat n'a pas eu à l'empêcher, et que de surcroît, le candidat à l'acquisition était Pepsi, Bruxelles ne fera rien. Par contre, Bruxelles aurait à intervenir si, en cas de fusion, par exemple avec Nestlé, des positions dominantes apparaissaient; Bruxelles pourrait alors obliger les entreprises fusionnées à céder des actifs. Mais encore une fois, le problème aujourd'hui est un problème de marchés financiers, et pas de régulation bruxelloise.
Pedro: Ces rumeurs ont fait "gonfler" la valeur de Danone. 25% de plus-value en deux semaines c'est bien une performance. Y a-t-il eu manipulation de cours ?
Elie Cohen: Il y a eu rumeur. La rumeur a provoqué une très forte hausse du titre. D'ailleurs, depuis que le gouvernement français a manifesté son opposition, le cours de Bourse s'est remis à baisser fortement. Il faudra donc, le moment venu, faire l'analyse de la production de la rumeur, et il faudra éventuellement détecter une éventuelle manipulation du marché, car il est probable que certains opérateurs ont joué la rumeur, ont gonflé leurs positions, et ont empoché des bénéfices purement spéculatifs. L'AMF, qui est l'Autorité de régulation des marchés financiers, va enquêter. On sait déjà que des mouvements anormaux sur le titre Danone ont eu lieu au moment où la rumeur démarrait sa course. Il y aura donc enquête, mais ce type d'enquête est en général assez long, car il faut reconstituer toute la chaîne des opérations financières, identifier les auteurs et qualifier les opérations elles-mêmes pour établir d'éventuels délits d'initiés.
Lada: Pouvez-vous analyser la naissance de cette rumeur d'OPA ?
Elie Cohen: Les informations dont on dispose sont assez simples: on a eu d'abord un entrefilet dans un magazine qui annonçait l'imminence d'une OPA sur Danone lancée par un prédateur extérieur. Et on mentionnait comme possibilité Pepsi parmi d'autres. Puis il y a eu une déclaration faite par le responsable d'une grande entreprise de publicité française. Puis il y a eu une déclaration tonitruante faite par un député français, et c'est là que le cours s'est mis à flamber. Donc il faudra établir, s'il y a eu opération litigieuse, à quel moment les achats et les ventes de titres se sont faits, par qui, et quelles relations ces investisseurs avaient avec les émetteurs de ces rumeurs.
Eiffel: Le secteur d'activité de Danone est-il vraiment stratégique pour la France, au même titre que l'industrie de la santé ou la défense ?
Elie Cohen: C'est le grand paradoxe de cette affaire. La France, au cours des dernières années, a privatisé des entreprises responsables de la production des vecteurs de la force de frappe: EADS, Thales, etc. Ces privatisations n'ont suscité aucun émoi. Par contre, le risque de prise de contrôle d'une entreprise qui produit du yaourt, de l'eau minérale et du biscuit a produit le brouhaha que l'on sait. Cela invite à la réflexion. Les produits agricoles transformés sont-ils plus importants que les médicaments, que le high-tech, que les composants électroniques, que les bombardiers ? Cela fait réfléchir. Ce qui est sûr, c'est que Danone est une icône nationale. Elle incarne les produits alimentaires sains, elle incarne la qualité et le goût français, surtout si l'on oppose Danone à Pepsi, car Pepsi fait des boissons sucrées, des chips, c'est-à-dire des aliments réputés peu sains. Donc la différence entre Pepsi et Danone d'un côté, l'importance de l'agroalimentaire en France de l'autre, expliquent peut-être cette mobilisation, mais ne la justifient pas à mes yeux.
La vraie question me semble être la suivante: Danone gagnerait-elle à se marier avec Pepsi ? Le yaourt gagnerait-il à être dans le même groupe que les chips ? Ma réponse est non. Une bonne défense du groupe Danone eût été d'affirmer ceci: Danone est leader mondial dans ce secteur d'activité, Danone n'a pas besoin d'un partenaire comme Pepsi, Danone connaît une forte croissance, Danone est rentable, Danone a conquis des positions enviables sur les marchés émergents, Danone peut se développer par lui-même. Cette ligne d'argumentation me semblerait suffisante. Elle eût été plus efficace que l'incroyable mobilisation politique autour du drapeau national.
Raphael39: Une OPA de Pepsi sur Danone serait-elle un bienfait pour le groupe, ou pourrait-elle induire un grand nombre de licenciements, ou de délocalisations ?
Elie Cohen: Je viens de répondre à la première partie de la question: d'un point de vue stratégique, Danone n'a pas besoin de Pepsi, me semble-t-il. Danone peut continuer à réaliser sa stratégie de recentrage sur des produits alimentaires ayant une forte image de santé et de bien-être. Par contre, si Pepsi, pour une raison ou une autre, finissait par prendre le contrôle de Danone, l'enjeu majeur ne serait pas social, il ne conduirait pas à des délocalisations. Pour une raison simple, c'est qu'il n'y a pas de recoupement entre les activités de Pepsi et celles de Danone. Si Pepsi, demain, achetait Danone, ce serait pour contrôler des activités qu'il ne contrôle pas aujourd'hui. Donc les risques de redondance de produits, de sites, d'activités, de personnel, sont faibles. L'enjeu majeur, encore une fois, est économique, stratégique, il n'est pas social.
Havraise: Que peut craindre un petit producteur de lait, celui qui vend quotidiennement son lait à Danone ?
Elie Cohen: Danone, contrôlée éventuellement demain par Pepsi, ferait toujours des yaourts, produirait toujours des fromages, et aurait donc toujours besoin de lait. Les conventions que Danone passe avec les producteurs laitiers ne seraient pas, à mon sens, fondamentalement remises en cause. Par hypothèse, si Pepsi achète Danone, il lui faudra mettre sur la table énormément d'argent. Pepsi a donc intérêt à ce que Danone croisse, se développe, et soit rentable. Pepsi, contrôlant Danone, aura toujours besoin de lait.
Golgt: Un mariage avec une multinationale suisse (donc européenne) comme Nestlé ne serait-elle pas souhaitable pour contrer le marché américain (PepsiCo et Coca-Cola) avec sa vision anglo-saxonne de fonctionnement ?
Elie Cohen: Danone est aujourd'hui une entreprise qui fait 13,7 milliards d'euros de chiffre d'affaires et qui est concentrée dans trois secteurs d'activités: l'eau, les produits laitiers frais et les biscuits. Sur chacun de ces marchés, Danone est soit première mondiale, soit très bien classée. Donc Danone n'a pas besoin, a priori, de consolider une position qui est déjà très forte. Danone, dans ses trois métiers de base, n'a pas besoin de partenaire, ni européen ni américain.
La vraie question est la suivante: Danone a-t-elle besoin d'exercer plus que les métiers qu'elle exerce aujourd'hui ? Doit-ellel par exemple aller vers les boissons sucrées, vers les snacks, vers les condiments, la bière, la charcuterie... ? La réponse est: Danone exerçait par le passé ces métiers et y a renoncé. Danone croit à la valeur d'un modèle économique basé sur les produits à connotation bien-être, santé. Danone, du reste, a une très bonne rentabilité dans deux de ses trois métiers de base et Danone, en termes de valorisation boursière, est dans une position favorable. Toute fusion avec Nestlé, Pepsi, Unilever, Kraft ou autre aboutirait à une multiplication des activités, à une diversification des métiers, et probablement à une moindre rentabilité. Danone, clairement, n'a pas intérêt à multiplier ses métiers.
Le problème pour Danone est qu'elle est la 6e mondiale dans le secteur, que jusqu'à présent, elle s'est développé par croissance interne, et que si elle veut se protéger contre des prédateurs, elle doit grossir. Mais il y a deux manières de grossir: soit en faisant des acquisitions – mais Danone n'en a probablement pas les moyens –, soit en améliorant encore davantage sa pénétration sur les marchés nouveaux dans ses secteurs traditionnels et en améliorant encore plus sa rentabilité. Le choix de M. Riboud est clairement ce second choix. Par contre, si Unilever ou Nestlé faisait une OPA sur Danone, et si même cette OPA devenait amicale, alors Nestlé + Danone pèserait un tel poids que Bruxelles obligerait le nouveau groupe à céder des activités. Je rappelle juste un chiffre: Nestlé aujourd'hui fait un chiffre d'affaires de 55,5 milliards d'euros. Donc l'idée d'un mariage Nestlé-Danone ne me semble pas à l'ordre du jour.
Toto: Quels sont les groupes européens pouvant venir à l'aide de Danone ?
Elie Cohen: C'est très simple. Quand on regarde les six premiers grands groupes alimentaires mondiaux, on a en premier Nestlé (suisse), 2e Kraft (américain), 3e Pepsi (américain), 4e Unilever (européen), 5e Coca (américain), 6e Danone. Donc seuls Nestlé et Unilever pourraient se rapprocher de Danone pour former un groupe européen. Mais encore une fois, Nestlé est déjà trop gros, et Unilever n'est pas aussi performant que Danone.
Steve13: L'interventionnisme de l'Etat dans cette affaire a eu pour conséquence de faire chuter les cours de l'action de Danone, donc à court terme le cours de l'action pourrait chuter plus que prévu. Dans ce cas, une rumeur d'OPA peut-elle devenir réalité, car Danone deviendrait vulnérable ?
Elie Cohen: Quand on fait ce type de remarque, il faut décrire l'ensemble du cycle. Au départ, Danone cotait à 72 euros environ, et la rumeur a fait qu'il est monté à 92. Et il est en train de retomber à 85, et même à 85 on est encore très au-dessus de 72. La question deviendrait pertinente si Danone chutait au-dessous du niveau de départ, à savoir 72 euros. Aujourd'hui, cette hypothèse n'est pas vraisemblable, et donc votre question n'est pour le moment pas d'actualité.
MORYOU: A quel prix se ferait l'OPA, selon vous ?
Elie Cohen: Si Pepsi décidait de faire une OPA sur Danone, on sait que Pepsi pourrait aller bien au-delà des niveaux que nous avons constatés sur le marché. Parce que Pepsi verrait dans certaines parties de Danone des relais de croissance formidables, notamment à l'international, en Asie, dans les pays d'Europe centrale et orientale, donc il y a différentes rumeurs qui courent, mais d'après les bruits qui courent sur les marchés, Pepsi pourrait aller au-delà de 100 euros. Mais ma conviction est que si Pepsi lançait une OPA hostile, il y aurait une bataille boursière, et on sait quand commencent les batailles, à quel prix elles commencent, on ne sait jamais à quel prix et quand elles finissent. Pour être tout à fait clair, une OPA hostile déclenchée par Pepsi susciterait sans doute une contre-OPA de l'un des acteurs européens. Mais encore une fois, le gouvernement français ayant émis des signaux très négatifs, je pense que le soufflé va retomber.
Locfer: France Télécom achète une grosse entreprise espagnole, Taittinger est vendue aux Américains..., pourquoi autant de passion envers Danone ?
Elie Cohen: La question est tout à fait légitime. Comme vous le savez, France Télécom est en train de finaliser l'acquisition d'une société de téléphone mobile espagnole. EDF a racheté il y a un mois une société électrique italienne. Chacun célèbre en France les acquisitions réalisées par des multinationales à base françaises, il est difficile de comprendre pourquoi les Français n'admettent pas la démarche réciproque. Malgré tout, il y a deux réponses à votre question. La première, c'est que la prise de contrôle de Pechiney par Alcan a laissé de mauvais souvenirs. Pechiney était un fleuron technologique français, il maîtrisait la meilleure technologie de l'électrolyse au niveau mondial, et la prise de contrôle de Pechiney par Alcan a abouti à un quasi-démantèlement de ce groupe. Les Français ne veulent pas qu'il arrive le même sort demain à Danone. En d'autres termes, ils craignent le risque de démantèlement, le risque lié au déménagement des sièges sociaux. En un mot, ils craignent la perte d'affectio societatis.
Deuxième raison: Danone incarne le bon goût français, à tort ou à raison. Danone est une entreprise patrimoniale. Donc les Français et leur gouvernement verraient sans doute d'un mauvais œil une marque comme Danone passer sous le contrôle de Pepsi, qui, à l'inverse, a une image de produits moins valorisante.
Pascal1998: L'affaire Pechiney ne justifie-t-elle pas la réaction de la classe politique vis-à-vis de cette OPA aujourd'hui virtuelle ? Avons-nous suffisamment de "champions nationaux" pour nous permettre d'en perdre un ?
Elie Cohen: La réponse est très simple: dans une économie de marché ouverte, dans une économie organisée autour de la propriété privée, dans une économie où le financement des entreprises et le contrôle des entreprises se jouent sur les marchés financiers, l'Etat français n'a littéralement pas le droit d'interférer avec la vie financière d'une entreprise privée cotée. Lorsqu'on veut contrôler des champions nationaux, qu'on veut les maintenir sous le drapeau français, en un mot, lorsqu'on veut protéger le capital national, il n'y a qu'une solution, c'est la nationalisation. Danone est une entreprise privée cotée. 84% de ses actionnaires sont des actionnaires petits ou moyens, intervenant sur les marchés, ces actionnaires ont le droit d'acheter et de vendre des titres à leur guise, et les actionnaires français, allemands, espagnols, anglais, n'ont pas à tenir compte de l'intérêt national français. Si l'on veut donc conserver Danone, cette "cathédrale de Chartres nationale", il faut trouver les moyens pour que capitalistiquement, son contrôle reste français, ce qui veut dire constituer un bloc de contrôle avec des investisseurs durables français. On peut imaginer que le Crédit agricole, la Caisse des dépôts, des caisses de retraite, forment un bloc d'actionnaires qui contrôlerait majoritairement Danone, et dans ce cas, des problèmes d'interférence d'éventuels prédateurs étrangers ne se poseraient plus. Mais encore une fois, aujourd'hui, Danone est une entreprise au capital fragmenté, une entreprise non contrôlée, et 42% de son capital sont d'ores et déjà détenus par des investisseurs étrangers. Il faut s'habituer à l'idée que dans une économie de marché, les capitaux vont dans les deux sens. La France peut acquérir des actifs à l'étranger, et vice versa. Et si l'on veut échapper durablement à cette règle de marché, il faut revenir à l'économie administrée.
Le_bon_mat: L'Etat n'aurait-il pas cherché à redorer son image sociale en prenant comme prétexte cette rumeur d'OPA sur un symbole français ?
Elie Cohen: Je crois que l'internaute qui pose cette question a mille fois raison. Il s'est passé quelque chose d'étonnant avec cette rumeur d'OPA. 1) Danone, qui était décriée il y a trois ans comme fossoyeur du modèle social français, comme entreprise privilégiant les délocalisations, comme entreprise mue essentiellement par une logique boursière, est aujourd'hui métamorphosée en champion du modèle social français, en leader du bon goût français. Et donc, de ce simple point de vue, la rumeur a eu des effets terriblement bénéfiques pour l'entreprise au niveau national.
2) Le gouvernement, qui pouvait passer pour hésitant en matière de politique industrielle, comme insuffisamment déterminé dans la défense des intérêts de la France en Europe et dans le monde, est là aussi métamorphosé en champion de la défense de la cause nationale, de l'emploi national, de l'industrie nationale, et du modèle alimentaire national.
Il y a donc deux incontestables gagnants à cette rumeur. Je crains pour l'avenir des pertes plus fondamentales. D'une part, la France donne d'elle-même une image interventionniste, protectionniste, frileuse, alors que ce n'est pas la réalité de sa contribution à l'économie mondiale. D'autre part, Danone donne d'elle-même l'image d'une entreprise qui se réfugie dans les plis du drapeau national, alors que Danone a un bon modèle économique, une bonne stratégie, et qu'elle est de surcroît très performante. A chacun de juger la balance des avantages et des inconvénients de la crise de nerfs qu'on vient de vivre au cours des derniers jours. Je crains sur la durée que les effets négatifs l'emportent sur les bénéfices de court terme.
Chat modéré par Constance Baudry et Fanny Le Gloanic
LEMONDE.FR | 22.07.05 | 19h43
L e "Londonistan" appartiendra bientôt définitivement au passé. Déjà partiellement démantelée après les attentats du 11 septembre 2001, la nébuleuse islamiste longtemps "sanctuarisée" dans la capitale britannique cessera d'exister, du moins au grand jour, lorsque le gouvernement de Tony Blair aura fait voter les mesures de prévention antiterroriste annoncées mercredi 20 juillet devant la Chambre des communes par le ministre de l'intérieur, Charles Clarke.
"Il fallait laisser les pays arabes libres"
Le maire de Londres, Ken Livingstone, a estimé, mercredi 20 juillet, que l'interventionnisme de l'Occident au Proche-Orient pouvait expliquer les attentats comme ceux du 7 juillet. "Je n'ai aucune sympathie pour [les attentats-suicides]", a déclaré le maire travailliste interrogé sur la BBC. "Mais, a-t-il fait valoir, ils ne seraient probablement pas arrivés si l'Occident avait laissé les pays arabes libres de prendre leurs décisions après la première guerre mondiale. Je pense que nous avons eu quatre-vingts ans d'intervention occidentale dans des pays majoritairement arabes, à cause du besoin de pétrole de l'Occident." Et d'ajouter: "Nous avons soutenu des gouvernements peu recommandables, nous en avons renversé d'autres que nous ne jugions pas sympathiques. (...) Si, à la fin de la première guerre mondiale, nous avions fait ce que nous avions promis aux Arabes, c'est-à-dire les laisser libres d'avoir leurs propres gouvernements, et étions restés en dehors de leurs affaires, achetant simplement leur pétrole, (...) je pense que cela ne serait pas arrivé." Les propos de M. Livingstone, treize jours après les attentats, ont été accueillis fraîchement par l'entourage de Tony Blair, qui cherche à tout prix à dissocier les attentats du soutien britannique à la guerre en Irak. –– (AFP) |
Résolue à se débarrasser des extrémistes auxquels elle accordait naguère généreusement le statut de réfugié politique, la Grande-Bretagne établira une liste de "comportements inacceptables". tels certains "prêches, tenues de sites Internet, ou rédactions d'articles qui ont pour but de fomenter ou de provoquer le terrorisme".
Les services de sécurité britanniques, a précisé M. Clarke, vont mettre en place une "banque de données des individus qui, partout dans le monde, ont un tel comportement".
Conséquence logique de ce durcissement, les extrémistes visés seront empêchés de fouler le sol britannique, ou s'ils vivent déjà au Royaume-Uni, risqueront l'expulsion. Devant les Communes, Tony Blair a révélé que Londres était en train de négocier avec plusieurs pays des accords permettant d'y renvoyer des étrangers qui en sont originaires.
Un premier accord de ce type a été conclu mercredi avec la Jordanie. D'autres devraient être signés avec des pays d'Afrique du Nord. Londres pourrait ainsi renvoyer vers sa terre natale le Palestinien Abou Qatada, tenu pour le chef spirituel d'Al-Qaida en Europe, et qui, après avoir été détenu pendant deux ans et demi dans une prison londonienne, est actuellement assigné à résidence. La Jordanie et plusieurs pays européens ont demandé son extradition.
Un autre prédicateur radical, le Libano-Syrien Omar Bakri, se trouve dans la ligne de mire des autorités. Il a dissous son mouvement, en octobre 2004, et lance maintenant ses appels à la guerre sainte sur Internet. Mardi, il affirmait encore dans un entretien à un journal anglais que le peuple britannique était largement responsable des attentats qui ont frappé Londres le 7 juillet.
Une partie du problème, a reconnu M. Blair, tient aux risques, parfois mortels, que les indésirables auraient encourus, une fois rentrés dans leur pays natal. Londres est-il désormais en mesure de recevoir de fermes assurances sur le sort des futurs extradés ou expulsés de Grande-Bretagne ? Beaucoup d'experts doutent de la validité de telles garanties. La justice britannique est d'ordinaire très sourcilleuse sur ce point et refuse de renvoyer dans leur pays des gens qui risquent d'y être maltraités, torturés, voire exécutés. En outre, dans ce genre d'affaires, les procédures sont très longues et sujettes à plusieurs recours.
M. Blair a également proposé d'organiser, peut-être dès septembre, une conférence internationale pour combattre l'extrémisme musulman, à laquelle seraient invités "les principaux pays ayant des inquiétudes" à ce sujet. Il a rappelé que "vingt-six pays avaient été victimes depuis 1993 d'Al-Qaida et des réseaux qui lui sont associés". Une chose est sûre: les attentats du 7 juillet, qui ont fait 56 morts d'au moins onze nationalités différentes, ont fini de convaincre la Grande-Bretagne qu'elle devait monter en première ligne contre le terrorisme islamiste.
Jean-Pierre Langellier
Article paru dans l'édition du 22.07.05
L e diagnostic vient de Nicolas Sarkozy. "La France gronde", tonne le numéro deux du gouvernement et président de l'UMP, à l'attention d'un Jacques Chirac tout simplement comparé à Louis XVI égaré par sa passion de la serrurerie au point de ne pas avoir vu poindre la Révolution de 1789. "La France gronde", mais elle exprime sa colère et ses peurs dans les urnes – comme le 29 mai avec le référendum sur la Constitution européenne – ou dans les sondages.
Mais elle reste socialement calme, à la limite apathique. En dépit de quelques cris estivaux sur la "privatisation" d'EDF et des autoroutes, sur Danone et la Samaritaine, le syndicalisme, toujours faible et divisé, est en état de torpeur.
La victoire du non au référendum du 29 mai, qui s'explique aussi par la volonté des ouvriers et d'une partie des couches moyennes d'exprimer un fort mécontentement social, aurait-elle été libératoire ? Un cri de ras-le-bol pour solde de tout compte sans lendemain social ? Force est de constater que le non n'a engendré aucune dynamique sociale.
Les syndicats n'étaient pas dépourvus de volonté quant à l'organisation d'une "riposte sociale", mais ils ont été dans l'incapacité de le faire. La CGT a lancé seule, le 21 juin, une journée nationale d'action contre le plan sur l'emploi de Dominique de Villepin qui est passée totalement inaperçue.
Comme si les syndicats, supposés être les premiers porteurs de la grogne sociale, avaient été assommés par le non du 29 mai. Il est vrai que les confédérations ont toutes été, peu ou prou, déstabilisées par le référendum.
Un sondage CSA réalisé pour Liaisons sociales a montré que 74% des sympathisants de la CGT ont voté non, comme 70% à la FSU, 65% à SUD, 64% à Force ouvrière, 46% à la CFDT, 37% à la CFTC et 35% à la CFE-CGC. FO, grâce à l'indéniable habileté de son secrétaire général, Jean-Claude Mailly, a bien tiré son épingle du jeu, en affichant une hostilité opportune à la Constitution européenne, tout en faisant croire qu'elle ne propageait pas de... consigne de vote.
Quant aux centrales ayant soutenu le oui – CFDT, UNSA, CFTC –, elles sont beaucoup moins secouées que la CGT. La centrale de Bernard Thibault avait prôné le non contre l'avis de son secrétaire général.
Malgré la volonté de la direction de la CGT de ne pas faire campagne – réaffirmée à son fameux comité confédéral national du 3 février, où M. Thibault avait été mis en minorité –, nombre de responsables cégétistes ont passé outre. Didier Le Reste, qui a succédé à M. Thibault à la tête de la Fédération des cheminots, a ainsi été, en toute impunité, un actif propagandiste du non.
Pourtant, aucun des maux sociaux qui ont nourri le vote du 29 mai n'a disparu comme par enchantement. Le taux de chômage demeure supérieur à 10%. Le sous-emploi caracole chez les jeunes et les seniors. Les inégalités sociales mutilent et fracturent la société française. L'insécurité sociale progresse, s'enracine.
Les syndicats disposent d'un terreau composé de mille raisons, pour les salariés, de manifester, de faire grève, bref de se mobiliser. Mais ils ne sont à l'initiative de rien. Le résultat est dangereux: la colère sociale se manifeste par d'autres voies, plus radicales, voire plus violentes, à travers des actes de désobéissance civile ou des explosions de fièvre dans les cités. Là où les syndicats sont absents.
Les torpeurs du syndicalisme s'observent à tous les niveaux, qu'il s'agisse du discours (incantatoire), de l'action (illusoire) ou de la stratégie (aléatoire).
Cet engourdissement se retrouve dans les revendications, qui peinent à se renouveler, ou dans les propositions, qui souvent manquent à l'appel, comme si les syndicats voulaient conforter leur image d'organisations défendant principalement les salariés protégés, et donc d'abord ceux du secteur public et les fonctionnaires, et s'érigeant en gardiennes de l'immobilisme social.
Alors que toutes les confédérations syndicales se réclament, plus ou moins, de la volonté de changer la société par la réforme. C'est-à-dire du réformisme.
A cet égard, le positionnement des syndicats sur les méthodes et la politique de M. de Villepin est une bonne illustration de leur état. Les prochaines élections prud'homales ont beau avoir été reportées d'un an, en décembre 2008, les syndicats font dans la surenchère sur l'appréciation du plan emploi du gouvernement.
La CFTC, habituellement mesurée mais de plus en plus portée à la contestation, avec son président, Jacques Voisin, et qui prépare son congrès, du 14 au 18 novembre à Bordeaux, voit dans le contrat "nouvelles embauches" cher au premier ministre une entreprise de "destruction du code du travail".
La CFDT n'est pas en reste, en estimant que les dispositions de ce contrat à durée indéterminée hors normes – auquel l'employeur pourra mettre fin à tout moment, pendant un délai de deux ans, sans avoir à se justifier – "dégradent les garanties apportées aux salariés".
Et les syndicats s'inquiètent déjà de voir Laurence Parisot, la nouvelle présidente du Medef, réclamer, juste élue, à M. de Villepin qu'il donne "plus d'ampleur" à son contrat "nouvelles embauches", aujourd'hui réservé aux entreprises de moins de 20 salariés. Le premier ministre, qui s'est donné cent jours, c'est-à-dire jusqu'au 10 septembre, pour regagner la confiance des Français dans la lutte contre le chômage, a commencé par braquer les syndicats, au lieu de les mobiliser.
En recourant à la procédure expresse des ordonnances, il a réduit comme peau de chagrin la concertation sociale.
M. de Villepin a surtout porté le fer là où cela fait le plus mal aux syndicats: dans les petites entreprises ou chez les salariés précaires, dans l'un et l'autre cas des déserts syndicaux.
Selon la dernière étude du ministère du travail sur la syndicalisation ( Premières informations, Dares, octobre 2004), le taux de syndicalisation dans les entreprises de moins de 50 salariés est de 3,5% (contre 5,2% dans le secteur privé); il n'est que de 2,4% chez les salariés en CDD ou en intérim (contre 9,5% chez les salariés en contrat à durée indéterminée et à temps complet).
La cible est bien délimitée. Le contrat "nouvelles embauches" ? Les entreprises de moins de 20 salariés. L'extension du "forfait jour", qui, jusqu'alors réservé aux cadres, permet aux entreprises de s'affranchir du paiement des heures supplémentaires ? Les PME.
Cerise sur le gâteau, M. de Villepin a même eu recours à une novation exorbitante dispensant les petites entreprises de comptabiliser les jeunes de moins de 26 ans dans les effectifs pour le calcul des seuils sociaux.
Ainsi une entreprise qui atteindra onze salariés ne sera pas obligée de faire élire un délégué du personnel si un seul d'entre eux a moins de 26 ans. "Demain les patrons demanderont qu'on ne compte pas les seniors !", s'insurge M. Mailly, qui va saisir le Bureau international du travail pour "discriminations". Même si elle est plus un rite qu'une réalité, la "rentrée sociale", à l'automne, peut permettre au syndicalisme de sortir de son engourdissement. Trois scénarios sont possibles. Dans le premier, l'Etat reprend la main, "catalyseur" ou "émulateur".
C'est la suggestion qui lui est faite par un atelier de prospective du Commissariat général du Plan, le groupe Thomas, composé d'experts, sous la houlette d'Yves Chassard et de Laurent Duclos, sur l'avenir du dialogue social. Si, à la lumière de l'expérience européenne, l'Etat veut réinventer le modèle social français, il lui faut partager "son action avec les acteurs du pacte social".
Pour ce groupe Thomas, "plutôt que de continuer, au fil de l'eau, à rendre l'ordre public social dérogeable", l'"Etat social moderne" pourrait chercher, avec les partenaires sociaux, à "fonder un nouveau droit de la régulation". M. de Villepin le peut-il et le veut-il ?
Dans un deuxième scénario, c'est le Medef qui reprendrait la main, profitant de la carence de l'Etat. L'accord interprofessionnel normatif qui s'esquisse, entre le Medef et tous les syndicats, sur le télétravail est un bon signe. Mais Mme Parisot veut-elle s'engager dans cette voie de relance du dialogue social interprofessionnel ?
Plus classique, le troisième scénario verrait les syndicats se ressourcer dans l'action. Toutes les confédérations se préparent à une mobilisation commune à l'automne contre le plan emploi de M. de Villepin.
Et M. Thibault, qui promet "du sport" dès septembre, peut céder à une "tentation de radicalité" pour gagner son futur congrès, en avril 2006.
Avec le risque d'une nouvelle fuite en avant.
Michel Noblecourt
Article paru dans l'édition du 24.07.05
L es neurones corticaux sont capables d'incroyables performances. Des chercheurs de l'Institut des sciences cognitives de Lyon (CNRS-université Claude-Bernard), en collaboration avec des équipes de l'Université catholique de Louvain et de l'université de Rochester, viennent d'en administrer la preuve dans la revue Nature Neuroscience du mois de juillet.
Ils montrent comment certains neurones du cortex pariétal parviennent à intégrer différentes informations spatiales provenant de signaux visuels ou sonores et de stimulations mécaniques à la surface du corps, pour procéder ensuite à une pondération entre ces différentes informations.
"Tout se passe comme si le cerveau humain fonctionnait à l'image d'un ordinateur qui combine de multiples données pour trouver l'information optimale", explique Jean-René Duhamel, neurophysiologiste à l'Institut des sciences cognitives. C'est ce que fait notre cerveau lorsque nous nous trouvons dans un environnement bruyant et que nous réussissons néanmoins à comprendre ce que nous dit notre interlocuteur. C'est aussi de cette façon qu'un boxeur anticipe l'impact sur son corps d'un coup porté par son adversaire.
Dans le cerveau, le cortex comporte des aires qui répondent de manière spécifique à différentes composantes élémentaires des stimuli visuels (couleur, direction du mouvement, reconnaissance des formes). D'autres aires corticales participent aussi à l'élaboration de la perception visuelle, comme le cortex temporal ou le cortex pariétal. Ce dernier évalue certaines données, telles la position du corps et celle d'un objet dans l'espace, grâce aux informations sensorielles qu'il reçoit.
Comment toutes ces données se combinent-elles ? Pour le savoir, les chercheurs ont étudié les réactions de singes macaques soumis à des stimulations sollicitant plusieurs sens. Parallèlement, ils ont fait appel à des simulations fournies par des réseaux de neurones artificiels.
Cela leur a permis de vérifier deux hypothèses. D'une part, avant d'être combinées, les informations sensorielles et posturales convergent vers des ensembles de cellules situées dans des aires intermédiaires. Ces cellules servent à nouer un "dialogue" entre les cartes visuelles et les cartes somatosensorielles du cortex. D'autre part, les chercheurs ont constaté que les voies de communication nerveuses sont à double sens, permettant ainsi à l'information de circuler de manière itérative d'une région à l'autre.
Les scientifiques estiment qu'ils peuvent extrapoler à l'homme les données obtenues sur le petit macaque, car "leur système visuel et la structure interne de leur cerveau sont très semblables", précise Jean-René Duhamel.
Ces travaux concernent une région du cortex impliquée dans "des fonctions cognitives de très haut niveau, comprenant notamment la capacité à manipuler les nombres", ajoute le scientifique. Une aptitude qui a été mise en évidence par les techniques d'imagerie fonctionnelle.
Ainsi les travaux menés récemment par Stanislas Dehaene, spécialiste des neurosciences à l'Inserm, ont montré une très forte relation entre nos capacités mathématiques et notre faculté à manipuler les informations spatiales.
Christiane Galus
Article paru dans l'édition du 24.07.05
![]() AFP/JOEL SAGET
Une coupe cranio-encéphalique
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M algré les connaissances accumulées à partir d'expériences biologiques, par imagerie cérébrale ou à l'aide de modèles mathématiques, le cerveau humain demeure encore un continent inconnu. "C'est l'organe le plus complexe du corps humain, fruit de plusieurs millions d'années d'évolution", explique Jean-René Duhamel, neurophysiologiste et directeur de recherches à l'Institut des sciences cognitives (CNRS, université Claude-Bernard) de Lyon.
"Le cerveau a évolué en même temps que se développaient la locomotion, les stratégies d'attaque des proies et celles destinées à la défense des groupes humains contre les prédateurs, précise le scientifique. C'est pourquoi il est formé de multiples couches, la plus évoluée étant le cortex, véritable réseau associatif qui permet de s'adapter à l'environnement de manière très souple."
Physiologiquement, le cortex – qu'on appelle aussi néocortex – se présente comme une "écorce" très mince, formée de six couches distinctes de plusieurs milliards de neurones, enveloppant les deux hémisphères du cerveau. Afin de percer les mystères de leurs interactions, les chercheurs créent des réseaux neuronaux artificiels en utilisant les moyens considérables de l'informatique. Le projet Bio-i3 (Bio-inspired intelligent information systems) de l'Union européenne a ainsi pour objectif de réaliser des modèles simplifiés de l'activité neuronale et d'étudier, à l'aide de circuits intégrés, l'émergence de propriétés collectives de réseaux neuronaux. Lancé en juin, ce projet, qui fait partie du programme européen des technologies émergentes futures, est doté d'un budget d'une vingtaine de millions d'euros.
Le programme Blue Brain Project, annoncé à la même époque par IBM et l'Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), est plus ambitieux encore. Il envisage de modéliser l'ensemble du cerveau pour tenter de reproduire la pensée humaine.
Dirigé par Henry Markram, spécialiste de la physiologie corticale et codirecteur du Brain Mind Institute de l'EPFL, ce projet consiste, dans un premier temps, à simuler sur ordinateur une"colonne corticale", c'est-à-dire une unité de base du cortex. Chez l'homme, ces structures se sont multipliées au cours de l'évolution pour atteindre le chiffre d'environ un million. Chacune de ces colonnes, d'un diamètre de 0,5 mm, est composée de 10 000 neurones et d'un plus grand nombre encore de synapses qui assurent les communications entre ces cellules nerveuses. Cet ensemble sera reproduit virtuellement, et tous ses éléments seront interconnectés.
Une fois réalisée la réplique numérique d'une première colonne corticale, l'étude sera progressivement étendue à plusieurs colonnes, puis à l'ensemble du cortex. "Simuler le fonctionnement du cerveau au niveau cellulaire est une gigantesque entreprise, en raison des centaines de milliers de paramètres qui doivent être pris en compte, explique Henry Markram. Notre but est de tenter de comprendre l'émergence de l'intelligence chez les mammifères, puis chez l'homme. Et d'en savoir plus sur certains désordres neurologiques et psychiatriques." Les scientifiques de l'EPFL vont utiliser pour la première fois dans l'histoire des neurosciences les capacités d'un super-calculateur, le Blue Gene d'IBM, déjà employé pour simuler la structure tridimensionnelle et le fonctionnement des protéines. Cet ordinateur géant pourra traiter 22 800 milliards d'opérations par seconde. Les simulations seront effectuées en utilisant les grandes quantités de données biologiques expérimentales disponibles qui sont stockées dans une base de données. Ces dernières seront mises en ordre au moyen d'un logiciel spécialisé qui combinera deux programmes américains, le Neocortical Simulator et le programme Neuron.
Certains chercheurs se demandent si Henry Markram a pris le sujet par le bon bout. Reproduire à l'infini une colonne corticale considérée comme un motif élémentaire constitue peut-être une simplification réductrice de phénomènes extrêmement complexes. "Dans le domaine cortical, nous avons identifié un ensemble de lettres (neurones, synapses) et de mots (microcircuits) dont nous ignorons encore la syntaxe. Nous en sommes au stade de l'inventaire, sans savoir comment assembler les différents éléments de façon à produire l'émergence d'un langage neuronal au sein du réseau cortical", commente Yves Frégnac, directeur de l'unité de neurosciences intégratives et computationnelles (UNIC) du CNRS à Gif-sur-Yvette (Essonne).
Aussi des pistes différentes sont-elles explorées par d'autres équipes. C'est le cas du programme européen Facets, qui, au sein de Bio-i3, regroupe un consortium de seize laboratoires, dont quatre français: l'UNIC, l'Institut des neurosciences cognitives de la Méditerranée à Marseille, le laboratoire d'étude de l'intégration des composants et des systèmes électroniques de Bordeaux et l'Institut national de recherche en automatique et en informatique (Inria).
"Notre objectif est moins ambitieux que celui du Blue Brain Project", explique Alain Destexhe, directeur de recherches au CNRS et spécialiste en neurosciences computationnelles à l'UNIC. "Nous voulons élaborer un modèle simple de l'activité neuronale, en conservant certaines caractéristiques des neurones et en en laissant d'autres de côté. Ce qui ne nous empêche pas, précise le chercheur, d'intégrer la grande diversité des formes et des réponses neuronales dans notre simulation. Les neurones ont en effet chacun leur personnalité et réagissent de manière différente."
Outre la modélisation sur ordinateur de l'architecture corticale, les scientifiques impliqués dans Facets envisagent de réaliser des circuits intégrés pour simuler "en dur", et non plus de façon virtuelle, le fonctionnement d'un grand nombre de neurones. Ces circuits électroniques reproduiront différents types de neurones simplifiés ainsi que leurs synapses. "Nous tentons de les relier à un ordinateur pour les faire ensuite travailler ensemble dans un réseau", ajoute Alain Destexhe.
Toutes ces approches devraient permettre de pénétrer un peu plus avant dans l'intimité de l'esprit de l'homme.
Christiane Galus
Article paru dans l'édition du 24.07.05
![]() AFP/THOMAS COEX
Caroline Lemoine, une jeune femme dont le foetus qu'elle a porté est l'un des 351 conservés à l'hôpital parisien Saint-Vincent de Paul, répond aux questions des journalistes, mercredi 3 août.
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«J e suis papa. D'un enfant mort, peut-être, mais je suis papa." Son histoire, P. préfère ne pas la raconter dans le détail. Juste dire que son fils est né et décédé à l'hôpital Port-Royal, qui appartient au même groupe que Saint-Vincent-de-Paul, après une interruption médicalisée de grossesse. C'était il y a quelques années, en plein été. Il n'a pas abandonné le corps de son enfant. Avec sa femme, il a préféré le confier pour autopsie à l'établissement hospitalier, chargé ensuite de la crémation.
"Quand j'ai appris par la presse la découverte de 351 foetus dans la chambre mortuaire de Saint-Vincent-de-Paul, ça a été très dur. Nous avons vécu un vrai moment d'angoisse". témoigne-t-il. Dès l'annonce de la mise en place d'un numéro de téléphone, mercredi 3 août, par l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), il a pris contact, comme 453 autres familles, avec le service d'information.
A l'occasion d'une conférence de presse organisée mardi 2 août, la directrice de l'AP-HP, Rose-Marie Van Lerberghe, s'était engagée à ce que les demandes soient traitées "dans les quarante-huit heures". Mais devant l'afflux d'appels de parents inquiets du sort réservé au corps de leur enfant et les nombreuses vérifications à effectuer, cet engagement n'a pu être tenu.
"Ils m'ont recontacté vendredi pour me demander un délai supplémentaire de vingt-quatre heures. Ce n'est que samedi, vers 10 h 30, que j'ai su que mon bébé ne faisait pas partie des corps retrouvés", raconte P., soulagé mais solidaire des autres familles: "Aujourd'hui, j'éprouve un goût amer, un sentiment de dégoût. Je me mets à la place des autres parents. Perdre un enfant, c'est assez dur. Mais le tuer une seconde fois, c'est encore pire."
Lundi matin, les demandes effectuées les 3 et 4 août auprès du numéro unique avaient toutes été traitées, assure-t-on à l'AP-HP: "Nous avons rappelé les familles qui nous avaient contactés et nous leur avons fourni une réponse. Pour celles qui étaient injoignables, nous avons laissé un message et nous essayons de leur retéléphoner."
Concernant la nature des réponses, les services de l'AP-HP préfèrent ne pas communiquer: "Il s'agit d'informations strictement réservées aux parents." Seule précision: ce sont des médecins de Saint-Vincent-de-Paul qui se chargent de joindre les familles qui, si elles le souhaitent, peuvent bénéficier d'une aide psychologique.
"Tout cela fait ressurgir beaucoup d'angoisse et de colère", constate Caroline Lemoine, jeune mère de famille qui a involontairement déclenché l'affaire en cherchant à en savoir plus sur l'incinération de son fils décédé en 2002. Sur le forum de son site (petiteemilie.org), créé pour permettre aux familles ayant perdu un enfant avant terme ou au moment de l'accouchement de s'exprimer, les réactions se multiplient.
"Certains parents souhaitent porter plainte. J'essaie de calmer le jeu". concède Mme Lemoine. Après un entretien, jeudi, avec Xavier Bertrand, le ministre de la santé, elle dit attendre les résultats de l'enquête pour décider de l'attitude à adopter. "Je garde quand même confiance. Il est invivable de douter de tout". admet-elle.
Il est pourtant difficile pour certains parents de garder confiance en l'hôpital Saint-Vincent-de-Paul. "Que dire à ces mères qui téléphonent ? J'avais l'impression, en toute bonne foi, de leur dire la vérité". s'interroge Jean-Philippe Legros, psychologue clinicien rattaché à la maternité de l'établissement. Depuis près de dix-sept ans, il accompagne au quotidien, des femmes enceintes qui apprennent la maladie de leur enfant et les aide à accepter "l'impensable".
Déjà sensible au manque de traçabilité des parcours des corps et au flou législatif du statut de l'enfant mort-né, il a travaillé à l'élaboration de la circulaire du 30 novembre 2001 relative à l'enregistrement à l'état civil et à la prise en charge des corps des enfants avant la déclaration de naissance.
"Depuis cette circulaire, les corps ne devraient pas être conservés. Je me sens trahi au sein de mon établissement. Comment vais-je pouvoir encore travailler ?". se demande-t-il, tout en s'interrogeant aussi sur la façon de permettre à Saint-Vincent-de-Paul de retrouver sa crédibilité après "l'affaire".
Un souci partagé par l'AP-HP, qui a rappelé, vendredi, dans un communiqué, que, si certains dysfonctionnements de la chambre mortuaire de Saint-Vincent-de-Paul ont bien été constatés, "la maternité de cet établissement (...) fait partie des services les plus réputés de Paris. (...) La grande qualité et la haute technicité de ses équipes méritent toute la confiance des patients et de l'institution".
P. et sa femme attendent un autre enfant, et la grossesse est suivie par la même équipe, à Port-Royal: "Ça va être difficile d'y retourner, mais on n'a pas vraiment le choix. On n'a pas envie de blâmer qui que ce soit. Mais, quand on perd un enfant, il n'y a pas de mot dans le dictionnaire pour parler de ça."
Anne-Lise Defrance
Article paru dans l'édition du 09.08.05
L e site de l'hôpital Saint-Vincent-de-Paul, situé dans le 14e arrondissement de Paris, est l'objet de convoitises immobilières depuis des années. La vente des 35 000 mètres carrés de l'établissement, qui doit fermer ses portes en 2008, pourrait rapporter 200 millions d'euros à l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP). Celle-ci a prévu le transfert de certains services vers le pôle voisin de Port-Royal-Cochin et la dispersion de l'activité pédiatrique dans d'autres établissements.
En janvier, le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin avait envisagé d'y délocaliser certains bureaux du ministère des affaires étrangères (Le Monde du 29 janvier). Mais, depuis, le Quai d'Orsay a assuré que "le choix n'était pas fait". Selon Alain Lhostis, adjoint au maire de Paris chargé de la santé, un seul projet "reste d'actualité": l'installation d'un pôle médico-social pédiatrique pour enfants handicapés dès la fin de l'activité hospitalière.
Face à la médiatisation de l'affaire des foetus organisée par le gouvernement, les syndicats s'interrogent sur l'existence d'éventuelles arrière-pensées politiques. "Que cherche-t-on a démontrer ?" , se demande la secrétaire générale adjointe de la CFDT AP-HP, Annie Pivin. "Ce qui nous surprend, c'est que ça sorte en plein mois d'août", s'étonne FO-Santé.
Tous attendent les résultats des enquêtes, mais restent sceptiques. "Il faut éviter de lier l'histoire (des foetus) et l'établissement", prévient la CFTC-Santé et Sociaux. Le comité de sauvegarde de l'hôpital Saint-Vincent-de-Paul, qui regroupe usagers et soignants, craint que cette affaire ne serve de "prétexte à une accélération du démantèlement pour aller vers une fermeture". Dans un communiqué publié vendredi 5 août, la direction générale de l'AP-HP indique que "cet événement malheureux ne peut avoir d'influence sur le devenir de Saint-Vincent-de-Paul".
La CGT s'inquiète de l'impact de "la mauvaise image sur un établissement qui a rempli sa mission, notamment envers les enfants handicapés". Le secrétaire fédéral de FO-Santé, Gilles Damez, soupçonne la direction de l'AP-HP de vouloir "trouver des responsabilités à rejeter sur le personnel".
Le Comité de sauvegarde ajoute, pour sa part, que le débat sur le statut juridique du foetus "ne peut être réduit à la diabolisation d'un établissement". Et rappelle que "Saint-Vincent-de-Paul permet la prise en charge de 25 000 urgences pédiatriques, 2 500 accouchements et plus de 3 500 opérations par an".
Depuis 2000, l'AP-HP a adopté une politique de valorisation financière de son patrimoine. En 2001, l'hôpital Boucicaut (15e) a été vendu à la Caisse des dépôts pour 65 millions d'euros. En juillet 2002, la Cogedim a acheté le site de Laennec (7e) pour 80 millions d'euros. Actuellement, les locaux de l'hôpital Broussais (14e) sont cédés "par appartements", après le rachat par la Croix-Rouge d'un des bâtiments pour 22,4 millions d'euros ( Le Monde du 2 mars).
Frédéric Gerbaut
Article paru dans l'édition du 09.08.05
L' histoire retiendra sans doute que la découverte, durant l'été 2005, de plus de 350 corps de foetus et d'enfants mort-nés dans la chambre mortuaire de l'hôpital Saint-Vincent-de-Paul, à Paris, a coïncidé avec l'examen, par le Conseil d'Etat, d'un décret qui, dès l'automne, autorisera des biologistes français à mener des recherches sur des embryons humains. Des embryons fécondés in vitro, conservés par congélation et, pour reprendre la formule en usage, "ne s'inscrivant plus dans un projet parental".
Comment mieux dire l'effacement des repères ancestraux, l'émergence de nouvelles contradictions, ainsi que – corollaire – l'urgence qu'il faudrait accorder à l'invention de nouveaux outils juridiques ?
Dans le premier cas, la justice est saisie en extrême urgence. Le premier ministre décide, à la veille de son départ en vacances, de mettre solennellement en scène ce qui peut, au choix, être présenté soit comme un véritable scandale éthique, soit comme un dysfonctionnement administratif parmi tant d'autres. Toutes affaires cessantes, on impose au ministre de la santé de convoquer la presse pour que cette dernière sache au plus vite à quel point il est personnellement bouleversé par ce qu'il vient de voir dans une chambre mortuaire parisienne.
Dans le second cas, au terme d'un très long processus démocratique, avec l'aval des principales institutions juridiques, scientifiques et médicales, et en l'absence notable de polémique de grande ampleur, la France s'apprête à rejoindre le groupe des pays qui autorisent, tout en l'encadrant, la destruction d'embryons humains à des fins de recherche.
Dans un cas, on s'émeut que des corps naturellement morts avant la naissance aient pu être conservés à des fins scientifiques dans un espace médical. Dans l'autre, on accepte que des embryons créés in vitro – et qui, in utero, pourraient poursuivre leur développement – soient utilisés à des fins thérapeutiques. Comment comprendre ? On peut voir là la dernière conséquence en date d'un ensemble d'évolutions qui, à partir de la seconde partie du XXe siècle, a commencé à marquer l'humanité de manière sans doute irréversible.
Un ensemble problématique qui met au premier plan la question hautement délicate du statut de l'embryon et du foetus ou, pour le dire autrement, de l'enfant à naître. Les pays occidentaux ont ainsi dû commencer à composer avec la maîtrise croissante de la contraception et de la fonction de reproduction, associée à la dépénalisation de la pratique de l'interruption volontaire de grossesse. Parallèlement à ces avancées, on a assisté, avec les progrès majeurs de l'assistance médicale à la procréation mais aussi de l'échographie obstétricale et du diagnostic prénatal, à l'émergence d'un nouveau regard porté sur le futur enfant.
A sa façon, la circulaire du 30 novembre 2001, texte au centre de l'actuelle affaire de l'hôpital Saint-Vincent-de-Paul, témoigne de cette évolution. Cette circulaire "relative à l'enregistrement à l'état civil et à la prise en charge des corps des enfants décédés avant la déclaration de naissance" prévoit ainsi, en fonction de leur âge de gestation et de leur stade de développement, les procédures – crémation ou inhumation – devant être observées à l'égard des "enfants sans vie" (enfants nés vivants mais non viables et enfants mort-nés), une fois accomplis les gestes diagnostiques des anatomopathologistes.
Elle prévoit ainsi que, pour un enfant sans vie, la famille peut faire procéder, à sa charge, à l'inhumation ou à la crémation du corps. Dans le même temps, aucun texte législatif ou réglementaire ne traite de la situation, récemment observée en France, qui voit des embryons humains conçus in vitro et conservés par congélation détruits du fait d'un dysfonctionnement technique dans le maintien de la chaîne du froid.
Si un relatif consensus existe pour dire que l'enfant à naître ne saurait, stricto sensu, être assimilé à une personne, le même consensus peut, sans mal, être trouvé pour affirmer que ce même enfant ne peut être réduit au rang de chose. Et une majorité semble se dégager pour convenir qu'un embryon formé de quelques cellules n'est pas l'équivalent d'un foetus qui, bientôt, respirera par lui-même.
Peut-on, dès lors, chercher à dépasser les catégories de personnes et de choses héritées du droit romain sans être soupçonné de vouloir remettre en question la législation sur la dépénalisation de l'interruption volontaire de grossesse ?
Pour l'heure, en France, seuls quelques courageux spécialistes de philosophie des sciences et du droit médical osent s'intéresser à ce sujet à haut risque, auquel l'affaire de l'hôpital Saint-Vincent-de-Paul vient, brutalement, de conférer une nouvelle actualité.
Le temps n'est plus où, pour tenter de résoudre cette équation moderne, le Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé hésitait entre la définition de "personne humaine potentielle" et celle de "potentialité de personne humaine".
L'époque serait-elle plutôt à la mise en scène médiatique d'une indignation gouvernementale dans laquelle on redoute que le souci de compassion ne soit guère éloigné de préoccupations politiciennes ?
Elle devrait, plus simplement, se consacrer à la recherche d'une adéquation entre le droit et les moeurs qui permettrait, enfin, de définir un statut évolutif embrassant cet espace-temps qui va de la conception à la naissance.
Jean-Yves Nau
Article paru dans l'édition du 09.08.05
L a Grande-Bretagne devrait procéder à des audiences judiciaires sans jury pour des affaires de terrorisme, au cours desquelles un suspect pourra être détenu sans être inculpé, ont rapporté, mardi 9 août, deux quotidiens londoniensThe Guardian et The Times.
Le président Moucharraf dénonce le laxisme de Londres à l'égard des islamistes
Le président pakistanais a accusé le gouvernement britannique d'avoir été trop indulgent et même "laxiste avec les imams radicaux" et avec les extrémistes présents sur son territoire. Il a également rappelé que son pays n'a pas joué de rôle clé dans les attentats du 7 juillet à Londres. "Il n'y a aucune preuve pour affirmer cela", a-t-il déclaré, lundi 8 août, dans une interview diffusée sur la BBC, tout en reconnaissant qu'au moins deux des quatre auteurs présumés des attentats s'étaient rendus dans son pays avant l'opération. (- AFP.) |
Les suspects seraient représentés par des avocats ayant subi avec succès une enquête de sécurité, mais qui auraient interdiction de révéler à leurs clients des preuves en vertu desquelles ils sont détenus. Un tel système permettrait de répondre à la demande des services de police et de sécurité qui souhaitaient étendre de quatorze jours actuellement à trois mois la période de détention sans inculpation d'une personne soupçonnée de terrorisme.
La réforme judiciaire qui est actuellement examinée par le ministre de l'intérieur donnerait à un juge spécialisé un accès à des informations secrètes sensibles, notamment des enregistrements téléphoniques, lors de l'instruction du procès, a indiqué The Guardian. Cette réforme faisait partie d'une série de mesures destinées à combattre l'extrémisme islamiste après les attaques terroristes de Londres des 7 et 21 juillet.
Selon les déclarations du premier ministre britannique, Tony Blair, le gouvernement était déjà en train d'examiner une nouvelle procédure judiciaire s'appliquant à la période d'instruction avant le procès proprement dit. Edward Garnier, porte-parole de l'opposition conservatrice, a demandé au gouvernement de se calmer, de réfléchir à fond sur ces projets et de consulter d'autres partis. De son côté, le porte-parole du parti d'opposition libéral-démocrate pour les affaires judiciaires a estimé qu'il serait plus difficile de justifier un allongement aussi important de la période de détention sans inculpation des suspects.
Avec AFP et Reuters
LEMONDE.FR | 09.08.05
![]() AFP/PHILIPPE DESMAZES
La Commission européenne a décidé de consacrer 250 millions millions d'euros à la sécurité et l'antiterrorisme, au lieu des quinze millions actuel.
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L a Commission européenne a décidé d'accroître considérablement le budget qu'elle consacre aux recherches dans le domaine de l'antiterrorisme et de la sécurité. Il passera de quelque 15 millions d'euros actuellement à 250 millions d'euros à l'horizon 2007.
En soutenant des projets censés améliorer la sécurité des citoyens de l'Union, Bruxelles entend également renforcer le rôle des industries européennes dans un marché mondial en pleine expansion. Il est estimé, par les experts, à 100 milliards d'euros, en plus de 50 milliards pour la sécurisation des réseaux d'information. Il est, actuellement, largement dominé par les Etats-Unis qui, depuis les attentats du 11 septembre 2001 consacrent annuellement 1,1 milliard de dollars à la recherche et au développement dans ce domaine et ont dépensé des sommes considérables dans le cadre du projet Homeland Security, présenté comme "la plus grande réalisation de l'administration depuis 1947".
Plus modestement, la Commission européenne a décidé de financer, pour la période 2004-2006, 13 initiatives sur les 156 qui lui ont été soumises. Elles concernent d'abord les transports publics – métros, trains et avions – avec la création de systèmes de protection contre des attaques de tout type (y compris des "bombes sales" ou des missiles téléguidés). Le contrôle des côtes et des ports est également à l'ordre du jour, ainsi qu'un projet visant à améliorer la surveillance des conteneurs.
Le renforcement des échanges d'information et une protection plus efficace de ceux-ci est l'autre grand axe de la politique mise en place. Bruxelles insiste également sur la nécessité d'une meilleure gestion des crises et d'une meilleure collaboration entre les services concernés. Enfin, le plan comporte des projets relatifs à la surveillance des frontières avec, par exemple, l'usage de drones.
L'Europe communautaire a longtemps hésité à s'engager dans le sillon tracé par les Etats-Unis, refusant même la notion de "sécurité intérieure", à laquelle elle préférait celle de "sécurité sociétale". Les attentats de Madrid, en 2004 et ceux de Londres, en juillet, semblent avoir vaincu ses réticences, même si les dépenses resteront, même à terme, très inférieures à celles des Etats-Unis. La Commission souligne cependant que ces budgets s'ajoutent à ceux des Etats et à ceux affectés à des projets intergouvernementaux.
La pression de l'industrie européenne n'est sans doute pas étrangère à la forte augmentation des crédits dévolus à ce secteur. L'industrie de la défense, notamment, voit dans le développement de la sécurité antiterroriste un formidable gisement et un moyen de rentabiliser les investissements, souvent très coûteux, dans le domaine militaire. "Homeland Security, c'est l'opportunité d'un marché global". avait lancé un grand patron européen lors d'un colloque organisé à Genève, en octobre 2004.
Plusieurs grands groupes européens, souvent présents sur le marché américain, poussaient les responsables politiques des Vingt-cinq à développer les techniques de surveillance des transports, des réseaux informatiques ou des grandes infrastructures réputées "critiques". Après les attentats de New York, en 2001 et de Madrid,en 2004, les dirigeants de l'Union avaient pris des décisions en ce sens. Toutes n'ont pas été concrétisées.
La Commission manifeste, par sa récente décision, sa volonté d'aller de l'avant, tout comme son désir de ne pas laisser les entreprises américaines régner seules sur un domaine gigantesque. EADS, Thales, Dassault aviation, le Centre national d'études spatiales se sont vu attribuer les premiers contrats, au côté des Suédois de Saab, des Allemands de Diehl et des groupes italiens Galileo Avionics et Ansaldo Trasporti. Divers centres universitaires sont également parties prenantes dans le cadre de consortiums mis en place.
Jean-Pierre Stroobants
Article paru dans l'édition du 11.08.05
L e New York Times a encore allongé la liste des occasions manquées par les services de renseignement américains pour empêcher les attaques terroristes du 11 septembre 2001. Le quotidien révèle, en effet, dans son édition du 9 août, qu'une unité de renseignement secrète de l'armée avait identifié, dès l'été 2000, Mohammed Atta et trois autres futurs pirates de l'air du 11-Septembre comme appartenant à une possible cellule d'Al-Qaida opérant aux Etats-Unis.
L'Egyptien Mohammed Atta était le pilote du premier avion qui s'est écrasé sur les tours du World Trade Center et est considéré comme le responsable opérationnel des attentats contre New York et Washington. Les trois autres terroristes repérés, les Saoudiens Marwan Al-Shehhi, Khaled Al-Midhar et Nawaf Al-Hazmi, ont aussi joué un rôle important. Marwan Al-Shehhi appartenait, comme Mohammed Atta et le Yéménite Ramzi Ben Al-Shaiba, qui a coordonné les opérations depuis l'Europe, à la cellule de Hambourg, en Allemagne.
Khaled Al-Midhar et Nawaf Al-Hazmi se trouvaient tous deux dans le vol 77 d'American Airlines qui s'est écrasé sur le Pentagone. Ils sont entrés sur le territoire américain le 15 janvier 2000 après avoir participé, du 5 au 8 janvier, à une réunion très importante d'Al-Qaida à Kuala Lumpur, en Malaisie, destinée à organiser à la fois l'attaque du destroyer Cole, dans le port d'Aden, au Yémen, en octobre 2000, et à lancer les préparatifs des attaques du 11 septembre 2001. La rencontre était surveillée étroitement par la CIA. Mais l'Agence centrale de renseignement n'a mis les deux hommes sur la liste des personnes suspectes de l'immigration que le 23 août 2001. Or ils se trouvaient aux Etats-Unis depuis vingt mois...
Apparemment, l'unité de renseignement militaire baptisée "Able Danger" (Danger réel) avait été plus rapide et avait établi, dès l'été 2000, un schéma précis des réseaux d'Al-Qaida dans le monde. Il comprenait une cellule sur le sol américain, baptisée "Brooklyn", et les photographies figurant sur les visas des quatre suspects. "Able Danger" avait alors recommandé au Commandement militaire des opérations spéciales, dont il dépendait, de partager ses informations avec le FBI (police fédérale).
La suggestion a été rejetée et, pour des raisons obscures, les renseignements n'ont pas été transmis. "Able Danger" avait été créée en 1999, sous l'administration Clinton, par un ordre direct du général Hugh Shelton, alors chef de l'état-major combiné. L'unité avait pour mission de réunir toutes les informations sur Al-Qaida dans le monde et aurait été dissoute.
Cette affaire a été révélée par le parlementaire Curt Weldon, vice-président de la Commission des armées et de celle sur la sécurité intérieure de la Chambre des représentants. Elle a été confirmée au New York Times par un agent de renseignement non identifié. Curt Weldon est un personnage controversé, auteur d'un livre, Countdown to Terror (Compte à rebours de la terreur ), qui accuse l'Iran d'être le principal ennemi des Etats-Unis et de protéger Oussama Ben Laden.
M. Weldon est en conflit avec les services de renseignement, dont il dénonce depuis longtemps les carences. Il se targue d'ajouter un nouvel élément aux conclusions déjà sévères du rapport de la commission sur les attaques du 11-Septembre, rendu public en juillet 2004.
Ce rapport soulignait, sur plus de 500 pages, les erreurs et opportunités ratées par le FBI et la CIA. La police fédérale n'avait ainsi, avant le 11 septembre 2001, "jamais établi une évaluation de la menace sur le sol américain et ne disposait pas des moyens adéquats pour utiliser pleinement et efficacement les informations qu'elle collectait". La CIA n'était pas beaucoup plus efficace. Ses tentatives pour mettre hors d'état de nuire Al-Qaida et Oussama Ben Laden avant les attentats ont été "désordonnées, confuses et sans effets". "Entre 1998 et 2001, rien n'est venu perturber les préparatifs des attentats par Al-Qaida." En réponse aux conclusions de la Commission, l'administration Bush a décidé de créer un nouveau poste de directeur national du renseignement pour coordonner les quinze agences fédérales.
Eric Leser
Article paru dans l'édition du 11.08.05
K halid et Rachid Skikar sont persuadés d'avoir été victimes d'un "amalgame". Employés sur la base navale de Toulon par la société Main sécurité, ces deux frères d'origine marocaine ont été informés, fin juillet, qu'ils n'étaient plus autorisés à pénétrer dans l'enceinte militaire. Privés de leurs badges d'accès, ils ne peuvent donc plus y travailler et seront probablement affectés sur un autre site par leur employeur.
Les deux hommes travaillaient jusqu'à présent sur la base des sous-marins nucléaires d'attaque (SNA). L'un était affecté au poste de commandement anti-incendie depuis plusieurs années, l'autre contrôlait les accès depuis le mois de juin. "Notre chef de service nous a convoqués le 25 juillet, en fin de matinée, et nous a indiqué qu'il avait reçu un coup de fil des autorités. raconte Khalid Skikar, qui a également servi pendant trois ans dans la marine. Il nous a demandé de quitter immédiatement la base, sans explication."
Les autorités militaires n'en fourniront aucune. "Les motivations de cette décision n'ont pas à être communiquées". indique la préfecture maritime, qui se contente d'invoquer "un principe de précaution".
"Cette décision n'est pas liée au plan Vigipirate -qui a été élevé au niveau "rouge" après les attentats du 7 juillet à Londres- ni, bien évidemment, à la consonance de leur nom, affirme le commandement de la base navale, mais il s'agit de prévenir un risque auquel certains d'entre nous peuvent être exposés, y compris les militaires d'active."
Khalid et Rachid Skikar exigent des explications plus claires. "Nous n'avons aucun antécédent. affirme Khalid. Quand notre société a appris cela, elle a pris contact avec les renseignements généraux. Ceux-ci ont assuré que nous étions "clairs". Si nous sommes suspectés de quelque chose, pourquoi ne pas le dire ?"
La société Main sécurité, qui reconnaît que les deux frères sont de "très bons éléments". ne peut rien faire, puisque les accès à la base navale sont du ressort exclusif des autorités militaires. Les personnes qui vont et viennent sur le site font l'objet d'enquêtes d'un service spécialisé et sont contrôlées par la gendarmerie maritime.
Les frères Skikar redoutent désormais de devoir quitter le département pour poursuivre leur activité, la base navale de Toulon étant en effet le seul marché de leur employeur dans le Var.
Lilian Renard
Article paru dans l'édition du 11.08.05
S i la thèse Al-Qaida a été vite évoquée pour les bombes du 7 juillet (56 morts) et les attentats ratés du 21 juillet, elle semblait se dégonfler samedi.
Pour des sources internes aux services antiterroristes britanniques, citées par le quotidien The Independent, ces attaques seraient l'oeuvre de deux cellules 100% britanniques, sans lien avec un quelconque réseau terroriste et surtout sans "maître à penser" étranger. "Le point clé est que les événements ne sont pas liés" à une organisation extérieure, a affirmé au journal une source anonyme du contre-terrorisme: "Il semble que (les terroristes) évoluaient en circuit fermé et qu'ils ne recevaient pas de consignes d'un maître à penser d'aucune sorte".
De même, aucun lien n'aurait encore été trouvé entre les quatre terroristes présumés du 7 juillet, tous morts avec leurs bombes, et les auteurs des attentats du 21, qui n'auraient été que des "copieurs". De plus, aucune implication d'Al-Qaida n'aurait été démontrée: "ce qui nous préoccupe, c'est qu'aucun d'entre eux n'avait été repéré par les services secrets", a ajouté la source de l'Independent, selon qui "il existe très probablement d'autres cellules dont nous ne savons rien".
Isolée, l'équipe du 7 juillet aurait en fait été radicalisée et menée par le seul Mohammed Sidique Khan, 30 ans, le plus âgé du groupe. Un Britannique d'origine pakistanaise, né et élevé en Grande-Bretagne.C'est peut-être cette "auto-suffisance" des deux cellules des attentats de juillet, et leur ancrage dans la communauté musulmane britannique, qui a conduit au "changement de règles du jeu" annoncé par le premier ministre Tony Blair le 5 août.
De fait, la liberté de parole quasi totale accordée pendant des années aux prédicateurs extrémistes islamistes réfugiés à Londres semble bel et bien suspendue. Pour Omar Bakri Mohammed, ce Libanais d'origine syrienne, chef du mouvement extrémiste Al Mouhadjiroun, la question semble réglée. Parti à Beyrouth, officiellement en vacances, il y a une semaine, il a été interpellé jeudi par la police libanaise.
Le ministère de l'intérieur britannique a bondi sur l'occasion vendredi pour annuler définitivement son permis de séjour en Angleterre. Installé à Londres depuis 1986, c'est Bakri, "l'ayatollah de Tottenham", qui avait baptisé les 19 kamikazes auteurs des attentats du 11 septembre 2001 les "19 magnifiques". Remis en liberté vendredi, Omar Bakri Mohammed pourrait maintenant être extradé vers la Syrie, qui l'a demandé, selon un porte-parole du ministère des affaires étrangères libanais.
Quant à Abou Qatada, présenté comme "l'ambassadeur d'Oussama ben Laden en Europe", à Londres depuis 1993, il est derrière les barreaux depuis jeudi, en compagnie de neuf autres extrémistes islamistes pris dans le même coup de filet. En attendant son éventuelle expulsion vers son pays d'origine, la Jordanie.Cette expulsion, en cas d'appel, pourrait prendre "des mois, voire des années", ont averti des juristes.
Avec Abou Hamza incarcéré à la prison de Belmarsh depuis mai 2004, dans l'attente de son procès à Londres, avant une éventuelle extradition vers les Etats-Unis, ce sont les trois figures de proue du "Londonistan" qui sont aujourd'hui écartées.
Abou Hamza al-Masri, 47 ans, Britannique d'origine égyptienne, ex-imam de la mosquée salafiste londonienne de Finsbury Park, est notamment accusé par Washington d'avoir voulu installer un camp d'entraînement pour Al-Qaïda dans l'Oregon.
Avec AFP
LE MONDE | 13.08.05
C oup de feu sur le prix du carburant. En juillet, les automobilistes ont payé leur plein en moyenne 16% plus cher qu'une année plus tôt: le litre de gazole (1,05 euro en moyenne) a connu une hausse de 20,8% en un an; celui de supercarburant sans plomb 95 (1,19 euro) a augmenté de 10,9%. En un seul mois, de juin à juillet, les prix à la pompe ont enregistré une augmentation de 7,5%.
Un coût supplémentaire pour les usagers de la route, particulièrement sensible en cette période de migrations estivales. Mais aussi, par le mécanisme des taxes cumulées (TVA et TIPP), "une aubaine fiscale" pour le gouvernement, estime François Hollande. Ainsi le premier secrétaire du PS a-t-il accusé le gouvernement, vendredi 12 août, de "laisser les consommateurs être victimes d'une double peine: la hausse des prix du pétrole et le prélèvement de l'Etat". M. Hollande, qui dénonce le "silence" et l'"hypocrisie" des pouvoirs publics, estime que "l'Etat n'a pas à diminuer subrepticement ses déficits par une hausse des recettes fiscales liées aux produits pétroliers".
Le député de la Corrèze demande "un geste exceptionnel pour le mois d'août". Il rappelle que Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'économie, s'était engagé, lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2005, à restituer aux ménages les éventuels surplus fiscaux sur les produits pétroliers.
Dans un entretien au Télégramme du 13 août, François Bayrou rappelle également l'engagement du gouvernement précédent: "Cette question doit être reprise". juge le président de l'UDF.
Sous la pression conjointe de la gauche et de l'UDF, et alors que la hausse des prix des carburants n'avait pas atteint la même ampleur que ces derniers mois, M. Sarkozy s'était résigné à constituer une commission chargée d'"évaluer si l'Etat s'est enrichi ou s'il s'est appauvri" avec la fiscalité sur le pétrole. Fin novembre 2004, le premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, indiquait que les surplus de recettes seraient redistribués aux titulaires du minimum vieillesse, sous la forme d'une "prime" exceptionnelle de 70 euros.
Le sujet pourrait rapidement prendre un tour politique. La majorité est en effet farouchement opposée à la baisse de la taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP) que réclame le PS. Anticipant l'offensive de l'opposition, le rapporteur général du budget à l'Assemblée nationale, Gilles Carrez, suggère au gouvernement de faire le bilan, "en novembre". des rentrées de TVA et de TIPP générées par les produits pétroliers et d'engager alors un débat au Parlement sur une éventuelle redistribution des surplus.
Le député (UMP) du Val-de-Marne exclut cependant une baisse du prix à la pompe, la jugeant "absurde": "Un centime de baisse sur le prix final, cela représente 850 millions d'euros, soit 1,5 point d'impôt sur le revenu". évalue M. Carrez. Il recommande de ne pas agir "à la hâte". estimant qu'il serait "extrêmement dangereux de laisser croire aux Français qu'on peut régler des problèmes de long terme par des mesures de court terme". M. Sarkozy, pour sa part, a prévu d'intervenir sur le sujet à l'occasion de la convention de l'UMP sur l'économie qui aura lieu le 7 septembre.
Le gouvernement pourra toutefois difficilement continuer à observer le silence sur une question qu'il sait sensible. A l'impact immédiat sur les consommateurs s'ajoutent les effets sur la croissance et l'exécution budgétaire. Le projet de loi de finances pour 2005 avait été bâti sur une hypothèse moyenne d'un baril à 36,50 dollars. Le prix de celui-ci atteint aujourd'hui près du double.
Quant aux recettes fiscales, elles faisaient apparaître fin juin, avant la flambée des prix pétroliers de juillet, une augmentation de 1,5% par rapport à l'année précédente. Le produit de la TIPP était en léger recul (-1,4%), de 9,86 milliards à 9,72 milliards. En revanche, les recettes de TVA ont crû de 2,68 milliards d'euros, passant de 58,48 milliards à 61,16 milliards, soit une progression de 4,6%.
Patrick Roger
Article paru dans l'édition du 14.08.05
E n deux jours, un jeune garçon de l'Essonne est devenu la nouvelle image de l'athlétisme français. Ladji Doucouré, 22 ans, est monté deux fois sur la plus haute marche du podium lors des championnats du monde d'Helsinki, qui se sont achevés dimanche 14 août. Individuellement lors du 110 m haies et puis avec l'équipe de relayeurs au 4 × 100 m, il a offert l'image de la simplicité et de l'élégance, bref de la sportivité.
Privé de médaille olympique à Athènes l'an passé à la suite d'une chute, il n'a pas renoncé, déterminé à poursuivre le dur entraînement des athlètes de haut niveau pour accéder au cercle très fermé des meilleurs coureurs de 110 mètres haies. Ladji Doucouré ne s'est pas découragé lorsque les moments étaient difficiles et la victoire encore incertaine. Il a multiplié efforts et sacrifices pour atteindre son but. Il a surtout cultivé une vision équilibrée de sa discipline, relativisant avec intelligence les enjeux: "Ce n'est que du sport, déclarait-il le 6 août. Il y a beaucoup de choses autour, c'est sûr, mais on est là pour s'amuser, alors qu'il y a beaucoup de gens qui galèrent, il y a des guerres."
Ce jeune médaillé est représentatif d'une nouvelle génération d'athlètes. Comme ses amis Ronald Pognon et Eddy De Lépine, autres membres du relais 4 × 100 m, il court pour la victoire. Tous, sans complexes, ne se laissent plus impressionner par les rodomontades des Américains ou les sourires moqueurs des Jamaïquains en chambre d'appel. Enfants des banlieues de métropoles ou des Antilles, ils veulent tout simplement être les premiers, considérant que le titre de champion ne revient qu'à ceux qui gagnent.
Des sportifs tricolores à la recherche d'une victoire, il y en avait d'autres dans le stade d'Helsinki. Des trentenaires comme Christine Arron, enfin libérée de ses angoisses et médaillée à titre personnel, ou comme Eunice Barber, capable d'une formidable combativité lors des épreuves de l'heptathlon. Des athlètes confiants dans leur potentialité pour monter sur le podium et qui se battent jusqu'au bout même s'ils doivent se contenter de la pire des places, la quatrième, comme Manuèla Montebrun au marteau, ou la cinquième, comme Karl Taillepierre au triple saut et Salim Sdiri à la longueur.
Au total, l'équipe de France présente un bilan plus qu'honorable avec ses 7 médailles et ses 18 places de finaliste, et parvient à effacer la grisaille athénienne. Sixième au classement et première nation de l'Europe occidentale, l'équipe d'Helsinki bénéficie de la politique menée auprès des jeunes depuis une dizaine d'années par la Fédération française.
Certes ce bilan ne saurait se comparer à celui des Etats-Unis, grand vainqueur de ces Mondiaux avec 25 médailles dont 14 en or. La première nation de l'athlétisme a réussi à faire oublier ses sportifs trop proches des laboratoires où l'on veut décupler la force humaine pour promouvoir des jeunes collectionneurs de médailles à l'image du sprinteur Justin Gatlin.
Article paru dans l'édition du 16.08.05
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En extra: Les éditos du Monde |
[*] «Longues propagandistes» parce qu'il existe aussi, dans cette rubrique, des «brèves propagandistes» reprenant surtout des dépêches de l'AFP. Ici, on trouvera pour l'essentiel des articles parus dans Le Monde, qui par le fait, sont beaucoup plus longs…