![]() | Longues propagandistes, série 10 |
![]() |
![]() |
♦ ATTENTION ♦ Ces pages de «longues»[*] sont assez souvent modifiées mais leur contenu reste stable, donc si arrivez sur cette page via un moteur de recherche ou un lien extérieur, et que vous n'y retrouvez pas la «longue» recherchée, probablement elle se trouve dans l'une des dix-huit autres pages.
![]() ![]() | ![]() ![]() | ![]() ![]() | ![]() ![]() | ![]() ![]() | ![]() ![]() | ![]() ![]() | ![]() ![]() | ![]() ![]() | |||||||||
![]() ![]() | ![]() ![]() | ![]() ![]() | ![]() ![]() | ![]() ![]() | ![]() ![]() | ![]() ![]() | ![]() ![]() | ![]() ![]() |
En extra: Les éditos du Monde |
L e procès des neuf faucheurs volontaires jugés pendant deux jours à Toulouse pour un arrachage d'OGM en juillet 2004 à Menville (Haute-Garonne), une action revendiquée par 222 autres faucheurs, a débuté mardi 20 septembre.
Les neuf faucheurs sont entrés sourire aux lèvres dans la salle de la Cour d'appel, ovationnés par une cinquantaine de sympathisants anti-OGM qui les y avaient précédés, tandis qu'une cinquantaine d'autres militants demeuraient devant le palais de justice en attendant la fin de l'audience. Les manifestants regroupés devant le palais de justice ont déployé une banderole montrant un petit homme vert disant "pas d'OGM dans nos assiettes, c'est notre choix". Certains portent un petit masque blanc.
Le député Noël Mamère (Verts), le député européen Gérard Onesta (Verts), le syndicaliste paysan José Bové, les élus municipaux toulousains Francois Simon (ex PS) et Pierre Labeyrie (Verts), l'ancien secrétaire national des Verts Gilles Lemaire, le conseiller régional d'Aquitaine Gérard Daverat ainsi que Jean-Baptiste Libouban, fondateur du mouvement des faucheurs volontaires et un agriculteur, Jean-Aimé Gravas, sont les seuls pourvuivis pour le fauchage de Menville.
Le 14 avril, la cour d'appel de Toulouse avait suivi la demande du parquet d'écarter 222 faucheurs volontaires d'OGM qui demandaient à être jugés avec les neuf responsables politiques et syndicaux. Cet arrêt annulait une décision du tribunal correctionnel de Toulouse du 8 novembre 2004, qui avait accepté de faire comparaître l'ensemble de ceux qui s'étaient dénoncés au nom de "l'action collective de désobéissance civique".
"Nous sommes tout à fait sereins" a indiqué à son entrée José Bové, soulignant que les anti-OGM "ont bien fait d'agir en 2004 à Menville et ailleurs car le gouvernement donne aujourd'hui la possibilité aux multinationales de mettre en culture des organismes génétiquement modifiés en plein champ". "Nous n'avons plus que cette tribune pour nous exprimer et alerter l'opinion publique sur les dangers des cultures OGM", a déclaré de son côté Noël Mamère en évoquant le procès.
La possibilité, évoquée en juillet par José Bové, de faire citer 222 témoins ou de faire venir chaque prévenu avec dix comparants a été abandonnée, indiquait-on lundi dans l'entourage des prévenus. Moins de dix témoins devraient être cités.
C lermont-Ferrand. Le 16 septembre, une peine d'un mois de prison ferme a été requise par le parquet à l'encontre des douze hommes et trois femmes, âgés de 22 à 61 ans, domiciliés dans le Gard, l'Aveyron et en Auvergne notamment, poursuivis pour la "destruction en réunion" d'une parcelle de maïs transgénique à Nonette (Puy-de-Dôme), le 27 août. Le tribunal rendra son jugement le 4 novembre.
Riom. Le 15 septembre, l'avocat général a requis quatre mois de prison ferme contre Christian Roqueirol, agriculteur de l'Aveyron, qui comparaît pour des violences volontaires sur un gendarme, qu'il nie catégoriquement, lors de la destruction de la parcelle, qu'il revendique, mais pour laquelle il n'est pas poursuivi. De la prison avec sursis, assortie de l'obligation d'effectuer un travail d'intérêt général, a été requise contre Gilles Lemaire, ancien secrétaire national des Verts, Jean-Baptiste Libouban, fondateur du mouvement des Faucheurs volontaires, et Francis Roux, agriculteur de l'Aveyron, poursuivis pour destruction en réunion. Contre les deux derniers prévenus, poursuivis eux aussi pour destruction en réunion, il a requis une interdiction de fréquenter les coauteurs de la destruction de Marsat et de se rendre sur des essais d'OGM. Les "faucheurs volontaires" avaient participé à la destruction d'une parcelle de maïs transgénique à Marsat (Puy-de-Dôme) le 14 août 2004. Le procès a été mis en délibéré au 24 novembre.
Orléans. Le procès à Orléans de six des huit "faucheurs volontaires" d'OGM, poursuivis pour avoir participé en juillet à l'arrachage de maïs génétiquement modifié dans le Loiret aura lieu le 27 octobre. Les deux derniers comparaîtront individuellement les mercredi 21 et 28 septembre. Ils sont tous poursuivis pour "dégradation de biens en réunion". Les huit personnes poursuivies faisaient partie d'un groupe d'une cinquantaine de personnes qui avaient détruit deux parcelles de maïs OGM à Neuville-aux-Bois et à Greneville-en-Beauce (Loiret) le 7 juillet.
Le 27 octobre est également prévu à Orléans le procès de 44 "faucheurs volontaires" qui faisaient partie d'un groupe de 150 à 200 personnes qui le 14 août 2004 ont détruit une parcelle de maïs OGM à Greneville-en-Beauce (Loiret).
L e débat sur la transparence des cultures d'organismes génétiquement modifiés est lancé lorsque Le Figaro révèle, le 6 septembre, que plus d'un millier d'hectares de maïs transgénique est cultivé cette année, dans le secret total, principalement par des agriculteurs du Sud-Ouest de la France.
A la suite de ces révélations, le ministre de l'agriculture promet que le vide juridique autour de la culture des OGM en France sera bientôt comblé. Dominique Bussereau annonce ainsi que la France transposera au plus tard début 2006 une directive européenne sur le sujet. La date limite pour l'adoption de cette directive était le 17 octobre 2002. La Commission européenne a rappelé la France à l'ordre à plusieurs reprises, alors que plusieurs pays ont déjà adopté des législations nationales (Allemagne, Italie, Espagne). Il s'agit de "garantir que seuls les OGM autorisés sont mis sur le marché et disséminés dans l'environnement, afin d'éviter les risques pour la santé humaine et l'environnement", expliquait la Commission en juillet.
L'Union européenne a adopté en 2003 une législation précise sur l'étiquetage et la traçabilité des OGM dans l'alimentation, permettant au consommateur d'opérer un libre choix. En revanche, la Commission européenne n'a fixé qu'un cadre très général pour la dissémination, laissant aux Etats membres le choix de fixer leurs propres règles à l'échelon national.
Le ministre de l'agriculture français a affirmé que le gouvernement proposerait "à l'automne" un projet de loi portant sur l'usage commercial des OGM. Mais la date reste encore à préciser. Dans un communiqué, le ministère évoque le "début de l'année 2006". Le texte rendra "obligatoire la déclaration de mise en culture", ce qui permettra de connaître les surfaces d'OGM cultivés en France, précise le ministère. Quant aux mesures de coexistence entre cultures OGM et non OGM (distances entre les cultures, régions "non OGM"), elles "seront définies sur la base de données scientifiques et techniques disponibles pour assurer la coexistence des différents modes d'agriculture" en France.
Selon le ministère, 492,8 hectares de culture de maïs génétiquement modifié ont été déclarés "sur une base volontaire" en 2005, contre 1 500 hectares en 1998. La loi devra résoudre une autre question chère aux écologistes : le régime d'indemnisation en cas de contamination accidentelle d'un champ voisin. Pour l'agriculture biologique, qui ne tolère aucune trace d'OGM détectable dans ses aliments, c'est une question de survie, estime la Fédération nationale de l'agriculture biologique. Les producteurs attendent eux aussi cette réglementation.
Avec AFP
LEMONDE.FR | 20.09.05 | 13h35
C ompte tenu de la portée de ce plan partout en Europe", le président Chirac "a demandé au gouvernement de saisir la Commission européenne", lors de la deuxième réunion du conseil restreint sur l'emploi, créé fin juillet, a indiqué, mardi 20 septembre, l'entourage du chef de l'Etat, sans plus de précisions.
La France est proportionnellement la plus touchée par les quelque 6 000 suppressions d'emplois prévues d'ici 2008, avec la disparition de plus du quart des 4 800 postes que compte le groupe dans l'hexagone."Sur la question de l'annonce de réductions d'effectifs au sein du groupe Hewlett-Packard", M. Chirac "a demandé au gouvernement de poursuivre tous les efforts engagés pour y répondre", selon cette source.
Le ministre délégué à l'emploi, Gérard Larcher, qui reçoit mercredi l'intersyndicale, avait déploré vendredi "le caractère brutal et non préparé des annonces" des suppressions de postes, à l'issue de sa rencontre avec le PDG de HP en France, Patrick Starck. De leur côté, les syndicats gardent l'espoir que les coupes dans les effectifs soient réduites. Ils attendent du gouvernement qu'il maintienne la pression sur la direction du groupe, défende les qualités de la France (innovation, invention) et fasse du"lobbying" auprès de la direction HP en Europe, a déclaré Christophe Hagenmuller, élu CFE-CGC au comité d'entreprise européen.
Les emplois en France "n'ont pas été défendus correctement par la direction" française du groupe, estime le syndicaliste, soulignant "l'absence d'investissements depuis deux ans" dans l'Hexagone. M. Hagenmuller a ajouté que l'intersyndicale allait demander une entrevue avec le nouveau directeur HP Europe, Francesco Serafini, pour faire valoir la compétitivité des sites français. Le comité de groupe prévu vendredi a été reporté, "vraisemblablement de quelques jours", ce qui est "bon signe", a estimé pour sa part le secrétaire CFTC du comité de groupe, Fabrice Breton, au nom de l'intersyndicale.
La mairie de Grenoble, où est implanté un important site d'HP (2 100 salariés), a elle aussi évoqué la possibilité d'une révision à la baisse des coupes d'HP dans ses effectifs en France, après qu'une délégation conduite par le maire PS, Michel Destot, eut été reçue lundi par la direction du groupe informatique à Palo Alto (Californie). Selon la mairie, les deux parties sont convenues de poursuivre les négociations "dans les semaines à venir avec les représentants des salariés et les directions nationales et locales, susceptibles d'infléchir l'ampleur des annonces connues à ce jour". Cependant, "aucun engagement relatif (au) projet de restructuration n'a été pris lors de ce rendez-vous à la maison mère américaine", a affirmé mardi soir la direction de HP dans un communiqué.
Avec AFP
LEMONDE.FR | 20.09.05 | 20h38
A u deuxième jour de la réunion du Conseil des gouverneurs de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) à Vienne, l'Union européenne a distribuéà ses 35 membres , mardi 20 septembre, un projet de résolution visant à saisir le Conseil de sécurité de l'ONU du dossier nucléaire iranien. Forte du soutien des Etats-Unis, l'Europe espère ainsi faire plier Téhéran devant le risque de sanctions, que seul le Conseil de sécurité est habilité à prononcer.
Selon ce texte, dont Reuters s'est procuré la version intégrale, les Vingt-Cinq demandent au Conseil de "déclarer à l'ensemble des membres de l'Agence et du Conseil de sécurité et de l'Assemblée générale de l'ONU (...) les nombreux manquements et atteintes de l'Iran à ses obligations relatives au Traité de non-prolifération nucléaire (TNP)". La résolution recommande que le Conseil de sécurité exhorte Téhéran à accorder toute facilité d'accès à ses sites au-delà des obligations légales. Et elle appelle l'Iran à revenir à "une suspension pleine et continue de toutes ses activités relatives à l'enrichissement et au recyclage", activités pouvant servir à la fabrication d'une bombe. Enfin, le texte demande au Conseil de sécurité d'inviter l'Iran à "reprendre le processus de négociation [avec l'UE] qui avait permis de réaliser de bons progrès ces deux dernières années".
Ce document, rédigé au départ par la "troïka" européenne (France, Allemagne et Grande-Bretagne), sera parrainé par l'ensemble des pays membres de l'UE. Il est susceptible d'être amendé, ont précisé des diplomates. Mais son adoption s'annonce délicate : le chef de l'agence de l'Energie atomique russe, Alexandre Roumiantsev, a répété que "la position de la Russie est qu'il n'y a pour l'instant pas de raison de considérer la question du nucléaire iranien comme très inquiétante et de porter le niveau des discussions à une instance plus haute, qui est le Conseil de sécurité de l'ONU" ; et un autre membre permanent du Conseil de sécurité, la Chine, est elle aussi hostile à cette saisine. Il n'empêche, les diplomates occidentaux se déclaraient déterminés à obtenir la saisine du Conseil de sécurité, quelque soit le temps nécessaire.
De son côté, l'Iran, se sachant au centre des discussions, a tenu à afficher sa fermeté. "Le peuple iranien, encore plus fort que par le passé et déterminé à poursuivre ses objectifs, reste debout et ne capitulera pas face aux pressions et menaces", a déclaré le Guide suprême, l'ayatollah Ali Khamenei, selon la télévision d'Etat. "Le président iranien, devant l'Assemblée générale des Nations unies et devant les yeux du monde, a affirmé avec force et puissance la position de l'Iran et ce que les Iraniens ont dans le cœur et cela montre la volonté forte et inébranlable du peuple iranien", a-t-il ajouté. Le président ultraconservateur Mahmoud Ahmadinejad avait déclaré samedi que l'Iran refusait de suspendre ses activités nucléaires ultrasensibles à l'usine de conversion d'uranium d'Ispahan (centre), malgré l'exigence de l'AIEA.
Avec AFP et Reuters
LEMONDE.FR | 20.09.05 | 14h03
Steste : Malgré ces élections, peut-on réellement parler de démocratie en Afghanistan?
Françoise Chipaux : Je ne pense pas qu'on puisse parler de réelle démocratie dans un pays où il n'y a aucun passé démocratique, qui est analphabète à 75 %, et qui n'a aucune institution étatique qui fonctionne. Il n'y a pas de justice, il n'y a pas de police, il n'y a pas encore de réelle armée. Dans ces conditions, on peut dire que c'est un premier pas pour les Afghans de pouvoir exprimer leur opinion, mais le mot démocratie est encore un bien grand mot.
Steste : L'Afghanistan est en passe de devenir un narco-Etat. Comment faire obstacle au commerce de la drogue ?
Françoise Chipaux : Premièrement, l'Afghanistan est déjà un narco-Etat, puisque 60 % du PIB sont alimentés par la culture de la drogue. Deuxièmement, pour faire obstacle à cette culture, il faudrait d'abord punir les grands trafiquants, qui sont ceux qui poussent les fermiers à cultiver. Et ensuite, petit à petit, offrir à ceux-ci, des alternatives viables pour vivre sans drogue, pour récupérer les 2,8 milliards de dollars que leur rapporte la drogue. Mais il ne faut pas se faire d'illusion, l'élimination de la drogue en Afghanistan prendra au minimum 15-20 ans.
Josette : Par rapport au niveau de vie de la population, quel est le chemin parcouru depuis la chute des talibans?
Françoise Chipaux : D'un côté, il y a plus de travail, car dans les villes il y a beaucoup de constructions, mais le problème à l'inverse, est que les prix ont beaucoup augmenté depuis la chute des talibans, que ce soit les loyers ou le prix des produits alimentaires. Pour vous donner un exemple, un kilo de viande sous les talibans valait 50 afghanis, aujourd'hui il en vaut 150. Aujourd'hui, en Afghanistan, on a une petite frange de la population qui s'enrichit considérablement, et la grande majorité qui s'appauvrit.
Josette : Qu'en est-il de la place des femmes?
Françoise Chipaux : La situation des femmes s'est améliorée dans la mesure où elles n'ont pas de contraintes légales pour sortir de chez elles, pour que les filles aillent à l'école, elles peuvent travailler si elles le veulent. Mais les contraintes culturelles n'ont pas disparu. Le côté positif, c'est que des femmes se sont présentées aux élections, ont dirigé des bureaux de vote. Mais pour beaucoup de femmes, rien n'a réellement changé car le poids de la culture fait qu'une femme reste très largement cantonnée chez elle, elle se mariera avec l'époux qu'aura choisi son père et elle ne pourra sortir de chez elle pour travailler qu'avec l'accord de son mari. En résumé, les contraintes légales ont disparu, mais les contraintes culturelles demeurent.
Uok : Quelle est la priorité pour la population : la sécurité ? l'augmentation du pouvoir d'achat ? l'éducation ?
Françoise Chipaux : La priorité, c'est la sécurité, la paix, du travail, des écoles, des routes, des hôpitaux, de l'électricité. Les priorités sont très basiques : avoir une vie normale, en sécurité, dans un pays où la loi est la même pour tout le monde.
Yakax : Etiez-vous présente au cours de l'élection présidentielle de 2004 ? Si oui, quelles comparaisons pouvez-vous faire ? Les Afghans semblent-ils moins intéressés par les enjeux locaux ?
Françoise Chipaux : Oui, j'étais présente lors de l'élection présidentielle. Le problème, ce n'est pas que les Afghans sont moins intéressés par les problèmes locaux, mais ils avaient d'énormes attentes après l'élection présidentielle. Et en fait, rien n'a changé. Donc d'une part, il y a un désenchantement. D'autre part, le scrutin était très compliqué, car il y avait un très grand nombre de candidats, que les gens ne connaissaient pas. Pour donner un exemple, à Kaboul, il y avait 390 candidats pour l'Assemblée nationale et le bulletin de vote était de 7 page en format tabloïd dans lequel les gens devaient choisir un nom. C'est plutôt ça, le réel problème.
Uok : Quel est le poids de la religion ? Est-elle un frein à l'éducation des populations, à l'émancipation des femmes ?
Françoise Chipaux : La religion est omniprésente, car les Afghans sont religieux, ce qui ne veut pas dire qu'ils soient fondamentalistes. Mais ils sont extrêmement religieux, la plupart des Afghans font leur prière cinq fois par jour, et l'immense majorité respecte le ramadan.Mais la religion n'est pas un frein à l'éducation des filles ou à l'évolution des mœurs.
Josette : Comment est-il possible de réduire l'influence des talibans auprès de la population?
Françoise Chipaux : Pour cela, il faudrait que le gouvernement nomme des gens compétents, honnêtes, que sa présence soit ressentie dans les districts frontaliers où, aujourd'hui, il est quasiment absent, et dans la plupart des régions où les talibans sont actifs, les gens n'ont rien eu des dividendes de la paix. Aujourd'hui, l'opposition n'est pas uniquement talibane, c'est un deuxième front, après l'Irak, de la lutte contre les Américains.Les talibans recrutent d'autant plus facilement que les gens n'ont rien eu du gouvernement. Au contraire, ils doivent subir la présence de l'armée américaine. La présence des forces de la coalition, qui sont essentiellement américaines, fait régner l'insécurité dans la mesure où il y a des combats entre les Américains et les talibans, les Américains fouillent les maisons, arrêtent des gens, bombardent. Ce qui facilite pour les talibans le recrutement des locaux.
Josette : Comment expliquer une participation relativement faible aux élections de dimanche ?
Françoise Chipaux : Je crois qu'on peut l'expliquer par les deux facteurs précédents : d'une part, le désenchantement, car les gens avaient voté massivement à la présidentielle, mais n'ont vu aucune amélioration, et d'autre part, un scrutin compliqué avec beaucoup de candidats, la plupart des électeurs n'ayant aucune idée de la fonction et du rôle d'un Parlement.
Uok : La force internationale, l'ISAF, a-t-elle un réel effet pour la sécurité des populations ?
Françoise Chipaux : Oui, quand même, parce que dans le nord de l'Afghanistan, par exemple, elle intervient entre les chefs de guerre, elle intervient pour la formation de la police, et surtout elle est sur le terrain quand il y a des accrochages. Le fait qu'elle patrouille beaucoup et qu'elle se montre rassure les gens.
Uok : Qu'en est-il de l'action des ONG dans le pays ? Est-il vrai qu'elles ont de moins en moins de financements ?
Françoise Chipaux : Non, je ne pense pas qu'aujourd'hui les budgets aient réellement diminué, mais au fil des années, ils pourraient diminuer. Les ONG font un travail essentiel. Car l'Etat afghan n'a pas les ressources humaines nécessaires.
Uok : L'Union européenne et les Etats-Unis aident-ils l'Afghanistan à sa juste mesure ?
Françoise Chipaux : Les besoins sont tellement énormes qu'il est difficile de savoir quelle est la juste mesure. Les Etats-Unis ont, en aides, déjà versé 5 milliards de dollars, sans compter ce qu'ils dépensent pour leurs forces armées. Mais les besoins de l'Afghanistan sont évalués entre 20 et 25 milliards de dollars sur 15 ans.
Fired : Y aura-t-il un jour un jugement international des différents chefs de guerre afghans pour crimes de guerre ou contre l'humanité ?
Françoise Chipaux : Pour l'instant, on n'en a pas pris le chemin. Le président Karzaï, au contraire, n'a pas du tout écarté les chefs de guerre. Et la crainte de beaucoup est que ces chefs, qui sont pour la plupart candidats au Parlement, s'ils sont élus, vont voter une loi d'amnistie immédiatement.
Fired : Les tensions ethniques entre Pachtounes et Tadjiks, Ouzbeks et autres, ont-elles baissé ?
Françoise Chipaux : Pour l'instant, il n'y a pas véritablement de tension tangible, mais il est clair qu'une fois de plus, le vote au Parlement, comme l'avait été le vote à l'élection présidentielle, sera ethnique. Dans un pays où il n'y a pas de police pour vous protéger, il est clair que les gens recherchent la protection dans leur tribu, dans leur ethnie d'abord.
Fired : Un parti laïque peut-il émerger en Afghanistan ?
Françoise Chipaux : Il y a des partis laïques. On a aujourd'hui, officiellement enregistré en Afghanistan, une quinzaine de partis politiques issus de la gauche afghane, notamment les anciens communistes. Pour l'instant, le poids de ces partis est difficile à évaluer, c'est pour cela que les élections parlementaires vont révéler ce qu'ils pèsent, mais ces partis ont encore des réseaux puissants dans l'administration et les forces de sécurité. Les anciens communistes sont rentrés il y a à peine deux ans. Certains ont le soutien de leur tribu. Les communistes ont pour eux d'être des gens honnêtes, non corrompus et pour la plupart instruits.
Uok : Comment voyez-vous l'évolution à court terme et à long terme dans ce pays ?
Françoise Chipaux : Tout dépend de la conférence qui va avoir lieu en janvier pour repenser ce qui a été créé ces quatre dernières années. Il faut absolument que, d'une part, le gouvernement fasse le ménage chez lui, applique une vraie réforme de l'administration, privilégie les nominations au mérite et non pas au clientélisme. Il faut que la communauté internationale surveille de beaucoup plus près où va l'argent. Et il faut continuer la formation des forces de police, de l'armée, d'un ministère de la justice, mettre en place des institutions crédibles.
LEMONDE.FR | 20.09.05 | 18h30
L es partis allemands doivent entamer, mercredi 21 septembre, les négociations en vue de former un nouveau gouvernement. L'hypothèse d'une "grande coalition" entre le SPD de Gerhard Schröder et les Unions chrétiennes CDU/CSU de Angela Merkel, la plus privilégiée par les Allemands, selon un sondage publié mardi, revient au premier plan.
Angela Merkel plébiscitée La dirigeante du camp conservateur a été reconduite mardi à une écrasante majorité (98,6 %) à la tête du groupe parlementaire des Unions chrétiennes (CDU/CSU) : elle a reçu ainsi un net soutien en dépit de la contre-performance de son parti aux législatives de dimanche. |
A en croire le grand quotidien populaire Bild, Gerhard Schröder serait prêt à céder sa place à un dirigeant conservateur, si Angela Merkel, pressentie pour diriger un nouveau gouvernement, en faisait d'abord de même.Cette hypothèse est évoquée par un dirigeant du SPD non identifié, cité par le journal le plus lu d'Allemagne : "Jamais aucun chancelier ne s'est sacrifié pour permettre la formation d'un gouvernement. Schröder deviendrait alors un très grand homme dans l'histoire du parti".
Une "grande coalition" serait possible seulement si le SPD renonçait à présenter à nouveau M. Schröder comme chancelier, renchérit le quotidien Der Tagesspiegel. Une solution envisageable, peut-être avec l'accord de M. Schröder, si un gouvernement dirigé par une autre personnalité du camp conservateur que Mme Merkel donnait des garanties qu'elle renoncerait au "démantèlement social" redouté par le SPD.
Aux yeux du quotidien berlinois Taz (gauche), "la seule solution, c'est que les deux prétendants à la chancellerie finissent par se retirer. Schröder aura alors au moins empêché Merkel (d'être chancelière) et ainsi triomphé une dernière fois", estime le journal de gauche.
Parmi les autres hypothèses, une coalition entre SPD, Verts et libéraux du FDP semble définitivement écartée, le président du troisième parti allemand, Guido Westerwelle, ayant rejeté toute idée de participer à un gouvernement avec le SPD.
Une éventuelle "coalition jamaïcaine" entre conservateurs, libéraux et Verts (en référence aux couleurs du drapeau de la Jamaïque : noir pour les conservateurs, jaune pour les libéraux, vert pour les écologistes) semble elle aussi avoir peu de chances d'aboutir.L'un des dirigeants conservateurs, le Bavarois Günther Beckstein, a estimé qu'une telle alliance serait "extraordinairement difficile", tandis que la figure charismatique des Verts, le ministre des affaires étrangères, Joschka Fischer, avait déjà écarté cette hypothèse.
Des dirigeants des principaux partis allemands (CDU/CSU et FDP d'un côté, SPD et Verts de l'autre) ont affirmé qu'ils étaient prêts à discuter, sans pour autant voir de solution dans l'immédiat. Le FDP a cependant exclu de discuter directement avec le SPD et les Verts, laissant le soin à la CDU/CSU de le faire.
Les deux camps ont exclu des discussions avec le nouveau Parti de gauche, formé de déçus de la social-démocratie à l'ouest du pays et de néocommunistes de l'ex-RDA, devenu la quatrième force politique du pays, derrière la CDU/CSU, le SPD et les Libéraux du FDP.
Avec AFP
LEMONDE.FR | 20.09.05 | 20h17
S' il restait des doutes sur les intentions de l'Iran, ils ont été dissipés. Comme l'a expliqué le président iranien Mahmoud Ahmadinejad pendant sa visite de cinq jours à New York, Téhéran a fermement l'intention de maîtriser le cycle complet de l'énergie nucléaire, y compris l'enrichissement de l'uranium – un "droit inaliénable" de l'Iran, selon lui–, ce que tentent précisément d'éviter les Etats-Unis et l'Europe. "L'énergie nucléaire est un don de Dieu" , a expliqué le président. Selon lui, il n'y a rien à craindre : " Notre religion nous interdit d'avoir des armes nucléaires."
Le compromis sur un "ultimatum" à Téhéran D'intenses tractations diplomatiques se sont déroulées, dimanche 18 septembre, veille de l'ouverture, à Vienne, de la réunion de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), qui doit se prononcer sur le renvoi du dossier du nucléaire iranien devant le Conseil de sécurité des Nations unies. Les trois pays membres de la troïka européenne (Allemagne, France, Grande-Bretagne), ainsi que les Etats-Unis, sont partisans d'adopter une résolution demandant le recours à l'ONU, mais la Russie, la Chine, le Brésil, l'Inde et de nombreux pays du Mouvement des non-alignés y sont hostiles. Une majorité des 35 membres du conseil des gouverneurs de l'AIEA pourrait se rallier à la solution préconisée par Mohamed ElBaradei, directeur de l'Agence, qui propose qu'un ultimatum soit lancé à l'Iran pour qu'il suspende ses activités nucléaires sensibles, comme la "conversion" de l'uranium (préalable à l'enrichissement). Cette solution de compromis aurait l'avantage de repousser une confrontation entre l'Iran et une large partie de la communauté internationale, ce qui satisferait, dans un premier temps, Européens et Américains. |
Pour sa première sortie dans un pays occidental, M. Ahmadinejad, un ancien "gardien de la révolution" devenu maire de Téhéran, a associé les références aux traditions de l'islam avec les attaques tiers-mondistes les plus radicales contre les "puissants" . Il n'a pas paru le moins du monde intimidé, même si certains de ceux qui l'ont rencontré l'ont jugé "réservé" et "tâtant le terrain" . Devant la presse, il a manifesté une certaine maîtrise du dossier nucléaire, tout en recevant constamment des notes de la part du négociateur Ali Larijani, décrit comme l'idéologue du régime.
Premier président laïc en Iran depuis un quart de siècle, M. Ahmadinejad a rencontré une douzaine de chefs d'Etat à New York : du Russe Vadimir Poutine à l'Algérien Abdelaziz Bouteflika, au Géorgien Mikhaïl Saakashvili au Chinois Hu Jintao. Il a aussi tenu un petit-déjeuner à l'Hôtel Intercontinental avec des représentants de la presse américaine, et accordé des entretiens à Time , Newsweek et CNN. Les journalistes ont été étonnés par ses remarques : comment le cyclone Katrina a-t-il reçu son nom ? a-t-il demandé.
Pendant sa conférence de presse à l'ONU, il a rendu hommage aux habitants de New York, immobilisés par les embouteillages causés par la présence de 150 chefs d'Etat. "J'ai vu énormément de gens arrêtés aux feux rouges" , s'est-il étonné. Les limites de la civilité du président sont apparues lorsqu'il a refusé de répondre à la question d'un journaliste israélien, qui voulait savoir ce qu'il en était de la destruction de l'Etat d'Israël, professée officiellement par l'Iran. Il est sèchement passé à la question suivante.
Plus tard, il a donné son avis sur la "feuille de route", qui est censée tracer le chemin de la paix entre Israël et les Palestiniens. "C'est un plan d'hégémonie sur le Moyen-Orient et ses ressources naturelles. Toutes les nations du Moyen-Orient, dont l'Iran, y sont opposées, et elles utiliseront toutes les ressources en leur pouvoir pour faire échouer ce plan" , a-t-il dit.
Depuis des jours, les Européens et les Américains attendaient les nouvelles propositions sur le dossier nucléaire, visant à éviter la saisine du Conseil de sécurité de l'ONU. Dans son discours devant l'Assemblée générale, le président a d'abord dénoncé "l'apartheid nucléaire" , c'est-à-dire le fait que certains pays seulement ont le droit de posséder le combustible nucléaire et de le vendre aux autres. "L'ironie de la situation est que ceux qui ont, en fait, utilisé des armes nucléaires, qui continuent à en produire, à en tester et à en accumuler, qui ont utilisé des bombes à uranium appauvri contre des centaines de milliers d'Irakiens et de Koweïtis, et même contre leurs propres soldats au risque de provoquer des maladies incurables (...), que ceux qui n'ont pas signé le traité d'interdiction complète des essais nucléaires et qui ont armé le régime sioniste en armes de destruction massive (...) s'efforcent d'empêcher les autres pays d'acquérir la technologie pour pouvoir produire de l'énergie nucléaire civile" , a-t-il déclaré dans une attaque contre les Etats-Unis.
Le président iranien a proposé de créer un comité de l'Assemblée générale de l'ONU qui viserait à étudier les moyens d'un désarmement complet. Il a offert d'engager son pays "dans un partenariat sérieux avec le secteur public ou privé d'autres pays pour la mise en oeuvre du programme d'enrichissement -de l'uranium- iranien". Des compagnies telles que l'Urenco, par exemple, un consortium britannique, néerlandais et allemand, seraient invitées à s'associer. "Pourquoi certains veulent garder le combustible et nous le vendre à dix fois sa valeur ? Nous nous engageons à le leur revendre 30 % moins cher que le prix qu'ils proposent" , a-t-il dit à CNN.
Le président a cité la médiation des trois pays de l'Union européenne (Allemagne, France, Grande-Bretagne) mais noyée dans un paragraphe plein de conditions. Dans son discours écrit, il a évoqué l'offre de l'Afrique du Sud de participer aux négociations, mais il n'en a pas fait état à la tribune, après avoir rencontré le président Thabo Mbeki.
Les propositions iraniennes n'ont pas suscité le moindre enthousiasme parmi les responsables européens et américains, qui se sont concertés à New York pour trouver une réponse commune à présenter à la réunion du conseil des gouverneurs de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), lundi 19 septembre, à Vienne. "Cela revient à dire : d'abord vous créez un comité pour désarmer les Etats-Unis et Israël , dit un diplomate européen. Ensuite, vous nous donnez les capitaux et on enrichit l'uranium. C'est très co nfus."
Corine Lesnes
Article paru dans l'édition du 20.09.05
L' issue très incertaine des élections législatives anticipées en Allemagne risquent d'ajouter à la confusion dans une Europe ébranlée depuis fin mai par le rejet de la Constitution européenne en France et aux Pays-Bas. "Sans u ne Allemagne dynamique, l'Europe ne peut pas se redr esser , a indiqué lundi José Manuel Barroso, le président de la Commisson. Je presse les dirigeants allemands de trouver une solution stable aussi vite que possible."
Selon un fonctionnaire français, "si l'Allemagne n'est pas très audible avec une coalition instable du fait du scrutin, cela ne sera pas bon pour l'Europe".
L'incertitude sur le nouveau gouvernement allemand va peser sur le démarrage des négociations d'adhésion avec la Turquie qui doivent commencer le 3 octobre. Le mandat européen pour ces négociations fait l'objet de discussions difficiles en raison du refus d'Ankara de reconnaître explicitement la République de Chypre, désormais membre à part entière de l'Union européenne. Sans remettre en cause ce rendez-vous, l'Union chrétienne-démocrate (CDU) et Angela Merkel ont plaidé pendant la campagne pour un partenariat privilégié avec la Turquie, tandis que le Parti social-démocrate (SPD) est favorable à son adhésion en bonne et due forme.
Il est loin d'être évident non plus que l'Allemagne soit sortie de son impasse politique pour le sommet informel prévu fin octobre par la présidence britannique de l'Union européenne sur la définition du modèle social européen et les réformes à accomplir en Europe face à la mondialisation.
Tony Blair a salué, dimanche soir 18 septembre, le courage des candidats aux élections... en Afghanistan, mais il a pris grand soin de ne pas commenter les résultats du scrutin en Allemagne. Au-delà du devoir élémentaire de prudence face à la confusion de la situation, le premier ministre britannique avait de bonnes raisons de se réfugier provisoirement dans le silence. En son for intérieur, Tony Blair, qui veut profiter de sa présidence pour forcer l'Europe à repenser ses prioprités, souhaitait qu'une relève politique s'opérât sans ambiguïté à Berlin. Il n'a donc pu qu'être déçu par le score moyen d'Angela Merkel et la forte résistance de Gerhard Schröder.
Après le "non" français au référendum sur la Constitution Européenne, le Times avait ironisé sur Chirac, "le canard boîteux" et Schröder, "le canard mort" . Mais Schröder "vit" encore, au probable déplaisir des dirigeants britanniques, qui voyaient dans l'arrivée au pouvoir, sans partage, des démocrates-chrétiens allemands, une belle occasion d'affaiblir l'axe Paris-Berlin. Angela Merkel partage en grande partie les vues de Tony Blair sur la modernisation de l'Europe, sur la nécessité de la mettre plus en phase avec les conséquences de la mondialisation.
Mme Merkel a par ailleurs souvent reproché à M. Schröder d'être devenu trop critique envers les Etats-Unis, à la faveur de la guerre en Irak, et en exploitant le pacifisme de ses compatriotes. Elle entend améliorer les relations entre Berlin et Washington, ce qui plaît à Londres. Comme plaît la volonté des chrétiens-démocrates d'afficher une plus grande solidarité avec les pays d'Europe centrale, en particulier la Pologne, pour tenter de contenir l'influence régionale de Moscou, notamment en Ukraine et en Biélorussie.
L'arrivée à la chancellerie de Mme Merkel ne pourrait donc que réjouir la Grande-Bretagne. En attendant que se réalise l'autre grand espoir de Londres, l'élection à la présidence de la République française de Nicolas Sarkozy. Ce qui scellerait, entre les "trois Grands" d'Europe, une nouvelle alliance impliquant les dirigeants britanniques.
La déception des uns pourrait faire le bonheur des autres. A gauche l'ancien premier ministre danois Poul Nyrup Rasmusse, président du Parti socialiste européen, s'est félicité que L'Europe évite "le pire des politiques néolibérales de Angela Merkel". Mais il a également souligné qu'"un gouvernement instable dans l'Etat le plus important d'Europe n'est une bonne nouvelle pour personne" .
L'accord tant attendu par les pays de l'est de l'Europe sur le budget de l'Union élargie pour la période 2007-2013 va sans doute devoir attendre des temps meilleurs. Après la France, qui a rejeté la Constitution de l'Union et est désormais lancée dans une campagne électorale de deux ans, l'Allemagne, elle aussi affaiblie, ne va pas voir sa marge de maoeuvre grandir pour passer des compromis. Quelque soit le sort des prochaines négociations sur la formation de son gouvernement, elle ne disposera pas d'un leadership clair pour contrebalancer les incertides françaises.
A Paris, Catherine Colonna, la ministre déléguée aux affaires européennes, s'est juste voulu rassurante sur la persistance du couple franco-allemand : la relation entre les deux pays "transcende" les alternances politiques et le couple franco-allemand "restera le moteur de l'Europe" quelle que soit l'issue des élections de dimanche, a-t-elle affirmé dans la soirée. Encore faut il pour cela avoir des idées. Ni la France ni l'Allemagne ne semblent en mesure aujourd'hui de pouvoir proposer des solutions pour répondre à l'absence de vision commune qui paralyse aujourd'hui le projet européen.
Henri de Bresson avec Jean-Pierre Langellier à Londres et Philippe Ricard à Bruxelles
Article paru dans l'édition du 20.09.05
V ous êtes président du groupe des Verts au Parlement européen. Comment analysez-vous les élections allemandes ?
Pour moi, il y a trois perdants et trois vainqueurs. La grande perdante, c'est d'abord Angela Merkel. Partie avec des sondages qui lui donnaient jusqu'à 47 % des voix, elle termine avec 35 %. Les deuxièmes perdants sont évidemment les sociaux-démocrates (SPD), malgré leur remontée en fin de campagne. Les troisièmes grands perdants, ce sont les médias, qui n'ont cessé de mettre les électeurs en garde contre une grande coalition. Or c'est précisément le choix qu'ils viennent de faire.
Du côté des vainqueurs, il y a en premier lieu les intégristes du néo-libéralisme, qui ont réussi à attirer une partie de l'électorat démocrate-chrétien (CDU) pour former autour du FDP un pôle néo-libéral autour de 10 %. Ce sont ensuite les socialo-communistes, qui ont réalisé à l'Ouest une percée dans les grandes villes et qui l'ont fait, pour l'essentiel, au détriment du SPD. Enfin, troisième vainqueur, Joschka Fischer, qui a sauvé les Verts.
Va-t-on vers une grande coalition ?
La grande coalition n'est possible que si Merkel et Schröder se retirent. Ce ne sera ni elle ni lui, parce qu'ils sont tous deux perdants. Toutefois un gouvernement de coalition, ce ne sera pas la stabilité. La CDU avec trois sièges d'avance, sera prise en otages par le SPD. Chaque fois que le SPD ne sera pas d'accord avec un texte proposé par la CDU, il pourra menacer de mobiliser la majorité rouge-verte, qui n'est pas opératoire pour gouverner mais l'est pour bloquer. Ce sera intenable pour la CDU. Le SPD attendra la première occasion pour quitter la coalition et provoquer des élections anticipées.
Quelle autre solution ?
La deuxième solution est que Merkel et Schröder tentent l'un et l'autre de former un gouvernement minoritaire. Cela voudrait dire qu'ils se présentent devant le Bundestag, que celui-ci élise le chancelier, à bulletins secrets, comme le veut la loi, et qu'ensuite l'élu forme un gouvernement. Je suis favorable à cette formule parce que la société allemande donne sur des sujets différents des majorités différentes. Un gouvernement social-démocrate minoritaire pourra faire passer des textes sociaux avec la "gauche de la gauche".
Sur l'immigration ou d'autres sujets de société, les libéraux sont plutôt d'accord avec les Verts et le SPD, ainsi qu'avec l'extrême gauche. Sur les retraites, ce sera une autre majorité. Cela réhabiliterait le Parlement, qui deviendrait le lieu de négociations importantes.
Propos recueillis par Thomas Ferenczi
Article paru dans l'édition du 20.09.05
O skar Lafontaine revient au Parlement sous l'étiquette Parti de gauche (Linkspartei) et prend ainsi sa revanche sur son rival et ancien "camarade" social-démocrate Gerhard Schröder. S'il n'a pas été élu dans sa circonscription de Sarrebruck, dans l'ouest de l'Allemagne, où il se présentait au suffrage direct, il a bénéficié de sa position de tête de liste dans la région de Rhénanie-du-Nord-Westphalie.
Grâce à une alliance avec les anciens communistes du Parti du socialisme démocratique (PDS), bien implanté dans l'est du pays, M. Lafontaine arrive au Bundestag entouré d'un bataillon de 54 députés. De quoi empoisonner la vie des partis de la future coalition gouvernementale dont il ne devrait pas faire partie, sociaux-démocrates et chrétiens-démocrates ayant exclu toute alliance avec lui.
En mai, alors que M. Schröder avait appelé à de nouvelles élections fédérales après la défaite du SPD en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, M. Lafontaine avait rendu sa carte du Parti social-démocrate (SPD) et annoncé qu'il rejoignait un groupuscule de syndicalistes et de militants de gauche contestataires (WASG). Dans la foulée, il concluait une alliance avec le PDS de Gregor Gysi. Le Parti de gauche (Linkspartei) était né, en attendant une fusion souhaitée pour 2006 par les deux dirigeants.
Le divorce entre le chancelier et M. Lafontaine remonte au mois de mars 1999. Il avait alors quitté son poste de ministre des finances et la présidence du SPD pour des raisons personnelles, mais aussi en critiquant le chancelier, jugé trop libéral Les réformes sociales, et notamment la réduction des allocations-chômage, entreprises par le gouvernement de Gerhard Schröder, sont en ligne de mire de M. Lafontaine.
Crédité, au mieux, de 13 % des intentions de vote dans les sondages, le Parti de gauche a perdu du terrain en fin de campagne. Son programme électoral, qualifié de "fantaisiste" ou de "ruineux pour le pays" par ses adversaires, a induit le doute chez des électeurs attirés par son discours différent. M. Lafontaine a également provoqué un malaise avec ses dérapages populistes. Lors d'une réunion électorale, il a accusé les travailleurs étrangers de "voler des emplois" aux Allemands "avec leurs bas salaires".
Les photos, parues dans la presse, de la luxueuse maison de vacances qu'il a louée cet été à Majorque (Baléares) ont porté un autre coup à sa crédibilité. Il en a été de même à propos de l'insistance qu'il aurait manifestée pour obtenir d'un journal un voyage gratuit en jet privé entre l'Espagne et l'Allemagne pour participer à un débat.
Ancien ministre-président de Sarre, M. Lafontaine, 62 ans, a réitéré, dimanche, son refus de négocier avec les partis qui ont approuvé la réforme des allocations-chômage et le maintien du contingent militaire allemand en Afghanistan.
Sur ces points, il bénéficie du soutien de sa base électorale. "C'est la première fois depuis les années 1950 qu'il y a un parti à gauche de la gauche en Allemagne. Il ne serait pas crédible de conclure une alliance avec des partis de la coalition sortante, mais on pourra dire non à des projets au Bundestag" , commentait dimanche, Karsten, un aide-soignant de 42 ans arborant un tee-shirt rouge imprimé de poings levés noirs.
Antoine Jacob et Adrien de Tricornot
Article paru dans l'édition du 20.09.05
C' C'est le meilleur score de la décennie pour notre parti, et pourtant nous sommes très déçus" , glisse un diplomate allemand. Venu assister à la soirée électorale du Parti libéral (FDP), dimanche soir 18 septembre, cet hôte tiré à quatre épingles a du mal à se réjouir du score de 9,8 % réalisé par sa formation. Alors que tout le monde attendait une situation inverse, c'est l'Union chrétienne-démocrate (CDU) qui a fait défaut à la droite allemande, avec un résultat de 35,2 %.
Durant cette campagne électorale très brève, le discours direct du FDP a eu le mérite de la clarté par rapport à celui, plus confus, du grand frère chrétien-démocrate. "Les gens qui voulaient un vrai virage libéral sont venus à nous" , estime Falk Peters, un avocat vêtu d'un costume-cravate, comme la plupart des sympathisants et membres présents ce soir-là. Les projets du FDP sont plus radicaux que ceux de la CDU en matière de remise en cause du système de cogestion des grandes entreprises et de réforme de l'impôt sur le revenu.
Dans les grandes entreprises, les libéraux veulent mettre fin aux conseils de surveillance paritaires en ne réservant plus qu'un tiers des sièges aux représentants du personnel. Leur programme prévoit par ailleurs de réduire l'imposition sur le revenu à trois tranches (15 %, 25 % et 35 %) après un abattement de 7 700 euros par personne, soit 60 milliards d'euros d'impôt sur le revenu en moins. Cette mesure serait financée à hauteur de 35 milliards par la suppression d'avantages fiscaux et de subventions, notamment à l'exploitation du charbon.
Les libéraux veulent également partir en croisade contre la bureaucratie et dissoudre ce "monstre" que serait l'Agence pour l'emploi, pour la remplacer par des structures "efficaces et proches des citoyens" . Enfin, le FDP veut privatiser le système de l'assurance-maladie : les caisses dites "publiques", c'est-à-dire régies par la loi, seraient mises en concurrence avec les assurances privées.
Personne, au FDP, ne prétend toutefois que ce parti ne doit qu'à lui seul son succès de dimanche. De nombreux électeurs chrétiens-démocrates lui ont accordé leur deuxième voix – prévue par le système électoral allemand – dans l'espoir de le renforcer et, partant, d'éviter une "grande coalition" entre la CDU et le Parti social-démocrate (SPD) du chancelier sortant, Gerhard Schröder. En conséquence, c'est à la CDU que des voix ont manqué. "Beaucoup d'électeurs de la CDU se sont dit que le score de leur parti était assuré et étaient plutôt inquiets que le FDP ne franchisse pas la barre des 5 %" nécessaire pour être représenté au Bundestag, expliquait, navré, Cornelius Koch, conseiller de la CDU dans le Berlin-Brandebourg.
Résultat : les militants libéraux se voient déjà rester dans l'opposition, comme l'a affirmé leur chef, Guido Westerwelle. "Le FDP est allé à la bataille électorale pour sortir la coalition entre SPD et Verts. Nous n'allons pas changer et trahir nos électeurs en nous alliant à l'un ou à l'autre" , a-t-il répété dimanche soir. "Je ne connais personne, au FDP, qui veut d'une telle solution" , a renchéri Wolfgang Gerhardt, le président du groupe parlementaire du parti.
A. J. et A. de T.
Article paru dans l'édition du 20.09.05
L' Allemagne entre dans une ère d'incertitude. Les élections du dimanche 18 septembre n'ayant donné aucune majorité claire, les tractations vont durer des semaines pour aboutir, dans la meilleure des hypothèses, à une coalition gouvernementale aux contours encore incertains. Angela Merkel, pour la démocratie-chrétienne, Gerhard Schröder, pour les sociaux-démocrates, peuvent bien revendiquer la chancellerie, aucun des deux n'est en mesure de dire quelle serait sa majorité au Bundestag. La coalition sortante rouge-verte n'est plus majoritaire ; la coalition rêvée par Mme Merkel entre chrétiens-démocrates et libéraux est minoritaire.
En fait, ces élections n'ont fait que des perdants. Gerhard Schröder aura du mal à rester au pouvoir. Ses anciens alliés verts risquent de retourner dans l'opposition. Mme Merkel réalise un des plus mauvais scores de la démocratie-chrétienne et fait moins bien que son rival bavarois, Edmund Stoiber, il y a trois ans. Les libéraux obtiennent un score inespéré proche de 10 % des voix mais en prenant des suffrages à la démocratie-chrétienne. Ils vont se retrouver sur les bancs de l'opposition quand leur vraie nature est de faire l'appoint des majorités gouvernementales.
Un seul parti a rempli tous ses objectifs. C'est le parti de la gauche radicale formé par les déçus de la social-démocratie à l'Ouest et les anciens communistes de l'Est. Oskar Lafontaine et son compère Gregor Gysi font un peu mieux que les Verts pour devenir le quatrième groupe parlementaire au Bundestag. Grâce à ce succès, ils contribuent à l'échec du centre-gauche et empêchent la formation d'une coalition de centre-droite. Ils ne cherchent pas à participer au gouvernement, et personne, du reste, ne veut officiellement travailler avec eux. Ils brouillent le jeu et cela leur suffit. Non sans cynisme, ils se déclarent même en faveur d'une "grande coalition" entre chrétiens-démocrates et sociaux-démocrates, car ils y voient deux avantages : d'une part, la présence du SPD au gouvernement modérerait, selon eux, les ardeurs réformatrices de la droite ; d'autre part, l'histoire montre qu'une "grande coalition" favorise les petites formations qui tirent parti du mécontentement.
Le paysage politique allemand a été stable pendant des décennies. Le jeu à trois – démocrates-chrétiens, sociaux-démocrates et libéraux – était simple. Il a été brouillé en 1983 quand les Verts sont entrés au Bundestag et s'est compliqué après la réunification. L'apparition d'un parti de gauche protestataire introduit un cinquième élément qui, à l'avenir, rendra la formation de majorités de plus en plus difficile.
L'émiettement du système des partis n'est pas propre à l'Allemagne. Lors de la dernière élection présidentielle en France, il a aussi joué au détriment du candidat de la gauche réformiste. Il y a pourtant une spécificité allemande. La gauche radicale recrute surtout ses électeurs à l'Est. Elle se maintiendra aussi longtemps que la réunification psychologique et sociale ne sera pas achevée.
Article paru dans l'édition du 20.09.05
L e ministre de l'économie et des finances, Thierry Breton, a rappelé, lundi 19 septembre, que "3 % de déficit public, c'est l'objectif du gouvernement cette année" et que "pour l'année prochaine, l'objectif sera d'être dans cette marge et pas au-dessus", lors d'un point presse devant les journalistes de la presse anglo-américaine. C'est la première fois que le gouvernement évoque pour 2006 cet ordre de grandeur. Il tablait officiellement jusqu'ici sur un déficit au sens de Maastricht de 2,7 % du PIB en 2006.
La France a récemment notifié à la Commission européenne une prévision de déficits publics de 3 % du PIB pour 2005 (comprenant le déficit budgétaire, celui des collectivités locales et ceux des organismes de sécurité sociale). L'Etat français reviendrait ainsi dans les clous du pacte de stabilité européen pour la première fois depuis 2001.
La Commission européenne s'était inquiétée récemment de la capacité de la France à rester en deçà de la barre des 3 % en 2006. Le commissaire européen aux affaires économiques avait notamment observé que la France ne bénéficierait pas l'an prochain de la soulte EDF (9 milliards d'euros), qui devrait lui permettre de réduire son déficit d'un peu plus de 0,3 point de PIB en 2005.
Le ministre a par ailleurs expliqué que le budget 2007 permettrait de financer la réforme de la fiscalité grâce à la norme dite de "zéro volume" qui autorise une augmentation des dépenses dans les limites de l'inflation. "Si on prend une prévision d'inflation à 1,8 %, cela génère 4,5 milliards d'euros de dépenses supplémentaires", a-t-il rappelé. "Le premier ministre a indiqué que pour 2006 ces 4,5 milliards d'euros seront uniquement orientés vers l'emploi", et "pour 2007, on aura probablement encore de l'ordre de 4,5 milliards d'excédent, et il y en aura 3,5" consacrés à la baisse des impôts, a expliqué le ministre.
Pour réduire la dette, il y a "trois solutions qui ne sont pas exclusives mais plutôt additionnelles", a-t-il dit avant de les énumérer : premièrement "il faut gérer serré", deuxièmement "on peut éventuellement céder des actifs qui ne sont pas stratégiques", comme les sociétés d'autoroutes, et troisièmement "faire plus de croissance", c'est-à-dire "faire en sorte qu'il y ait plus de monde au travail".
Il s'est dit par ailleurs "très inquiet" des déficits américains. "L'équation n'est pas que française : la gestion de la dette sera un enjeu majeur des gouvernements dans les prochaines années", a-t-il insisté.
Avec AFP
LEMONDE.FR | 20.09.05 | 12h01
S imon Wiesenthal est mort, mardi 19 septembre, à Vienne, à l'âge de 96 ans, a annoncé le centre qui porte son nom sur son site Internet.
Toute sa vie durant, il a traqué des criminels nazis et permis d'en traduire plus d'un millier en justice, parmi lesquels Adolf Eichmann, responsable zélé de "la solution finale du problème juif". "Ce que j'ai fait, c'est à la fois pour les jeunes et pour ceux qui sont morts, car j'ai survécu et ce privilège implique un devoir", disait ce rescapé des camp d'extermination. Pour ce faire, il a créé après la seconde guerre mondiale un centre d'information sur les criminels nazis, point de départ de la traque des bourreaux.
Simon Wiesenthal est né le 31 décembre 1908 à Buczacz, en Galicie, province de l'Empire austro-hongrois aujourd'hui polonaise, qu'il doit quitter à 7 ans, à l'arrivée des cosaques. Il étudie ensuite l'architecture à Lemberg, ville de Galicie devenue soviétique en 1945, puis à Prague.
L'arrivée des troupes hitlériennes bouleverse sa vie. Arrêté en 1941, il est interné dans cinq camps d'extermination, dont Buchenwald et Mauthausen, d'où il sortira le 5 mai 1945.
Il s'établit alors à Linz (Autriche) et, ironie du sort, à quelques mètres seulement de la famille d'Adolf Eichmann. Il retrouvera sa piste après des années de traque, et les services secrets israéliens l'enlèveront à Buenos Aires en 1960.
En 1947, il fonde à Linz, à l'ouest de Vienne, un centre de documentation chargé de collecter des informations sur la vie des juifs et leurs tortionnaires. En 1961, c'est en partie grâce au travail du centre qu'Adolf Eichmann peut être traduit en justice, comme quelque 1 100 criminels nazis.
Après l'exécution d'Eichmann en Israël, le 31 mai 1962, Simon Wiesenthal transfère à Vienne ce centre qui entend également lutter contre l'antisémitisme et toutes les formes de préjugés et de révisionnisme car, souligne son fondateur, "les assassins de la mémoire préparent les conditions aux meurtres de demain".
Dans Justice n'est pas vengeance, son autobiographie publiée en 1989, le "chasseur de nazis" s'est attaché à montrer comment, inlassablement, il a traqué, débusqué les bourreaux sous leurs nouveaux masques, leurs nouvelles identités, dans le monde entier. Une seule fois, raconte-t-il, il a eu envie de sortir du cadre de la légalité, d'appliquer la loi du talion en découvrant dans les papiers d'un nazi la photo d'un enfant juif pendu par les testicules.
Mais celui qui a voulu"vivre pour les morts" a aussi vécu pour les vivants, en particulier les réfugiés des pays de l'Est. Quelque huit mille personnes ont transité par les centres qu'il a créés pour les accueillir, avant d'émigrer vers les Etats-Unis principalement.
Simon Wiesenthal, lauréat de nombreux prix, avait aussi ses détracteurs. Ceux-ci l'accusèrent ainsi d'avoir entravé la recherche et la traduction en justice de criminels de guerre, notamment l'ex-président autrichien et secrétaire général de l'ONU Kurt Waldheim. Simon Wiesenthal avait rétorqué qu'il s'était donné pour but de chasser des criminels de guerre et que Kurt Waldheim, critiqué pour son passé dans l'armée hitlérienne, n'en était pas un.
Avec AFP
LEMONDE.FR | 20.09.05 | 10h37
A près les reproches sur leur impuissance à réduire le chômage, les hommes politiques seront-ils un jour accusés d'être passés à côté de l'urgence écologique ? La hausse du pétrole, conjuguée au risque de changement climatique et à la perspective de la fin des énergies fossiles, aurait pu leur fournir l'occasion d'ouvrir un vaste débat. Cela n'a pas été le cas, ou en tout cas de façon très limitée.
Quitte à forcer le trait, le président de la Fondation pour la nature, Nicolas Hulot, avait raison d'observer, dans nos colonnes (Le Monde du 20 juillet), que, malgré les politiques officielles mises en place par les gouvernements successifs, "l'écologie demeure à quelques exceptions près la préoccupation dernière de nos gouvernements, de nos députés" . De son côté, la Commission de Bruxelles multiplie les remontrances, face aux retards ou réticences qui font de Paris l'un des "mauvais élèves" de l'Europe pour l'environnement.
De fait, parmi les principales forces politiques françaises, aucune ne porte vraiment ces préoccupations. Certes, le président de la République, en partie précisément grâce à la force de conviction de Nicolas Hulot, a ouvert la voie. Mais ses détracteurs lui reprochent de ne pas traduire ses intentions dans les actes. M. Chirac, il est vrai, a même eu du mal à convaincre son propre parti, l'UMP, d'accepter l'inscription dans la Constitution d'une Charte de l'environnement.
En dépit du coup de pouce donné par l'Elysée et Matignon aux énergies renouvelables et aux biocarburants, les énergies renouvelables sont en panne en France et auraient besoin d'une impulsion politique plus déterminée. Auparavant, deux ministres, François Loos (industrie) et Dominique Perben (transports), avaient émis l'idée, vite retirée, de ramener la vitesse maximale sur les autoroutes à 115 km/heure pour dépenser moins d'essence. Sans penser à rappeler que cette réduction aurait pu s'inscrire dans la lutte contre les gaz à effet de serre...
De même, les gouvernements Raffarin puis Villepin ont pris deux décisions qui vont à l'opposé du développement des transports en commun. En 2004, l'Etat a supprimé la ligne de crédit qui aidait les grandes agglomérations à se doter de réseaux de transports en commun, le plus souvent des tramways. Les élus, droite et gauche confondues, n'en sont toujours pas revenus.
Plus récemment, la décision de privatiser les sociétés d'autoroutes a coupé ses ressources à la nouvelle Agence de financement des infrastructures de transports de France (Afitf), destinée en principe à développer des modes de transports alternatifs à la route (rail, voie d'eau...). M. de Villepin a donné, le 1er septembre, de nouvelles assurances sur le financement de l'Afitf. Mais le mal est fait, en termes d'affichage de volonté politique.
A gauche, l'environnement n'a jamais fait partie de la culture du PS ou du PCF. Même si ces deux partis, sensibles à l'évolution de l'opinion, prennent ces sujets plus au sérieux depuis quelques années, au point d'en faire l'une des priorités de leurs programmes. Mais le dernier passage de la gauche au pouvoir, de 1997 à 2002, est loin d'avoir apporté une inflexion déterminante dans ce domaine.
L'amorce de polémique qui a éclaté au sujet de la hausse de l'essence entre les Verts et le PS, pendant l'été, a confirmé le clivage, à gauche, entre le parti écologiste et les autres : les socialistes, tout comme l'UDF, se sont contentés de demander que la TIPP flottante soit rétablie. Seule préoccupation, compréhensible par ailleurs : l'impact de la hausse du carburant sur le pouvoir d'achat des Français. Les Verts auraient voulu au contraire que la gauche profite de l'occasion pour ouvrir vraiment le débat sur l'énergie et les modes de transports.
Au demeurant, les divisions des Verts, et leurs capacités à s'autodétruire, font que leurs arguments ne sont plus très audibles. En outre, une partie d'entre eux restent proches d'une culture d'extrême gauche, qui privilégie les thèmes sociaux.
Plusieurs facteurs expliquent sans doute le retard français dans la prise de conscience écologique. Il s'agit de demander aux citoyens, aux lobbies et aux chefs d'entreprise de remettre en cause leurs propres comportements, d'où des mécontentements qui pourraient se traduire dans les urnes.
Par ailleurs, une tendance culturelle lourde traverse l'Europe, avec des pays du Nord plus sensibilisés à l'environnement qu'au Sud. Enfin, certains analystes jugent que, sous l'influence de l'hyper-médiatisation et des nouvelles technologies, avec leur flux continu d'information surabondante, la collectivité et ses dirigeants, obnubilés par le court terme, perdent l'habitude de raisonner à longue échéance.
Dans ce contexte, des groupes politiques marginaux et des associations demeurent les principaux vecteurs des préoccupations écologiques. Un décalage comparable s'était déjà produit sur le terrain économique et social. Des associations – Attac est la plus connue –, et des groupes très minoritaires sont restés longtemps les principaux défenseurs d'une "autre mondialisation", opposée au néolibéralisme. Face à l'écho croissant de ce discours dans l'opinion, une partie des forces politiques classiques ont repris certains de leurs thèmes, en particulier pendant la campagne du référendum sur la Constitution européenne.
Le même scénario peut-il se reproduire avec les mises en garde sur l'environnement ? Au PS, Laurent Fabius évoque la "social-écologie". Les deux sujets, au demeurant, sont en partie liés. Si les libéraux, notamment les plus radicaux, sont souvent très discrets sur les questions environnementales, voire réfractaires à l'idée d'un combat contre le réchauffement climatique, c'est bien parce qu'ils savent que cette action passera un jour ou l'autre, en particulier en France, par des régulations nouvelles de l'économie.
Jean-Louis Andreani
Article paru dans l'édition du 21.09.05
NonoK ♦ 21.09.05 | 06h46 ♦ Deathwind: "...mesurer soigneusement les couts/bénéfices" des mesures "ecologiques". Le "hic" c'est qu'on peut difficilement mesurer les couts long terme de mesures "polluantes". Et que l'environnement est un bien public. Donc il y a de fortes chances qu'on ait toujours plus interet 'economiquement' a construire une usine qu'a garder un espace vert ... j'approuve JL Andreani
henri+vonnement ♦ 21.09.05 | 06h29 ♦ accepter les changements qu'implique l'urgence écologique c'est accepter de changer de culture. On a put entendre sur France inter hier "les allemands consomment trop peu pour relancer la machine"! Le problème c'est que c'est précisement cette "machine" qui broye le monde qu'il faut arrêter. Notre monde est gouverné par l'emballage et le court terme. Le développement durable c'est une entreprise de fond et de long terme. L'urgence écologique implique donc de réviser nos systèmes politique
68Soul ♦ 20.09.05 | 23h19 ♦ Le problème de toute politique innovante est qu'elle se heurtera à des intérêts, et que ceux dont les intérêts sont concernés ne lacheront pas leur os... notre société trouve son équilibre dans un complexe jeu de forces, qui fait que rares sont les mesures qui fassent l'unanimité... et ceci dit, au-delà de toute idéologie, le principe de précaution est une question de bon sens, on l'a encore vu à la Nouvelle-Orléans où l'entretien des digues n'aurait coûté "que" quelques centaines de millions...
JEAN S. ♦ 20.09.05 | 23h14 ♦ Plutôt que d'« environnement », terme évoquant quelque chose de périphérique, d'extérieur, on devrait parler de « milieu ». On prendrait peut-être alors plus conscience des enjeux.
Stoe+Orkeo ♦ 20.09.05 | 23h13 ♦ Les ressources naturelles et l'environnement sont le patrimoine de l'humanite. Ne pas saisir l'importance d'une gestion durable et solidaire de ces biens et se limiter a l'apparente bonne situation des pays riches, revient a couper la branche de l'arbre sur lequel on est assis.Il faudrait commencer par changer notre mode de penser l'economie et notre facon de consommer.
Tat_nka ♦ 20.09.05 | 21h29 ♦ Je ne réagis qu'à la deuxième phrase:"...conjuguée au risque de changement ..." Au "risque"! Inutile de chercher plus loin le manque d'intérêt des politiques confrontés non aux risques, mais aux réalités des difficultés. La "prudence" scientifique (pourquoi?)et la langue de bois des média ne sont pas pour assurer la prise en compte du problème. Dire donc que les politiques sont nuls de ne pas se mobiliser pour l'écologie, c'est dire que le peuple est nul. On a les représentants qu'on mérite.
ponponette ♦ 20.09.05 | 20h46 ♦ Sans dédouaner les politiques de leurs responsabilités, ni de leur impuissance, n'oublions pas aussi notre propre faiblesse et notre incapacité à mesurer et reconnaitre les notres de responsabilités, tant individuelles que collectives. Sommes-nous capables, avons nous la volonté, de faire pression sur des politiques ? au risque de perdre une partie de notre confort ?
Olivier G. ♦ 20.09.05 | 20h25 ♦ réponse à Deathwind : Les tenants du néolibéralisme feraient mieux de se regarder devant la glace: cette doctrine n'est-elle pas une idéologie ? Si ce n'est pas le cas, C'EST QUOI ?!? C'est vrai, les Verts ne pèsent pas lourd au sein de l'opinion politique : seulemment 8 800 adhérents et 3 député(e)s. Mais… pour une fois, les médias ont dû constater une certaine retenue des différents courants dans le cadre des journées d'été des Verts. À quand l'écologie politique ? Olivier G. un Vert
FDMLDP ♦ 20.09.05 | 18h55 ♦ L'écologie et les problèmes d'environnement sont un baromètre de choix pour mesurer la veulerie (le plus souvent) et le courage (exceptionnellement) des politiciens. Nul domaine n'est en effet plus victime de la pratique du lobbying à l'échelle nationale et locale: Transport routier, industrie automobile, pétrole, grandes et petites entreprises de travaux publics, bailleuses de fonds aux élus locaux (dans les Yvelines par exemple)
Deathwind ♦ 20.09.05 | 17h17 ♦ L'environnement doit être une préoccupation mais il faut mesurer soigneusement les couts/bénéfices des différentes mesures. La situation en matière de pollution (eau, air, etc) à tous points de vue s'améliore depuis plus de 50 ans dans les pays développés ce qui montre qu'il ne faut pas dramatiser la situation. Bien sur on peut faire mieux mais attention à la surenchère médiatique des écologistes dont les arguments sont trop souvent idéologiques
cohelet ♦ 20.09.05 | 17h04 ♦ Assurément nos hommes politiques seront accusés de "laisser faire" lorsque les dégats écologiques seront patents pour tous quotidiennes. Le parallèle avec leur inefficacité et inaction ("on a tout fait, sauf ce qui marche")pour l'emploi est des plus éclairants. Comme le chômage à 10%, aurons-nous alors droit à un niveau de pollution irréductible pour la bonne marche de l'économie?
Dominique M. ♦ 20.09.05 | 15h51 ♦ Chaque avertissement scientifique sur le réchauffement de la planète est désamorcé par le fait que les médias se croient obligés de préciser les torts que celà causera aux pays du sud. Si vous arrivez à faire comprendre aux électeurs occidentaux que les têmpètes risquent de ravager leur économie et leur mode de vie ils s'y intéresseront. Sinon c'est l'égoïsme à court terme qui prévaut : comme pour le sang contaminé, le nuage de Tchernobyl, la colonisation, l'esclavage etc...
A u-delà de la concurrence entre les marchés du travail, des biens, des services et des capitaux, la mondialisation met, chaque jour davantage, en compétition les systèmes d'enseignement supérieur et de recherche.
Retenir et attirer les meilleurs étudiants, les enseignants et les chercheurs les plus prometteurs ; préserver ou acquérir la maîtrise des savoirs les plus avancés et leurs applications technologiques ; renforcer les capacités
d'innovation, la compétitivité des entreprises et des territoires : c'est un défi de plus pour notre pays. Et l'un des plus importants, car il conditionne fortement nos perspectives d'avenir et notre rang dans le monde.
Sommes-nous armés pour le relever ? Disons-le sans détour, nos performances ne sont pas à la hauteur de l'enjeu. Le poids de la France dans le volume mondial des publications, des citations scientifiques et des brevets recule.
Notre pays ne se positionne plus qu'à la douzième place mondiale pour l'impact global de ses travaux de recherche. Ces dix dernières années, un seul chercheur français s'est vu attribuer un prix Nobel en sciences, contre trois en Suisse, six en Allemagne, huit au Royaume-Uni et soixante-dix aux Etats-Unis.
Quant à nos établissements d'enseignement supérieur, un classement international récent faisait figurer la première université française à la 46e place, loin derrière des universités américaines, britanniques ou japonaises. Certes, ce type de classement est toujours contestable. Mais j'observe que les indicateurs sont rarement à l'avantage de notre pays.
Pour tempérer ce constat préoccupant, il peut être tentant d'avancer les mérites de notre enseignement supérieur, comme la démocratisation des études. Hélas, les comparaisons internationales ne plaident pas, là non plus, en notre faveur.
Sait-on que plus de la moitié des élèves inscrits en début de premier cycle universitaire échouent sans obtenir le moindre diplôme, quand deux tiers des étudiants américains sortent diplômés ? Que, malgré le doublement des effectifs étudiants depuis vingt-cinq ans, les études supérieures dans notre pays concernent 37 % d'une classe d'âge, contre 64 % aux Etats-Unis et 51 % en moyenne dans les pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ?
Dire cela n'est pas contester la réputation d'excellence, méritée, de certaines écoles, de certains laboratoires et de certaines disciplines en France – notamment en mathématiques et physique, dans les sciences humaines et sociales. Ce n'est pas nier la qualité et la motivation d'hommes et de femmes qui prennent part, avec passion, à l'effort de recherche et de formation de la nation. C'est resituer le problème dans une perspective d'ensemble, en acceptant, sans tabous, de se soumettre à l'épreuve des faits. Ce n'est pas en esquivant la réalité ou en se rassurant à bon compte que nous remédierons à nos carences.
Comment en est-on arrivé là ? Notre enseignement supérieur et notre recherche souffrent, d'abord, d'un manque de moyens. La France consacre un peu plus de 1 % de sa richesse nationale au financement de l'enseignement supérieur, un effort sensiblement moins important qu'aux Etats-Unis (2,7 %), en Corée du Sud (2,6 %) ou en Suède (1,7 %). La dépense par étudiant y est beaucoup moins élevée que dans la moyenne des pays de l'OCDE. Fait moins connu, qui nous singularise encore davantage, elle est également inférieure de 20 % à la dépense moyenne par élève du premier et second degré.
Notre effort de recherche, lui, se relâche depuis le milieu des années 1990, pour stagner autour de 2,2 % du produit intérieur brut. Il se situe, dorénavant, en net retrait derrière les grandes puissances industrielles – Etats-Unis, Japon, Allemagne, mais aussi derrière la Suède, la Suisse ou la Corée du Sud. Je note, par ailleurs, que la Chine vient de passer devant notre pays pour ce qui est de son poids dans les dépenses mondiales de recherche. Ce manque de moyens trouve, pour partie, son origine dans la situation très dégradée de nos finances publiques. Mais il n'explique pas tout.
Notre système d'enseignement supérieur et de recherche pâtit de l'inadaptation de son organisation et de son mode de fonctionnement. Conçu pour une économie fermée en phase de reconstruction puis de rattrapage, il n'a que très peu évolué depuis. Les universités, qui accueillent les trois quarts des étudiants, sont à la périphérie et non au centre du système. Elles sont marginalisées par les grandes écoles dans la formation des élites et par les grands organismes – Centre national de la recherche scientifique (CNRS), Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), Institut national de la recherche agronomique (INRA), Commissariat à l'énergie atomique (CEA)... – dans le pilotage des travaux de recherche. Pénalisées par la faiblesse de leurs instances de gouvernance et des règles de gestion centralisées à l'excès, elles ne maîtrisent qu'une petite partie de leurs moyens d'action. Reconnaissons-le, l'autonomie des universités, affirmée depuis la loi Edgar Faure (1968), puis dans la loi Savary (1984), est restée lettre morte.
Le paysage de la recherche publique est, lui, encombré par la multiplication des priorités et l'empilement des organismes. Epuisé par la dispersion des efforts, il est, de plus, affaibli par une série de clivages dépassés, mais qui ont la vie dure : entre recherche publique et privée, recherche fondamentale et appliquée, sciences humaines et sociales et sciences exactes ; clivage, enfin, entre enseignement supérieur et recherche.
Le problème est, aussi, que l'efficience du système n'est pas garantie par des procédures d'évaluation suffisamment transparentes et rigoureuses. La prépondérance du financement récurrent des structures sur la logique du financement des projets, la confusion, au sein des mêmes organismes, des fonctions d'agence de moyens et d'opérateurs de recherche, ne constituent pas des facteurs favorables. Cessons de nier l'évidence : notre dispositif n'est plus adapté aux défis que doit relever une société ouverte sur le monde et engagée dans le processus d'intégration européenne. Il faut dégager, sans tarder, de nouvelles perspectives.
J'insisterai particulièrement sur trois axes de réforme essentiels. Premièrement, nous devons enfin faire accéder nos universités à l'autonomie réelle et effective. Cela suppose de moderniser l'architecture de leur gouvernance et de leur accorder beaucoup plus de latitude dans la gestion de leurs ressources humaines, immobilières et budgétaires. Cela implique ensuite de mieux reconnaître leur place dans l'effort de recherche. Même si elles opèrent souvent sous le label des grands organismes, la majorité des unités de recherche sont aujourd'hui accueillies dans des universités. Des conseils d'administration plus resserrés et plus ouverts sur la société, des présidents dotés de pouvoirs forts qui s'appuieraient sur des services aux compétences renforcées dans le management, un cadre de gestion plus moderne et moins tatillon, une plus grande maîtrise des orientations scientifiques : voilà les principaux ingrédients de l'autonomie. N'ayons pas peur de faire confiance à nos universités.
Deuxièmement, nous devons créer les conditions d'une évaluation plus efficace de la qualité des formations et des recherches. Cela exige de rompre avec la logique des structures, des statuts et des financements indéfiniment acquis. Dans une société d'innovation, l'exigence de réactivité doit primer sur la vocation planificatrice de vastes administrations scientifiques. Je plaide pour que nos grands organismes soient recentrés sur leurs missions d'agences de moyens, qui financent, évaluent mais ne gèrent pas ou peu, sans que cela les empêche de conserver leur réseau de laboratoires propres. Leur rôle principal consisterait à accorder des financements sur projets à des équipes de recherche, notamment universitaires. Il leur reviendrait d'appliquer, au besoin en faisant appel à des experts internationaux, des critères très exigeants de qualité scientifique.
Notre pays a besoin d'une recherche fondamentale de très haut niveau : c'est elle qui détermine sur le long terme notre capacité d'innovation technologique et industrielle. Notre ambition de demeurer l'un des pays les plus développés de la planète est incompatible avec des exigences au rabais en matière d'excellence. Chacun doit comprendre également la nécessité de trouver un bon équilibre entre les restrictions d'ordre éthique et l'exigence de progrès. Sinon, il faudra accepter de dépendre des capacités technologiques d'autres pays et de choix éthiques faits ailleurs, et sans nous. Ce n'est pas ce que je souhaite pour notre pays, ni pour l'Europe, qui devra impérativement s'organiser pour mieux coordonner ses efforts de recherche.
Enfin – point capital –, nous devons revaloriser la place faite aux chercheurs et aux enseignants chercheurs dans la société. Je ne peux pas me résoudre à voir les jeunes talents se détourner des métiers de la recherche ou s'expatrier pour réussir. Cela implique de leur proposer des conditions de travail et des rémunérations plus attractives. Faut-il que l'accès à l'emploi permanent rime forcément avec un statut de fonctionnaire, assorti de rémunérations limitées et d'une évolution de carrière tracée à l'avance ? Pourquoi s'interdire par principe le recours à des contrats à durée indéterminée plus rémunérateurs qui offriraient des perspectives professionnelles plus ouvertes ?
Plus généralement, nous devons introduire plus de souplesse, encourager la mobilité dans les parcours, permettre de gagner davantage à ceux, fonctionnaires ou contractuels, qui travaillent plus.
Cela passe notamment par une liberté de choix plus importante, entre le temps consacré à la recherche et celui dévolu à l'enseignement. Et aussi par une meilleure reconnaissance du doctorat dans l'accès aux responsabilités supérieures de l'administration et des entreprises.
Ces trois orientations, indissociables, s'intègrent dans une démarche ambitieuse qui vise à favoriser, autour de grandes écoles et d'universités à l'autonomie renforcée, la constitution de campus de recherche dotés d'une forte visibilité et qui irrigueraient la société et les territoires. Elles vont de pair avec la simplification et le regroupement des structures et des établissements, dont le nombre actuel est trop élevé.
Les impulsions données par le gouvernement vont dans le bon sens : augmentation des moyens, création de l'Agence nationale de la recherche, refonte de l'évaluation. Mais il faut aller plus loin et plus vite. Le temps presse et les enjeux sont considérables.
Il faut dégager d'importantes marges de manoeuvre budgétaires, ce qui requiert un effort très important de maîtrise de la dépense publique. Sachons faire des choix si nous voulons que l'enseignement supérieur et la recherche deviennent réellement une priorité. Et comme les moyens supplémentaires seront, par construction, toujours insuffisants s'ils sont déversés sur un système inefficient, engageons-nous sans attendre dans l'expérimentation de réformes plus audacieuses, en commençant par l'autonomie de quelques universités. La future loi d'orientation et de programmation sur la recherche nous en donne l'occasion. Ne la laissons pas passer.
Nicolas Sarkozy est président de l'UMP et ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire.
par Nicolas Sarkozy
Article paru dans l'édition du 21.09.05
NonoK ♦ 21.09.05 | 06h35 ♦ Je lis beaucoup de contributions sur l'Universite, ms personne ne parle de l'autre tete de notre systeme bicephal: les grandes ecoles. Quelles soient de commerce (droits de scolarite eleves) ou d'ingenieurs (contrats de recherche avec le prive), il me semble qu'elles proposent des solutions credibles au financement d'etudes couteuses. Pourquoi serait-ce impossible de faire de meme en universite ???
Anaximandre ♦ 21.09.05 | 04h08 ♦ Un point important dans le systeme de financement de la recherche universitaire par les entreprises aux USA : la motivation. Se voir offrir un job au bout de quelques mois d'intense labeur est gratifiant. Mais il reste une grande partie de la gauche francaise qui n'acceptera jamais de travailler "pour les patrons" (etres diaboliques...). Neanmoins, une certaine partie de la recherche (long terme) doit etre financee par l'etat. La veuve de Boston ne veut pas recevoir sa pension dans 20 ans...
Snoop ♦ 21.09.05 | 03h31 ♦ Y a qu'à... Faut qu'on... En quoi les propositions de M. Sarkozy sont-elles des solutions ? En rien. Elles visent à la performance, à être les plus beaux, les plus forts, les plus riches... A aucun moment, M. S ne pose la question d'être les plus heureux, cette richesse qui comprend toutes les autres. Or, dans le monde en réseau d'aujourd'hui, l'important n'est plus la performance mais la pertinence. Ce pays a besoin de solutions pas d'idées. Sarko a tout faux. Il est dangereux.
LibertéEquitéSolidarité ♦ 21.09.05 | 02h31 ♦ Paradoxalement NS se livre à une provocation le jour où le commissariat au plan rend public un document où seraient exposées méthodes et démarches pour conduire avec succès le changement et la réforme dans les dépendances de l'état. Rapport disponible à cette adresse : http://www.acteurspublics.com/lme/actu/17/evenement.php
LibertéEquitéSolidarité ♦ 21.09.05 | 02h11 ♦ Quelle mouche a piqué NS ? Veut-il s'attacher les votes de ceux qui, majoritaires et peu organisés, sont favorables à une telle réforme en provoquant ceux qui, minoritaires mais très bien organisés, vont pousser les étudiants et les chercheurs dans la rue ? On imagine déjà la LCR, LO, le PC, le Snes-sup, SUD, l'UNEF tendance-machin, commençant à mettre au point les mots d'ordre, les slogans des futures manifs. Ou bien alors savonne-t-il la planche de Dominique ?
L'autre Stephane D. ♦ 20.09.05 | 23h54 ♦ Vos idees restent en fait tres interventionistes et bureaucratiques. Elle ne sont surement pas liberales. Si vous voulez vraiment attaquer le probleme e 1) faites payer l'universite, et cher. 2) Augmentez les bourses au merite. L'axiome est simple: Tout ce qui est gratuit n'a pas de valeur. C'est pour cela que les etudiants se barrent avant de finir. Si ils avaient du investir 20,000 Euro par ans, ils s'y investirait un peu plus.
Un autre Stephane D. ♦ 20.09.05 | 23h45 ♦ Maggie/Stoe+Orkeo: beaucoup de desinformation sur l'universite americaine (dont je suis diplome). Oui les droits d'entree sont eleves, mais si vous le meritez (bonne notes), vous ne les payerez pas (que vous soyez pauvre ou riche) et si vous etes mauvais, vous n'entrerez pas (que vous soyez pauvre ou riche. La seule exception est si vous etes un athlete exceptionel. Les universites s'arracheront votre entree, quelque soit votre origine, social, couleur, ou talents academiques.
Laurent D. ♦ 20.09.05 | 23h17 ♦ A nouveau, N. Sarkozy met l'accent sur un point fondamental. Toutefois le texte mériterait d'être accompagné de propositions illustrant la finalité des réformes proposées. L'imprécision suscite d'inutiles polémiques fondées sur des interprétations contradictoires. Accorder l'autonomie aux universités, soit, mais à condition d'éviter de grandes disparités entre les différentes régions et de pouvoir maintenir la diversité de la recherche. Vouloir mieux financer c'est préciser comment on financera.
gérard B. ♦ 20.09.05 | 22h33 ♦ On imagine l'après 2007. M.Sarkozy se clone en 12. Chacun constitue un gouvernement dont il est l'unique ministre universel. Ainsi, l'équipe gouvernementale est resserée. Excellente chose! Et, last but not least, les 13 se font une concurrence féroce, abaissant les coûts et augmentant les productivités. Pour 58894€ seulement, un gouvernement Sarkozy-N pourrait durer des décennies ... Rêvons un peu: certains (tous?) se délocaliseraient dans quelque lointain pays...
Deathwind ♦ 20.09.05 | 21h48 ♦ Maggie:au royaume des aveugles les sourds sont rois. Plus de 20% des diplomés de l'enseignement supérieur aux EU sont issus des classes pauvres. De toute facon, ouvez les yeux, les diplomés en France sont très majoritairement issus des classes aisées. Mais le fait est qu'au moins aux EU comme les étudiants payent leurs études en grande partie, ca n'est pas la collectivité qui subventionne les études des aisés ce qui est le cas en France.
MLM ♦ 20.09.05 | 21h09 ♦ Excellent! Enfin des idées rafraichissantes! Vivement que vous preniez le pouvoir, monsieur le président de l'UMP. Ah, mais vous y êtes déjà? Suis-je étourdi...On est comme ça les chercheurs, tête en l'air et naïfs. Et puis on vote mal. Continuez, continuez, messieurs de la droite réformiste: encore quelques idées géniales et nous rattrapperons la Corée du Sud.
gérard B. ♦ 20.09.05 | 20h55 ♦ Monsieur Sarkozy, ministre universel, s'occupe de tout. Sans doute, rien de ce qui concerne le peuple ne lui est étranger. Monsieur Sarkozy lit un peu (trop) vite les rapports de l'OCDE. Il a manqué le passage où l'on lit : dépense/élève/an 7467$, dépense/étudiant/an 9276$/an, ce qui fait (plus de) 20% de PLUS et non en MOINS. Le constat est banal, vrai peut-être, mais Monsieur Sarkozy ne s'engage pas sur le financement : or ne pas financer un système, même efficient ne sera pas .... efficace!
Stoe+Orkeo ♦ 20.09.05 | 19h54 ♦ La scolarite US est certes subventionnee, mais le niveau est tres mauvais. Si on est riche et que l'on a un bon reseau de connaissances(puissantes) on peut entrer relativement facilement a l'universite, sinon point de salut.Car si les "pauvres" peuvent acceder aux universites publiques, celles-ci ne disposent pas de la meme reputation que les universites privees, ce qui finalement permet de maintenir le systeme de segregation sociale et raciale qui existe dans ce pays.
Thomas NY ♦ 20.09.05 | 19h08 ♦ Mr Sarkozy, votre pladoyer manque singulierement de substance. Occuper le terrain est une chose, etre credible sur ce terrain en est une autre. Revenez nous avec des actions concretes, plutot que de longues phrases creuses du type "Je plaide pour que nos grands organismes soient recentrés sur leurs missions d'agences de moyens".
champollion ♦ 20.09.05 | 19h00 ♦ Il y a une solution simple non ? Bloquer les cadeaux fiscaux aux riches et au patronat et les réaffecter là où il faut. Sarkozy n'a décidément aucune idée, mais ça on le savait déjà. Pourquoi attendre 2007 ce qu'il pourrait faire en 2005 ? Parce qu'il n'a aucun programme ! Mais ça on le savait aussi !
Sue ♦ 20.09.05 | 18h40 ♦ Le constat quant l'accès à l'enseignementsupérieur aux USA était déjà vrai en 1960 ! Néanmoins on n'entre pas dans une université US sans avoir été sélectionné, voulez -vous instaurer la sélection en France? Vous aurez des miliers de personnes dans la rue et pendant longtemps.La pérestroïka est impossible comme le relève un lecteur, il faut donc une véritable stratégie pour aboutir.Pourquoi pas une stratégie européenne, de partenariat entre universités?
68Soul ♦ 20.09.05 | 18h40 ♦ L'enseignement français est-il à ce point mauvais que de nombreux 'sur-diplomés" partent faire carrière aux USA? Apparement là-bas, ils sont appréciés à leur juste valeur... ironie de l'histoire: c'est grâce au financement public, et donc à l'argent des citoyens, que ces messieurs feront leur carrière privée, alors que s'ils avaient du suivre leurs études aux USA, ils n'en auraient sans doute pas eu les moyens, tant les droits d'inscription sont élevés... la France perd doublement, au final...
Stéphane D. ♦ 20.09.05 | 18h30 ♦ Maggie, l'Université Américaine joue pleinement son rôle d'ascenseur social, contrairement à la Française. Si les _Universités_ Américaines sont chères, les _scolarités_ sont elles subventionnées par des bourses structurées et/ou des emprunts pour les étudiants doués. Et à l'arrivée, l'Université Américaine délivre nettement plus de diplomes aux couches sociales défavorisées que la Française, qui ne fait que reproduire de génération en génération le niveau social des parents.
vivien d. ♦ 20.09.05 | 18h13 ♦ le constat est évident...comme sur tout ce qui est administré par l'Etat cela se résume à utiliser enfin des méthodes de gestion efficaces et modernes... Sarkozy a le mérite de vouloir instaurer un rapport de forces dans l'opinion contre les corporatismes de la "France qui tombe"... Allègre dont sur le fond le constat est le même doit se sentir bien seul dans un PS qui a perdu toute force de projet et de progrès et s'arcboute sur les corporatismes... Sarkozy irrite le Mammouth et c'est bien..
Maggie ♦ 20.09.05 | 18h08 ♦ Si les deux tiers des etudiants americains inscrits en premiere annee sortent diplomes,ca doit etre tout simplement parce que ceux qui peuvent s'inscrire,avec les droits d'inscription eleves que l'on connait, sont uniquement ceux qui auront les moyens de poursuivre leurs etudes! Et non pas parce que le systeme americain est superieur.En revanche,il est vrai que les enseignants en France decouragent les etudiants,en attribuant des notes particulierement basses.
Deathwind ♦ 20.09.05 | 17h34 ♦ Mohsen B: L'exemple américain, cité dans l'article, montre, que contrairement à l'idée recue un modèle libéral est bien plus équitable puisqu'au Etats-Unis , il y a une plus grande proportion de diplomés de l'enseignement supérieur aux Etats-Unis qu'en France. Le système francais est donc moins équitable que le système américain et laisse plus de monde "au bord de la route" comme vous dîtes.
Deathwind ♦ 20.09.05 | 17h24 ♦ Un bon constat mais un peu léger sur les réformes proposés. En ce qui concerne les moyens, il faudrait ouvrir le financement les universités au privé comme aux Etats-Unis. C'est cette multitude de sources de financement qui permet à l'enseignement supérieur américain d'avoir plus de ressources. Il faut donner l'autonomie de gestion aux universités, les sortir du carcan dirigiste de l'Etat et les laisser établir une concurrence saine entre elles qui seule permet d'obtenir des résultats.
Benjamin I. ♦ 20.09.05 | 17h14 ♦ Je suis d'accord avec M.Sarkozy sur le fait que la revalorisation des chercheurs passe par un nouveau mode de gestion de la recherche (par projets et non par structures) et de nouveaux types de contrat de travail, plus flexibles et plus remunerateurs. Cela donnera plus envie aux etudiants de s'orienter vers cette profession.
claude m. ♦ 20.09.05 | 16h24 ♦ Voulant occuper le terrain tous azimuths, le ministre del'interieur montre qu'il ne connait pas ce dossier: ses solutions sont de confier la recherche aux universites, dont il vient de nous dire qu'elles ne sont pas a la hauteur ! et a casser ce qui marche CNRS, INSERM et INRA entre autres, pour en faire des agences de moyens. Pauvre LOP, s'il s'en occupe. A quoi servent nos ministres de l'ES et de la recherche? Et le premier d'entre eux ?
Nicolas L. ♦ 20.09.05 | 16h01 ♦ Deux pages bien creuses... :(
Stéphane D. ♦ 20.09.05 | 15h55 ♦ Cette réforme de l'université, devons nous la faire seuls ou avec l'Europe?
Aillard ♦ 20.09.05 | 15h50 ♦ Bon, première réaction sur ce site, et j'ai l'honneur de réagir à un "article" signé Monsieur Sarkozy. Je dois dire que la pauvreté du fond (au-delà du constat, qui est juste) me pousse à ne rien répondre sinon ceci: Mr Sarkozy, je sais que l'élection ne se gagne en rien sur le terrain des idées, mais ne pouviez-vous pas faire preuve d'un peu moins de mépris en développant plus et en braillant moins? Néanmoins, vous gagnerez, avec ces méthodes hautement chiraquiennes.
LibertéEquitéSolidarité ♦ 20.09.05 | 15h20 ♦ Cela a au moins le mérite de la franchise et du parler-vrai ! Ce discours n'est pas nouveau mais c'est la première fois qu'un candidat à la magistrature suprême prend le risque de le clamer haut et fort. Il postule que l'Université est réformable ! Gorbatchev pensait la même chose de l'URSS : ses tentatives de réformes l'ont désintégrée. Toute organisation tend à persévérer dans son être ! NS va découvrir la pertinence de cet adage spinozien ! Deux mandats seront-ils suffisants ?
Benjamin A. ♦ 20.09.05 | 15h19 ♦ Comme d'habitude, une ré-evaluation des conditions de traitement des chercheurs va avec une plus grande précarisation et une résurgence des CDD. Ce n'est pas en proposant des contrats précaires aux jeunes chercheurs que l'on attirera les meilleures vers ces carrières dans un pays ou le CDI est de mise partout. Pour le reste, le constat que fait M. Sarkozy est partagé par tout le de monde mais personne n'a réussi à faire bouger les choses et c'est plus compliqué que de mettre des radars partout.
Un lecteur ♦ 20.09.05 | 15h18 ♦ M Sarkozy pense que si les jeunes docteurs français se détournent de leur pays, c'est en raison du statut de fonctionnaire des chercheurs. Rien n'est plus faux selon moi : le problème vient du fait qu'il n'y a tout simplement pas assez de postes pour les docteurs en France. Il est impossible aujourd'hui d'avoir une quelconque perspective de carrière hors de la recherche publique, et comme il n'y a pas de postes, on forme 10 000 docteurs compétents par an pour l'étranger...
C. Courouve ♦ 20.09.05 | 15h03 ♦ La gauche enseignante continue néanmoins à nier, contre toute évidence, la dégradation du niveau scolaire. Il faut d'abord resserrer les boulons dans le secondaire. Les élèves devraient étudier plus et mieux. Pour obtenir ce résultat, il faudrait établir un contrôle des connaissances à l'entrée dans les Université, comme font les pays européens ayant de meilleurs résultats. Aussi consacrer, dans le secondaire, plus de temps à l'enseignement et moins aux contrôles (un par trimestre suffirait).
un scientifique naif ♦ 20.09.05 | 14h51 ♦ Ce constat, assez juste a mon humble avis, a deja ete etabli par differents responsables politiques a gauche comme a droite. On se demande pourquoi Nicolas Sarkosy, ministre de l'interieur a decide de definir autant de poles de competitivite qu'il y a de departements dans le territoire. A moins que la recherche d'une plus grande efficacite et competitivite de notre systeme de recherche s'arrete pour le president de l'UMP la ou commence celle des voix dans nos chers departements.
LibertéEquitéSolidarité ♦ 20.09.05 | 14h31 ♦ Nous savons tous que Nicolas est un homme pressé mais sa contribution est un peu courte ! Les lecteurs du Monde peuvent compléter cette observation rapide avec les articles publiés depuis maintenant 2 années par la revue Commentaire et portant sur la crise de la recherche en France ! Beaucoup plus long mais exhaustif !
MOHSEN B. ♦ 20.09.05 | 14h29 ♦ Dans la droite ligne de ses idées ultralibérales, Mr Sarkozy veut faire la sélection au service des entreprises, et laisser la majorité au bord de la route , corvéable à merci.C'est un modèle thatchérien qu'il nous prépare si les Français lui donnent la responsabilité suprême.
PHILIPPE H. ♦ 20.09.05 | 14h27 ♦ Toujours les mêmes idées simplistes, les mêmes critères idéologiques inadaptés. Mesurer le système universitaire à l'aune du résultat de la "compétition" avec les systèmes d'autres pays. La France ne gagne plus assez de médailles ... Rien sur la paupérisation organisée par le libéralisme. Il serait temps de réaliser que les incantations tatcheriennes tous azimuts n'ont plus quer peu d'écho.
C. Courouve ♦ 20.09.05 | 14h15 ♦ Pendant ce temps, la gauche enseignante continue de nier la baisse de niveau, contre toute évidence. C'est dans le secondaire d'abord que les élèves devraient étudier mieux et plus. Un des moyens d'obtenir ce résultat serait d'installer un contôle à l'entrée à l'Université, comme cela se pratique dans la plupart des pays occidentaux qui ont de meilleurs résultats que la France. Un autre serait de consacrer plus de temps à l'enseignement et de revenir à des contrôles trimestriels.
Sylvain ♦ 20.09.05 | 13h54 ♦ Y-a-t'il une suite à cette analyse poussée ? Sinon, on appréciera le choix judicieux du terme « poids » pour évaluer la recherche ; on vous remettra bien un petit kilogramme d'articles redondants avec votre brevet inutile ? La quantité en recherche ne donne rien de bon, et ne débouchera pas forcément sur plus de Nobels (quelle obsession du Nobel aussi dans la presse, il faudrait mettre un peu mieux en valeur les médailles Fields et autres Turing Awards).
E n présentant, lundi 19 septembre, un billet de retour vers la Lune pour 2018, la NASA offre un drôle de marché aux Américains. Elle leur propose d'alourdir de 104 milliards de dollars un budget déjà grevé par les dépenses du conflit irakien et les ravages du cyclone Katrina contre la promesse d'une échappée loin des désastres actuels. Du rêve pour oublier le cauchemar. Une nouvelle aventure qui aurait la douceur d'un fabuleux souvenir : Neil Armstrong, premier homme à marcher sur la Lune le 21 juillet 1969.
Cette première conquête trouvait alors sa justification dans la guerre froide, durant laquelle rien ne paraissait trop coûteux pour distancer, même symboliquement, l'ennemi soviétique. Aujourd'hui, en proie à des tourments multiformes, les Américains – et au premier chef leurs représentants qui votent les crédits de la NASA – vont-ils juger nécessaires ces nouveaux sacrifices ? La question n'est pas seulement posée aux dirigeants de l'agence spatiale américaine. Elle est adressée à George W. Bush, qui a précisément fixé la feuille de route d'un retour sur la Lune suivi d'une expédition humaine vers Mars avant 2030.
Si le président américain veut que la popularité de l'aventure spatiale, jusqu'ici jamais démentie, contribue à atténuer ses déboires actuels, il devra convaincre que la nouvelle mission lunaire n'est pas simplement une fuite en avant permettant à la NASA d'échapper à son grand échec des trente dernières années : la navette spatiale. Trop dangereux, trop coûteux, trop complexe, l'avion de l'espace, qui sera abandonné en 2010, a enfermé les vols habités, avec la station spatiale internationale (ISS), dans le piège de l'orbite basse autour de la Terre. Or celle-ci n'a jamais tenu ses promesses industrielles, et ne fait plus rêver personne.
Les trois jours de voyage vers la Lune suffiraient pour sortir de ce marasme tout en sauvegardant les entreprises et les emplois de ce secteur d'activité – car telle est aujourd'hui la principale raison de la conquête spatiale. Pour cela, il faudra aussi démontrer que les nouvelles missions ne se résument pas à un passage des images en noir et blanc des pionniers d'Apollo à la couleur. Or le projet présenté ressemble, par bien des aspects, à un décalque du design rétro des années 1960-1970.
La NASA va donc devoir souligner les différences pour mettre en valeur l'originalité de sa nouvelle mission. Et argumenter contre ceux qui considèrent le détour par la Lune comme une perte de temps sur l'itinéraire qui conduit à Mars. En planifiant la construction d'une base nécessaire à l'établissement d'une présence humaine de longue durée dans l'espace, les Américains cherchent à faire de notre satellite le premier jalon indispensable en vue des explorations futures. Un lieu où l'homme apprendra à maîtriser les multiples dangers de l'espace, avant de se risquer plus loin. Voilà un rêve prudent dont les initiateurs peuvent espérer tirer les bénéfices dans un avenir pas trop lointain.
Article paru dans l'édition du 21.09.05
L a suite de la conquête spatiale américaine va donc ressembler à un remake, le futur de la NASA à un souvenir. Près de cinquante années après avoir fait leurs adieux à la Lune, en 1972, des astronautes vont rejouer les grandes scènes du programme Apollo sur la surface de notre satellite. Cela se passera en 2018, si les délais du plan, rendu public lundi 19 septembre par la NASA, sont tenus.
La semaine dernière, cette "étude sur l'architecture des systèmes d'exploration", qui a déjà fait l'objet de nombreuses fuites dans la presse (Le Monde du 4 août), a franchi les toutes premières étapes de son périple au long cours. Elle a été présentée à des parlementaires et, surtout, la Maison Blanche lui a donné son accord. C'était bien le moins : le plan est la traduction concrète de la volonté exprimée par George Bush, en janvier 2004, de ramener les hommes sur la Lune puis de les lancer vers Mars, avant 2030.
Cette destination ultime, un voyage de cinq cents jours vers la Planète rouge, est à peine évoquée dans les documents publiés. Son calendrier n'est pas fixé. Michael Griffin, le nouveau patron de l'agence spatiale américaine chargé de mettre en musique les voeux présidentiels, a en effet des soucis bien plus immédiats. Dans un contexte budgétaire tendu, il lui faut s'assurer du financement d'un retour sur la Lune qu'il a lui-même évalué à 104 milliards de dollars. Cette somme revient à dépenser en treize ans, selon le patron de la NASA, "55 % du coût, en dollars constants, du programme Apollo" dont la préparation avait duré huit années.
Mais de nombreuses contraintes menacent cette économie relative. La NASA doit accompagner la fin de vie de la dispendieuse navette spatiale, vouée à s'effacer en 2010, tout en continuant à assurer la construction de la station spatiale internationale (ISS). Et ses comptes souffriront certainement des conséquences du passage du cyclone Katrina sur la Louisiane, où se situent plusieurs de ses usines. "Le programme spatial est un investissement de longue durée qui ne peut être remis en cause par nos difficultés de court terme" , a assuré, lundi, M. Griffin. Pour que son projet ne pâtisse pas de ce contexte douloureux, le patron de la NASA a bien précisé qu'il n'impliquait pas de dépassement de l'enveloppe annuelle allouée à son agence. Vendredi, les sénateurs n'en ont pas moins voté un budget spatial 2006 à 16,4 milliards de dollars, doté d'une rallonge de 200 millions par rapport à l'exercice précédent pour couvrir les premières dépenses de ce nouveau programme.
Le souci d'économie a largement influé sur la physionomie de ce plan. Les recettes éprouvées d'Apollo ont été préférées aux visions futuristes risquées. Les investissements faramineux consentis en faveur des navettes seront un peu mieux amortis grâce au démembrement des avions spatiaux, dont les meilleures pièces seront réutilisées. Leurs fusées d'appoint à poudre (solid rocket booster ) serviront à propulser la clef de voûte du projet, le véhicule d'exploration avec équipage (crew exploration vehicle , CEV). Celui-ci transportera quatre personnes sur la surface de la Lune, qui pourront, dans un premier temps, y demeurer sept jours. Le CEV sera aussi conçu pour emmener six personnes vers Mars, ou plus près de nous, vers l'ISS.
Pour cette mission, M. Griffin espérait disposer du nouveau véhicule, dès 2011, soit un an après la retraite des navettes. Les contraintes budgétaires l'ont obligé, lundi, à annoncer une entrée en service en 2012, voire à évoquer l'éventualité d'un report en 2014. Dans ce cas, les Etats-Unis devraient se passer, pour la première fois depuis des décennies, de toute porte d'accès aux vols spatiaux habités. Pendant plusieurs années, ils dépendraient ainsi des vaisseaux russes. Pour les mêmes raisons d'étalement de l'effort financier, le premier départ vers la Lune pourrait être repoussé de deux années, jusqu'en 2020.
Entre-temps, la NASA aura construit son lanceur lourd, dérivé de l'ensemble des moyens de propulsion de la navette. En vertu du principe de séparation du lancement du matériel et des hommes, cette fusée emmènera les charges nécessaires à l'exploration lunaire. Puis, en orbite terrestre, le CEV, lancé de son côté, viendra s'arrimer au sommet du mastodonte avant de voguer vers notre satellite. Là, aucun astronaute n'attendra en orbite, comme au temps d'Apollo, pendant que les autres gambaderont dans la poussière. Tous descendront grâce à un "alunisseur". Puis tous rentreront vers la Terre dans le CEV, qui pénétrera dans l'atmosphère, en se balançant au bout d'un parachute. La capsule se posera de préférence sur Terre, près de la base Edwards (Californie), alors que celles d'Apollo touchaient l'océan.
Hors ces quelques détails, les nouvelles expéditions se différencieront surtout de leurs modèles par leurs activités lunaires. Le progrès technique permettra de se poser partout sur la Lune, et non plus seulement sous l'équateur. Les nouveaux moyens de locomotion permettront de se lancer dans des explorations bien plus complètes. Surtout, une base permanente, sans doute vers le pôle Sud, sera établie lorsque les premières missions d'une semaine, à raison de deux par an, auront acheminé suffisamment de matériel. Les astronautes pourront y demeurer six mois, comme dans les bases de l'Antarctique. Ils apprendront à y dompter ces calamités des séjours de longue durée : la poussière, les radiations et les éventuels troubles psychologiques. Ils testeront la possibilité d'extraire du sol oxygène et énergie, pour accéder à l'autonomie. La Lune sera alors devenue le lieu de répétition, voire de départ des futurs vols habités vers Mars et au-delà.
Jérôme Fenoglio
Article paru dans l'édition du 21.09.05
P our envoyer des astronautes sur la Lune, la NASA, bientôt privée de son seul moyen de transport spatial – la navette –, a décidé de relancer ses vols habités en reprenant les recettes des années 1970 : une capsule récupérable et un lanceur. Deux éléments faciles à développer "vite et à moindre coût" , selon les industriels, tout en offrant une sécurité accrue comme celle dont bénéficient les Russes avec leur capsule Soyouz et leur vaisseau-cargo Progress.
A l'instar du programme Apollo qui avait permis l'envoi d'un homme sur la Lune, la NASA a donc choisi de développer une capsule habitée, le Crew Exploration Vehicle (CEV), pouvant accueillir un équipage de 4 à 6 personnes. Un véhicule simple qui s'autoéquilibre en rentrant – protégé par un bouclier thermique – dans les couches denses de l'atmosphère et qui atterrit en douceur grâce à des parachutes et à un système d'airbags.
Les Américains maîtrisent ces techniques comme ils maîtrisent celles relatives à la sécurité de l'équipage au moment du lancement. En cas d'incident, la capsule sera mise hors de portée du pas de tir par une petite tour métallique équipée de puissants moteurs. Les Russes ne font pas autrement aujourd'hui, et les Américains ont longtemps utilisé ce dispositif avant les navettes.
Deux industriels travaillent à ce projet de 5,5 milliards de dollars (4,5 milliards d'euros) : Lockheed Martin, qui a annoncé son partenariat avec EADS et qui a renoncé à proposer une sorte de capsule avec moignons d'aile (Lifting Body), et Grumman-Boeing, favorable dès l'origine à une simple capsule.
Pour mettre en orbite cet équipement, la NASA a décidé de développer des lanceurs construits à partir des restes des navettes. Deux voies ont été choisies. D'abord celle d'un lanceur bi-étage classique pour mettre le CEV et des vaisseaux-cargos en orbite. Il ferait appel, pour sa partie basse, aux anciens boosters (Solid Rocket Booster), éventuellement reconfigurés, de la navette et, pour la partie haute, à un étage réallumable propulsé par un moteur, le J2-S, dérivé de celui des fusées géantes Saturn du programme lunaire. Charge utile annoncée : entre 24 et 33 tonnes ; coût : 4,5 milliards de dollars.
Puis celle plus lointaine d'un lanceur lourd (Heavy Lift Carrier), camion de l'espace dont les différentes versions pourront emporter entre 85 et 120 tonnes en orbite basse. Là encore, les anciens boosters de la navette, son gros réservoir externe, ses moteurs et les vieux J2-S pourraient être utilisés. Coût : de 5 à 10 milliards de dollars. Mais un voyage vers Mars est à ce prix.
Jean-François Augereau
Article paru dans l'édition du 21.09.05
L e directeur de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), Mohamed ElBaradei, ignorant que Pyongyang allait quelques heures plus tard poser une nouvelle condition, a ouvert la conférence des trente-cinq gouverneurs consacrée à l'Iran, lundi 19 septembre, par une "bonne nouvelle" : l'annonce par la Corée du Nord, suite à un accord de principe conclu avec la Chine, la Corée du Sud, les Etats-Unis, le Japon et la Russie, d'un renoncement à son arsenal nucléaire et d'un retour, sous l'égide de l'AIEA, au traité de non-prolifération nucléaire (TNP). M. ElBaradei a réclamé que les inspections dans la péninsule coréenne reprennent "le plus tôt possible" . Il a rappelé que cette décision était le fruit d'un "processus long et complexe" de plus de deux ans. Mais il a surtout souligné que "la négociation est payante".
M. Douste-Blazy : "Sauvegarder l'unité" Le ministre français des affaires étrangères, Philippe Douste-Blazy, a affirmé au Monde , lundi 19 septembre, qu'il fallait "à tout prix maintenir la cohésion de la communauté internationale" sur le dossier iranien. "Un rapport au Conseil de sécurité de l'ONU doit renforcer la main de l'AIEA. Il ne s'agit pas de sanctions, mais de garder l'unité de la communauté internationale. Nous devons montrer à l'Iran que nous -lui- proposons toujours un programme nucléaire, mais à condition qu'il soit civil et pacifique. L'Iran y a droit comme tout pays. Mais, à l'inverse, nous demandons à l'AIEA de nous assurer que ce n'est pas à des fins militaires. Il est donc important pour nous de renforcer l'autorité de l'AIEA par l'intermédiaire du Conseil de sécurité" , a indiqué M. Douste-Blazy. – (Corresp.) |
Le directeur de l'AIEA souhaiterait voir les gouverneurs adopter une attitude similaire envers l'Iran, qui suscite les inquiétudes de la communauté internationale depuis la reprise, début août, de ses activités de conversion de l'uranium. "Nous nous dirigeons vers une période de confrontation et de prise de risques politiques" , a-t-il regretté.
Les divisions se sont accentuées, lundi, au sein de l'exécutif de l'AIEA. Les pays européens de la "troïka" (Allemagne, France et Grande-Bretagne), ainsi que les Etats-Unis, ont commencé à faire circuler auprès des gouverneurs un texte présentant des éléments de résolution pour le renvoi de l'Iran devant le Conseil de sécurité de l'ONU, qui a le pouvoir d'imposer des sanctions économiques. C'est, selon l'Union européenne et Washington, le seul moyen d'obtenir de la République islamique, qui a dissimulé son programme nucléaire pendant dix-huit ans, le renoncement à ses activités militaires. Un tel vote semble pourtant difficile à obtenir face à l'opposition d'une partie du Conseil. Or Européens et Américains préféreraient parvenir à un consensus, qui est la voie classique de la prise de décision à l'AIEA.
Au sein même de l'Union européenne, des dissensions se font entendre. L'Autriche et l'Italie, par exemple, dont l'Iran est un important partenaire économique, appréhendent de possibles représailles iraniennes sur leurs exportations.
La Russie et la Chine, membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU et disposant, à ce titre, d'un droit de veto, sont opposées à une saisine du Conseil de sécurité, de même que le Brésil, l'Inde et le Pakistan. Le président russe, Vladimir Poutine, a estimé, dimanche, que Téhéran coopérait "suffisamment" avec les organisations internationales et que d'éventuelles sanctions de l'ONU créeraient de nouveaux "problèmes". La plupart des quatorze pays du Mouvement des non-alignés sont hostiles à une saisine du Conseil de sécurité, Singapour et le Pérou étant les seuls à y être favorables.
L'Iran réfute les accusations des Etats-Unis et d'Israël sur ses intentions nucléaires, et affirme que son programme ne vise que la production d'électricité. La République islamique revendique le "droit légitime" de tout Etat à maîtriser le cycle du combustible nucléaire. Le porte-parole du ministère iranien des affaires étrangères, Hamid Reza Assefi, a mis en garde l'AIEA : "Nous attendons qu'elle -l'Agence- n'agisse pas de manière irréfléchie, unilatérale et extrême. S'ils -les membres de l'AIEA- traitent cette affaire de manière politique et non pas technique, le climat va se radicaliser."
De son côté, M. ElBaradei, qui souhaite que les gouverneurs donnent une nouvelle chance à l'Iran, a exhorté Téhéran à fournir "davantage de transparence et de mesures de confiance" , comme l'accès à certains sites potentiellement suspects. "La balle est en grande partie dans le camp de l'Iran" , a-t-il conclu. –
(Intérim.)
Article paru dans l'édition du 21.09.05
E n tant que secrétaire d'Etat adjoint américain, chargé des affaires européennes, quelle est votre réaction aux élections législatives allemandes du 18 septembre ?
Quand le président Bush a rencontré le chancelier Schröder, à Mayence en février, et quand il l'a invité à la Maison Blanche, en juin, le message était clair : nous allons travailler avec le gouvernement allemand quel qu'il soit. Nous n'entendons pas laisser les Etats-Unis devenir un sujet dans la campagne.
Nous n'avons pas de problème avec le "moteur" franco-allemand. Le seul problème que nous avions venait de la définition de l'Europe comme un contrepoids aux Etats-Unis. L'Europe ne devrait pas avoir pour but d'être un contrepoids aux Etats-Unis. Les fondateurs de l'Europe unie la voyaient vivant en paix avec elle-même et travaillant avec les Etats-Unis sur des problèmes communs. C'était l'idée de départ.
Nous voulons une Europe forte, [qui s'affirme] non comme un contrepoids ou un rival, mais comme un partenaire dans le monde. Comment allons-nous régler des problèmes tels que l'Iran, la Corée du Nord, le Liban, Israël et la Palestine, l'Irak, l'Afghanistan, la réforme dans le Grand Moyen-Orient, le renforcement de la démocratie et de la paix à la périphérie de l'Europe (les Balkans) et le long des frontières européennes de la liberté (l'Ukraine, le Caucase du Sud) ? Comment allons-nous faire tout cela si nous ne travaillons pas ensemble, mais que nous sommes en train de nous surveiller l'un l'autre dans une sorte de vaine recherche d'un constant équilibre des pouvoirs ? Est-ce que nous n'avons rien appris des expériences de l'Europe et des Etats-Unis avant 1914 ?
L'Allemagne fait partie de la "troïka" qui négocie avec Téhéran sur le dossier nucléaire iranien. Ne risque-t-elle pas d'être moins disponible ?
Oui, c'est un problème lorsque l'Europe se tourne vers elle-même. Nous espérons que c'est temporaire. Et que cette période de transition ne conduira pas à une période d'introspection, de la même façon que les Européens craignent parfois que les Etats-Unis ne glissent vers une de leurs tendances périodiques à l'isolationnisme. Une Europe en introspection, ce n'est pas bon pour le monde, pas plus que des Etats-Unis isolationnistes. Nous avons la responsabilité de travailler ensemble au bien de l'humanité, pas de nous replier sur nous-mêmes et de faire semblant que notre prospérité et notre démocratie peuvent exister indépendamment et en dehors du monde. Ce n'est pas possible.
Sur l'Iran, on a eu l'impression, cette semaine, que l'administration Bush a ralenti l'allure alors que les Français sont apparus comme les "faucons" sur la saisine du Conseil de sécurité. Est-ce une description juste ?
Ô, que j'aime cela ! C'est magnifique ! Bientôt, nous allons être accusés d'excès de multilatéralisme, et ce sont les Français qui vont nous demander d'être plus durs ! Une chose que j'ai toujours admirée à propos de la France, même au moment de nos pires désaccords sur l'Irak, c'est que la France n'a pas honte de l'usage raisonnable de la force. La France est un pays qui, de toute évidence, croit au multilatéralisme et à l'Europe, mais elle est réaliste sur ce qu'est le monde et sur ce que nous devons parfois faire. Je dis cela parce qu'il y a tellement de commentaires dans la presse française au sujet des Américains qui n'aimeraient pas la France... Voilà quelque chose que j'aime beaucoup en France. Et les commentaires du ministre [Philippe] Douste-Blazy m'ont rappelé le réalisme de la France et sa détermination.
Nous devons travailler de manière très étroite pour adresser un message très fort de détermination cette semaine [à l'Agence internationale de l'énergie atomique, AIEA] . C'est important. Le message que M. Douste-Blazy a fait passer est celui qui convient. Un message qui montre la détermination. Je ne parle pas d'options militaires, soyons clairs. En février, quand le président a évoqué cette question, tout le monde s'est mis à spéculer : "Regardez ce que les Américains s'apprêtent à faire", etc. Je parle de détermination diplomatique et de construction d'un fort consensus international.
Après une semaine d'efforts diplomatiques, on voit que, même avec le soutien de l'Europe, les Etats-Unis n'arrivent pas à beaucoup de résultats ?
Nous devons bâtir notre coalition en direction de l'extérieur. Il y a un an, les Etats-Unis et les trois pays de l'Union européenne n'étaient pas sur la même longueur d'onde sur l'Iran. Maintenant, l'Union européenne est là. Nous devons bâtir notre coalition diplomatique, aussi rapidement que possible mais cela va demander beaucoup de travail. Nous devons nous voir avec la Russie, la Chine, l'Inde, entre autres. Ces pays doivent examiner sérieusement les conséquences d'un Iran doté de l'arme nucléaire pour la paix et la stabilité régionales. Je pense qu'ils y viendront, mais nous devons travailler.
Propos recueillis par Corine Lesnes
Article paru dans l'édition du 21.09.05
L a commission européenne n'y croyait pas et bon nombre d'économistes non plus. Pour la première fois, lundi 19 septembre, le gouvernement français l'a implicitement reconnu : il ne compte plus vraiment sur une réduction en 2006 des déficits publics à hauteur de 2,7 % de la richesse nationale (le PIB) comme il le répétait jusqu'alors.
"3 % de déficit public, c'est l'objectif du gouvernement cette année" et "pour l'année prochaine l'objectif sera d'être dans cette marge et pas au-dessus" , a déclaré le ministre de l'économie et des finances, Thierry Breton.
La France a récemment notifié à la Commission européenne une prévision de déficits publics (qui totalisent ceux de l'Etat, des collectivités locales et des organismes de sécurité sociale) de 3 % du PIB en 2005, au lieu des 2,9 % sur lesquels elle s'était engagée.
A 3 %, l'Etat français reviendrait ainsi dans les obligations du pacte de stabilité européen pour la première fois depuis 2001 – après des déficits de 3,6 % en 2004, 4,2 % en 2003 et 3,2 % en 2002.
Le 8 septembre, le commissaire européen aux affaires économiques, Joaquim Almunia, avait indiqué qu'il n'avait "pas été surpris" par le recalage de 2,9 % à 3 % opéré par Paris pour 2005, "car c'était notre propre prévision" .
Il n'avait également pas masqué son scepticisme par rapport aux objectifs français pour 2006. "Avec des prévisions de croissance qui ne sont pas très optimistes – entre 1,5 et 2 % – la France devra continuer à faire des efforts et même à faire des efforts encore plus soutenus qu'en 2005 pour pouvoir tenir le cap et rester en dessous du plafond des 3 %" , avait-il déclaré. M. Almunia avait notamment pointé le fait que, dans la construction du budget de l'année prochaine, Paris "ne pourra pas, comme cette année, bénéficier de la soulte EDF".
En 2005, le budget a été construit en intégrant le versement de 9 milliards d'euros par l'électricien pour compenser l'intégration de ses salariés dans le régime général de retraite. Cela devrait réduire le déficit d'un peu plus de 0,3 point de PIB. Pour 2006, certains économistes prévoient un déficit public atteignant 3,6 % ou 3,8 % du PIB.
Article paru dans l'édition du 21.09.05
L a Jamaïque est devenue à la mode en Allemagne. Mardi, à la "une" de la Bild Zeitung , le quotidien populaire le plus lu du pays, s'étalaient les visages de trois personnalités politiques nationales affublés de dreadlocks, l'épaisse coiffure des rastas jamaïcains. Angela Merkel, la présidente de l'Union chrétienne-démocrate (CDU), Guido Westerwelle, le chef du Parti libéral (FDP), et Joschka Fischer, tête de liste des Verts aux élections législatives de dimanche, sont au centre des spéculations concernant la formation d'une coalition gouvernementale "noir-jaune-vert", les couleurs de leur parti respectif – et de la Jamaïque.
C'est Joschka Fischer qui, lundi, avait raconté à la presse avoir eu une vision, celle de ses hypothétiques partenaires politiques coiffés de mèches filandreuses, avec "un joint à la main" . Une probabilité aussi réaliste que la renonciation par les Verts de leur hostilité à l'énergie nucléaire, réclamée par M. Westerwelle pour imaginer pouvoir participer à une telle coalition. En cette période d'impasse politique, l'éventualité d'un mariage "noir-jaune-vert" n'est plus jugée irréaliste, en dépit de points de vue diamétralement opposés sur certains dossiers.
Privée de majorité absolue, la droite allemande recherche un partenaire pour gouverner. Les ponts sont pour l'instant coupés avec le Parti social-démocrate (SPD) de Gerhard Schröder. Le Parti de gauche, structuré autour des anciens communistes, est jugé infréquentable. Il ne reste donc plus qu'à courtiser les Verts.
Ceux-ci ont beau avoir gouverné l'Allemagne pendant sept ans au côté du SPD, ils pourraient faire l'appoint nécessaire, avec leurs 51 députés. M. Fischer n'a pas complètement exclu une telle probabilité, même s'il préférerait nettement une coalition "rouge-vert-jaune". Or cette alternative est "catégoriquement" exclue par M. Westerwelle. "On doit aller de l'avant" , a confié le chef de file des Verts, comme pour préparer la base de son parti à une éventuelle alliance avec la droite qui pourrait lui permettre de sauver son poste de ministre des affaires étrangères. Inenvisageable jusqu'à présent au niveau national, une telle alliance a été expérimentée au niveau communal. A Francfort, la ville du ministre des affaires étrangères, les Verts ont coopéré un temps avec la CDU et le FDP.
La CDU est perçue comme la plus incompatible avec les principes libertaires des Verts. Les libéraux, eux, ont davantage de points communs. Ils sont même concurrents auprès de jeunes chefs de petites entreprises. Il n'empêche qu'une "coalition Jamaïque" risquerait de provoquer un départ des militants écologistes les plus à gauche. A Berlin, le chef file des fondamentalistes Verts, le député Hans-Christian Ströbele, a rejeté un tel choix pour prôner, à terme, une alliance incluant le SPD et le Parti de gauche, très critiqué par M. Fischer.
Ce dernier a une marge de manoeuvre étroite, alors que la diffusion des thèmes écologiques et l'exercice du pouvoir ont banalisé les Verts. "Les Verts devraient à nouveau proposer une vraie vision de la société dont ils veulent", reproche Ralf Fücks, président de la fondation Heinrich Böll, proche du parti. Un retour dans l'opposition pourrait y contribuer.
Antoine Jacob
Article paru dans l'édition du 21.09.05
C ertains dirigeants de la CDU-CSU s'en sont inquiétés dès le lendemain du scrutin : leur parti s'est éloigné du monde du travail au cours des derniers mois et a ainsi précipité sa chute. La coalition de droite et des libéraux n'a pas obtenu la majorité absolue dimanche, comme le lui promettaient les sondages au début de l'été. Son programme fiscal et social, qui proposait une rupture libérale, pourrait en être largement responsable : les salariés et les chômeurs avaient toutes les raisons d'être effrayés par les projets d'allégement de la protection contre les licenciements, de contribution unique pour l'assurance-maladie quel que soit le salaire, de hausse de la TVA, d'imposition des primes de travail de nuit, de week-end et de jours fériés...
Retrait du fiscaliste d'Angela Merkel Paul Kirchhof, le fiscaliste allemand pressenti comme ministre des finances d'un gouvernement conservateur, a annoncé, lundi 19 septembre, avoir mis fin à sa brève carrière politique. "Je vais me concentrer sur ma fonction de professeur de droit pénal et de droit fiscal" , a déclaré M. Kirchhof dans un entretien au quotidien Abendzeitung de Munich. Cet ancien juge à la Cour constitutionnelle préconisait notamment un système d'imposition à taux unique de 25 % pour la quasi-totalité des revenus, ce qui avait déclenché une vive polémique pendant la campagne. Le chancelier Gerhard Schröder l'avait accusé de prendre les Allemands pour des "cobayes" et de vouloir "imposer de la même manière le président de banque et la femme qui fait le ménage dans son bureau". Mme Merkel avait qualifié M. Kirchhof de "visionnaire" . Elle avait réaffirmé à la fin de la campagne avoir besoin de M. Kirchhof comme ministre des finances. Selon un sondage, les Allemands estiment à 68 % (contre 15 %) que M. Kirchhof a porté tort à la CDU-CSU. – (Corresp.) |
Les analyses sociologiques du scrutin réalisées par les instituts Infratest-Dimap et Forschungsgruppe Wahlen à partir de leurs sondages de sortie des urnes dessinent d'ailleurs le portrait d'un parti de droite qui reste trop confiné dans ses bastions traditionnels des campagnes et des petites villes, chez les retraités, les agriculteurs ou les professions libérales. Les chômeurs sont la catégorie sociale la plus sous-représentée dans son électorat, devant les jeunes en apprentissage, les employés et les ouvriers.
Cette régression de la droite dans le monde du travail est perceptible dans les paysages industriels en crise de la Ruhr : la Rhénanie-du-Nord-Westphalie a donné à nouveau sa préférence aux sociaux-démocrates alors qu'elle avait opté aux élections régionales mai pour la droite et les libéraux, déclenchant la convocation d'élections nationales anticipées. En crise, la région la plus peuplée d'Allemagne, naguère bastion ouvrier social-démocrate, a donné 40 % des voix au SPD dimanche et 7,6 % à son allié les Verts, soit plus de trois points d'avance sur le camp des conservateurs et des libéraux et alors que la gauche radicale (Linkspartei) a franchi de justesse les 5 %.
Selon Infratest-Dimap, l'électorat du parti conservateur lui fait confiance pour sa politique économique mais lui a fait peu de crédit pour la justice sociale. C'est également le cas pour son allié libéral FDP. S'il est resté dimanche le parti des professions libérales et des travailleurs indépendants, il a aussi, cependant, capté une audience plus forte chez les employés et les jeunes en apprentissage. Réalisant leurs meilleurs scores chez les actifs de 35 à 44 ans, les libéraux semblent avoir séduit la partie la plus active de l'électorat de droite. Plus les électeurs sont jeunes et moins ils ont choisi le parti de Mme Merkel : "La CDU-CSU se taille à nouveau plus de succès chez les électeurs plus âgés que chez les plus jeunes. Elle ne reste le premier parti d'Allemagne que chez les plus de 60 ans. Dans tous les autres groupes d'âge, le SPD se situe devant elle" , constate le Forschungsgruppe Wahlen.
Dans sa campagne, la CDU avait fait du chômage de masse son principal argument face au chancelier sortant, Gerhard Schröder. Mais c'est le Parti de gauche, alliance des néocommunistes du PDS et de contestataires sociaux-démocrates, qui en a le plus profité. Le Parti de gauche a rassemblé un quart des chômeurs environ et est ainsi devenu le deuxième parti des sans-emploi, après le SPD et devant la CDU. Le nouveau parti est particulièrement puissant dans l'est de l'Allemagne (25 %), où le taux de chômage est deux fois supérieur à celui de l'ouest.
Malgré son recul, le SPD est cependant resté en tête chez les chômeurs, les ouvriers, les employés et des jeunes en apprentissage. Le thème de la justice sociale est aussi de loin le plus avancé, dimanche, par les électeurs du SPD pour expliquer leur vote. Chez les Verts aussi, la justice sociale vient rapidement après la politique de l'environnement parmi les motivations mises en avant. La coalition sortante semble ainsi avoir réussi à convaincre les salariés que ses réformes constituent une alternative plus juste à la rupture proposée par la droite.
La tactique à l'intérieur de la droite a cependant précipité la glissade de la CDU-CSU dans les derniers jours. Plusieurs centaines de milliers de ses électeurs ont voulu en priorité renforcer le petit parti allié FDP, croyant éviter ainsi une "grande coalition" droite-gauche.
De plus, la faible popularité personnelle de Mme Merkel a encouragé le report des voix vers les libéraux. La CSU bavaroise a obtenu moins de 50 % des suffrages dans son fief, soit dix points de moins que lors de la réélection de son président, Edmund Stoiber, au scrutin régional de 2003.
Malgré son recul en Bavière, la CDU-CSU est cependant restée, selon les sondeurs, le parti préféré des catholiques alors que les protestants continuaient à se fier d'abord au SPD. Enfin, l'effet Merkel se serait manifesté sous la forme d'un rééquilibrage des votes des femmes vers la droite... contrebalancé par un déplacement de voix masculines vers la gauche.
Adrien de Tricornot
Article paru dans l'édition du 21.09.05
C omment les instituts de sondages allemands n'ont-ils pas vu venir la très faible performance de l'Union chrétienne-démocrate (CDU) d'Angela Merkel aux élections législatives de dimanche ? Cette profession était sur la sellette outre-Rhin au lendemain d'un scrutin dont l'issue a surpris tout le pays. Jusqu'à la fin de la semaine dernière, les instituts de sondages ont crédité la CDU d'un score au moins égal ou supérieur à 40 % des suffrages. Dimanche soir, les électeurs en décidaient autrement, n'attribuant au principal parti d'opposition que 35,2 % de leurs voix. "La débâcle des sondeurs d'opinion", attaquait Die Welt dans son édition de mardi matin. Le quotidien conservateur estime toutefois que "les électeurs de plus en plus versatiles rendent la vie extrêmement difficile aux chercheurs".
C'est aussi l'argumentation développée par trois des principaux instituts, Forsa, Infratest-dimap et Allensbach, pour défendre leur réputation professionnelle. Alors qu'ils devaient donner à la presse étrangère leur analyse des résultats du scrutin, lundi matin à Berlin, les responsables de ces instituts de sondages s'étaient retrouvés sur le banc des accusés. "Un nombre plus important que d'ordinaire ont décidé dans les dernières heures pour qui ils allaient voter", a plaidé Renate Köchler, d'Allensbach. "Si nous avons surestimé le score de la CDU, nous sommes beaucoup plus proches de la réalité pour les autres partis", a noté Manfred Güllner, de Forsa, sans mentionner le score inattendu du Parti libéral (FPD, 9,8 %), vers lequel une partie des voix des électeurs chrétiens-démocrates se sont portées.
Cependant, tous les professionnels ne sont pas de cet avis. Gérald Wood, le patron de la filiale allemande du premier groupe mondial d'enquêtes d'opinion Gallup, a vivement critiqué la qualité des instituts de sondages allemands. Au vu des décalages entre les sondages publiés avant les élections et le résultat des urnes, M. Wood estime "possible que tous les aspects de la représentativité n'auraient pas été observés" par ces instituts et voit un "sérieux problème" dans la proximité entre les partis et les instituts, qui devraient être "clairement séparés".
Estimant avoir été défavorisé par les instituts de sondages et les médias, Gerhard Schröder a attaqué, dans son discours de dimanche soir, ces "observateurs professionnels". Il a réitéré ses critiques sur un plateau de télévision. Pendant la campagne, M. Schröder avait dénoncé à plusieurs reprises une "alliance" entre les sondeurs et les éditorialistes pour le donner perdant et demandé que l'on "respecte" le vote des Allemands qu'il avait appelés à "ne pas se laisser manipuler". Le président de l'Association des journalistes allemands, Michael Konken a rejeté "catégoriquement" lundi, "les accusations générales de manipulation par les médias".
Antoine Jacob et Adrien de Tricornot
Article paru dans l'édition du 21.09.05
S i l'Allemagne et la France ont des débats politiques si ressemblants, c'est qu'elles sont soumises aux mêmes problèmes économiques et sociaux. Toutes deux ont une croissance affaiblie et un chômage de masse persistant : 11 % outre-Rhin, 10 % de ce côté. Toutes deux ont une population vieillissante – même si la France a un taux de natalité bien supérieur – et des difficultés d'intégration des immigrés. Toutes deux souffrent de comptes publics et sociaux très déficitaires.
L'adaptation au nouveau capitalisme libéral et à la mondialisation impose les mêmes remises en cause douloureuses dans les deux pays, adeptes du même "modèle rhénan" à forte solidarité – quoique sous des formes un peu différentes –, faisant une grande place à l'Etat en France, donnant une place centrale aux banques en Allemagne. Quelle réforme de l'Etat-providence ? La question est la même des deux côtés du Rhin.
La clé manquante pour les deux pays est celle de la croissance. Pourquoi leur économie ne parvient-elle plus à atteindre les 2 % de croissance quand l'économie mondiale connaît une période florissante à plus de 4 % et que d'autres en profitent largement comme les pays scandinaves, les pays de langue anglaise et, bien entendu, les pays asiatiques ? France et Allemagne ont un "potentiel" affaibli par le vieillissement, certes, mais cette explication ne suffit pas. En outre, très sujettes aux à-coups conjoncturels de l'économie américaine, elles ne parviennent même plus à atteindre ce "potentiel" et tombent vers un chiffre inférieur à 1,5 %, comme cela sera le cas sans doute cette année et en 2006. Quand l'économie américaine tombe, elles suivent ; quand elle remonte, elles tardent. Les deux économies sont devenues à la fois structurellement et conjoncturellement faibles.
A la racine du mal structurel, on débat, dans les deux pays, de la mauvaise qualité de l'éducation, en particulier supérieure, qui prépare mal aux métiers utiles. On discute du poids des impôts et des taxes qui renchérit le coût du travail, notamment du travail non qualifié. On évoque l'excès de générosité du système social qui découragerait le travail et la prise de risques.
Les réponses apportées par les gouvernements français et allemand ont un point commun : elles ont tardé. La France a attendu dix ans avant de réviser son système de retraites et Jean-Pierre Raffarin n'a résolu qu'un tiers du problème. L'assurance sociale n'a toujours pas fait l'objet d'un redressement efficace malgré les "plans" successifs, comme vient de le démontrer la Cour des comptes. Le gouvernement Villepin s'est volontairement limité à un seul changement, celui du marché du travail, en créant un contrat nouvelle embauche. Les réformes de l'Etat sont suspendues.
En Allemagne, Gerhard Schröder a attendu 2003 pour lancer un ensemble de réformes (l'Agenda 2010), notamment, lui aussi, du marché du travail avec la création de contrats pour des emplois très peu chers. L'Allemagne a, en revanche, drastiquement limité les dérives des dépenses de santé. La détermination du chancelier a alors surpris et les mesures prises ont été dures, causant justement une si vive contestation à gauche que M. Schröder a été forcé de retourner devant les électeurs. L'Allemagne a donc globalement plus avancé que la France dans la voie des réformes.
Si les deux pays font face aux mêmes problèmes d'adaptation, ils diffèrent ensuite sur des problèmes spécifiques. Celui de l'Allemagne est, d'abord, celui de l'ex-RDA, dont le décollage économique se fait toujours attendre. Ce sont des centaines de milliards de marks, prélevés dans la poche des contribuables de l'Ouest, qui sont versés sans résultat ou presque à l'Est, y provoquant un désarroi et une nostalgie à l'origine du vote néocommuniste. Seize ans après la chute du Mur, l'Allemagne reste plombée par la réunification.
L'autre différence tient au rapport privé-public. En France, le secteur privé est sorti avec un avantage de compétitivité de l'entrée dans l'euro. Le mal vient du poids de l'Etat et de son faible rapport qualité/coût. L'Allemagne, au contraire, est entrée dans l'euro ave un mark trop fort et des coûts de main-d'oeuvre les plus élevés du monde. D'où, ensuite, une longue période de réduction et de restructuration qui, aujourd'hui porte ses fruits. L'Allemagne a retrouvé a première place sur le podium des pays exportateurs. Son appareil industriel est brillant. Le problème allemand est qu'à force d'avoir tiré sur les salaires, la consommation est très faible. Les Français, jusqu'ici, n'ont pas fui les magasins. Mais, en revanche, le déficit revenu du commerce extérieur montre que l'appareil industriel est désormais mal positionné et de taille trop faible. Pour schématiser, le problème allemand est la consommation, le problème français est l'investissement.
Eric Le Boucher
Article paru dans l'édition du 21.09.05
L es élections du 18 septembre n'ayant dégagé aucune majorité claire, les candidats à la chancellerie vont devoir composer une coalition multicolore s'ils veulent avoir une chance d'être élus par le Bundestag et de former un gouvernement stable.
En Allemagne, les partis sont couramment désignés par une couleur. L'émiettement du paysage politique propose donc une palette bigarrée. De gauche à droite, le rouge est associé au Parti social-démocrate, ainsi qu'au nouveau parti de la gauche radicale, le vert aux écologistes, le jaune au Parti libéral et le noir à la Démocratie chrétienne, que ce soit la CDU ou sa variante bavaroise, la CSU.
Arithmétiquement, toutes les combinaisons sont aujourd'hui possibles.
La grande coalition. Elle associerait les deux grands partis populaires, CDU-CSU et SPD, avec 447 sièges au Bundestag (la majorité absolue est de 307). Une telle formule a déjà existé entre 1966 et 1969. Elle se heurte à la prétention d'Angela Merkel et de Gerhard Schröder de la diriger. Traditionnellement, c'est le parti arrivé en tête aux élections qui forme le gouvernement. Mais cela n'a pas été toujours le cas. Si l'impasse persistait, il pourrait être fait appel, pour diriger une grande coalition, à un "troisième homme", sans doute issu de la Démocrate chrétienne.
La "coalition jamaïcaine". Les Allemands viennent de découvrir cette combinaison, appelée ainsi parce qu'elle regrouperait le noir, le jaune et le vert, les couleurs du drapeau de la Jamaïque. Cette formule de coopération entre les chrétiens-démocrates, les libéraux et les Verts serait inédite. Elle n'a jamais été expérimentée, y compris dans les gouvernements régionaux. Personne ne l'exclut, car son évocation donne aux différents protagonistes un atout supplémentaire dans la partie de poker qui vient de s'engager.
La coalition "feux tricolores". Rouge, jaune, verte, elle mettrait ensemble les sociaux-démocrates, les libéraux et les Verts. Ils trouveraient facilement un terrain d'entente sur les problèmes de société, mais ils s'opposent sur les réformes économiques. Le président du FDP, qui, avant les élections, s'était clairement prononcé pour une alliance avec la CDU-CSU, a exclu une coalition "feux tricolores". Elle lui apparaît comme une bouée de sauvetage pour le gouvernement rouge-vert.
La coalition rouge-rouge-verte. Cette coopération entre le SPD, la gauche radicale et les Verts disposerait d'une majorité au Bundestag, mais elle a été écartée aussi bien par Gerhard Schröder que par Joschka Fischer. Ils ne veulent pas travailler avec un parti dirigé par un transfuge du SPD (Oskar Lafontaine) et un transfuge de l'ancien Parti communiste d'Allemagne de l'Est (Gregor Gysi). La gauche radicale est du reste laissée à l'écart de tous les pourparlers menés par les autres formations.
Un gouvernement minoritaire. Si aucune entente n'est trouvée entre les partis, la Constitution permet à n'importe quel candidat chancelier d'être élu par le Bundestag (au troisième tour de scrutin avec une majorité relative) et de gouverner avec des majorités changeantes. C'est un cas de figure théorique que n'a jamais connu la République fédérale.
Daniel Vernet
Article paru dans l'édition du 21.09.05
G erhard Schröder est décidé à vendre chèrement sa peau. Après avoir littéralement tracté un Parti social-démocrate allemand (SPD) moribond pour faire quasiment jeu égal avec l'opposition conservatrice aux élections législatives du 18 septembre, le chancelier sortant s'agrippe au pouvoir. S'il a peu de chances d'y rester, au moins espère-t-il emporter dans sa chute sa rivale conservatrice, Angela Merkel, très fragilisée par le scrutin. La manoeuvre, décrite par certains comme un dernier baroud d'honneur, complique la formation d'un nouveau gouvernement.
Trente jours pour nouer des alliances Elus dimanche, les nouveaux députés allemands doivent se réunir dans les trente jours qui suivent le scrutin, selon la Constitution, soit le mardi 18 octobre au plus tard. Dans l'intervalle, le gouvernement sortant, dirigé par Gerhard Schröder (SPD), expédie les affaires courantes. Pendant ce temps, le président de la République fédérale, Horst Köhler, doit s'entretenir avec les dirigeants des principaux partis et choisir celui ou celle qui aura noué les alliances les plus solides pour en faire le chancelier ou la chancelière. Le président présentera cette personnalité au Bundestag pour approbation. Si les députés ne l'élisent pas à la majorité absolue au bout de deux tours, ceux-ci peuvent choisir eux-mêmes un candidat à la majorité relative. Dans ce cas, le président de la République peut soit confirmer ce choix, au risque d'une instabilité parlementaire, soit dissoudre le Bundestag. – (Corresp.) |
Au lendemain du vote, le chancelier rayonnait comme si le vainqueur, c'était lui. Longuement applaudi, lundi 19 septembre, par des militants réunis au siège du SPD à Berlin, il savourait le score de 34,3 % des voix obtenu par son parti au terme d'une campagne très personnalisée. A priori, il n'y a pas de quoi festoyer. C'est le plus mauvais résultat enregistré depuis les élections de la réunification en 1990, à propos de laquelle le candidat social-démocrate Oskar Lafontaine avait été très réticent.
Mais le pire, promis par les sondages, a été évité. Surtout, la dernière ligne droite de la campagne menée à la hussarde par un Schröder survolté a détourné une partie des électeurs de l'opposition, effrayés au dernier moment par son projet jugé trop libéral. Cette performance a permis au chancelier sortant de faire taire, au moins provisoirement, les critiques qui se faisaient entendre en interne contre sa politique et sa décision de provoquer des élections anticipées.
Lundi, M. Schröder et son équipe se sont appliqués à développer une tactique déjà ébauchée la veille au soir. S'il y a un vainqueur du scrutin, disent-ils, c'est bien le SPD. D'une part parce que l'opposition conservatrice, à qui une large victoire a longtemps été promise, a subi "une défaite morale" en ne recueillant que 35,2 % des suffrages, son troisième plus mauvais score depuis la guerre. Ensuite, et c'est une nouveauté sortie du chapeau de M. Schröder, parce que, mathématiquement, le SPD est le premier en voix, face à un camp conservateur "composé, en réalité, de deux partis différents" , l'Union chrétienne-démocrate (CDU), qui a obtenu 27,8 % des voix au niveau national, et l'Union chrétienne-sociale (CSU) de Bavière, qui en a totalisées 7,4 %. Il revient donc au SPD le droit de mener les négociations en vue de former un nouveau gouvernement.
L'argument, étayé par Frank Müntefering, le président du SPD, a choqué l'opposition, visiblement désarçonnée par cette façon de présenter les choses. De fait, la CSU a toujours été considérée comme l'aile bavaroise de la CDU. Les deux formations ne présentent pas de listes électorales concurrentes et leurs résultats au niveau fédéral sont comptabilisés ensemble. Au Bundestag, l'Assemblée nationale allemande, elles siègent au sein d'un même groupe parlementaire. C'est la tradition. De même, la CSU et son leader Franz Josef Strauss participaient au gouvernement de grande coalition formé de 1966 à 1969 entre les chrétiens-démocrates et le SPD, sous la direction de Kurt Kiesinger (CDU).
Aujourd'hui, le SPD ne s'arrête pas à ce genre de détails. Et M. Müntefering a beau jeu de noter que "les dirigeants de la CDU et de la CSU sont toujours invités à deux sur les plateaux de télévision" et bénéficient donc du double de temps de parole. Fort de son rang de "premier parti au Bundestag" , le parti de M. Schröder a invité les dirigeants des Verts, de la CDU-CSU et du Parti libéral (SPD) à tenir, cette semaine, des pourparlers exploratoires sur la possible formation d'une coalition. La CDU-CSU en a, bien sûr, fait de même. Seul le nouveau Parti de gauche (8,7 %) est hors du jeu pour l'instant.
Les invectives de la campagne étaient encore trop présentes dans les esprits, lundi, pour que les partis songent sérieusement à composer entre eux. L'heure était plutôt au renforcement des positions respectives et à la formulation de conditions nécessaires pour accepter tel ou tel adversaire dans les pourparlers. Les médias énumèrent toutes les combinaisons possibles, dans un feu d'artifice de couleurs – chaque parti ayant la sienne. La combinaison "noir-jaune-vert" (CDU-CSU, FDP et Verts) concentrait particulièrement les attentions lundi. Les libéraux ont indiqué ne pas être opposés à une telle idée, à condition que les Verts changent de politique énergétique. Le chemin menant à un gouvernement reste donc long et étroit.
Mardi matin, la perspective d'une grande coalition "noire-rouge" (CDU-CSU et SPD) était jugée la plus apte par les médias à sortir le pays de l'impasse. Pour cela, il faudrait que M. Schröder et Mme Merkel se retirent, notaient certains journaux. Selon le quotidien de gauche Taz, "Schröder aura alors au moins empêché Merkel d'être chancelière et ainsi triomphé une dernière fois" .
La candidate CDU a paru ébranlée, lundi, devant les médias. De profonds cernes sous les yeux, elle a affirmé vouloir "aller vite" dans la formation d'une coalition. Le temps presse pour cette femme de 51 ans. Si les caciques de la CDU se sont succédé devant les caméras pour l'assurer de leur soutien, le front commence à se craqueler. "Pour le bien du parti" , un candidat CDU a demandé le retrait Mme Merkel.
Antoine Jacob
Article paru dans l'édition du 21.09.05
L' absence de majorité claire au lendemain des élections législatives a introduit une incertitude jugée préjudiciable par les marchés et les milieux d'affaires, par ailleurs déçus que les réformes libérales annoncées par la droite risquent de ne se matérialiser qu'en partie. L'euro est tombé à 1,2105 dollar lundi matin, son plus bas niveau depuis le 28 juillet, et il cotait 1,2157 mardi matin, soit 0,8 cents de moins qu'avant les élections.
A la Bourse de Francfort, l'indice Dax a chuté de près de 3 % à l'ouverture avant de se reprendre et de terminer la séance en baisse de 1,21 %, à 4 926,13 points. Les actions des groupes énergétiques, automobiles et chimiques ont reculé, les projets de la droite allemande concernant la prolongation des centrales nucléaires ou une législation moins écologiste pour les industriels semblant remis en question.
La coalition de droite et des libéraux promettait aussi moins de "bureaucratie", une baisse des contributions patronales à l'assurance-chômage et à l'assurance-maladie, des licenciements plus faciles ou une remise en question de la cogestion. "Le résultat du vote est un désastre pour l'économie allemande" , a déclaré le président du groupe pharmaceutique Altana, Nikolaus Schweikart. "Une grande coalition signifie le statu quo" , a-t-il expliqué.
"Du point de vue de l'industrie et des milieux économiques, nous sommes amèrement déçus" , a ajouté Jürgen Thumann, le président de la Fédération allemande de l'industrie (BDI). "L'Allemagne va être plus difficile à gouverner" , a-t-il ajouté, tout en assurant qu'une majorité claire issue d'une grande coalition pourrait être un "progrès" .
Le président de l'Assemblée des chambres de commerce DIHK, Ludwig-Georg Braun, a lui aussi plaidé implicitement pour une grande coalition entre la droite et les sociaux-démocrates en appelant à une "majorité stable" et en louant les résultats du "sommet de l'emploi" entre la CDU et le SPD, qui, en mars, avait accouché d'un projet sans suite de baisse des impôts. Le président des exportateurs Anton Börner a, à l'inverse, plaidé pour un accord de la droite et des libéraux avec les Verts.
Adrien de Tricornot
Article paru dans l'édition du 21.09.05
E n votant contre les deux grands partis, l'Allemagne a-t-elle eu peur des réformes ?
Les associations patronales et aussi une partie de la presse estiment que le résultat est un "ni oui ni non". Je ne crois pas. Les études d'opinion sérieuses montrent que les Allemands sont prêts à des changements mais que beaucoup d'entre eux ne voient pas vraiment comme des réformes ce que les partis sociaux-démocrates et chrétiens-démocrates, qui ont souvent agi de concert, leur ont proposé, par exemple dans le domaine de la santé et de la retraite. Ils voient un retour en arrière de l'Etat social sans que le chancelier Schröder ou Angela Merkel leur montrent vraiment dans quelle direction cela va. les Allemands sont tout à fait prêts à faire des sacrifices s'ils comprennent où cela les mène à long terme.
Quelle est la différence avec la France, où les réformes suscitent une grande méfiance ?
Comme toujours, la culture politique française est beaucoup plus étatiste, centraliste. L'Allemagne a plus intégré ce qu'on nomme en France le néolibéralisme, la notion de pluralisme. L'Allemagne est depuis beaucoup plus longtemps une économie de marché, avec une composante sociale. La confiance dans l'Etat et la classe politique est moindre qu'en France.
En Allemagne aussi la nouvelle gauche, avec Oskar Lafontaine et Gregor Gysi, rejette le néolibéralisme ?
Gerhard Schröder n'a pas vraiment cherché à convaincre son parti de le suivre sur la voie des réformes. Il a perdu la confiance d'une majorité de son parti, il a provoqué en son sein de la résignation, aussi un mouvement de rébellion. La figure de Lafontaine, l'ancien président du parti, a servi de soupape. L'alliance avec les néocommunistes de l'Est a été un beau coup tactique. Des déçus de la social-démocratie, des Verts de gauche, mais surtout beaucoup de salariés syndiqués y ont trouvé un moyen de faire entendre leurs protestations.
Les perdants de la modernisation, des réformes, de la globalisation n'étaient pas vraiment représentés en Allemagne. Les partis ne s'y différencient que dans le degré des réformes qu'ils veulent. Ceux qui ne sont pas d'accord, qui se voient comme les victimes de la modernisation, n'étaient jusque-là pas représentés.
Ceux-là font-ils les mêmes critiques qu'en France contre le néolibéralisme ?
Tout à fait. Ils sont dans la rhétorique des militants français modérés du non à la Constitution européenne. Ils ont repris leurs thèmes. Ils ne sont pas seulement contre la réforme du marché du travail de Gerhard Schröder, ils sont aussi contre certaines conséquences de la globalisation, contre l'organisation mondiale du commerce ou le FMI. Ils sont contre une Europe asociale. Il y a là un transfert programmatique clair de la France vers l'Allemagne, notamment à travers le mouvement Attac.
Quel est le rôle des syndicats ?
Ils jouent un jeu double. Ils n'ont pas soutenu le Parti social-démocrate dans la campagne, c'est nouveau. Ils n'ont pas donné de consigne de voter contre le chancelier, mais ont laissé leurs membres soutenir le parti de gauche. L'objectif est d'utiliser le Parti de gauche pour ramener la social-démocratie à gauche.
Les Britanniques ont espéré que l'arrivée de la droite allemande au pouvoir conforterait leur vision libérale de l'Europe. Seront-ils déçus ? L'Allemagne restera-t-elle prudente ?
Oui, je le crois. Mais n'oublions pas que Schröder lui aussi a mis en pratique une politique néolibérale avec ses réformes du marché du travail, des impôts, pour attirer les capitaux en Allemagne. Dans la campagne, il a "rétro pédalé" pour insister sur la dimension sociale, mais il a toujours dit qu'il poursuivrait son agenda 2010, taxé de néolibérale par Oskar Lafontaine. Il n'y aura pas de tournant.
Au niveau européen, il va être intéressant de voir si la ligne britannique – libre commerce, libre marché, ouverture des frontières – s'impose avec l'aide des pays de l'Est. Ou si on voit se maintenir une sorte d'axe franco-allemand, sur des thématiques comme la directive Bolkestein sur les services ou celle du "plombier polonais". La réponse est ouverte. Ici, la partie n'est pas jouée.
Les dirigeants politiques français ont fortement réagi à l'élection allemande selon leurs couleurs. Est-ce le début d'une conscience politique européenne ?
Je ne crois pas que les Allemands le voient mais c'est une réalité. On voit se développer une sorte d'espace politique européen. Les formations politiques sont plus ouvertes, ce ne sont plus les vieux partis de tradition, ni les mêmes coalitions qu'avant. La scène politique est plus flexible, plus fluide, et en même temps plus homogène. On voit partout une segmentation. En Allemagne aussi on assiste à de forts glissements d'une élection à l'autre. C'est désormais un style européen.
Au Parlement européen, on voit depuis longtemps des majorités changeantes selon les thèmes, ce qui devrait s'imposer dans les parlements nationaux à moyen terme. Je crois qu'il y a une européanisation inconsciente, invisible de l'espace politique en Europe. Les comportements politiques, qu'il s'agisse des camps politiques, des coalitions, des programmes, de la volatilité de l'électorat, ne cessent de se rapprocher.
Propos recueillis par Henri de Bresson
Article paru dans l'édition du 21.09.05
L a demi-victoire d'Angela Merkel préfigure-t-elle une future Berezina pour la droite française ? Lundi 19 septembre, lors des journées parlementaires de l'UMP, à Evian, Nicolas Sarkozy s'est efforcé de balayer cette hypothèse. Et de couper court à toutes les tentatives venues notamment... des chiraquiens de projeter les résultats allemands sur les futures élections présidentielle et législatives françaises. "On a tiré les mauvais enseignements de ce scrutin, a déclaré M. Sarkozy à l'issue du dîner des parlementaires. Au final, les Allemands ont dit oui à la réforme." Lui-même se sent-il atteint par ce résultat, somme toute décevant pour le camp libéral qui le soutient ? Réponse de M. Sarkozy : "Je suis un objet politique non identifiable."
Il n'est pas sûr que cette défausse suffise à faire taire les critiques qui, depuis la montée en puissance de Dominique de Villepin, reprochent au ministre de l'intérieur un positionnement trop radical. Sans le dire, M. Sarkozy comptait sur une victoire nette et sans bavures de Mme Merkel – qu'il a reçue à Paris durant l'été – pour créer un "environnement favorable" au programme de réformes qu'il se propose de mettre en oeuvre s'il accède au pouvoir. Un succès de la droite allemande aurait donné un peu plus de vigueur à sa volonté de transformer le "modèle social français" et d'incarner la "rupture par rapport à la politique menée durant ces trente dernières années" .
De leur côté, les proches du premier ministre français, Dominique de Villepin, qui soutiennent avec lui "la croissance sociale" , souriaient d'aise. "La rupture, c'est anxiogène" , confiait un ministre. Un député proche de M. de Villepin enfonçait le clou : "Les gens la réclament, mais, au fond, ils n'y croient pas. Les Allemands apportent la preuve qu'au moment de choisir, ils ont privilégié ce qu'ils avaient plutôt qu'un saut dans l'inconnu."
L'entourage de Nicolas Sarkozy, tout à sa contre-attaque, avance d'abord les "erreurs de campagne" de Mme Merkel afin de mieux sauver son programme. Député de Paris et spécialiste des questions internationales, Pierre Lellouche – qui avait averti à plusieurs reprises du risque de tassement de la popularité de Mme Merkel – insiste sur les raisons "germano-allemandes" qui ont conduit à la performance en demi-teinte de l'Union chrétienne-démocrate (CDU) et insiste sur "l'inexpérience et le manque de charisme" de Mme Merkel. Il ajoute : "Nicolas Sarkozy, lui, a l'expérience, le charisme et l'énergie." Cruel, un député renchérit : "L'un, [Gerhard] Schröder, savait parler à la télé, l'autre pas."
"Ce n'est pas un échec sanglant, veut croire Brice Hortefeux, ministre délégué aux collectivités locales et bras droit de M. Sarkozy. Des défaites comme ça, on en veut tous les dimanches."
Insistant sur le gain réalisé par le Parti libéral (FDP), M. Hortefeux voit dans la montée en puissance des libéraux allemands la preuve que la réforme n'est pas rejetée. François Fillon, nouveau sénateur de la Sarthe, enrôle même M. Schröder dans le camp des réformistes : "Au fond, dit-il, il est, sur bien des sujets, plus libéral que nous."
Dans l'esprit des soutiens de M. Sarkozy, il n'est pas question de mettre en sourdine ses propositions les plus radicales, comme sa volonté de plafonner l'impôt sur le revenu à 50 % ou de conditionner la perception du RMI et de minima sociaux à l'exercice d'une activité. Hervé Novelli, ancien proche d'Alain Madelin, estime que la principale erreur de Mme Merkel est d'avoir proposé une hausse de la TVA sociale, alors que le programme de l'UMP repose sur un "choc fiscal" et une baisse des prélèvements obligatoires. Une conclusion partagée par M. Devedjian, conseiller politique de l'UMP : "La rupture n'est pas en cause, c'est la méthode."
Dès lors, les proches de M. Sarkozy le poussent à se tourner plus encore vers les "modèles qui fonctionnent" : Danemark, Grande-Bretagne ou Espagne. Seul, Pierre Méhaignerie, secrétaire général de l'UMP, qui incarne la sensibilité centriste et sociale, considère que les élections allemandes constituent une "alerte" pour le futur candidat à l'élection présidentielle. "Il faut, analyse-t-il, faire fonctionner en même temps le levier économique et le levier social. La rupture ne pourra convaincre que si elle sert l'emploi, les jeunes et l'égalité des chances." Et il ajoute : "Si elle [la rupture] se fait au profit des cadres supérieurs, elle sera mal perçue par le reste de la population."
Philippe Ridet
Article paru dans l'édition du 21.09.05
L e voilà, assis dans un amphithéâtre du Parlement européen à Bruxelles, chez les "croisés du oui" plaisante-t-il en aparté, alors que sa venue est présentée comme "la plus polémique" . Pour sa première visite hors des frontières depuis la victoire du non en France le 29 mai, Laurent Fabius était l'invité du Mouvement européen et du quotidien belge Le Soir , organisateurs d'un débat consacré, lundi 19 septembre, au "rêve" européen. En guise d'introduction, la rédactrice en chef du journal évoque des lecteurs qui se sont émus de la présence du socialiste français et ont écrit : "Est-ce que Fabius et le rêve européen, ça rime encore ?"
Mais ce soir, la préoccupation est allemande. Laurent Fabius tire "quelques leçons" des élections législatives du 18 septembre outre-Rhin, qu'il expose ainsi : "Sur la partie droite, lorsqu'on avance un programme ultralibéral, on perd. Sur la partie gauche, quand on ne répond pas aux aspirations populaires, on est sanctionnés." L'ancien premier ministre veut surtout retenir que, "encore une fois, ce sont les électeurs qui votent et non les sondages" . Hors tribune, il salue la "dynamique" du social-démocrate Gerhard Schröder, "un bon orateur, qui a gauchi son discours" , non sans ajouter : "C'est bien de résister quand on perd, mais mieux vaut gagner." Il s'inquiète du couple franco-allemand : "Avec un Chirac en bout de course et un gouvernement allemand qui n'aura pas une assise énorme, cela ne va pas être facile."
Dans la salle du Parlement, placé à ses côtés, l'ancien chef du gouvernement belge Jean-Luc Dehaene, qui avait coprésidé la Convention pour la Constitution européenne, a l'air de bouder. On refait la bataille du oui et du non. Le Polonais Bronislaw Geremek, député européen libéral-démocrate, défend le "plombier polonais" et se dit "sans indulgence pour les politiciens qui exploitent ces angoisses" . "La gauche n'est pas entrée dans cette problématique" , rétorque M. Fabius.
Le dialogue avec la salle, composée d'anonymes, est policé. Pour répondre aux critiques sur l'absence de "plan B", M. Fabius suggère de "s'opposer aux directives dangereuses" et de préparer, "pour 2007" , une nouvelle mouture de la Constitution. Au passage, il indique que "la méthode Monnet, faite de quelques personnes remarquables qui définissent les axes et ont de l'influence, est morte" .
Isabelle Mandraud
Article paru dans l'édition du 21.09.05
S a voix fuse, autoritaire et inquiète à la fois : "Mais qu'est-ce que je fais, madame, réponds-moi !" "C'est l'heure du déjeuner, tu manges" , lui répond avec douceur Clotilde, psychomotricienne. Dix, vingt, trente fois, Juliette, 92 ans, répétera la même phrase à la jeune femme au cours du repas, et dix, vingt, trente fois, celle-ci lui répondra. Atteinte de la maladie d'Alzheimer, Juliette souffre de "troubles de persévération" , qui la conduisent à répéter sans cesse la même chose.
Avec une quarantaine de personnes âgées souffrant de la maladie d'Alzheimer ou de dépression réactionnelle à leur placement en institution, elle est accueillie, à la journée, au Forum Jean-Vignalou de l'hôpital Charles-Foix d'Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne). Ici, une équipe multidisciplinaire de dix professionnels entoure les personnes âgées d'une empathie et d'une attention constantes. "Pour nous, le soin réside dans la relation, le temps et la considération qu'on porte aux patients" , explique Valérie, éducatrice spécialisée.
Situé au coeur d'un établissement qui fut le plus grand hôpital de gériatrie d'Europe, le forum a ouvert en 1988, en marge de l'institution hospitalière. Son fondateur et responsable, le psychologue Sylvain Siboni, a créé ce "lieu de vie" pour combattre "l'image caricaturale des vieillards alignés devant la télé" . "On avait un lieu et une idée, on voulait faire autre chose que du nursing avec les personnes âgées." A une époque où la maladie d'Alzheimer et les démences des personnes âgées étaient encore sous-estimées, Sylvain Siboni et son équipe ont créé des outils pour y répondre : "La maladie d'Alzheimer est une maladie de la communication qui touche le patient autant que le soignant, analyse le psychologue. On a donc mis en place une palette d'activités, corporelles, manuelles, verbales, permettant l'expression personnelle des patients. Parce que, d'habitude, on n'écoute pas ce qu'ils ont à dire, on parle pour eux."
Le résultat est surprenant : loin des images de corps prostrés ou de visages hébétés associées communément à la maladie, les personnes âgées du forum ne laissent rien voir de leur pathologie et vaquent, paisibles, à leurs activités. "Tous les gens qui viennent ici se verticalisent, ils se remettent debout, même les plus dépendants" , explique M. Siboni.
A chaque admission, pourtant, les débuts sont difficiles : "Il faut transformer la demande de placement de la famille en demande personnelle du patient, et ça peut prendre du temps , raconte le psychologue. Les personnes âgées arrivent dans un état d'ensauvagement terrible. Elles se sentent trahies par leur famille (...) . Pour elles, le fait de vivre en collectivité signifie le renoncement à toute leur vie."
Pour contrer ce "temps vide qui s'annonce, ce néant" où "il n'y a plus ni statut social ni statut de vie" , selon les mots de Jean-Christophe, éducateur spécialisé, l'équipe met toute son énergie à "réhabiliter le désir" sous toutes ses formes. Les activités sont conçues en privilégiant au maximum la notion de plaisir, comme l'atelier d'esthétique qui doit permettre "aux personnes de se rabibocher avec leur image" . Cet après-midi-là, Gisèle se fait faire les ongles par Patricia, aide-soignante : elle trempe voluptueusement les mains dans l'eau chaude, les sèche, puis opte pour un vernis rose nacré. A ses côtés, Dédé a confié sa barbe à Arnaud, agent hospitalier, qui s'essaie pour la première fois au rasage. Regard sévère fixé sur le miroir, Dédé apprécie la délicatesse des gestes d'Arnaud : "Moi, je fais de tout, je suis un distributeur de bonheur , s'amuse Arnaud. Ce qu'on fait ici n'est pas codé, ça échappe au reste de l'institution hospitalière. "
A quelques mètres de là, Yves, 75 ans, fait une pause. Ancien cadre dirigeant dans une grande société d'électronique, il dit : "Oui, je me sens bien ici." Ses mots viennent difficilement, certains lui ont déjà totalement échappé, mais il parvient progressivement, comme s'il tâtonnait dans sa mémoire, à dire tout le plaisir qu'il a ressenti à sculpter une grosse racine d'arbre. "C'est toujours agréable... pour les uns et les autres... d'avoir son bois, de voir son bois changer, je dirais bien... de couleur , explique-t-il. Du bois noir, gris, pas beau... On arrive à transformer ce bout de bois, qui a l'air malade." Avant de ponctuer : "Ici, c'est tout à fait normal qu'il y ait des gens malades."
Inscrite dans la durée, l'écoute attentive des patients permet aussi de comprendre ce qui apparaît parfois comme incompréhensible. Sylvain Siboni raconte l'histoire d'une femme qui, quand elle est arrivée au forum, "se barbouillait la face de merde et se masturbait avec ses excréments" .
"On lui a d'abord enlevé l'espèce de barboteuse qu'elle portait et qui l'empêchait d'avoir accès à ses parties génitales, se souvient le psychologue. On lui a redonné une allure de femme et on a l'a suivie dans ses déambulations. Elle prenait tout ce qui brille, comme une pie voleuse. Alors, une étudiante en psychologie lui a apporté des bijoux. Et, devant le miroir, cette femme qui était totalement aphasique, s'est mise à chanter , "Si tu t'imagines, fillette, fillette..." C'était extraordinaire. Plus tard, en discutant avec elle, on a compris que, si elle se barbouillait la face de merde, c'était parce qu'elle se sentait comme tel."
Pour le responsable du forum, ces résultats ne peuvent pas s'obtenir sans temps et sans moyens humains : "Dans les services classiques de gériatrie, il y a un soignant pour 16 personnes âgées, ils n'ont pas d'autres réponses que la médication ou la contention."
Le forum se vit donc comme un "paradoxe" au milieu d'un monde hospitalier obsédé par la réduction des coûts et craint d'être, à terme, condamné. "Notre travail n'est certes ni quantifiable ni évaluable ; notre seule rentabilité, c'est des regards, des échanges avec les patients , s'indigne Valérie. Mais, quand je vois le décalage avec des malades livrés à eux-mêmes, c'est quelque chose de terrible. Alors, on continue à se bagarrer pour la dignité et le respect de l'autre."
Cécile Prieur
Article paru dans l'édition du 21.09.05
I l les relance sans cesse par le regard et le geste, les interpelle comme un bateleur de foire pour les stimuler, maniant l'humour et la provocation douce. Dans l'après-midi déclinant, une douzaine de personnes âgées sont attablées autour de Jean-Christophe, éducateur, qui leur propose un jeu d'évocation à partir de thèmes tirés au hasard.
Au cinquième papier extrait de la corbeille, Gisèle se fige. Le thème "Le sexe" est écrit lisiblement mais, gênée, elle ne veut pas l'énoncer. Jean-Christophe vole à son secours : "Alors, le sexe, qu'est-ce que c'est ?", lance-t-il à la cantonade. "La différence entre l'homme et la femme", répond doctement Georgette. Les autres regardent Jean-Christophe, un peu éberlués. "Alors là, vous avez tous des problèmes de mémoire", s'amuse l'éducateur.
"Je ne sais pas ce que c'est, moi...", lance Madeleine, petit bout de femme juchée sur un grand fauteuil, en rigolant. Mais Jean-Christophe insiste : "Quand on est âgé, y a-t-il encore une place pour la sexualité ?" Regards navrés des dames qui haussent les épaules. "On n'y pense plus, on n'a plus envie, explique Irène. La vieillesse, l'hôpital, ça réduit." Christiane est catégorique : "Moi, c'est fini, je suis trop vieille." Pour Ida, c'est simple, "ça n'a jamais existé" : "Je suis une vieille fille. J'ai jamais eu envie." Georgette clôt le débat : "Pour moi, c'est fini. Mon mari est parti et je le respecte !"
Le thème d'après est l'occasion d'un joyeux défouloir. "Dix mots vulgaires", tire Ida, qui prend un air dégoûté. Georges se lance : "Enculé !". "Merde", lui assène Christiane. "A bas les cons !", fuse à l'opposé. "Enfoiré", "putain", "salope", "connard", "crotte alors !"... On ne les arrête plus. "Abruti sans alcool", trouve Jojo pour finir, provoquant l'hilarité générale.
Vient enfin "Dix noms de maladies". Toujours studieuse, Georgette énonce : "Coqueluche, rougeole, diphtérie, scarlatine..." "Blennorragie", s'amuse Georges. "L'amour", lui répond Christiane. "Mais vos maladies à vous ?", glisse Jean-Christophe. "Moi, c'est les jambes", affirme Gisèle. "Et les maladies de la tête ?, précise l'éducateur. Vous connaissez une maladie avec un nom allemand, qui commence par Al... ?" Grand silence dans la salle. Tous se regardent, l'air ahuri.
Mais Jean-Christophe s'entête. Alors, timidement, quelqu'un lance : "L'Almezeir ?" "La maladie d'Alzheimer !", se souvient tout à coup Georges. "Et c'est quoi, les signes ?", poursuit Jean-Christophe. "On perd la tête", explique Christiane. "On ne sait plus pourquoi on est là", précise Georgette. Et Jojo de lancer, en regardant la peluche qu'elle serre contre elle : "C'est comme la mémoire qui s'envole en décomposition."
Cécile Prieur
Article paru dans l'édition du 21.09.05
L a prise en charge de la maladie d'Alzheimer devient progressivement une réalité en France. Cette pathologie neurodégénérative du cerveau, qui se caractérise par une perte progressive et inéluctable des fonctions cognitives, frappe aujourd'hui 855 000 personnes. On estime à 225 000 par an le nombre de nouveaux cas. Encore largement sous-estimée il y a peu, la maladie d'Alzheimer, dont la Journée mondiale a lieu mercredi 21 septembre, fait désormais l'objet d'une attention réelle des pouvoirs publics, qui favorisent la multiplication des structures d'accueil des patients.
Selon l'Office parlementaire d'évaluation des politiques de santé, qui a rendu début juillet un rapport sur la maladie d'Alzheimer, la prévalence de cette affection est estimée à 13,2 % des hommes et à 20,5 % des femmes de plus de 75 ans. Un malade sur trois est traité par un médicament, mais ce traitement, s'il retarde la progression de la maladie, ne la guérit pas.
Plus de 60 % des patients vivant à domicile, ce sont près de 3 millions de personnes, en comptant les proches, qui sont touchées de près. Les personnes âgées atteintes de démence représentent ainsi 72 % des bénéficiaires de l'allocation personnalisée à l'autonomie (APA) mais aussi entre 80 % et 90 % des résidents des maisons de retraite. "Le moment d'entrée en institution dépend beaucoup de la résistance de l'aidant" , écrit l'Office parlementaire, soulignant le besoin en structures d'accueil de jour des patients, afin de favoriser les moments de "répit" pour les familles.
Le gouvernement affirme que les objectifs fixés par le plan Alzheimer 2004-2007 sont tenus. "Nous créons cette année 2 125 places d'accueil de jour et 1 125 places d'accueil temporaire, soit notre objectif annuel, dit Philippe Bas, ministre délégué aux personnes âgées. Début 2006, nous serons parvenus à créer 10 000 places supplémentaires en maison de retraite, conformément au plan vieillissement-solidarité. Nous allons doubler cet effort dans les années à venir."
Si l'augmentation du nombre de structures est perceptible sur le terrain, il reste encore beaucoup à faire pour améliorer l'accueil. "Nous sommes sur une pente ascendante de prise en charge des malades, notamment au niveau du soin, analyse Marie-Jo Guisset, responsable du pôle initiatives locales de la Fondation Médéric-Alzheimer. Mais nous ne sommes pas encore sur une pente ascendante de prise en considération des personnes. Or l'accompagnement relationnel doit se faire dans la subtilité et l'écoute empathique. "
"Le changement de regard sur la maladie est perceptible, le patient est replacé de plus en plus en tant que personne , renchérit Arlette Meyrieux, présidente de France Alzheimer. Mais il persiste toujours des endroits où le patient est déconsidéré, traité comme une chose."
Pour l'association, la prise en charge ne pourra pas être améliorée sans une augmentation du ratio de personnel dans les maisons de retraite, estimé à 5,7 (toutes fonctions confondues) pour 10 résidents et à 2,5 pour les soignants. Sur ce terrain, M. Bas affirme que l'Etat "est en plein effort" , passant des conventions au cas par cas avec les établissements et les collectivités territoriales pour augmenter les effectifs. Par ailleurs, le ministre délégué s'engage, d'ici dix ans, à doubler le nombre de postes de professeur de gériatrie, actuellement de 39.
Cécile Prieur
Article paru dans l'édition du 21.09.05
L a candidate des conservateurs allemands à la chancellerie, Angela Merkel, a été réélue, mardi 20 septembre, avec 98,6 % des voix à la présidence de son groupe parlementaire. Un soutien qui vient la conforter en dépit de sa contre-performance aux élections législatives de dimanche, où elle n'a obtenu que 35,2 % des suffrages. La CDU-CSU doit engager des négociations avec les autres partis jeudi, en vue de former une coalition pour former un nouveau gouvernement. Le chancelier sortant, Gerhard Schröder, commence, quant à lui, les négociations dès aujourd'hui.
Joschka Fischer quitte la direction des Verts "C'est le moment d'aligner une nouvelle équipe", a déclaré, mardi 20 septembre, le ministre des affaires étrangères du gouvernement sortant. Le parti, a-t-il ajouté après avoir consulté les élus Verts, "doit se préparer à entrer dans l'opposition" après les élections législatives de dimanche, qui ont privé la coalition emmenée par le chancelier Gerhard Schröder de sa majorité après sept ans passés au pouvoir. |
Angela Merkel, 51 ans, qui dirige la CDU (Union chrétienne-démocrate) depuis septembre 2002, a obtenu le soutien de 219 députés au total, trois seulement s'étant prononcés contre sa réélection. Elle a interprété ce résultat comme "une marque de confiance". Il y a deux ans, la présidente de la CDU n'avait obtenu que 93,72 % des voix du groupe, composé des députés de la CDU et de son parti frère bavarois, l'Union chrétienne-sociale (CSU).
Les consultations exploratoires entre partis politiques allemands débutent mercredi en vue de nouvelles alliances pour la formation d'un gouvernement. Les dirigeants du Parti social-démocrate (SPD) de M. Schröder et les Verts du ministre des affaires étrangères, Joschka Fischer, donneront le coup d'envoi dans la journée. Au pouvoir depuis l'automne 1998, le SPD et les Verts disposent de 273 députés dans le nouveau Bundestag, contre 286 pour les Unions chrétiennes (CDU-CSU) d'Angela Merkel et le parti libéral FDP.
Jeudi, les dirigeants de la CDU-CSU s'entretiendront avec leurs homologues du FDP, avant de rencontrer la direction du SPD. Le lendemain, les conservateurs discuteront avec les Verts.
Le chancelier Schröder avait affirmé mardi qu'il souhaitait engager des négociations avec les différents partis sans "conditions préalables" sur la composition d'un nouveau gouvernement, tout en continuant d'en revendiquer la tête. Lui-même ne participera pas à ces consultations exploratoires. Et cela alors que l'hypothèse d'une"grande coalition" entre le SPD et la CDU-CSU se renforce au détriment des autres scénarios possibles.
Une coalition entre SPD, Verts et libéraux du FDP semble définitivement écartée, le président du FDP, troisième parti allemand, Guido Westerwelle, ayant catégoriquement rejeté toute participation à un gouvernement avec le SPD.
Une éventuelle "coalition jamaïcaine" entre conservateurs, libéraux et Verts (en référence aux couleurs du drapeau de la Jamaïque : noir pour les conservateurs, jaune pour les libéraux, vert pour les écologistes) semble elle aussi avoir peu de chances d'aboutir.
Les consultations exploratoires puis les négociations entre partis peuvent durer des semaines, voire des mois, aucun délai n'étant prévu par la Loi fondamentale (Constitution). Le mandat du chancelier Schröder s'achèvera officiellement avec la constitution du nouveau Parlement, qui doit intervenir d'ici au 18 octobre. Mais, ensuite, le chef du gouvernement reste en place pour expédier les affaires courantes jusqu'à ce que les négociations de coalition soit achevées et qu'un chancelier soit élu par le Bundestag.
Avec AFP et Reuters
LEMONDE.FR | 21.09.05 | 09h39
L a Réserve fédérale américaine (Fed) a relevé, mardi 20 septembre, son principal taux directeur de 25 points de base, le portant ainsi de 3,5 % à 3,75 %, soit son plus haut niveau depuis juin 2001. L'institution a laissé entendre que de nouvelles hausses étaient à prévoir, estimant que l'ouragan Katrina ne représenterait qu'un revers temporaire pour l'économie des Etats-Unis. C'est la onzième fois consécutive que la Réserve fédérale relève ses taux.
Pour la première fois depuis juin 2003, cette décision n'a pas été prise à l'unanimité. L'un de ses gouverneurs, Mark Olson, était partisan du statu quo, mais les neuf autres membres du Comité de politique monétaire (FOMC) ont voté la hausse d'un quart de point. Le taux d'escompte passe, lui, à 4,75 %.
Dans le communiqué annonçant sa décision, la Fed déclare que l'ouragan Katrina aura un impact à court terme sur les dépenses, la production et l'emploi des Etats-Unis. Elle estime également que les prix de l'énergie risquent d'être à la fois élevés et volatils. "Bien que ces événements malheureux aient accru l'incertitude relative aux performances économiques à court terme, le comité considère qu'ils n'impliquent pas de menace plus persistante", ajoute-t-elle.
Le relèvement annoncé mardi porte le taux de la Fed à son plus haut niveau depuis juin 2001, bien que les taux longs fixés par le marché restent historiquement bas. "La hausse des prix de l'énergie et des autres coûts présentent un potentiel d'accentuation des pressions inflationnistes, poursuit la Fed dans son communiqué. Toutefois, le taux central d'inflation a été relativement faible ces derniers mois, et les perspectives d'inflation à long terme restent contenues."
La banque centrale des Etats-Unis estime également qu'avec une politique monétaire appropriée, les risques haussiers et baissiers subis par ses deux objectifs de croissance durable et de stabilité des prix devraient rester "sensiblement égaux".
La décision du FOMC était largement attendue par les économistes, le marché n'estimant plus que les conséquences économiques de Katrina soient susceptibles de provoquer une pause dans le cycle actuel de hausse des taux. La hausse étant conforme à leurs attentes, certains économistes la qualifiaient mardi de "non-événement" . Mais d'autres relevaient une inflexion du discours de la Fed, dont la préoccupation marquée pour les risques inflationnistes pourrait augurer d'une accentuation des hausses de taux.
Le marché obligataire a réagi par une baisse, tandis que le dollar restait stable et que le marché des actions se montrait irrégulier.
Avec AFP et Reuters
LEMONDE.FR | 21.09.05 | 08h55
E tait-ce bien leur homme ? Depuis des mois ils avaient vérifié et revérifié, confrontant leur conviction et leurs espoirs aux indices les plus ténus, examinant toutes les contradictions, rassemblant le puzzle, ne laissant aucune porte fermée. Jusqu'il y a encore quelques minutes, ils étaient sûrs qu'ils ne s'étaient pas trompés. Mais maintenant qu'il était entre leurs mains, un peu sonné par les coups reçus lors de sa capture, ligoté sur le plancher de la voiture, aveuglé par des lunettes opaques et la tête recouverte d'une couverture, le doute resurgissait.
Zvi Aharoni, l'un des membres du commando, se retourna vers le siège arrière et cria en allemand : " Si vous restez tranquille, il ne vous arrivera rien. Sinon on vous descend. " Le prisonnier ne parlait pas. " Vous me comprenez ? ", lui lança Aharoni. " Quelle langue parlez-vous ? " Toujours aucune réponse. Aharoni répéta ses questions en espagnol. Sans plus de succès. Et puis, tandis que la voiture roulait toujours, ne s'arrêtant que pour changer rapidement de plaque minéralogique, le prisonnier murmura dans un allemand parfait : " Cela fait longtemps que je me suis résigné à mon sort. "
Arrivé à la planque situé dans un quartier chic de Buenos Aires, il fut déshabillé et examiné par un médecin. On mesura son crâne et sa pointure ; on vérifia qu'il portait bien les cicatrices que mentionnait son dossier médical et on examina ses dents. Tout était conforme. Une cicatrice indiquait qu'il avait tenté d'effacer le groupe sanguin que les SS portaient tatoué sous l'aisselle gauche.
Zvi Aharoni lui demanda alors : " Comment vous appelez-vous ? " " Ricardo Klement. " Le nom figurait bien dans le dossier, pseudonyme sous lequel l'homme avait souscrit un abonnement à la compagnie d'électricité. " Et avant ? " " Otto Heninger. " Ce nom-là était inconnu des ravisseurs. " Quelle est votre date de naissance ? " " 19 mars 1906. " La même date que celle de l'homme qu'ils recherchaient. Zvi Aharoni revint à la charge : " Quel était votre nom le jour de votre naissance ? " " Adolf Eichmann. "
C'était donc bien lui. Ce 11 mai 1960, les services secrets israéliens avaient enfin la certitude que celui qu'ils traquaient depuis des années et qu'ils venaient d'enlever était bien l'Obersturmbannführer SS Adolf Eichmann, grand organisateur de la " solution finale " qui avait envoyé à la mort des millions de juifs. Quelques heures plus tard, dans un café du centre de Buenos Aires, Aharoni rendit compte du succès de l'opération à son chef, Isser Harel, le patron du Mossad, qui s'était déplacé en personne en Argentine avec ses hommes. Il fallut encore douze jours pour que, le 23 mai 1960, de la tribune de la Knesset, le premier ministre David Ben Gourion annonce au monde stupéfait qu'Adolf Eichmann était détenu en Israël, où il serait bientôt jugé.
Pour ceux qui, durant des années, pourchassèrent Adolf Eichmann, son identification tourna à l'obsession. Au point qu'à peine débarqué en Israël, et malgré ses aveux, il fut immédiatement confronté à trois anciens dirigeants des communautés juives de Berlin et de Vienne qu'il avait connus avant-guerre, en tant que responsable de la Gestapo chargé des questions juives. L'homme n'était pas un inconnu - durant les grands procès de l'après-guerre, son nom et ses fonctions furent plusieurs fois évoqués -, mais, en dépit de son rang, il n'était pas non plus un homme de premier plan exposé à la curiosité du public. Criminel de bureau plutôt qu'homme de terrain, il n'était pas non plus susceptible d'être reconnu par les rescapés des camps de la mort.
Lorsque, dans l'immédiat après-guerre, les militants qui allaient constituer les premières troupes des futurs services secrets israéliens écumèrent l'Europe pour retrouver les bourreaux et les exécuter discrètement, ils ne savaient même pas à quoi il ressemblait. Ils ne trouvèrent sa photo que plusieurs mois plus tard, chez une ancienne maîtresse nostalgique. Mais l'oiseau ne les avait pas attendus. Coupant tous contacts avec sa femme et ses trois enfants, il avait versé dans la clandestinité dès mai 1945. Un temps soldat anonyme interné dans un camp de prisonniers américain, il s'était évadé et avait gagné l'Allemagne du Nord, où, sous la fausse identité d'Otto Heninger, il avait fait le bûcheron. En 1949, il avait gagné Rome puis, en juillet 1950, l'Argentine, grâce à un passeport et à un statut de réfugié fournis par le Vatican, comme en bénéficia Klaus Barbie. Deux ans plus tard, sa femme, Veronika Liebl, accompagnée de ses trois fils, Klaus, Horst et Dieter, le rejoignaient discrètement. Les deux époux ne s'étaient pas vus depuis sept ans. Bientôt un quatrième fils, Ricardo-Francisco, leur naquit.
En Israël, le dossier Eichmann s'était épaissi de plusieurs pièces - photos, dossier médical, éléments de biographie, témoignages -, mais l'ancien colonel SS demeurait introuvable. Etait-il seulement vivant ? Au fil des ans, des renseignements le disaient réfugié en Amérique latine ou au Proche-Orient. Les vérifications n'avaient rien donné. En 1957, un nouveau " tuyau " le localisa en Argentine. Transmise au Mossad par Fritz Bauer, un magistrat juif allemand rescapé de la Shoah qui craignait que son pays ne veuille pas l'exploiter, l'information indiquait qu'Adolf Eichmann habitait au 4261, rue Chacabuco, à Olivos, un quartier modeste de la banlieue de Buenos Aires. A l'origine du renseignement, le hasard et un homme, Lothar Hermann, Allemand établi avant la guerre en Argentine où il avait fui l'arrivée au pouvoir des nazis. Sa fille, Sylvia, avait été un moment courtisée par un jeune homme du nom de Nicholas Eichmann, dont le père, officier durant la guerre, avait, disait son fils, " rempli son devoir pour la patrie ". De temps à autre Nicholas Eichmann regrettait " qu'on en n'ait pas fini une fois pour toutes avec ces juifs ". Lothar Hermann avait fait le rapprochement avec Adolf Eichmann, dont il ne connaissait rien, lorsque, plus tard, il avait lu ce nom mentionné dans un article sur le procès d'un criminel de guerre, à Francfort. Il avait aussitôt écrit à Fritz Bauer.
Le Mossad envoya deux agents vérifier à quoi ressemblait la maison de la rue Chacabuco. Par peur d'être repérés et de donner l'alerte à un Eichmann qui pourrait à nouveau disparaître, les hommes observèrent de loin. Mais l'hypothèse qu'Eichmann, dont les services avaient pillé toute l'Europe, puisse vivre dans ce quartier misérable était peu vraisemblable. D'autres recherches indiquèrent qu'aucun Eichmann n'habitait la maison dont les deux compteurs électriques portaient le nom de Dagosto et de Klement. On n'y fit pas autrement attention.
Deux ans passèrent encore, jusqu'à ce que Fritz Bauer apporte une nouvelle information : après la guerre, affirmait une nouvelle source, Adolf Eichmann s'était un moment réfugié dans un monastère autrichien tenu par des moines croates. Il y portait le nom de Klement, identité sous laquelle il avait obtenu des papiers lors de son arrivée en Argentine.
Le compteur électrique en faisait foi : il y avait bien un lien entre la rue Chacabuco, Adolf Eichmann et Ricardo Klement. Mais était-ce le bon ? Le 1er mars 1960, pour en avoir le coeur net, le Mossad envoya une équipe étoffée. Ricardo Klement avait quitté la rue Chacabuco depuis trois semaines. Mais le fils de " l'Allemand ", comme disaient les voisins, travaillait toujours dans un garage voisin. Filé durant plusieurs jours, il conduisit le Mossad à une modeste maison de la rue Garibaldi, dans le quartier populaire de San Fernando. Quelques recherches au cadastre indiquèrent que le lot 14 sur lequel s'élevait la maison avait été acheté par une certaine Veronica Catarina Liebl de Fichmann. Erreur fortuite ou camouflage délibéré, le " E " de Eichmann était devenu un " F ". Mais le début du nom suivi, selon la coutume espagnole, du patronyme du mari précédé d'une particule, correspondait bien à l'identité de l'épouse de l'ancien SS.
Restait à établir que l'homme qui habitait avec Veronika Liebl et que les agents du Mossad, le 19 mars 1960, avaient enfin aperçu, en train d'étendre du linge devant la maison, était bien Adolf Eichmann et non un nouveau compagnon nommé Klement. Ce n'est que le 3 avril 1960, plus d'un mois après le lancement de l'opération, qu'un des agents réussit à prendre de près, avec un appareil camouflé dans une mallette, une photo de Ricardo Klement. L'homme portait une moustache et d'épaisses lunettes, mais, d'après les spécialistes, la morphologie générale du visage, la forme et l'implantation des oreilles ainsi que la découpe des mâchoires ne trompaient pas : il s'agissait, " sans doute possible ", d'Adolf Eichmann. La phase d'identification était terminée.
La suite - l'enlèvement - fut menée tambour battant. Dix hommes et une femme furent choisis en fonction de leurs compétences pour s'emparer d'Eichmann et le ramener en Israël. Début mai, ils étaient à pied d'oeuvre en Argentine. Le 11 mai 1960, vers 20 heures, le commando s'emparait de son gibier qu'il cacha, ligoté sur un lit, dans une planque spécialement aménagée. Revêtu d'un uniforme de la compagnie El Al et muni d'un faux passeport israélien, Adolf Eichmann, drogué, fut transporté le 20 mai, dans la soirée, à l'aéroport de Buenos Aires pour embarquer sur le vol spécial qui avait emmené la délégation israélienne aux fêtes du 150e anniversaire de l'indépendance argentine. Le 22 mai 1960, au matin, l'avion atterrissait à Tel-Aviv et Adolf Eichmann était formellement inculpé de crimes de guerre.
Quarante ans plus tard, Israël rendit publics les Mémoires, demeurés jusque-là secrets, qu'Eichmann avait rédigés en prison ( Le Monde du 9 mars). Dans une style appliqué de bureaucrate tatillon, il y décrit ainsi son enlèvement : " Le 11 mai 1960, je quittai ma maison pour me rendre comme chaque matin à mon travail. Je ne revins jamais chez moi car, sur le chemin du retour, un commando israélien m'enleva et m'emmena de force dans une cache. De là, sans que je puisse résister, je fus transporté en Israël dans un quadrimoteur. (...) Bien sûr, ce genre de chose n'est jamais une partie de plaisir, mais je fus traité correctement, ce que je n'aurais jamais imaginé. "
Condamné à mort, Adolf Eichmann fut pendu le 31 mai 1962, à minuit. Dans ses Mémoires, il avait demandé que, s'il venait à mourir, ses cendres soient pour partie enterrées dans la maison de la rue Garibaldi. Quelques heures après son exécution, elles furent dispersées en mer, hors des eaux territoriales d'Israël, afin qu'il ne reste rien du condamné. L'inspecteur de police à qui échut la sinistre mission de constater sa mort, d'assister à sa crémation et de jeter en haute mer ses cendres était un rescapé d'Auschwitz, où il avait été déporté enfant.
Georges Marion
Article paru dans l'édition du 21.05.00
L a cour d'assises de l'Eure a condamné, mercredi 21 septembre, à 12 ans de réclusion criminelle Denis Vadeboncœur. Le prêtre canadien, curé de la paroisse de Lieurey (Eure) entre 1989 et 1992, a été reconnu coupable de viols sur un mineur âgé de 14 à 17 ans au moment des faits
"C'est une peine très lourde, Denis Vadeboncœur est accablé mais je ne pense pas qu'il fasse appel", a déclaré après le verdict l'avocat du prêtre, Me Xavier Hubert.
L'avocat général Jean Berkani avait requis dans la matinée de douze à quinze ans de réclusion criminelle à l'encontre du prêtre. Il avait estimé que le prêtre était coupable et réclamé "une peine qui lui permette de prendre la mesure du mal qu'il a fait" et de "poursuivre sa démarche thérapeutique".
M. Berkani avait aussi mis en cause l'attitude de l'évêque d'Evreux, Mgr Jacques Gaillot, évêque d'Evreux. "Il avait connaissance intégrale du passé judiciaire de Vadeboncoeur quand il a pris la décision de le nommer curé de Lieurey", a-t-il affirmé. Denis Vadeboncoeur avait en effet déjà été condamné en 1985 au Québec à 20 mois d'emprisonnement pour "grossière indécence, sodomie et agressions sexuelles sur des adolescents".
De son côté, l'avocat du prêtre, Me Xavier Hubert, avait estimé que la peine demandée par l'avocat général ressemblait à "une perpétuité" compte tenu de l'âge de son client qui a reconnu les faits. Il avait demandé aux jurés de se déterminer avec "humanité" en fonction "uniquement" du dossier. Après la lecture du verdict, Me Hubert a affirmé : "C'est une peine très lourde, Denis Vadeboncoeur est accablé mais je ne pense pas qu'il fasse appel".
Au cours du procès, le prêtre a reconnu les faits : il s'est dit "responsable de tout". S'adressant à la victime, Jean-Luc V., il a déclaré : "Je voudrais qu'il fasse le deuil de ces années douloureuses à cause de moi et qu'il soit heureux".
Avec AFP
LEMONDE.FR | 21.09.05 | 16h12
O n se croirait quelque part dans l'"UniMonde" du roman de Maurice Dantec, Cosmos Incorporated . Ou dans le dernier Houellebecq. La scène qui suit est pourtant bien réelle. Dans une salle à manger parisienne, en ce mois de septembre, un père de famille pose un petit buvard rose, marqué de quatre ronds, sur la table. Il dépose un peu de salive dans le premier cercle, puis invite ses trois enfants à l'imiter dans les autres ronds. L'opération est terminée.
Le buvard est glissé dans une enveloppe. On timbre, on poste, on attend. Cinq à quinze jours plus tard, le facteur viendra avec les résultats. "Oui, tu es mon père. Non, tu n'es pas ma fille." Cela s'appelle un test de paternité. Et c'est désormais accessible à chacun, via Internet notamment – "règlement discret par carte bleue".
L'acide désoxyribonucléique est désormais partout. Dans les maisons, dans les prétoires, dans les morgues. Obtenu sur des éléments aussi divers que du sang, des cheveux, des os, du sperme, un vêtement ou un mégot, son origine revient à un Britannique, le professeur Alec Jeffreys. Son principe repose sur le caractère génétique unique de chaque individu – son code –, mais identique, pour une moitié, à chacun des parents biologiques du sujet.
On parle aujourd'hui d'empreintes génétiques comme on parlait naguère des empreintes digitales. Les séries télévisées françaises qui exhibent encore, dans les commissariats ou les bureaux des juges, le test ADN sous forme de codes-barres, comme au temps d'Alec Jeffreys, sont en retard. Les tests se déclinent à présent en chiffres et en graphiques. Sur d'autres points, la fiction télé est en avance. Chez le "commissaire Navarro", l'analyse est exécutée en cinq minutes – il faut en réalité six bonnes heures. De Las Vegas à Miami, dans la série américaine Les Experts , l'ADN fait en tout cas partie du décor.
Sur Internet, à "Test de paternité", l'offre est de plus en plus importante. Pour 280 euros – 320 pour le "test de fratrie basique" –, de nombreux laboratoires européens proposent des kits de prélèvements à effectuer à domicile, pour des "probabilités de paternité de 99,999 %" – 100 % s'il s'agit seulement d'exclure et non de prouver un lien de père à fils. Le kit-buvard ou Cotons-tiges de couleurs différentes est envoyé sous pli anonyme. Ceux qui préfèrent recevoir l'enveloppe ailleurs qu'à la maison, pour plus de discrétion, peuvent fournir une autre adresse.
Pour les Français, le pli sera forcément posté de l'étranger. D'Angleterre, d'Espagne, des Pays-Bas, du Canada ou des Etats-Unis. La loi de bioéthique du 29 juillet 1994 réserve en effet la saisie d'empreintes génétiques à des missions de médecine et de recherche – le plus gros marché de l'ADN. Et l'interdit, pour le reste, en dehors d'une mission judiciaire. Si un père de famille porte plainte contre sa femme ou sa compagne parce qu'il a de gros doutes sur une paternité avérée ou en devenir, seul un juge d'instruction peut décider le prélèvement génétique. Les labos français ne peuvent effectuer de "tests de confort".
En 1998, la justice avait ordonné l'exhumation d'Yves Montand, inhumé sept ans plus tôt au cimetière du Père-Lachaise. Une jeune femme affirmait que son enfant, Aurore Drossart, était le fruit d'une liaison de tournage avec l'acteur. Sur la foi de témoignages et d'une ressemblance physique frappante, le tribunal de Paris lui avait donné raison en 1994. L'ouverture du cercueil avait choqué. Mais les critiques étaient vite retombées quand les expertises du professeur Christian Doutremepuich, qui dirige un laboratoire privé réputé à Bordeaux, démontèrent la thèse Drossart. Montand était, si l'on peut dire, "innocent".
Le dossier fut clos. "Initialement affolée, l'opinion fut rassurée de voir que les tests pouvaient aussi infirmer des mensonges" , se félicite M. Doutremepuich. L'ADN venait de s'offrir la plus belle des campagnes de publicité. Depuis, les demandes fleurissent. Selon une étude publiée par The Lancet , la prestigieuse publication scientifique britannique, les "fausses paternités" représentent 2,7 % de l'ensemble des déclarations de naissance. "En gros, un enfant sur trente n'est pas de son père" , résume le professeur Jean-Paul Moisan, qui a quitté le CHU de Nantes en 1988 – avec 22 de ses collaborateurs – pour créer l'Institut génétique Nantes-Atlantique (IGNA), un laboratoire privé. "Il existe une énorme demande silencieuse" , confirme Marie-Hélène Cherpin, qui – signe des temps – vient à son tour de quitter le Laboratoire de police scientifique (LPS) de la préfecture de Paris, où elle régnait depuis 1994, pour rejoindre le laboratoire Mérieux, à Lyon, et y monter un département de génétique. "On effectue entre 1 000 et 1 500 recherches par an, mais la demande potentielle est dix fois supérieure. Elle ne voit pas le jour parce que les gens n'ont pas le courage d'entamer une procédure judiciaire."
"Marché" restreint, mais symbolique. La recherche en paternité, qui permet, en matière judiciaire, de régler des querelles d'héritage, fait écho à l'air du temps. L'heure est "aux problèmes identitaires, aux demandes très fortes de certitudes, que l'on entend notamment dans les familles recomposées" , témoigne le magistrat Denis Salas, auteur de La Volonté de punir, essai sur le populisme pénal (Hachette littératures, 2005) et spécialiste des problèmes de filiation.
Face à ces demandes en souffrance, à cette fuite à l'étranger, les labos français plaident leur cause. "Ça me rappelle les années 1960, quand les femmes qui voulaient avorter avaient recours aux faiseuses d'anges ou aux cliniques suisses ou anglaises", explique le professeur Moisan. "La loi de bioéthique, qui se voulait tellement stricte, a été détournée. Du coup, sans ordonnance, sans médecin de famille, les couples sont laissés face à eux-mêmes." M. Doutremepuich est d'accord : "La recherche ADN permet une pacification. Les gens ne vont pas au test de paternité s'il n'y a pas, auparavant, un problè me de couple." La familiarité de la société avec l'ADN devient chaque jour plus visible.
Vendredi 19 août, au Venezuela. Les familles des 160 victimes de l'accident du vol Panama-Fort-de-France, trois jours plus tôt, ont empli le hall de la faculté de médecine de Maracaïbo. Les questions fusent. Dont celle-ci qui revient avec insistance : "Qui fera les recherches ADN qui nous permettront d'identifier les corps ?" Il n'y a pas de laboratoire d'expertise génétique dans ce pays d'Amérique latine. C'est donc le laboratoire bordelais de M. Doutremepuich qui a été chargé des tests génétiques. Une solution simple pour une fois.
A chaque crash d'avion, désormais, c'est une véritable bataille commerciale qui s'engage entre les labos du monde entier pour s'emparer du marché. Chacun met en branle ses amitiés et ses alliances, joue des tensions diplomatiques entre le pays de la catastrophe et celui dont sont originaires les victimes. A chaque épisode de ce type, le ministère des affaires étrangères veille à ne pas froisser ses interlocuteurs en proposant les services de labos français.
C'est ainsi qu'après le tsunami qui a balayé le Sud-Est asiatique en décembre 2004 – 200 000 morts, dont 95 victimes françaises dénombrées et 83 identifiées à ce jour – les cadavres sont d'abord partis vers des laboratoires chinois. Lesquels, de source française, se sont heurtés à des problèmes d'interprétation de spectres. Un protocole d'accord fut finalement signé le 24 mai entre l'un des pays les plus touchés, la Thaïlande, et la Commission internationale pour les personnes déplacées (CIPD) : les restes humains ont été convoyés à Sarajevo. "Avec les charniers de la guerre et les problèmes d'identification de cadavres, l'ex-Yougoslavie connaît" , admettent les concurrents français. La CIPD se flatte d'ailleurs de disposer d'une "grande expérience et des techniques" mises au point là-bas. Le logiciel de Sarajevo serait en mesure d'extraire des profils ADN d'échantillons de tissus "même très détériorés" .
"A chaque catastrophe aérienne se produisant dans un pays non européen, on voit trois ou quatre médecins un peu malins mesurer les enjeux, puis créer leur propre laboratoire de génétique" , observe le psychiatre Ronan Orrio, du CHU de Nantes, spécialisé dans le suivi des catastrophes. Souvent, au vu des bas prix proposés, les laboratoires français préfèrent décliner l'offre. Le laboratoire de Sarajevo est financé par neuf pays. Et c'est l'Union européenne qui aide à la mise en place d'un institut médico-légal en Tchétchénie.
Cyclone Katrina, crashs d'avions, attentats meurtriers, comme ceux du World Trade Center, de Madrid ou de Londres : à chaque drame, on veut savoir. Les papiers d'identité sont souvent retrouvés loin des corps déchiquetés, les bijoux ont été dispersés, les cicatrices ou les tatouages sont devenus illisibles. L'examen des prothèses ou des plombages de la mâchoire inférieure par les dentistes légistes ne suffit pas toujours. On veut être certain. Pour des raisons financières, bien sûr, les certificats de décès et d'authentification sont nécessaires pour les assurances et les héritages. Mais aussi pour d'autres raisons, qui tiennent à l'humeur de l'époque.
Imaginait-on des demandes aussi précises, il y a seulement cinq ans, quand un chalutier faisait naufrage en Bretagne ? L'authentification fait partie de ces nouveaux rituels de mort, mi-religieux mi-laïques, qui font aujourd'hui florès. Lors d'un récent naufrage, à Lorient, six corps avaient été solennellement enterrés. Deux familles ont eu un doute. On a exhumé et analysé. Dans les cercueils, deux corps avaient été intervertis. "Aujourd'hui, on veut la preuve suprême" , résume Denis Salas. "La vérité biologique apparaît comme la vérité absolue. Le besoin de trace rejoint cette formidable demande victimaire qui signe notre époque."
La technique des empreintes génétiques a été appliquée pour la première fois dans une enquête criminelle en Angleterre en 1985. En dix ans, la méthode s'est largement répandue, modifiant profondément les pratiques policières et judiciaires. En 2001, "l'affaire Caroline Dickinson" l'a définitivement consacrée en France. Francisco Arce Montes, qui avait violé et assassiné la petite Anglaise à Pleine-Fougères (Ille-et-Vilaine) pendant l'été 1996, était installé en Floride. Reconnu par hasard, il fut finalement confondu par ses empreintes génétiques après que 300 témoins eurent été interrogés et 3 600 tests ADN effectués.
Ce sont les sept assassinats perpétrés par Guy Georges, entre 1991 et 1997, qui ont précipité la création, par le ministre de l'intérieur, Nicolas Sarkozy, d'un fichier national automatisé des empreintes génétiques (Fnaeg). Le tueur en série avait été arrêté une première fois en 1995, mais, faute de fichier centralisé, les policiers n'avaient pas pu effectuer de comparaisons génétiques. Guy Georges s'en tira avec trente mois de prison. A sa sortie, en 1997, les meurtres recommencent. Le tueur dit "de l'Est parisien" ne sera finalement confondu qu'en mars 1998, grâce aux recherches d'Olivier Pascal, du laboratoire de génétique moléculaire de Nantes.
La mise en place du Fnaeg, à Ecully, près de Lyon, par la sous-direction de la police technique et scientifique (PTS), a surchargé les six laboratoires publics de police et de gendarmerie ainsi que les semi-institutionnels, comme celui de l'hôpital Raymond-Poincaré, à Garches. "Les labos d'Etat ne peuvent pas tout faire" , constate Marie-Hélène Cherpin. Ministères de la justice et de l'intérieur multiplient les appels d'offres pour tenter de "rentrer" à toute force dans le fichier central 400 000 profils et 70 000 traces à comparer chaque année. "On n'est pas chez Carrefour !, se plaint le docteur Pascal, les labos privés pratiquent aujourd'hui le dumping, avec des recherches sans garantie de qualité – deux analyses à deux temps différents –, pour 85 euros l'échantillon hors taxes." Pour lire la "boîte noire" de chacun, comme dit Dantec, ce n'est pas cher payé.
Ariane Chemin
Article paru dans l'édition du 21.09.05
E lles se nourrissent souvent d'estime, parfois de détestation, jamais d'indifférence : dans tous les cas, les relations entre parents d'élèves et enseignants se révèlent un exercice de haute voltige. Accompagné, le cas échéant, de solides malentendus.
Le plus étonnant d'entre eux ? Les professeurs, dans leur ensemble, se pensent mal aimés de leurs concitoyens... alors que ceux-ci les adorent. Ainsi que le montre un sondage CSA réalisé pour Le Monde de l'éducation et Télérama sur "l'image des enseignants auprès des Français" (Le Monde de l'éducation , septembre 2005), un tiers d'entre eux recommanderaient ce métier à leur fils ou à leur fille. Les instituteurs sont par ailleurs jugés "compétents dans leur discipline" par 84 % des personnes interrogées, les professeurs de collège et de lycée recueillant quant à eux 78 % des suffrages.
Or, questionnés sur le "malaise enseignant" par la direction de l'évaluation et de la prospective (DEP), ces mêmes professeurs en attribuent d'abord la cause à "la non-prise en compte des difficultés concrètes du métier" , puis, tout de suite après, à... "la dégradation de l'image des enseignants dans la société" .
"Aux risques du métier que sont l'isolement, l'éloignement progressif des réalités de la vie limitées aux murs de la classe, s'ajoute chez beaucoup d'enseignants le sentiment d'être incompris, et même, pour certains, méprisés par une partie de la collectivité nationale" , reconnaît le professeur de collège Gérard Lesage (Le Collège aujourd'hui, éd. CRDP de l'Académie de Grenoble, 284 p., 16 €.). "C'est un sentiment largement infondé, mais profondément inhibant, toujours latent." La collectivité nationale ? Soit, en premier lieu, leur propre administration... et les parents de leurs élèves, souvent considérés comme "des empêcheurs de tourner en rond" . Lesquels parents, au-delà du regard globalement positif qu'ils portent aux professeurs, ne sont pas exempts, au plan individuel, d'ambivalence à leur égard.
Une chose, en effet, est de considérer l'enseignement comme l'un des plus beaux métiers du monde ; une autre est de confier la prunelle de ses yeux, quatre à cinq jours par semaine, à un ou plusieurs inconnus... Une obligation que les mères – bien plus que les pères – ne vivent pas sans inquiétude. Ni sans une certaine ambiguïté, sachant que leurs enfants, lorsqu'ils sont encore petits, passent l'essentiel de leur temps... avec une rivale.
"En maternelle et au primaire, les enseignants sont en majorité des femmes. Et les élèves, lorsque tout se passe bien, aiment leur maîtresse. Les parents venant à la rencontre des enseignants étant presque toujours les mères, les échanges se déroulent parfois sur un fond de rivalité", confirme Françoise Kellou, directrice d'école primaire, qui déplore de ne voir les pères dans son établissement que "lorsque cela va vraiment mal" . Une difficulté parmi d'autres, dans un contexte où la demande comme l'angoisse vis-à-vis de l'école atteint des sommets.
Si 45 % des parents, selon le sondage CSA précédemment cité, estiment que les enseignants ne dialoguent pas assez avec eux, combien sont-ils, par exemple, à se révéler véritablement ouverts à la discussion ? Combien, sur les 71 % des Français jugeant que les professeurs "n'ont pas assez d'autorité sur leurs élèves" , applaudiront des deux mains lorsque ladite autorité s'exercera sur leurs chers petits ? Combien, encore, projettent sur leurs enfants leurs propres souvenirs d'école, réactivant ainsi, à leur insu, divers échecs et humiliations marquantes ? Si les relations restent relativement sereines en maternelle, c'est souvent au primaire que tout se crispe. D'autant que les maîtres des lieux ne sont pas toujours disposés à mettre de l'huile dans les rouages.
Dotés pour la plupart d'entre eux d'une grande conscience de leur mission, mais habitués à rendre peu de comptes, ils réagissent en écorchés vifs à la moindre remarque. Ils peuvent avoir tendance, par déformation professionnelle, à infantiliser les parents qui leur font face. Ils prennent pour critiques ce qui n'est parfois que de simples questions... De sorte que les parents ont souvent l'impression d'avancer sur une corde raide, au risque de froisser au premier faux pas les représentants de cette profession singulière.
Faux problème ? Malentendus sans conséquences ? Tout cela ne serait en effet pas si grave s'il n'en allait de l'avenir de nos enfants. Mais les experts – à commencer par les enseignants eux-mêmes, du moins les plus jeunes d'entre eux – sont aujourd'hui unanimes : sans un réel partenariat entre parents et enseignants, les difficultés ne feront que s'accroître dans les écoles, les collèges et les lycées.
"Lorsque la communication s'établit mal entre l'école et la famille, il est assez naturel de penser que l'enfant est pris dans ce qu'il est convenu de nommer un "conflit de loyauté"" , souligne Françoise Hatchuel, maîtresse de conférences en sciences de l'éducation à Paris X - Nanterre. "L'enfant a besoin de ressentir qu'entre l'enseignant et ses parents, il existe une confiance réciproque" , renchérit Dominique Guichard, psychologue scolaire à Tours, pour qui "il n'est pas rare que les difficultés d'un enfant émergent d'une discordance entre ses parents et l'école". Un manque de cohérence qui incite souvent l'élève à alimenter lui-même le conflit, et à jouer ainsi, sans le vouloir, son rôle de mauvais écolier.
Sauf raison majeure, parents et enseignants ont donc intérêt à communiquer. Non pas de façon procédurière, comme cela se produit trop souvent entre représentants des parents d'élèves et professeurs lors des conseils d'école (primaire) ou de classe (collège), mais de façon plus individuelle. En y mettant du liant. Et un peu de bonne volonté de part et d'autre.
"Les parents doivent vraiment comprendre que l'enseignant a près de trente familles à rencontrer. Il lui faut s'organiser, et un rendez-vous reporté n'est pas synonyme de désintérêt" , souligne Sylvain Luquet, professeur des écoles, qui rappelle au passage que "l'institutrice n'est pas là pour prendre en charge tous les soucis de la famille". De leur côté, les enseignants " doivent recevoir les parents chaque fois que ceux-ci en font la demande" , estime Georges Gay, directeur d'école, pour qui "il faut solliciter les familles qui se font trop discrètes" , les adultes ayant souvent peur, "pour des raisons qui leur appartiennent" , de "revenir à l'école" .
Des initiatives personnelles et individuelles qui n'empêchent nullement les parents désireux de s'impliquer plus dans la scolarité de leurs enfants d'adhérer à une association de parents d'élèves, seul moyen d'être considérés comme des partenaires à part entière de la communauté éducative.
Catherine Vincent
Article paru dans l'édition du 21.09.05
U ne enquête publiée ce mois-ci par Le Monde de l'éducation montre que la société perçoit les enseignants d'une manière nettement plus positive que ceux-ci ne le croient. Pourquoi cette distorsion ?
Il faut se replacer dans le contexte de l'enseignement d'aujourd'hui, dont l'exercice est infiniment plus complexe qu'auparavant. Face à l'hétérogénéité de leurs classes, les professeurs sont désormais tenus d'adapter les contenus des programmes aux élèves qu'ils ont devant eux et de consacrer beaucoup de temps à la gestion de classe. Ces contraintes sont d'autant plus importantes qu'elles sont relativement nouvelles et encore peu prises en compte dans la formation classique des enseignants. Ces derniers étant en général des gens sérieux qui aimeraient faire au mieux ce pour quoi ils ont été recrutés et payés, ils ont donc le sentiment de ne jamais y parvenir. Face à cela, deux réactions sont possibles. Soit intérioriser ce qu'ils considèrent comme un échec et se dévaloriser eux-mêmes, soit l'externaliser : si problème il y a, c'est la faute des autres... C'est ainsi que les enseignants perçoivent plus d'hostilité de la part des parents qu'il n'y en a en réalité. Ils la fabriquent en partie eux-mêmes, du fait de leurs propres difficultés.
Nombre d'enseignants n'en sont pas moins très critiques vis-à-vis des parents d'élèves. Que leur reprochent-ils ?
En général, deux attitudes exactement inverses. D'une part d'avoir démissionné face à l'école (alors que toutes les enquêtes montrent que les parents, au contraire, ne se sont jamais tant souciés de la scolarité de leurs enfants), d'autre part de trop vouloir se mêler de ce qui se passe dans les murs de l'établissement... Un reproche qui n'en finit pas de revenir depuis la loi d'orientation de 1989, qui a officiellement rendu les parents membres de la communauté éducative. Il faut se souvenir de ce qu'était naguère la conception de l'école républicaine. Celle-ci avait pour mission d'arracher les enfants du milieu familial pour en faire des citoyens et les élever à l'universel, et les parents n'avaient rien à faire dans cette école-là. Cet héritage se télescope aujourd'hui avec une vision plus moderne selon laquelle, au contraire, les parents ont leur place et leur rôle dans le système éducatif. C'est de ce décalage que provient, à mes yeux, l'essentiel des difficultés actuelles entre parents et enseignants : cette réforme était sans doute nécessaire, mais il ne suffit pas d'une loi nouvelle pour effacer des décennies de tradition républicaine.
Vous avez récemment mené une enquête, avec votre collègue Agnès van Zanten, sur les nouveaux enseignants. Leurs relations avec les parents d'élèves vous semblent-elles différentes de ce que l'on observe chez les anciens ?
De manière générale, les jeunes enseignants ont une attitude plus pragmatique que leurs aînés et s'identifient moins fortement à leur fonction. Ils parlent moins, par exemple, de vocation que de métier. Ils n'ont pas peur de dire qu'ils sont là, certes, pour aider les élèves, mais qu'ils souhaitent également se réaliser eux-mêmes. Tout cela constitue à mon sens un élément de la donne assez fondamental pour expliquer que ces nouveaux enseignants aient des rapports moins passionnés avec les parents d'élèves. Ils se sentent plus interpellés sur leurs gestes et leur pratique que sur leur personne, et considèrent plus volontiers les parents comme des partenaires. Autre évolution notable : les jeunes enseignants sont mieux préparés que les anciens à entrer dans les préoccupations personnelles de leurs élèves. Ce qui, pour eux, entraîne d'ailleurs une autre difficulté : celle de la bonne distance. Jusqu'où faut-il se rapprocher des élèves et de leurs familles ? Le problème est d'autant plus ardu que les enseignants continuent d'être des praticiens individuels, et que chacun doit se forger ses propres convictions sur la question. Si les conseillers psychologues étaient plus nombreux et mieux intégrés aux équipes pédagogiques, ils pourraient donner un sérieux coup de main sur ce sujet.
Enquête sur les nouveaux enseignants , de Patrick Rayou et Agnès van Zanten, Bayard 2004, 302 p., 20 € 50.
Propos recueillis par Catherine Vincent
Article paru dans l'édition du 21.09.05
Q ui n'a pas entendu parler du "malaise enseignant", de ce mal-être qui abîme nos professeurs, les décourage, les démotive, les use ? Une enquête du SNES (Syndicat national des enseignements de second degré), publiée en juillet et menée par questionnaire auprès de 2 200 enseignants (59 % de femmes, 41 % d'hommes), révèle que près d'un enseignant sur cinq se déclare "fatigué en permanence" , et que 58 % d'entre eux se plaignent d'" épuisement physique ou nerveux" . Et de fait : compte tenu de la pression, quotidienne et globale, pesant sur leurs épaules, il y a de quoi penser qu'ils sont, plus que d'autres, exposés à la dépression, aux angoisses et autres troubles psychiques.
Selon une enquête de la MGEN (Mutuelle générale de l'éducation nationale) menée en avril 1999 et en mars 2000 auprès de 6 500 adhérents, 7,8 % d'entre eux consommaient des somnifères, 8,9 % des anxiolytiques et 5,4 % des antidépresseurs. Des chiffres largement supérieurs à la moyenne, estimée par le Credes (Centre de recherche, d'étude et de documentation en économie de la santé), tous psychotropes confondus, à 4,6 % de la population en 1998. De même, selon la MGEN, le nombre de bénéficiaires d'allocations journalières a augmenté de 13 % en cinq ans. Quant à la durée d'indemnisation moyenne, elle est passée à 143 jours, contre 102 en 1999.
Et pourtant ! Malgré ces données, et même s'ils sont indéniablement stressés, fatigués et anxieux, les enseignants ne vont pas plus mal que l'ensemble des Français. "Il semble même qu'ils ont plutôt moins de problèmes de santé mentale que les autres et que leur situation s'est améliorée sur les quinze dernières années" , juge Viviane Kovess, psychiatre et épidémiologiste. Selon l'enquête de la MGEN, seuls 9,7 % de ses sondés, en effet, ont connu les affres de la dépression, alors que l'incidence de cette maladie, calculée en 1996 par le Credes, était de 15 % pour l'ensemble de la population.
Des enseignants en forme, mais fonctionnant aux psychotropes : paradoxe ? En apparence seulement, tempère Nathalie Brunou, sociologue à l'université Bordeaux-II et auteure d'une thèse sur "Travail éducatif et santé", pour qui "la représentation collective qu'ils ont de leur métier est en contradiction avec le discours qu'ils tiennent sur leur expérience individuelle de l'enseignement" . Dans le premier cas, leur appréciation est très négative : déficit de reconnaissance, difficultés face aux familles "démissionnaires" ou aux élèves "consommateurs", perception de leur métier comme "à risque" ... Dans le second cas, ils évoquent un métier "passionnant" et une pénibilité "limitée ou supportable". Bref, tous décrivent le malaise enseignant... avant de dire que ce n'est pas le leur. "Les enseignants ont de très bons mécanismes de défense" , analyse Viviane Kovess. Plutôt que d'intérioriser leurs difficultés professionnelles, ils en parlent sans retenue. "Ce sont des gens qui s'expriment bien. C'est efficace puisqu'ils n'ont pas spécialement de problèmes !" Selon cette psychiatre, les enseignants, par ailleurs, se soignent plus et mieux que la moyenne de la population française. Ce qui explique sans doute leur plus forte consommation de psychotropes.
Virginie Malingre
Article paru dans l'édition du 21.09.05
![]() ![]() | ![]() ![]() | ![]() ![]() | ![]() ![]() | ![]() ![]() | ![]() ![]() | ![]() ![]() | ![]() ![]() | ![]() ![]() | |||||||||
![]() ![]() | ![]() ![]() | ![]() ![]() | ![]() ![]() | ![]() ![]() | ![]() ![]() | ![]() ![]() | ![]() ![]() | ![]() ![]() |
En extra: Les éditos du Monde |
[*] «Longues propagandistes» parce qu'il existe aussi, dans cette rubrique, des «brèves propagandistes» reprenant surtout des dépêches de l'AFP. Ici, on trouvera pour l'essentiel des articles parus dans Le Monde, qui par le fait, sont beaucoup plus longs…