![]() | Longues propagandistes, série 6 |
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En extra: Les éditos du Monde |
L a controverse sur l'efficacité thérapeutique de l'homéopathie est relancée. Dans son édition datée du 27 août, l'hebdomadaire britannique The Lancet publie une étude dont les conclusions laissent clairement entendre que cette pratique médicale, mise au point il y a près de deux siècles par l'Allemand Christian Friedrich Samuel Hahnemann, n'aurait pas d'efficacité spécifique et serait, au total, comparable à un placebo.
La question, récurrente, de la réalité et du caractère reproductible ou non des résultats thérapeutiques de l'homéopathie est soulevée depuis plus d'un siècle.
Comment comprendre qu'un milieu très hautement dilué – et dont il est parfaitement démontré qu'il ne peut pas matériellement contenir les traces moléculaires d'une substance physiologiquement active – pourrait, introduit dans un organisme souffrant, corriger tout ou partie des manifestations pathologiques ? Comment, surtout, faire la part de l'effet placebo, cet effet thérapeutique d'ordre psychologique lié à la prescription de toute substance présentée comme étant un médicament efficace, quand bien même elle ne contient aucune substance pharmalogiquement active ?
Depuis une vingtaine d'années, des praticiens convaincus des bienfaits de l'homéopathie et des industriels directement concernés ont entrepris de démontrer, avec les outils de la science médicale et statistique, que l'efficacité de l'homéopathie était spécifique et qu'elle était notablement supérieure au simple, mais toujours mystérieux, effet placebo. Nombre de ces travaux ont conclu de manière positive et certains ont même été publiés dans des journaux prestigieux au premier rang desquels The Lancet (Le Monde du 14 décembre 1994).
C'est la crédibilité même de la quasi-totalité de cette production médico-scientifique qui est aujourd'hui remise en cause avec la publication, dans l'hebdomadaire médical anglais, d'une étude conduite par un groupe de huit chercheurs de nationalités suisse et britannique dirigés par le docteur Aijing Shang (département de médecine sociale et préventive, université de Berne). A partir d'une enquête portant sur 19 banques électroniques de publications médicales, ces chercheurs ont repris la totalité des essais cliniques étudiant les effets comparés des pratiques homéopathiques par rapport à l'effet placebo.
Les pathologies concernées étaient très variées, incluant des infections respiratoires, des manifestations allergiques, des affections gynécologiques, musculosquelettiques, neurologiques ou gastro-intestinaux. Ils se sont également intéressés aux essais cliniques comparant les pratiques de la médecine conventionnelle (ou allopathie) à l'effet placebo. Tous ces essais incluaient en moyenne 65malades, avec un éventail allant de 10 à 1 573 personnes.
Sur la base de ce matériel, les chercheurs ont retenus ce qu'ils estimaient être les meilleurs essais. Ils ont ainsi constitué deux groupes de 110 publications chacun, qu'ils ont passé au crible d'une analyse statistique hautement sophistiquée visant à débusquer les biais méthodologiques, volontaires ou non, qui pouvaient entacher les résultats de ces travaux.
Les auteurs de cette publication expliquent avoir retrouvé des biais méthodologiques dans les deux types de travaux et plus particulièrement dans les essais cliniques de petite taille, ces derniers ayant plus que les autres tendances à conclure au bénéfice des médications étudiées. Une fois ces biais pris en compte, Aijing Shang et ses collaborateurs observent que rien, en définitive, ne permet de penser qu'il existe une efficacité spécifique des pratiques homéopathiques, une conclusion radicalement opposées aux observations faites à partir des médicaments de la médecine allopathique.
Jean-Yves Nau
Article paru dans l'édition du 27.08.05
N ous publions ci-dessous des extraits de l'éditorial de The Lancet daté du samedi 27 août:
"Pendant trop longtemps, l'homéopathie a bénéficié d'un "laisser-faire" politiquement correct, mais des signes d'éclaircissement apparaissent maintenant. La commission parlementaire britannique sur la science et la technologie a rendu un rapport en 2000 au sujet de la médecine complémentaire et alternative. Il recommandait que "toute thérapie qui affirme spécifiquement être capable de traiter des situations précises doit avoir la preuve qu'elle est en mesure de le faire au-delà de l'effet placebo ". Allant plus loin, le gouvernement suisse (...) a retiré la couverture maladie de l'homéopathie et de quatre autres traitements complémentaires, parce qu'ils ne satisfaisaient pas les critères d'efficacité et de rapport coût/bénéfice.
Les consommateurs de soins médicaux peuvent voir l'homéopathie comme une alternative holistique à un modèle médical centré sur des maladies précises et piloté par la technologie. L'état d'esprit des patients et des fournisseurs suscitant la recherche de médecines alternatives crée un danger plus important pour les soins conventionnels – et la santé des patients – que les faux arguments sur les bénéfices potentiels de dilutions absurdes.
L'heure n'est probablement plus (...) à la poursuite de recherches pour perpétuer le débat entre homéopathie et allopathie. Désormais, les médecins doivent être (...) honnêtes avec leurs patients sur le manque d'effets de l'homéopathie, ainsi qu'avec eux-mêmes sur les échecs de la médecine moderne pour répondre à l'attente des malades en matière de soins personnalisés."
Article paru dans l'édition du 27.08.05
L a somme croissante des recherches menées ces dernières années dans le domaine des cellules souches humaines est, pour les biologistes, une source continuelle d'émerveillement et de surprises. Dans le numéro daté du 26 août de la revue Science. un groupe de chercheurs américains annonce avoir mis au point une nouvelle technique, particulièrement spectaculaire, de production de cellules souches humaines. Parce qu'elle laisse entrevoir la possibilité d'obtenir ces cellules, pour un usage thérapeutique, sans avoir recours à des embryons humains conçus in vitro, cette première scientifique vient aussi relancer le débat éthique sur le caractère légitime ou pas de certaines recherches actuellement menées dans des laboratoires de biologie.
Les cochons clonés produisent un médicament Des scientifiques sud-coréens ont déclaré, jeudi 25 août, avoir créé par clonage des cochons dont le patrimoine a été génétiquement modifié pour produire une protéine destinée à certains traitements anticancéreux. Le professeur Park Chang-sik, de l'Université nationale de Chungnam, précise avoir, avec son équipe, obtenu la naissance de quatre petits cochons femelles dont le lait contient la molécule GM-CSF (cytokine granulocyte-macrophage), une protéine qui stimule la production de globules blancs. Cette molécule est prescrite aux patients souffrant de certaines formes de leucémie ou dont le nombre de globules blancs a diminué lors d'un traitement anticancéreux. "Les cochonnets clonés vont donner du lait contenant un taux élevé de GM-CSF d'ici à un an". a assuré le professeur Park. Les porcs clonés selon la méthode utilisée pour la brebis Dolly peuvent, selon lui, se reproduire, et leur descendance femelle fabriquera aussi de la GM-CSF. – (AFP.) |
Dirigés par Kevin Eggan et Douglas Melton, les chercheurs de l'Institut des cellules souches de l'uni- versité Harvard (Massachusetts) sont parvenus à faire fusionner des cellules de peau avec des cellules souches embryonnaires humaines, obtenant ainsi des cellules hybrides comportant un double matériel génétique. Ces mêmes chercheurs sont aussi parvenus, grâce à des techniques sophistiquées, à démontrer que cette fusion cellulaire était suivie d'une forme de déprogrammation du génome des cellules cutanées, ces dernières retrouvant, pour partie, leur stade embryonnaire. En d'autres termes, ces résultats prouvent que des cellules souches embryonnaires peuvent, après fusion cellulaire, reprogrammer le matériel génétique des cellules somatiques adultes.
Les biologistes américains ont enfin observé que les cellules hybrides issues de la fusion conservent les caractéristiques des cellules souches embryonnaires, au premier rang desquelles la faculté de se diviser en donnant naissance soit à des cellules identiques, soit à des cellules pouvant se différencier de manière à donner naissance aux différents types de cellules constituant l'organisme humain. Selon les auteurs de la publication de Science. on peut, au vu de ces résultats, espérer pouvoir produire de la sorte des cellules souches pouvant ensuite être utilisées à des fins thérapeutiques.
En dehors de celles qui sont présentes dans l'organisme adulte, les biologistes ne disposent actuellement que de deux méthodes pour obtenir et cultiver des cellules souches. La première, bientôt autorisée en France, consiste à utiliser des embryons humains conçus in vitro dans le cadre d'un programme d'assistance à la procréation, conservés par congélation et ne s'inscrivant plus dans le cadre d'un projet parental. La seconde, prohibée par la loi de bioéthique, est celle du clonage thérapeutique. Il s'agit d'introduire dans un ovocyte (cellule sexuelle féminine) préalablement énucléé le noyau d'une cellule prélevée sur un organisme adulte. Les cellules souches embryonnaires sont alors extraites de l'"embryon" ainsi conçu.
Cette dernière méthode offre, en théorie, l'avantage de fournir des cellules dotées de caractéristiques génétiques quasi identiques à celles de la personne chez qui la cellule a été prélevée. Il s'agit là, également, de l'objectif visé par les biologistes de Harvard. Peut-on, d'ores et déjà, penser que la première américaine ouvrira un jour une nouvelle voie de production ? Tout en le laissant clairement entendre, les chercheurs américains restent prudents, soulignant que de nombreux défis doivent être encore surmontés.
Il faudra, en particulier, sur la cellule hybride, obtenir l'expulsion du matériel génétique provenant de la cellule souche embryonnaire. Ensuite, il restera à vérifier que les nouvelles cellules souches obtenues conservent bien leur caractère totipotent en l'absence du matériel génétique des cellules souches embryonnaires. Pour Kevin Eggan, cette technologie doit être considérée comme étant à un stade très préliminaire. Il estime à environ une dizaine d'années le délai nécessaire à la mise au point d'un procédé thérapeutique standardisé.
Ce biologiste estime que ce résultat ne doit pas être utilisé pour freiner les recherches sur les cellules souches obtenues à partir d'embryons conçus in vitro ou par clonage à visée thérapeutique. Outre-Atlantique, cette publication a relancé la controverse récurrente sur le caractère éthique des recherches qui ne peuvent être menées qu'à partir de la destruction d'embryons humains, condition indispensable à la création de lignées de cellules souches. Soutenu par la partie la plus conservatrice de son parti, le président George W. Bush a interdit, en septembre 2001, le financement fédéral de la recherche sur des lignées de cellules souches créées après cette date.
La question fait l'objet de vifs débats au Congrès américain où plusieurs projets de loi ont été présentés en vue de la prochaine reprise des travaux du Sénat sur ce thème. Depuis quatre ans, une large fraction de la communauté scientifique américaine tente, sans succès, d'obtenir un assouplissement des dispositions en vigueur. Profitant de la présentation de son travail, Douglas Melton s'est publiquement plaint des contraintes existantes et a expliqué qu'il n'avait pu effectuer ses recherches que grâce à des fonds privés.
Jean-Yves Nau
Article paru dans l'édition du 27.08.05
L' intellectuel musulman Tariq Ramadan a été choisi comme universitaire-invité par le prestigieux Saint Antony's College pour l'année universitaire 2005-2006.
Il ne devrait pas avoir d'activité d'enseignement et devrait s'installer en Grande-Bretagne, en octobre. Sollicité par Le Monde. M. Ramadan n'a pas souhaité s'exprimer sur cette nomination.
Dans un communiqué, l'établissement d'enseignement supérieur, qui fait partie de l'université d'Oxford, justifie son choix. "Le professeur Ramadan est un intellectuel reconnu dans le monde entier. (...) Le collège Saint Antony's est un forum de débat universitaire sur les problèmes contemporains. Il est opposé à tout discours de haine et à toute intimidation qui viseraient à réprimer la liberté universitaire". indique ce communiqué.
Le collège répond ainsi par avance aux critiques que risque de soulever la venue de M. Ramadan. "Nous sommes heureux de l'accueillir. insiste Polly Friedhoff, chargée de communication de Saint Antony's. C'est une personnalité largement respectée."
M. Ramadan a séjourné en Grande-Bretagne peu après les attentats du 7 juillet et il a donné une conférence, le 24 juillet, à l'invitation de la police métropolitaine de Londres.
Le Sun avait publié sa photo en "une", assortie de ce commentaire: "Interdit aux Etats-Unis pour terrorisme, interdit en France, accueilli en Grande-Bretagne après les attentats d'Al-Qaida !" Le journal présentait M. Ramadan comme offrant "un visage aimable de la terreur afin de séduire les jeunes musulmans". Au contraire, The Independent l'avait décrit, le 25 juillet, comme "l'un des plus brillants espoirs de réconciliation entre les musulmans et le reste de la société".
Cependant, le ministre britannique de l'intérieur, Charles Clarke, a présenté, mercredi 24 août, les nouvelles "règles du jeu" contre le terrorisme. Elles permettent d'empêcher l'entrée sur le territoire britannique de prédicateurs aux "comportements inacceptables". On y trouve notamment le fait de "fomenter, justifier ou glorifier la violence terroriste" ou, encore, de "fomenter la haine pouvant mener à des violences intercommunautaires ".
Selon Jane Parsons, porte-parole au Home Office, "le ministère ne communique pas sur les ca s individuels" et statuera "en se fondant sur des preuves". Le collège Saint Antony's a refusé de dire s'il avait agi en concertation avec les autorités gouvernementales. Il était donc impossible, vendredi matin, de savoir si M. Ramadan sera admis en Grande-Bretagne.
En 2004, M. Ramadan, de nationalité suisse, avait été engagé par l'université américaine Notre-Dame, dans l'Indiana, pour occuper une chaire intitulée: "Religion, conflit et promotion de la paix". Cependant, le département d'Etat avait révoqué son visa de travail pour des raisons de sécurité.
M. Ramadan, qui avait démissionné de son poste de professeur de philosophie au lycée de Saussure, à Genève, s'était retrouvé sans emploi.
Xavier Ternisien
Article paru dans l'édition du 27.08.05
A près des mois de silence et d'incertitude, le gouvernement est désormais convaincu que le prix du pétrole restera très élevé pour de longues années et sonne l'heure de la mobilisation. Le premier ministre a réuni à Matignon, vendredi 26 août, plusieurs dirigeants du secteur de l'énergie pour analyser avec eux les conséquences de la flambée des cours de l'or noir. La veille, à New York, le baril de brut (WTI) pour livraison en octobre avait clôturé sur un nouveau record (67,49 dollars), et les analystes sont désormais persuadés qu'il franchira prochainement la barre des 70 dollars.
Les PDG de grands groupes du secteur (Total, EDF, Veolia, Suez), le directeur général de l'Insee, la présidente de l'Agence nationale de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) et celui du Syndicat des énergies renouvelables (SER) ont débattu avec Dominique de Villepin et Thierry Breton, le ministre de l'économie, des "grands enjeux" du secteur: les prix, les approvisionnements, les investissements, la recherche, les économies ou les énergies de substitution. Une réunion qui en appellera d'autres, selon Matignon, pour affiner "la stratégie énergétique de la France".
Le 16 août, le chef du gouvernement en avait tracé les "trois axes" principaux: relance des investissements, développement des énergies renouvelables, économies d'énergie. M. Breton a souligné jeudi, sur France Info, que les Français devaient "s'habituer à consommer moins" et qu'il allait "les aider à réaliser des économies d'énergie". Dans le cadre du projet de loi de finances 2006, il étudie un renforcement du crédit d'impôt pour l'achat d'installations domestiques fonctionnant avec des énergies renouvelables (40% du coût de l'installation actuellement).
M. de Villepin souhaite aussi que les compagnies pétrolières – tout particulièrement Total – relancent leurs investissements dans le raffinage, les goulets d'étranglement apparus dans l'aval de la filière en Europe, aux Etats-Unis et en Asie étant en partie responsables de l'envolée des cours. "Il revient à Total et aux autres entreprises françaises qui réalisent des profits importants d'engager rapidement cet effort d'investissement dont notre pays a besoin". avait-il prévenu le 16 août.
La prise de conscience sur les conséquences du renchérissement du pétrole, mais aussi du charbon, du gaz et de l'électricité, est désormais mondiale. La Maison Blanche s'inquiète du prix trop élevé de l'essence. La flambée des cours menace le dynamisme de la croissance, notamment dans certains pays d'Asie, a prévenu, jeudi, le directeur général du Fonds monétaire international (FMI). Pour Rodrigo Rato, "nous voyons que l'impact des prix pétroliers est modéré à ce stade, mais nous pensons que si des prix élevés persistent (...), la croissance de l'Asie pourrait en souffrir".
Le patron du FMI a invité les gouvernements à "sensibiliser les consommateurs et les sociétés à la vérité des prix". car "il ne va pas s'agir d'une hausse de courte durée des prix du pétrole". Il met ainsi en garde contre le risque que la politique de subvention des produits pétroliers fait courir, selon lui, à certains pays en voie de développement.
Jean-Michel Bezat
Article paru dans l'édition du 27.08.05
S' IL est un domaine où le temps perdu ne se rattrape pas, c'est bien celui de lapolitique de la famille. Elle conditionne d'une part la démographie, donc l'économie (pas de développement durable sans enfants), et d'autre part la cohésion sociale (réparer les carences familiales coûte extrêmement cher pour de piètres résultats). Si on laisse filer l'indice de fécondité, si on laisse se détricoter le tissu familial, on le paiera très cher. Encore faut-il, pour choisir une politique de la famille, oser dire la réalité.
Dans une Europe promise à un vieillissement démographique dramatique, la France fait encore bonne figure. Elle doit la relative bonne tenue de sa natalité à ce qui reste de la grande politique familiale votée à l'unanimité à la Libération. Bien qu'écornée, celle-ci fait aujourd'hui figure de modèle en Europe.
Si elle nous a protégés, c'est par son volet universel – - des allocations familiales et un quotient familial pour la fiscalité qui réduisent les inégalités entre foyers avec ou sans enfants et une école maternelle unique au monde par son extension, sa gratuité et son excellence. Ce volet universel est un précieux capital. Si on le réduit pour le convertir en politique de réduction des inégalités de revenus, on perdra sur les deux tableaux, démographique et démocratique. La politique de lutte contre la pauvreté doit s'y ajouter, pas s'y substituer. D'autant que le ciblage sur les pauvres finit par avoir des effets pervers.
Il convient de ne pas confondre politique familiale et politique sociale, en distinguant bien les trois volets - – l'universel, précédemment évoqué, l'horizontal et le vertical – - de la politique familiale. Le volet vertical vise à corriger les inégalités sociales entre familles. Il ne doit pas être confondu avec le volet horizontal, qui s'attache à atténuer, au sein de chaque catégorie sociale, la paupérisation relative des familles avec enfants.
Or le niveau de vie des familles diminue avec le nombre d'enfants (en moyenne de 10% avec le premier, de 10% encore avec le deuxième, puis de 5% à 10% par enfant à partir du troisième).
Cela explique peut-être pourquoi nous assistons à une diminution constante du nombre des familles nombreuses, qui sont pourtant nécessaires au remplacement des générations, puisque 10% des femmes n'ont pas d'enfant et 20% n'en ont qu'un.
Même après impôts et transferts, le niveau de vie d'une famille avec quatre enfants est, en moyenne, inférieur de 35% à celui d'un couple sans enfants. Les familles nombreuses, généralement modestes – - près de la moitié des familles de quatre enfants et plus sont de référence "ouvrière" – constituent le plus fort contingent de pauvres (au sens monétaire défini par les économistes: ceux qui gagnent moins que la moitié du revenu médian). Au total, il y a deux fois plus d'enfants pauvres de moins de 18 ans dans les familles nombreuses que dans les familles monoparentales.
Au nom de l'immense effort envers les familles que la France pauvre de 1945 a consenti, nous devons maintenir solidement l'acquis de la politique familiale et compléter le système du quotient familial en modulant le nouvel impôt qu'est la CSG selon la présence et le nombre d'enfants au foyer.
Actuellement, la CSG, qui représente 120% de l'impôt sur le revenu, contribue à la paupérisation relative des familles avec enfants. Ainsi les familles nombreuses, comme les familles monoparentales, paient en proportion deux fois plus de CSG que d'impôt sur le revenu. Au total, les ménages de moins de 60ans sans enfants représentent le quart de la population et bénéficient du tiers des revenus disponibles et les familles avec enfants comptent pour 54% de la population et seulement 43% des revenus.
Nous proposons de "familialiser" la CSG, en attribuant une demi-part par enfant. Ce serait un préalable à toute augmentation future de la CSG; laquelle, autrement, ne ferait qu'aggraver la paupérisation des familles avec enfants.
Dans un esprit d'équité fiscale et de neutralité des pouvoirs publics vis-à-vis du statut matrimonial des conjoints, nous proposons aussi de ramener le coefficient conjugal à 1,7 au lieu de 2. Les personnes vivant sous le même toit font des économies d'échelle dont il faut tenir compte.
Il faut aider les familles avec enfants, car elles font faire de sérieuses économies à la collectivité: un enfant placé dans une famille d'accueil ou dans un organisme public coûte respectivement six à douze fois plus cher à la collectivité que le surplus de revenu de 2 400 euros par enfant perçu en moyenne par famille.
La baisse de niveau de vie n'est pas la seule variable à prendre en compte pour expliquer l'écart entre le désir d'enfant et la réalité. Partout, en Europe, une femme sur deux voudrait un enfant de plus mais doit y renoncer pour des raisons de conciliation entre la vie familiale et la vie professionnelle.
Le bon taux de travail féminin en France est l'autre atout précieux qu'il faut encourager. Il n'empêchera pas les naissances si nous inscrivons comme prioritaires toutes les mesures permettant la conciliation famille/travail. Les entreprises doivent le comprendre et les hommes aussi. Le partage des responsabilités dans la vie domestique est devenu une condition du désir des femmes d'avoir des enfants.
Les femmes, maîtrisant leur fécondité, arbitrent entre activité professionnelle et procréation. Aussi faut-il leur offrir des conditions de vie et de travail qui leur permettent d'avoir un enfant sans sacrifier leurs chances, au bon moment. Or elles ne cessent de retarder ce moment. Désormais, c'est seulement à 28 ans en moyenne que les Françaises ont leur première maternité. Retarder les naissances retentit de façon préoccupante sur la fertilité des femmes, sur leur santé et celle des nouveau-nés. En outre, ces reports ont des répercussions démographiques sérieuses.
On sait déjà que la génération 1970, affectée par ces retards, ne sera pas remplacée. La situation est encore réversible si l'on ouvre aux jeunes mères des droits spécifiques à la formation, à l'emploi et au logement.
La famille est une affaire publique dans la mesure où elle compte des enfants. En revanche, la vie sexuelle et affective est une affaire privée. L'Etat ne devrait rémunérer financièrement ni les unions ni les désunions. Or c'est ce qu'il fait en consentant des avantages fiscaux aux mariés et aux pacsés sans enfants.
Les couples, de plus en plus souvent, éclatent. Actuellement, plus de 40% des couples mariés divorcent, dont 65% ont des enfants. Les séparations de concubins sont encore plus fréquentes et précoces. Le constat le plus préoccupant est l'accroissement du nombre d'enfants qui ont à subir la séparation de leurs parents: bientôt, à 16 ans, un enfant sur trois aura connu la séparation de ses parents. Les relations avec le père, dans 40% des cas, se raréfient dangereusement ou cessent.
Les études existantes montrent que les enfants souffrent de la mésentente entre leurs parents, des conflits qui en résultent et des séparations qui les suivent, à la fois dans leur santé physique, leur santé psychique, leur scolarité et leurs études et dans leur socialisation (conduites à risques, violences). Les juges voient défiler de jeunes délinquants sans père ou sans mère au foyer.
En résumé, les familles avec enfants sont majoritaires dans la population (54%) et minoritaires parmi les ménages (un tiers) et les électeurs. Seule une forte volonté politique est à même de défendre les intérêts des enfants à naître. Il en va de la durabilité de notre développement et de la pérennité des solidarités intergénérationnelles.
Michel Godet est économiste, professeur au Conservatoire national des arts et métiers, membre du Conseil d'analyse économique auprès du premier ministre (CAE).
Evelyne Sullerot est sociologue, cofondatrice du Planning familial.
par Michel Godet et Evelyne Sullerot
Article paru dans l'édition du 27.08.05
F lambée du coût du pétrole, effets controversés des quotas textiles chinois, quasi-disparition de l'industrie de la chaussure française, nouvelles délocalisations... Cette année encore, les préoccupations sociales des Français sont marquées par la situation internationale et les effets de la mondialisation. L'emploi et le pouvoir d'achat sont donc, sans surprise, au centre de la rentrée sociale.
Le nouveau gouvernement a promis de faire de l'emploi sa priorité. Mais ses premières mesures sur ordonnances relèvent, pour l'essentiel, d'un rafistolage contestable et traduisent surtout l'absence de plan d'ensemble. Présenté comme une mesure-phare, le contrat nouvelles embauches (CNE) privilégie la précarité au détriment de la sécurité. Ce n'est certainement pas en amplifiant le "tout flexible" que l'on redonnera confiance aux Français.
D'autant que nos systèmes de protection sociale ne permettront pas indéfiniment d'amortir les chocs. Le CNE risque de devenir un système d'intermittence pour les salariés des petites entreprises. L'employeur embauche et licencie sans s'encombrer de motifs, l'assurance-chômage prend le relais... Et prend l'eau.
Faut-il pour autant renoncer à toute évolution du contrat de travail ? Cette question n'est pas taboue pour la CFDT.
Le temps de toute une carrière dans la même entreprise s'éloigne pour beaucoup, qu'on le veuille ou non.
Mais, choisie ou subie, la mobilité ne doit pas rimer avec l'instabilité chronique: elle appelle au contraire des parcours professionnels sécurisés.
A tout nouveau contrat de travail nous voulons que soit associé un nouveau contrat de confiance. Quel pourrait être ce contrat ? Il passe par une refondation de nos solidarités et une autre politique fiscale. Il suppose la mise en place de protections collectives plus dynamiques et plus adaptées aux situations individuelles.
Augmenter le volume et la qualité de la formation professionnelle; généraliser la protection sociale; complémentaire; accompagner plus étroitement les chômeurs, en les plaçant au centre de l'action coordonnée des Assedic et de l'ANPE, notamment par la création d'un guichet unique de l'emploi: tout cela est essentiel, mais risque de ne pas suffire. Encore faut-il que les offres d'emploi existent et que l'assurance-chômage soit économiquement assez stable pour répondre aux besoins.
Ce sera là l'un des enjeux de la prochaine convention Unedic. Au- delà de la question, brûlante, du déficit, c'est le système lui-même qui est en question. Parce que notre environnement économique a profondément changé, nous sommes à un tournant de notre histoire sociale.
Le capitalisme s'est profondément transformé. La mondialisation impose des conditions de concurrence qui poussent les entreprises à comprimer leurs coûts au maximum.
Soumises par ailleurs par leurs actionnaires à des exigences de rentabilité intenables, elles considèrent de plus en plus la masse salariale et le travail comme une variable d'ajustement et, au total, prennent des décisions contre l'intérêt des salariés.
Ces bouleversements accélèrent l'usure de notre pacte social conçu pour une économie de plein emploi et une société jeune.
Aujourd'hui, le risque de chômage ne peut plus être considéré comme un accident de parcours exceptionnel. Parce qu'il est devenu massif, les ressources de l'assurance sociale vacillent: là où il s'agissait d'indemniser 3% de la population active, il faut aujourd'hui en indemniser plus de 10%; avec, en prime, un Etat qui se désengage progressivement.
Bref, il ne suffit plus d'"ajuster" nos systèmes. Quand un "modèle social" produit autant de chômage et n'endigue plus le développement de la pauvreté, il faut le réformer.
Il nous faut une politique structurelle de l'emploi, une politique de conquête. C'est sur la recherche et l'innovation qu'il convient de miser, ainsi que sur une politique industrielle capable de favoriser de nouvelles spécialités, d'attirer en France des créations d'emplois.
L'Europe est l'espace d'impulsion de cette ambition. Elle a pour cela besoin de volonté politique et d'un budget à la hauteur, donc de dépasser les égoïsmes nationaux.
L'emploi et le pouvoir d'achat sont bien les préoccupations dominantes des salariés. Avec eux, la CFDT les exprimera en cette rentrée. Mais après ? Nous avons la volonté d'obtenir des résultats pour les salariés et les demandeurs d'emploi. Pour cela, trois postures doivent, à mon sens, être évitées.
La première consiste à dire que notre code du travail est un frein audéveloppement économique et qu'il est grand temps de le vider de son contenu.
Une autre défend l'idée qu'il faut préserver l'acquis sans voir que ce code laisse passer quantité de salariés à travers ses filets de protection.
La troisième consiste à rester dans une joute syndicats contre gouvernement, en laissant de côté la responsabilité du patronat, en laissant ainsi s'appauvrir le dialogue social.
Il est grand temps de sortir du rafistolage et de nous redonner une nouvelle ambition collective. Si les garanties d'hier ne sont plus suffisantes aujourd'hui, il est urgent d'en négocier de nouvelles.
Pour cela, il nous faut un grand débat démocratique sur le modèle que nous voulons tisser. Nous devons ainsi redéfinir ce qui relève de la solidarité nationale, donc de l'impôt, et ce qui relève des cotisations sociales, donc des seuls revenus du travail. Dans ce modèle, le paritarisme, le rôle et la responsabilité des acteurs doivent être repensés.
Il nous faut aussi un Etat partenaire, présent, qui se donne les moyens d'assurer la solidarité, qui s'engage au lieu de rogner sur ses contributions. Il nous faut un patronat qui accepte clairement de revenir dans le jeu de la négociation, avec la volonté de construire de nouvelles garanties pour les salariés. Il nous faut des organisations syndicales qui acceptent d'engager des discussions sans jeter l'anathème sur telle ou telle piste d'évolution de nos règles collectives.
Le début d'un nouveau pacte social ? Pour la CFDT, il n'y a pas d'autre choix.
François Chérèque est secrétaire général de la CFDT.
Article paru dans l'édition du 28.08.05
L' incendie dramatique du boulevard Vincent-Auriol à Paris illustre, une nouvelle fois, le scandale des conditions de logement des plus démunis, en particulier les immigrés. Les besoins vont bien au-delà d'un nouveau recensement des taudis parisisiens, annoncé par Nicolas Sarkozy, ou d'un programme d'"hôtels sociaux", qui au demeurant existent déjà, évoqué par Jean-Louis Borloo.
Vendredi 26 août, Martine Aubry a souligné que les gouvernements de gauche, pas plus que ceux de droite, n'avaient pris le problème à bras-le-corps. Elle a ajouté que, tant que cette situation perdure, il ne sert à rien de se lamenter. La maire de Lille a raison. Il est temps qu'enfin les pouvoirs publics lancent une politique nationale du logement.
Que la France de l'abbé Pierre, moins de dix ans après la fin de la guerre, se soit trouvée aux prises avec une crise du logement était plus compréhensible. Mais que des familles - et pas seulement immigrées - vivent aujourd'hui en France dans des conditions dignes des romans de Zola est simplement inadmissible. L'Etat, en coopération avec les élus, doit s'attaquer vraiment à l'insuffisance de construction de logements sociaux, dans des régions très urbanisées comme l'Ile-de-France, Rhône-Alpes, Provence - Alpes - Côte d'Azur, et, d'une façon plus générale, au problème du logement. La France a les moyens de se fixer des objectifs et un échéancier concrets.
Il existe environ 4 millions de logements sociaux. On en construit à peine quelque 60.000 par an. Le double serait nécessaire pour couvrir les besoins, y compris ceux d'une partie des classes moyennes. Car la hausse non contrôlée du foncier et du bâti touche des catégories de plus en plus larges. Les déséquilibres de ce secteur produisent de multiples effets pervers: vieillissement des centres-villes, étalement urbain désordonné, circulation accrue, productrice d'embouteillages et de pollution supplémentaires, ménages pris dans le piège du surendettement...
Il faut agir sur toute la palette: des logements dits d'"urgence", à ceux du secteur privé. De multiples pistes existent: imaginer des incitations nouvelles pour les maires, élargir le dispositif actuel, qui impose 20% de logements sociaux dans les grandes villes... La décentralisation a abouti à une dispersion de la décision et de la volonté de construire. Peut-être faudrait-il rationaliser les dispositifs, en évitant les querelles politiciennes paralysantes, notamment en Ile-de-France. Beaucoup est affaire de volonté politique. Jean-Louis Borloo a le logement dans son vaste portefeuille, mais aucun ministre ne s'occupe du dossier à plein temps. Une loi "habitat pour tous", promise par Gilles de Robien quand il était responsable du logement, n'est toujours pas prête.
Dans certains secteurs, le seul jeu du marché ne peut pas suffire à satisfaire les besoins collectifs. Le logement, le premier d'entre eux, en fait partie. L'Etat et les élus doivent le comprendre, sous peine d'aggraver encore le sentiment d'impuissance des politiques, et l'impression d'abandon qu'éprouvent trop souvent nos concitoyens les plus modestes.
Article paru dans l'édition du 28.08.05
De Bakou: Ne pensez-vous pas que les difficultés de divisions au sein du PS sont liées plutôt à la personnalité de M. Hollande qu'aux nouvelles tendances politiques ?
Isabelle Mandraud : Que voulez-vous dire par nouvelles tendances politiques ? Est-ce le camp du non ? S'agissant de François Hollande, ce serait trop simple de réduire les difficultés actuelles du PS à sa seule personnalité. Que faites-vous des autres ?
Œdipe: Peut-on m'éclairer: à quoi bon vouloir faire cohabiter au sein d'un même parti des idéologies aussi différentes que celles de Messieurs Lang, Hollande ou Montebourg, et des ambitions égocentriques exacerbées telles que celles de Messieurs Fabius, Strauss-Kahn et consorts ?
Isabelle Mandraud: Comme dirait Jean-Christophe Cambadélis, le débat fait partie du code génétique du PS. Ce parti compte beaucoup de talents qui, à tort ou à raison, estiment aujourd'hui pourvoir concourir pour 2007.
Mathieu54: Les partisans du non invoquent la défaite du 29 mai pour justifier un changement de majorité au sein du PS. Or la majorité n'a fait que soutenir le choix des militants suite au vote interne. En stigmatisant ce qu'ils considèrent comme une erreur, ne risquent-ils pas d'irriter ces militants, qui reconduiraient alors la majorité sortante ?
Isabelle Mandraud: Il est vrai que la direction s'est appuyée sur le vote, majoritaire, des militants. Mais elle s'est aussi beaucoup impliquée pour obtenir ce vote pour le oui. La première manche a donc été gagnée par cette direction, soutenue par les militants. Les représentants du non ont remporté la deuxième manche le 29 mai. C'est une légitimité militante qui affronte une légitimité conquise dans les urnes. Pas simple à résoudre pour le PS.
Stanto: Bonjour. N'est-il pas profitable que le PS soit constitué de plusieurs courants afin de mobiliser un plus grand nombre d'électeurs (en pensant aux élections de 2007) ? Cela ne permettrait-il pas de répondre aux attentes de plusieurs catégories socioprofessionnelles ?
Isabelle Mandraud: Cela fait partie des arguments souvent entendus. Chacun détient une part de l'électorat. Le PS a toujours été constitué de "sensibilités" dans le passé, qui cohabitent plus ou moins bien, mais finissent toujours par se rassembler aux élections. La difficulté, aujourd'hui, provient du fait que, pour la première fois, des responsables socialistes sont passés outre un référendum interne– ce qui est aussi une première dans l'histoire du parti.
Rawls: La personnalité de François Hollande a certainement arrangé tout le monde car son manque de charisme permettait aux présidentiables de se préparer. Je maintiens que le PS doit éclater pour créer un vrai pôle social démocrate en France, quitte à repenser nos alliances (avons-nous encore des valeurs communes avec le PC, la frange gauchiste des Verts....). Les centristes sont ils infréquentables ?
Isabelle Mandraud: Si le PS éclate, quelle sera sa force ? La division n'est pas forcément la meilleure réponse, si l'on en juge par les (rares) séparations antérieures, comme celle qui a abouti au départ de Jean-Pierre Chevènement. Par ailleurs, je ne pense que la tendance "centriste" du PS, comme vous dites, représente les socialistes...
Hubert : Selon vous, à qui profiterait une scission au sein du PS ?
Isabelle Mandraud: Au camp adverse, c'est-à-dire à la droite, bien sûr !
Elfuse: Que pensez-vous de la proposition de Bernard Kouchner de discuter avec François Bayrou d'une éventuelle alliance en vue de la création d'une "nouvelle force" ?
Isabelle Mandraud : Elle ne représente pas le parti, si l'on en juge par les déclarations entendues à La Rochelle, lors de l'université d'été du PS qui a sans doute aussi, dans l'élection ratée du 21 avril, souffert, dans son électorat, du manque de clivage entre la gauche et la droite.
Hubert: Je suis militant PS en Haute-Vienne et au sein de ce territoire, le débat interne manque singulièrement de démocratie. Ne pensez-vous pas que les "éléphants" du PS d'aujourd'hui ne sont plus capables d'incarner un idéal de gauche pour les jeunes ?
Isabelle Mandraud : Les éléphants s'étant ébroués un peu chacun de leur côté, il faut souhaiter pour ce parti qu'il y ait bien l'un d'entre eux qui redeviendra un chef de file suivi... y compris parmi les éléphanteaux.
J.T: Ne peut-on pas considérer que la vie politique française gagnerait à ce que le PS définisse un projet clair, une ligne de conduite forte et sincère, véritablement ancrée dans la social-démocratie européenne ? Je pense que le véritable problème actuel du PS est de ne pas mobiliser ses électeurs potentiels autour d'une ligne de conduite courageuse, même si celle-ci ne correspondrait pas forcément aux vœux de tous.
Isabelle Mandraud : Incontestablement, si le PS veut l'emporter, il devra présenter un projet clair et des propositions innovantes. Mais il doit aussi se poser la question de ces alliances avec ses partenaires que sont les communistes, les Verts, les radicaux de gauche...
Logan: Bonjour. La scission n'est-elle pas préférable à ce grand écart qui dure depuis le congrès de Tours ? Est-on vraiment si sûr que le pari mitterrandien (unir la gauche, avant de mordre sur le centre) soit le seul qui permette la victoire ? Les fameuses "majorités d'idées" de Rocard sont-elles définitivement mortes ? La cohérence n'exige-t-elle pas des réformistes, en particulier, qu'ils cessent d'être victimes du chantage récurrent de"la barre à gauche toute" ?
Isabelle Mandraud : Les courants minoritaires pèsent tout de même d'un certain poids dans le parti. Et votre question suppose des changements d'alliance auxquels une majorité de socialistes ne sont sans doute pas prêts à consentir. L'influence de Michel Rocard a été très importante à l'intérieur et à l'extérieur du PS. Elle me semble aujourd'hui bien moins présente.
Bastien: Ne voit-on pas apparaître au sein du PS une ligne qui accepte l'économie de marché tout en souhaitant la réformer et une ligne qui la rejette ? N'est-ce pas l'un des sujets de l'opposition actuelle?
Isabelle Mandraud : La première, Lionel Jospin l'a défendue. La seconde, telle que vous la définissez, ne me paraît pas née. Bien peu de socialistes, quelle que soit leur sensibilité, remettent en cause l'économie de marché. Ils se disputent plutôt sur la façon de contrôler et de contrer ses excès. La part d'utopie n'est pas morte, mais le réalisme la devance largement.
Mathieu54: Pourquoi la majorité ne s'est-elle pas entendue avec le NPS alors que, notamment sur la question des institutions et d'une VIe République, il existe des points de convergence ?
Isabelle Mandraud : Il y a quelques points de convergence, c'est vrai, mais aussi de gros "nœuds" de divergence, à commencer par la question européenne... Sur les institutions, tous les socialistes sont d'accord pour les changer, mais pas tous de la même façon. NPS milite pour un régime très parlementaire, où les pouvoirs du président de la République sont très réduits. La majorité Hollande-DSK-Lang-Aubry ne va pas aussi loin.
Hubert: Que pensez vous du yo-yo départ-retour du militant Jospin ? Est-ce que cela n'enrichit pas l'idée que le PS ne sait plus sur quel pied danser ? Cela ne démontre-t-il pas que M. Hollande manque définitivement de charisme ?
Isabelle Mandraud : Voilà le feuilleton préféré des médias ! Jospin, le retour... L'ancien premier ministre conserve dans le parti nombre de partisans qui aimeraient qu'il revienne. La question de l'autorité de François Hollande est souvent posée, c'est vrai. Mais il dirige aussi le PS depuis 1997 !
Fuddish: Des ténors socialistes se déclarent candidats à la candidature présidentielle. Hollande non, alors qu'il est le leader du parti (en théorie), donc candidat naturel... Le PS semble en pleine logique divisionnaire.
Œdipe: Qui des ténors de la gauche vous semble le mieux armé pour 2007 ?
Isabelle Mandraud: Les difficultés actuelles de Hollande ne signifient pas qu'il soit éliminé de la course. En tout cas, il a manifesté sans ambiguïté, après les succès électoraux du PS de 2004, son désir de figurer sur la ligne de départ. Aujourd'hui, il est contraint de réviser à la baisse ses ambitions, mais demain, s'il emporte le congrès, je ne doute pas qu'il fera à nouveau partie des prétendants. Alors, qui ? Ce sont les militants qui vont choisir, après le congrès du Mans. Tout le monde a ses chances... puisque aucun, pour le moment, n'émerge réellement. Ceci expliquant cela, cette situation crée les candidatures multiples.
Mathieu54 : Laurent Fabius, après avoir été le plus "libéral" des socialistes, prône aujourd'hui une politique de rupture. Son discours depuis un an étant même empreint d'un certain radicalisme. A-t-il réellement changé d'opinion ou s'agit-il d'un populisme de gauche pour se refaire une image plus conforme à celle d'un homme de gauche pour pouvoir briguer la présidence ?
Isabelle Mandraud: Fabius se définit avant tout comme un mitterrandien qui n'a pas oublié qu'il faut d'abord rassembler à gauche. Il justifie ses positions et affirme qu'il a commis quelques "erreurs", s'agissant notamment de la baisse des impôts.
Joe: Les difficultés que traverse le PS ne seraient-elles pas résolues si les socialistes désignaient d'ores et déjà leur leader pour la présidentielle ? Il me semble en effet que tout ce vacarme est attisé par la bousculade au portillon du siège de candidat socialiste à la présidentielle.
Isabelle Mandraud : Ah oui ! Je suis bien d'accord avec vous ! Mais c'est un choix qui se mûrit lentement... à coups de crise.
Goupil: Pourquoi n'entend-on aucune proposition du PS pour revenir sur les réformes Fillon (retraites, éducation) et Assedic....? Franchement, de mon côté, je voterai plus sûrement pour d'autres candidats de gauche, car là le summum de l'hypocrisie est atteint.
Isabelle Mandraud : Faux. Des dirigeants socialistes proposent de revenir sur les lois de la droite, en particulier sur la loi dite Fillon. Ils sont plutôt du côté du non.
Chat modéré par Fanny Le Gloanic et Stéphane Mazzorato
LEMONDE.FR | 29.08.05 | 13h14
L e pétrole a brièvement dépassé les 70 dollars le baril, lundi 29 août, à l'approche de l'ouragan Katrina, l'un des plus puissants qu'ait connus les Etats-Unis. Le cours du light sweet crude pour livraison en octobre a atteint dans la nuit un plus haut à 70,80 dollars le baril, avant de se replier à 69,95 dollars à 6 heures, heure de Paris), soit un bond de 3,82 dollars par rapport à sa clôture de 66,13 dollars à New York, vendredi.
Cette poussée à la hausse résulte des craintes suscitées par l'arrivée du cyclone Katrina, qui menace les nombreux puits de pétrole du golfe du Mexique. Le président George W. Bush a déclaré l'état d'urgence dans la région, et 21 puits et plates-formes, qui représentent 42% de la production de la zone, ont été fermés.
"Le marché semble vraiment fou", a commenté Tetsu Emori, analyste à la Mitsui Bussan Futures à Tokyo, tout en estimant que les cours ne devraient pas pouvoir s'installer au-dessus de 70 dollars, puisque s'achève aux Etats-Unis la saison estivale, synonyme de forte circulation.
Dariusz Kowalczyk, stratège à la CFC Seymour Securities, juge lui possible que le prix du baril atteigne 80 dollars, car Katrina, classé de niveau 5, risque d'endommager les plates-formes. Or l'ouragan Ivan, de catégorie 3, qui avait ravagé le golfe du Mexique et ses infrastructures pétrolières en septembre dernier, avait provoqué une augmentation de 22% des cours du brut. "La similitude avec Katrina est tellement importante que les marchés s'énervent, poussant ainsi les cours à la hausse", souligne l'expert, qui rappelle que le port de La Nouvelle-Orléans traite 11% des importations de brut des Etats-Unis, soit un million de barils par jour. Le contrat à terme pour février a atteint à New York le record de 71,87 dollars le baril, une indication de la tendance à venir, ajoute-t-il, d'autant que le risque demeure de sanctions contre l'Iran, compte tenu de ses ambitions nucléaires.
Les produits pétroliers ont flambé encore plus que le brut, le contrat octobre de l'essence s'adjugeant 11,3%, à 2,1448 dollars le gallon (soit 3,785 litres), et celui du fioul domestique 9,6%, à 2,0135 dollars le gallon. Les opérateurs redoutent que Katrina réduise encore la production de carburants dont les stocks se situent dans le bas de la fourchette habituelle pour cette période de l'année. L'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), dont la production approche ses capacités maximales depuis près d'un an, a exprimé dimanche ses inquiétudes concernant la flambée des cours, en hausse de 61% depuis le début de l'année. Mais selon les analystes, l'OPEP, qui se réunit le 19 septembre à Vienne pour déterminer sa politique de production, ne dispose quasiment plus d'aucun recours pour freiner les cours.
"On peut s'attendre à deux mois de production perdue. Et à l'approche de la période où la demande est la plus forte, cela ne peut pas être pire, estime David Thurtell, stratège chez Commonwealth Bank of Australia. Le seul moyen d'éviter une nouvelle escalade des cours est le déblocage par le président Bush d'une partie des réserves stratégiques de pétrole." L'administration Bush avait précisé qu'elle ne le ferait qu'en cas de perturbation sérieuse, sans plus de précisions.
En Equateur, où la production est revenue à la normale après avoir été perturbée par une semaine de manifestations, les protestaires ont menacé dimanche de reprendre leur mouvement d'ici qauarante-huit heures si les groupes pétroliers n'acceptent pas d'accroître leurs investissements locaux.
Les économistes s'accordent à penser que le renchérissement du pétrole ralentira la croissance en Asie, mais de manière limitée. "Le fait que les cours du pétrole reflètent largement jusqu'à présent une forte demande plutôt qu'une rupture d'approvisionnement est une raison de garder confiance dans la santé de la demande internationale, et cela devrait soutenir une croissance toujours solide des exportations au second semestre", estime David Cohen, économiste régional à Singapour pour Action Economics.
Avec AFP et Reuters
LEMONDE.FR | 29.08.05 | 09h50
L e gouvernement publiera dans les prochaines semaines une liste des secteurs industriels "stratégiques" dans lesquels le gouvernement pourra interdire une OPA, pour "donner une bonne visibilité" aux investisseurs étrangers, a annoncé le ministre délégué à l'industrie, François Loos, dans Les Echos du lundi 29 août.
"Le code monétaire et financier a été récemment amendé pour permettre au gouvernement d'interdire une prise de contrôle dans des secteurs jugés stratégiques. Un décret d'application va être publié dans les toutes prochaines semaines pour lister et définir précisément ces secteurs", précise le ministre.
"Notre politique n'est pas de s'opposer par principe à tout rachat d'une entreprise française: elle est de renforcer la compétitivité et l'indépendance de nos entreprises et faire en sorte qu'elles soient à armes égales avec leurs homologues étrangers", a t-il ajouté." Mais fondamentalement, c'est avant tout aux entreprises de veiller à leur indépendance en créant de la valeur."
M. Loos ajoute que le groupe minier français Eramet, sur lequel planait des rumeurs de rachat de la part du principal producteur mondial de fer, le brésilien Vale do Rio Doce (CVRD), est "plus stratégique" que le groupe alimentaire Danone. CVRD a déclaré que ces rumeurs étaient "sans fondements".
En juillet, des rumeurs d'offre publique d'achat hostile de l'américain PepsiCo sur Danone avaient déclenché en France une levée de boucliers dans la classe politique, tandis que le titre Danone progressait très fortement à la Bourse de Paris. Samedi 27 juillet, le premier ministre, Dominique de Villepin, avait déclaré qu'il souhaitait "rassembler toutes [les] énergies autour d'un véritable patriotisme économique". Le même jour, le président Jacques Chirac avait demandé au gouvernement de "renforcer le dispositif de protection de nos entreprises stratégiques", déplorant en conseil des ministres "l'absence de stabilité du capital de grandes entreprises" françaises.
Avec AFP
LEMONDE.FR | 29.08.05 | 11h30
![]() DE MALGLAIVE ETIENNE / GAMMA
Laurence Parisot, élue à la présidence du Medef lors du 1er tour de l'assemblée générale extraordinaire.
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A lors que le gouvernement table officiellement sur une croissance du produit intérieur brut (PIB) "proche des 2%" en 2005, la nouvelle présidente du Medef, Laurence Parisot, a estimé que la faiblesse de l'activité interdisait une véritable progression du pouvoir d'achat. Lors de l'ouverture de l'université d'été de l'organisation patronale, elle a jugé qu'une croissance de 1,3% à 1,5% en 2005 rendrait "possible" une "faible croissance du pouvoir d'achat" des Français. Celle qui a succédé en juillet à Ernest-Antoine Seillière a également lancé un avertissement: "on ne peut pas donner ce qu'on n'a pas".
"Comment faire beaucoup plus avec une croissance à 1,3% ou 1,5%", s'est-elle interrogée. "La vraie question c'est comment fait-on pour re-booster la croissance", a-t-elle affirmé sans développer davantage. "Il faut cesser d'inverser les choses", a-t-elle conclu, alors que les syndicats réclament depuis des mois une revalorisation des salaires.
Mme Parisot, qui a "écrit vendredi" aux grandes centrales syndicales pour leur proposer une prochaine rencontre, entend renouer le dialogue avec celles-ci afin de "tenter d'établir un diagnostic commun de la situation", visant à "hiérarchiser les réformes" nécessaires. Deux leaders syndicaux, Jean-Claude Mailly (FO) et François Chérèque (CFDT) sont invités à cette université d'été, respectivement mardi et mercredi. Un groupe de travail intitulé"commission Dialogue économique" a été mis en place lundi par M me Parisot pour plancher sur ce thème.
Sans répondre aux questions sur les mesures attendues par le Medef dans les mois à venir, elle a pointé la nécessité de réformer le marché du travail, alors que les chiffres du chômage de juillet seront publiés mercredi. "Tout le monde a dit - les économistes, l'OCDE, les rapports commandés par le gouvernement - (...) que le marché du travail en France ne fonctionne pas bien. C'est principalement par cela qu'on peut agir aujourd'hui", a-t-elle lancé.
Interrogée sur son appréciation des 100 premiers jours du gouvernement Villepin, dont le premier ministre tirera le bilan jeudi, Mme Parisot a estimé qu'il était "trop tôt pour tirer un bilan des premières initiatives" prises par ce gouvernement. Elle a toutefois salué le fait que Dominique de Villepin soit "habité par le sentiment de l'urgence". "Nous considérons que la situation de notre pays est extrêmement fragile, et qu'il y a urgence à se mobiliser pour engager un certain nombre de réformes", a-t-elle affirmé.
L'université d'été du Medef rassemble quelque 3 000 chefs d'entreprise sur le campus de l'école de commerce HEC jusqu'à mercredi.
LEMONDE.FR | 29.08.05 | 18h55
C' est le dogme central de la biologie de la reproduction qui est aujourd'hui remis en cause par une équipe de biologistes américains. Ce dogme veut que, dans la plupart des espèces mammifères – à la différence des oiseaux ou des poissons –, le stock des cellules sexuelles femelles (ou ovocytes) est établi une fois pour toutes au cours de la vie foetale. Il forme ensuite une réserve qui diminue au fil des ovulations. Dans l'espèce humaine, cette réserve s'épuise à l'approche de la ménopause, phénomène qui entraîne la stérilité de la femme et qui induit des modifications hormonales importantes, souvent handicapantes.
Les choses pourraient en réalité être beaucoup plus complexes et peut-être, contrairement aux apparences, n'y a-t-il là aucune fatalité. Dans le dernier numéro (daté du 28 juillet) de la revue Cell, le professeur Jonathan L. Tilly (Harvard Medical School, Massachusetts General Hospital, Charlestown) et ses collaborateurs fournissent en effet une série de preuves expérimentales obtenues chez des souris adultes qui bouleversent les connaissances et les certitudes des biologistes de la reproduction.
Les chercheurs américains expliquent en substance avoir découvert dans l'ovaire de ces animaux une zone proche des vaisseaux sanguins contenant des cellules souches germinales capables de se différencier pour donner des ovocytes. Ils ajoutent avoir pu mettre en évidence, dans le sang circulant ainsi que dans la moelle osseuse, des cellules similaires, porteuses de marqueurs spécifiques.
Ils apportent en d'autres termes la preuve expérimentale de l'existence d'une communication, d'un véritable "dialogue cellulaire", établi par l'intermédiaire du courant sanguin entre la moelle osseuse et les ovaires. Ils fournissent en outre la démonstration que cette communication, jusqu'alors inconnue, peut permettre à la moelle osseuse de reconstituer les réserves en ovocytes des ovaires. Ces chercheurs ont en outre réussi à greffer des cellules souches germinales productrices d'ovocytes dans des ovaires de souris qui avaient été rendus stériles après administration de produits anticancéreux.
Le professeur Tilly confirme ainsi des travaux préliminaires publiés dans Nature (Le Monde du 17 mars 2004) qui avaient été à l'origine d'une vive controverse scientifique. Il précise aujourd'hui ne pas avoir encore la preuve permettant d'affirmer que les ovocytes ainsi produits peuvent être fécondés. Pour autant, il rappelle que dans le passé des femmes ayant été rendues stériles du fait d'un traitement anticancéreux sont redevenues fertiles après avoir reçu une greffe de moelle osseuse; un phénomène jusqu'alors inexpliqué.
"Tout laisse penser que les retombées de ces découvertes vont être considérables, tant dans le domaine de la médecine humaine que dans celui de la zootechnie. estime le professeur Bernard Jégou, biologiste de la reproduction (université de Rennes, directeur de l'unité 625 de l'Inserm). Dans un premier temps, la voie de la greffe de cellules germinales pour traiter les ménopauses précoces et les stérilités générées par certains traitement va s'ouvri r. Et l'on peut d'ores et déjà imaginer que certains seront tentés d'user de cette nouvelle connaissance pour retarder l'âge de la ménopause."
Jean-Yves Nau
Article paru dans l'édition du 30.07.05
L aurence Parisot est attendue, et elle le sait. Par ses pairs, par le gouvernement et la classe politique, et par les syndicats. Lundi 29 août, la nouvelle présidente du Medef, qui reste PDG de l'IFOP (institut de sondages), commence sa nouvelle vie. Elle réunit dans la matinée son conseil exécutif. Et ouvre dans l'après-midi la 7e université d'été du Medef. Deux rendez-vous cruciaux – l'un à huis clos, l'autre public – pour donner le ton de sa présidence.
Le départ de Guillaume Sarkozy La présidente du Medef a annoncé, lundi, de premiers changements. Comme il le souhaitait, Guillaume Sarkozy, candidat malheureux à la succession de M. Seillière, quitte les instances dirigeantes du Medef. Jean-René Buisson reprend le dossier de la protection sociale. Le bureau du conseil exécutif compte 12 membres, dont Yvon Jacob et Hugues-Arnaud Mayer, ex-rivaux de Mme Parisot, et Denis Gautier-Sauvagnac, qui restera chargé des relations du travail et de l'emploi. Dix commissions classiques et trois commissions transversales, dont une sur les Nouvelles générations, sont créées. |
Au conseil exécutif, Mme Parisot devait annoncer de premières décisions sur la reconfiguration des instances dirigeantes. Elle souhaite à la fois apaiser le Medef, après une campagne électorale "assez vive". mais aussi le rajeunir et le féminiser. Sur le campus d'HEC à Jouy-en-Josas (Yvelines), où plusieurs centaines de chefs d'entreprise, quatre ministres dont Azouz Begag et Nicolas Sarkozy, des politiques, un syndicaliste (Jean-Claude Mailly, FO), et moult acteurs de la société civile (écrivains, universitaires, scientifiques, psys...) vont débattre des moyens de "réenchanter le monde". Mme Parisot devait rompre un assez long silence estival pour donner ses premières orientations en matière économique, sociale et fiscale.
Mais aussi pour délivrer un message plus large sur sa conception de l'action patronale. "Tendus vers le futur, les entrepreneurs ont le devoir de participer activement à la réflexion sur l'évolution du monde, de donner de nouvelles impulsions. Le devoir aussi de s'ouvrir toujours plus à la société civile et de dialoguer avec tous ses acteurs sans esprit partisan, sans parti pris ni défiance, sans autre idéologie que celle de l'action et de la réussite. La réconciliation de la France et de l'entreprise est notre espoir et notre but". écrit-elle déjà dans un éditorial consacré à l'université d'été. Cette ouverture sur la société française réjouit fort le président du Conseil économique et social, Jacques Dermagne, ancien dirigeant patronal et grand défenseur de l'entreprise citoyenne.
Mis à part deux fois cinq jours de vacances, Mme Parisot a consacré son été à travailler, et à consulter, notamment deux de ses prédécesseurs, Jean Gandois et François Périgot, et "pas mal de gens du conseil exécutif". comme Denis Gautier-Sauvagnac et Guillaume Sarkozy. Première femme élue à la tête du patronat français, soutenue par toutes les fédérations du tertiaire, Mme Parisot n'était pas la candidate de l'industrie, qui, jusqu'au 5 juillet, faisait les rois au Medef. Consciente des risques de clivage que son élection peut provoquer, Mme Parisot a passé du temps à apaiser l'organisation. "On a été en compétition, on ne l'est plus. Il nous fallait retrouver un discours commun et de la sérénité". explique-t-elle.
Côté politique, la présidente du Medef a vu la plupart des ministres travaillant sur des dossiers intéressant le patronat, comme Jean-Louis Borloo (cohésion sociale), Gérard Larcher (emploi), Xavier Bertrand (santé et comptes sociaux) ou Christine Lagarde (commerce extérieur). Si elle n'a pas encore rencontré Thierry Breton à Bercy, la présidente du Medef a pris soin de s'entretenir avec Nicolas Sarkozy, avec le directeur de cabinet de Dominique de Villepin et avec le secrétaire général de l'Elysée, Frédéric Salat-Baroux.
Avant une semaine cruciale pour le gouvernement, Mme Parisot a été reçue par Dominique de Villepin, mardi 23, et par Jacques Chirac, vendredi 26. La présidente du Medef, qui n'entend pas "parler à tout moment et à tout bout de champ". est restée discrète sur ces deux entretiens. Mais tant à l'Elysée qu'à Matignon, une certaine satisfaction était perceptible à l'idée que puisse s'ouvrir une nouvelle ère avec le Medef.
Patron de combat contre la gauche, Ernest-Antoine Seillière s'est aussi beaucoup "bagarré" contre Jean-Pierre Raffarin, l'accusant même de n'avoir "rien fait" pour les entreprises. D'un naturel plus réservé et moins agressif, Mme Parisot ne devrait toutefois rien céder sur le fond. A moins de vingt mois de la présidentielle, elle a à coeur de rencontrer élus et responsables de l'opposition. PDG de l'IFOP, elle les connaît quasiment tous.
Ce week-end, elle a écrit aux syndicats, très critiques sur ses premières déclarations sur le code du travail et sur son soutien au contrat nouvelles embauches, pour leur proposer un rendez-vous officiel début septembre.
Claire Guélaud
Article paru dans l'édition du 30.08.05
M ardi 23 août, à Zinder, une des principales régions agricoles du Niger, j'ai rencontré une jeune femme de 23 ans du nom de Sueba. Pour obtenir des secours alimentaires, elle avait parcouru plus de 75 kilomètres avec, dans les bras, safille, Zulayden, âgée de deux ans. Sueba avait déjà perdu deux enfants, morts de faim, et celle qui lui restait ne pesait que 60% du poids normal d'un enfant de son âge.
Elle craignait qu'au pis Zulayden ne survive pas, qu'au mieux l'enfant connaisse, toute sa vie, la faim et les privations qu'elle-même ne connaissait que trop bien. Avec dans les yeux un regard que je n'oublierai jamais, elle implorait le monde d'entendre son appel à l'aide, non seulement ce jour-là mais aussi dans les mois et les années à venir.
Le peuple et le gouvernement du Niger traversent une multitude d'épreuves redoutables, dont la faim, une sécheresse persistante, l'avancée de la désertification, des invasions de criquets pèlerins et des marchés régionaux en déconfiture.
Des organismes publics et des associations de la société civile se mobilisent pour venir en aide aux plus nécessiteux, en particulier les enfants. La détresse dont j'ai été témoin au Niger est profonde, mais certains signes montrent que le pays devrait être capable de surmonter cette crise, et de nous apprendre des choses à tous. Quoique tardivement, le reste du monde vole au secours du Niger. Mais le même spectre – celui d'une famine survenant dans un climat généralisé d'insécurité alimentaire – hante près de 20 millions de personnes dans d'autres régions du Sahel: dans le sud du Soudan, en Ethiopie, en Erythrée, en Somalie et en Afrique australe. Si nous agissons sans attendre, ce spectre pourra être conjuré.
Selon le Programme alimentaire mondial (PAM), un Africain sur trois souffre de malnutrition. Chaque année, des centaines de milliers d'enfants africains, affaiblis par la malnutrition et la faim, connaissent une mort qui aurait pu être évitée.
Tant l'activité humaine que la nature entrent en jeu. Au Sahel, la désertification et la dégradation de l'environnement privent la population de terres cultivables et d'eau potable, la vouant à la famine. La médiocrité des performances des marchés régionaux fait que de nombreux ménages pauvres n'ont pas les moyens de s'alimenter. La sécheresse qui a suivi les invasions de criquets de l'an dernier a été un véritable désastre pour la population de cette région aride et fragilisée.
La pauvreté, annonciatrice de la faim, est l'éternelle toile de fond de cette détresse. Ce n'est pas un hasard si le Sahel occidental, terre d'élection de la faim, est une des régions les plus pauvres et les plus inaccessibles de la planète. Et la faim, à son tour, fait souvent le lit de l'instabilité sociale, des émigrations massives, de la maladie et de la violence. Homère l'a bien dit, il y a des siècles: "La faim est pleine d'insolence."
Nous devons chercher à régler le problème de la sécurité alimentaire à ses premiers stades, avant que la souffrance ne gagne du terrain et que secourir les plus vulnérables ne devienne une entreprise très coûteuse. S'il n'y a ni remède miracle ni solution unique à la disette, il y a tout de même beaucoup de choses à faire.
Premièrement, il nous faut mieux analyser le système de l'alerte rapide. Dans les premiers temps, au Niger, la communauté internationale n'a pas su faire la différence entre une situation classique – un pays pauvre qui se débat pour subvenir aux besoins de sa population – à une véritable situation d'urgence. Certains des remèdes préconisés n'étaient donc pas ceux que dictaient des circonstances devenues dramatiques.
Deuxièmement, il faut que suffisamment de fonds soient disponibles à l'avance pour que les gouvernements, les organismes de l'ONU et les organisations non gouvernementales (ONG) puissent se préparer à intervenir et déployer plus rapidement du personnel.
Une des principales réformes que je souhaite voir examinée au sommet mondial, qui se tiendra le mois prochain, consisterait à décupler les réserves disponibles dans le Fonds de secours des Nations Unies pour que ses organismes d'aide puissent lancer rapidement des opérations de secours.
Troisièmement, nous devons privilégier la prévention. L'allégement de la dette, l'accroissement de l'aide et des réformes des régimes commerciaux régionaux et internationaux allant dans un sens favorable aux pauvres sont autant d'éléments propres à favoriser le développement de la production agricole locale. En développant l'agriculture irriguée, on pourrait également réduire la dépendance à l'égard de pluies irrégulières et améliorer la production alimentaire.
De manière générale, il est grand temps d'exploiter les progrès scientifiques et l'expérience acquise, en Asie et ailleurs, afin d'amorcer une révolution verte en Afrique. On le sait, prévenir revient moins cher que guérir.
Mais lorsqu'il est trop tard, lorsqu'une crise s'est déjà déclarée, il ne peut plus être question de subordonner l'octroi de l'aide d'urgence qui permettra de sauver des vies à un quelconque objectif d'autonomie pour l'avenir. C'est aux êtres humains, et non aux grands principes, qu'il faut penser d'abord.
Quatrièmement, nous devons consolider les structures de la région et exploiter ses points forts. La Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cédéao) se montre de plus en plus apte à faire face aux problèmes humanitaires et aux menaces qui pèsent sur la paix et la sécurité dans la région.
Le Nouveau partenariat pour ledéveloppement de l'Afrique (Nepad) gagne en importance comme cadre de coopération entre les pays africains et les donateurs bilatéraux et multilatéraux. Tous deux méritent de bénéficier d'un soutien international accru.
Cinquièmement, chacun doit accepter sa part de responsabilité, au lieu de rejeter la faute sur autrui.
Tous les intéressés – gouvernements de la région, donateurs, institutions financières internationales et organismes d'aide – ont une part de responsabilité dans la crise. Nous avons tous mis trop de temps à réagir, à comprendre la situation, à déployer du personnel, à dégager des ressources.
Le défi que nous devons collectivement relever à ce stade est d'éviter que des populations ne souffrent inutilement, de nous doter des moyens de réagir plus vite et de renforcer les mécanismes d'adaptation et de survie des populations locales, pour que les problèmes de sécurité alimentaire soient abordés comme un continuum, de façon globale et à long terme. Le Sahel ne pourra se développer, prospérer ou être véritablement libre tant que ses habitants auront le ventre creux.
Ni Sueba, ni Zulayden, ni des millions d'autres Sahéliens ne seront vraiment libres tant que la pauvreté continuera d'ébrécher leur dignité d'êtres humains. Pour eux et pour les générations futures, nous devons, sans plus attendre, mettre fin à la calamité qu'est la faim en Afrique.
par Kofi Annan
Article paru dans l'édition du 30.08.05
L e président du conseil régional d'Ile-de-France, Jean-Paul Huchon (PS), a demandé au gouvernement de réunir "tous les acteurs concernés" par le problème du logement et d'"autoriser la région à créer une agence foncière" susceptible de "faire baisser le prix des terrains".
M. Huchon a rappellé l'effort de la région qui "s'est mobilisée depuis 1998 pour lutter contre l'insalubrité et offrir aux plus démunis des accueils d'urgence décents". "4 millions d'euros sont affectés à la création et à la rénovation de structures d'hébergement d'urgence", a-t-il souligné. Mais aujourd'hui, il y a "urgence pour les pouvoirs publics à trouver ensemble des solutions pour la production de logements sociaux", affirme-t-il.
L'élu estime que parmi les mesures à prendre, il faudrait "obliger chaque commune à offrir 20% de logements sociaux sur l'ensemble de son parc locatif". Il demande aussi la création d'une agence foncière, réclamée par les élus régionaux "depuis bientôt deux ans" et qui permettrait selon lui de faire baisser le prix des terrains.
D e leur côté, les syndicats FO, CGT et UNSA ont pressé le gouvernement d'engager une action "rapide et vigoureuse" en faveur du logement social.
"Toute frilosité dans l'action à conduire équivaut à faire perdurer des risques majeurs supplémentaires à des populations déjà très fragilisées", a ainsi déclaré FO dans un communiqué. "Le gouvernement se doit d'engager une action rapide et vigoureuse pour que pareil drame ne se renouvelle pas", a-t-elle ajouté en demandant "des aides fiscales pour le logement social plutôt que pour l'investissement privé". Selon FO, les terrains de l'Etat devraient être mis à disposition immédiatement pour lancer des programmes de construction. "Le droit et la finance doivent être mis au service de cet objectif. Ce sont des moyens et non des fins en soi", estime la confédération.
Pour la CGT, "ces drames révèlent la situation catastrophique du logement qui perdure depuis des années". "Celle-ci s'aggrave de jour en jour avec les mesures du gouvernement actuel", affirme la centrale, pour qui "l'inadmissible est dépassé" et qui exige "des mesures d'urgence et une tout autre politique du logement à Paris, en Ile-de-France et dans tout le pays". "Nous n'admettrons pas que "l'inventaire" de ces lieux soit le prétexte à amplifier les expulsions", prévient-elle en demandant la construction "de logements sociaux en quantité et qualité pour satisfaire les besoins de toutes les familles".
Enfin, l'UNSA dénonce "une fois de trop". Pour elle, "ces incendies sont la conséquence de la grande précarité qui s'installe dans les grandes villes et à laquelle les pouvoirs publics ne répondent pas". "L'UNSA demande que toutes les mesures d'urgence soient prises pour loger durablement les familles éprouvées et celles dont la situation déplorable et inacceptable est connue afin de mettre un terme à cette série de catastrophes" précise le communiqué.
L e Parti socialiste a accusé le gouvernement d'avoir "démantelé" la politique du logement social. Il a aussi réclamé un "effort sans précédent de construction et de réhabilitation".
"Depuis plus de trois années, le gouvernement a démantelé méticuleusement les outils et les financements de la politique du logement social", déclare le PS dans un communiqué. Il critique "le désengagement de l'Etat" à qui il reproche en particulier de ne pas appliquer la loi Solidarité et rénovation urbaine (SRU) et "l'obligation de 20% de logements sociaux dans chaque commune". La loi SRU de décembre 2000 contraint la plupart des communes urbaines ayant moins de 20% de logements sociaux à rattraper leur retard, sous peine de sanctions financières.
Le PS, qui exprime aussi "sa plus profonde émotion devant le nouveau drame", estime que l'incendie de lundi soir "vient confirmer l'ampleur et les dangers de la situation du logement en Ile-de-France et dans notre pays, qui touche plus de 3 millions de personnes".
Soulignant que l'Ile-de-France et la municipalité de Bertrand Delanoë "ont engagé une politique volontariste", le PS estime que "la politique du logement doit être une politique nationale". Il demande au gouvernement "de prendre immédiatement toutes les mesures nécessaires pour qu'un effort sans précédent de construction et de réhabilitation soit engagé".
"I l faut fermer tous ces squats et tous ces immeubles pour arrêter ces drames, et c'est ce que j'ai demandé au préfet de police, parce que ce sont des êtres humains qui sont logés dans des conditions inacceptables", a déclaré le ministre de l'intérieur, Nicolas Sarkozy, en marge d'un déplacement à Reims, aux côtés de Jacques Chirac et Dominique de Villepin, sur le thème de l'innovation.
"A force d'accepter des gens malheureusement à qui on ne peut proposer ni travail ni logement, on se retrouve dans une situation où on a des drames comme ça", a-t-il déploré.
L e président Chirac a annoncé, mardi 30 août, que le gouvernement et Dominique de Villepin prendraient "des initiatives fortes" pour éviter que des incendies dramatiques dans des immeubles insalubres se reproduisent à nouveau.
"Ce qui me paraît essentiel, aujourd'hui, à la suite de ce deuxième drame, c'est de prendre ensemble, c'est-à-dire toutes les autorités compétentes nationales, régionales, départementales, municipales, les mesures qui s'imposent pour éviter des drames de cette nature", a déclaré M. Chirac lors d'un déplacement à Pomacle (Marne), près de Reims. "Je crois qu'on peut le faire, je pense que le gouvernement et le premier ministre vont prendre très prochainement des initiatives fortes dans ce domaine", a-t-il ajouté.
M. Chirac a souligné que sa réaction à ce nouvel incendie était "une réaction de consternation, de compassion à l'égard des victimes, d'horreur et de condoléances". "Je voudrais souligner combien cette situation (de logement insalubre) est tout à fait indigne des exigences naturelles de l'accueil qu'on doit à celles et à ceux qui sont chez nous, quelles que soient leurs origines, quelle que soit leur nationalité", a-t-il précisé.
L e président de l'UDF, François Bayrou, a lui appelé à la "mobilisation des pouvoirs publics" pour "recenser les lieux dangereux".
"C'est une terrible série, qui parle à tout le monde je crois de l'inhumanité de la société dans laquelle nous vivons", a-t-il déclaré devant la presse, en marge de l'université d'été de son parti à Giens (Var). "C'est une société si dure, dans laquelle certains sont en situation si précaire que ça nous oblige à des changements profonds, dans l'urgence", a-t-il ajouté.
"Lorsqu'il s'agit de recenser les lieux dangereux, de veiller à la sécurité, d'imposer des travaux immédiats ou des normes d'urgence, c'est à l'Etat de le faire", a-t-il précisé, soulignant qu'"à chaque incendie malheureusement on répète que ça va se faire, et hélas ça ne se fait pas". "Il faut que tout le monde dans les pouvoirs publics exerce la mobilisation qui s'impose pour repérer les lieux dangereux, proposer des normes d'urgence, faire que des enfants et des familles ne soient plus dans cette situation exposée", a-t-il enfin dit.
Avec AFP
LEMONDE.FR | 30.08.05 | 19h46
L a préfecture de police de Paris a annoncé, mardi 30 août, "l'évacuation des immeubles et des squats les plus dangereux", au lendemain d'un nouvel incendie qui a fait sept morts, dont quatre enfants, dans un immeuble vétuste du 3e arrondissement squatté par des familles ivoiriennes. Le communiqué évoque ainsi la mise en œuvre, "dans les tout prochains jours, en lien avec la Ville de Paris, [d']un dispositif d'urgence pour prévenir de nouveaux sinistres". Mais la Mairie a répondu dans la soirée qu'elle "ne souhaite être associée en aucune façon aux décisions d'évacuation". "Notre démarche est une démarche de prévention des risques, et toute évacuation qui s'avère nécessaire au vu du dossier technique doit faire l'objet de solutions d'hébergement adaptées proposées aux personnes concernées, et ce sur l'ensemble du territoire de l'Ile-de-France", souligne dans le communiqué Jean-Yves Mano, adjoint au maire chargé du logement.
Alors que le débat sur les responsabilités fait rage et que Dominique de Villepin doit annoncer, jeudi, ses mesures en faveur du logement social, son ministre de l'intérieur, Nicolas Sarkozy, s'est cantonné à une rapide suggestion: "fermer tous ces squats et tous ces immeubles pour arrêter ces drames." "A force d'accepter des gens (...), on se retrouve dans une situation où on a des drames comme ça", a-t-il ajouté.
La préfecture indique qu'elle a "notamment" procédé, dès mardi, à l'évacuation du squat de la rue du Chalet (10e arrondissement). Elle entend aussi rappeler à leurs devoirs les propriétaires des immeubles dégradés, en renouvelant les "prescriptions fermes de remise en état dans des délais contraints", et organiser des visites des bâtiments signalés, par les services de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris. Elle précise avoir alerté le propriétaire de l'immeuble incendié, la société d'économie mixte Siemp, "à plusieurs reprises, notamment le 9 août dernier, à la suite d'une visite d'un architecte de sécurité de la préfecture qui a mis en lumière l'état général de vétusté de l'immeuble et les risques pour la sécurité de ses habitants". Mais "l'immeuble devait être progressivement vidé pour être réhabilité et ne faisait donc pas l'objet d'une demande d'expulsion de ses occupants", a-t-elle rappelé.
En fin de journée, le maire du 3e arrondissement, le socialiste Pierre Aidenbaum, a annoncé que "toutes les familles ont déjà reçu des propositions de relogement et que certaines d'entre elles sont parties visiter des appartements". Il a appelé à la régularisation des familles sans-papiers, tout comme l'ambassadeur de Côte d'Ivoire, "choqué" et "écœuré" par ce drame. Dans la soirée, quelque 150 personnes ont manifesté près de l'immeuble, rue du Roi-Doré, et observé cinq minutes de silence.
Avec AFP
LEMONDE.FR | 31.08.05 | 09h17
P our la troisième fois depuis le début de l'année, un incendie d'une particulière violence a embrasé un immeuble parisien et provoqué la mort d'au moins sept personnes d'origine africaine. La répétition, à quelques jours d'intervalle, d'un drame de cette nature accentue l'impression d'accablement qui saisit chacun et l'impuissance bien réelle des pouvoirs publics à prévenir ces catastrophes.
Dans la soirée du lundi 29 août, le feu qui s'est déclenché dans un squat situé rue du Roi-Doré, dans le Marais, a aussitôt pris des proportions alarmantes. Au petit matin, les pompiers ont rendu public un bilan provisoire: sept morts (dont un enfant) et trois blessés graves. La semaine dernière, l'incendie du boulevard Vincent-Auriol avait provoqué la mort de dix-sept personnes (dont quatorze enfants). En avril, les flammes avaient détruit l'Hôtel Paris-Opéra, tuant vingt-quatre personnes (dont cinq enfants).
La répétition ne signifie pas que ces drames sont en tous points comparables. Les occupants du Paris-Opéra étaient des ressortissants étrangers, sans-papiers recueillis à titre provisoire, provenant de divers pays européens et africains. Les habitants de l'immeuble du boulevard Vincent-Auriol, géré par une association caritative, étaient des Français d'origine malienne en attente, pour certains, d'un logement social depuis plus de dix ans. Les victimes du squat de la rue du Roi-Doré étaient des étrangers dépourvus de titres de séjour réguliers.
Mais cette différence des statuts ne peut pas masquer l'évidence: à chaque fois, ce sont des familles modestes, voire carrément démunies, essentiellement d'origine africaine, qui deviennent les prisonnières de bâtiments insalubres et surencombrés. A chaque fois, des femmes et des enfants périssent dans des feux ravageurs, sans que la rapidité et le courage des pompiers puissent être mis une seconde en doute.
Ce n'est bien sûr ni la première ni la dernière série d'incendies qui frappe des personnes vivant dans la précarité et réfugiées dans les centres de grandes villes. Trois feux avaient ainsi réduit en cendres des hôtels meublés vétustes, à Paris, en 1986, tuant dix-huit personnes au total. Des Grecs, des Turcs, des Africains et des personnes d'origine indochinoise. Ce simple rappel suffit à montrer que les pouvoirs publics n'ont pas su, en vingt ans, apporter une solution au problème du logement des populations fragiles.
La Ville de Paris a recensé voilà trois ans un millier d'immeubles insalubres. Un plan d'action a été tracé: rachat, réhabilitation. Il est en cours de réalisation. C'est mieux que rien, mais cela ne répond pas quantitativement à l'immense demande de logement social ni à l'envol, apparemment inexorable, du prix des loyers et du foncier, en règle générale. Face à la spéculation et au gonflement de la bulle immobilière, il serait temps d'affecter les crédits logement du "ministère Borloo" vers les plus pauvres au lieu de vouloir à tout prix privilégier l'accession à la propriété.
Article paru dans l'édition du 31.08.05
L e nombre de victimes s'est considérablement alourdi après le passage du cyclone Katrina, dont les vents ont balayé la Louisiane à plus de 220 km/h avant de s'abattre sur le Mississippi, l'Alabama et le Tennessee. Des premières estimations font état, mercredi 31 août, de "centaines de morts", alors que mardi, le bilan était de 54 morts.
La Nouvelle-Orléans, dont la plupart des 1,4 million d'habitants vivent en dessous du niveau de la mer, a été submergée à 80%, a indiqué le maire, Ray Nagin. Les deux aéroports sont sous les eaux, au moins trois des digues protégeant la ville ayant cédé. Une brèche de 60 mètres laisse se répandre dans la ville les eaux du lac Pontchartrain. "Notre ville est ravagée, a déclaré le maire. C'est comme un cauchemar dont on espère se réveiller." Il a fait état de corps flottant sur des eaux qui atteignent par endroits six mètres de profondeur. Des magasins d'électronique, des pharmacies et des supermarchés ont été dévalisés par les pillards.
Le gouverneur de la Louisiane, Kathleen Blanco, a dressé un tableau alarmant de la situation: "Il n'y a plus d'électricité, et il n'y en aura pas pendant un bon moment (...). Il n'y a pas d'eau potable (...). Et il n'y a pas de nourriture. Nous allons devoir en envoyer aux secouristes et aux rescapés", a-t-elle indiqué. Dans cette situation, qui menace de devenir une crise humanitaire, la Croix-Rouge a lancé une importante opération pour venir en aide à la population. Les communications téléphoniques, par fixe ou portable, sont très limitées, dans l'attente d'un réseau d'urgence. Et le seul axe routier qui relie encore la ville à l'extérieur a été réservé aux secours. Plusieurs incendies noircissaient le ciel, et les pompiers ne pouvaient y accéder.
Des milliers de personnes, qui n'avaient pas évacué la ville à l'appel des autorités dimanche, ont été tirées de l'eau ou hélitreuillées depuis le toit de leur maison, mais "le volume de travail restant à accomplir est ahurissant", selon Mme Blanco. Dans les rues inondées, où flottaient lignes électriques, conduites de gaz et débris, les sauveteurs ont parfois dû renoncer aux bateaux et recourir aux hélicoptères. Plusieurs hôpitaux, dont les générateurs d'urgence ont succombé aux flots, ont commencé à évacuer leurs patients par le toit.
Des centaines d'habitants, épuisés et trempés, avaient traversé dans la matinée le pont Saint-Claude, espérant s'abriter dans le stade couvert du Superdome, où quelque 10 000 personnes ont déjà trouvé refuge. Mais le gigantesque stade va être évacué, ont annoncé les autorités. Pour combler les brèches des digues, l'armée compte larguer par hélicoptère des sacs de sable de plus de 1 300 kg, et faire venir des conteneurs remplis de sable.
"On dirait qu'on a été victimes d'une explosion nucléaire", se lamente Hayes Bolton, 65 ans, qui monte la garde devant les ruines de son magasin de prêts sur gages à Biloxi, dans le Mississippi. Plusieurs centaines de personnes seraient mortes après qu'une vague de neuf mètres de haut se fut fracassée sur les côtes de l'Etat, selon un porte-parole de la municipalité. Des équipes de secouristes secondés par des chiens tentaient de détecter d'éventuels cadavres sous les décombres.
Selon le gouverneur du Mississippi, on dénombrerait environ 80 morts dans le secteur de Biloxi, mais sur place, plusieurs sources annonçaient un bilan beaucoup plus lourd, atteignant "plusieurs centaines" de morts. Cependant, l'incertitude demeure, les secouristes peinant encore à atteindre certains secteurs du golfe du Mexique touchés lundi par l'ouragan.
Dans toute la région, des habitants se sont réfugiés sur les toits pour échapper à la spectaculaire montée des eaux. Les gardes-côtes ont participé au sauvetage de 1 200 personnes à La Nouvelle-Orléans, lundi soir, et, mardi, de plusieurs milliers d'autres personnes le long de la côte du golfe du Mexique. "Ce que j'ai vu aujourd'hui ressemble à ce que j'ai vu en survolant les zones touchées par le tsunami en Indonésie. Il y a des endroits qui ont carrément disparu", a déclaré la sénatrice de Louisiane Mary Landrieu, après un survol des zones inondées.
Le président George Bush va écourter ses vacances dans son ranch de Crawford pour superviser les opérations de recherche et de reconstruction. Il doit présider une réunion de crise avec les représentants des quatorze organismes fédéraux impliqués dans les efforts de secours et de déblaiement. "Pour le moment, notre priorité est de sauver des vies", a-t-il déclaré.
Les gouverneurs des Etats affectés ont appelé à la rescousse plus de 7 500 membres de la garde nationale pour prévenir les pillages, déblayer et distribuer l'aide aux populations sinistrées. L'électricité, coupée pour près de cinq millions de personnes en Louisiane, dans le Mississippi, l'Alabama et la Floride, selon les fournisseurs, pourrait ne pas être rétablie avant plusieurs semaines. Les dégâts causés par Katrina pourraient atteindre un coût record: certains cabinets d'analyse des risques l'estiment à 26 milliards de dollars (21 milliards d'euros).
Avec Reuters et AFP
LEMONDE.FR | 31.08.05 | 08h37
"I l ne se passe vraiment rien ici" : cette complainte d'un photographe de la presse italienne, au deuxième jour de l'évacuation des colons de Gaza, représentait bien l'état d'esprit spontané du vaste corps de la presse, plus nombreux sur l'étroite bande de terre de quelques centaines de kilomètres carrés que sur tout le vaste, tumultueux et sanglant continent africain.
Huit mille juifs, répartis en 21 implantations, vivaient sur près d'un quart des terres de la bande, parmi un million et demi de Palestiniens. Ils en sont partis: certains de gré, d'autres de force. En Israël comme à l'étranger, certains avaient prédit l'apocalypse: des milliers de soldats désobéiraient. Des députés avaient prévenu: "Nous ne partirons du Goush Katif que dans un cercueil", ce serait un second Massada. Jusqu'au bout, certains rabbins prédisaient un miracle.
Il était juste et raisonnable de se retirer de Gaza. Huit mille israéliens ne peuvent vivre en dehors des frontières internationalement reconnues dans des oasis, même si leur ardeur les a fait germer, tandis que les Palestiniens vivent un quotidien sordide – même si c'est le destin que leurs leaders ont choisi pour eux.
Pourquoi Sharon a-t-il changé d'avis, lui qui était opposé, il y a deux ans encore, au retrait de Gaza ? Ce désengagement permet de reprendre l'initiative d'un point de vue diplomatique, de ne pas se voir dépasser par des propositions extérieures, de placer théoriquement les Palestiniens au pied du mur afin qu'ils démantèlent leurs réseaux terroristes.
Enfin, Sharon ne croit pas à la paix dans le contexte actuel. Ou, s'il y croit, il ne la voit qu'à long terme. Autant, alors, se replier sur des lignes plus défendables, tout en cherchant à consolider sa position sur les implantations dans la banlieue de Jérusalem.
Ce désengagement indispensable est cependant, pour Israël, une défaite, ou le révélateur d'une erreur d'analyse historique. Depuis 1967, Israël affirmait: "Nous ne quitterons les territoires qu'en échange de la paix." Aujourd'hui, Israël s'en va, sans rien obtenir en échange, si ce n'est la promesse du Hamas de tirs de roquettes sur les villes du Sud israélien.
Israël n'aurait sans doute jamais dû conquérir Gaza. Le zèle a joué contre la prudence et Gaza a été conquise. Israël s'était promis une occupation éclairée. Arrogance ! Même si une des premières mesures prises par Moshe Dayan, à l'issue de la guerre de six jours [juin 19 67 ] fut d'ouvrir les frontières de Gaza et de la Cisjordanie vers Israël. On a pu alors circuler librement. Il n'y avait pas de check-points, car il n'y avait pas d'attentats. Quand les Egyptiens occupaient Gaza [1949-1967], les Palestiniens ne pouvaient travailler ou même se rendre en Egypte...
Mais Israël occupait. Et toute occupation est insupportable aux populations conquises. Avec qui négocier ? Face au refus du monde arabe et des Palestiniens, Israël a laissé le mouvement des colonies se développer. Il fallait qu'il y ait des civils pour que les militaires trouvent une raison à leur présence. On parle de colonisation, mais les Israéliens tirent-ils des revenus de matières premières extraites d'une terre par des autochtones exploités, comme la France le faisait en Algérie ou en Nouvelle-Calédonie, l'Angleterre aux Indes ou les Portugais en Angola ?
La colonisation a été d'abord sécuritaire, ensuite idéologique. Elle aurait pu être évitée si une offre de paix s'était manifestée ou si les Israéliens étaient parfaits. Les Arabes n'ont pas voulu la paix et les Israéliens ne sont pas parfaits. Le problème de fond n'a cependant pas changé: les Palestiniens et le monde arabe sont-ils prêts à accepter qu'au Moyen-Orient se développe un Etat juif et indépendant ?
Il n'est pas encore midi et on s'ennuie un peu dans l'implantation de Netzer Hazani. On hésite à désigner le plus désagréable: la canicule, l'humidité, les mouches, nombreuses et agressives, ou l'absence de café. Régulièrement, quelqu'un crie: "Les soldats !" Les premières fois, tous se ruent vers la barrière de sécurité. Mais rien n'arrive, et tout le monde repart déçu. Les hommes continuent à prier. La religion est un solide appui pour cette vie consacrée au travail, à la famille, à l'amour et l'étude de la Torah. Dans combien de villages français de 700 habitants les gens parlent-ils plusieurs langues, étudient à l'étranger et font souvent partie d'unités d'élite ?
Je cherche à joindre les anciens camarades de mon unité de gardes-frontières. "On avait reçu l'ordre de sortir. Il a été annulé", me répond-on. L'armée est une longue attente, avec des périodes de rush. Ce sera sans doute pour demain, ou après-demain. Les soldats ont reçu des cours de psychologie pour procéder à l'évacuation. Exemple de question: "Vous entrez dans une maison, la famille dîne. Que faites-vous ? a) Vous les évacuez en laissant la nourriture sur la table. b) Vous les évacuez en emportant la nourriture. c) Vous mangez la nourriture et vous ne les évacuez qu'ensuite. d) Vous vous asseyez pour discuter en tentant de les convaincre."
L'action était bien pour le surlendemain. A Kfar Darom, devant chaque maison était constituée une force d'une vingtaine d'hommes et de femmes issus de la police, des gardes-frontières et de l'armée. Après le refus des habitants de partir, les portes ont été ouvertes. Certains ont été persuadés de sortir, il a fallu extraire les autres.
Les scènes étaient tristes, mais pas tragiques. Les familles seront raisonnablement indemnisées, pas envoyées vers une destination dangereuse. Scandaleuses, les scènes où certains sortaient les bras en l'air, une étoile de David cousue sur la poitrine. Honte à ceux qui traitaient de nazis les soldats qui les ont si longtemps protégés et sans lesquels ils auraient été égorgés !
Quant aux fanatiques, ces jeunes qui avaient promis de combattre et peut-être de se donner la mort ou de mourir, regroupés sur le toit de la synagogue, ils ont été évacués sans la moindre perte et avec quelques blessés légers. L'armée et la police leur ont permis de ne pas perdre la face devant les journalistes. Il est probable que certaines règles avaient été négociées auparavant: ces jeunes s'abstenant d'user d'une violence excessive, les forces d'intervention leur permettant de se montrer et, elles aussi, s'abstenant de frapper.
Jamais les forces de l'ordre israéliennes ne se sont montrées aussi courtoises. Il est vrai, comme l'ont écrit certains journaux israéliens, que jamais elles ne se sont conduites avec une telle délicatesse dans leurs confrontations avec les Palestiniens. Mais les excités sur le toit de la synagogue se sont contentés de lancer de la peinture, des oeufs et des tranches de pastèque. Pas d'armes à feu, de couteaux, de cocktails Molotov, ni même de pierres.
Ce n'était pas un combat, mais une simulation active, une scène destinée aux télévisions, signifiant: "Aujourd'hui nous renonçons, mais pour la Judée-Samarie ce sera un vrai combat, car cette terre est sacrée." Les récents attentats terroristes d'un colon juif et d'un soldat déserteur contre une population palestinienne civile innocente sont aussi un message de ces quelques irréductibles animés d'une vile passion antiarabe.
Je ne crois pas que la terre d'Israël ait été divinement promise. Pour ceux qui le croient, tout est facile. Ce n'est ni Dieu ni un messie qui sont parvenus à établir une indépendance politique juive en Palestine au XXe siècle, mais un mouvement séculaire. Les juifs y sont venus pour vivre en nation libre. Israël était le seul endroit où ils pouvaient établir leur indépendance: ils avaient là des droits non pas divins mais historiques et légaux.
Les Israéliens, dans leur grande majorité, sont prêts à revenir aux frontières de 1967. Des solutions d'échange de territoires peuvent être trouvées. Rien ne s'oppose à la création d'un Etat palestinien libre et indépendant, à condition que les Palestiniens renoncent à un droit de retour qui pourrait faire théoriquement des juifs une minorité dans leur propre Etat, et qu'ils renoncent au terrorisme. Arafat ne le voulait pas, Abou Mazen aura-t-il la force et le courage de l'imposer à son peuple ?
Personne ne sait comment tout cela se terminera. Ce n'est l'intérêt ni des leaders ni des médias de prévoir la paix à très long terme. Après tout, le conflit ne dure que depuis près d'un siècle. Celui qui oppose Anglais et Irlandais pour une même terre ne s'achève aujourd'hui qu'après quatre siècles de batailles.
Les menaces démographiques, stratégiques existent pour Israël. On peut se demander comment les dirigeants palestiniens pourraient proposer à leur peuple une solution qui leur apporterait moins que ce qu'ils auraient pu obtenir pacifiquement il y a bientôt soixante ans. Pourtant les deux peuples ont tant à gagner à s'entendre et tant à perdre à continuer le combat.
L'Allemagne et la France ont sacrifié des millions de leurs fils pour la guerre de 1914-1918 dont les petits Français et Allemands aujourd'hui seraient bien incapables de désigner les causes. Il est peut-être aussi inutile de chercher à prévoir l'avenir trop d'années à l'avance, et le peuple juif, qui a vécu aux temps des pyramides et du papyrus, est encore présent au temps des gratte-ciel et d'Internet.
par Arno Klarsfeld
Article paru dans l'édition du 31.08.05
A près l'affaire Danone, le gouvernement français a dévoilé, mercredi 31 août, dix secteurs industriels français qui pourront être protégés des OPA lancées par des groupes étrangers. Aux termes de ce projet de décret, cité par le ministère de l'industrie, seront protégés les casinos, les activités de sécurité, les biotechnologies, la production d'antidotes, le matériel d'interception des communications, la sécurité des systèmes informatiques, les technologies duales (relatives au civil et au militaire), la cryptologie, les marchés secret-défense, et l'armement. Cette liste ne sera définitive qu'après l'examen, en cours, du projet de décret par le Conseil d'Etat. Il permettra au gouvernement d'empêcher une fusion-acquisition, au cas par cas.
Beaucoup de ces secteurs sont directement ou indirectement liés à la sécurité nationale, et donc déjà éligibles à des mesures de protection, selon des économistes. Le gouvernement affirme pour sa part que "dans le travail de concertation avec Bruxelles", ces secteurs "n'ont pas été considérés comme relevant de la défense nationale". "Ça fait un peu pschiit", a commenté l'économiste Xavier Timbeau, économiste de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), qui estime que dans leur majorité, "ce sont des secteurs sur lesquels on peut à chaque fois évoquer une clause de type sécurité nationale".
La présence des casinos dans cette liste s'explique par leur utilisation possible pour le blanchiment de l'argent sale. La mention de la "production d'antidote" fait écho à la volonté exprimée en mars 2004 par l'ancien premier ministre Jean-Pierre Raffarin de veiller à préserver le potentiel scientifique de l'industrie pharmaceutique française dans la lutte contre le bioterrorisme. A l'époque, le groupe suisse Novartis cherchait à se rapprocher du groupe français Aventis (Sanofi-Aventis est le numéro un mondial de la production de vaccins).
Le projet de décret ne cite ni l'agroalimentaire, ni la grande distribution, ni le secteur minier ou pétrolier, à propos desquels des rumeurs d'OPA ont suscité l'inquiétude des milieux politiques français, s'agisssant du géant américain PepsiCo et Danone ou du groupe minier brésilien CVRD et Eramet, spécialisé dans le nickel, le manganèse et les aciers spéciaux.
Le gouvernement français promet qu'il respectera le droit européen. "Cela s'inscrit évidemment dans le cadre de la réglementation européenne stricto sensu", a assuré le ministre de l'économie, Thierry Breton, au micro d'Europe 1. "Chaque pays (de l'UE) a la possibilité de définir des secteurs dits 'stratégiques', conformes à l'intérêt national, par exemple dans le domaine de la défense ou des technologies sensibles", a souligné Jean-François Copé, porte-parole du gouvernement. "C'est dans ce cadre seulement que le gouvernement réfléchit à des dispositions qui pourraient être tout à fait comparables à ce qui se pratique dans d'autres pays membres de l'Union européenne."
La publication de la liste des secteurs sanctuarisés "donnera une bonne visibilité aux investisseurs étrangers", déclarait François Loos lundi dernier dans une interview publiée par le quotidien économique Les Echos. "Notre politique n'est pas de s'opposer par principe à tout rachat d'une entreprise française: elle est de renforcer la compétitivité et l'indépendance de nos entreprises et de faire en sorte qu'elles soient à armes égales avec leurs homologues étrangers", assurait-il. Le ministère de l'industrie mise ainsi sur le renforcement de l'actionnariat des entreprises françaises, souligne son entourage, notamment par la mise en place des PERP, sortes de fonds de pension à la française.
Le 27 juillet, après l'affaire Danone, le premier ministre, Dominique de Villepin, avait déclaré qu'il souhaitait "rassembler toutes nos énergies autour d'un véritable patriotisme économique". Le même jour, le président Jacques Chirac avait demandé au gouvernement de "renforcer le dispositif de protection de nos entreprises stratégiques", déplorant en conseil des ministres "l'absence de stabilité du capital de grandes entreprises" françaises.
Dans un éditorial du 31 août, le Financial Times dénonce la politique protectionniste du gouvernement français en matière de fusions-acquisitions, sous couvert de défense des intérêts nationaux, "alors que les entreprises françaises accumulent les rachats à l'étranger". Le quotidien britannique relève "un double langage typiquement français", accusant le gouvernement français de démagogie. "Il est difficile de résister à la conclusion que poser pour la galerie protectionniste est l'un des moyens utilisés par le gouvernement français pour tenter de retrouver une certaine crédibilité au lendemain de sa cuisante défaite au référendum sur la Constitution européenne", insiste le FT dans son éditorial. Ces réactions très critiques interviennent alors que le groupe français Saint-Gobain (verre, emballages, matériaux de construction) a confirmé mercredi son offre sur le plâtrier britannique BPB.
Toujours dans les colonnes du FT mercredi, David Willets, porte-parole du Parti conservateur britannique sur les questions de commerce et d'industrie, est encore plus véhément, accusant la France "de faire preuve de stupidité" et "d'appliquer deux poids, deux mesures". "Les Français semblent considérer que beaucoup de leurs entreprises sont liées à leur sécurité nationale", ironisait ce dernier, en référence aux craintes suscités en France en juillet par les rumeurs de rachat de Danone par l'Américain PepsiCo.
Avec Reuters et AFP
LEMONDE.FR | 31.08.05 | 18h56
L e ministre de l'économie, Thierry Breton, a revu à la baisse l'objectif du gouvernement en matière de croissance, indiquant, mercredi 31 août, sur Europe 1, qu'il était "entre 1,5% et 2%" cette année. C'est la première fois que le gouvernement cite comme bas de la fourchette le chiffre de 1,5%, qui est celui retenu par l'Insee. Le taux retenu jusqu'ici par le gouvernement était de 2%.
"Notre objectif est entre 1,5 et 2%. J'ai dit que le plafond était à 2%, on se bat de toute notre force, c'est vrai que c'est difficile, mais nous sommes clairement entre 1,5 et 2%", a-t-il dit. Mais, a-t-il souligné, "nous sommes en retournement de cycle depuis le mois de mai en France mais aussi en Europe. La conjoncture se retourne, les entreprises réembauchent". "Je le redis, le pire est derrière nous", a-t-il insisté, indiquant qu'une accélération de la croissance était perceptible depuis "fin mai début juin, et puis on la confirme en juillet, on la confirme en août".
"Les commandes industrielles sont à la hausse, les exportations sont bien meilleures que ce qu'elles n'étaient, notamment les exportations industrielles, les perspectives sont clairement au vert depuis le mois de juillet, l'activité industrielle repart à la hausse." "C'est vrai qu'il y a un décalage", concernant la consommation et le moral des ménages, a-t-il reconnu.
Avec AFP
LEMONDE.FR | 31.08.05 | 09h33
L e ministre de l'économie et des finances, Thierry Breton, a estimé sur Europe 1 qu'il fallait "simplifier" l'impôt sur le revenu, "le rendre plus juste, plus lisible", indiquant que la réduction du nombre de tranches était "une piste de bon sens".
"Il y a des blocages dans notre pays, on le sait, on parle en particulier de la fiscalité de l'impôt", a dit M. Breton. Interrogé plus particulièrement sur une réforme de l'impôt sur le revenu, il a déclaré avoir "beaucoup travaillé avec le premier ministre sur ce sujet". "De cette concertation, il ressort des choses assez évidentes aux yeux de tous les Français: c'est vrai qu'on a un impôt compliqué, c'est vrai qu'on a un impôt qui n'est pas assez lisible, c'est vrai qu'on a un impôt qui n'est pas toujours considéré comme étant juste. Il faut le simplifier, le rendre plus juste, le rendre plus lisible", a dit M. Breton.
A la question de savoir si le nombre de tranches serait réduit alors qu'il en existe sept actuellement, il a répondu "c'est une piste de bon sens, dans la mesure où elle peut bénéficier à ceux qui sont les plus fragiles". "Tous ces éléments seront pris en considération et seront annoncés demain par le premier ministre", a-t-il conclu, précisant qu'il s'agissait d'une "réforme très importante, très compliquée à mettre en oeuvre".
Dominique de Villepin donnera jeudi à 11 heures une conférence de presse pour faire le bilan de ses "cent jours" destinés à redonner confiance aux Français. Selon le quotidien Les Echos mercredi, Matignon s'est saisi d'un projet consistant à "réduire significativement le nombre des tranches" de l'impôt sur le revenu.
M. Breton a par ailleurs indiqué qu'une réforme de l'impôt sur la fortune "fait partie du paquet global". "Qu'il soit réaménagé dans le cadre global pour éviter les aberrations et surtout les effets pervers qui seraient contre-productifs pour la France", tout cela "a été pris en compte dans la réflexion du premier ministre". Il a indiqué qu'il participerait le 7 septembre prochain à une convention de l'UMP organisée par Nicolas Sarkozy sur la fiscalité et qu'il s'y exprimerait.
L e ministre français de l'économie, Thierry Breton, a revu à la baisse l'objectif du gouvernement en matière de croissance, indiquant mercredi 31 août, sur Europe 1, qu'il était "entre 1,5% et 2%" cette année. C'est la première fois que le gouvernement cite comme bas de la fourchette le chiffre de 1,5%, qui est celui retenu par l'Insee. Le taux retenu jusqu'ici par le gouvernement était de 2%. "Notre objectif est entre 1,5 et 2%. J'ai dit que le plafond était à 2%, on se bat de toute notre force, c'est vrai que c'est difficile, mais nous sommes clairement entre 1,5 et 2%", a-t-il dit.
Mais, a-t-il souligné, "nous sommes en retournement de cycle depuis le mois de mai en France mais aussi en Europe. La conjoncture se retourne, les entreprises réembauchent". "Je le redis, le pire est derrière nous", a-t-il insisté, indiquant qu'une accélération de la croissance était perceptible depuis "fin mai début juin, et puis on la confirme en juillet, on la confirme en août".
"Les commandes industrielles sont à la hausse, les exportations sont bien meilleures que ce qu'elles n'étaient, notamment les exportations industrielles, les perspectives sont clairement au vert depuis le mois de juillet, l'activité industrielle repart à la hausse". "C'est vrai qu'il y a un décalage", concernant la consommation et le moral des ménages, a-t-il reconnu.
L e nombre de demandeurs d'emploi de catégorie 1 a diminué de 25 600 en juillet (-1%), ce qui permet au taux de chômage de repasser sous la barre de 10% de la population active pour la première fois depuis octobre 2003, a annoncé mercredi 31 août le ministère de l'emploi. La baisse est de 1,2% pour les hommes et de 0,9% pour les femmes.
C'est le quatrième mois de baisse consécutif. Le chômage avait enregistré une baisse de 1,4% en juin. En un an le nombre de demandeurs d'emploi de catégorie 1 a reculé de 0,8%, précise le ministère (-1,1% pour les hommes et -0,4% pour les femmes). Le taux de chômage au sens du Bureau international du travail (BIT) était fin juillet de 9,9% de la population active.
La baisse du chômage sous la barre des 10% en juillet en France est une "bonne nouvelle", a déclaré sur Europe 1 le ministre de l'économie Thierry Breton. "Derrière ces chiffres il y a des hommes et des femmes qui retrouvent du travail", a commenté M. Breton. La lutte contre le chômage "est une priorité de longue haleine", mais "c'est la tendance qui est importante", a-t-il dit. Cependant le taux de chômage en France reste supérieur à la moyenne de la zone euro. Aussi, pour Thierry Breton, "la route est longue" et il faudra "se battre avec énergie" pour faire baisser durablement le chômage.
Reuters et AFP
LEMONDE.FR | 31.08.05 | 11h00
I l a connu le premier ministre à l'ENA (promotion Voltaire), mais il s'est engagé au côté d'Edouard Balladur, dont il fut le chef de cabinet à Matignon de 1993 à 1995, alors que Dominique de Villepin s'engageait pour Jacques Chirac.
Ce "péché originel" a été pardonné et, quand M. de Villepin lui a demandé de diriger son cabinet au ministère de l'intérieur, d'abord, puis à Matignon, il dit n'avoir pas hésité "trois secondes". Son parcours vaut à ce préfet un carnet d'adresses enviable et une réputation d'habileté.
Proche de Nicolas Sarkozy et de son principal lieutenant, Brice Hortefeux, respecté des chiraquiens et "bon camarade" de M. de Villepin, il peut être – dans le cas où les relations entre les patrons de la droite vireraient à l'aigre – celui qui assumera les pourparlers de paix dans la famille...
D u jour où ce jeune agrégé de lettres – normalien brillant mais énarque passable, passionné de Proust mais professeur peu enthousiaste – est entré dans le bureau de Villepin pour lui proposer des notes sur la situation intérieure, les deux hommes ne se sont plus quittés.
C'était en 1997, et rares étaient ceux qui, à cette époque marquée par la dissolution ratée, pariaient encore sur le hussard des chiraquiens.
Ce "villepinisme" paradoxal vaudra à M. Le Maire d'être de toutes les aventures ministérielles du chef du gouvernement, du Quai d'Orsay à Matignon en passant par la Place Beauvau.
"Plume" du premier ministre, il lui a consacré un livre (Le Ministre. Grasset, 2004) et les trois quarts de son temps. Si M. de Villepin le consulte plusieurs fois par jour, les deux hommes continuent de se vouvoyer.
U ne élue pour parler aux élus: "Ça aide pour comprendre le terrain". déclare Florence Berthout, chargée des relations avec le Parlement dans l'équipe du premier ministre. Conseillère (UMP) de Paris et d'Ile-de- France, cette chiraquienne a travaillé avec Jean-François Copé, chargé des relations avec le Parlement dans le gouvernement Raffarin et au Sénat, auprès de Josselin de Rohan puis du président du Sénat, Christian Poncelet.
De ces expériences, elle a gardé un solide réseau d'élus mis aujourd'hui à la disposition de M. de Villepin, qui avait la réputation d'en manquer. Depuis l'été, elle réunit autour du premier ministre une vingtaine d'élus qui ont pour mission de faire remonter "les impressions de terrain" et "les suggestions concrètes" sur l'emploi. Certains y voient déjà l'embryon d'un fan-club.
I l a été, dans le domaine économique, l'un des piliers du cabinet de Jean-Pierre Raffarin, dont il fut d'abord conseiller pour la macroéconomie avant de voir ses compétences étendues à la fiscalité puis à l'ensemble des affaires économiques et financières, emploi compris.
Elève de l'ENA de 1986 à 1988 (promotion Michel de Montaigne), coauteur avec Alain Demarolle d'Economie des taux d'intérêt (PUF, 1996), cet administrateur civil a effectué la plus grande partie de sa carrière dans une des grandes directions de Bercy, la direction de la prévision.
Il a également travaillé à l'OCDE et à la Banque de France comme macroéconomiste. Directeur adjoint du cabinet pour les affaires économiques, c'est lui qui a suivi, pas à pas, l'élaboration du plan de relance présenté jeudi 1er septembre.
A vant sa nomination comme directeur adjoint de cabinet pour les affaires sociales, Louis-Charles Viossat présidait aux destinées de l'Agence centrale des organismes de Sécurité sociale, dont il était le directeur général.
Spécialiste de la protection sociale, auteur d'un ouvrage sur les retraites, M. Viossat a dirigé le cabinet de Jean-François Mattei au ministère de la santé.
Elève de l'ENA entre 1990 et 1992 (promotion Condorcet), en poste à l'inspection générale des affaires sociales (IGAS), il fut aussi conseiller de Jacques Barrot et d'Hervé Gaymard (lorsqu'il était secrétaire d'Etat à la santé et à la Sécurité sociale).
Il a également travaillé à la Banque mondiale et est passé par le privé, ayant été directeur corporate affairs des laboratoires Lilly France, qui fabriquent l'antidépresseur Prozac.
C' est la juppéiste de coeur de l'équipe Villepin. Passionnée par les relations internationales, membre du staff de campagne de Jacques Chirac en 1995, elle a d'abord suivi Alain Juppé à Matignon. Une période noire où elle tentait vaillamment de convaincre ses interlocuteurs que son mentor "n'est pas l'homme que l'on croit".
Après la dissolution de 1997, elle l'a encore suivi à la mairie de Bordeaux, pour superviser la communication de la communauté urbaine et le lancement du tramway.
Ecarté de la vie publique après sa condamnation judiciaire, M. Juppé l'a recommandée à M. de Villepin, quand celui-ci est devenu ministre des affaires étrangères.
Depuis, elle s'efforce de démentir toute anicroche dans la mécanique gouvernementale.
LEMONDE.FR | 31.08.05 | 13h10
C itoyens Français issus de l'immigration comment votez-vous ? La réponse à cette question figure dans un document de 159 pages, intitulé "Rapport au politique des Français issus de l'immigration" qui a fait l'objet de plusieurs notes pour le gouvernement. Deux chercheurs du Centre d'étude de la vie politique française (Cevipof), Sylvain Brouard et Vincent Tiberj, ont cherché à savoir si ces Français se distinguaient du reste de la population quant à leurs attitudes et préférences politiques du fait de leurs relations à la religion, à l'Etat et aux valeurs culturelles.
Une majorité se montre favorable aux quotas Au chapitre des enjeux politiques, les Français issus de l'immigration africaine et turque placent le chômage au premier rang de leurs préoccupations, comme l'ensemble des Français, et la sécurité au dernier. Les problèmes d'intégration n'arrivent qu'en cinquième position (sur huit). "Cette indication tend à contredire un éventuel caractère communautaire des priorités", souligne l'étude. S'agissant de la politique d'immigration, les Français qui en sont issus sont pour 59 % d'entre eux tout à fait ou plutôt d'accord avec cette phrase: "On devrait réserver un quota d'emploi aux immigrés dans les administrations et les grandes entreprises" . Par ailleurs, 80 % sont favorables au droit de vote des étrangers non européens aux élections locales. Et 60 % se disent partisans de l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne, alors que, dans le reste de la population française, 64 % des personnes y sont défavorables. |
Leur étude concerne exclusivement les personnes d'origine africaine (maghreb et Afrique noire) et turque et vise donc de façon explicite celles qui ont potentiellement un lien avec l'Islam. Ce document, qui se conclut par un chapitre "Français comme les autres !" , n'a encore jamais été rendu public.
Alors que le ministre de l'intérieur, Nicolas Sarkozy, président de l'UMP, a fait de l'immigration l'un des sujets majeurs de l'élection présidentielle de 2007, l'enquête des deux chercheurs lève des idées préconçues. La gauche continue à devancer largement la droite dans les préférences partisanes bien que, paradoxalement, Jacques Chirac y apparaisse comme la personnalité politique préférée.
Basée sur la comparaison de deux panels, l'un spécifique sur les Français issus de l'immigration, l'autre sur l'ensemble des Français, l'étude relève d'emblée leur "attachement spécifique à la démocratie hexagonale". Ouvriers et employés d'origine immigrée portent un jugement positif sur la démocratie (respectivement 58 % et 59 %), alors que dans le reste de la population, elle est bien plus négative dans les classes populaires. Cependant, 23 % des Français issus de l'immigration ne sont pas inscrits sur les listes électorales, contre 7 % pour les Français du panel miroir.
Une autre distinction s'opère dans le rapport à la droite et à la gauche. Alors que 38 % des Français s'affirment "ni de droite ni de gauche", seuls 25 % des Français issus de l'immigration réfutent ce clivage. Ces derniers montrent même un attachement à la gauche particulier: 76 % se déclarent proches d'un parti de gauche, (contre 54 %) et ce, quel que soit le milieu social.
Agriculteurs, commerçants, chefs d'entreprise sont aussi à gauche, voire plus que les ouvriers. La crise de la représentation politique qui touche particulièrement les classes populaires paraît moins affecter les Français d'origine immigrés modestes qui, s'ils votent moins, acceptent paradoxalement mieux de se situer sur l'échiquier politique. Ce constat, notent les auteurs, "rappelle d'une certaine manière la stabilité des noirs américains à l'égard des démocrates" .
Dans ce contexte, le PS écrase les autres partis, révélant au passage que "les signes envoyés à la population des Français issus de l'immigration par le gouvernement Raffarin n'ont guère pesé" . Pour 51 %, le vote PS est "probable" et 25 % l'envisagent comme "possible" (contre 34 % de probables et 24 % de possibles dans le panel comparatif). Le PCF et l'extrême gauche arrivent loin derrière, même s'ils suscitent des probabilités de vote supérieures à ceux du reste de la population (17 % pour chacun d'entre eux). "Cette prédominance socialiste , jugent Sylvain Brouard et Vincent Tiberj, n'est pas due à un effet génération "marche des beurs" puisque, peu ou prou, la proximité partisane ne varie pas en fonction de l'âge".
Toutefois, cette fidélité apparaît relative. Il s'agit "de plus en plus" , en effet, d'un rapport "par défaut", d'un rejet de la droite, plutôt que d'une adhésion à la gauche. Les sondés ont marqué leur préférence en choisissant souvent le parti "dont ils se sentent le moins éloignés" plutôt que "les plus proches" . La gauche manque également, soulignent les chercheurs, "d'incarnation, de leader fort, ce qui n'est pas le cas à droite" . Ainsi, François Hollande, suivi par Dominique Strauss-Kahn – les deux seules personnalités socialistes testées – arrivent derrière.... Jacques Chirac.
"Il existe un rapport de sympathie particulier entre le chef de l'Etat et les Français issus de l'immigration africaine et turque (...) qui ne peut s'assimiler à du légitimisme et ne s'étend à aucune des autres personnalités de la droite modérée", affirment les auteurs. L'origine, selon eux, "est peut-être à rechercher dans les événements du 21 avril 2002", lorsque M. Chirac est apparu comme le dernier rempart contre l'extrême droite. Le refus de la guerre contre l'Irak a sans doute aussi pesé, même si l'étude n'en fait pas mention.
Cet "effet Chirac" ne bénéficie pas à son camp, alors même qu'au chapitre des valeurs, les Français issus de l'immigration se situent à mi-chemin entre la droite et la gauche, en alliant la solidarité et l'ambition individuelle dans le travail – "il ne semble pas que la culture de l'assistanat puisse s'appliquer à cette population, bien au contr aire", écrivent les auteurs.
Malgré les signaux envoyés par Nicolas Sarkozy, comme la nomination d'un préfet d'origine algérienne, ou ses déclarations en faveur de la discrimination positive, son appréciation par les Français issus de l'immigration, contrairement au reste de la population, est négative.
Isabelle Mandraud
Article paru dans l'édition du 31.08.05
Les Français issus de l'immigration africaine et turque se sentent plus proche des partis de gauche et préfèrent Chirac à Sarkozy.
R echercher des sponsors, c'est la première activité à laquelle se sont livrés Sylvain Bouard et Vincent Tiberj, les deux auteurs du "Rapport au politique des Français issus de l'immigration" afin de couvrir le coût de leur enquête (près de 100 000 euros), confiée à l'institut TNS-Sofres.
C'est en effet au titre de "soutiens" qu'apparaissent – en première page de cette étude – les noms du service d'informations du gouvernement (SIG), du Centre d'études du ministère de l'intérieur, de la Fondation nationale des sciences politiques, de la Fondation Jean-Jaurès, proche du Parti socialiste, et du Fonds d'action et de soutien pour l'intégration et la lutte contre les discriminations. "Ces institutions ont déjà travaillé avec le Cevipof. Jamais elles n'ont interféré dans notre travail, raconte Vincent Tiberj. Contactés, les partis politiques, eux, se sont montrés peu intéressés."
Principale difficulté de cette enquête réalisée entre le 8 avril et le 7 mai: la composition de l'échantillon de 1 003 personnes de plus de 18 ans censées représenter "la population française composée des immigrés d'Afrique et de Turquie devenus français par acquisition" et "les Français nés en France d'au moins un parent ou un grand-parent immigré d'Afrique ou de Turquie".
Pour y parvenir, la Sofres est partie d'un listing de 28 000 numéros de téléphone. Chaque personne interrogée s'est entendue demander sa nationalité et celle de ses ascendants, ce qu'autorise la CNIL (Le Monde du 16 juillet). Les réponses ont été réparties selon la méthode des quotas (sexe, origine, âge etc.) afin d'établir "l'échantillon représentatif". "Celle-ci nous a permis d'éviter les biais des précédentes enquêtes. En effet, sélectionner un échantillon par le patronyme ne permet pas de prendre en compte les familles mixtes, analyse M. Tiberj. De même, isoler la population d'un quartier privilégie les urbains au détriment des ruraux." La Sofres a enfin constitué un "échantillon miroir" de 1 006 Français en âge de voter, et interrogés entre le 13 et le 21 avril, afin de comparer les réponses des deux panels.
Pour M. Tiberj, cette analyse "inédite" dont "20 exemplaires papier" ont été diffusés depuis juin, "remet en cause beaucoup d'idées reçues": "Notre étude montre qu'être musulman ce n'est pas se retirer du modèle français, explique-t-il. Il n'y pas d'opposition à la laïcité et au système de méritocratie et l'identité nationale n'est pas en opposition avec le pays d'origine." L'enquête devrait paraître en novembre aux presses de Sciences-Po, sous un nouveau titre: "Des Français comme les autres ?"
Philippe Ridet
Article paru dans l'édition du 31.08.05
P lus à gauche que la majorité de la population française, les musulmans sont cependant plus conservateurs en matière de moeurs. C'est l'un des enseignements de l'enquête du Cevipof, qui a le grand mérite de dessiner, pour la première fois, les contours d'une identité musulmane à la française.
Celle-ci prend à rebours bon nombre de préjugés. C'est ainsi que les auteurs de ce rapport battent en brèche la notion de réislamisation. Première statistique étonnante: 20 % des populations issues de l'immigration africaine et turque se déclarent sans religion. Un chiffre pas si éloigné des 28 % de sans religion dans la population française. Il y aurait donc une "sortie de l'islam", comme il existe chez les populations de culture chrétienne une "sortie de la religion".
Des préjugés antisémites plus répandus L'enquête du Cevipof montre une présence importante des préjugés antisémites dans la population issue de l'immigration turque et africaine. 50 % des personnes interrogées approuvent la formule "On parle trop de l'extermination des juifs" (35 % de l'ensemble de la population française) et 39 % considèrent que "les juifs ont trop de pouvoir en France" (20 % dans la population française). En revanche, l'image d'Israël est légèrement plus négative dans l'ensemble de la population française (51 %) que dans celle issue de l'immigration (49 %). L'enquête met en évidence un lien entre la pratique religieuse et l'antisémitisme: "Il semble que l'intensité de la socialisation religieuse aille de pair avec le rejet des juifs de France, mais il est difficile de déterminer si c'est la fréquentation de la mosquée qui accroît le niveau d'antisémitisme ou bien si ce sont les musulmans déjà antisémites qui pratiquent plus." Enfin, l'antisémitisme est davantage répandu chez les Français d'origine turque. |
Autre enseignement surprenant de ce sondage: seulement 5 % des musulmans de l'échantillon souhaitent pour leurs enfants une scolarisation "dans une école privée coranique" . On peut regretter cependant l'emploi de ce terme d'"école coranique" (équivalent d'un catéchisme musulman) et non pas celui d'"école privée musulmane", qui conviendrait mieux.
Sur la pratique religieuse, les résultats obtenus par le sondage ne sont pas très différents de ceux mis en évidence par une précédente enquête IFOP-Le Monde de septembre 2001. Selon celle-ci, 20 % des musulmans déclaraient aller "généralement à la mosquée le vendredi" . Selon l'enquête du Cevipof, 21 % des personnes interrogées déclarent assister à un office religieux "au moins une ou deux fois par mois" .
Ces chiffres, qui ne sont pas très éloignés de ceux de la pratique chez les catholiques (12 % de pratiquants réguliers selon un sondage CSA-La Vie -Le Monde d'avril 2003), confirmeraient l'existence d'un processus de sécularisation à l'oeuvre chez les musulmans et un alignement sur les comportements du reste des Français.
On peut se demander si le critère d'assistance à un office religieux "au moins une fois par mois" est le plus pertinent pour juger de la pratique des musulmans. La participation à la prière collective du vendredi n'a pas un caractère d'obligation comparable à l'assistance à la messe dominicale dans le catholicisme. En transposant à l'islam la catégorie de ceux qu'on appelait jadis "les messalisants" (ceux qui vont à la messe), l'enquête se prive d'explorer des modes d'appartenance plus complexe.
De manière significative dans l'enquête, certains comportements de nature religieuse restent très prégnants: le jeûne du ramadan (respecté par 80 % des musulmans déclarés), l'absence de consommation d'alcool (77 % affirment n'en boire jamais), l'intention de se rendre en pèlerinage à La Mecque (81 %).
Ces pourcentages élevés semblent montrer la résistance, y compris chez les enfants de l'immigration, d'un islam conçu comme un mode de vie davantage que comme une pratique religieuse régulière. C'est ainsi que seulement 16 % de l'échantillon musulman affirment accorder "moins d'importance qu'avant à la religion" . 16 % affirment "pratiquer mieux" que leurs parents. Les auteurs de l'enquête en concluent un peu vite que cette attitude correspond aux tenants d'un "islam pur de tradition wahhabite".
L'enquête confirme l'adhésion massive des musulmans à la laïcité. 81 % des musulmans déclarés accordent à ce mot une valeur positive. Un tiers d'entre eux expriment leur désaccord avec la phrase: "Un musulman doit suivre les principes coraniques, même s'ils s'opposent à la loi française."
En ce qui concerne les mariages mixtes, là encore l'enquête va à rebours des préjugés: 65 % des musulmans ne s'opposeraient pas à ce que leur fille épouse un non-musulman.
Les populations issues de l'immigration se montrent en revanche fortement conservatrices en matière de moeurs: 39 % ne sont pas d'accord avec la proposition "l'homosexualité est une manière acceptable de vivre sa sexualité".
L'enquête du Cevipof dessine donc ce paradoxe frappant: il existe une identité musulmane conservatrice en matière de moeurs et qui se situe pourtant à gauche, comme si la préoccupation sociale de cette population qui reste généralement modeste reprenait le dessus.
Xavier Ternisien
Article paru dans l'édition du 31.08.05
H arvey Jackson pleure devant la caméra de WKRG, une chaîne de télévision locale du Mississippi. Cet homme d'une quarantaine d'années, accompagné de deux enfants, a perdu la trace de son épouse, Tonette. "Ma femme, je peux pas trouver son corps, elle a disparu", souffle-t-il, entre deux sanglots. Leur maison s'est fendue en deux, après avoir été frappée par la vague qui a dévasté Biloxi lundi 29 août. "Nous sommes montés sur le toit. Je lui tenais la main aussi fort que je pouvais. Elle m'a dit "Tu ne vas pas pouvoir me tenir. Occupe-toi des enfants"", raconte-t-il, le regard perdu.
Devant les journalistes, la voix de Vincent Creel se brise aussi. "Des gens sont toujours prisonniers des décombres dans leurs greniers ou au dernier étage de leur maison. Nous tentons de les secourir. Nous découvrons des corps par dizaines et leur nombre ne cesse d'augmenter. Il pourrait atteindre des centaines. La ville de Biloxi est décimée, c'est terrifiant". Vincent Creel est le porte-parole de la municipalité de cette station balnéaire du Mississippi, dont les 50 000 habitants ont eu le malheur de se trouver exactement sur le passage du cyclone Katrina. Une vague géante de 10 mètres a balayé la localité, laissant derrière elle des milliers de sans-abri. "C'est notre tsunami à nous, résume A. J. Holloway, le maire. Nous en sommes toujours au stade des recherches et des secours d'urgence. Nous sommes incapables de savoir combien de personnes ont péri." Selon le gouverneur du Mississippi, Haley Barbour, la police a dénombré de 50 à 80 victimes dans le seul comté de Harrison, sur la côte; le bilan devrait nettement s'alourdir en prenant en compte les comtés voisins.
A Biloxi, des maisons en bois ont été pulvérisées, des bateaux ont été précipités dans les arbres, des voitures ont été jetées contre des maisons. Les casinos flottants qui attiraient les touristes ont rompu leurs amarres et ont été traînés à l'intérieur des terres. Les 200 policiers de la ville, privés de moyens de transport et de communications, attendent des renforts avec impatience. Plusieurs ponts reliant les villes de la côte ont été emportés et la principale autoroute menant à Biloxi était impraticable. Le long du front de mer, le cyclone a anéanti petits commerces et maisons individuelles. Le spectacle est irréel, des marches menant nulle part, des piles de débris parfois hautes de 2 mètres, regorgeant d'effets personnels happés par les flots qui ont éventré les maisons. Des appartements de Quiet Water Beach (littéralement "la plage de l'eau calme"), il ne reste qu'une dalle de béton et un tas de briques rouges. Landon Williams, ouvrier de 19 ans, avait choisi de rester dans son appartement. Il s'est enfui avec sa grand-mère et un oncle quand l'immeuble s'est effondré. En nageant parmi les débris, "nous avons regardé les appartements se désintégrer. On entendait les gros morceaux de bois craquer et se briser", a-t-il raconté.
Le gouverneur de Louisiane, Kathleen Blanco, a décidé l'évacuation totale de La Nouvelle-Orléans dont les digues ont cédé et qui est menacée d'être submergée. Le président George Bush, lui, écourte ses vacances dans son ranch de Crawford, au Texas. Il devait rentrer mercredi à Washington pour suivre les opérations de secours.
Eric Leser
Article paru dans l'édition du 01.09.05
M atignon a beau démentir tout dispositif institutionnel de communication politique, Dominique de Villepin a constitué autour de lui un véritable "think tank" pour mettre en musique son action. Bien sûr, il est rare qu'un premier ministre ne se préoccupe pas de la mise en scène de son action. Depuis quinze ans, la communication du chef du gouvernement est même l'un des gros postes de dépenses plus ou moins officiel de Matignon. Mais il est inhabituel qu'un chef de gouvernement s'y soit autant préparé... bien avant de parvenir au poste.
Certes, son prédécesseur Jean-Pierre Raffarin était un spécialiste du marketing. Villepin, lui, a une longue expérience de la communication politique, y compris en période de crise. Quand il occupait le poste de secrétaire général de l'Elysée (1995-2002), il concevait d'abord son rôle auprès de Jacques Chirac comme celui d'un agitateur d'idées doublé d'un stratège en manipulation des médias.
Même ses débuts furent marqués de ce sceau. C'est à la direction du service de presse de l'ambassade de Washington (1986-1989) que le jeune diplomate qu'il était alors s'est vraiment fait remarqué.
A Matignon, "la com, c'est d'abord lui". résume donc l'un deses principaux collaborateurs. "Villepin utilise des stratégies de communication pour faire bouger le système au fond". nuance un autre de ses conseillers. Il s'y est attelé depuis longtemps.
Dès l'automne 2004, alors qu'il est encore ministre de l'intérieur, le voilà qui prépare déjà avec son directeur de cabinet, Pierre Mongin, et son conseiller politique, Bruno Le Maire, tous deux reconduits dans les mêmes fonctions à Matignon, la feuille de route de son action future et sa mise en scène.
Depuis la fin 2004, ils sont aidés dans cette tâche par des consultants externes: Bernard Sananès, directeur général adjoint du cabinet Euro RSCG, que lui a présenté Jacques Séguéla (rencontré à l'Elysée du temps de François Mitterrand, quand M. de Villepin était directeur de cabinet du ministre des affaires étrangères Alain Juppé, de 1993 à 1995) et Philippe Méchet, l'ancien directeur des études politiques de la Sofres, aujourd'hui sous contrat avec Matignon.
Tous les quatre, ainsi que Véronique Guillermo, la responsable du service de presse, lui servent de "capteurs" et de partenaires de "ping-pong stratégique".
Quand M. de Villepin est nommé, le 30 mai, sa stratégie pour les deux prochaines années est donc prête. "Il est arrivé avec une vision claire, écrite et très phrasée de ce qu'il allait faire". constate un collaborateur. Des objectifs clairs et limités, un rythme de communication régulier et accéléré: tous les ingrédients qui constitueront bientôt la marque de fabrique du nouveau premier ministre.
Si Jean-Pierre Raffarin donnait l'impression d'être dépassé par les événements et de monter au front sur tous les sujets, M. de Villepin surprend, le 8 juin, avec une déclaration de politique générale resserrée sur un seul thème: l'emploi.
L'annonce du choix de la procédure des ordonnances pour instaurer un nouveau contrat de travail dans les petites entreprises lui permet d'aller vite. "Il s'agissait aussi de priver Nicolas Sarkozy du monopole de l'action et de l'activisme". résume un proche.
Même si, au jour le jour, le premier ministre est très présent sur tous les arbitrages gouvernementaux, il l'est encore davantage sur le chômage. En juin et juillet, chacun de ses déplacements de fin de semaine y a été consacré. Et, signe des temps, à Matignon, la réunion hebdomadaire des directeurs de communication ne réunit plus que les représentants des ministres directement associés au plan de lutte contre le chômage.
Professionnel et perfectionniste, le premier ministre assure aussi la "communication interne". Le 7 juillet, il s'invite par surprise à une convention des directeurs d'agence ANPE pour galvaniser les troupes sur le plan de cohésion sociale. "C'est plus utile que de mobiliser les préfets !". tranche- t-on à Matignon.
Le deuxième acte de l'action du premier ministre a été préparé avec le même soin. Son démarrage a été fixé au 1er septembre, au lendemain de l'annonce d'une baisse du chômage, qui repasse sous la barre des 10%.
Heureux hasard du calendrier ? Ce serait faire injure aux stratèges de la communication qui entourent le premier ministre ! A commencer par lui-même. Dès la mi-juillet, le ministère du travail avait communiqué au chef du gouvernement des premiers indicateurs qui laissaient entrevoir un retournement de tendance, après la baisse constatée depuis juin.
La date du 1er septembre a donc été choisie pour faire coup double: rebondir sur les chiffres du chômage et griller la politesse à Nicolas Sarkozy, qui s'exprimera à l'université d'été des Jeunes populaires le 4 septembre, et lors de la convention fiscale de l'UMP le 7.
Le premier ministre juge n'avoir plus qu'une année utile avant le début de la campagne présidentielle de 2007. Et le scénario de ces douze mois est écrit: emploi, rémunération du travail, formation et éducation. Sa garde rapprochée a déjà son slogan: travailler "pour le moyen et long terme".
Christophe Jakubyszyn
Article paru dans l'édition du 01.09.05
B londe, rose, ronde, Catherine Vautrin arrive la première, comme un tourbillon. En deux minutes, la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité s'attache à démolir Renaud Dutreil, ministre des PME, son rival pour la mairie de Reims aux municipales de 2008. Lui n'arrivera qu'avec "la charretée de ministres", dit-elle.
Mme Vautrin a plusieurs heures devant elle pour poser au côté de Jacques Chirac qui visite, mardi 30 août, à Pomacle, le site d'ARD, une raffinerie végétale qui transforme les céréales en autobronzant, détergent ou carburant. Et elle pose, sûre d'elle. Le samedi précédent, en visite dans la région, le président de l'UMP, Nicolas Sarkozy, lui a affirmé qu'elle " était, est et restera rémoise." Les élus présents ont pris cela comme une assurance d'investiture.
Cette bisbille gouvernementale n'est qu'un amuse-bouche. Juste avant que le président de la République, qui effectue son premier déplacement en province pour la rentrée, n'arrive au palais des congrès de Reims, le premier ministre, Dominique de Villepin, et le ministre de l'intérieur s'affrontent à fleurets mouchetés.
Tous les micros, comme à l'ordinaire, sont braqués sur M. Sarkozy, tandis que le chef du gouvernement s'entretient avec les "vrais gens". "Cette proximité est formidable", dit une dame, radieuse, au premier ministre. Très occupé avec la presse, le ministre de l'intérieur lance crânement: " Eh, Dominique, il faut m'aider !" L'intéressé, glacial: " Vous vous débrouillez très bien tout seul."
M. Sarkozy est de méchante humeur. Il devait intervenir, ce mardi, à l'université d'été du Medef. Réquisitionné par l'Elysée pour accompagner le président à Reims, avec le premier ministre, le ministre de l'économie, Thierry Breton, le ministre de l'éducation nationale, Gilles de Robien, M. Dutreil et Mme Vautrin, il a dû annuler sa prestation. Lorsqu'on lui demande s'il est content d'être là, il grince: " Il fait beau". Le ministre de l'intérieur n'a pourtant aucune peine à justifier sa présence dans la mise en scène présidentielle sur les pôles de compétitivité, thème de la journée: "C'est moi qui les ai lancés", assure-t-il.
Sur l'estrade, où l'on a pris soin de placer M. Dutreil et Mme Vautrin le plus loin possible l'un de l'autre, M. Sarkozy s'ennuie ferme, pendant les discours. Son pied bat nerveusement, comme naguère celui de Jacques Chirac. Il suit cependant des yeux, en souriant, les allées et venues de Claude Chirac, dans la salle. Le président, très patriarche, ayant terminé sa grande déclaration sur la compétitivité de la France, s'entretient une minute avec le ministre de l'intérieur et le premier ministre. Il est ostensiblement aimable avec les deux hommes. Mais M. Sarkozy file à toute allure: il ne participe pas au déjeuner de M. Chirac avec les ministres, lassé de faire de la figuration.
Qu'il est difficile d'afficher la cohésion quand les ambitions se bousculent au gouvernement ! Depuis la rentrée, à droite, chacun a compris que les rivalités allaient encore s'aiguiser. "Villepin, il arrive doucement à la présidentielle", lâche tout de go un ami de longue date de Jacques Chirac. "Dominique monte tranquille. Il est parti d'assez bas, il ne peut que grimper. Sarkozy est monté très haut, il ne peut que descendre", analyse ce vieux routier, sans négliger les atouts du ministre de l'intérieur: son intelligence politique, ses réseaux, la formidable machine de l'UMP, la vénération des jeunes de droite.
Et le président ? Même ses amis le jugent hors course. Selon L'Express du 29 août, le patron François Pinault considère en privé qu'il faut désormais tourner la page et a dîné au mois d'août avec M. de Villepin.
Pour l'instant, rien ne grince entre l'Elysée et Matignon. La poignée de députés qui font des notes pour les deux maisons s'extasie de la fluidité des relations: "Quand on envoie des papiers aux uns, ils nous demandent de faire suivre par mail aux autres." Lorsque l'otage de France 3 a été libéré le 22 août, à Gaza, le président a appelé M. de Villepin pour lui dire: "Annoncez-le".
Mais chacun est attentif à l'autonomisation progressive du premier ministre. "Croyez-vous qu'il ait demandé la permission de qui que ce soit pour s'exprimer sur la Turquie le 2 août ?", demande un ministre. Et plusieurs membres du gouvernement, qui savent pourtant qu'"avec Chirac, on ne prend son autonomie que s'il vous la donne", sont persuadés que M. de Villepin mènera sa propre politique économique en imposant ses choix au président.
Béatrice Gurrey
Article paru dans l'édition du 01.09.05
P our le quatrième mois consécutif, le taux de chômage est à la baisse et repasse, fin juillet, sous la barre symbolique des 10%. Est-ce une tendance durable ?
Ce qui importe, ce n'est pas tant la baisse que l'inversion du flux. Après des années de hausse quasi ininterrompue, depuis 2001, nous enregistrons depuis quatre mois une stagnation puis des microbaisses et, enfin, aujourd'hui, des chiffres lisibles, significatifs. La tendance est structurellement à la baisse même si elle n'exclut pas tel ou tel mois ponctuel à la hausse.
"Une tendance insignifiante", pour la CGT Le secrétaire général de la CGT, Bernard Thibault, a indiqué que "la tendance est insignifiante, la baisse infinitésimale". "Quand on vit le chômage, il n'y a pas de barre symbolique des 10%. Compte tenu de la masse du nombre de chômeurs, la diminution enregistrée est de l'ordre de la marge d'erreur dans les statistiques". estime M. Thibault. Le numéro un de la CGT souligne que ces chiffres révèlent toujours "une grande précarité de l'emploi, deux emplois sur trois étant des CDD -contrat à durée déterminée- ou du temps partiel". De son côté, le secrétaire général de FO, Jean-Claude Mailly, a déclaré, mercredi 31 août, sur France 2, que la poursuite de la baisse du chômage provenait de deux éléments: "D'abord un nombre de radiations qui, comme le mois précédent, a été assez importante; et un deuxième élément, le traitement social du chômage, que l'ancien gouvernement avait abandonné et qui est en train de remonter." M. Mailly a aussi indiqué que, "si on veut créer de vrais emplois et non pas des emplois précaires, il faut qu'une croissance économique puisse se produire". |
Cette baisse est-elle uniquement liée à votre plan de cohésion sociale ?
Chacun tirera ses conclusions. Je remarque que mon "usine à gaz", comme certains la qualifiaient, commence à produire ses effets: les chiffres de l'apprentissage connaissent une forte hausse de 11,6%, le chômage des jeunes recule de 2,5%, et l'entrée en alternance augmente de 16,3%... Ces éléments sont liés. J'avais dit que ce plan commencerait à produire ses effets au deuxième semestre. Je pensais que le chômage pouvait baisser de 3 points en cinq ans.
Votre politique consiste en partie à recréer des emplois aidés...
Non, il ne s'agit pas que d'emplois aidés. On va vers une société de l'alternance entre la formation et l'emploi. La vision d'un parcours professionnel, avec un contrat dans une entreprise unique et, peut-être, le chômage avec son traitement administratif, ne correspond plus à la réalité d'aujourd'hui. Dans notre société, il faut d'abord sécuriser les parcours, avec de la formation, des périodes de réadaptation, de perfectionnement, que ce soit dans le secteur public, le parapublic ou le privé.
Une partie de la droite vous reproche cependant de privilégier le "traitement social" du chômage au détriment de l'incitation à un retour à l'emploi.
Et alors ? Le vrai problème aujourd'hui, c'est la crise du recrutement. On le voit bien dans les secteurs moteurs que sont le logement et les services à la personne, où il y a des emplois disponibles. Il faut mieux organiser la gestion des ressources humaines du pays, c'est le coeur de ma politique. Beaucoup de personnes travaillent dans des conditions difficiles, parfois quinze, vingt heures par semaine, faute de pouvoir travailler encore davantage, et parcourent 40 kilomètres pour se rendre à leur travail. Les Français sont des bosseurs, il faut le dire.
Le premier ministre, Dominique de Villepin, boucle ses cent jours à Matignon. A-t-il eu raison de fixer cette première échéance à son action ?
Annoncé poète et littéraire face à un Sarkozy pragmatique et efficace, il devait mettre en avant son volontarisme. A ce titre, les "cent jours" l'ont démontré.
Ce résultat encourageant sur le chômage peut-il permettre à M. de Villepin de nourrir une ambition présidentielle ?
D'abord, la bataille contre le chômage n'est pas gagnée, même si, en plus du plan de cohésion sociale, les nouvelles mesures, notamment le contrat nouvelles embauches, démarrent très vite. L'emploi reste l'obsession du gouvernement.
Ensuite, son action et son image seront jugées par les Français tout au long de sa mission, dans les succès comme dans les difficultés. Certes, sa nomination à Matignon a probablement changé, pour lui, la donne. Mais je peux vous assurer qu'il n'est pas dans un calcul personnel. De plus, il connaît assez bien les vicissitudes de la vie politique pour se tenir à l'écart des jeux tactiques.
La candidature déclarée de Nicolas Sarkozy à la présidentielle de 2007 perturbe-t-elle la vie gouvernementale ?
En aucune façon. Nicolas ne fait pression ni sur les hommes ni sur l'action. Au risque de vous décevoir, je ne perçois pas "l'omniprésence" ou l'"activisme" de Nicolas Sarkozy. Je trouve qu'il n'excède pas les limites de sa fonction et qu'il est même très ministre de l'intérieur. Cette organisation, annoncée par certains comme improbable, fonctionne bien. Les remarques de Nicolas aident à la prise de décision de Dominique.
Pourtant, ses critiques sur le modèle social français vous visaient aussi...
Première remarque, il s'exprimait en tant que président de l'UMP. Deuxième remarque, on met tout sous cette appellation de "modèle social". Je n'ai jamais pensé qu'il fallait continuer comme avant, sans rien changer, mais s'il faut tout déréguler comme le pensent certains, alors je m'y opposerai.
Il ne sert à rien de critiquer notre modèle social, il faut encore proposer des solutions. Prenons l'exemple du contrôle des chômeurs et la polémique qui l'a accompagné. Ce problème a été réglé dès lors qu'on a transformé le "contrôle" en "suivi" et en "accompagnement" des demandeurs d'emploi. S'il s'agit de substituer à un système basé sur les seules allocations, un nouveau modèle construit sur la gestion des ressources humaines et l'incitation, alors je suis d'accord.
Propos recueillis par Rémi Barroux et Philippe Ridet
Article paru dans l'édition du 01.09.05
A u cœur de l'été, l'affaire Rhodia a connu un nouvel épisode. Il est apparu que, derrière cet austère dossier financier, se dissimulaient des pratiques relevant de l'espionnage économique et visant les deux principaux plaignants de cette enquête, Hugues de Lasteyrie et le banquier Edouard Stern, assassiné le 1er mars, à Genève, par sa maîtresse. MM. de Lasteyrie et Stern sont considérés par un certains nombre d'autres actionnaires de Rhodia comme des spéculateurs.
Incident lors d'une perquisition La spectaculaire perquisition menée, le 27 juin, dans les bureaux du ministre de l'économie et des finances, Thierry Breton, présent ce jour à l'ONU, à New York, a été le théâtre d'un incident resté inconnu à ce jour. Alors que les deux juges chargés d'enquêter sur l'affaire Rhodia s'affairaient à recenser les pièces qui pouvaient intéresser leurs recherches dans le bureau de M. Breton, à Bercy, l'un des policiers de la brigade financière qui les accompagnaient s'est aperçu que le conseiller juridique du ministre enregistrait les magistrats à leur insu. L'intéressé, Jean-Baptiste Carpentier, a été interpellé et auditionné. Il est apparu qu'il avait enregistré les propos des juges d'instruction à l'aide de son "Palm", sorte d'assistant personnel électronique pouvant servir, à l'occasion, de magnétophone, qui été saisi. Sollicité par Le Monde. l'intéressé s'est refusé à tout commentaire. Mais devant les policiers, il avait indiqué que cette démarche équivalait à une simple prise de note et qu'il n'agissait en aucun cas sur ordre de son ministre. Il s'agissait selon lui d'"un malentendu". |
La justice a découvert, le 13 juillet, que deux rapports d'enquêtes réalisées sur Edouard Stern avaient été soumis à l'ancien président de France Télécom, Thierry Breton, actuel ministre de l'économie et des finances.
Quelques jours plus tôt, les enquêteurs avaient mis la main sur une étude effectuée, pour le compte de Rhodia, sur M. de Lasteyrie.
Interrogé, mardi 30 août, le ministre des finances a expliqué qu'après avoir effectivement pris connaissance d'un rapport réalisé par la société Sécurité sans frontières (SSF), il avait signifié une fin de non-recevoir et qu'aucune facturation n'avait été adressée à France Télécom.
Edouard Stern et M. de Lasteyrie sont à l'origine de cette enquête.Ils ont porté plainte pour diffusion de fausses nouvelles, présentation de comptes inexacts et abus de biens sociaux.
Leurs accusations visent notamment Jean-Pierre Tirouflet, président de Rhodia au moment des faits, Jean-René Fourtou, en qualité de patron d'Aventis, principal actionnaire, passé depuis à la tête de Vivendi, et Thierry Breton, administrateur et président du comité d'audit de Rhodia jusqu'en 2002. Jusqu'à présent, cette affaire n'a débouché sur aucune mise en examen.
Ces nouveaux éléments étayent les soupçons de surveillance dont ces deux financiers affirmaient être l'objet.
L'un des associés d'Edouard Stern, à New York, avait découvert, fin 2004, un système d'écoutes dans son téléphone. Fin juin, une enquête préliminaire a été ouverte au parquet de Paris à la suite de la plainte de M. de Lasteyrie et de son avocat, Philippe Champetier de Ribes, pour atteinte à la vie privée. Leurs ordinateurs et leurs domiciles auraient été visités.
Le 27 juin, lors de la perquisition du siège de Rhodia, les policiers découvrent qu'une société d'intelligence économique, Egideria, a enquêté sur M. de Lasteyrie pour le compte de l'entreprise.
Quatre mois plus tôt, le 11 mars, M. Lasteyrie avait affirmé, devant les juges, être l'objet de filatures organisées par Egideria avant de faire état des menaces qui pesaient sur lui et Edouard Stern. Selon lui, "un certain Joël Rey avait accepté un mandat de Jean-René Fourtou et de Claude Bébéar pour constituer un dossier de moeurs sur Stern et le déstabiliser".
Le dirigeant d'Egideria, Yves-Michel Marti, prestataire de Rhône-Poulenc puis de Rhodia depuis une dizaine d'années, a expliqué aux policiers qu'il s'agissait de savoir s'il n'y avait pas d'autres intérêts financiers derrière M. de Lasteyrie.
Le rapport, facturé près de 30 000 euros, détaille l'ensemble des avoirs de M. Lasteyrie, domicilié en Belgique, et ses biens personnels. "Je ne suis pas autorisé à commenter les prestations que je réalise pour mes clients", a indiqué au Monde M. Marti.
Quant aux recherches menées sur "Joël Rey", dont le nom a été cité par M. Lasteyrie, elles ont permis, comme l'a indiqué le Journal du dimanche, fin juillet, de remonter jusqu'au dirigeant de la société Astarte, auteur, pour le compte de Sécurité sans frontières (SSF), de deux rapports sur Edouard Stern.
SSF, créée en 2000 et rachetée, fin 2004, par la Sofema, ancienne émanation du ministère de la défense, est spécialisée dans la sûreté des entreprises et la protection des expatriés.
SSF est présidée par Frédéric Bauer, ancien directeur de la sécurité chez Dassault, secondé par Pierre-Jacques Costedoat, qui fut directeur des opérations de la DGSE et gouverneur militaire de Paris.
Selon M. Costedoat, interrogé par Le Monde, les rapports concernant Edouard Stern ont été "présentés et commentés" à M. Breton sans que celui-ci n'ait commandé cette enquête, qui ne relevait que "d'une offre commerciale sans suite, qui n'a pas été rémunérée".
Le premier rapport propose de recenser et de décrire les adversaires du financier puis d'approfondir ses relations avec Vincent Bolloré et Albert Frère.
L'auteur passe en revue un certain nombre de chefs d'entreprise et de présidents de banque et s'arrête sur le cas de Claude Bébéar, fondateur d'Axa. Ce dernier est présenté par SSF comme la tête de réseaux qui ont tout intérêt à réduire "la nuisance" d'Edouard Stern. Le deuxième rapport traite du parcours personnel du banquier disparu.
L'actuelle direction de France Télécom a indiqué que l'entreprise est sous contrat depuis plusieurs années avec SSF pour des prestations de sûreté et pour la protection des expatriés. Le directeur des relations humaines, Olivier Barberot, a ajouté que SSF s'occupait de la protection personnelle des présidents de France Télécom. La direction a ajouté que les collaborateurs de M. Breton n'avaient pas été informés de ce rapport.
Le porte-parole de France Télécom, Marc Meyer, a confirmé que l'entreprise n'avait jamais "commandé ni payé une telle étude". Lors de leurs recherches, les policiers ont, néanmoins, trouvé la trace d'une facture de 11 960 euros liée à ces rapports et adressée, le 24 février, à France Télécom. Le 3 mars, pourtant, cette même facture était annulée.
Des experts ont été commis par les juges chargés de l'affaire, Henri Pons et Jean-Marie d'Huy, afin d'effectuer des recherches sur les disques durs et agendas saisis à France Télécom dont ceux de l'actuel président, Didier Lombard, et de son prédécesseur, Thierry Breton, de Jean-Yves Larrouturou, secrétaire général du groupe, et d'Olivier Barberot. L'avocat des sociétés d'Edouard Stern s'est refusé à tout commentaire.
Jacques Follorou
Article paru dans l'édition du 01.09.05
"L e travail doit payer". Dominique de Villepin a trouvé le mot d'ordre de la grande réforme fiscale qu'il doit annoncer, jeudi 1er septembre. Il a choisi de s'attaquer à une réforme en profondeur de l'imposition des personnes physiques, à travers l'impôt sur le revenu et la prime pour l'emploi. A quelques heures de ses derniers arbitrages, le premier ministre a désormais les idées claires sur ce qu'il veut proposer aux Français.
Révision à la baisse de la croissance en 2005 Le ministre de l'économie, Thierry Breton, a revu à la baisse l'objectif de croissance, indiquant, mercredi 31 août sur Europe 1, qu'il était "entre 1,5% et 2%" cette année. C'est la première fois que le gouvernement cite, comme bas de la fourchette, le chiffre de 1,5%, qui est celui prévu par l'Insee. Le taux retenu jusqu'ici officiellement était de 2%. Toutefois, a-t-il souligné, "nous sommes en retournement de cycle depuis le mois de mai en France mais aussi en Europe. La conjoncture se retourne, les entreprises réembauchent ". "Je le redis, le pire est derrière nous ". a-t-il insisté, indiquant que l'accélération de la croissance avait été confirmée en juillet et en août. "Les commandes industrielles sont à la hausse, les exportations sont bien meilleures, notamment les exportations industrielles, les perspectives sont clairement au vert depuis le mois de juillet, l'activité industrielle repart à la hausse". Mais, "c 'est vrai qu'il y a un décalage". concernant la consommation et le moral des ménages, a-t-il reconnu. |
Son "big bang fiscal". comme le dit Matignon, ira au-delà des premières propositions du ministère de l'économie, jugées "trop fadasses". Bercy se défend de cette accusation, affirmant avoir soumis plusieurs scénarios au premier ministre. "Pas assez ambitieux sur les revenus du travail". a martelé Dominique de Villepin. Bref, à 24 heures des annonces du premier ministre, les rôles sont soigneusement distribués: le premier ministre veut se présenter en réformateur progressiste s'adressant aux Français et résistant aux tentations libérales de Bercy, qui s'intéresse trop aux entreprises et aux grandes fortunes.
En outre, les propositions du rapport du conseil d'analyse économique (Le Monde du 27 août) et la concurrence de la convention fiscale de Nicolas Sarkozy prévue le 7 septembre ont certainement constitué de forts stimulants à la créativité gouvernementale.
Le premier ministre devrait donc annoncer une réduction du nombre de tranches pour l'impôt sur le revenu. Les sept tranches actuelles seraient ramenées à quatre, ou trois, afin d'accroître la visibilité de cet impôt. Le taux marginal (48% pour la tranche de revenus au-delà de 48 747 euros annuels par part) serait abaissé. Mais les classes moyennes (que Matignon identifie comme les Français percevant des revenus mensuels de 2 000 à 3 000 euros) devraient être les principaux bénéficiaires de la réforme.
L'idée, pas tout à fait encore tranchée à Matignon, serait d'amplifier la perception de baisse d'impôt en incorporant dans les taux les anciens abattements forfaitaires dont bénéficient la plupart des redevables (10% pour les frais réels et 20% pour les revenus salariés). Ces abattements sont actuellement plafonnés. Ainsi, l'impôt sur le revenu serait "simplifié et plus lisible". décrypte-t-on dans l'entourage du premier ministre.
"Il faut clairement encourager le travail. résume-t-on à Matignon. La personne qui se donne du mal ne doit pas voir ses revenus partir en fumée." "Les revenus intermédiaires seront les premiers bénéficiaires.". ajoute-t-on. Parallèlement, les niches fiscales, qui bénéficient à certaines professions, seraient de nouveau rognées et plafonnées.
Les revenus modestes ne seront pas pour autant oubliés. Une profonde réforme de la prime pour l'emploi (PPE) devrait être annoncée par le premier ministre: plutôt que de recevoir un chèque de l'Etat un an plus tard (sous forme d'impôt négatif pour les bas revenus), les salariés les plus modestes devraient percevoir, chaque mois, un acompte de l'Etat directement sur le bulletin de salaire. "L'Etat veut encourager et payer davantage ceux qui travaillent". a indiqué Thierry Breton, mercredi 31 août, sur Europe 1.
Un projet de resserrement des critères d'attribution des minima sociaux auraient par ailleurs été soumis à Matignon, qui hésite à engager cette réforme sensible et délicate.
Pour donner encore plus de lisibilité à sa grande réforme, M. de Villepin envisagerait d'accompagner ces mesures concrètes par une sorte de "charte" du contribuable qui proclamerait les grands principes de l'impôt.
Cette charte, qui comprendrait cinq articles, instaurerait notamment un plafond d'imposition (par rapport aux revenus). Une manière habile et élégante d'instituer, de nouveau, un plafond pour l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF), qui peut, dans certains cas de figure, dépasser les revenus annuels d'un redevable et serait à l'origine, selon de nombreux députés de la majorité, d'un départ à l'étranger des grandes fortunes.
La question de la réforme de l'ISF n'est pas encore définitivement tranchée par le président de la République et le premier ministre, qui craignent une réaction de rejet d'une grande majorité de Français. "Ce n'est clairement pas une priorité". tranche Matignon, qui pourrait au final laisser les parlementaires de la majorité prendre eux-mêmes l'initiative lors du débat budgétaire. M. Breton, qui est convaincu des effets pervers de l'ISF, fait du forcing dans la dernière ligne droite: "L'ISF, ça fait partie du paquet global !" voulait-il encore croire, mercredi matin sur Europe 1.
Le taux d'intérêt appliqué au contribuable qui paie ses impôts en retard ne pourrait plus être supérieur au taux d'intérêt que l'Etat s'applique lorsqu'il rembourse un trop perçu au contribuable, selon un autre principe de la charte. Actuellement, ces deux taux sont de 9% et 2%.
Seul bémol à la révolution fiscale "coup de poing" de M. de Villepin, selon l'expression de son entourage elle ne pourra être effective qu'à partir de 2007, juste avant les présidentielles. En 2006, les contraintes budgétaires, les engagements européens et la perspective d'une hausse du prix du pétrole interdisent de faire le grand saut.
A part quelques aménagements dans le projet de loi de finances pour 2006 et probablement la mise en oeuvre rapide du versement de la PPE sur la feuille de paie, le coeur du dispositif de réforme de l'impôt sur le revenu ne s'appliquera qu'à l'impôt 2007 (pour les revenus 2006). Il n'y aura donc pas de coup de pouce fiscal immédiat mais l'assurance donnée que les revenus du travail seront moins taxés.
Le premier ministre croit à l'effet d'entraînement de ce dispositif programmé. "Il y a aura un effet de dynamique, de cristallisation sur la croissance et l'économie". affirme Matignon.
Christophe Jakubyszyn
Article paru dans l'édition du 01.09.05
L e mot n'est pas prononcé, mais c'est bien sur un échec que se termine la médiation sud-africaine en Côte d'Ivoire. Le président Thabo Mbeki a essayé pendant un an de rapprocher les diverses factions qui se déchirent dans le pays, jadis un des plus prospères du continent noir. Il a réussi à réunir les représentants du président ivoirien Laurent Gbagbo, les partis politiques de l'opposition officielle et les chefs de la rébellion qui contrôle le nord de la Côte d'Ivoire depuis 2002. Il est même parvenu à leur faire accepter un accord sur le principe d'une élection présidentielle qui devait se tenir le 30 octobre et sur les lois de nature à l'organiser le plus honnêtement possible.
Mais, comme pour les cinq autres "accords de paix" qui ont précédé la médiation sud-africaine, les divers protagonistes ne lisent pas les mêmes textes de la même façon. Alors qu'un accord a été trouvé sur l'identité des candidats susceptibles de se présenter à une élection présidentielle – "l'ivoirité" était une notion hautement controversée –, le point d'achoppement concerne maintenant "l'identification des électeurs". La rébellion souhaitait que les lois électorales soient modifiées. Bien que le président Gbagbo n'ait pas obtempéré à la demande relayée par les médiateurs sud-africains, Thabo Mbeki a donné un satisfecit à son collègue ivoirien. Le geste a provoqué une crise de confiance entre la médiation sud-africaine et l'opposition ivoirienne.
L'Afrique du Sud s'en remet maintenant aux Nations unies. L'organisation internationale pourrait accorder à Laurent Gbagbo un délai supplémentaire, avec menaces de sanctions, pour organiser l'élection présidentielle, personne ne croyant plus à la possibilité d'organiser un scrutin le 30 octobre. Si toutefois la guerre civile, qui continue de couver, n'a pas repris d'ici là, malgré la présence des forces françaises de l'opération "Licorne" et des casques bleus de l'ONU...
La France, dont les efforts pour résoudre le conflit ivoirien ont été vains après le fiasco des accords de Marcoussis de janvier 2003, n'a aucune raison de se réjouir de l'échec sud-africain. Sans doute va-t-elle retrouver un rôle diplomatique plus actif avec le transfert du dossier au Conseil de sécurité de l'ONU, mais en tant qu'ancienne puissance coloniale elle n'a aucun intérêt à revenir au premier plan.
D'autre part, l'idée d'une "solution africaine aux problèmes africains", dont la France s'est aussi faite la championne, se révèle difficile à mettre en oeuvre. A cause de son poids économique et diplomatique, grâce à l'aura internationale de son premier président, Nelson Mandela, l'Afrique du Sud doit être le principal vecteur de cette politique. Elle a investi du temps et de l'argent pour résoudre d'autres conflits, au Burundi ou dans l'ancien Zaïre.
Elle ne peut cependant réussir sans un fort engagement de toute la communauté internationale. Au moment où une réforme du Conseil de sécurité pourrait donner un siège permanent à un pays africain, ce rappel arrive à point nommé.
Article paru dans l'édition du 01.09.05
C ent soixante morts dans un accident d'avion au Venezuela, puis dix-sept dans l'incendie d'un immeuble parisien, et sept morts de nouveau quelques jours après. Chaque fois, l'émotion est à son comble. Radios et chaînes de télévision consacrent l'essentiel de leur information à ces catastrophes.
Si vous n'êtes pas ému, inutile d'envisager une carrière politique.
Désormais, faire de la politique, c'est montrer qu'on a du cœur. Le président de la République prend un air de circonstance et dit les paroles qu'il faut. Les ministres suivent. Les dirigeants de l'opposition montrent qu'ils n'ont pas moins de coeur que le pouvoir en place. Tout le monde se déplace sur les lieux de la catastrophe.
Désormais, faire de la politique, ce n'est pas élaborer et mettre en place des solutions, c'est réagir le plus vite possible à l'émotion. On promet donc dans l'urgence, dans les heures qui suivent, que les contrôles des avions seront renforcés, que des logements d'urgence vont être construits, que les logements sociaux vont sortir du sol.
Puis l'actualité génère d'autres émotions. Chaque semaine produira les événements qu'il faut. Ici une inondation, un ouragan, un tremblement de terre, là un nouveau crash, des incendies, des morts en nombre suffisant pour créer l'événement.
Mais l'émotion passée se transforme en souvenir, dont bientôt plus personne ne parle. En silence, on réduit le nombre de contrôleurs, on diminue le budget des logements sociaux, les crédits attribués aux associations.
La politique dictée par l'émotion est le contraire de la patiente construction de solutions à long terme. Un incendie prend quelques heures, la construction de logements prend des années. Aucun micro, aucune caméra ne sont présents pour l'emménagement de familles dans un logement neuf. Ce n'est pas un événement.
La prévention, par essence, est le contraire d'une politique de l'émotion, puisqu'elle cherche à en réduire le nombre. Entretenir les forêts est une politique de long terme et coûteuse, qui vise à réduire le nombre d'incendies, donc à diminuer les occasions de spectacle. Vous ne passerez pas au journal de 20 heures si vous consacrez du temps et de l'argent à débroussailler.
L'actuel ministre de l'intérieur est le symbole de la politique de l'émotion. Il est le premier sur place, ce qui permet d'oublier que les villes que son parti contrôle préfèrent payer des amendes plutôt que de respecter leur quota de logements sociaux.
La politique de l'émotion satisfait la droite, puisqu'elle permet de manifester sa compassion tout en réduisant les crédits consacrés à la recherche, à la formation, à la prévention.
J'ai personnellement été témoin de l'efficacité des associations du quartier de la Goutte-d'Or pour empêcher des émeutes après une bavure policière. Mais le commissaire qui a rendu hommage à leur travail n'a pas été interviewé par les radios et les télévisions; et aucun ministre de l'intérieur n'est venu rendre hommage au travail silencieux, patient, efficace, de ces associations. Elles continueront donc, dans l'indifférence, à mendier des crédits pour poursuivre leur travail.
La politique de l'émotion envahit aussi la gauche. Comment résister ? Ainsi, on apprend que, pour rénover l'immeuble du boulevard Vincent-Auriol [lieu de l'incendie du 26 août à Paris], il fallait d'abord évacuer ses habitants. Mais les familles ont refusé les offres de logement qui dispersaient leur communauté, et des militants, qui se disent "de gauche", ont manifesté leur compassion en soutenant leur refus. Il fallait respecter leur souhait de "rester ensemble".
Les familles sont restées ensemble et c'est ainsi qu'elles sont mortes, ensemble.
Maurice Goldring est ancien professeur d'études irlandaises à l'université Paris-VIII-Saint-Denis.
par Maurice Goldring
Article paru dans l'édition du 01.09.05
![]() FLUSIN LIONEL/STILLS/GAMMA
Tariq Ramadan, le 29 avril 2004.
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L' intellectuel musulman Tariq Ramadan a été recruté pour conseiller le gouvernement britannique dans sa lutte contre l'extrémisme islamique, selon le journal The Guardian.
Tariq Ramadan, de nationalité suisse, fait partie d'un groupe de treize personnes appelées à faire des propositions pour empêcher les musulmans de Grande-Bretagne de glisser dans l'extrémisme, précise le journal. Le groupe doit rendre son rapport au premier ministre, Tony Blair, et au ministre de l'intérieur, Charles Clarke, à la fin du mois de septembre. La mise en place de ce groupe intervient moins de deux mois après les attentats-suicides du 7 juillet à Londres, qui ont fait 56 morts, dont les quatre poseurs de bombes et 700 blessés. Trois des quatre kamikazes étaient d'origine pakistanaise et le quatrième d'origine jamaïcaine.
Charles Clarke a présenté, mercredi 24 août, les nouvelles "règles du jeu" contre le terrorisme. Elles permettent d'empêcher l'entrée sur le territoire britannique de prédicateurs aux "comportements inacceptables". On y trouve notamment le fait de "fomenter, justifier ou glorifier la violence terroriste" ou, encore, de "fomenter la haine pouvant mener à des violences intercommunautaires ".
Tariq Ramadan vient d'être nommé universitaire-invité du prestigieux Saint Antony's College d'Oxford pour l'année académique 2005-2006 qui débute en octobre. L'établissement d'enseignement supérieur a rappelé qu'il est un intellectuel internationalement reconnu qui a été classé par le magazine Time parmi les cent innovateurs du XXIe siècle pour ses travaux sur la création d'un islam européen indépendant. En juillet 2004, les autorités américaines avaient retiré à M. Ramadan son visa, ce qui l'avait obligé à démissionner de l'université américaine Notre-Dame, qui lui avait confié une chaire, et à retourner à Genève. Ce petit-fils de Hassan Al-Banna, fondateur des Frères musulmans égyptiens, a croisé le fer à de nombreuses reprises avec des personnalités officielles françaises, au sujet de la place de l'islam en France. Il avait été interdit d'entrée en France durant quelques mois en 1995.
M. Ramadan a séjourné en Grande-Bretagne peu après les attentats du 7 juillet. Il a donné une conférence, le 24 juillet, à l'invitation de la police métropolitaine de Londres. Le Sun avait publié sa photo en "une", assortie de ce commentaire: "Interdit aux Etats-Unis pour terrorisme, interdit en France, accueilli en Grande-Bretagne après les attentats d'Al-Qaida !" Le journal présentait M. Ramadan comme offrant "un visage aimable de la terreur afin de séduire les jeunes musulmans".
Le Monde.fr
LEMONDE.FR | 01.09.05 | 09h52
D es "pôles de compétitivité", une agence de l'innovation et, mercredi 31 août, une liste de secteurs "stratégiques" que l'Etat doit protéger: la France se dote d'une politique industrielle. Elle a une qualité: son existence. Elle a des défauts: ses relents nationalistes (le "patriotisme économique"), un excès de communication et des incohérences d'ensemble.
Les pôles de compétitivité, notamment inspirés par la Silicon Valley en Californie, ont pour objectif d'associer géographiquement des industriels et des universitaires. Une synergie doit naître pour élever le contenu technologique des productions et atteindre un niveau qui donne aux entreprises concernées la capacité de résister à la concurrence des pays à bas coûts comme la Chine.
L'Agence de l'innovation se veut une relance des "grands programmes" gaullistes. Elle entend financer des recherches "en amont", dans des domaines où les groupes, pris par des considérations financières, n'ont plus les moyens de s'aventurer. Les secteurs stratégiques sont, eux, relatifs à la sécurité militaire du pays. Les rachats par des groupes non européens d'entreprises "sensibles" seront soumis à l'aval de l'Etat.
En 1986, Jacques Chirac, premier ministre, a démoli consciencieusement les différents "plans" que la gauche venait de mettre en place pour l'informatique, l'électronique ou la chimie. La "politique industrielle" était un concept jugé dépassé, conduisant à des erreurs et à un gâchis de l'argent public. En 2005, Jacques Chirac, président de la République, réhabilite la politique industrielle. Pourquoi ? Il ne s'en explique malheureusement pas. Et du coup, l'action engagée par le gouvernement est hésitante.
Il faut se réjouir de voir M. Chirac, malgré ses virages, redécouvrir l'importance cruciale de la technologie et de la recherche dans la compétition mondiale. Mais faute d'être argumentée et explicitée, la nouvelle politique industrielle française ne convainc pas nos partenaires européens et elle reste conduite en solitaire, ce qui limite considérablement sa portée. Le nationalisme hexagonal risque, pour le coup, de conduire à un gâchis de l'argent des contribuables.
La nouvelle politique industrielle est aussi polluée par des considérations électorales. C'est ainsi que le gouvernement Villepin a retenu un trop grand nombre de "pôle de compétitivité" régionaux, soixante-sept, provoquant une dispersion de ses (rares) moyens. On peut aussi penser que la liste des secteurs sensibles aurait dû rester discrète pour ne pas provoquer de réaction protectionniste en retour.
Enfin, cette politique reste mal étayée, donnant trop peu de place aux problèmes de l'actionnariat. Le gouvernement s'est mobilisé cet été pour protéger Danone, une entreprise qui, ni technologique ni sensible, ne s'inscrit dans aucun des dispositifs de sauvegarde proposés. Pour surmonter cette contradiction, le gouvernement devra définir bien plus précisément sa politique industrielle.
Article paru dans l'édition du 02.09.05
A près un été meurtrier dans le transport aérien, le gouvernement a publié, le 29 août, une "liste noire" des compagnies indésirables sur le sol français. Celle-ci n'apporte rien de nouveau: les cinq transporteurs cités y étaient déjà interdits. Mais, face à la psychose ambiante, l'administration cherche à calmer les esprits.
On occulte, cependant, le fait que d'autres Etats – notamment l'Italie – optent pour une autre liste, dite "bleue" ou "blanche". Plutôt que de désigner les compagnies interdites de territoire, ces listes ont vocation à nommer celles susceptibles d'y exercer. La démarche est donc exactement inverse.
En Grande-Bretagne, un permis est délivré aux compagnies charters qui en font la demande. Elles doivent, pour l'obtenir, répondre à un niveau de sécurité élevé. Les Etats-Unis, eux, procèdent à des audits pour chaque compagnie désireuse d'y opérer et de survoler leur pays.
Après l'accident du Boeing 737 de Flash Airlines, à Charm el-Cheikh (Égypte), le 3 janvier 2004 (148 morts dont 133 Français), la France et l'Union européenne se sont penchées, à nouveau, sur l'établissement d'une liste de compagnies aériennes ayant, ou pas, le niveau de sécurité requis pour travailler en Europe.
Auparavant, le 6 février 1996, le crash d'un Boeing 757-200 de la compagnie charter turque Birgenair, affrété par le tour-opérateur dominicain Alas Nacionales pour le compte d'agences de voyages allemandes, avait déjà fait 176 morts parmi des touristes allemands en République dominicaine. Berlin avait alors travaillé à la mise au point de critères pour élaborer une liste des compagnies autorisées ou interdites en Europe. Malheureusement, les autres Etats européens, peu concernés à l'époque, ne donnèrent pas de suite à cette démarche.
L'accident était pourtant déjà typique de l'utilisation de règles sauvages par les petites compagnies, qui n'ont pas de culture sécuritaire, pas plus que les voyagistes n'ont de scrupule pour vendre n'importe quoi, pourvu que cela soit moins cher que la concurrence.
On se souvient ainsi que, le 9 février 1992, un Convair de la compagnie gambienne Gamcrest, sous-traité par Air Sénégal et affrété par le Club Méditerranée, qui transportait 50 passagers dont 48 Français, fut responsable de la mort de 30 personnes et de 26 blessés au Sénégal. Le 6 juillet 2000, Gilbert Trigano et son fils, ex-patrons du Club Med, furent condamnés pour "homicides et blessures involontaires" pour avoir affrété un "avion poubelle". Les mêmes causes produisent chaque fois les mêmes effets.
L'affaire ne date donc pas d'aujourd'hui, et on ne peut faire mine de découvrir le problème. Le commissaire européen aux transports, Jacques Barrot, est désormais chargé de proposer une "liste noire" de compagnies non autorisées à voyager en Europe. Elle doit s'appliquer à l'ensemble des Etats de l'Union, plus la Suisse.
Mais cet inventaire ne sera qu'un état des lieux incomplet, qui ne tiendra pas compte des nouvelles compagnies, par définition plus fragiles qu'une compagnie structurée et qui pourraient provoquer un accident avant d'être vraiment identifiées comme dangereuses.
De plus, les propriétaires d'une compagnie inscrite sur la "liste noire" pourraient rapidement en créer une nouvelle afin de contourner le listing. Le paradoxe des "listes noires", c'est que les nouvelles compagnies, qui par définition n'ont jamais exercé d'activité aérienne, offrent selon leurs critères... la meilleure sécurité au monde.
C'est la porte ouverte à n'importe quel investisseur qui, n'ayant ni expérience aérienne ni culture sécuritaire, pourra se lancer – à l'image de Flash Airlines – dans le transport aérien sans qu'on puisse lui opposer quoi que ce soit. Bref, la liste noire n'est pas pertinente.
En revanche, l'établissement d'une "liste bleue", même imparfaite, présente bien plus d'avantages. Quels critères de sécurité faut-il pour l'établir ? Tout simplement les règlements et recommandations de l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI).
L'Agence européenne de la sécurité aéronautique (AESA) pourrait en définir les modalités d'application et soumettre les compagnies aériennes qui font une demande d'agrément à un audit effectué par ses experts. De même qu'il existe certains labels ou normes, les candidats devraient alors fournir les preuves de leur niveau de sécurité. Un temps d'observation, suivi d'inspections régulières, permettrait d'obtenir le "label bleu", renouvelable après contrôle.
Les nouvelles compagnies pourraient exercer leur activité par l'obtention d'un "label bleu provisoire", sous réserve de remplir certaines conditions, notamment de faire appel à un encadrement d'experts européens provisoirement intégrés pour veiller à la bonne application des règles de sécurité.
Ce, afin de s'assurer, par exemple, de la bonne organisation de la compagnie, notamment dans l'élaboration des plannings de vol. Un expert chargé d'encadrer les personnels navigants veillerait particulièrement à la formation et au contrôle des pilotes. Un autre serait chargé de l'entretien et du suivi des avions.
Tout cela a forcément un coût, pris en charge par la compagnie candidate. Mais la sécurité a, elle aussi, un prix, qui est devenu non négociable pour les utilisateurs européens.
En règle générale, la sécurité aérienne est d'autant meilleure que les pays sont riches. Pourtant, certaines compagnies de régions plus pauvres obtiennent d'excellents résultats, grâce à une bonne coopération avec des grandes compagnies. C'était le cas de la défunte Air Afrique. Il n'y a pas de fatalité à l'insécurité du transport aérien, seulement une inertie à vaincre de la part de certaines administrations, qui manquent d'indépendance vis-à-vis de l'Etat.
C'est notamment le cas en France. Les Etats-Unis et la Grande-Bretagne disposent, eux, d'instances administratives indépendantes qui ont la latitude de prendre des décisions autonomes.
L'amélioration de la sécurité aérienne est, aussi, affaire de volonté politique. Nos élus en ont fait la démonstration, en prenant les mesures nécessaires pour résorber le fléau des accidents de la route. Il en va de même de l'amélioration de la sécurité aérienne. Elle passe par l'adoption d'une liste des compagnies agréées, et non d'une "liste noire" inefficace.
La "liste bleue" aurait, enfin, l'avantage supplémentaire de favoriser les compagnies européennes et françaises. Si l'Angleterre possède un très grand nombre de compagnies charters, c'est parce que celles-ci répondent à ses normes strictes d'agrément. Une "liste bleue", antilaxiste, favoriserait l'emploi dans un secteur sinistré, tout en limitant les délocalisations du transport aérien.
Alexandre Aubin est pilote de ligne à Air France.
par Alexandre Aubin
Article paru dans l'édition du 02.09.05
V oici que se dessine la crise iranienne, après la crise irakienne. Tous les éléments d'un mauvais remake paraissent réunis: George W. Bush, les armes de destruction massive, le Moyen-Orient, le pétrole et l'islam. Mais, malgré ces termes communs, les aboutissants de ces deux crises seront fondamentalement différents.
La crise irakienne a détruit un ordre existant sans pour autant jeter les bases d'une nouvelle règle du jeu, semant la confusion dans les relations entre les Etats-Unis et leurs alliés et engendrant le chaos au Moyen-Orient. La crise iranienne promet, au contraire, d'être un acte fondateur de ce que sera le futur système international: malheureusement, la nouvelle donne a peu de chances d'être favorable aux intérêts des démocraties européennes.
Le premier enjeu, qui est aussi le plus important du fait de sa nature existentielle, est celui de l'avenir du régime international de non-prolifération des armes nucléaires. Ce régime, contrairement aux prévisions des cyniques, a remarquablement fonctionné jusqu'à la fin des années 1990.
Outre les cinq puissances nucléaires officielles reconnues par le traité de non-prolifération (TNP), trois pays seulement avaient acquis l'arme militaire: Israël dès la fin des années 1960, l'Inde avec sa première explosion, en 1974, puis le Pakistan. Ces Etats n'étaient pas signataires du TNP, donc pas liés par ses dispositions.
Depuis l'ouverture du TNP à la signature, en 1968, de nombreux Etats ont renoncé à l'acquisition de l'arme nucléaire (Brésil, Argentine, Taïwan, Corée du Sud) ou accepté leur dénucléarisation (Afrique du Sud, Ukraine, Biélorussie, Kazakhstan). Le seul cas avéré de violation majeure avait été celui de l'Irak: le travail acharné des inspecteurs de l'Unscom (Commission spéciale des Nations unies chargée du désarmement), consécutif à la première guerre du Golfe, y mit fin dès la première moitié des années 1990.
Malheureusement, les acquis de la non-prolifération sont menacés d'implosion. En 2004, la Corée du Nord a déclaré s'être retirée du TNP, Pyongyang disposant vraisemblablement de plusieurs charges nucléaires. Ce retrait solitaire a pu être considéré comme une aberration, la Corée du Nord étant, comme l'ex-Allemagne de l'Est, un régime et non un pays.
Une sortie de fait ou de droit de l'Iran du TNP et des engagements souscrits avec l'Agence internationale pour l'énergie atomique (AIEA) serait, lui, un précédent d'une tout autre portée.
Le leadership régional auquel pourrait prétendre l'Iran grâce à la possession de l'arme atomique serait inacceptable pour nombre d'Etats du Moyen-Orient. Leur réponse serait l'acquisition de capacités nucléaires, d'autant que les Etats arabes n'avaient pour la plupart adhéré que tardivement et à contre-cœur au TNP.
Aussi, les Européens défendent-ils leurs intérêts vitaux en tentant de ramener Téhéran au respect des règles et résolutions de l'AEIA, car peu de perspectives seraient aussi menaçantes que celles d'un Moyen-Orient instable où la possession de la bombe serait devenue la règle générale, plutôt que l'exception que constitue la possession, déjà ancienne, de l'arme nucléaire par Israël.
Les négociateurs européens ont eu et continuent d'avoir raison de s'en tenir à la ligne sur laquelle s'est fait jusqu'ici l'accord général à l'AIEA: aucune activité liée à l'enrichissement de l'uranium, en contrepartie d'une ouverture maximale dans tous les autres domaines. Au-delà de son impact sur les intérêts directs des Européens, la nucléarisation du Moyen-Orient signerait la fin de l'autorité du TNP à l'échelle planétaire: l'Asie orientale ne tarderait pas à subir la réaction en chaîne, avec la nucléarisation éventuelle du Japon et de la Corée du Sud.
Face à un enjeu d'une telle ampleur, que penser de l'hypothèse d'un recours à la force contre l'Iran ? Une attaque armée se heurterait à plusieurs obstacles qui, pris ensemble, sont dirimants, même en faisant abstraction du discrédit que la guerre d'Irak fait peser sur une telle option.
D'abord, la difficulté technique et opérationnelle de conduire des frappes efficaces est grande: éliminer durablement le programme iranien ne peut se faire à travers une opération ponctuelle aux effets provisoires comme la destruction du réacteur Osirak par l'aviation israélienne en 1981.
Plus encore, elle engendrerait une aggravation mortifère des tensions entre l'Occident et le monde musulman. S'y ajouterait l'impact vraisemblable d'une guerre d'Iran sur les cours du pétrole, et donc sur l'économie mondiale.
Entre un recours calamiteux à la force et une politique d'apaisement catastrophique en termes de conséquences pour la prolifération nucléaire, comment maintenir l'efficacité du régime de non- prolifération ?
Ici intervient le second enjeu: celui de la nature et de l'ampleur de l'émergence de la Chine comme nouvelle grande puissance.
S'il est évident que l'attitude de Pékin est fondamentale dans la gestion du problème nucléaire nord-coréen, cette réalité s'applique dorénavant aussi à la crise iranienne. Dans cette affaire, la Chine peut décider de s'en tenir à la défense à court terme de ses intérêts énergétiques, en bloquant ou en délayant, au Conseil de sécurité, toute résolution qui isolerait sérieusement le régime iranien.
Pékin peut, en effet, espérer obtenir un accès privilégié aux sources iraniennes d'hydrocarbures. Cela serait assez conforme au profil très économique adopté par la Chine dans le développement de ses relations internationales.
Cependant, celle-ci ne peut ignorer les conséquences en Asie orientale d'un effondrement du système de non-prolifération, avec les choix nucléaires attenants de Séoul, Tokyo et Taïpeh. Aussi Pékin pourrait-il changer de braquet et jouer la solidarité, notamment au Conseil de sécurité, avec l'espoir qu'un front commun fasse revenir l'Iran à la négociation, dans le respect de l'ensemble de ses engagements internationaux en matière de non-prolifération.
Autrement dit, les Européens, tout comme les Américains, auront intérêt dans les prochains mois à encourager Pékin à agir de façon constructive, à l'instar de la coopération établie sur le dossier iranien entre les négociateurs européens et la Russie.
Il s'agit là d'une des grandes conditions d'une possible réussite de la politique européenne tendant à ramener l'Iran sur le chemin de la non-prolifération dans le respect des résolutions de l'AIEA. Mais à quel prix ? Car Pékin monnaierait forcément un éventuel soutien au Conseil de sécurité, vraisemblablement aux dépens de Taiwan ?
La crise iranienne sera ainsi l'occasion de tester la vigueur et l'orientation de ce que Pékin nomme " l'émergence pacifique" de la Chine. Un monde bipolaire sino-américain commence à s'esquisser, sans qu'il soit possible, à ce stade, d'en déterminer le degré de conflictualité ou de convivialité.
Ce que nous savons, c'est que, pour Washington comme pour Pékin, les relations avec l'Europe seront fonction de notre attitude vis-à-vis des sujets fondant les rapports sino-américains: nous en avons fait une première expérience avec la question de la levée de l'embargo européen sur les ventes d'armes à la Chine. La crise iranienne accélérera et renforcera cette évolution.
L'autre grande condition d'un succès européen dans la crise iranienne dépend de l'aptitude des Etats-Unis à revoir de fond en comble ses relations avec l'Iran. Peu de choses pèseraient aussi fortement en faveur de la non-prolifération qu'une ouverture américaine vers Téhéran, comparable précisément à celle de Washington envers Pékin, en 1971.
Une renonciation aux discours sur "l'axe du mal" et un quart de siècle de sanctions américaines contre l'Iran rouvrirait à Washington les portes du Moyen-Orient. Mais il est probablement trop tard pour cela, d'autant que, jusqu'à preuve du contraire, George Bush n'est pas Richard Nixon, et Condoleezza Rice n'est pas Henry Kissinger. La possibilité d'une issue satisfaisante à la crise iranienne s'en trouve réduite d'autant – et elle renforce, par défaut, le rôle de la Chine.
François Heisbourg est conseiller spécial du directeur de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS).
par François Heisbourg
Article paru dans l'édition du 02.09.05
C harles darwin fut caricaturé en singe pour avoir osé agripper l'homme sur une simple branche de l'arbre de l'évolution des espèces. Dès 1871, le grand savant avait pourtant raison de faire de l'être humain et des grands singes des cousins et la génétique moléculaire n'a fait que conforter sa vision. La publication, dans la revue Nature. jeudi 1er septembre, de la séquence du génome du chimpanzé, et sa comparaison avec celle de l'homme, en offre une nouvelle illustration. En ne levant encore qu'un coin du voile sur la grande question: "Qu'est-ce qui fait de nous des humains ?"
Le chimpanzé commun (Pan troglodytes ) et le bonobo (Pan paniscus ), qui ont divergé il y a environ 2 millions d'années, sont nos parents les plus proches sur le plan évolutif. Au point que certains, iconoclastes, ont proposé de les classer dans le genre Homo (Le Monde du 27 juin 2003). Nous sommes, en effet, issus d'un ancêtre commun qui a vécu, selon les paléontologues, il y a 6 à 8 millions d'années. C'est pourquoi les généticiens ont imaginé, au milieu des années 1990, alors que les projets de séquençage du génome de l'homme et de la souris étaient lancés, de décrypter aussi celui des grands singes.
Un consortium international – principalement américain – a été mis sur pied pour séquencer celui du chimpanzé. Les 67 chercheurs associés au projet ont choisi d'analyser le patrimoine génétique de Clint, un pensionnaire du Centre national de recherche sur les primates d'Atlanta. Ce descendant d'une sous-espèce originaire d'Afrique de l'Ouest (P. troglodytes verus ) est mort en 2004, d'une crise cardiaque, à 24 ans. Un décès précoce pour un animal en captivité.
Ses cellules sanguines n'en ont pas moins permis de livrer la première séquence d'un primate non humain, après celle d'Homo sapiens en 2001, et la quatrième d'un mammifère; celle de la souris avait été décrite en décembre 2002 et celle du rat en mars 2004.
"Le séquençage du génome du chimpanzé est un accomplissement historique qui conduira à de nombreuses découvertes excitantes ayant des implications pour la santé humaine". se félicite Francis Collins, le directeur de l'Institut de recherche sur le génome humain américain, partenaire du projet. Mais "cela ne représente que la partie émergée de l'iceberg dans l'exploration des racines génétiques de nos différences biologiques". estime LaDeana Hillier (université de Washington), coauteur de l'étude.
Qu'a-t-on découvert ? Sans surprise, il se confirme que le chimpanzé et l'homme ont en partage la très grande majorité de leur patrimoine génétique. Sur les quelque 3 milliards de paires de bases formant la trame de la double hélice d'ADN dont les chromosomes sont constitués, une très faible proportion diffère: si l'on déroulait les deux séquences, elles seraient identiques à presque 99%. Les substitutions ponctuelles que l'on peut observer entre les copies du génome humain et celui du chimpanzé ne représentent que 1,23%. Si l'on prend comme critère de mesure les insertions et les délétions – des mécanismes de mutation –, la similarité s'élève encore à 96%.
Pour l'exprimer autrement, les différences génétiques entre les humains et les chimpanzés sont 60 fois moindres qu'entre l'homme et la souris – et dix fois moindres qu'entre la souris et le rat. Mais la différence entre le génome du primate Clint et celui de l'humain Craig Venter – le généticien qui a soumis son ADN au séquençage – est dix fois plus grande que celle existant entre deux génomes humains.
Cette faible distance génétique entre homme et chimpanzé n'est que relative. Elle peut aussi être analysée en valeur absolue. Le catalogue des différences génétiques dressées par le consortium culmine à 35 millions de changements de nucléotides isolés et à 5 millions d'insertions et de délétions. L'analyse de ces différences génétiques n'aura donc rien de trivial.
Ce travail a commencé. Nature en présente les premiers résultats. Les chercheurs ont constaté que les humains, comme les chimpanzés, ont accumulé au cours de l'évolution un nombre de mutations potentiellement délétères plus élevé que les rats et les souris. Ce qui constitue, en principe, un handicap mais peut aussi se transformer en avantage en cas de changement rapide de l'environnement.
Certaines classes de gènes semblent avoir évolué plus rapidement chez les humains que chez les chimpanzés – il s'agit notamment des facteurs de transcription qui régulent l'activité de cascades de gènes. Par ailleurs, une cinquantaine de gènes présents chez l'homme manquent purement et simplement chez le chimpanzé. Certains sont impliqués dans la réponse immunitaire et les phénomènes inflammatoires. A l'inverse, l'homme a perdu un gène protégeant les autres mammifères de la maladie d'Alzheimer.
La comparaison des deux génomes, espèrent les chercheurs, pourrait donc avoir des implications médicales importantes, à condition d'identifier les mutations significatives, parmi des millions, dont la plupart sont neutres.
Dans un article publié par Science. les généticiens Edwin McConkey et Ajit Varki, pionniers de l'étude du génome du chimpanzé, rappellent abruptement que la comparaison de ces génomes "n'a encore offert aucun aperçu majeur des éléments génétiques qui sous-tendent la bipédie, un gros cerveau, des capacités linguistiques, des pensées abstraites élaborées, ou tout ce qui rend l'homme unique". Cela peut sembler décevant, poursuivent-ils, "mais ce n'est que le dernier exemple de ce que la recherche en génomique a déjà établi: l'interprétation des séquences d'ADN requiert des informations fonctionnelles sur cet organisme qui ne peuvent pas être déduites de la séquence elle-même".
En résumé, il faut étudier où, quand et à quel degré les gènes sont exprimés au cours du développement de l'animal et en quoi l'environnement influe sur cette activité génétique. Il faudra aussi élargir le spectre des génomes à d'autres grands singes, pour affiner l'histoire évolutive des primates. Le séquençage du génome de Clint, pas plus que celui de l'homme, ne peut être considéré comme un aboutissement. S'ils ne constituent qu'un point de départ, ils n'en restent pas moins essentiels.
Hervé Morin
Article paru dans l'édition du 02.09.05
D éforestation, épidémie par le virus Ebola, braconnage. Alors que l'on célèbre le séquençage du génome du chimpanzé, les grands singes – orang-outan, gorille, bonobo et chimpanzé commun – n'ont jamais été aussi menacés dans leurs milieux naturels. "On pourra conserver leur patrimoine génétique, mais tout ce qui concerne le comportement et l'écologie va disparaître". redoute Pascal Picq (Collège de France).
Or la comparaison du génome de l'homme et de celui du chimpanzé marque, à son sens, les limites du réductionnisme génétique. "L'homme ne se réduit pas à ces quelques millions de nucléotides de différence avec le chimpanzé. Il faut aussi tenir compte d'effets combinatoires des gènes entre eux, mais aussi de la façon dont l'épigénétique – l'environnement – influence l'expression des gènes." Chez l'homme, mais aussi chez les grands singes et d'autres primates plus éloignés. "Par ces comparaisons génétiques, on espère dire ce qui fait l'homme, rappelle-t-il. Mais on oublie que le chimpanzé est aussi le fruit de l'évolution. Pour savoir ce qui fait le chimpanzé, il faudra analyser les génomes d'autres primates."
Pour le chercheur, il importe aussi d'instiller des sciences humaines dans la théorie de l'évolution. Mais si les grands singes disparaissent de leurs habitats d'origine, les travaux de terrain récents, montrant, par exemple, l'existence de pratiques "culturelles" différentes à l'intérieur d'une même espèce, ne pourront être poursuivis.
Les chiffres sont alarmants: les orangs-outans étaient au nombre de 50 000 à 100 000 il y a vingt ans. Ils ne sont que 4 000 à 7 000 aujourd'hui. Les effectifs des bonobos, 100 000 dans les années 1980, ne dépasseraient pas 10 000 à 50 000 individus. Le dénombrement des chimpanzés, répartis dans 21 pays d'Afrique, est difficile mais ils seraient 100 000, soit quatre fois moins nombreux qu'il y a dix ans. Depuis vingt ans, les populations de gorilles des plaines ont été divisées par deux avec seulement 17 000 individus recensés. Seuls les gorilles des montagnes connaissent un répit, avec un doublement des effectifs ces dernières années. Mais ils ne sont que 700...
En captivité – ils sont 3 000 aux Etats-Unis –, les grands singes ne sont pas saufs pour autant, car ils peuvent servir de cobayes. Sans eux, le vaccin de l'hépatite B n'aurait pu être mis au point. Mais la publication du génome du chimpanzé et les futures recherches médicales – parfois invasives – qui pourraient en découler devraient susciter une réflexion éthique, estiment Pascal Gagneux, James Moore et Ajit Varki (université de Californie, San Diego) dans Nature.
Ils suggèrent ainsi d'appliquer aux grands singes des règles éthiques s'inspirant de celles qui régissent les travaux sur l'homme. Mais aussi de s'interdire la production de singes transgéniques et de rechercher des modèles animaux de substitution.
Hervé Morin
Article paru dans l'édition du 02.09.05
E n paléoanthropologie, la mise au jour des fossiles les plus modestes peut, parfois, tenter d'égratigner les théories les plus vénérables. Ainsi de ces quelques dents de chimpanzé, vieilles d'environ 550 000 ans, dont Sally McBrearty (université du Connecticut) et Nina Jablonski (Académie des sciences de Californie) relatent la découverte dans l'édition du 1er septembre de la revue Nature.
Les raisons d'une telle ambition ? Selon les auteures de la découverte, le fait que ces fossiles – les premiers du genre – du plus proche cousin de l'homme aient été découverts au Kenya, dans la vallée du Rift est-africain, met à mal la thèse dite de l'East Side Story. Développée au début des années 1980 par le paléoanthropologue Yves Coppens, cette théorie demeure – bien qu'elle ait été profondément remise en cause en 2002 avec la découverte, au Tchad, de Toumaï (Sahelanthropus tchadensis ) – la description la plus complète de la séparation entre hommes et grands singes.
Que dit-elle ? Qu'il y a environ 8 millions d'années, l'effondrement de la faille du Rift a laissé une longue balafre sur le continent africain. A l'ouest de cette "coupure écologique", la forêt humide est demeurée. A l'est, les terres se sont progressivement asséchées, et la forêt a laissé place à la savane.
Les hommes et les grands singes auraient ainsi divergé sur l'arbre de l'évolution. Les primates restés à l'ouest auraient conservé un mode de vie arboricole. Les autres, pour s'adapter à la savane, auraient acquis la bipédie et se seraient peu à peu hominisés.
Or les fossiles de chimpanzé exhumés par Mmes Jablonski et McBrearty ont été découverts à l'est de cette frontière, dans un gisement qui a déjà livré des fragments d'Homo erectus vieux de 500 000 à 540 000 ans. Les auteures en concluent qu'hommes et chimpanzés ont partagé le même habitat au cours du Pléistocène moyen (– 781 000 à – 126 000 ans) et que le Rift n'a pas été une coupure écologique suffisamment importante pour séparer les deux espèces.
"Cela était prévisible". estime pourtant Jean-Jacques Jaeger, paléontologue (université Montpellier-II). "Au cours des fluctuations climatiques du Pléistocène moyen, les alternances européennes glaciaires-interglaciaires se sont traduites, en Afrique subsaharienne, par des alternances de périodes humides et plus sèches. précise M. Jaeger. Au moment d'une période plus humide en Afrique tropicale, il est normal que l'ère de répartition des chimpanzés se soit étendue."
La cohabitation mise en évidence entre les deux espèces pourrait ainsi n'être que tardive et spécifique au Pléistocène moyen. Elle ne signifierait donc pas, comme le concluent les auteures, que les chimpanzés et les hommes ont pu partager le même habitat depuis leur divergence – située généralement, selon les interprétations, il y a 6 à 8 millions d'années.
Cependant, une autre découverte, publiée dans l'édition d'avril de la revue Anthropological Science. suggère que les hommes et les chimpanzés pourraient avoir très longtemps cohabité.
En effet, d'autres dents fossiles, retrouvées à quelques kilomètres à peine du gisement fouillé par Sally McBrearty et Nina Jablonski, révèlent la présence, à cet endroit, de grands singes – "chimpanziformes" et "gorilliformes" – voilà respectivement 12,5 et 6 millions d'années.
"Les deux dents datées de 6 millions d'années ont été trouvées dans les mêmes couches qu'Orrorin - découvert en 2000 et considéré comme l'un des plus vieux ancêtres de l'homme -, explique la paléoanthropologue Brigitte Senut (Muséum national d'histoire naturelle), coauteure de la découverte avec Martin Pickford (Collège de France). Cela nous a fait dire que, déjà à cette époque, la dichotomie entre les grands singes et l'homme était bien établie." Et que, par conséquent, la séparation des deux espèces a pu intervenir beaucoup plus tôt que prévu dans l'histoire de l'évolution. Peut-être même avant la formation du Rift, il y a 8 millions d'années...
Pour Pascal Picq (Collège de France), la découverte de ces fossiles ne montre pas que la séparation des deux lignées soit intervenue plus tôt. "D'abord, les termes undefinedundefinedchimpanziformes'' et undefinedundefinedgorilliformes'' définissent des caractères archaïques qui pourraient être rattachés à d'autres lignées que celles qui ont conduit aux chimpanzés actuels", dit M. Picq. "En effet, on considère souvent qu'il n'existe que deux rameaux alors qu'il y en avait, à l'époque, vraisemblablement beaucoup plus. explique-t-il. Enfin, il faut avoir à l'esprit que les paléoanthropologues ont tendance à reculer systématiquement l'émergence de la lignée humaine pour pouvoir y placer leurs nouveaux fossiles..."
Stéphane Foucart
Article paru dans l'édition du 02.09.05
L ors de sa session de rentrée, le Parlement européen va se prononcer sur un texte que les parents d'enfants malades et les pédiatres appellent ardemment de leurs voeux, car il imposerait le développement de médicaments adaptés aux enfants. Actuellement, seuls sont testés sur cette population les médicaments les plus courants, donc les plus rentables pour l'industrie pharmaceutique, tels que les antalgiques, les antibiotiques et les vaccins. Mais la moitié de ceux qui sont administrés aux enfants n'ont fait l'objet d'aucune évaluation spécifique.
Rafaële Rivais
Article paru dans l'édition du 02.09.05
D es Cassandre scientifiques avaient mis en garde contre les effets apocalyptiques qu'un cyclone pourrait avoir sur La Nouvelle-Orléans, mais leurs avertissements ont été ignorés et les fonds nécessaires dépensés pour la guerre en Irak, selon des experts.
L'agence gouvernementale chargée de la prévention et de la gestion des catastrophes, la FEMA (Federal Emergency Management Agency), avait prévenu il y a quatre ans qu'un cyclone ou une inondation à La Nouvelle-Orléans faisait partie des trois catastrophes majeures qui menaçaient l'Amérique, avec une attaque terroriste sur New York.
Mais au lieu d'augmenter les financements pour consolider une ville de 1,4 million d'habitants bâtie au-dessous du niveau de la mer, les autorités ont réduit les crédits destinés à renforcer et réparer les digues qui permettaient d'isoler la ville des eaux du Mississippi et de celles du lac Pontchartrain tout proche, estime-t-elle.
"Ce désastre n'attendait que le moment", estime John Rennie, rédacteur en chef de Scientific American, la bible américaine de la science et de la technologie. "Depuis des années, il y a eu une multitude d'avertissements sur la vulnérabilité de la ville si des travaux critiques de reconstruction, qui ont pris du retard, n'étaient pas entrepris", a déclaré M. Rennie.
Scientific American avait prévenu dès 2001 que l'état de dégradation des digues de la ville et des systèmes de pompage, le développement des zones immobilières et l'insuffisance d'itinéraires d'évacuation faisaient peser sur La Nouvelle-Orléans un risque sérieux de catastrophe débouchant sur le blocage de plus de 250 000 personnes et la mort de milliers d'entre elles.
Mais les budgets fédéraux destinés aux opération de génie civil de l'armée pour renforcer les digues ont diminué, alors que l'Amérique partait en guerre en Irak et lançait sa guerre au terrorisme, a déclaré M. Rennie. "Les autorités n'ont pas inscrit ce genre de désastre dans les priorités, ils ont repoussé les dépenses pour mettre l'argent sur autre chose – notamment au cours des deux dernières années, où le pays a mené une guerre et a dû s'occuper de sa sécurité intérieure", a ajouté M. Rennie.
En 2005, l'administration Bush a réduit drastiquement de 80 % le budget prévu de 27,1 millions de dollars demandé par le Génie civil de l'armée pour améliorer les digues, qui est tombé dans un premier temps à 3,9 millions avant d'être légèrement relevé par le Congrès à 5,7 millions (contre 10 millions de dollars en 2001).
Le budget prévu de 100 millions de dollars demandé par l'organisme de contrôle des crues de Louisiane a été réduit à 34 millions de dollars, contre 69 millions en 2001. Mercredi, le porte-parole de la Maison Blanche, Scott McClellan, avait pourtant nié tout sous-financement par l'administration, affirmant qu'il n'avait reçu aucune plainte du Génie civil de l'armée. "Le contrôle des crues est une priorité de cette administration depuis le premier jour", a-t-il déclaré. "Nous avons ignoré le problème jusqu'à la catastrophe", souligne cependant Mark Fischetti, éditorialiste au Scientific American Magazine, dans une tribune publiée par le New York Times vendredi.
Un journal de La Nouvelle-Orléans, Times-Picayne, avait également averti – dans une série d'articles qui lui ont valu le prix Pulitzer en 2002 – contre l'impréparation et l'inadéquation des digues censées protéger la ville.Curieusement, c'est sur la FEMA, qui avait pourtant donné l'alerte, que se retourne l'administration du président George W. Bush.
M. Bush, qui s'est finalement rendu vendredi a proximité des lieux pour la première fois, cinq jours après le passage du cyclone, a reconnu la faiblesse de la réponse initiale à la tragédie : "les résultats sont inacceptables", a-t-il indiqué. Pour le chef des opérations d'urgence à La Nouvelle-Orléans, Terry Ebbert, "c'est une honte nationale". "Nous sommes capables d'envoyer une aide massive aux victimes des tsunamis, mais pas de secourir La Nouvelle-Orléans", a-t-il souligné. La FEMA était tout particulièrement montrée du doigt.
Les médias américains soulignaient vendredi que les vivres et les secours avaient été apportés aux survivants du tsunami à Banda Atjeh, en Indonésie, deux jours après la catastrophe, alors que des milliers de réfugiés de Louisiane, du Mississippi et d'Alabama manquaient encore du minimum vital cinq jours après le cyclone.
Le New York Times a attribué en partie la crise à la mobilisation de la Garde nationale pour l'Irak. Un tiers des membres de la Garde nationale de la Louisiane combat actuellement en Irak et n'a pu participer aux secours.
Avec AFP
LEMONDE.FR | 02.09.05 | 20h56
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En extra: Les éditos du Monde |
[*] «Longues propagandistes» parce qu'il existe aussi, dans cette rubrique, des «brèves propagandistes» reprenant surtout des dépêches de l'AFP. Ici, on trouvera pour l'essentiel des articles parus dans Le Monde, qui par le fait, sont beaucoup plus longs…