Longues propagandistes, série 2

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– Les longues –
                 
                 

    En extra: Les éditos du Monde    


Le Monde / International
En Côte d'Ivoire, de chaque côté de la ligne de front, les combattants doutent de l'accord de paix
Man, Guiglo de notre envoyé spécial

 L es informations ne circulent pas vite et ne sont pas très fiables dans l'ouest de la Côte d'Ivoire. Trois jours après l'accord de paix conclu à Pretoria sous l'égide du président sud-africain, Thabo Mbeki, personne ne connaît avec précision les résultats de la rencontre entre le président ivoirien, Laurent Gbagbo, le chef de la rébellion, Guillaume Soro, et les dirigeants politiques du pays. "On n'a pas été beaucoup instruits", résume un jeune proche du pouvoir.

Accrochage à la frontière avec la Guinée

Un rebelle ivoirien a été tué et un autre blessé lors d'un accrochage qui a opposé, jeudi 7 avril, l'armée guinéenne à des rebelles ivoiriens, près de la frontière commune aux deux pays. Selon une source militaire guinéenne, l'incident s'est produit au village de Tounkarata, sur la frontière. La Guinée a dépêché des renforts d'une base militaire voisine.

Ce secteur reculé du sud-est de la Guinée, qui jouxte aussi le Liberia, est une zone instable où circulent des armes et des mercenaires ayant combattu au Liberia et en Côte d'Ivoire. Les rebelles ivoiriens, qui contrôlent la frontière avec la Guinée depuis le coup d'Etat contre Laurent Gbagbo en septembre 2002, soupçonnent le président ivoirien de chercher à attaquer leurs positions à partir de cette région. Ils ont affirmé que des soldats guinéens étaient intervenus sur leur territoire.

"C'est une patrouille de l'armée guinéenne qui a pénétré sur trois kilomètres dans notre zone" a déclaré Inza Fofana, collaborateur du commandant rebelle de la ville de Man, dans l'ouest de la Côte d'Ivoire.– (AFP.)

Alors, à défaut de connaître, on invente. L'approximation est la règle. Faisant allusion à une rencontre prochaine entre militaires des deux camps décidée à Pretoria pour réactiver le processus de désarmement en panne depuis plus d'un an, Mme Dito assure que "le désarmement des rebelles doit commencer le 14 avril avec un ratissage de l'armée ivoirienne".

Mme Dito n'est pas n'importe qui. C'est une secrétaire promue, à la suite d'une cascade de désertions, maire de la petite ville de Bangolo, située à la lisière de cette "zone de confiance" qui, large de plusieurs dizaines de kilomètres, sépare d'est en ouest les troupes loyalistes – les Forces de défense et de sécurité (FDS) – des rebelles – rebaptisés Forces armées des forces nouvelles (FAFN). Son voisin, un vieux planteur de café, reconnaît qu'il n'est pas davantage informé: "On ne sait rien. Il faut patienter jusqu'au discours de Gbagbo à la télévision."

L'intervention présidentielle se fait attendre. Et si elle a lieu, elle risque de passer inaperçue des habitants de la région de Bangolo. La radio nationale est muette depuis des semaines. Les journaux arrivent défraîchis de la capitale. Et la télévision fonctionne quand elle en a envie.

Ce qui est vrai dans la "zone de confiance", placée sous tutelle des forces dites "impartiales" (les casques bleus de l'ONU et les militaires français de l'opération Licorne) l'est également au nord comme au sud, chez les rebelles comme chez les loyalistes. Et pas simplement parmi les sans-grade. Les responsables sont également concernés.

Fofana Losseni, plus connu sous le diminutif de Loss, ancien caporal-chef de l'armée loyaliste, est à 31 ans le chef des rebelles pour la zone ouest. Quant il n'est pas en opération, il reçoit à la préfecture de Man, ou plutôt ce qu'il en reste: un bâtiment à l'abandon, des carcasses de voitures rouillées dans le parc, des lambeaux de moquette grise dans les bureaux à l'étage... Svelte, presque timide, Loss n'a pas la réputation d'être un intellectuel mais un homme expéditif. Des officiers étrangers le soupçonnent d'avoir exécuté de ses propres mains des dizaines d'adversaires.

TOURNÉE D'EXPLICATIONS

Tout chef de zone qu'il est, Loss finit par admettre qu'il n'a qu'une vague idée de l'accord de Pretoria. Dans l'attente d'une tournée d'explications des "cerveaux" de la rébellion, basée à Bouaké, quelques centaines de kilomètres plus à l'est, ses informations sont glanées à l'écoute de Radio France Internationale. "L'essentiel est de sortir de la crise. Je fais confiance à Guillaume Soro -chef politique de la rébellion-", marmonne-t-il en pianotant sur son téléphone comme s'il s'agissait d'un jouet.

"Nous sommes disposés à désarmer", clame, à la manière d'une profession de foi, son adjoint, Gaspard Delly, un ancien commandant qui, capturé par les rebelles en 2002, a choisi de rejoindre leurs rangs plutôt que d'être exécuté.

A une centaine de kilomètres plus au sud, de l'autre côté de la "zone de confiance", chez les loyalistes, évoquer Pretoria ne suscite pas d'analyse plus élaborée. Le lieutenant-colonel Yedesse est pourtant une pointure dans l'armée ivoirienne. Commandant de la zone, il a des milliers de militaires sous ses ordres, trois ou quatre téléphones sur son bureau à l'état-major de Guiglo et plusieurs médailles accrochées à sa vareuse. "Tout le monde en a marre de cette guerre. On a tenté à plusieurs reprises d'aller vers la paix, mais ceux d'en face -les rebelles- nous ont toujours trompés. Est-ce qu'on peut leur faire confiance cette fois ? Je suis sceptique", confie-t-il.

C'est dans cette région proche de deux Etats turbulents, le Liberia et la Guinée, que prolifèrent depuis quelques mois des milices réputées proches du régime d'Abidjan, dont les sigles évoquent tous la "libération" de l'ouest de la Côte d'Ivoire, qui serait "colonisée" par des ethnies descendues du nord. Fin février, une milice s'est infiltrée dans la "zone de confiance". Les forces "impartiales" sont intervenues et ont repoussé les combattants, en tuant une trentaine.

Les chefs de milices, rencontrés à Guiglo avec leurs combattants – plusieurs en treillis militaires et armés de kalachnikov, n'émettent aucun jugement enthousiaste sur l'accord de Pretoria, dont ils reconnaissent ne pas avoir précisément pris connaissance.

"Il ne faut pas que l'accord soit une stratégie pour désarmer les milices comme les nôtres. Sinon, ce sera un nouveau Rwanda, met en garde Denis Maho-Glofiei, président de l'une de ces milices aux effectifs incertains. Nous n'avons pas été invités à Pretoria. Nous ne sommes pas tenus par un texte que nous n'avons pas signé. Ce que nous voulons c'est libérer l'Ouest."

Le jugement le plus pessimiste sur l'accord de Pretoria ne vient cependant pas d'un des acteurs de la crise, mais d'un chef d'entreprise installé en zone rebelle. "Ces accords successifs, je n'y crois pas une seconde, lance-t-il. Nous avons eu Marcoussis, Accra 1, Accra 2, Accra 3... Ils n'ont rien donné. Pourquoi Pretoria échapperait-il à la règle ?"

Jean-Pierre Tuquoi
Article paru dans l'édition du 10.04.05


Le Monde / Opinions
CHRONIQUE DU MÉDIATEUR
Symphonie pontificale

 U n courriel, reçu mercredi 6 avril et signé Joëlle Goutal, de Fontenay-sous-Bois (Val-de-Marne). "Je commence toujours la lecture du Monde par le courrier des lecteurs – espace de liberté où il m'arrive parfois de trouver des voix inattendues, un talent, un humour revigorants. J'ai cherché en vain, depuis quelques jours, une trace du "ras-le-bol" dont de très nombreux lecteurs vous ont sûrement fait part quant à la place accordée à la mort de Jean Paul II et à la façon dont vous en avez rendu compte. Auriez-vous par hasard censuré les mécréants qui ont eu l'audace de s'exprimer ? Même ma mère, vieille catholique pratiquante, s'indignait l'autre jour devant moi: "Je viens d'écouter France-Inter, je me suis demandé si je n'étais pas tombée par erreur sur Radio Notre-Dame." Elle aurait pu en dire autant du Monde... Aurais-je, par erreur, acheté La Croix ?"

Chère lectrice, nous avons reçu un certain nombre de protestations, mais il n'y a eu aucune "censure". Le médiateur a seulement mis de côté ce courrier pour lui consacrer la chronique que vous êtes en train de lire. Sachant que tout le monde n'écrit pas pour se plaindre: croyants ou non croyants, admirateurs du pape ou partisans d'une Eglise aux pieds nus, les lecteurs du Monde sont encore plus partagés sur le Ciel que sur la Constitution européenne...

"Qu'est-ce qui vous arrive, vous n'avez plus le sens de la mesure ?", demande William Ameri. "Je fais une overdose ! Je ne nie pas l'importance de l'événement, mais vous en faites vraiment trop", écrit Annie Varrault. Et Michel Bellin: "Comme si la planète s'était depuis quelques jours arrêtée de tourner, comme s'il ne s'y passait absolument rien d'autre que ce tsunami de larmes et d'eau bénite !"

Les lecteurs du Monde sont aussi auditeurs, téléspectateurs et internautes. Ils ne font pas toujours la distinction entre ce qu'ils ont lu, vu et entendu. Réagissant à un climat général, il leur arrive de confondre les cibles. C'est au journal qu'on s'en prend parfois parce que telle radio a poussé le bouchon un peu loin ou que telle chaîne de télévision a basculé dans la "papolâtrie"...

Après le tsunami, qualifié de catastrophe universelle, voici donc un deuil universel. Pour chaque grand sujet d'actualité, désormais, le débordement médiatique devient la règle. Les événements prévisibles sont "couverts" de plus en plus tôt par les journaux. On anticipe, de crainte d'arriver après les autres. Et on finit inévitablement par se répéter.

La mort de Jean Paul II n'a pas pris de court les médias. Ils l'avaient prévue, s'y étaient préparés, et depuis longtemps. Quitte à être eux-mêmes surpris par l'impact de l'événement qu'ils ont contribué – avec les autorités vaticanes – à mettre en scène et à magnifier. Ainsi va la machine médiatique, qui rend compte d'une émotion collective, bien réelle, tout en l'amplifiant. L'événement se nourrit en quelque sorte de lui-même.

Mais la force de cet événement prévisible est qu'il est aussi... totalement imprévisible: la succession d'un pape donne toujours lieu à des interrogations et des surprises. Autant dire que l'avalanche médiatique n'est pas finie. Jusqu'à l'issue du conclave, il faut s'attendre à des reportages, des analyses, des commentaires et des rappels historiques.

La désignation du chef de l'Eglise catholique intéresse d'autant plus qu'elle est moins fréquente qu'une élection présidentielle. Le secret qui l'entoure et ses modalités d'un autre temps la rendent très "journalistique". Après la fumée blanche, ce sera la découverte du successeur de Jean Paul II, le choix de ses collaborateurs, ses premières déclarations... Henri Tincq, chroniqueur religieux du Monde, qui a déployé toute sa compétence depuis quelques semaines, n'est pas près de partir en vacances !

Le journal est contraint de préparer de leur vivant la nécrologie des grands de ce monde, surtout s'ils sont âgés ou malades. Jean Paul II ayant été victime d'un attentat, un premier cahier de douze pages avait été rédigé à la fin des années 1980. Il a été actualisé à plusieurs reprises, puis a permis de célébrer les 25 ans de son pontificat en octobre 2003. Et c'est un tout autre supplément qui a dû être rédigé en cours de route pour être publié le jour de sa mort.

L'agonie de Jean Paul II a donné lieu à un difficile exercice journalistique. On ne voulait être en retard ni sur l'événement... ni sur les confrères. Le décès ayant été annoncé samedi soir, c'est Le Journal du dimanche qui en a "bénéficié". Le Monde, lui, a pris des risques.

"Comment avez-vous pu écrire samedi (dans votre édition datée 3-4 avril) "Ce pape qui vient de mourir", plusieurs heures avant que cela se produise ?, demande un lecteur du Vésinet (Yvelines), Rémi Hascal. Joli coup de poker ! Et si le pape n'était pas mort samedi ?" Bien que se déclarant athée, Catherine Deville Cavellin (courriel) trouve "extrêmement indécentes cette avalanche de détails sur un homme qui agonise et ces amorces de chroniques nécrologiques avant qu'il ne soit mort".

Jean Paul II s'est éteint samedi à 21 h 37. Le Monde était en vente à Paris depuis midi avec un cahier spécial retraçant sa vie et parlant de lui à l'imparfait. Fallait-il laisser passer le week-end et ne publier ce supplément que le lundi à midi, pour le diffuser mardi matin en province ? Le Figaro et Libération avaient déjà publié leurs cahiers spéciaux. Il a été décidé de ne pas attendre l'annonce du décès, en se fondant sur le communiqué médical de la veille au soir ("des paramètres biologiques sérieusement compromis") et une révélation plus personnelle du cardinal Camillo Ruini, vicaire de Rome, bien informé, qui avait dit: "Le pape voit déjà et touche déjà le Seigneur"...

Jean Paul II ne compte pas que des admirateurs parmi les lecteurs du Monde. "Aucun prince, aucun chef d'Etat n'avait, jusqu'à ce jour, pensé à mettre son agonie en scène, écrit Michel De Wan, de Louvain-la-Neuve (Belgique). Comme le Christ crucifié, Karol Wojtyla souffre le martyre et il veut que le monde entier le sache. En même temps que lui, des centaines de milliers de femmes et d'hommes agonisent, sans ors, sans médecin et, bien sûr, sans caméra. Parmi eux quelques-uns de ces sidéens, surtout africains, que Karol a piégés dans la mort prématurée en leur interdisant l'usage du préservatif au nom de sa "foi"."

D'autres lecteurs ont été choqués par la tonalité positive des premiers commentaires du Monde. Anne Torunczyk (Aix-en-Provence) ne comprend pas que le journal se soit "laissé gagner par l'hystérie collective". Pourquoi, demande-t-elle, "ces éditoriaux pleins d'éloges et de componction, ces articles montrant Jean Paul II comme un bienfaiteur de l'humanité, et la plus grande discrétion, par contre, pour tout ce qui concerne son attitude rétrograde insupportable envers la sexualité et la condition des femmes" ?

Jacqueline Ferreras (Paris) va dans le même sens: " Comment oublier que Jean Paul II est passé à côté du problème vital le plus essentiel de son époque: celui de la sexualité. Après cela, vous vous étonnez que la jeunesse délaisse la lecture de la presse !"

Jean Paul II n'était pas encore enterré que Le Monde ouvrait ses colonnes à deux théologiens contestataires, Hans Küng et Leonardo Boff, dans le numéro du 7 avril. Ni l'un ni l'autre ne ménageaient le défunt. De quoi valoir au journal une nouvelle vague de lettres et courriels, mais dans un tout autre sens que les précédents...

Le Monde a toujours attaché de l'importance à l'actualité religieuse, qu'il ne traite jamais par la dérision. Il accueille naturellement tous les points de vue, mais n'a pas à prendre parti lui-même dans des questions internes aux différentes confessions. Sauf quand elles ont une incidence sur la vie sociale, comme pour l'avortement, la contraception ou le port du voile à l'école publique.

Trouver la bonne distance n'est pas toujours facile. Surtout lorsqu'un pape hors normes comme Jean Paul II vient brouiller les frontières, démentir beaucoup d'analyses sociologiques et, dans un dernier exploit, faire carillonner pendant quelques jours toutes les cloches du village planétaire. Robert Solé
Article paru dans l'édition du 10.04.05


Le Monde / Europe
Schroeder à Buchenwald: "l'époque nazie est une partie de notre identité"

 "L e souvenir de l'époque du national-socialisme, de la guerre, du génocide et des crimes est une partie de notre identité nationale. Et c'est une responsabilité morale constante", a déclaré le chancelier social-démocrate devant un parterre de personnalités et quelque 550 anciens prisonniers de 26 pays qui furent internés dans ce camp où périrent environ 56.000 personnes.

Parmi les invités figuraient aussi 1.200 vétérans de l'armée américaine qui avait libéré le camp nazi de Buchenwald le 11 avril 1945.

"Nous voulons et nous ne permettrons pas que l'injustice et la violence, l'antisémitisme, le racisme et la haine des étrangers aient un jour à nouveau une chance", a ajouté M. Schroeder dans un discours au ton grave.

Pour sa part, le président de la chambre haute du Parlement allemand (Bundesrat), Dieter Althaus, a appelé à davantage de vigilance contre l'extrémisme de droite. "Nous devons nous donner plus de mal plutôt que de dire toujours 'plus jamais!'", a-t-il affirmé.

"Il ne faut pas que les chapitres les plus sombres de notre histoire se reproduisent", a ajouté M. Althaus (chrétien-démocrate), qui est aussi le chef du gouvernement régional de Thuringe, où est situé Weimar.

De son côté, le président du Conseil central des juifs en Allemagne, Paul Spiegel, a estimé qu'il fallait continuer à raviver le souvenir. C'est seulement de cette manière qu'on pourra garantir aux générations futures que les souffrances de toutes les victimes de la période nazie n'ont pas été "totalement gratuites", a-t-il dit.

De nombreuses personnalités, essentiellement allemandes, parmi lesquelles aussi l'écrivain espagnol Jorge Semprun et le ministre français délégué à la Recherche François d'Aubert, participaient à ces cérémonies ponctuées d'un concert de musique classique.

Pendant son discours, Jorge Semprun a été brièvement interrompu par des cris provenant de la salle lorsqu'il a déclaré qu'il n'y aurait plus de survivants du camp de Buchenwald pour le 70e anniversaire de sa libération en 2015.

Les cérémonies devaient se poursuivre dans l'après-midi par un dépôt de gerbe à la mémoire des victimes de Buchenwald.

Environ 250.000 personnes de tous les pays d'Europe furent internées de juillet 1937 à avril 1945 dans ce camp de concentration. Au total, 34.375 décès sont enregistrés dans les dossiers du camp.

Mais ne sont officiellement pas recensés les prisonniers de guerre soviétiques, assassinés d'une balle dans la nuque, les prisonniers de la Gestapo achevés dans le crématoire de Buchenwald (estimés à 1 100), les victimes des convois d'évacuation des camps de l'Est arrivées à Buchenwald ou celles évacuées du camp dans des marches de la mort par les SS au printemps 1945.

Avec AFP
LEMONDE.FR | 10.04.05


Le Monde / International
Bush: Sharon doit s'en tenir à "la feuille de route"
REUTERS/LARRY DOWNING

Le premier ministre israélien, Ariel Sharon et le président américain, George W Bush se serrent la main après leur conférence de presse dans le ranch de Crawford (Texas) le 11 avril 2005.

 L e président américain George W. Bush a appelé, lundi 11 avril, les Palestiniens à soutenir le plan de retrait de Gaza présenté par le premier ministre israélien, Ariel Sharon, tout en réaffirmant son propre soutien à ce plan. "Je soutiens fermement son initiative courageuse de se retirer de Gaza et d'une partie de la Cisjordanie. Le premier ministre est prêt à coordonner l'application du plan de retrait avec les Palestiniens. Je demande à la direction palestinienne d'accepter son offre", a affirmé M. Bush lors d'une conférence de presse avec M. Sharon dans son ranch de Crawford (Texas). Le président américain a également appelé les Palestiniens à désarmer les groupes palestiniens comme le demande le dernier plan de paix en date, la "feuille de route".

George W. Bush a également répété qu'Israël devait respecter ses obligations sur le développement des colonies en Cisjordanie et démanteler les implantations illégales, tout en indiquant qu'il était "irréaliste" d'envisager un retour aux frontières de 1949. "J'ai fait part au premier ministre de mon souci de ne pas voir Israël prendre des initiatives qui contredisent ses obligations à l'égard de la "feuille de route" et portent atteinte au statut final des négociations", a souligné M. Bush. "En conséquence, Israël doit démanteler les implantations illégales et respecter ses obligations à l'égard de la "feuille de route" en ce qui concerne les colonies en Cisjordanie", a-t-il ajouté.

L'Autorité palestinienne reproche à Bush de "légitimer" la colonisation

L'Autorité palestinienne a reproché, lundi 11 avril, au président américain George W. Bush de "légitimer" la colonisation juive, après que celui-ci eut affirmé qu'il était "irréaliste" d'envisager un retour aux frontières de 1949 entre Israël et la Cisjordanie.

M. Bush avait lancé plusieurs appels aux Israéliens ces derniers jours pour qu'ils gèlent le développement des grandes colonies en Cisjordanie et s'était engagé à répéter ces avertissements à M. Sharon en le recevant dans son ranch. "Comme je l'ai dit en avril dernier, les nouvelles réalités sur le terrain font qu'il est irréaliste d'envisager que les négociations sur le statut final entraînent un retour complet aux frontières de l'armistice de 1949. Il est réaliste d'envisager que tout accord sur le statut final sera effectué sur la base de changements acceptés mutuellement et reflétant ces réalités. C'est le point de vue américain", a toutefois souligné George W. Bush.

RECONNAISSANCE DU PRINCIPE D'UN ÉTAT PALESTINIEN

La position américaine sur les frontières de 1949 sont comprises par les Israéliens comme signifiant que ces colonies feront partie d'Israël dans le cadre d'un règlement final sur les frontières du futur Etat palestinien. "La position israélienne est que les grandes colonies resteront en Israël" dans le cadre de tout règlement, a souligné M. Sharon lundi. Il s'est aussi engagé à démanteler les implantations illégales, soulignant qu'Israël respecterait ses obligations au regard de la "feuille de route".

"Concernant les implantations illégales, je veux répéter qu'Israël est une société gouvernée par l'Etat de droit. En conséquence, je respecterai mon engagement de démanteler les implantations et colonies illégales. Israël respectera également toutes ses obligations vis à vis de la feuille de route", a-t-il assuré, se joignant à l'appel lancé par M. Bush aux Palestiniens pour qu'ils soutiennent son plan de retrait de Gaza.

M. Sharon a réaffirmé son soutien au principe d'un Etat palestinien indépendant dont la contiguïté territoriale sera garantie en Cisjordanie. "Nous souhaitons que les Palestiniens se gouvernent eux-mêmes dans leur propre Etat qui aura une contiguïté territoriale en Judée-Samarie, co-existant au côté d'Israël en paix et en sécurité", a-t-il dit. Le terme de "contiguïté" signifie que cet Etat ne sera pas morcelé par des implantations israéliennes empêchant la libre circulation des Palestiniens.

M. Sharon a appelé le président palestinien Mahmoud Abbas a faire davantage pour démanteler les groupes armés palestiniens, après les tirs de roquettes et d'obus de mortier qui ont visé ce week-end des colonies et des positions de l'armée israélienne dans la bande de Gaza. Ces tirs faisaient suite à la mort de trois adolescents palestiniens tués par l'armée israélienne.

Avec AFP
LEMONDE.FR | 11.04.05


Le Monde / International
John Negroponte promet une réforme du renseignement américain

 L e superpatron du renseignement américain, John Negroponte, a promis, mardi 12 avril, devant le Congrès, de donner un "bon coup de pied dans la fourmilière" de ce secteur, afin de tourner définitivement la page des échecs du 11 septembre 2001 et des erreurs d'analyse sur l'arsenal irakien. "Tout le monde sait que c'est un travail difficile, mais les choses qu'il faudra faire différemment seront faites différemment. Il nous faut un seul secteur du renseignement, qui coopère sans heurt, réagit rapidement, et passe plus de temps à penser à l'avenir qu'au passé", a déclaré M. Negroponte.

L'ex-ambassadeur en Irak était auditionné au Sénat pour confirmer sa nomination au poste de directeur du renseignement national (DNI), chapeautant une quinzaine d'organismes du renseignement, y compris la CIA. Ce diplomate de carrière de 65 ans doit inaugurer un poste nouvellement créé dans le cadre d'une vaste réforme du renseignement promulguée en décembre, en application des recommandations de la commission d'enquête sur les attentats du 11 septembre 2001. Il a été chaudement encouragé par les parlementaires à agir avec vigueur après les échecs qu'ont été ces attentats et les erreurs d'analyse sur l'arsenal irakien.

Pour réussir à ce nouveau poste, "il vous faudra la finesse gestionnaire de Lee Iacocca (légendaire PDG de Chrysler), l'innovation de Bill Gates, la fermeté et le charisme de Winston Churchill, et, de temps en temps, les talents de négociateurs d'Attila le Hun", a souligné avec humour le démocrate Jay Rockefeller. Le président de la commission, le républicain Pat Roberts, a également évoqué la nécessité d'être prêt à "marcher sur quelques pieds" et à "donner des coups de pied". "En tant que premier DNI, vous établirez des précédents historiques qui définiront tous les futurs DNI", a dit M. Roberts, estimant que "si le premier DNI n'exerce pas tout son pouvoir, il sera difficile pour les suivants de le faire".

D'autres, comme la républicaine Olympia Snowe, l'ont appelé à casser les baronnies et les mentalités de clocher, soulignant que les agents devaient privilégier la loyauté à leur pays et au secteur du renseignement dans son ensemble, plutôt qu'à leur organisme particulier.

"VÉRITÉ BRUTE"

En réponse, M. Negroponte, qui a reconnu la nécessité de "renseignement de meilleure qualité", a affiché sa foi dans le "travail d'équipe", et il a annoncé avoir déjà multiplié les contacts avec les patrons des ministères de la défense, de la justice, de la sécurité intérieure, du FBI et de la CIA. "On a beaucoup parlé des baronnies du renseignement, (...), et il n'y pas de fumée sans feu", a-t-il convenu, "mais les temps présents exigent que nous transcendions les divisions entre militaires et civils."

M. Negroponte a aussi promis une totale franchise, alors que l'ancien patron de la CIA George Tenet avait été accusé de complaisance, balayant notamment les doutes sur l'existence d'armes de destruction massive irakiennes avant la guerre. "Je crois que le président mérite que son directeur du renseignement national et la communauté du renseignement lui livrent la vérité brute", a déclaré M. Negroponte, qui a enchaîné des postes très exposé dans l'administration Bush, en particulier ambassadeur aux Nations unies avant et pendant la guerre en Irak et premier ambassadeur américain dans l'Irak d'après Saddam Hussein.

Il sera notamment chargé de faire un rapport quotidien au président Bush sur l'état des menaces pesant sur les Etats-Unis, une tâche jusqu'à présent dévolue au patron de la CIA, l'ancien parlementaire républicain Porter Goss, qui a pris ses fonctions fin septembre.

Avec AFP
LEMONDE.FR | 12.04.05

“longue” à mettre en rapport avec celle qui précède…


Le Monde / Société
EDWIGE RUDE-ANTOINE, juriste et sociologue, chargée de recherche au CNRS
"Le vrai problème est de faire face aux traditions"

 V ous venez de remettre un rapport sur les mariages forcés dans les Etats membres du Conseil de l'Europe, qui doit être approuvé d'ici au mois de juin. Le relèvement à 18 ans de l'âge du mariage pour les femmes, en France, permettra-t-il de lutter contre le phénomène ?
On ne peut qu'approuver une telle mesure: le principe d'égalité entre l'homme et la femme au regard de la capacité matrimoniale est enfin respecté ! La majorité des pays européens ont déjà fixé l'âge légal du mariage à 18 ans, sans discrimination de sexe. Pour autant, cette mesure ne va pas freiner la pratique des mariages forcés. On associe souvent mariages forcés et mariages précoces. Or, si cette pratique touche des mineurs, elle concerne aussi beaucoup de jeunes de 23, 24, 25 ans, des filles comme des garçons, d'ailleurs.

En relevant l'âge du mariage, on ne résout pas le problème, car on ne touche pas à ce qu'il y a derrière. Le vrai problème est de faire face aux traditions. En Inde, par exemple, pour remédier à la pratique des mariages précoces, l'âge du mariage a été porté à 18 ans pour les filles et à 21 ans pour les garçons. Or les familles continuent à marier leurs enfants selon la tradition, avant l'âge légal, le mariage civil étant simplement célébré lorsque la fille a atteint ses 18 ans. La loi n'a dans ce pays qu'une valeur symbolique.
De plus, cette mesure ne résout pas la situation spécifique des femmes de nationalité étrangère. Pour les personnes qui gardent leur nationalité d'origine, la loi de leur pays continue de s'appliquer. En application de nos règles de droit international privé, devons-nous accepter des mariages en France de filles ou de garçons de nationalité étrangère de moins de 18 ans ?

La pénalisation constitue-t-elle une réponse pertinente ?
On ne peut envisager une pénalisation sans avoir défini ce qu'on entend par mariage forcé. Plus d'une dizaine de dénominations se rapportent à cette question: mariage arrangé, mariage coutumier, mariage traditionnel, mariage de convenance, mariage précoce, mariage d'enfants, mariage simulé, mariage apparent, mariage fictif, mariage de complaisance, mariage blanc, mariage indésirable, mariage subi... Si l'on veut créer une nouvelle infraction appelée "mariage forcé", il faut commencer par réfléchir à la qualification qu'on lui donne. Cette définition n'est pas tâche facile. Par exemple, ce n'est pas parce qu'il y a mariage de complaisance qu'il y a mariage forcé. Cette définition nous renvoie à une question de philosophie morale: à partir de quand peut-on considérer qu'il y a atteinte à la liberté du consentement et à la volonté de la personne ? On pourrait envisager une infraction spécifique dans les cas de très grande violence, lorsqu'une jeune fille est séquestrée ou subit des violences physiques. Mais la solution est plus complexe lorsque la jeune fille a été contrainte par des pressions morales, plus difficiles à prouver.
Faut-il donner une définition large du mariage forcé qui puisse inclure les différents degrés de l'acte (les violences, les privations de liberté, les menaces, les pressions, l'utilisation d'objets...), mais aussi le statut de la personne en cause (victime mineure ou non, membre de la famille, lien plus ou moins proche et d'indépendance entre l'auteur de l'acte et la victime) ? Il serait important de prévoir des sanctions plus ou moins graves selon les faits.

Beaucoup de femmes se taisent, et se résolvent au mariage que leur imposent leurs parents.
Les jeunes femmes qui se sont opposées à leur famille en gardent souvent un sentiment de culpabilité. D'autant qu'elles sont contraintes de rompre non seulement avec leurs parents, mais aussi avec leur fratrie, voire avec leurs amis, qui ne comprennent pas leur attitude.
Elles sont amenées à faire face à une nouvelle autonomie à laquelle elles n'ont pas été préparées. Cette situation peut les obliger à interrompre leurs études. Or, si ces femmes ont besoin d'être soutenues psychologiquement et financièrement, elles ne trouvent souvent pas les dispositifs d'accueil (lieux d'écoute et d'hébergement spécifiques) qui leur permettraient de faire face à cette situation difficile.

Propos recueillis par Laetitia Van Eeckhout
Article paru dans l'édition du 12.04.05


Le Monde / Société
La fréquence des mariages forcés pose la question de la pénalisation

 L 'amendement relevant de 15 à 18 ans l'âge légal du mariage des femmes, adopté le 29 mars par le Sénat et qui doit être prochainement examiné par l'Assemblée nationale, a eu le mérite de ramener l'attention sur le phénomène des mariages forcés (Le Monde du 29 mars). Une pratique qui perdure, en France, dans nombre de familles issues de l'immigration. Les associations évaluent à plus de 70 000 le nombre de jeunes femmes, mineures et majeures, concernées.

Elles disent être de plus en plus sollicitées par des jeunes filles mariées de force – qu'il s'agisse de mariages civils ou coutumiers – ou menacées de l'être. Celles-ci sont originaires du Mali, de Mauritanie et du Sénégal, mais aussi du Maghreb, d'Asie et de Turquie.

Si la plupart des parents concernés viennent de pays musulmans, "cette pratique n'est pas liée à l'islam, mais à des coutumes traditionnelles que les familles font perdurer", relève Adole Ankrah, directrice du réseau FIA-ISM (Femmes inter-associations, inter-services migrants). Arrivées dans les années 1960 et 1970, beaucoup de ces familles appliquent toujours le mode de vie de l'époque, au risque d'un décalage avec leur pays d'origine, où les moeurs ont évolué.

En mariant leur fille avec un jeune homme originaire de leur pays, les parents cherchent à affirmer leur identité et à garder un lien avec leur culture d'origine. "C'est une parcelle de pouvoir leur restant, qui permet de contrôler les enfants, de préserver la virginité et l'honneur des femmes. Le mariage apparaît comme un remède aux possibles écarts de la fille", souligne Christine Jama, directrice et juriste de l'association Voix de femmes.

Il arrive souvent que les parents précipitent le projet de mariage de leur fille lorsqu'ils apprennent que celle-ci flirte avec un Français ou un jeune homme originaire d'un autre pays que le leur. Beaucoup de filles sont piégées, et même séquestrées, pendant leurs vacances dans leur pays d'origine.

Lorsque c'est encore possible, les associations tentent d'envisager une médiation avec les parents, essaient de les convaincre qu'ils sont hors la loi et les informent sur les conséquences de telles pratiques – grossesses précoces, interruption d'études, troubles neurologiques, dépression, suicide, etc. Une tâche délicate car, "lorsqu'on tente de dissuader les parents de suivre leurs traditions, ils vivent cela comme un rejet, une stigmatisation, étant, eux, persuadés de faire le bien de leur fille", explique Mme Ankrah.

Cette médiation est loin d'être toujours possible, les jeunes filles préférant parfois elles-mêmes l'éviter pour ne pas être repérées. "Si elles vivent dans un milieu très fermé, très traditionnel, elles craignent des menaces de leurs frères", relève Pinar Hukum, cofondatrice de l'association Elele, qui oeuvre à l'intégration de la communauté turque en France.

"Beaucoup de femmes parlent de "tribunal communautaire": chacun surveille les pas des autres, condamnant tout écart de celui ou celle qui change, évolue", témoigne Asma Guenifi, psychologue et animatrice du pôle accueil des victimes de l'association Ni putes ni soumises.

Nombreuses sont celles qui préfèrent se résigner. "Sous l'emprise de leurs parents qui, disent-elles, les aiment et dont elles doutent qu'ils puissent les trahir, elles prennent peur et culpabilisent, explique Emmanuelle Piette, médecin de la protection maternelle et infantile (PMI) en Seine-Saint-Denis. "Si l'on part, on sera renié, c'est pire", disent-elles."

"La culpabilisation des jeunes filles constitue un moyen récurrent pour les contraindre au mariage. La menace de rupture avec la famille est efficace", appuie Mme Jama, qui raconte que, "pour l'obliger à retourner au pays pendant les vacances pour la marier, une mère a dit à sa fille que sa grand-mère allait mourir et que si elle n'y allait pas, elle en serait responsable".

Coordinatrice des dix-sept centres de planification du département de Seine-Saint-Denis, Mme Piette anime depuis une dizaine d'années une campagne de prévention sur les mariages forcés. Dans ce cadre, des séances collectives d'information dans les classes de lycées et collèges sont organisées afin de sensibiliser les jeunes, et en particulier les jeunes filles, et de les appeler à la vigilance, en mettant par exemple en lieu sûr leurs papiers d'identité (chez des amis, auprès d'associations...).

Une sensibilisation des mères est également menée dans le cadre des stages d'alphabétisation. Les assistantes sociales scolaires, le personnel des centres de planification et les éducateurs de l'aide sociale à l'enfance se voient dispenser des stages de formation spécifiques sur le sujet. Pour Mme Guenifi, cette sensibilisation de l'ensemble des acteurs sociaux du département est essentielle. Selon elle, il arrive encore trop souvent que "les services sociaux ne bougent pas, relativisant le problème en disant: "C'est dans leur culture"".

Tout en rappelant que la plupart des jeunes filles sont mariées alors qu'elles sont majeures, les associations se félicitent du relèvement de l'âge du mariage des femmes: "A 18 ans, plus matures et libérées du joug de l'autorité parentale, les filles se sentent plus fortes pour dire non", assurent-elles.

Toutes soulignent néanmoins que c'est en donnant la possibilité aux jeunes filles qui refusent le mariage de trouver un lieu d'hébergement et de bénéficier d'une aide matérielle et d'un suivi psychologique que l'on fera reculer cette pratique. Or les logements disponibles sont rares. Faute de trouver des structures d'hébergement adaptées, les associations trouvent des solutions peu satisfaisantes, plaçant les jeunes filles dans un foyer ou un hôtel social, où elles se trouvent mêlées à des personnes en grande difficulté.

Le 29 mars, au Sénat, la ministre de la parité et de l'égalité professionnelle, Nicole Ameline, annonçait qu'elle comptait aller plus loin et "introduire prochainement dans le droit pénal un délit de contrainte au mariage". Là encore, les associations se montrent partagées, craignant que la mesure ne se retourne contre les victimes. "Les jeunes filles en proie à ces unions forcées subissent de telles pressions morales et un tel conditionnement culturel qu'elles osent difficilement dire non. Avec la pénalisation, elles risquent de culpabiliser encore plus", insiste Mme Jama.

Y. Bd et L. V. E.
Article paru dans l'édition du 12.04.05


Le Monde / Société
Ina, mariée contre son gré et violée à 15 ans, a préféré partir de chez elle

 I na se reproche d'être bavarde. C'est qu'elle a hâte de mettre des mots sur ce qui lui est arrivé. À 13 ans, cette jeune fille d'origine malienne a été fiancée, avant d'être mariée, de force, deux années plus tard. Aujourd'hui, à 20 ans, elle est étudiante en classe préparatoire à l'Ecole normale supérieure de Cachan (Val-de-Marne), et en licence de droit.

"Enfant, j'étais une petite Malienne modèle, sage et bonne élève." Elle est l'aînée des filles, s'occupe de ses sept frères et soeurs, trouve normal d'aider sa mère, qui travaille. La vie de famille s'écoule paisiblement en région parisienne, jusqu'au jour où le regard de sa mère semble changer. Ina a grandi. Vers 12 ans, elle a eu ses premières règles. Sa vie de petite fille bascule alors dans un monde qu'elle ne connaît pas, celui de ses origines.

"Ma mère me dit qu'un type demande ma main. Elle me demande si je veux l'épouser plus tard." Ina ne connaît pas l'homme en question, refuse. Sa mère la gifle. Ina ne comprend pas, demande des explications. "C'est comme ça qu'on devient une femme", lui répond sa mère. Pendant deux ans, la voici fiancée à un Malien d'une trentaine d'années. L'été de ses 15 ans, elle doit l'épouser, en France. C'est un mariage coutumier.

"C'était un jeudi, se souvient-elle. Pendant une semaine, j'ai été enfermée dans une chambre. Lui avait le droit de sortir mais moi, je ne devais voir personne, pas même mes parents. Sauf une femme." Il s'agit de la "marieuse". Celle-ci est chargée, comme le veut la tradition, de veiller à ce que tout se passe "bien".

"J'ai été violée tous les jours", raconte Ina. Elle a beau crier, appeler père et mère, la porte de la chambre reste close.

En septembre, elle entre en classe de première. Ses parents la laissent encore aller à l'école. Durant cette année scolaire, elle habite chez ses parents et voit son "mari" tous les week-ends. Les grandes vacances approchent. Ina angoisse à l'idée de devoir, définitivement, le rejoindre. Un soir, elle ne rentre pas, et se réfugie chez une enseignante. Une semaine de répit, pour réfléchir.

DEUX CULTURES

La brigade des mineurs de Montreuil (Seine-Saint-Denis) ne croit pas à son histoire, et Ina doit retourner chez ses parents. De peur de perdre sa fille, son père accepte finalement de rompre le mariage. "Je ne sais même pas si je suis divorcée ou pas", s'interroge la jeune femme aujourd'hui.

En 2002, sa mère a de nouveau un projet de mariage pour elle. Ina comprend qu'il faut qu'elle se mette à l'abri, une fois pour toutes. Elle saisit le juge des enfants, qui décide son placement dans un foyer. Ce qui ne l'empêche pas d'obtenir brillamment son baccalauréat: "C'était difficile. En plus, j'étais avec des filles qui n'avaient rien à voir avec moi, déscolarisées."

Aujourd'hui, l'étudiante est indépendante, loue son propre appartement. Et voit toujours sa mère. Il a fallu du temps pour renouer le lien, mais Ina lui a pardonné: "Elle a vécu la même situation. Je ne peux pas lui reprocher de perpétuer une tradition. La communauté malienne en France est très liée et, là-bas, au Mali, la pression est encore plus forte."

La jeune fille hésite toujours entre deux cultures. Elle ne veut pas choisir l'une aux dépens de l'autre. "Mes parents ont besoin de reproduire ces traditions pour se rappeler qui ils sont, d'où ils viennent, dit-elle. Pour eux, je ne serais pas une femme accomplie, une bonne Malienne, si je n'étais pas mariée. Et ils pensent que c'est un scandale de ne pas avoir d'enfants à 20 ans."

Yasmina Belkaïd
Article paru dans l'édition du 12.04.05


Le Monde / Opinions
CHRONIQUE INTERNATIONAL
D'où viennent les idées fausses ?

 L a CIA elle-même l'a reconnu. Elle s'est trompée sur l'état de l'armement irakien. Saddam Hussein ne possédait pas – ne possédait plus ? –, en mars 2003, d'armes de destruction massive susceptibles de menacer ses voisins et a fortiori les Etats-Unis. Le président George Bush l'aurait-il su plus tôt que sa décision d'envahir l'Irak n'en aurait pas été changée, car l'arsenal du dictateur de Bagdad n'a jamais été sa préoccupation principale. S'il a été mis en avant pour justifier la guerre, c'est uniquement pour des raisons de convenance.

Paul Wolfowitz, alors numéro deux du Pentagone, l'avait expliqué quelques semaines après la chute de Saddam Hussein: "La vérité, avait-il déclaré à la revue Vanity Fair, c'est que, pour des raisons qui ont beaucoup à voir avec la bureaucratie gouvernementale, nous nous sommes résolus à mettre en avant la raison sur laquelle tout le monde pouvait se mettre d'accord, celle des armes de destruction massive, comme la raison principale, mais il y a toujours eu dans cette affaire d'autres préoccupations fondamentales."

On s'est demandé alors si les Américains et leurs alliés britanniques avaient délibérément menti pour justifier leur expédition punitive. C'est une mauvaise façon de poser le problème, a répondu récemment un ancien diplomate britannique dans un long article du Financial Times. Carne Ross, qui dirige maintenant un think tank (laboratoire d'idées) indépendant, a été pendant quatre ans membre de la délégation britannique à l'ONU, chargé de suivre les inspections et les sanctions contre l'Irak.

Dans cet essai, il détaille la manière dont sont prises les décisions par les responsables de la politique étrangère, comment les informations sont recueillies, travaillées, filtrées avant d'arriver jusqu'aux décideurs. La question n'est plus la bonne ou la mauvaise foi, la vérité ou le mensonge, le respect des faits ou la propagande. C'est la construction d'un argumentaire pour soutenir ou contester une politique déterminée.

S'appuyant sur le cas irakien, il rappelle qu'au Conseil de sécurité deux lignes se sont affrontées pendant des années. Schématiquement, les Anglo-Saxons considéraient que Saddam Hussein ne coopérait pas avec les inspecteurs de l'ONU et faisait obstruction au programme "Pétrole contre nourriture" qu'il détournait à son profit. Les Russes et les Français, de leur côté, estimaient que Saddam avait désarmé et que les inspections comme les sanctions étaient "futiles". Carne Ross raconte: "Mon travail consistait à rassembler et à faire la synthèse des innombrables statistiques, rapports, témoignages pour servir de base aux interventions au Conseil de sécurité." Et il ajoute: "De l'autre côté de la table, Français et Russes soutenaient le contraire avec force statistiques, rapports et témoignages provenant des mêmes sources."

Contradiction ? Non, plutôt une utilisation différente des mêmes informations. L'exemple irakien n'est pas une exception. Il illustre les faiblesses d'un mode de fonctionnement administratif qui tend à privilégier les faits et les jugements confortant une opinion préétablie – ou simplement celle de l'autorité supérieure – et à écarter ceux qui la contredisent. Les informations "qui renforçaient notre discours apparaissaient lumineuses et seraient utilisées par moi, mon ambassadeur ou mon ministre comme autant de grenades dans la guerre de tranchées diplomatique", écrit Carne Ross. Il faudrait être, poursuit-il, un fonctionnaire "courageux ou fou" pour nager à contre-courant. Cela ne signifie pas que les dossiers soient montés de toutes pièces. C'est "plus subtil". Les arguments sont sélectionnés au milieu d'une masse d'informations, les contradictions sont ignorées. Les éléments choisis sont répétés, reformulés, peaufinés, "jusqu'à ce qu'ils paraissent clairs, cohérents et convaincants, jusqu'à ce que ceux qui les présentent y croient pleinement eux-mêmes". Et les informations paraîtront d'autant plus fiables qu'elles proviennent des services de renseignement, qu'elles sont marquées du sceau "confidentiel - à circulation restreinte", donnant l'impression au destinataire d'appartenir à une élite particulièrement bien informée.

Ce mode de fonctionnement n'est ni limité à la crise irakienne ni l'apanage du service diplomatique britannique. Les observations de Carne Ross invitent à réfléchir sur les processus de décision en matière de politique étrangère. Elles permettent de tirer des enseignements plus généraux concernant une forme de conformisme dans les grands Etats, la priorité souvent donnée par les administrations à la volonté de plaire au prince sur l'affirmation de vérités dérangeantes. Il faut des événements dramatiques pour bouleverser les idées reçues. Citant Donald Rumsfeld et Tony Blair, Carne Ross montre comment les attentats du 11-Septembre ont changé "l'appréciation" portée sur des faits connus au préalable, et, plus encore que l'appréciation, "la présentation de cette appréciation".

En France, dans les années 1990, à l'occasion d'une autre crise marquée par la dissolution de la Yougoslavie, il a fallu un changement de majorité gouvernementale pour que les rapports des fonctionnaires et des observateurs sur les responsabilités des autorités serbes soient enfin pris au sérieux jusqu'au sommet de l'Etat.

Daniel Vernet
Article paru dans l'édition du 13.04.05


Le Monde / International
Après moult négociations et ample cérémonial, l'accueil du prince est simple
Riyad de notre envoyée spéciale

 I nterviewer Abdallah Ben Abdel Aziz, prince héritier d'Arabie saoudite, 81 ans, trente-quatre enfants, digne descendant d'Ibn Saoud et détenteur de la réalité du pouvoir dans le royaume depuis que son frère aîné, le roi Fahd, a été victime d'un accident cérébral en 1995, ne relève pas de l'exercice de routine. Le prince ne s'est pas exprimé dans la presse occidentale depuis les jours sombres de l'immédiat après-11 septembre 2001, lorsque la présence de 15 Saoudiens parmi les 19 pirates de l'air qui frappèrent l'Amérique le poussa à faire un délicat numéro de relations publiques en acceptant de répondre aux questions du New York Times et du Washington Post.

Entre Washington et Riyad, le pragmatisme a prévalu depuis, mais, de toute évidence, le coeur n'y est plus. "Ce n'est pas parce que l'on doit coucher avec l'Amérique qu'on est obligé de prendre son pied", relève très prosaïquement un Saoudien. Le coeur du prince Abdallah bat en revanche très fort pour son "ami Chirac", auquel il rend visite avant de prendre le chemin du ranch de Crawford, au Texas, où le président Bush le recevra un peu plus tard ce mois-ci. Recevoir un journal français était sans doute une manière de témoigner cette affection à la politique arabe de l'Elysée.

Pour arriver jusqu'au prince Abdallah, il faut se frayer un long chemin, fait de négociations préalables puis de dédales à travers les couloirs très masculins du pouvoir saoudien, auquel l'on n'accède qu'après avoir franchi les contrôles d'une sécurité impressionnante. Comme les Etats-Unis, l'Arabie saoudite livre aujourd'hui sa propre guerre au terrorisme, et les bâtiments officiels, tout autant que les quartiers résidentiels, sont de véritables camps retranchés, protégés par des blocs de béton, des murs de sacs de sable et des automitrailleuses.

GARDER LE CONTACT

Pour garder le contact avec les Saoudiens, le prince héritier, nous explique-t-on, aimait débarquer à l'improviste dans un mall, ces centres commerciaux à l'américaine qui sont devenus le haut lieu de la vie sociale, et partager une pizza. Le terrorisme a interdit tout cela. Aujourd'hui, le prince est condamné à recevoir ses sujets dans son immense palais de marbre moderne aux lustres grands comme des halls d'immeubles, lors de séances de majlis organisées quatre fois par semaine.

Là, à travers un cérémonial parfaitement orchestré et dûment télévisé, des hommes de tribus venus de toute l'Arabie saoudite entrent l'un après l'autre puis s'assoient en face de lui et lui présentent leurs doléances. Prestement, le prince retire sa main si d'aventure l'un d'entre eux tente de la lui baiser: Abdallah se veut un dirigeant moderne et sobre. Il serre la main de ses sujets et écoute, attentivement. A l'un il accordera une faveur dans tel litige administratif, à l'autre il la refusera, faisant même la morale à un jeune homme qui le supplie de lui rendre son emploi après un séjour en prison: "Il fallait y penser avant", lui répond le prince.

Après une litanie de poèmes à la gloire de la lutte contre le terrorisme, Abdallah retourne dans son bureau, escorté d'une nuée de collaborateurs en abaya noire ou brune à bordure dorée sur leur toge blanche et d'officiers, dans un bruissement de tissus sur l'épaisse moquette. A leur tour, les deux journalistes, silhouettes noires tranchant dans cet univers d'hommes, sont introduites dans l'immense pièce par une autre nuée d'officiels.

L'accueil du prince est simple, direct – ses réponses aux questions le sont nettement moins, surtout sur le sujet des réformes politiques. Le bouc et la moustache sont d'un noir de jais malgré le grand âge, l'oeil très vif derrière des lunettes teintées bleu ciel. Le prince Sultan, imposant ministre de la défense, frère d'Abdallah et prétendant au trône, est invité à assister à l'entretien. A une distance respectueuse. Le nouveau ministre de la culture, Iyad Madani, qui passe pour un réformateur, sera assis, lui, beaucoup plus près.

Sylvie Kauffmann
Article paru dans l'édition du 13.04.05


Le Monde / International
Le prince Abdallah: "Les terroristes sont les ennemis de l'islam"

 O n parle beaucoup d'un vent de la démocratie au Moyen-Orient. Pourtant, un rapport que vient de réaliser pour les Nations unies un groupe de chercheurs arabes en dresse un constat sévère. Pour eux, les réformes partielles, du type de celles que vous avez lancées, ne peuvent plus suffire. Qu'en pensez-vous ?
La démocratie fait partie de notre foi musulmane. Moi aussi je vais vous poser une question: de quand date la démocratie chez vous ? Combien de temps vous a-t-il fallu pour parvenir à une pleine démocratie ? Nous aussi, nous y arriverons, Inch Allah ! Le plus important, c'est la justice, l'équité, le respect des droits de l'homme. Tous ces principes sont dictés par notre religion. Pas seulement la nôtre d'ailleurs, mais toutes les religions du Livre, qu'il s'agisse du Coran, de l'Evangile ou de la Bible.

La première visite en France depuis 2001
Le prince héritier saoudien, Abdallah Ben Abdel Aziz, était attendu mercredi 13 avril à Paris pour une visite officielle de deux jours, avant un séjour, le 24 avril, aux Etats-Unis, où il doit être reçu par le président américain, George Bush, dans son ranch de Crawford, au Texas. Le prince Abdallah, qui dirige de facto le royaume, achèvera sa tournée occidentale au Canada pour une visite officielle de trois jours.
A Paris, le prince s'entretiendra avec le président Jacques Chirac et le premier ministre, Jean-Pierre Raffarin. Le conflit israélo-arabe, le Liban et l'Irak sont les principaux sujets à l'ordre du jour de la visite. Au plan bilatéral, le prince Abdallah évoquera, avec les dirigeants français, la coopération dans la lutte antiterroriste, selon le responsable saoudien. De nouveaux accords de coopération devraient être signés entre les deux pays liés par un "partenariat stratégique".
La dernière visite du prince en France remonte à juin 2001, quelques mois avant les attentats du 11-Septembre.

Comment imaginez-vous l'Arabie saoudite dans vingt ans ?
Dieu seul le sait. Nous oeuvrons pour instaurer la démocratie véritable, la démocratie que nous souhaitons. J'espère qu'il nous faudra moins de vingt ans pour y parvenir.

Pour la première fois en Arabie saoudite, des élections municipales sont organisées en ce moment. Est-ce là un premier pas vers des élections parlementaires ?
Tout est en bonne voie, si Dieu le veut.

Vous avez mis en route plusieurs sessions de "dialogue national". Sur quoi, concrètement, peuvent-elles déboucher ?
Nous en avons déjà largement tiré profit. Ce "dialogue national" a rassemblé le peuple saoudien, dont les différentes composantes communautaires ne se rencontraient pas, ne dialoguaient pas. Ils -les Saoudiens- sont désormais des frères, et ceci est un acquis, un énorme acquis.

Vous dites que chaque pays doit mener ses réformes "à son rythme". Qu'est-ce que c'est, le rythme saoudien ?
La démocratie et la réforme ne sauraient être imposées de l'extérieur. Elles doivent émaner du peuple. Quelqu'un vous a-t-il imposé vos propres réformes ?

Vous avez accepté de nous recevoir, deux journalistes femmes, et de répondre à nos questions. Quand est-ce que nos consoeurs saoudiennes pourront en faire autant ?
Dans moins de temps qu'il n'a fallu chez vous à une femme pour interviewer un homme ! Vous pouvez même diviser le délai par deux...

Donc, demain, une journaliste saoudienne peut venir vous interviewer ?
Les Saoudiennes sont déjà entrées dans la vie active, elles travaillent dans la banque, dans le secteur public. Avec le temps, leur état d'esprit, la mentalité de leurs maris et de leurs fils évolueront. Cela prendra moins d'années que n'en comptent les doigts d'une main.

Mais justement, n'est-il pas contradictoire que les Saoudiennes fassent des études de plus en plus poussées, qu'elles soient universitaires, artistes, médecins, scientifiques, et que, parallèlement, elles restent tributaires d'un tuteur masculin – leur mari, leur frère, ou même leur fils ?
Cela -le tutorat- traduit le souci que nous avons de protéger la femme, la dignité de la femme. Après tout, une femme est une soeur, une mère, une épouse, une fille. C'est ma mère qui m'a permis de voir le jour.

Vous avez admis, il y a deux ans, que le royaume devait désormais faire face aux deux phénomènes de la pauvreté et du chômage. Comment entendez-vous y remédier ?
La presse -saoudienne- a exagéré le problème du chômage. Les journaux ont prétendu qu'il y avait près d'un million de Saoudiens sans emploi. Vérification faite, le nombre des chômeurs varie entre 200 000 et 300 000, dont plus de la moitié a désormais trouvé un emploi, l'autre moitié étant composée de travailleurs non qualifiés, qui ont refusé les emplois que nous leur avons proposés. Je dois dire, à la décharge des journaux, que leur objectif n'était pas de critiquer pour critiquer, mais de nous pousser à faire des réformes et à aider les chômeurs.

Depuis mai 2003, l'Arabie saoudite et ses ressortissants sont eux-mêmes la cible du terrorisme. Pensez-vous que la répression, la guerre contre le terrorisme, soient la méthode la plus efficace ?
Les terroristes sont les ennemis de l'islam, de l'humanité et du genre humain. Nous leur ferons la guerre pendant dix, vingt, trente ans s'il le faut, que ces terroristes soient de confession musulmane ou non.
Nous avons commencé par leur demander de revenir à la raison, à la sagesse, au dialogue. En vain. Ils ont maintenu leurs actions. Dès lors, il faut combattre la violence par la violence. Mais il faut aussi combattre parallèlement les sources -de financement- du terrorisme, comme nous l'avons dit lors de la récente conférence de Riyad sur la lutte antiterroriste, c'est-à-dire que nous devons lutter contre le blanchiment d'argent, la contrebande et le trafic de drogue.

Qu'attendez-vous de votre visite en France ?
D'abord et avant tout, je viens parce que mon ami le peuple français et son président -Jacques- Chirac, un ami fidèle, très cher, me manquent. Chirac, à vrai dire, est un homme étrange, surtout par les temps qui courent. C'est ainsi que je le vois: un homme étrange, qui se distingue par sa morale, sa fidélité, sa sincérité, son humanité, sa franchise et sa chaleur humaine.

Mais encore ? Vous allez parler du Liban, de l'Irak ?
Le Liban, la Syrie, l'Irak concernent tous les peuples épris de justice et d'humanité. Le Liban ne saurait se passer de la Syrie et réciproquement. Le conflit qui a opposé ces deux pays peut être résolu. Mais les assassinats sont contraires à la morale et à l'humanité.

Vous pensez à l'assassinat de l'ancien premier ministre libanais, Rafic Hariri ?
De Rafic Hariri et d'autres ! L'assassinat de Rafic Hariri est un désastre, incontestablement. Qu'avait-il fait de mal ? Je connaissais très bien Rafic Hariri et je sais qu'il respectait la Syrie et les Syriens, tout en étant soucieux -des intérêts- de son pays. Je ne l'ai jamais entendu dire quoi que ce soit de mal -à propos de la Syrie-.

On dit que vous avez poussé le président syrien, Bachar Al-Assad, qui est venu vous voir, à retirer ses forces du Liban ?
Il en était convaincu avant d'arriver ici.

Pensez-vous que la décision du Conseil de sécurité de l'ONU de créer une commission internationale d'enquête sur l'assassinat de Rafic Hariri est une bonne décision ?
Bien sûr, parce que toutes sortes d'accusations ont été formulées, contre la Syrie, contre Israël, contre des parties libanaises. Une commission d'enquête internationale permettra d'établir la vérité.

Que pensez-vous de la situation en Irak ?
Je souhaite patience et succès au peuple irakien. C'est tout ce que l'on peut dire.

Pour Washington, la guerre en Irak était le premier pas vers la démocratisation du Moyen-Orient. Partagez-vous cette opinion ?
Je ne vois aucune utilité à la guerre. On ne construit pas la paix avec des guerres.

Vous êtes à l'origine de l'"initiative arabe de paix" adoptée en mars 2002 par le sommet arabe. Pensez-vous que dans l'ère post-Arafat cette initiative ait davantage de chances d'aboutir ?
Yasser Arafat a été le premier à approuver cette initiative, à laquelle le peuple israélien a aussi donné son accord. C'est Israël, ou plutôt une minorité en Israël qui est responsable -de l'absence de progrès-.

Qu'est-ce que le 11-Septembre a changé à vos relations avec les Etats-Unis ?
Ce qui a changé, c'est -l'attitude de- la presse. La plupart des journaux -américains- représentent une faction que vous connaissez.

Donc tout va bien ?
Il y a eu de légers différends, non pas avec le président -George Bush-, dont l'attitude n'a pas changé, mais avec son entourage. Mais grâce à Dieu, il y a eu une prise de conscience des deux côtés, et nos relations sont bonnes.

Pourquoi avez-vous choisi d'effectuer votre visite en France avant de vous rendre aux Etats-Unis, ce mois-ci ?
Je ne fais aucune différence entre les deux pays. Nos peuples sont amis depuis des dizaines d'années.

L'Europe a-t-elle un rôle à jouer au Moyen-Orient, différent de celui des Etats-Unis ?
Les Européens, qu'il s'agisse des Français, des Anglais ou d'autres, ont précédé les Américains dans notre région. Mais ils ont jeté l'éponge. Oui, aujourd'hui, il faut que l'Europe joue un rôle dans la région.

Propos recueillis par Sylvie Kauffmann et Mouna Naïm
Article paru dans l'édition du 13.04.05


Le Monde / Constitution européenne
Opinions - ANALYSE
L'entrée en scène de Jacques Chirac

 E n dialoguant jeudi sur TF1 avec un panel de jeunes, le président de la République marque son entrée dans la campagne pour le oui au référendum sur la Constitution européenne. La difficulté de l'exercice est que ces dernières semaines les intentions de vote en faveur du oui ont brutalement décroché. Le paradoxe de son intervention est que, le décrochage provenant principalement des électeurs de gauche, le président doit trouver les mots pour toucher une partie du pays politiquement très éloignée de lui.

Depuis la mi-mars, dix sondages consécutifs ont placé le non en tête des intentions de vote, lui accordant, selon la moyenne la plus récente de cinq instituts, 53,5%, une percée de 12 points en quelques semaines. Une situation d'autant plus spectaculaire que le oui est soutenu par l'arc-en-ciel des partis de gouvernement de gauche et de droite - PS, Verts, UDF, UMP -, qui totalisaient 65% des suffrages exprimés aux élections européennes de juin 2004. Une situation d'autant plus surprenante qu'il y a deux mois, lors du référendum de nos voisins espagnols, la victoire du oui a été une simple formalité, avec près de 80% des suffrages exprimés.

C'est à gauche que le oui a chuté massivement: -20 points chez les Verts, -15 points parmi les sympathisants socialistes. A droite, on n'observe qu'un léger recul chez les sympathisants UMP (– 5 points), et même un petit progrès parmi ceux de l'UDF (+ 3 points). Le président parlera bien sûr au pays tout entier, mais la difficulté de sa tâche est de ne pas faire fuir les électeurs de gauche. On songe à l'apostrophe de Valéry Giscard d'Estaing lors du traité de Maastricht: "Moins François Mitterrand interviendra, mieux cela vaudra pour le résultat du référendum."

Toujours indulgent avec ses successeurs, VGE n'est pas loin de lancer le même trait en direction de Jacques Chirac... Et pourtant le débat de la Sorbonne autour de François Mitterrand a fait remonter le oui et a contribué sans doute de façon décisive à son succès final.

Aujourd'hui, si l'on compare les deux pouvoirs en place, celui de 1992 et celui de 2005, on constate que le gouvernement Raffarin est beaucoup plus impopulaire que le gouvernement Bérégovoy: 62% de mécontents aujourd'hui, selon l'IFOP, contre 42% il y a treize ans.

Mais il est vrai que François Mitterrand, lui, avait tenu compte du suffrage universel en renvoyant Edith Cresson après les désastreuses élections régionales intervenues six mois avant le référendum. A l'inverse, la popularité de Jacques Chirac, toujours selon l'Ifop, est plus élevée que celle de François Mitterrand à la veille du référendum: il compte encore 42% de satisfaits contre 33% à son prédécesseur. Bref, si le gou-vernement doit se taire, le président, lui, peut parler.

Non seulement, il le peut mais il le doit, même si la baisse provient de la gauche. Car la fonction présidentielle est en jeu: c'est le chef de l'Etat qui non seulement a signé le traité, mais qui a voulu qu'il soit ratifié par référendum plutôt que par le Parlement.

D'où vient cependant que la campagne pour le oui se soit révélée à ce point inefficace ? En s'appuyant sur les enquêtes régulières de l'Eurobaromètre, on peut avancer quelques explications. Présenter le oui comme une avancée nécessaire et évidente de la construction européenne, sorte d'étape obligatoire, ne convainc pas. Sans doute parce que les Français estiment que ces dernières années, l'Europe a déjà beaucoup avancé. En 1992, 48% des Français estimaient que la construction européenne avançait trop lentement, en 2004 ils ne sont plus que 32% à le dire.

Plus important encore, les avancées de l'Europe et ses élargissements sont souvent perçus comme une diminution d'influence de la France. 78% de nos compatriotes estiment que la voix de la France compte aujourd'hui en Europe, mais 40% seulement croient qu'elle comptera davantage dans dix ans. Un différentiel de 38 points alors qu'il n'est que de 4 points en Italie, de 6 en Espagne et de 8 au Royaume-Uni !

Les réticences des Français à l'égard des élargissements successifs tiennent davantage à la crainte d'une diminution capitis plutôt qu'à une véritable hostilité envers les pays concernés – il est d'ailleurs frappant de noter que le recul du oui n'est pas intervenu au plus fort de la polémique sur l'entrée de la Turquie mais pile au moment du débat sur la directive Bolkestein. L'erreur des thuriféraires de l'Europe est d'avoir constamment présenté l'idée européenne comme le prolongement de la grandeur française plutôt que comme la construction d'un projet collectif.

Du côté du Parti socialiste, le slogan retenu pour la campagne – "l'Europe sociale passe par le oui" – ne convainc pas davantage. Car les Français, toutes couches sociales désormais confondues, sont convaincus de la mise en péril de leur modèle social et de la difficulté à maintenir les services publics. En 1992, pour convaincre du oui, François Mitterrand présenta l'Europe comme un rempart contre ces bouleversements.

Treize ans plus tard, l'Europe en apparaît plutôt comme un accélérateur. En 1992, 58% des Français souhaitaient que la lutte contre le chômage soit menée en commun au sein de l'Union européenne. En 2004, 51% souhaitent qu'elle soit du ressort des gouvernements nationaux. Un changement qui laisse perplexe si l'on songe à l'absence de crédibilité des leaders politiques nationaux de toutes tendances sur ce sujet, mais qui renseigne sur le recul d'image de l'Europe.

L'ERREUR DU OUI DE GAUCHE

L'erreur sans doute est de chercher à défendre un oui de gauche, qui appelle en pendant un oui de droite alors que, pour réussir, une campagne référendaire doit privilégier des arguments communs. Les électeurs espagnols n'ont-ils pas trouvé ce terrain d'entente puisque les partisans du Parti socialiste ont voté oui à 97% et ceux du Parti populaire, le principal parti de droite dans l'opposition, à 79% ? S'il veut être crédible, le camp du oui ne doit pas laisser croire que la Constitution offrirait un remède à toutes les imperfections actuelles.

Parce que l'opinion française n'est pas en attente d'une nouvelle avancée de l'Europe mais plutôt de sa stabilisation, la Constitution deviendra acceptable si elle est perçue moins comme une avancée que comme la garantie d'un meilleur fonctionnement de l'Union, établissant de meilleures règles de fonctionnement, facilitant la construction des majorités pour adopter les textes et assurant à la France une meilleure représentation que celle que lui accorde le traité de Nice qui, en cas de victoire du non, restera en vigueur.

Parce que tout peuple veut étendre ses pouvoirs, la Constitution deviendra souhaitable si elle apparaît comme le fondement de la démocratie européenne dans laquelle les citoyens auront non seulement le droit de s'exprimer mais celui d'être entendus. Par une identification plus claire des dirigeants européens. Par le pouvoir de désigner le président de la Commission par leur vote aux élections européennes. Par le droit de pétition qui accorde à un million de citoyens venus de plusieurs pays le pouvoir de saisir le Parlement européen. Une réforme sans grande signification, disent les partisans du non, puisqu'elle n'obligera en rien les députés. Mais un pas important vers la mise en place de véritables débats européens et la montée en puissance d'un espace public européen.

Le oui a peu de chances de gagner en dramatisant simplement les conséquences d'une victoire du non. "Dire non ce serait casser l'Europe", affirmait François Mitterrand le 14 juillet 1992 pour convaincre les électeurs. Mais, depuis lors, l'Europe, avec l'euro et l'élargissement, a tellement progressé que le même propos apparaîtrait comme excessif et sans véritable portée. Le oui de 2005 doit être plus modeste et plus terre à terre, davantage une garantie qu'une avancée pour permettre aux peuples d'Europe d'être mieux reconnus et mieux entendus.

Jérôme Jaffré pour Le Monde
Article paru dans l'édition du 13.04.05


Le Monde / France
Le choc du 21 avril 2002 aura-t-il une réplique le 29 mai 2005 ?

 E t si tout recommençait... Si, une fois encore, le fossé entre les électeurs et les partis se creusait à nouveau à l'occasion du scrutin référendaire, dimanche 29 mai...

Il y a trois ans, le 21 avril 2002 avait sonné pour beaucoup de leaders comme la fin de leurs illusions politiques. Lionel Jospin, premier ministre et candidat du Parti socialiste, avait été éliminé dès le premier tour de l'élection présidentielle. Laissant Jacques Chirac dans un face-à-face inédit avec Jean-Marie Le Pen, le candidat de l'extrême droite. La gauche et, dans une moindre mesure, la droite étaient donc obligées de s'interroger sur leurs erreurs.

Pendant trois ans, les diagnostics n'ont pas manqué: déficit démocratique marqué par des records d'abstention (en dépit du sursaut des régionales en 2004), déclin de la France, insuffisante prise en compte du besoin de sécurité de la population, incapacité des partis de gouvernement à opérer des refontes doctrinales, coupure entre les élites et le "terrain", trop grande distance des intellectuels à l'égard de la vie publique.

Le message a-t-il depuis été pris en compte ? Pas sûr. C'est l'avis de Pierre Nora, de l'Académie française, directeur de la revue Le Débat, qui estime que les hommes politiques sont demeurés "stratosphériques". Il cite en exemple le débat entre Jacques Chirac et les jeunes sur TF1, jeudi 14 avril, où le chef de l'Etat, de son propre aveu, n'a pas compris les craintes de ses interlocuteurs.

Il est vrai que, passé les premiers mois d'interrogations, de débats et bonnes intentions, le quotidien de la politique a rapidement tout recouvert. François Hollande s'est convaincu que ses victoires électorales de 2004 (cantonales, régionales et européennes) scellaient définitivement les retrouvailles du PS et du peuple. A droite, Nicolas Sarkozy assure avoir tenu compte du 21 avril 2002 en enrichissant son offre sécuritaire d'un volet de promotion sociale.

Au lendemain de la présidentielle de 2002, Vincent Duclert, de l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), coauteur du Dictionnaire critique de la République (Flammarion, 2002), avait proposé avec une autre chercheuse de l'EHESS, Perinne Simon-Nahum, une réflexion sur l'événement (Il s'est passé quelque chose... le 21 avril, Denoël, 2002). Aujourd'hui, ces auteurs constatent que ni les politiques ni les chercheurs ne se sont vraiment attaqués de front à la crise de la représentation politique. Le besoin de politique qui s'était notamment exprimé au travers de nouvelles adhésions dans les partis a fait long feu.

Autre constat, le débat sur le socialisme et le libéralisme n'a guère eu lieu dans les partis de gouvernement, au PS comme à l'UMP. Pour M. Nora, cependant, "la gauche a une grande responsabilité dans l'affaire, et c'est plutôt elle qui refuse de s'affronter au débat". D'après lui, ce sont des intellectuels de centre droit, comme Nicolas Baverez (La France qui tombe, Perrin, 2003), qui porte, depuis trois ans, la réflexion sur le déclin de la France et l'interrogation sur l'identité nationale. "Je ne suis pas moi-même un "décliniste", note Pierre Nora, mais le 21 avril révèle une mue profonde, une baisse d'influence de la France, à laquelle elle a du mal à s'adapter."

UNE SUCCESSION DE RÉPLIQUES

L'absence de réflexion sur "les leçons du 21 avril" peut-elle conduire à une succession de répliques dont le scrutin du 29 mai serait la première ? Pour Vincent Duclert cela ne fait aucun doute. "Si le non l'emporte au référendum, explique-t-il, cela sera lié à l'incapacité des politiques à réagir au 21 avril."

Déjà, les éléments objectifs d'une duplication sont à l'oeuvre. Alors que l'UMP, le PS, l'UDF et les Verts appellent à ratifier la Constitution, les sondages s'entêtent à pronostiquer la victoire du non. François Hollande, il y a quelques semaines, avançait cet argument de campagne qu'il pensait imparable: "Pour sauver le oui, nous expliquerons qu'une victoire du non serait un nouveau 21 avril...". Nous y sommes.

Philippe Ridet et Nicolas Weill
Article paru dans l'édition du 21.04.05


Le Monde / Opinions
Point de vue
Français, vous nous atterrez !, par Bino Olivi

 A ctuellement, le débat de la campagne référendaire pour le traité constitutionnel en France est suivi par d'innombrables Européens, liés à ce pays par des liens culturels ou familiaux (parfois par les deux), avec beaucoup d'appréhension – et souvent avec stupeur.

En particulier, l'avalanche de mensonges, de déformations des faits, de poncifs insupportables, de la part de personnalités des mondes politique et même académique au sujet de l'intégration européenne, de manifestations désespérantes d'un chauvinisme qu'on croyait disparu, est en train d'atterrer les véritables amis de la France, surtout ceux qui ont suivi de près les péripéties et les difficultés qui ont jalonné le processus d'unification européenne et le rôle extraordinaire qu'elle y a joué dès le début.

Car la Communauté européenne et, surtout, la "méthode communautaire" sont des inventions françaises. Ses auteurs furent Robert Schuman et Jean Monnet. Elles ont permis à la France, avant tout, de sortir de la terrible impasse où le début de la guerre froide l'avait confinée. Obligé d'accepter le retour à l'indépendance de l'ennemi héréditaire allemand, voulu par les Anglo-Saxons et exigé par le raidissement des relations entre les anciens Alliés, occidentaux et soviétiques, Paris a proposé à la nouvelle Allemagne et à ses voisins d'Europe occidentale le premier traité communautaire, qui créa la Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA).

L'invention française consistait en une délégation de souveraineté sectorielle des pays signataires, dans les domaines des industries de guerre, à des institutions indépendantes de leurs créateurs.

Si la CECA se révéla tout de suite un succès surtout politique – la "méthode communautaire", à savoir la délégation de souveraineté, fonctionnant dès l'origine sans difficultés majeures –, les traités qui suivirent, créant la Communauté économique européenne (CEE) et la Communauté européenne de l'énergie atomique (CEEA), marquèrent le véritable point de départ de l'unification européenne.

La France était sortie grande gagnante après des négociations, difficiles et parfois acharnées, qui précédèrent la signature des deux traités à Rome en 1957. Même de Gaulle, revenu au pouvoir en 1958 et qui était pourtant hostile à l'origine à ces traités, contraires à ses principes, comprit combien ils étaient exceptionnellement favorables aux intérêts français. Il se fit un devoir de conduire jusqu'au bout leur mise en oeuvre. Ce fut l'un des plus grands succès diplomatiques français du XXe siècle.

Citons deux des nombreux avantages obtenus par la France. D'abord la politique agricole commune (PAC), alors que les autres pays membres étaient encore déficitaires et dépendaient des Etats-Unis pour leur approvisionnement alimentaire. Il faut espérer que les dirigeants des organisations agricoles françaises se souviendront de la"guerre du poulet" , lancée par Washington, premier des innombrables différends commerciaux déclenchés par les Américains pour mettre en cause la PAC. Et qu'ils se souviendront que l'Allemagne, par exemple, abandonna l'importation des poulets de l'Arkansas pour les remplacer par des poulets bretons.

Ensuite, l'appui que la France obtint de ses partenaires, avec une participation financière majeure, au développement de pays d'outre-mer dont la grande majorité était ses anciennes colonies, ce qui constitua un"miracle" diplomatique, compte tenu des intérêts en cause et des humeurs de l'époque.

Sans refaire l'histoire, on peut affirmer que, depuis l'origine, tous les progrès de l'unification européenne ont largement rencontré les intérêts de la France, et qu'ils étaient pour la plupart d'initiative française. Par ailleurs, l'Hexagone a"fourni" à l'Europe, depuis une soixantaine d'années, les meilleurs protagonistes de ses institutions: de Jean Monnet à Robert Marjolin, Raymond Barre, Jean-François Deniau, enfin et surtout Jacques Delors, le meilleur président de l'histoire de la Commission.

Les drames et les aléas des rapports avec l'Allemagne se sont transformés en un pacte permanent entre les deux pays, qui reste au cœur du processus d'unification européenne et a donné à la France une position de primauté et, en quelque sorte, de guide de l'intégration. Ce qui lui a assuré une position et une influence sans pareilles dans les affaires du monde.

Et voilà que la soumission au jugement populaire d'un traité constitutionnel, conçu pour consolider les résultats de l'immense travail des institutions et des Etats afin de clarifier, rationaliser et mieux équilibrer les compétences et les procédures d'une Union élargie et en voie d'élargissements ultérieurs, provoque en France une réaction de défiance, alimentée par une mauvaise conjoncture et par une propagande politicienne qui n'hésite pas à encourager les contre-vérités, les amalgames les plus surprenants et les manifestations d'ignorance les plus inattendues.

On mélange tout. Dans un raptus de masochisme suicidaire, on remet en jeu le formidable acquis de l'unification européenne, l'entreprise qui a assuré la paix et le développement en Europe, suscitant admiration et parfois envie dans le monde. Les amis et les admirateurs de la France assistent, terrifiés, à cette folie, en espérant que le 29 mai ne sonnera pas le glas de la période la plus glorieuse de l'Europe en temps de paix.


Bino Olivi enseigne l'histoire de la construction européenne aux universités de Padoue et Rome-III. Il a été porte-parole de la Commission européenne de 1961 à 1978.

par Bino Olivi
Article paru dans l'édition du 22.04.05


Le Monde / Constitution européenne
Référendum: les instituts de sondage peinent à appréhender les comportements des électeurs

 M ercredi 20 avril, une enquête TNS/Sofres pour RTL, Le Monde et LCI place le non à 55% des intentions de vote. Le lendemain, Le Parisien publie un sondage CSA qui donne le chiffre de 52%. Quelques heures plus tard, une enquête BVA pour L'Express montre, avec un 21e sondage, une progression de cinq points, plaçant le refus du traité constitutionnel à 58%. Comment expliquer de telles variations ?

Cette simplification des sondages et l'avalanche de chiffres qui l'accompagne rend complexe la compréhension des tendances de l'opinion. "Les chiffres sont très différents d'un institut à l'autre", reconnaît François Miquet-Marty, analyste politique de l'institut Louis-Harris, "mais on constate que les personnes interrogées sont beaucoup plus hésitantes, on le constate à chaque élection". Un "comportement volatil" pour Pascal Perrineau, directeur du Centre d'étude de la vie politique française (Cevipof). "Il est de plus en plus difficile de saisir les comportements des électeurs. Peut-être même plus qu'en 2002", constate-t-il.

Avant l'élection présidentielle de 2002, le Cevipof avait réalisé une enquête en interrogeant des électeurs trois semaines avant le premier tour, puis une semaine après le vote. "43% avaient changé d'intention de vote ! Saisir ce paysage devient de plus en plus compliqué", explique Pascal Perrineau.

"COMPARER LES CHIFFRES D'UN MÊME INSTITUT DE SONDAGE"

Au-delà des fluctuations rapides de l'opinion, les instituts de sondage ont des méthodes fort différentes. François Miquet-Marty explique que "BVA réalise des entretiens en face-à-face, ce qui permet une meilleure représentation des personnes peu diplômées. Mais CSA, comme Louis-Harris, réalisent les sondages par téléphone, pour avoir une meilleure répartition géographique". Pour Pascal Perrineau, c'est le suivi sur la durée qui importe. "Il faudrait plutôt comparer les chiffres d'un même institut de sondage, on obtiendrait une meilleure image des évolutions de l'opinion".

Par ailleurs, il insiste, tout comme François Miquet-Marty, sur la nécessité de tenir compte des marges d'erreur des enquêtes, renforcées par les difficultés à comprendre les enjeux du débat. "Lorsque les échantillons comprennent entre 800 et 1 000 personnes et qu'il y a 50% d'indécis, on est sur une population extrêmement petite". Une marge d'erreur classique de 2 points passe, dans ce contexte, à plus ou moins 4 points.

Lorsqu'un sondage place le "non" à 52%, il oscille potentiellement entre 48 et 56%. "30% de ceux qui sont certains d'aller voter ne répondent pas à la question sur leurs intentions de vote. Le terreau sur lequel on travaille est donc incertain, et assez fluctuant", ajoute François Miquet-Marty, avant de reconnaître: "Nous ne sommes pas toujours capables d'êtres très précis". Dans ce cadre, toute prévision à long terme semble superflue. Pour Pascal Perrineau, "les lignes politiques vont encore bouger énormément d'ici au 29 mai".

Nabil Wakim
LEMONDE.FR | 22.04.05


Le Monde / International
Le Sénat américain débloque 77 milliards de dollars pour l'Irak et l'Afghanistan

 L e Sénat américain a approuvé, jeudi 21 avril, à l'unanimité, l'enveloppe de quelque 81 milliards de dollars réclamée par l'administration Bush pour financer, principalement, les opérations militaires en Irak et en Afghanistan. Ce collectif budgétaire comprend en effet quelque 77 milliards de dollars pour les opérations militaires, le reste devant être affecté à des dépenses civiles et d'aide internationale, notamment pour ce qui concerne les victimes des raz de marée en Asie, pour les réfugiés du Soudan ainsi que pour les Palestiniens.

Les 77 milliards destinées aux opérations en Irak et en Afghanistan viennent s'ajouter aux quelque 200 milliards de dollars déjà dépensés par l'administration Bush pour ces deux conflits. Le président Bush s'est félicité de cette décision en soulignant que "de jeunes démocraties s'enracinent en Irak et en Afghanistan, et l'Amérique est fière de les soutenir". "Ces deux pays prennent une responsabilité de plus en plus importante pour assurer leur propre sécurité, ce qui aidera nos troupes à rentrer aussi vite que possible en recevant les honneurs qu'elles méritent", a-t-il ajouté.

Sur le terrain, les corps de 19 soldats irakiens, enlevés il y a quelques jours, ont été retrouvés criblés de balles près de la ville de Baïji, à 200 km au nord de Bagdad. Les 19 soldats avaient été enlevés à un faux barrage dressé par des rebelles qui ont intercepté les minibus à bord desquels ils se déplaçaient. Mercredi, 19 autres soldats avaient été exécutés par des rebelles dans un stade à Haditha, une ville située à 260 km au nord-est de Bagdad.

En outre, un soldat américain a été tué dans l'explosion, vendredi à l'aube, d'une bombe au passage de sa patrouille, dans le nord de l'Irak, portant à 1556 le nombre de militaires américains morts en Irak depuis l'invasion du pays, en mars 2003.

Par ailleurs, onze personnes, dont six Américains, ont été tuées, jeudi, dans la chute d'un hélicoptère civil bulgare, abattu par un missile au nord de Bagdad. Cette attaque a été revendiquée par l'Armée islamique en Irak. Outre les six Américains, employés de la société de sécurité Blackwater, les trois membres d'équipage bulgares et deux gardes fidjiens sont décédés dans la chute de l'appareil de la compagnie bulgare Heliair, selon un responsable de Skylink, la société canadienne qui avait affrété l'appareil. Le ministère bulgare de la défense a affirmé que les deux gardes morts étaient philippins et non fidjiens.

L'Armée islamique en Irak a diffusé sur Internet une vidéo de ce qu'elle affirme être les débris de l'appareil et des corps de victimes. L'un des membres d'équipage, blessé lors du crash, a été assassiné par les rebelles. Ce groupe islamique s'est notamment manifesté par des enlèvements d'étrangers, notamment Christian Chesnot et Georges Malbrunot et, dans certains cas, par leur assassinat, comme celui, en août 2004, du journaliste italien Enzo Baldoni.

Un septième employé américain de Blackwater a été tué et un autre blessé près de Ramadi, à 100 km à l'ouest de Bagdad, dans l'explosion d'une bombe au passage de leur véhicule. Les firmes de sécurité privées, qui emploient des milliers d'étrangers en Irak, ont subi cette semaine leurs pires pertes humaines depuis la fin de la guerre, avec la mort, en quarante-huit heures, de 13 de leurs membres dans des attaques de rebelles. Selon le ministère irakien de l'intérieur, quelque 50 000 étrangers et Irakiens, attirés par des salaires mirobolants, travaillent pour ces sociétés depuis la chute du régime de Saddam Hussein.

D'autres agents de sécurité ont également péri, mercredi et jeudi, sur la route de l'aéroport, considérée comme l'une des plus dangereuses de la capitale car elle traverse, sur une bonne dizaine de kilomètres, une zone habitée par d'anciens officiers de l'armée et membres des services secrets de Saddam Hussein. Lors d'un attentat à la bombe, un employé de la firme de sécurité Aegis, basée en Grande-Bretagne, a été tué et un autre blessé. Jeudi, un Canadien, un Américain et un Australien travaillant pour la société Edinburgh Risk, basée en Grande-Bretagne, ont également été tués lors d'une fusillade sur ce que l'on appelle désormais la "route de la mort". A la mi-mars, Blackwater avait déjà perdu deux de ses employés sur cette route.

Ces décès portent à au moins 227 le nombre d'étrangers, employés en Irak par des sociétés privées, tués dans ce pays, selon Coalition Casualties, un site Internet indépendant. –

(AFP, Reuters.)
Article paru dans l'édition du 23.04.05


Le Monde / France
En souvenir des déportés, Jacques Chirac appelle à être "toujours en veille"

 "L a Shoah interpelle chacun de nous au-delà de toute mesure. Elle est pour nous tous une exigence de réflexion et d'action", a déclaré Jacques Chirac, dimanche, à l'occasion de la Journée nationale du souvenir des victimes et des héros de la déportation. "Elle nous fait devoir de lutter sans merci contre toutes les formes de racisme et d'antisémitisme, contre toute forme de révisionnisme, contre tous ceux qui proclament l'inégalité entre les hommes. Aujourd'hui, nous savons qu'il faut être toujours en veille".

Le président français a pris la parole lors d'une cérémonie sur le parvis des droits de l'Homme, à Paris, en présence de plusieurs centaines de personnes, dont d'anciens déportés. Le premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, était présent, ainsi que les ministres Michèle Alliot-Marie, Michel Barnier, Jean-Louis Borloo , Jean-François Lamour, Hamlaoui Mekachera, le maire de Paris Bertrand Delanoë, l'ancien ministre Simone Veil, rescapée du camp d'Auschwitz et l'écrivain Marek Halter.

"La liberté, l'égalité et la fraternité, mais aussi la démocratie et la paix ont un prix: celui de ces générations entières qui se sont battues pour elles jusqu'au sacrifice de leur vie. Elles sont des conquêtes de chaque instant", a-t-il déclaré.

"UN COMBAT JAMAIS ACHEVÉ"

Evoquant la déportation des juifs - plus de 75.000 en France - vers les camps de concentration nazis durant la seconde guerre mondiale, le président de la République a déclaré que les Français "n'oublieraient jamais". Ces épisodes "sont gravés en lettres de sang et de larmes dans notre histoire. Ils tracent notre devoir", a-t-il dit, exprimant "l'hommage de la Nation" aux survivants présents.

"Grâce à vous, les jeunes générations entendent la voix de la vérité. Une vérité irréfutable. Une vérité inoubliable. (....) Aujourd'hui, nous savons que la tolérance et le refus des discriminations appartiennent au socle intangible des droits de l'homme. Nous savons aussi que ce combat de l'acceptation de l'autre et de ses différences n'est jamais achevé. Il demeure l'un des plus ardents pour notre République", a lancé Jacques Chirac, insistant sur les leçons à tirer de "cette tragédie".

"Aujourd'hui, instruits par l'histoire, nous savons qu'aucune dérive, qu'aucune faiblesse n'est acceptable. Nous savons que rien n'est banal ni anodin. Nous savons comment l'horreur fait ses premiers pas. Nous savons où conduit la faiblesse des nations (...).Partout dans le monde, les auteurs de crimes contre l'humanité doivent savoir qu'ils seront poursuivis sans relâche, jugés et condamnés sans faiblesse", a conclu le chef de l'Etat.

Une évocation symbolique à la mise en scène sobre, imaginée par Bernard Szajner, a ensuite retracé la déportation et la libération des camps au travers de deux écrans formant les pages d'un livre d'histoire sur le parvis du Trocadéro.

Hamlaoui Mekachera, ministre délégué aux anciens combattants, devait clore cette journée de commémoration à l'Arc de Triomphe par un dépôt de gerbe et un ravivage de la flamme.

Avec Reuters
LEMONDE.FR | 24.04.05


Le Monde / Constitution européenne
Simone Veil, en congé du Conseil constitutionnel, va se lancer dans le sauvetage du oui

 F aut-il qu'il y ait péril en la demeure... Simone Veil, qui avait "des fourmis dans les jambes", selon des collègues du Conseil constitutionnel, à force d'assister, impuissante, à la montée du non au référendum, va se lancer dans la campagne.

Son devoir de réserve la rendait muette. Une situation insupportable pour cette Européenne convaincue, qui a décidé de se mettre en congé de la rue Montpensier pour défendre, à son tour, le oui.

Après Valéry Giscard d'Estaing, elle sera le deuxième membre du Conseil constitutionnel à prendre part à la campagne référendaire. Mais, à la différence de l'ancien président de la République, Mme Veil a pris soin de respecter les formes. Avant d'annoncer sa décision, qui a été rendue publique par le Conseil constitutionnel vendredi 29 avril, un mois tout juste avant la date du scrutin, l'ancienne présidente du Parlement européen s'est assurée du feu vert du président du Conseil constitutionnel, Pierre Mazeaud. Cette décision sera effective à compter du 1er mai, et jusqu'à la proclamation des résultats, le 29 mai au soir.

DEVOIR DE RÉSERVE

Interrogée par Le Monde, l'ancienne ministre de M. Giscard d'Estaing entend, pour quelques jours encore, respecter son devoir de réserve. Elle souhaite également mettre ce délai à profit pour décider des formes de sa participation.

Mme Veil, qui avait activement participé à la campagne pour le référendum sur le traité de Maastricht, en 1992, reconnaît volontiers que l'ancrage du non dans les sondages l'a incitée à franchir le pas. L'avocate passionnée de la loi sur l'avortement laisse également entendre qu'elle a reçu de nombreuses sollicitations pour mener le combat du oui. Elle ne dit pas si Jacques Chirac, à qui elle est toujours reconnaissante d'avoir reconnu la faute de l'Etat français dans la rafle du Vel'd'Hiv, l'a, directement ou indirectement, sollicitée.

Si Mme Veil feint de ne pas s'être interrogée sur le "cas" Giscard, la rigueur de sa décision met en lumière la situation de l'ancien président. Ce dernier, membre de droit du Conseil, fait en effet activement campagne pour le oui sans s'être mis en congé de la haute juridiction. Il continue donc de percevoir le traitement qui lui est versé à ce titre. Ce qui ne sera pas le cas – pour le mois de mai – de Mme Veil.

L'entourage de M. Giscard d'Estaing fait cependant valoir que celui-ci "n'assiste pas aux séances du Conseil constitutionnel lorsque celles-ci ont pour objet l'organisation de la campagne référendaire. Ce principe a été arrêté en accord avec Pierre Mazeaud. M. Giscard d'Estaing n'a donc aucune raison de se mettre en congé". "D'ailleurs, ajoutent ses proches, il ne fait pas campagne pour le oui, il explique la Constitution".

Mais cette campagne qui ne s'avoue pas agace rue de Montpensier. M. Giscard d'Estaing en a été averti lorsqu'il a multiplié les déclarations contre l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne. On lui a alors laissé entendre qu'il lui faudrait choisir entre son devoir de réserve et la défense de la Constitution dont il est le principal artisan. L'ancien président a fait la sourde oreille.

Béatrice Gurrey et Jean-Baptiste de Montvalon
Article paru dans l'édition du 24.04.05


Le Monde / Europe
L'Europe invite les Etats-Unis à respecter le droit

 L' assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a demandé "instamment" mardi au gouvernement américain de "respecter les principes de la prééminence du droit et des droits de l'homme" vis-à-vis des détenus de Guantanamo.

Dans une résolution adoptée à Strasbourg par 83 voix, aucune contre et cinq abstentions, elle invite les Etats-Unis à "cesser tout mauvais traitement des détenus à Guantanamo" et à les autoriser à "solliciter l'examen de la légalité de leur détention par un tribunal régulièrement constitué".

L'assemblée estime que Washington doit "libérer sur le champ tous les détenus pour lesquels il n'existe pas de preuve suffisante justifiant leur inculpation pénale" et au contraire les inculper et les traduire en justice "sans plus attendre" dans le cas inverse. Les Etats-Unis sont encore invités à "exclure toute déclaration obtenue par la torture ou par des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants", conformément "au droit international et à la constitution des Etats-Unis".

MAUVAIS TRAITEMENTS

L'assemblée rappelle qu'elle "partage la détermination des Etats-Unis à combattre le terrorisme international" mais estime que "le gouvernement américain a trahi ses propres principes les plus élevés dans l'ardeur avec laquelle il a tenté de mener 'la guerre contre la terreur'".

Quelque 540 suspects, pour la plupart capturés en Afghanistan, sont détenus sur la base américaine de Guantanamo, sur l'île de Cuba. Les Etats-Unis leur ont attribué le statut d'"ennemis combattants" ne pouvant prétendre aux droits reconnus aux prisonniers de guerre par les conventions de Genève. Plusieurs témoignages d'anciens prisonniers, tout comme un récent rapport du parlement britannique ou des notes internes du FBI publiées dans la presse, ont fait état de mauvais traitements pouvant s'apparenter à des actes de torture à l'encontre des détenus de Guantanamo.

Avec Reuters
LEMONDE.FR | 26.04.05


Le Monde / Europe
La droite italienne pense à un nouveau parti et cherche un nouveau chef

 L a coalition de gouvernement actuelle regroupe Forza Italia, le mouvement libéral créé en 1994 par Silvio Berlusconi, l'Alliance nationale, formation issue d'un parti post-fasciste en 1995, la Ligue du Nord, mouvement populiste et xénophobe, et l'Union des démocrates chrétiens et de centre (UDC), petite formation de centre droit issue de l'implosion du grand parti de la Démocratie chrétienne.

Le chef de l'opposition italienne, Romano Prodi, a réussi à fédérer tous les partis de la gauche au sein d'une alliance, "L'Union", en vue de son affrontement avec Silvio Berlusconi lors des élections législatives "à la mi-mai 2006". "L'idée d'un parti politique unique de centre droit n'est pas a exclure", a commenté mardi soir le vice-premier ministre Gianfranco Fini, chef de l'Alliance nationale.

"BERLUSCONI EST UN CHEF NATUREL"

Une première inconnue dans cette réflexion est le sort fait à la Ligue du Nord, exclue de ce parti unique dans les raisonnements faits jusqu'à présent par les centristes et les dirigeants de l'Alliance nationale. La seconde inconnue est le leadership de ce parti unique, car Silvio Berlusconi commence a être ouvertement contesté par certains de ses alliés.

"Nous n'avons plus une icône sur laquelle construire un consensus au sein de notre électorat", affirme ainsi le député UDC Bruno Tabacci, un des plus critiques de l'action de Silvio Berlusconi et de ses liens privilégiés avec la Ligue du Nord.

"Faisons d'abord le parti et ensuite le parti choisira le leader. Lorsqu'on fait le contraire, les choses ne fonctionnent pas", a pour sa part expliqué le centriste Rocco Buttiglione.

Le message est arrivé à Forza Italia. Son coordinateur, Sandro Bondi, a évoqué "l'organisation de primaires".

"Berlusconi est un chef naturel, il ne craint pas l'affrontement", a-t-il assuré. Mais il est très affaibli par les défaites électorales successives subies par son parti et sa coalition depuis 2003. Pour la première fois, la droite a été devancée par l'opposition en nombre de suffrages exprimés lors des élections régionales des 3 et 4 avril.

Contraint de démissionner, Silvio Berlusconi a fait savoir sa contrariété et a présenté mardi une nouvelle équipe dont la composition est considérée comme une victoire de la Ligue avec le rappel de l'ancien ministre de l'économie Giulio Tremonti, proche du parti populiste, au rang de vice-président du conseil.

Il a demandé la confiance au Parlement et les deux chambres où sa coalition est majoritaire, se prononceront mercredi. Les votes de chaque parti seront déterminants. Silvio Berlusconi s'est dit assuré mardi soir d'avoir le soutien de chacune des composantes de sa majorité.

Avec AFP
LEMONDE.FR | 26.04.05


Le Monde / Société
Un chercheur analyse "l'incendie médiatique" qui a placé les "tournantes" sur le devant de la scène

 I l a surgi en 2001: le mot "tournantes", désignant des viols collectifs commis par des jeunes gens de banlieue, serait une construction médiatique récente.

C'est ce qu'affirme dans son dernier ouvrage, Le Scandale des "tournantes", dérives médiatiques, contre-enquête sociologique, le sociologue Laurent Mucchielli, directeur du Centre de recherche sociologique sur le droit et les institutions pénales (Cesdip), institut placé sous la tutelle du CNRS et du ministère de la justice.

Une école Samira-Bellil à L'Ile-Saint-Denis
Un centre scolaire Samira-Bellil a été inauguré, samedi 16 avril, à L'Ile-Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), en présence de la famille de la jeune femme. Morte en septembre 2004 des suites d'un cancer, Samira Bellil avait témoigné de son calvaire, en 2002, dans L'Enfer des tournantes (Gallimard, "Folio-Documents", 320 p., 3,50 euros). Devenue éducatrice, elle avait soutenu la Marche des filles des cités organisée, en mars 2003, par le mouvement Ni putes ni soumises, dont elle était la marraine.
"Samira Bellil est à la fois le symbole de la fraternité de notre jeunesse et de sa combativité", a déclaré le maire de L'Ile-Saint-Denis, Michel Bourgain (Verts). Mais comment expliquer aux enfants le parcours douloureux de la jeune femme ? Le jour du dépouillement, Alain François, adjoint à la jeunesse, a expliqué simplement son itinéraire: "Je leur ai dit qu'elle avait été la marraine d'un mouvement pour la liberté des femmes et qu'elle s'était battue pour que les jeunes filles puissent circuler librement dans leur cité sans être embêtées".

Un film, La Squale, de Fabrice Génestal, en 2000, fut l'élément déclencheur de l'intérêt des médias. Puis est venu, en 2002, le témoignage d'une jeune femme, Samira Bellil, L'Enfer des tournantes, suivi de la création d'un mouvement féministe, Ni putes ni soumises. De ces trois événements, est né, sur fond de débat électoral sécuritaire, un "scénario" que l'on pourrait, selon Laurent Mucchielli, intituler: "La société française est menacée par la jeunesse des banlieues".

Sur le fil de l'Agence France-Presse (AFP), dans les trois années qui "précèdent l'incendie médiatique", l'auteur n'a recensé en moyenne que deux dépêches par an consacrées aux viols collectifs. De 1998 à 2000, dans les cinq quotidiens nationaux étudiés (Le Monde, Le Figaro, Libération, L'Humanité, La Croix), il n'a trouvé que trois articles. En 2001, le nombre de dépêches de l'AFP est multiplié par dix. Le Monde consacre 18 articles au sujet, Le Figaro, 14. Mais en 2004, le sujet a disparu, de nouveau.

STABILITÉ DES CONDAMNATIONS

Dans leur traitement récent, les viols collectifs ont eu pour cadre la banlieue, et pour acteurs les jeunes gens d'origine étrangère. Selon Laurent Mucchielli, la référence constante faite à l'origine maghrébine ou africaine des auteurs de tournantes a débouché sur un amalgame entre viols collectifs et islam. "C'est l'éducation dans ces sociétés qui est aussi en procès", souligne-t-il.

Le thème des "tournantes" témoignerait des nouveaux habits de la xénophobie, qui diabolise les "arabo-musulmans". D'ailleurs, il "précède immédiatement (...) le thème du voile islamique et celui de l'antisémitisme", conclut-il.

A l'appui de sa démonstration, l'auteur a mené une "contre-enquête sociologique". Sur le plan quantitatif, affirme-t-il d'abord, "l'idée selon laquelle les viols collectifs constitueraient un phénomène en augmentation continue dans la société française n'est pas vérifiée".

De 1984 – date à partir de laquelle la statistique judiciaire distingue les viols en réunion de l'ensemble des viols – à 2002, le nombre des condamnations s'établit en moyenne à 125 par an, sur tout le territoire. Le constat est celui d'une stabilité. Tous les faits sont encore loin d'être rapportés, et le chercheur n'explore pas la réalité récente des quartiers difficiles: la dégradation des rapports entre filles et garçons est constatée par de nombreux acteurs sociaux.

Sur une longue période, il est impossible d'établir des statistiques fiables sur les viols collectifs. La pratique, relève Laurent Mucchielli, est ancienne, tant dans le milieu estudiantin que dans celui des bandes urbaines des années 1960.

Henri Michard, directeur du Centre de formation de l'éducation surveillée à Vaucresson, avait bien décrit le phénomène en 1973: appelé "barlu" à Lyon ou "rodéo" à Toulouse, le viol collectif est le fait de petits groupes, mêlant jeunes adultes et petits. Si la plupart sont scolarisés ou possèdent un emploi, les auteurs ont souvent des problèmes familiaux, et une partie a un passé délinquant. Henri Michard expliquait que, pour eux, le viol, de dimension initiatique, représentait la première expérience sexuelle.

Des travaux plus récents, notamment des enquêtes de victimation, ont confirmé la rareté des viols collectifs et la diversité de leurs auteurs. Au travers de l'étude de vingt-cinq dossiers judiciaires, Laurent Mucchielli souligne enfin que les viols collectifs obéissent à des processus sociaux très divers. Parmi eux, "l'affirmation virile collective et l'initiation sexuelle" correspondent en partie à la représentation des tournantes.

Mais ce ressort peut se rencontrer "dans les milieux sociaux les plus variés". Selon les dossiers judiciaires, d'autres processus ont été identifiés: dans le huis clos d'un logement social partagé par plusieurs marginaux, ou derrière les murs d'une prison, il s'agit de "la domination violente et quotidienne" d'un membre du groupe plus faible que les autres. Lors d'un bizutage, qui s'est produit dans un lycée agricole, c'est le "rite de passage" qui domine.

En occultant une réelle analyse des viols collectifs, le "scénario" des tournantes a banalisé les "lectures culturalistes" et les "simplismes réservés à l'extrême droite", affirme Laurent Mucchielli.

Nathalie Guibert
Article paru dans l'édition du 26.04.05


Le Monde / Société
Trois questions à... Fadela Amara, présidente de Ni putes ni soumises

 1-  Le mouvement Ni putes ni soumises, dont vous êtes la présidente, a fait de la dénonciation des "tournantes" l'un de ses combats. Que pensez-vous de l'étude de Laurent Mucchielli montrant que les viols collectifs n'ont pas augmenté depuis vingt ans ?
Ce travail sociologique est fondé sur des chiffres officiels qui ne reflètent pas forcément la réalité. Dans ce domaine comme dans beaucoup d'autres, il faut compter avec la loi du silence.
Les témoignages que nous continuons à recevoir montrent que la libération de la parole, en cas de ce qu'il faut avoir le courage d'appeler viol collectif, est beaucoup plus difficile qu'en cas de viol perpétré par une seule personne.
En parler, pour une jeune fille qui vit dans une cité, c'est encore très, très difficile parce que cela touche à son intimité et à son intégrité morale et physique. Beaucoup sont détruites et se taisent. Et celles-là, elles ne figureront jamais dans les statistiques.

2 - Laurent Mucchielli affirme qu'en insistant sur les violences contre les femmes dans les cités vous finissez par stigmatiser l'islam et les jeunes issus de l'immigration. Que lui répondez-vous ?
Comme je l'ai toujours dit, la situation catastrophique des banlieues n'est pas liée à l'islam ou à l'immigration mais à trois phénomènes: le chômage de masse des années 1990, la discrimination – la République ne sait pas intégrer tous ses enfants – et l'émergence de l'islamisme. Je ne suis pas née de la dernière pluie. Je sais que ce discours se situe sur une ligne de crête: il peut être instrumentalisé et asseoir des politiques de répression contre les jeunes des quartiers. Mais moi, ces politiques, je les dénonce.
Si un jeune a commis un méfait, je trouve normal qu'il paye, mais je veux de vraies politiques de prévention pour aider ces jeunes, car ce sont eux les plus fragiles. Je n'ai pas envie que leur avenir, ce soit la prison ou l'islamisme. Je veux qu'ils aient les mêmes perspectives que les autres gamins de ce pays.

3 - Que répondez-vous à ceux qui affirment que votre mouvement finit par "ethniciser" la question sociale ?
Ils se trompent sur Ni putes ni soumises: ce n'est pas un mouvement de "beurettes", mais un mouvement intergénérationnel, mixte et métissé ! Ce n'est pas parce que je m'appelle Fadela, que je suis fille d'immigrés et que mon père a une carte de séjour que le mouvement "ethnicise" les questions sociales ! Je me considère d'abord comme une citoyenne française et quand je me bats contre le malaise des banlieues, je me bats autant pour le petit Benoît ou pour la petite Christine que pour le petit Mohamed. Eux aussi subissent des formes de discrimination parce que leur quartier a mauvaise réputation, et eux aussi peuvent subir des formes de violence.

Propos recueillis par Anne Chemin
Article paru dans l'édition du 26.04.05


Le Monde / France
Lionel Jospin revient en patron du PS grâce à la campagne européenne

 L ionel Jospin a fait un hold-up sur les cérémonies du centenaire du Parti socialiste. Samedi 23 avril, à Paris, dans la Bibliothèque François Mitterrand, l'ancien premier ministre, s'est clairement placé aux avant-postes de la campagne pour le référendum. Eclipsant toute autre intervention, y compris celle du premier secrétaire du PS, François Hollande

M. Zapatero soutient MM. Chirac et Hollande
Le chef du gouvernement espagnol, le socialiste José Luis Rodriguez Zapatero, a prévu de rendre la politesse au président de la République française, Jacques Chirac, et au premier secrétaire du Parti socialiste français, François Hollande, qui étaient venus en Espagne pour soutenir la campagne en faveur de la Constitution. "Je prévois de me rendre deux fois en France avant le référendum -du 29 mai- pour appeler à voter oui", a annoncé, sans préciser les dates, M. Zapatero dans un entretien au quotidien El Pais, dimanche 24 avril. L'ancien président de la Commission européenne, aujourd'hui dirigeant de la coalition de la gauche italienne, Romano Prodi a, quant à lui, estimé, dans un entretien au Journal du dimanche le 24 avril, qu'une victoire du non en France conduirait à "la chute de l'Europe". "Nous passerons par une grande période de crise. Un non serait catastrophique pour l'Europe sociale et économique, pas seulement pour l'Europe politique", a avancé M. Prodi.

Ce n'est qu'un début: sur France 2, jeudi 28 avril, il défendra le oui en s'adressant aux Français, pour la première fois depuis son élimination au premier tour de la présidentielle de 2002. Puis tiendra meeting à Nantes, le 19 mai.

D'entrée, M. Jospin a mis les choses au point. Invité comme "grand témoin" en fin de colloque, il a préféré se prévaloir de l'étiquette d'"acteur depuis plus de 30 ans". Puis, il est entré dans le vif du sujet, déclarant, au détour d'un rappel historique sur l'entrée de Jules Guesde au gouvernement en 1914: "Depuis cette date, je n'ai plus jamais pris le discours dit de gauche pour argent comptant (...) Je l'entends, je le respecte mais je ne le crois pas sur parole". Premier avertissement.

Vint ensuite l'évocation de sa propre expérience. Stimulé par l'orateur précédent, Marc Sadoun, un professeur de Sciences-Po qui venait de rappeler sa phrase "mon projet n'est pas socialiste", Lionel Jospin a bondi sur l'occasion. Pour la première fois, il s'est expliqué, assurant qu'il voulait dire par là que son projet englobait, non pas le seul PS, mais toute la gauche.

Dans la foulée, avec une assurance qui ne lui a pas fait défaut, il a réglé ses comptes avec le passé. Sautant d'une "formule à l'autre" selon sa propre expression, il a justifié l'image de "la parenthèse" qu'il avait employée, en 1983 au moment du tournant de la rigueur: "Je l'ai fermée avec la politique économique et sociale que nous avons menée, avec Dominique Strauss-Kahn, en 1997". Défendant ensuite son bilan: "Un million d'emplois créés, 900 000 chômeurs de moins. Personne ne le dit puisque j'entends dire qu'en matière de chômage tous les gouvernements ont échoué".

"ÇA FAIT DU BIEENNN !"

Lionel Jospin, qui n'a pas eu un mot sur la droite, s'en est alors pris très durement à l'extrême gauche et au communisme, en dénonçant "la faillite du modèle et de la méthode auxquels ils se sont souvent référé". "Nous ne pouvons dépendre ni doctrinalement, ni stratégiquement de ceux qui refusent le pouvoir", a-t-il lancé. Puis il a, sans jamais citer de noms, vivement critiqué les socialistes en campagne pour le non: "A chaque fois que le PS a jeté le trouble par ses controverses sur la pertinence de sa propre ligne, il a donné prise à ses concurrents à gauche, c'est ainsi que nous avons été écartés du pouvoir." "Les claires leçons de notre passé ne devront pas être perdues si vous voulez mériter l'honneur d'exercer à nouveau le pouvoir", a-t-il conclu, sous les applaudissements.

Les visages tendus de plusieurs responsables, notamment ceux du club des présidentiables, François Hollande, Dominique Strauss-Kahn ou Jack Lang, cloués sur leurs fauteuils, témoignaient pour eux. Mais d'autres, à la sortie, ne cachaient pas leur joie. "Ça fait du bieennn !", souriait Bernard Poignant, président du groupe socialiste français au Parlement européen. "C'était super !", s'enthousiasmait Jean-Paul Huchon, président de la région Ile-de-France. "Les choses sont claires par rapport à l'autorité du parti", soulignait de son côté Michèle Sabban, première secrétaire de la fédération du Val-de-Marne.

Jospin le patron ? Beaucoup voulaient y croire, sans égard pour François Hollande qui a conclu la journée par un rappel "à l'identité" du PS. "C'est un signal de l'échec de la direction de Hollande, a réagi Jean-Luc Mélenchon, sénateur PS de l'Essonne et partisan du non. Jospin tire partie d'une situation qui lui permet de faire un pas de plus". Les électeurs de gauche "n'attendent pas l'homme providentiel, ils attendent au contraire une dynamique", a pour sa part commenté la secrétaire nationale du PCF, Marie-George Buffet, dimanche, sur Europe 1.

Samedi, Lionel Jospin a continué tranquillement sa journée, en déjeunant en tête-à-tête avec son ami Daniel Vaillant, avant de rejoindre Bertrand Delanoë dans sa section du 18e arrondissement de Paris puis d'assister, ensemble, à un match de Coupe d'Europe de rugby et de partir à Imola, en Italie, assister, au Grand prix de Formule 1 de Saint-Marin. Comme le dit joliment un de partisans: "Pas de stratégie peut être une stratégie".

Isabelle Mandraud
Article paru dans l'édition du 26.04.05


Le Monde / France
Citations
Lionel Jospin: "Parfois, il faut lutter contre le tempérament national"

 V oici les phrases clés prononcées par Lionel Jospin.

"Mon projet n'est pas socialiste." Je l'ai entendue, celle-là ! Ça prouve le formidable nominalisme français. C'est comme cette autre phrase que j'ai prononcée: "L'Etat ne peut pas tout", maintenant on la cite comme: "L'Etat ne peut rien". Un Britannique obtient les services économiques d'intérêt général dans la Constitution, il a obtenu une immense victoire, un Français obtient ça, il dit: "Il n'y a pas les services publics". Parfois, il faut lutter contre le tempérament national. (...) Ce projet, que vous avez voté, était plus socialiste qu'en 1995. Je voulais un programme plus large de majorité plurielle. C'était ça ma conception des choses.

L'extrême gauche et le communisme. Rendre des comptes, cela nous distingue de l'extrême gauche et des communistes. (...) Il ne reste aujourd'hui rien de la révolution d'Octobre, si ce n'est la restauration du capitalisme et le retour à l'autoritarisme.

Les partisans du non au PS. Tenir pour rien le vote des militants et s'affranchir de nos règles de vie commune me paraît davantage inspiré par l'individualisme et le libéralisme que par l'esprit collectif qui est le propre du socialisme. Dans les débats d'orientation politique, on n'invoque pas la clause de conscience.

Article paru dans l'édition du 26.04.05


Le Monde / France
Elio Di Rupo, président du Parti socialiste francophone belge
"Chacun, à Paris, devrait considérer que le monde ne se limite pas à la course pour l'Elysée"

 C omment voyez-vous aujourd'hui les divisions du Parti socialiste français et, plus généralement, le débat sur la Constitution européenne ?
Avec compréhension et inquiétude. Les Français débattent de tout, sauf d'une Constitution, qui n'est, finalement, que la cinquième modification du traité de Rome. L'Europe ne se porte pas bien, mais la Constitution n'est qu'un outil pour mieux gouverner, les politiques à mener relevant, elles, d'une dynamique entre le Conseil, la Commission et le Parlement.
Les Français oublient que, si le projet est adopté, leur poids au Conseil sera renforcé (de 9% à 13,4%), comme celui du couple franco-allemand (de 18% à 31,4%), le poids des dix nouveaux membres étant ramené de 26% à 16%. C'est une occasion historique qui est offerte à la France. Chacun, à Paris, devrait considérer que le monde ne se limite pas à la course pour l'Elysée. Un Etat membre de l'Union ne pourra rien faire seul pour tenter de réguler un monde globalisé où les Etats-Unis, la Chine et l'Inde sont au premier plan. Nous avons besoin, pour améliorer les conditions sociales des citoyens, d'un espace européen où la France exercerait un rôle majeur.

Votre parti était hostile à l'idée d'un référendum, pourquoi ?
Nous sommes favorables aux consultations populaires, mais opposés au détournement de cette pratique démocratique. Cette Constitution est un sujet complexe et qui n'a jamais fait l'objet d'une attention pédagogique, tant de la part des politiques que de la majorité des médias. C'est aux élus d'assumer leurs responsabilités. Nous avons opté pour un débat parlementaire. Une majorité de nos concitoyens ne comprend pas de quoi on parle. Dès lors, poser une question sur un tel sujet, c'est ouvrir une voie royale à ceux qui veulent parler d'autre chose. A savoir, en France, la contestation au sein du PS, la guerre entre les clans de la droite, la politique gouvernementale, l'entrée de la Turquie dans l'Union, ou le lundi de Pentecôte.

Avez-vous été confronté, dans votre parti, à des arguments semblables à ceux développés, au sein du PS français, par les tenants du non ?
Oui, à tous. Mais nous avons pu répondre à chacun d'entre eux et notre congrès s'est prononcé à 94% en faveur du projet. Je mets au défi quiconque pourrait nous affirmer que, par rapport au traité de Nice, on enregistre des reculs. Il n'y a que des avancées, insuffisantes, mais qui ne doivent pas, pour autant, nous amener à voter non. L'Acte unique promu par Jacques Delors comportait des imperfections qui auraient pu nous inciter à le rejeter, mais il a fait progresser l'Europe dans de nombreux domaines.

Que se passera-t-il, selon vous, si la France dit non ?
Elle laissera un modèle de prospérité économique, de protection sociale et de diversité culturelle, que nous voulons nous aussi préserver, aux mains de la Grande-Bretagne, qui pourra imposer ses vues ultralibérales, son absence de protection sociale et sa pensée culturelle unique. Le centre de décision européen sera transféré au 10, Downing Street. Dire non au traité, c'est dire oui à Nice et favoriser la dimension du seul marché.

Laurent Fabius a-t-il eu tort, selon vous, de lancer le débat ?
La dialectique politique fait partie de la démocratie. Mais le débat interne au PS n'a pas aidé puisqu'il consistait davantage en un débat de positionnement qu'en un débat sur la Constitution.

François Hollande aurait-il dû prendre des sanctions ?
Il a eu raison de chercher un consensus avec ceux qui pensaient différemment. Il faut, désormais, que les personnalités les plus fortes du PS se réunissent. Toute division à gauche serait catastrophique dans la perspective de futures législatives. Les semaines qui viennent peuvent être consacrées à une vraie pédagogie. J'y prendrai ma part puisque j'ai été invité dans certaines réunions. Il ne faut pas accabler ceux qui sont tentés de dire non, mais les convaincre de la pertinence de dire oui. Jacques Chirac s'est trompé en accablant les partisans du non.

Vous redoutez un éclatement du PS français ?
En politique, le pire ne survient jamais et le meilleur se fait toujours attendre. Propos recueillis par Jean-Pierre Stroobants
Article paru dans l'édition du 26.04.05


Le Monde / Opinions
analyse
Le non et les braises d'un autre 21 avril

 À  cinq semaines du référendum sur la Constitution européenne, le non caracole toujours dans les sondages. Les frustrations et la cécité à l'origine du séisme du 21 avril 2002, quand Lionel Jospin avait été éliminé, dès le premier tour de l'élection présidentielle, sont toujours là, laissant craindre une réplique, le 29 mai, en cas de victoire du non. La conflagration atteindrait alors tous les partis. Ou presque...

Les colères se sont enracinées, jouant sur les maux de la société française: la montée des inégalités, du chômage et de l'exclusion. Le phénomène des délocalisations – qui ne dépendent en rien de la Constitution européenne – a renforcé le sentiment d'insécurité sociale.

La politique libérale de Jean-Pierre Raffarin, poursuivie malgré les trois sévères défaites électorales de 2004, s'est révélée, avec son impopularité croissante, une usine à grain du non.

Plus grave encore, la parole politique perd de nouveau en crédibilité. Saturés de promesses non tenues ou écoeurés d'espérances envolées, les électeurs paraissent tentés par l'expression de leur ras-le-bol à travers les urnes. Comme s'ils voulaient sanctionner à la fois un président, qui n'a pas tenu compte des conditions exceptionnelles de sa réélection en 2002 pour bâtir un nouveau pacte républicain, et une opposition socialiste qui n'a pas rendu assez visibles les changements attendus de ses victoires locales.

Rien ne garantit, le 29 mai, la victoire du non. Les instituts de sondage se sont beaucoup trompés dans les derniers scrutins. Le pourcentage d'indécis reste élevé.

Le oui a des réserves grâce auxquelles il peut encore l'emporter dans le sprint final. Mais l'hypothèse de la victoire du non a gagné suffisamment en crédibilité pour que l'on s'interroge sur ses conséquences sur le plan intérieur.

L'ampleur de l'éruption à laquelle on pourrait assister risque de dépasser celle du 21 avril dans la mesure où elle projettera ses braises à droite et à gauche.

Si, le 29 mai, les partisans du non – ceux que le député socialiste Jean-Christophe Cambadélis affuble du sobriquet de "vingt et un avrilois" – l'emportaient, les trois principaux partis ayant une culture de gouvernement (UMP, UDF, PS), qui défendent le oui, seraient mis en échec.

Jacques Chirac, qui "fêtera" le 13 mai le dixième anniversaire de son entrée à l'Elysée, sera la première victime du séisme. Mais il a des cartes en main pour limiter les dégâts. Il a pris soin de prévenir, à l'encontre des souhaits à peine subliminaux de Nicolas Sarkozy, qu'il ne suivrait pas l'exemple du général de Gaulle qui, en 1969, avait démissionné après avoir perdu un référendum sur la régionalisation.

Il lui restera à faire sauter, cette fois, le fusible Raffarin, qui joue de moins en moins ce rôle de sauvegarde et qui ne doit pas se faire beaucoup d'illusions, dans tous les cas de figures, sur son avenir à Matignon. Surtout après l'estocade que lui a portée Dominique de Villepin, se faisant le chantre d'une autre politique...

Mais, premier perdant d'un référendum, dont il est à l'initiative, sur un traité qu'il a signé, M. Chirac se trouvera interdit de briguer un troisième mandat en 2007. L'échec du président de la République fera, à première vue, le bonheur de M. Sarkozy. Le président de l'UMP, qui n'a cessé dans la dernière période, y compris pendant la campagne référendaire, de "ringardiser" le résident de l'Elysée dont il veut prendre la place, aura en théorie la voie libre pour sa candidature présidentielle en 2007.

M. Sarkozy devra cependant vivre avec le soupçon, que ne manqueront pas d'entretenir les barons chiraquiens, d'avoir caressé secrètement l'espoir d'une victoire du non. Il devra rendre des comptes sur sa responsabilité – partagée avec François Bayrou, le président de l'UDF – dans le parasitage du débat sur la Constitution européenne par celui sur la candidature de la Turquie.

Quelle part aura pris dans le séisme du 29 mai le non à Ankara porté avec constance par MM. Sarkozy et Bayrou ? Ni l'UMP ni l'UDF ne seront donc épargnés par l'onde de choc. Mais ils peuvent limiter l'effet déstabilisateur d'un non, n'ayant connu dans leurs rangs qu'une contestation marginale.

L'impact du tremblement de terre risque d'être plus ravageur à gauche. La seconde victime d'un non pourrait bien être François Hollande. Le premier secrétaire du PS, qui n'a pas durablement profité de ses trois victoires électorales de 2004 et de son succès au référendum interne du 1er décembre sur la Constitution – où le oui avait gagné avec 59% – ne se sentira sans doute pas plus obligé que M. Chirac de remettre son mandat en jeu. Mais, comme les autres leaders de partis de gouvernement, il sera affaibli et amenuisera ses chances d'être le candidat naturel du PS à l'élection présidentielle de 2007. Ce qui conduira certains à rêver de nouveau d'un hypothétique retour de M. Jospin...

M. Hollande est déjà à la tête d'un parti en crise. Loin de se ranger derrière la bannière du oui portée par son chef, le PS s'est éclaté dans des bagarres internes qui l'ont rendu en grande partie inaudible. Pour autant les chantres du non, qui se seront affranchis du respect des règles de la démocratie interne, pourraient bien connaître une victoire à la Pyrrhus.

CHAMP DE RUINES

Même s'il n'a pas mené ouvertement campagne, Laurent Fabius, numéro deux en titre du PS, a saisi toutes les occasions de clamer son non au point d'être identifié par l'opinion comme un des leaders du camp du refus. Mais gagner contre son parti n'est pas un atout de présidentiable, surtout quand on est à la tête d'un courant marginalisé et décidément en peine de conquérir les faveurs de l'opinion.

A la gauche du PS, Henri Emmanuelli réclame un nouveau congrès d'Epinay (1971), pour revenir clairement sur l'aggiornamento, ou encore l'affirmation réformiste qui ont été consacrées, le 1er décembre 2004, lors du référendum interne sur l'Europe. Le député des Landes est parfaitement net: "Le rôle de la social-démocratie n'est pas d'être un avatar du libéralisme, déclarait-il à Libération le 16 avril. Elle doit s'opposer à lui et constituer la colonne vertébrale du progressisme européen." Pour mettre un peu plus les points sur les i, et en se gardant d'évoquer une scission à la manière d'un Jean-Pierre Chevènement en 1993, M. Emmanuelli rêve, avec ses "collectifs socialistes pour le non", de faire "la démonstration que les partisans du non ont la capacité de construire une alternative".

Jean-Luc Mélenchon ne s'y est pas trompé. Cet autre ténor du non de gauche a refusé de suivre M. Emmanuelli dans "une logique de confrontation" avec la direction du PS. Mais, parallèlement, il appelle à une "nouvelle union des gauches" sans exclusive "contre qui que ce soit à gauche"... Or si une victoire du non redonne un élan social au Parti communiste, lui aussi divisé, et à l'extrême gauche, elle ne garantira pas une cure de jouvence leur redonnant une force électorale. Au PCF, Marie-George Buffet voit dans le non un "stop" du "peuple de gauche" au libéralisme quand, plus sagement, Robert Hue invite à ne pas "décréter la victoire d'une gauche sur une autre".

La gauche de gouvernement – le PS comme les Verts, dont la direction aura aussi été désavouée – ressemblerait au "champ de ruines" décrit par Michel Rocard en 1994. La gauche syndicale ne sera pas en meilleure posture. La CFDT de François Chérèque sera affaiblie. Bernard Thibault, qui ne voulait pas engager la CGT sur le non, sera fragilisé. Au PS, M. Hollande sera obligé de faire, à l'automne, un congrès de clarification. Mais on en voit mal l'issue, sauf à ce que, par on ne sait quel miracle ou combinaison, la coalition des battus de décembre 2004 retrouve soudainement la majorité.

En définitive, un seul parti sera à l'abri de la crise engendrée par un non auquel il aura fortement contribué: le Front national. Interrogé sur cette perspective, le 17 avril au "Grand Jury RTL-Le Monde-LCI", Jean-Marie Le Pen avait simplement répondu: "C'est évident, et heureusement." M. Le Pen pourra contempler avec jubilation le champ de ruines des "partis de l'établissement". Pour lui, ce sera encore mieux que le 21 avril. Cette fois-ci, pas de "revanche" possible quinze jours après. Il faudra juste attendre 2007.

Michel Noblecourt
Article paru dans l'édition du 26.04.05


Le Monde / Opinions
Point de vue
Une ambition française oubliée: l'Europe, par Jean-Dominique Giuliani

 L a campagne pour le référendum de ratification du traité établissant une Constitution pour l'Europe vient de commencer. Les Français ont envie de savoir ce dont il retourne et ils expriment, pour l'instant, une vraie colère. Celle-ci a peut-être des raisons qui tiennent à un fort mécontentement. D'un travail actif, je retire plutôt l'impression qu'ils en veulent beaucoup au débat politique. Une fois encore, en effet, un scrutin national, comme ce fut le cas pour les élections européennes, est utilisé à des fins autres que celles auxquelles il est destiné.

En l'occurrence, il s'agit de se prononcer sur le sixième traité d'Union européenne (UE). Le texte ne peut donc pas être isolé de son contexte et les Français attendent qu'on leur présente un bilan de ce qui a été fait, des explications concrètes sur ce que contient cet accord européen et des perspectives ou des visions pour l'avenir.

Mais les pratiques politiciennes révèlent chez nos hommes politiques une piètre connaissance de la réalité européenne et un vrai manque de vision sur ce qu'elle pourrait être dans l'avenir. Le débat n'arrive pas à prendre son envol. Quelques personnalités parcourent inlassablement la France pour expliquer un accord diplomatique à vocation constitutionnelle, ce qui est compliqué. La majorité de nos leaders politiques ne pensent qu'en termes nationaux et, pis encore, privilégient leurs petits intérêts politiques personnels au détriment d'un vrai débat sur l'Europe.

Dans ces conditions, il n'y a pas lieu de s'étonner de la tendance des sondages d'opinion. Oui, les Français sont inquiets d'un monde instable et toujours plus compétitif; oui, ils s'interrogent sur la capacité des responsables politiques à y faire face et surtout à dire la vérité sur une réalité internationale difficile à saisir et à bien des égards préoccupante; oui, ils triment dur et ont le sentiment que leurs efforts se diluent dans des mécaniques non maîtrisées; oui, ils ne voient pas le bout du tunnel, même lointain. Ils assistent, impuissants et critiques, aux batailles de personnes et d'appareil qui ne les intéressent plus depuis longtemps tant ils ont compris que la réalité du pouvoir n'appartient plus seulement aux leaders qui l'exercent mais aussi à la résultante de forces puissantes, humaines, économiques, financières, internationales, politiques, qui s'imposent à eux comme à nous tous.

Ainsi, toutes les formations politiques ont appelé à soumettre à référendum le projet de traité constitutionnel. Elles ont exercé un vrai chantage sur le président de la République. On aurait pu faire preuve de plus de discernement. Après tout, 14 pays de l'Union sur 25 ne tiendront pas de référendum et personne ne s'avise de dire que la ratification italienne du traité, intervenue le 6 avril, ou celle de l'Allemagne, qui sera effective le 12 mai, ne seront pas démocratiques et seront de moindre valeur que celle de la France. Jusqu'à preuve du contraire, le Parlement français aurait très bien pu examiner la Constitution européenne.

Il l'aurait vraisemblablement ratifiée à plus de 80%. En France, nous avons le goût de la division, et ce référendum divisera, une fois encore, les Français qui, somme toute, étaient plutôt d'accord sur l'Europe. Mais, puisque tout le monde a estimé nécessaire de solenniser l'engagement européen de la France, parlons-en ! Or, à gauche comme à droite, on parle d'autre chose.

A gauche, la querelle des anciens et des modernes bat son plein, aiguisée par la prise de position d'un ancien premier ministre aux habits de Bazaine européen. En réalité, il s'agit de savoir qui fera fonction de leader du parti pour affronter les prochaines échéances électorales.

Le parti n'ayant toujours pas fait son congrès de Bad-Godesberg, par lequel les socialistes allemands, en 1959, choisissaient la voie sociale-démocrate, nous assistons à un match à plusieurs rounds. La direction semblait avoir gagné le premier dans un référendum interne. La frange la plus à gauche tente de prendre sa revanche sur le dos de l'Europe, à coups d'invectives, de désinformation, voire de slogans grossiers. Passionnant !...

A droite, ce n'est pas mieux. Malgré les affirmations et les dénégations, la stratégie vise-t-elle seulement à convaincre du bien-fondé des engagements européens de la France ou de l'intérêt du texte qui nous est proposé ? Manifestement, d'autres priorités sont à l'ordre du jour. Ou alors comment comprendre que, sur "100 minutes pour convaincre", à peine plus de dix minutes soient consacrées à la Constitution européenne, qui est pourtant le seul sujet du moment. Les jeux du pouvoir nous ramènent au ras des pâquerettes. Pourtant, ce débat devrait être l'occasion d'une véritable revue de détail, non pas de la France, mais de l'Europe et de l'engagement européen de la France.

Dans le monde globalisé, l'Europe est une réalité surprenante, examinée par tous avec envie ou inquiétude. Elle incarne une nouvelle manière de concevoir les relations internationales, à partir du droit, dans le compromis, mais jamais par la force et l'adversité, toujours par la coopération, dans le respect des identités nationales. Elle est peut-être l'idée la plus moderne apparue depuis la seconde guerre mondiale, et le paradoxe, c'est qu'on la doit à ceux qui l'ont déclenchée à force de nationalisme débridé.

Une autre conception de la nation, plus grande, plus belle, plus efficace, est peut-être en train de naître dans un cadre multilatéral, au moment même où la nation phare des libertés se prend de plus en plus pour l'Empire.

A-t-on suffisamment fait pour assumer cette réalité et l'expliquer aux Français ? Si nous en sommes mécontents, avons-nous proposé des solutions différentes ? Ne devrions-nous pas être des moteurs plus enthousiastes, plus créatifs, apportant davantage nos innovations pour une vraie politique étrangère européenne, une politique de défense plus active, forcément intergouvernementale, mais en liaison avec la construction communautaire. Avons-nous vraiment proposé une politique économique mieux coordonnée au niveau européen, et laquelle ?

Les responsables politiques français doivent assumer l'engagement européen de la France. Ils doivent reconnaître publiquement qu'il ne sert à rien de"faire comme si". Ils pourraient décider de tout et tout seuls, car ils ne décident plus grand-chose tout seuls et les Français le savent. En Europe, une bonne idée sans partenaires, c'est une incantation !

En revanche, que serait l'Europe sans la France ? Nous y avons beaucoup à dire, tellement nous y avons gagné. A force de compromis et de discussions, nous avons épargné à la France beaucoup de déconvenues et nous avons gagné beaucoup. Sait-on, par exemple, que les agriculteurs français, depuis 1962, ont reçu de la politique agricole commune (PAC) plus de 200 milliards d'euros; qu'ils reçoivent chaque année plus de 8 milliards d'euros de Bruxelles. C'est-à-dire qu'au moins 666 millions d'euros sont versés à la France chaque mois au titre de la PAC.

Il en va de même dans nombre de secteurs. On se plaint de la libéralisation des marchés, mais aurions-nous des téléphones portables sans la dérégulation réussie, à l'initiative de Bruxelles, en 1995 ? La liberté de circulation des biens en Europe a créé 2,5 millions d'emplois, c'est-à-dire vraisemblablement plus de 300 000 pour la France depuis 1992, rien que du fait de l'ouverture de nos frontières et du grand marché intérieur.

Y aurait-il sans le marché unique ces grands groupes industriels français qui portent l'emploi chez nous et sont présents dans le monde entier ? Doit-on parler des succès de nos constructeurs automobiles en Europe et des emplois directement créés en conséquence en France ?

Sans l'Europe, nous ne serions pas devenus ce que nous sommes.

Doit-on aussi passer sous silence cette nécessaire dimension de générosité qu'incarne l'Union au plan international ? L'inquiétude est réelle face à l'élargissement, mais si vous voyagez en Europe centrale, on vous expliquera à coup sûr qu'attendre quatorze ans après la chute du mur de Berlin pour accepter au sein de l'Union ceux que la seconde guerre mondiale avait laissés aux mains du totalitarisme communiste, c'est long et un peu égoïste. Au demeurant, nous vendons déjà davantage à nos 10 nouveaux partenaires: 2 milliards d'euros d'excédent pour la France ! Combien d'emplois en plus ?

Pour aider les pays en développement, l'Europe est le bailleur de fonds mondial; elle verse la moitié des crédits d'aide aux plus pauvres avec près de 15 milliards d'euros.

On pourrait multiplier les exemples et beaucoup seraient surpris de ce que nous avons réalisé au niveau européen. Car il n'y a pas la France à côté de l'Europe; il y a seulement la France en Europe. Elle en est plus forte et en bénéficie totalement, comme ces 16 milliards de fonds structurels que les régions françaises auront reçus entre 2000 et 2006.

En fait, nous manquons d'un débat sur l'Europe. Il est légitime, dans le cadre d'un référendum, que les avis divergent, que d'aucuns considèrent que l'Union peut faire mieux dans certains domaines, par exemple la recherche, où elle ne redistribue"que" 16 milliards d'euros (2000-2006), d'autres estimant que la politique de l'environnement européenne, qui représente déjà 80% de la législation française, doit aller plus vite et plus loin, quand certains affirment que les compétences sont mal réparties entre l'Union et les Etats, qu'on critique les politiques européennes, etc.

Mais on n'a pas le droit de laisser dire n'importe quoi à propos du traité constitutionnel qui, justement, tente de corriger certains aspects négatifs du fonctionnement des institutions européennes. Si on veut le critiquer, il faut proposer d'autres formulations, d'autres règles, une alternative à ces suggestions concrètes.

Le traité établissant une Constitution comme l'engagement européen de la France, qui date de soixante ans, méritent un débat à la hauteur des enjeux. C'est aussi l'avenir de l'Europe qui est en cause, et pas seulement nos problèmes domestiques. On ne peut se contenter des anathèmes et des slogans purement nationaux; on ne doit pas continuer à se complaire dans nos petits jeux d'alcôve.

Le temps viendra des échéances réservées à nos plaisirs favoris...

Mais pour la Constitution européenne, de grâce, Messieurs, assez joué !


Jean-Dominique Giuliani est président de la Fondation Robert-Schuman.

par Jean-Dominique Giuliani
Article paru dans l'édition du 26.04.05


Le Monde / Opinions
Edito du Monde
L'après-Tchernobyl

 O pacité et irresponsabilité. Dix-neuf ans après l'explosion d'un réacteur nucléaire à Tchernobyl, en Ukraine, il paraît de plus en plus évident que ces deux mots résument l'attitude des pouvoirs publics français de l'époque, face aux conséquences de ce qui reste la plus grande catastrophe du nucléaire civil de l'histoire.

Le 26 avril 1986, la centrale nucléaire de Tchernobyl explose. Un nuage radioactif traverse l'Europe. Mais en France, officiellement, il ne se passe rien. Avec le recul, on se demande comment le communiqué du ministère de l'agriculture qui affirmait, le 6 mai 1986, que "le territoire français, en raison de son éloignement, a été totalement épargné" n'a pas suscité un mouvement d'indignation ou d'incrédulité.

Il n'existe à ce jour aucune preuve que le nuage de Tchernobyl ait entraîné une augmentation de cancers de la thyroïde en France. Peut-être la procédure judiciaire ouverte en 2001, à l'instigation de malades du cancer et d'associations, fera- t-elle avancer les choses, alors que des spécialistes indépendants comme ceux de la Crii-rad se démènent depuis des années pour faire éclater la vérité. Une étude épidémiologique sur la Corse, la partie la plus excentrée du territoire métropolitain, et donc potentiellement la plus exposée, va peut-être, enfin, être lancée.

En attendant, une chose est sûre. Les politiques et les responsables du nucléaire en France en 1986 ont commis une double faute: ils ont dissimulé la gravité de la situation et, par voie de conséquence, n'ont déclenché aucun plan ni mesures d'urgence. Alors que nos voisins européens donnaient des consignes de précaution en matière alimentaire.

Depuis 1986, les temps ont changé. L'action des pouvoirs publics est devenue plus transparente sous l'effet de plusieurs facteurs: pression d'une société civile de plus en plus présente, montée des préoccupations liées à la protection de l'environnement et à la santé, explosion des moyens d'information... On peut aussi espérer que l'Etat lui-même a changé et considérerait aujourd'hui que les Français sont des adultes à qui il doit une information aussi exacte que possible. La vigilance reste cependant de mise. Le baromètre annuel de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire indique que seuls 16,7% des personnes interrogées pensent qu'on leur dit la vérité sur le nucléaire.

De ce point de vue, l'assurance avec laquelle la Société française d'énergie nucléaire (SFEN) écarte aujourd'hui encore toute idée que le nuage de Tchernobyl ait pu avoir des conséquences sanitaires en France laisse perplexe. De fait, le combat pour la transparence n'est jamais gagné. C'est le cas, bien sûr, sur des sujets ultrasensibles comme le nucléaire, où se mêle polémiques sur la sécurité, intérêts économiques, indépendance énergétique et défense nationale. Mais l'exigence doit être la même autour de sujets pour lesquels l'opinion s'interroge à juste titre, qu'il s'agisse des OGM ou des effets à long terme, encore en partie inconnus, de l'exposition aux pesticides.

Article paru dans l'édition du 26.04.05


Le Monde / Aujourd'hui
Enquête
Inquiétante offensive des créationnistes américains
New York de notre correspondante

 P ennsylvanie, Kansas, Géorgie... La liste s'allonge. Depuis quelques mois, les initiatives se multiplient aux Etats-Unis pour introduire le doute sur la théorie de l'évolution. Pour les partisans de Darwin, cette offensive s'inscrit dans le droit-fil de la réélection du président Bush. Après l'avortement et le mariage gay, l'évolution est en train de devenir le nouveau champ de bataille de l'une de ces culture wars qu'affectionnent les Américains.

Pas de Big Bang sur les écrans du Sud
Il n'y a pas que dans l'éducation que le débat sur l'évolution a des répercussions. Interrogés fin mars par les médias américains, les gérants des salles de cinéma IMAX à écran géant, souvent situées dans les muséums d'histoire naturelle, ont confirmé qu'ils s'efforçaient d'éviter de présenter des films susceptibles d'entraîner des polémiques, notamment dans le Sud, où les fondamentalistes chrétiens sont nombreux. Le documentaire du Canadien Stephen Low, Volcanoes of the Deep Sea, sur l'activité volcanique sous les mers, n'a pas été projeté dans plusieurs Etats parce qu'il mentionne un lien entre l'ADN humain et celui de bactéries présentes aux abords des volcans malgré la température. Les références au Big Bang sont aussi sources d'inquiétude pour les responsables de la programmation, qui ne cachent pas qu'ils préfèrent, pour des raisons commerciales, mettre à l'affiche des films sans référence à l'évolution.

Créationnisme contre évolution: la querelle est ancienne. Le procès de John Scopes, en 1925, figure dans tous les manuels d'histoire. Le professeur de biologie fut poursuivi – et condamné à une amende de 100 dollars – pour avoir enseigné les théories de Darwin. Il a fallu attendre 1987 pour que la justice interdise définitivement l'enseignement du créationnisme, au nom de la séparation de l'Eglise et de l'Etat. Depuis, les fondamentalistes se présentent comme les victimes d'une pensée dominante. Ils ne réclament pas que l'on enseigne le créationnisme dans les écoles, mais que l'on mette fin à la "censure" et que l'on admette que l'évolution puisse être contestée, ce qui, pour l'immense majorité des scientifiques, relève de l'hérésie.

L'offensive actuelle s'exerce surtout au niveau des programmes scolaires. Aux Etats-Unis, les écoles publiques dépendent de conseils d'administration qui sont élus à l'échelon des comtés. Il suffit d'une majorité au school board pour modifier les programmes. Dans une vingtaine d'Etats, les militants ont introduit des mesures pour affirmer que Darwin n'est pas infaillible. Dans le comté de Cobb, en Géorgie, les créationnistes ont relancé l'une des principales techniques employées depuis les années 1970: la mise en garde sur les manuels de biologie. Un autocollant a été apposé sur la page de garde: "Ce livre contient des informations sur l'évolution. L'évolution est une théorie, pas un fait, relative à l'origine des êtres vivants. Ces informations doivent être approchées avec un esprit ouvert, étudiées soigneusement et considérées avec un esprit critique." Le 13 janvier, un juge a ordonné le retrait des autocollants. Les créationnistes ont obtenu un délai de grâce jusqu'à la fin de l'année scolaire et ils ont fait appel.

Les conseils scolaires sont relayés à l'échelon politique local. En janvier, un sénateur du Mississippi a introduit une proposition de loi visant à assurer"un traitement égal" pour les deux théories. Dans ses attendus, le texte affirme que la théorie selon laquelle l'Univers trouve son origine dans l'oeuvre d'un"créateur tout-puissant" est"aussi satisfaisante sur le plan scientifique que l'évolution". Et, ajoute-t-il, de nombreux citoyens"sont convaincus que l'endoctrinement exclusif de leurs enfants dans le concept de l'évolution est un acte d'hostilité à l'égard de leur foi".

La proposition a été rejetée, tout comme celle qui a été introduite dans l'Arkansas. Dans l'Alabama, c'est une variante qui a été soumise aux législateurs, sur la "liberté en milieu éducatif"; liberté de présenter des alternatives à l'évolution.

UNE FORCE SUPÉRIEURE

Dans le Kansas, théâtre d'une grande bataille en 1999, le Conseil des écoles, ramené au pouvoir par les élections de novembre 2004, a remis sur le métier son projet de modification des programmes. La définition même de"science" est révisée. Terminologie actuelle: la science est"l'activité humaine qui consiste à chercher des explications naturelles à ce que nous observons autour de nous".

Langage proposé: la science est "une méthode systématique d'investigation" qui cherche des"explications adéquates aux phénomènes naturels". Les explications "naturelles" ont disparu.

Sur l'arbre de vie de Darwin, les responsables éducatifs du Kansas proposent de souligner que cette"vision que les êtres vivants sont les descendants modifiés d'un ancêtre commun" a été"remise en question ces dernières années". notamment par la découverte de fossiles qui témoignent de "soudaines explosions d'une complexité accrue" ("the Cambrian Explosion" ). Aucune des propositions n'a encore été adoptée. Les juges ont endigué, de leur côté, les "opérations autocollants". Mais les scientifiques s'inquiètent d'avoir vu apparaître un adversaire professionnalisé et bardé d'un nouveau concept, l'Intelligent Design (ID). Le "dessein intelligent".

DES MILITANTS LOCAUX

"En 1999, nous avions affaire à des militants locaux, de jeunes créationnistes qui croient que la Terre s'est créée en moins de dix mille ans, explique Jack Krebs, un professeur du Kansas qui dirige le comité de révision des programmes de biologie et essaie d'endiguer les efforts créationnistes. Aujourd'hui, on retrouve exactement les mêmes, mais ils sont aidés par les responsables du Discovery Institute." Cet institut, installé à Seattle en 1996, est une sorte de think tank du mouvement créationniste."Cela leur permet de présenter un défi beaucoup plus sérieux".

Le "dessein intelligent" est décrit comme la version"séculaire" du créationnisme. Il n'est plus question – nominalement – de Dieu, mais d'une force supérieure qui ne peut qu'être à l'origine de cette chose si compliquée qu'est la vie. Les partisans de l'ID soulignent la perfection de la mécanique des cellules, "les lignes d'assemblage, les centrales thermiques, les unités de recyclage, et les monorails miniatures qui véhiculent les éléments de part et d'autre de la cellule". Bien trop sophistiqué, selon eux, pour être le fruit du hasard ou de l'évolution.

L'un des promoteurs du "dessein" est Michael Behe, professeur de biologie et auteur du livre Darwin's Black Box: the Biochemical Challenge to Evolution. Pour lui, il n'y a pas incompatibilité. Pourquoi la science ne pourrait-elle pas"accepter l'idée d'un dessein" ? De plus en plus de scientifiques"voient un rôle à la fois pour l'empirisme de l'évolution et pour l'élégance du dessein". assurait-il le 7 février dans le New York Times.

Selon ces néocréationnistes, la biochimie a mis Darwin à l'épreuve."Combien d'évolutionnistes accepteraient l'idée que des changements aléatoires dans un programme informatique produisent une version améliorée ?, interroge l'un d'eux. Pourtant, c'est exactement ce qu'ils essaient de nous faire croire quand l'ADN subit une mutation au cours du processus d'évolution."

Les créationnistes jouent sur du velours. Selon un sondage CBS de novembre 2004, 55% des Américains croient que "Dieu a créé les humains dans leur forme actuelle" (67% des républicains; 47% des démocrates). 13% seulement croient que Dieu n'y est pour rien. Et 27% adoptent l'idée d'une oeuvre conjointe: "Les hommes ont évolué. Dieu a guidé le processus." A 65%, les Américains veulent que le créationnisme soit enseigné en même temps que l'évolution.

Les professeurs de biologie, eux, sont en état d'alerte. A Dover, en Pennsylvanie, lorsque le Conseil des écoles a recommandé, en janvier, de lire aux élèves un préambule affirmant que l'évolution est une "théorie, pas un fait". huit d'entre eux ont refusé.

Selon un sondage réalisé fin mars, 31% des professeurs se déclarent soumis à des pressions de la part de parents ou d'élèves pour inclure le créationnisme ou l'ID dans le programme. Le 4 mars, l'un des responsables de l'Académie des sciences, Bruce Alberts, s'est ému dans une lettre à ses collègues: "L'un des fondements de la science moderne est actuellement négligé, voire même banni, des cours de sciences." Il les a appelés à relever un "défi croissant". enseigner l'évolution dans les écoles publiques.

Corine Lesnes
Article paru dans l'édition du 27.04.05


Le Monde / Aujourd'hui
Reportage
Le darwinisme est parfois contesté dans les salles de classe françaises

 L a lutte contre le darwinisme n'est pas une spécialité nord-américaine. Elle essaime parfois aussi dans les salles de classe françaises. "J'ai eu l'occasion d'assurer des travaux personnels encadrés -TPE- en lycée sur l'évolution. Il était clair que les élèves avaient puisé sur Internet des éléments du Discovery Institute". témoigne Guillaume Lecointre, professeur au Muséum national d'histoire naturelle (MNHN).

Le Discovery Institute, basé à Seattle, est le plus ardent promoteur aux Etats-Unis du "dessein intelligent". Ces conceptions apparaissent sur les moteurs de recherche et quiconque omettrait l'accent sur le "e" d'évolution est presque assuré d'y être automatiquement renvoyé. "Mais ces contenus sont aussi largement traduits, notamment en français". assure Guillaume Lecointre.

La thèse centrale des tenants du "dessein intelligent" ? La vie est trop complexe pour résulter d'une évolution guidée par un processus aveugle de mutation/sélection. Là où il y a horloge, il y a forcément un horloger. Son cheval de bataille actuel est le flagelle de la bactérie, qualifié de "machine la plus efficace de l'Univers". Ce moteur rotatif évolue à plusieurs dizaines de milliers de tours par minute.

Constitué d'une cinquantaine de molécules, il ne peut, selon les membres du Discovery Institute, qu'être une pièce d'ingénierie et non le résultat d'une série de pas successifs sélectionnés par l'évolution.

Pour Guillaume Lecointre, les thèses défendues par le Discovery Institute constituent le prototype d'une nouvelle "désinformation instruite" qui prend le relais des formes anciennes de créationnisme. Les critiques passées du darwinisme s'appuyaient sur l'exemple de l'oeil, organe lui aussi jugé trop complexe pour être uniquement le fruit de processus naturels. En empruntant aux registres de la biochimie et de la génétique, "il s'agit désormais, pour les spiritualistes, afin de crédibiliser le message des scientifiques, de paraître plus scientifiques qu'eux". estime-t-il.

Ces critiques adressées à la théorie de l'évolution se fondent sur "une série de raisonnements analogiques, d'objections fausses, de confusions épistémologiques et de décalages d'échelle dans la critique". dont le chercheur français détaille les ressorts dans un ouvrage collectif récent (Les Matérialismes et leurs détracteurs, Syllepse, 800 p, 33 €). Il prend la peine de répondre sur le site du CNRS (http://www.cnrs.fr/cw/dossiers/dosevol/decouv/articles/chap1/lecointre1.html) aux 10 questions que Jonathan Wells, membre du Centre pour le renouveau de la science et de la culture, suggère aux élèves de poser en classe de sciences naturelles pour embarrasser les enseignants.

En France, il arrive plus rarement à ces derniers d'être confrontés à une résistance des élèves sur les questions d'évolution. Corinne Fortin, professeur en sciences de la vie et de la Terre au lycée de Torcy (Seine-et-Marne), estime cependant que, ces dernières années, "les idées créationnistes ont pris plus de poids". Auteur, en 1993, d'une thèse consacrée à l'enseignement de l'évolution, elle dit ressentir les effets du fondamentalisme religieux. "Avant, seuls les Témoins de Jéhovah proposaient des objections". explique-t-elle. Aujourd'hui, "le vrai danger sur Internet vient de sites militants qui peuvent séduire des élèves même non pratiquants". dit-elle.

"Ces questionnements ne sont pas négatifs, à condition que l'on veille et qu'on y réponde". estime Jean Ulysse, secrétaire général de l'Association des professeurs de biologie et de géologie, qui avait coutume de débuter le cours sur l'évolution par une présentation des conceptions créationnistes – précisément pour montrer en quoi leur démarche n'était pas scientifique. Mais si l'on enseigne toujours les faits évolutifs, "depuis quelques années, la théorie de l'évolution n'est plus dans les programmes". regrette-t-il.

Hervé Morin
Article paru dans l'édition du 27.04.05


Le Monde / Aujourd'hui
Trois questions à... Eugenie Scott

Professeur d'anthropologie physique à l'université du Kentucky, vous animez le combat pour l'évolution depuis vingt ans. Vous dirigez le Centre national pour l'éducation scientifique, créé pour "défendre l'enseignement de l'évolution dans les écoles publiques". En 1999, la controverse sur le créationnisme et l'évolution au Kansas était devenue une affaire nationale avant de retomber. Pourquoi en reparle-t-on ?

A cause de l'importance de la droite religieuse dans la réélection de George W. Bush en novembre 2004. Les conservateurs chrétiens estiment que le président leur doit quelque chose. Au contraire de l'avortement, l'évolution est une cible facile. Il n'y a pas de lobby important, pas de bataillons pour défendre ce sujet. Les scientifiques ne constituent pas une force électorale. Face aux attaques actuelles, la communauté scientifique est en émoi mais elle n'est pas organisée politiquement pour se défendre.

Une vingtaine d'Etats sont concernés par des tentatives visant à relativiser les théories de Darwin. Croyez-vous à une offensive centralisée ?

Non, ce n'est pas centralisé. C'est essentiellement au niveau de la base que cette offensive se manifeste. Il y a un fort soutien populaire au créationnisme dans ce pays. C'est un héritage historique. Et le créationnisme est devenu en quelque sorte un produit d'exportation américain. On le trouve en Corée du Sud, en Australie. Maintenant le mouvement grandit dans les pays de l'ancienne Union soviétique. Des missionnaires partis enseigner l'anglais en Europe de l'Est utilisent du matériel créationniste.

Le danger est-il réel ? Après tout, le créationnisme n'est enseigné nulle part. On voit surtout des batailles judiciaires pour l'instant.

Oui, c'est vrai, les juges ont arrêté toutes les tentatives pour enseigner le créationnisme jusqu'à présent. Mais la loi peut évoluer. Et le président Bush nomme systématiquement des juges conservateurs.

Il faut se rappeler qu'aux Etats-Unis l'éducation dépend des districts scolaires. Elle est décidée au niveau local. Il n'y a pas de contrôle des programmes comme en France. On recommande simplement aux enseignants les matières qu'ils doivent couvrir.

Le danger est que les enseignants fassent de l'autocensure. Dans beaucoup d'endroits, l'évolution est passée sous silence. Les professeurs préfèrent glisser rapidement sur le sujet. Il n'est pas question d'enseigner le créationnisme, c'est illégal. Mais pour les conservateurs, le simple fait que l'évolution soit relativisée, c'est un succès.

L'autre danger que nous voyons, c'est l'apparition de l'idée de "dessein intelligent". C'est une nouvelle forme de créationnisme en quelque sorte, qui ne mentionne pas directement Dieu. Pour la première fois, un juge va se prononcer sur cette notion, à partir de l'exemple de Dover, en Pennsylvanie.

Les créationnistes affirment qu'il n'est pas question de Dieu et qu'ils ne cherchent qu'à voir présenter le "dessein intelligent" comme une alternative scientifique à l'évolution.

Mais c'est une farce. Ce qu'ils ont en tête, c'est le même bon vieux créateur: Dieu.

Propos recueillis par Corinne Lesnes
Article paru dans l'édition du 27.04.05


Le Monde / Europe
Constitution européenne
M. Chirac et M. Schröder: "Nous allons construire une Europe puissante"

 A près son émission manquée du 14 avril avec les jeunes, sur TF1, Jacques Chirac a pris soin de donner le plus d'éclat possible à sa rencontre avec le chancelier allemand, Gerhard Schröder, venu avec la quasi-totalité de son gouvernement, mardi 26 avril à Paris, au secours du référendum français sur la Constitution européenne.

Chute du non dans l'électorat de droite
Le non reste majoritaire dans les intentions de vote des Français (52%), mais il marque un léger recul de 3 points, selon un sondage Ipsos pour Le Figaro et Europe 1 publié le 25 avril. L'enquête a été menée les 22 et 23 avril par téléphone auprès de 954 personnes (méthode des quotas). Le précédent sondage Ipsos (15-16 avril) situait le non à 55%. Le 21 avril, une enquête CSA avait déjà donné le non en recul (à 52%). Selon Ipsos, le non reste majoritaire chez les sympathisants de la gauche parlementaire (60%, – 3 points), notamment du PS (55%, – 1 point), mais un électeur de gauche sur deux n'est pas sûr de son choix. Le recul du non est surtout sensible dans l'électorat UMP-UDF: – 11 points, à 21%, le oui se redressant d'autant, à 79%.

Le cinquième conseil des ministres franco-allemand, qui se tenait dans la matinée au palais de l'Elysée, tombe à pic, dans cette campagne difficile, pour proclamer haut et fort les vertus du moteur franco-allemand au service de l'Europe.

A l'issue de la réunion des deux gouvernements, consacrée au lancement d'un ambitieux programme de relance industrielle et à la promotion de la mobilité entre les deux pays, le président et le chancelier devaient prendre la parole, l'après-midi, à la Sorbonne, pour célébrer le 50e anniversaire de la Chambre franco-allemande de commerce et d'industrie.

M. Chirac mise, pour faire comprendre l'enjeu européen, sur l'affirmation de l'ambition, commune aux deux pays, de travailler au sauvetage d'une base industrielle essentielle à la création d'emplois, mais menacée par la compétition avec l'Asie et l'Amérique. Cela explique l'ampleur donnée, lors du conseil des ministres, au lancement de projets concrets en matière d'industrie et d'innovation technologique, présentés lundi 25 avril par Jean-Louis Beffa, le PDG de Saint-Gobain. Les deux pays connaissent tout deux en ce début d'année un fort taux de chômage, qui reste, encore et toujours, leur principale préoccupation. Mais la réponse, pour M. Chirac comme pour le chancelier Schröder, n'est pas dans le repli sur soi. D'où l'importance d'une Constitution que l'Allemagne doit ratifier en mai juste avant la France. D'où aussi l'incompréhension que l'on ressent aujourd'hui à Berlin devant la montée du non en France.

Comment lutter et surtout comment être cru ? Avec la "bataille des emplois de demain" se joue une nouvelle coopération industrielle, garante de la suprématie technologique, affirme le président français. En juillet, sera ainsi créé, comme il l'avait annoncé en début d'année, l'Agence pour l'innovation technologique. Dans cette voie, affirme M. Chirac, la France sera plus forte avec l'Allemagne et ceux qui voudront les rejoindre. "En Europe, l'unité et la confiance, source de la puissance, sont en train de l'emporter. L'espérance européenne est à l'oeuvre", dit-il.

"MODÈLE INÉDIT"

L'Europe politique a un socle, rappelle M. Chirac, "cette paix que le traité constitutionnel vient consolider" et qui a permis de bâtir un "modèle inédit": l'Europe. Avec la Constitution, défend le président, "pour la première fois, vingt-cinq peuples s'unissent pour relever le défi d'une démocratie européenne qui respecte l'identité de chacun". Thème sensible que celui de l'identité, qui provoque, à droite comme à gauche, de nouvelles crispations, nourries par les difficultés économiques et sociales: M. Chirac veut tenter de répondre aux deux. "Nous avons besoin de cette Constitution parce que nous voulons construire l'Europe sur des valeurs et plus seulement sur un marché", plaide le président.

Il se fait aussi l'avocat d'une idée qui lui est familière: pas de progrès social sans progrès économique – maîtrisé sur le plan environnemental et accompagné de "services publics forts et accessibles à tous"; ce que le traité, souligne M. Chirac, appelle "l'économie sociale de marché". "Nous nous sommes battus pour cela. Je n'aurais pas signé ce texte s'il n'avait pas inscrit cette exigence au coeur des objectifs qu'il consacre", assure le président, ajoutant que M. Schröder "ne l'aurait pas signé non plus".

Selon lui, le projet que promet la Constitution est une Europe "qui fera résolument le choix d'une harmonisation sociale par le haut, c'est-à-dire le refus du dumping social et la volonté d'assurer à tous le plus haut niveau de protection sociale". "Si l'Europe ne s'organise pas maintenant, le monde ne l'attendra pas. Si l'Europe renonce à son ambition politique et sociale, le modèle ultra-libéral aura le champ libre", avertit le président.

Valeurs, destin commun, défense du modèle économique et social: avec la Constitution, "nous allons construire une Europe puissante", conclut M. Chirac, en espérant, cette fois, faire bouger le front du non.

Henri de Bresson et Béatrice Gurrey
Article paru dans l'édition du 27.04.05


Le Monde / Société
Hugues Lagrange, directeur de recherche au CNRS Hugues Lagrange, directeur de recherche au CNRS: "Aucune réflexion véritable n'a été conduite sur la prévention"

 Q ue pensez-vous de la philosophie de ce projet de loi ?
Il s'agit d'un texte hétéroclite, qui ressemble au catalogue de La Redoute. Ce projet de loi est marqué par une volonté de capitaliser sur un semblant de victoire face à la délinquance, après une période en 2002 où celle-ci constituait un point central de l'actualité nationale. Mais aucune réflexion véritable n'a été conduite sur la prévention.
Il s'agit d'une politique hémiplégique. Pour les jeunes déjà engagés dans la délinquance, la solution de l'emprisonnement massif a été choisie. Mais en amont, rien.
Un véritable travail de prévention consisterait à détecter très tôt les symptômes de l'échec scolaire. Dans mes travaux, j'observe les résultats des enfants en CE2. Ceux issus de familles nombreuses, non européennes, qui ont des difficultés importantes à ce niveau, ont une probabilité 4 ou 5 fois plus élevée d'entrer dans la délinquance que les autres.

Ce texte ne sanctionne-t-il pas aussi l'échec de la prévention traditionnelle ?
Nous assistons à une crise de la doctrine éducative qui fut valide de 1945 au début des années 1980. Elle consistait à considérer que l'enfance en souffrance – dans des familles en proie aux problèmes de violence, de drogue ou d'alcoolisme – et l'enfance délinquante étaient la même chose. Or il n'y a que 20% de recoupement entre les deux groupes.
Les trajectoires des jeunes acteurs de la délinquance illustrent surtout un échec à entrer dans la société contemporaine, à répondre à des exigences de parcours individuel: savoir lire à 6 ans, avoir des bases solides en sixième, etc. Sans ces bases, les jeunes se retrouvent en porte-à-faux.

L'aggravation des peines sanctionnant les délits de racket et de revente de drogue autour des écoles est-elle positive ?
Je m'interroge. Le projet de loi semble viser avant tout les jeunes des quartiers sensibles. Or les études montrent que l'usage de la drogue s'est ancré dans la population. Il est beaucoup plus développé dans les établissements des centres-villes aisés que dans les banlieues. Concernant le racket, je me réjouirais s'il y avait un véritable travail de fait sur le recel, pour ne pas réduire la question au vol de blouson.

Favoriser les dépenses de sécurité par un crédit d'impôt vous paraît-il une bonne chose ?
Le ministère de l'intérieur a décidé de concentrer ses efforts sur le passage à l'acte, qui est le dernier échelon, et pas sur les hommes. Avec le développement des Digicode, les cambriolages ont chuté à Paris et se sont reportés sur d'autres logements. Ces nouvelles mesures vont renforcer les protections statiques de ceux qui sont déjà mieux assurés que les autres et qui paient plus d'impôts.

Propos recueillis par P. Sm.
Article paru dans l'édition du 27.04.05


Le Monde / Société
Deux transsexuelles demandent à se marier à la mairie de Rueil-Malmaison

 S ur la table du salon, un code civil rouge un peu usé à force d'avoir été feuilleté porte un Post-it indiquant les pages sur le mariage. Le chapitre sur les "qualités et conditions requises pour pouvoir contracter mariage" a été visiblement bien étudié. "Avant de déposer un dossier à la mairie, il a fallu se préparer !", plaisante Camille. Pourtant, le jour où elles se sont rendues à l'hôtel de ville de Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine), l'employée, racontent-elles, a pris "l'air pincé".

Camille et Monica, il est vrai, ne forment pas un couple tout à fait comme les autres. Les cheveux relevés en chignon, Monica a transformé son corps grâce à des injections de silicone mais elle conserve un état civil masculin: son passeport est établi au nom de Benito Martin Leon. Camille, elle, fut, dans sa jeunesse, un homme. En 1999, son état civil a été modifié après une opération chirurgicale et elle a désormais une carte d'identité au nom de Camille Joséphine Barré.

Sur le papier, rien ne s'oppose donc au mariage. Benito Martin Leon, 30 ans, de nationalité argentine, souhaite prendre pour épouse Camille Joséphine Barré, 46 ans, de nationalité française. Mais les frontières du genre et du sexe ont été quelque peu brouillées et une certaine panique s'est emparée de la mairie de Rueil-Malmaison. Après avoir suspecté un mariage blanc – Monica dispose d'une simple autorisation de séjour –, elle a saisi le parquet de Nanterre. "Je veux être sûr qu'il s'agit bien d'un mariage entre deux personnes de sexe différent, précise le maire (UMP) de la ville, Patrick Ollier. Je ne veux pas de mariage militant, ni de mariage de complaisance".

Camille et Monica se sont rencontrées le 27 juin 2004 à la Marche des fiertés lesbiennes, gaies, bi et trans, à Paris. "En tant que membre de l'organisation, j'étais en tête du cortège, raconte Camille. Monica s'est installée devant nous, elle a refusé d'aller plus loin, ça m'a contrarié". Les deux militantes d'associations trans se croisent à nouveau dans une manifestation, en octobre. "On n'arrêtait pas de se regarder, on se souriait un peu bêtement, comme deux mômes".

Aujourd'hui, elles vivent ensemble, avec leurs deux chats, dans un appartement de Rueil-Malmaison dont la bibliothèque est nourrie de livres sur la différence des sexes – Masculin/Féminin, de l'anthropologue Françoise Héritier, ou une histoire du transsexualisme. Elles se définissent comme les "deux moitiés d'une orange", se regardent longuement dans les yeux, et répètent sans se lasser qu'elles veulent se marier. Par romantisme – "je veux croire au bonheur amoureux", dit Monica –, mais aussi par militantisme – "nous ne sommes plus au XIXe siècle, nous ne voulons plus vivre dans les carcans culturels, sociaux et moraux d'antan", ajoute Camille.

Monica est née en Argentine, à El Bordo-Salta, à 1 400 kilomètres de Buenos Aires. Son père était agriculteur, sa mère élevait ses onze enfants. "A 5 ans, je me déguisais en fille, en secret, chez ma grand-mère", raconte-t-elle. Le 3 janvier 1993, à 18 ans, Monica, qui s'appelle alors Martin, annonce à ses parents qu'elle veut devenir transsexuelle. "Mon père m'a dit: tu peux être homosexuel, tu peux avoir des amours clandestines, mais ça, non. Pas ici".

Monica part pour Buenos Aires, se fait injecter de la silicone et revient neuf mois plus tard chez ses parents. "Papa, qui ne m'a pas reconnue, m'a dit: "Bonjour Madame". Et Maman a crié: "Mais c'est Martin !" Aujourd'hui, ils ont fini par m'appeler Monica". Après onze années difficiles à Buenos Aires, Monica, qui a choisi son prénom en hommage à la joueuse de tennis Monica Seles, part pour la France. "Je suis arrivée le 17 mai 2004 et le soir même, j'étais au Bois de Boulogne. J'ai arrêté le 24 décembre et, depuis, je fais de l'alphabétisation et une formation d'informatique".

Camille, elle, a grandi à Paris, dans une famille modeste, entourée de trois soeurs et d'un frère. "J'ai essayé de vivre une vie d'homme, j'ai été mariée avec une femme pendant onze ans, mais j'étais très malheureuse. Je ne voulais pas être un travesti temporaire: c'était une simple échappatoire à un uniforme qui n'était pas le mien". Elle finit par divorcer, se fait opérer et, en 1999, devient une femme, Camille Joséphine Barré. Aujourd'hui, elle veut se marier et répond à tous ceux qui soulignent que Monica ne pourra plus, dès lors, demander un changement d'état civil: "Mais non, d'ici là, les mariages homos seront autorisés !"

Anne Chemin
Article paru dans l'édition du 27.04.05


Le Monde / Société
Pédophilie: huit mises en examen en Mayenne

 H uit personnes ont été mises en examen, et six d'entre elles écrouées à Laval, après la découverte d'une ramification, dans la Mayenne, du réseau pédophile jugé depuis le 3 mars par la cour d'assises de Maine-et-Loire, à Angers.

Philippe Varin, le procureur de Laval, a confirmé, lundi 25 avril, les informations publiées, samedi 23 avril, par Le Parisien-Aujourd'hui en France. Virginie Parent, la juge d'instruction d'Angers, qui a renvoyé soixante-six personnes devant les assises, reste saisie d'une partie de l'affaire. Elle exploite systématiquement les carnets d'adresses des accusés et enquête sur la disparition de films et de photos pédophiles décrits par plusieurs d'entre eux.

C'est ainsi qu'elle a demandé aux policiers d'Angers d'interroger à Château-Gontier, en Mayenne, le département voisin, un homme qui s'est aussitôt effondré devant les enquêteurs. "Il a fait des révélations sur des scènes de pédophilie auxquelles il aurait assisté en Mayenne, a indiqué le procureur. Il a mis essentiellement en cause des personnes originaires de ce département."

Le procureur d'Angers a ainsi saisi son collègue de Laval, qui a fait placer en garde à vue, le 16 avril, l'homme de Château-Gontier, sa compagne et son ex-compagne.

Une information a été ouverte le 18 avril et confiée au juge Sabine Morvan, qui a, le jour même, mis l'homme en examen pour "corruption de mineurs de -moins de- 15 ans". l'ancien attentat à la pudeur, "non-assistance à personne en danger". "non-dénonciation de crime et de mauvais traitement à enfant".

La nouvelle compagne a été mise hors de cause, mais l'ancienne a été mise en examen pour "non-dénonciation" et laissée en liberté sous contrôle judiciaire. "Comme à Angers, ce sont des personnes parfois assez frustes qui ont du mal à se situer dans le temps et dans l'espace, a expliqué M. Varin. Elles donnent des dates et des lieux, il va falloir vérifier tout cela."

PERFUSION SOCIALE

Grâce à ces premiers éléments, cinq autres personnes, trois hommes et deux femmes, ont été interpellées le lendemain et placées en garde à vue. "Certains reconnaissent la réalité des faits, convient le procureur, ou accusent d'autres personnes." Tous ont été présentés au juge et mis en examen, jeudi 21 avril, pour des faits plus graves: "viols sur mineurs en réunion". "agressions sexuelles en réunion". "corruption de mineurs" et complicité.

Enfin, un dernier homme a été interpellé, samedi, avant d'être mis en examen pour "corruption de mineurs" et "agressions sexuelles". et laissé en liberté sous contrôle judiciaire. Les perquisitions aux domiciles des personnes mises en examen n'ont, semble-t-il, rien apporté de significatif.

De huit à dix mineurs de moins de 15 ans auraient été abusés entre 1995 et 2002. Il s'agit parfois des propres enfants des agresseurs, parfois ceux de voisins ou de connaissances; les faits se seraient produits à Laval, à Château-Gontier et dans un camping de l'est du département. La plupart des mis en examen sont, comme à Angers, des majeurs protégés, sous perfusion sociale.

D'autres interpellations sont attendues. Surtout, deux personnes qui ont été mises en cause sont actuellement jugées devant la cour d'assises de Maine-et-Loire, et le lien avec le réseau pédophile d'Angers ne fait pas de doute. Franck Johannès
Article paru dans l'édition du 27.04.05


Le Monde / International
Laurent Gbagbo autorise la candidature d'Alassane Ouattara pour la présidentielle

 L e président ivoirien, Laurent Gbagbo, a annoncé, mardi 26 avril, qu'il userait de ses pouvoirs constitutionnels pour que l'un de ses principaux adversaires politiques, Alassane Ouattara, puisse se présenter à l'élection présidentielle d'octobre.

La mise à l'écart de M. Ouattara, un musulman originaire du Nord, à la présidentielle de 2000, pour "nationalité douteuse" est au cœur de la crise politico-militaire ivoirienne depuis septembre 2002. M. Ouattara n'est pas éligible en vertu de l'article 35 de la Constitution, qui exige que les deux parents d'un candidat soient d'origine ivoirienne. L'un de ses parents est considéré comme originaire du Burkina Faso voisin.

Dans un discours télévisé très attendu, sur la question cruciale des candidatures à la prochaine élection présidentielle, le chef de l'Etat a annoncé qu'il prenait "acte" de l'accord de paix du 6 avril, conclu à Pretoria entre tous les protagonistes de la crise ivoirienne, et qu'il mettait "en œuvre l'article 48" pour prendre "les mesures exceptionnelles exigées par les circonstances". Laurent Gbagbo a précisé que, pour la seule élection présidentielle d'octobre 2005, les candidats présentés par les partis politiques signataires des accords conclus en janvier 2003 à Marcoussis, près de Paris, seraient éligibles, y compris le Rassemblement des républicains (RDR) d'Alassane Ouattara. "En conséquence, M. Alassane Dramane Ouattara peut, s'il le désire, présenter sa candidature à l'élection présidentielle d'octobre 2005", a ajouté le chef de l'Etat ivoirien.

ESPOIRS DE SORTIE DE CRISE

L'espoir d'un règlement pacifique de la crise ivoirienne – illustrée par la division du pays entre un Nord tenu par les rebelles et un Sud sous contrôle gouvernemental – grandit depuis la signature de l'accord de paix de Pretoria. Dans le cadre de cet accord, les rebelles et les forces gouvernementales ont entrepris de retirer leurs armes lourdes des lignes de front. Ils ont aussi promis d'étudier des propositions visant à entamer en mai un désarmement complet. A l'issue de pourparlers de paix organisés en Afrique du Sud, le président Thabo Mbeki avait déclaré que tout candidat souhaitant se présenter devait être autorisé à le faire. Il avait exhorté M. Gbagbo à invoquer l'article 48 pour que ceux qui en étaient empêchés précédemment puissent se présenter.

Bon nombre de jeunes "patriotes", qui soutiennent Laurent Gbagbo, imputent la guerre à Alassane Ouattara et l'accusent de soutenir les rebelles, mais certains d'entre eux ont annoncé qu'ils soutiendraient la décision du chef de l'Etat. "Aucun patriote n'est d'accord avec cela mais tous les patriotes l'accepteront", a assuré Eugène Djue, dirigeant de l'Union des patriotes pour la libération totale de la Côte d'Ivoire, une milice pro-Gbagbo. "Pour que (M. Ouattara) soit candidat, beaucoup de gens sont morts", a-t-il ajouté. Les rebelles "ont obtenu par les armes qu'il puisse être candidat. C'est un grave précédent pour ce pays".

Les rebelles des Forces nouvelles n'ont pas réagi dans l'immédiat. Dans le passé, ils ont refusé de déposer les armes tant que M. Gbagbo ne mettaient pas en œuvre les réformes annoncées.

Avec AFP et Reuters
LEMONDE.FR | 27.04.05


Le Monde / International
Victimes au Togo après la victoire "provisoire" de Gnassingbé

 D e jeunes opposants en colère ont pris possession, mardi 26 avril, des rues de Lomé après la proclamation de la victoire "provisoire" de Faure Gnassingbé, fils de l'ancien dictateur Gnassingbé Eyadema, à la présidentielle de dimanche. Les incidents ont fait au moins trois morts et des dizaines de blessés.

Une histoire de famille
Gnassingbé Eyadéma, qui a régné sans partage sur le Togo pendant trente-huit ans, a été assassiné le 5 février dernier. Malgré les dispositions de la Constitution sur l'intérim, l'armée avait alors désigné son fils comme successeur avant que celui-ci ne se résigne, sous la pression internationale, à se soumettre au verdict des urnes. La campagne électorale s'est alors déroulée dans un climat de violence continuelle entre les deux camps rivaux: une opposition frustrée par des décennies d'autocratisme et les loyalistes de Gnassingbé.

Des fumées noires se sont élevées de divers quartiers de la capitale du Togo, où les protestataires avaient érigé et incendié des barricades, jetant des pierres aux policiers qui ont riposté avec des grenades à percussion et tiré des balles de caoutchouc. Des magasins et des entreprises ont été pillés, des murs et des arbres abattus. Un diplomate chinois a déclaré que son ambassade avait été attaquée par des jeunes gens qui ont cassé des fenêtres et une voiture, avant de voler une moto.

ÉVACUATION DU PERSONNEL DE L'AMBASSADE AMÉRICAINE

A la tombée de la nuit, le calme était revenu et les forces de sécurité patrouillaient en grand nombre dans les rues. On observait de petits groupes de manifestants non loin de barricades fumantes, mais la plupart étaient rentrés chez eux en s'engageant à revenir mercredi. "C'est la déception et la colère. C'est sûr que les mouvements vont recommencer demain", affirmait Kenneth, un habitant du quartier de Bé, bastion de l'opposition dans la capitale. Au principal hôpital de Lomé, une infirmière a dit que l'établissement avait été débordé par le nombre de blessés arrivés mardi. A Bé, une infirmière de clinique a expliqué qu'il avait fallu refouler beaucoup de personnes blessées par balles parce qu'un médecin ne s'était pas présenté au travail.

Déjà traumatisés par des semaines d'agitation de rue, beaucoup d'habitants de Lomé s'étaient calfeutrés chez eux pour échapper aux nouvelles violences de jeunes opposants, dont certains étaient armés de couteaux ou de machettes.

De leur côté, les Etats-Unis ont annoncé qu'en raison des violences, ils avaient pris leurs dispositions pour évacuer le personnel non essentiel, ainsi que les membres des familles du personnel de leur ambassade au Togo. Ils ont aussi invité tous leurs ressortissants à reporter toute visite dans le pays. "Nous continuons d'enquêter (sur les informations relatives à des fraudes électorales)", a déclaré Adam Ereli, porte-parole du département d'Etat, ajoutant que Washington soutenait les efforts de réconciliation déployés par l'Union africaine et par la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cedeao).

MANIFESTATION PRO-GNASSINGBÉ

Dans un autre quartier de la capitale, des partisans de Gnassingbé, vêtus de tee-shirts blancs et armés pour certains, célébraient la victoire de leur candidat. "Faure ou rien, Faure ou l'enfer", scandait l'un d'eux. Selon la commission électorale, Gnassingbé, 39 ans, a obtenu 60,22% des suffrages contre 38,19% au candidat de l'Union des forces de changement (UFC), Emmanuel Bob-Akitani. Le candidat du Rassemblement du peuple togolais (RPT) a lancé après l'annonce de sa victoire un appel à l'unité nationale. " Assez de querelles intestines, assez de querelles politiciennes. Maintenant, place à la réconciliation et au développement. La période de l'élection est passée. Nous devons nous retrouver pour reconstruire notre pays", a déclaré Gnassingbé à la presse.

L'UFC a de son côté appelé à la résistance populaire. "Nous n'allons pas nous laisser faire et nous appelons la population à résister", a déclaré Jean-Pierre Fabre, secrétaire général de l'UFC. "Ce régime doit comprendre que nous n'accepterons jamais M. Faure Gnassingbé comme président de la République, parce que ni son père, ni lui ne peuvent remporter une élection normale au Togo."

Avec Reuters
LEMONDE.FR | 27.04.05


Le Monde / International
Trois questions à... Mohammed Mahdi Al-Akef

1. Vous êtes le guide suprême des Frères musulmans. Quel est votre projet politique ?
Il englobe tous les champs de la vie, la politique, l'économie, la culture, l'éducation ou même le sport, et respecte la Constitution et les lois égyptiennes. Avec les autres formations de l'opposition, nous nous faisons l'écho des demandes du peuple égyptien: des élections libres et ouvertes pour la présidentielle et les législatives, la démocratie, le multipartisme, l'abrogation de l'état d'urgence, la libération de tous les prisonniers politiques et le respect des droits de l'homme.

2. Pour une fois, la politique des Frères musulmans est en phase avec celle des Etats-Unis...
Les rumeurs selon lesquelles j'aurais négocié avec les Américains ne sont que des mensonges. Quand des gens me disent que l'ambassadeur américain veut me rencontrer, je réponds qu'il est le bienvenu, à condition que le protocole soit respecté, c'est-à-dire que le ministre égyptien des affaires étrangères assiste à notre entretien. Nous refusons toute pression et ingérence étrangères. L'intervention des Etats-Unis en Afghanistan et en Irak, leur politique en Palestine servent leurs propres intérêts ou ceux d'Israël. Le peuple égyptien est parfaitement capable de changer lui-même son gouvernement.

3. L'établissement d'une République islamique est-il un objectif à long terme ? Quelle est la place des femmes et des Coptes dans vos projets ?
Je n'ai jamais fait de différence entre un musulman et un Copte. Nous sommes citoyens du même pays, avec les mêmes droits et devoirs. Aujourd'hui, les Coptes se battent avec nous pour obtenir des réformes. L'islam est de toutes les religions celle qui protège et respecte le mieux les femmes en tant que soeurs, mères et filles, les considère comme des personnes indépendantes, qui peuvent disposer de leurs biens de la même façon que les hommes. Il n'existe pas un seul pays appliquant convenablement les lois de la sunna et du Coran, seules sources que les Frères musulmans reconnaissent. Il ne faut donc pas juger l'islam politique à travers la situation actuelle des peuples musulmans qui vivent tous sous des dictatures encouragées par l'Occident. Notre islam est modéré et civilisé.

Propos recueillis par Cécile Hennion
Article paru dans l'édition du 27.04.05


Le Monde / International
Selon l'armée américaine, les soldats qui ont tué l'Italien Nicola Calipari "ont respecté les procédures"
Rome de notre correspondant

 Q ue s'est-il vraiment passé le 4 mars à 22 h 55, sur la route de l'aéroport de Bagdad ? Le gouvernement italien ne partage pas les conclusions de l'enquête de l'armée américaine sur la mort de Nicola Calipari, le responsable des services secrets italiens, tué par une patrouille à un point de contrôle peu après la libération de la journaliste Giuliana Sgrena, elle-même blessée dans la fusillade. Les douze militaires qui ont fait feu sur la voiture "ont respecté toutes les procédures pour des opérations de contrôle et, de ce fait, ne sont pas coupables de manquement au règlement". a estimé, lundi 25 avril à Washington, un responsable du Pentagone. Selon cette source, qui a conservé l'anonymat, "le remords est profond après ce qui est arrivé, tout le monde est désolé. Mais, étant donné le contexte et les problèmes de sécurité, les procédures ont été suivies à la lettre".

Les Américains seraient prêts à publier le rapport d'enquête mais, a précisé l'officiel du Pentagone, les deux spécialistes italiens qui ont participé en tant qu'observateurs à la commission d'enquête "ont d'autres questions à poser". Les divergences de vue portent notamment sur la vitesse du véhicule au moment où il a été pris pour cible, et sur le fait que les autorités américaines avaient été prévenues, ou pas, du transfert de la journaliste vers l'aéroport. Aussitôt après les faits, les militaires avaient affirmé que la Toyota banalisée s'était approchée à grande vitesse du barrage et n'avait répondu ni aux divers signaux ni aux tirs d'avertissement.

Cette version a été contredite par l'officier des services secrets italiens (Sismi) qui conduisait le véhicule. Selon lui, la voiture roulait à faible allure et il n'y a pas eu de sommations. Les premières déclarations de Giuliana Sgrena, atteinte à l'épaule et au poumon par les tirs, allaient dans le même sens.

Selon la presse italienne, mardi 26 avril, les témoignages de ces deux "survivants" n'auraient jamais été pris en compte par la commission conduite par le général Peter Vangjel. De même, les enquêteurs américains n'auraient pas retenu le fait que les autorités sur place pouvaient avoir été mises au courant des intentions de Nicola Calipari de rapatrier Giuliana Sgrena aussitôt après sa libération. Ce serait reconnaître des dysfonctionnements dans les chaînes de commandement de l'armée américaine en Irak, estiment les journaux italiens.

"C'est une conclusion que le gouvernement connaissait dès le début de l'enquête". titre La Repubblica, quotidien proche de l'opposition. "Au moins au début, les versions données à chaud par le commandement américain parlaient d'un accident. Aujourd'hui, on veut faire endosser toute la faute aux Italiens, c'est une gifle inacceptable pour le gouvernement italien". a commenté la journaliste Giuliana Sgrena à la télévision italienne.

La révélation du Pentagone sur les conclusions de l'enquête ne devrait pas faciliter les rapports entre Rome et Washington. L'opinion publique avait été bouleversée par la mort de Nicola Calipari, tué d'une balle dans la tête alors qu'il protégeait de son corps Giuliana Sgrena. Le pays lui avait fait des funérailles de héros national. Silvio Berlusconi avait ensuite annoncé un retrait progressif des troupes italiennes d'Irak, avant de se raviser sous la pression de la Maison Blanche.

Mais un certain malaise a persisté. Les Italiens se sont plaints à plusieurs reprises de leurs difficultés à participer pleinement à l'enquête, même si, le 13 avril, au cours d'une visite aux Etats-Unis, le chef de la diplomatie italienne, Gianfranco Fini, s'était déclaré "très heureux" de la coopération entre les deux pays.

Désormais, Rome entend mener sa propre enquête judiciaire. La justice attendait, mardi 26 avril, le rapatriement de la Toyota Corolla aux fins d'expertise. Mais les juges romains ne se font guère d'illusions. Ils n'ont pas encore obtenu les noms des soldats en faction au check-point, et ils s'attendent que les autorités militaires américaines opposent le "secret défense" à leurs demandes.

Jean-Jacques Bozonnet
Article paru dans l'édition du 27.04.05


Le Monde / International
Rome et Washington démentent la clôture de l'enquête sur la mort de Nicola Calipari

 L e chef du gouvernement italien, Silvio Berlusconi, a annoncé, mardi 26 avril, que l'enquête sur la mort de l'agent secret italien Nicola Calipari n'était pas close, au lendemain d'indiscrétions laissant entendre qu'aucun soldat américain ne serait poursuivi. "Je déplore que des indiscrétions malheureuses aient annoncé que l'enquête était close", a déclaré M. Berlusconi, devant la Chambre des députés. "Le gouvernement viendra devant le Parlement quand l'enquête sera définitivement close", a-t-il précisé. "Des contacts sont en cours en ce moment." "Nous devons la vérité à M. Calipari pour lui rendre justice", a conclu le chef du gouvernement, très applaudi après cette déclaration.

L'ambassadeur des Etats-Unis à Rome, Mel Sembler, a été convoqué mardi à la présidence du conseil des ministres italien et a eu un entretien avec un des plus proches collaborateurs de M. Berlusconi, Gianni Letta, responsable des services secrets italiens.

Lundi, un responsable militaire américain avait annoncé que les soldats avaient "respecté toutes les procédures pour des opérations de contrôle et, de ce fait, n'étaient pas coupables de manquement au règlement". Ces déclarations indiquaient qu'aucun militaire américain ne serait sanctionné pour la mort de Nicola Calipari, l'agent secret italien tué par des tirs américains le 4 mars alors qu'il raccompagnait la journaliste Giuliana Sgrena, à peine libérée de sa détention, vers l'aéroport de Bagdad.

CONVERGENCE

La mort de Nicola Calipari avait suscité une vive émotion en Italie et avait brièvement tendu les relations entre Rome et Washington, dont les versions des faits ont toujours divergé. Les autorités américaines avaient accepté que deux représentants italiens, un diplomate et un général des services secrets, participent à l'enquête.

Ces deux membres ont pour l'instant refusé de signer les premières conclusions de la commission, selon les médias italiens. Une information confirmée par le département d'Etat américain. "Mes dernières informations est qu'ils (les enquêteurs) ne sont pas parvenus à un accord final sur un rapport conjoint, qui sera publié ultérieurement", a déclaré le secrétaire à la défense, Donald Rumsfeld, au cours l'une conférence de presse au Pentagone. Le chef d'état-major interarmées, le général Richard Myers, a par ailleurs indiqué que les résultats de l'enquête devraient être publiées à Bagdad à une date qu'il n'a pas précisée.

Giuliana Sgrena, la journaliste du quotidien indépendant de gauche Il Manifesto détenue un mois en Irak, a qualifié de "gifle" pour le gouvernement italien les déclarations de la source militaire américaine. "L'Italie ne peut pas accepter cette version, et si c'est ainsi que les Etats-Unis traitent leurs alliés, la première conséquence devra être de retirer les troupes italiennes d'Irak", a-t-elle déclaré, mercredi, lors d'une conférence de presse à Rome. "Dans la meilleure des hypothèses, la commission (chargée de l'enquête) n'a servi à rien et, dans la pire, elle représente un net pas en arrière", a-t-elle aussi écrit dans un éditorial pour Il Manifesto. "La déception serait énorme si nos autorités subissaient l'affront sans réagir", a-t-elle ajouté. L'Italie participe depuis bientôt deux ans à la coalition internationale qui a lancé l'offensive pour faire tomber le régime irakien, avec un contingent d'environ 3 000 militaires à Nassiriya, dans le sud du pays.

Avec AFP et Reuters
LEMONDE.FR | 27.04.05


Le Monde / Opinions
Edito du Monde
Le modèle Airbus

 A vant même d'avoir décollé, l'A380 symbolise à la perfection ce qui manque trop souvent aux laboratoires européens. Un défi technique, des commandes et des crédits. Bref, un effet d'entraînement qui dope la recherche. Dans le cas du consortium aéronautique européen Airbus – qui réunit la Grande-Bretagne, l'Allemagne, l'Espagne et la France, ce sont 10,7 milliards d'euros qui ont été dépensés sur une période de dix années pour concevoir et construire un avion gros porteur capable d'emporter entre 550 et 800 passagers. Pas moins de 6 000 ingénieurs ont participé à cette aventure technique, scientifique et industrielle.

Cette mobilisation des intelligences a permis à des chercheurs, souvent incompris dans leur propre milieu, de devenir des pionniers. Et de renouer avec la tradition des grands programmes qui ont enthousiasmé des générations de scientifiques. Le nucléaire dans les années 1960, Ariane et le TGV dans les années 1980 ont servi de poumon à la recherche française et européenne comme la course à l'armement et la conquête spatiale ont joué ce rôle aux Etats-Unis.

A chaque fois, des gouvernements avaient osé lancer ces entreprises à hauts risques. La recherche avait suivi. Les objectifs, même les plus improbables, comme l'envoi d'un homme sur la Lune dès 1969, ont été atteints. Il est temps, aujourd'hui, de prolonger cette politique. Temps aussi de réunir les financements, publics et privés, à la hauteur de cette ambition. Les chantiers des grands projets que sont Airbus, Ariane, et peut-être demain Iter, ne suffisent pas à rivaliser symboliquement avec les programmes de la seconde moitié du XXe siècle: le nucléaire, l'espace ou le rail à grande vitesse.

Les chercheurs, dont le malaise est patent depuis de longues années, analyseront probablement comme un signe favorable le sommet franco-allemand qui devait se réunir, mardi 26 avril, à Paris. A cette occasion, quatre grands projets relevant du secteur biomédical et des technologies de l'information, portés par de grandes entreprises, seront présentés par Jean-Louis Beffa, président de Saint-Gobain, et Heinrich von Pierer, président du directoire de Siemens.

De tels programmes n'ont pas la prétention de stimuler directement la recherche fondamentale, mais essentiellement de participer à l'innovation et dans une moindre mesure à la création d'emplois. Dans le prolongement du rapport Beffa sur la politique industrielle française, remis au début de l'année, ils ont pour vocation de sauvegarder une industrie compétitive.

L'Europe est encore loin du compte comparée aux Etats-Unis ou au Japon. Il lui faut investir dans la recherche et le développement avec audace et s'incarner dans de telles ambitions communes. Sans des projets susceptibles de retenir les jeunes chercheurs, elle risque fort de se réduire à la sécheresse d'une structure bureaucratique pour laquelle la recherche reste inscrite dans la colonne des dépenses. Alors qu'elle pourrait lui donner des ailes.

Article paru dans l'édition du 27.04.05


Le Monde / Opinions
Chronique
Un bec qui refuse

 U ne jeune femme blonde entre en scène. C'est l'ouverture de Blackland, l'épouvantable et dévastatrice pièce d'Arpad Schilling. Robe noire, corps de fée, ses bras nus sont prolongés par une clarinette en si bémol. Elle s'assied. Elle écarte les jambes. Comme tous les clarinettistes du monde, elle suçote le bec pour en humecter l'anche. Elle y prend goût. Bientôt – comment dire ? – si l'on s'abrite derrière le lexique de Jean-Claude Carrière (Les Mots et la Chose, Pré-aux-Clercs), elle "tète" , elle "broute" , elle "ripoline le candélabre" , en roulant comiquement les yeux. Obscène, drôle, charmant, assez gênant pour l'instrument. On n'a jamais su si la clarinette était une Selmer.

La maison Selmer est le haut de gamme des saxophones, clarinettes, cuivres et becs. Elle fête ses 120 ans d'excellents et loyaux binious. Les Selmer sont les stradivarius des anches, la Bentley du poireau: 600 employés, le réseau de distribution couvre 60 pays. Depuis 1885, la maison Selmer est sur toutes les lèvres. Industrie de luxe qui tient de l'orfèvrerie, de la mécanique de haute précision et de la rigueur acoustique. Il règne un calme et un soin tatillon que l'on n'entend que chez les brodeuses, les prothésistes et les horlogers.

La maison mère est passée de la rue Myrha (Paris-18e), anciens établissements Adolphe Sax, au 28, rue de la Fontaine-au-Roi (Paris-11e). Laquelle est, au bas de Belleville, la rue de la dernière barricade de la Commune. C'est le cœur d'un des quartiers les plus violemment vidés par les rafles antijuives de l'Occupation.

S'installant en 1965 dans ce Paris populaire, juste au-dessus de l'avenue Parmentier, Selmer a fait un choix de musicien. On dit d'ailleurs de certains musiciens qu'ils jouent comme une patate. "S'occuper le matin de sciences exactes, dans la journée de philosophie, le soir de poésie et de musique". tel est le programme du chimiste chevronné Chevreul. Comme pas mal d'ingénieux inventeurs, il a sa rue dans l'arrondissement.

Un jour d'hiver, il y a une trentaine d'années, ciel gris perle comme ce matin, je monte chez Selmer pour la première fois. Je dépanne un interprète mondialement connu. Ses bras sont prolongés par des béquilles (une station de ski; l'invitation à jouer Mozart, Brahms et Berg; la jambe dans le plâtre). Rue de la Fontaine-au-Roi, je fais sherpa: plusieurs étuis et sacs et boîtes; la clarinette, il ne la quitte pas. Comme beaucoup de musiciens, il entretient un rapport religieux à l'instrument.

Chez Selmer, de la standardiste au chef d'atelier, étage par étage, je vois avec quelle ferveur le clarinettiste est accueilli. Clameurs de joie et d'admiration. Un roi dans sa cour. Même chaleur qu'au concert (classique ou pas), mais, ici, juste fondée sur la reconnaissance. Pour ses mises au point, ses essais, ses réglages, Selmer travaille avec les plus grands artistes.

Guidés par le chef d'atelier, l'artiste fêté dans tous les couloirs, le sherpa sherpant, on dépose les saxophones dans les services qui les concernent (il est multi-instrumentiste): "Monsieur Henri voudrait vous voir. Nous venons de le terminer. Il souhaite que vous l'essayiez.""Pas ce matin, gémit le souffrant, je ne suis pas en lèvres. Je n'ai pu travailler ces jours-ci. Plus tard..." Le chef d'atelier se permet d'insister: "Vous direz ce que vous en pensez, pas plus." De quoi parlent-ils ?

Dans un dédale de coursives, d'escaliers, de bastingages, nous entrons chez "Monsieur Henri" , complet croisé bleu nuit à fines rayures. Il tient un écrin à la main. C'est la copie, au micron près, du bec historique du clarinettiste: six mois de recherche, de nuits blanches, de microscope électronique, de fraisage, d'alaisage et de cotes relevées au laser. Tel, l'objet est un chef-d'œuvre. Pour peu que l'artiste donne son agrément, on le tire à 10 000. En attendant, la troupe déménage vers le salon d'essai. Insonorisé, le studio résonne d'un silence double. Avec son"ouverture" , sa "table" , son "plafond" , sa "chambre" , ses "joues" , sa "lumière" et son "sifflet" , le bec condense l'être du musicien. On ne change pas plus de bec qu'on ne l'échange. Dans une lumière tamisée, Monsieur Henri ouvre l'écrin: velours couleur évêque, la pièce d'ébonite (caoutchouc vulcanisé) repose là. Atmosphère de catacombes. Tandis qu'il ajuste le baril au corps du haut, celui au corps du bas et ce dernier au pavillon, l'artiste continue de protester de ses lèvres flapies.

Personne n'en a cure. On lui demande simplement de tester. Il ajuste une anche. Fait encore des manières. Se lance. Ce n'est rien: ni une oeuvre, ni un concert, ni rien d'écrit, c'est éblouissant. Musique pure. Ce sont des écarts, des tests: du plus grave au plus aigu, une piste qu'on dévale en ski bémol, des fortissimo brisés par un souffle, un simple essai, la vie dans une tombe. Soudain, en plein élan, le musicien débranche le bec de sa bouche.

"Alors ?". glisse Monsieur Henri, légèrement bleu pâle... – "Alors ? Il refuse.""Il refuse ?" Démontant le jouet: "Oui, c'est un bec qui refuse." Et là, sans pitié pour Monsieur Henri: "Peut-être pour un autre, je n'en sais rien, ça colle, mais pour moi il refuse."

On vit alors, dans la lueur du caveau, le regard résigné de Monsieur Henri qui caressait le bec: "Bien, soupira-t-il un peu las, on va le scier en deux, pour voir ce qui ne colle pas."

Francis Marmande
Article paru dans l'édition du 28.04.05


Le Monde / Opinions
L'empreinte biologique, nouveau titre d'identité

 E n approuvant le projet d'Identité nationale électronique sécurisée (INES), Jean-Pierre Raffarin a sans doute pris, le 11 avril, l'une des décisions les plus importantes de son mandat. Préparée de longue date par les experts du ministère de l'intérieur, cette réforme entraînera à terme de profonds bouleversements dans les rapports qu'entretiennent l'Etat et les citoyens. Recours à la biologie des individus pour établir l'identité; création de fichiers nationaux de données biométriques; utilisation de ces fichiers à des fins d'enquête de police; création d'une carte d'identité électronique lisible à distance... L'énoncé des éléments-clés du projet de loi à venir suffit à illustrer l'importance des enjeux de la réforme.

Le dispositif INES repose pour une large part sur des technologies de reconnaissance biométrique. Dans la puce de la future carte d'identité – dont le déploiement devrait commencer en 2007 pour être généralisé en 2008 – seront stockées, outre l'état civil du porteur, deux empreintes digitales et une image faciale numérisée. Elément cardinal de la réforme, ces informations biométriques ne seront pas enregistrées uniquement sur les cartes elles-mêmes. Elles seront centralisées.

INES prévoit en effet la création de deux vastes fichiers nationaux. Le premier regroupera les empreintes digitales de tous les ressortissants français. Le second, leur image faciale numérisée. Ces bases de données seront sollicitées dans des conditions strictement encadrées par la loi. Cependant, la captation et l'exploitation systématique de données biologiques ne sont pas des opérations anodines. Prouver son identité ne passera plus par la présentation de documents, par l'exposé de faits ou d'événements constitutifs d'une existence. L'identité sera biologique, indissolublement liée à la matérialité du corps.

De plus, les fichiers centraux de données biométriques seront "automatisés". Cette caractéristique transforme potentiellement des fichiers voués à établir et gérer l'état civil en fichiers de police. Selon les épures du projet INES, les officiers de police judiciaire seront en effet habilités à confronter des empreintes digitales ou des photographies avec les fichiers INES. C'est-à-dire à remonter de données biométriques anonymes vers l'identité de leur propriétaire.

Ce dispositif donnera aux services de police des capacités d'élucidation largement renforcées. Mais la "fusion" des objectifs de gestion de l'état civil avec des objectifs policiers et judiciaires pose question.

Cette centralisation de données biométriques à une échelle nationale fonde un nouveau contrat – particulièrement léonin – entre l'Etat et le citoyen. Certains y verront l'avatar technologique du "biopouvoir" théorisé par Foucault. "Ce qui est en jeu ici n'est rien de moins que la nouvelle relation biopolitique undefinedundefinednormale'' entre les citoyens et l'Etat, écrivait dans Le Monde du 12 janvier 2004 le philosophe italien Giorgio Agamben. Cette relation n'a plus rien à voir avec la participation libre et active à la sphère publique, mais concerne l'inscription et le fichage de l'élément le plus privé et le plus incommunicable de la subjectivité: je veux parler de la vie biologique des corps."

En cette matière, la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) a toujours manifesté de grandes réticences. Le groupe"article 29" – qui fédère les autorités européennes de protection des données – a récemment fait part de sa plus vive opposition à la centralisation de données biométriques, dans le cadre de la mise en oeuvre du nouveau passeport biométrique européen (intégré au dispositif INES). En France, l'avis que devra rendre la CNIL sur INES est très attendu.

Mais outre la question de la centralisation de données biométriques, se pose celle de la lecture des informations destinées à être stockées sur la future carte d'identité. La puce incrustée sur le nouveau titre sera lisible à distance par les forces de l'ordre et les administrations autorisées. Le ministère de l'intérieur insiste sur son caractère hautement sécurisé seules les autorités habilitées y auront accès. Surtout, précise-t-on place Beauvau, le contrôle d'identité à l'insu de l'intéressé, s'il devient techniquement possible, demeure illégal.

Certes. Mais le rempart de la loi est ténu. Et ce que la technique rend possible a toutes les chances d'être mis en oeuvre à plus ou moins court terme. Pour autant, la société française semble de plus en plus prête à accepter ce qu'elle aurait dénoncé comme d'insupportables dérives voilà encore quelques années. En mars 1974, par exemple, le projet Safari (Système automatisé pour les fichiers administratifs et le répertoire des individus) avait suscité un vaste mouvement d'opinion dont l'aboutissement fut, quatre ans plus tard, l'adoption de la loi sur l'informatique et les libertés, ainsi que la création de la CNIL.

Trente ans plus tard, force est de constater un profond changement des mentalités. Ainsi, les premières informations de presse en décembre 2003 rapportant les discussions entre la CNIL et le ministère de l'intérieur sur la création d'un fichier central de données biométriques n'ont pas suscité de réactions.

Cette atonie n'est pas générale en Europe, où des dispositifs semblables voient le jour ou sont en cours de finalisation. Au Royaume-Uni, par exemple, le débat fait rage. Le travail législatif en vue d'instituer une carte d'identité électronique et biométrique y est pourtant particulièrement avancé. Mais le projet est, pour l'heure, suspendu en raison des fortes réticences qu'il suscite.

Stéphane Foucart
Article paru dans l'édition du 28.04.05


Le Monde / Opinions
Retour de Chine, par Jean-Pierre Raffarin

 L a renaissance de la Chine, dont témoigne Shanghaï, fascine et inquiète l'Europe. Dotée d'une main-d'oeuvre peu qualifiée abondante et motivée, mais aussi de cadres de haut niveau, la Chine redevient ce pôle de savoir, de puissance et de prospérité qu'elle était avant 1800.

Un jeune ingénieur français poursuivant ses études en Chine me disait: "Mon problème, ce n'est pas le chinois, c'est les mathématiques." Cette anecdote illustre le niveau du système de formation en Chine, que l'on aurait bien tort de sous-estimer.

L'Europe et la France doivent s'adapter à cette nouvelle donne en développant avec la Chine des relations équilibrées, de puissance à puissance. Nous devons davantage tirer profit des opportunités qu'offrent les nouveaux pôles de croissance mondiale. C'était le sens de mon déplacement en Chine et du soutien apporté par le gouvernement aux efforts de nos entreprises, PME ou"champions nationaux" .

Comme j'ai pu le constater lors de mes entretiens, la Chine s'intéresse à la France, à son modèle d'"Etat stratège" qui a su faire des choix industriels de long terme, comme le TGV, le nucléaire, l'aéronautique, le spatial et la pharmacie. Faut-il être chinois pour reconnaître aux Français une capacité de créativité et de vision à long terme ? La Chine est en tout cas intéressée à la mise en place d'un partenariat équilibré avec l'Europe et la France.

Ce souci de rééquilibrage des échanges nous guide dans la gestion du dossier textile. Les Chinois nous rappellent malicieusement que, s'ils ont des exportations, c'est que nous avons des importateurs. Et, quand on leur dit que la croissance de leurs exportations est trop brutale car elle détruit nos emplois, ils se déclarent responsables et annoncent de nouvelles taxes sur leurs exportations.

Il est évident que, si ces mesures sont ou trop lentes ou insuffisantes, les règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) s'appliqueront jusqu'à la nécessaire sauvegarde de notre industrie. Nous serons fermes mais respectueux des règles. Regardons la réalité en face: plus l'Europe sera forte, plus elle aura un dialogue crédible avec la Chine. Les rapports de forces exigent des forces; la faiblesse ne conduit pas à de bons accords.

En 2005, la mondialisation prend une dimension accélérée. A l'émergence rapide de la Chine et de l'Inde viennent en effet s'ajouter un choc pétrolier ainsi que des déficits budgétaire et extérieur américains considérables, qui fragilisent le dollar. La croissance européenne est soumise à ces chocs à la fois forts et simultanés.

La mondialisation nous montre ainsi son vrai visage: de nouvelles potentialités de croissance durable, mais aussi, par moments – et c'est actuellement le cas –, des tensions sur le pétrole, les matières premières et les changes qui retardent en Europe la baisse du chômage.

Tous les continents sont affectés par cette mondialisation. La Chine elle-même est partagée entre régions développées de la côte, zones rurales de l'intérieur et régions industrielles du Nord-Est, en phase de reconversion, où je me suis rendu lors de ma récente visite. Ce déséquilibre est criant en Inde, entre Bombay et Bangalore. L'extrême pauvreté côtoie aujourd'hui l'ultra-développement. La construction européenne et le volontarisme national sont nos réponses à cette nouvelle donne.

Dans ce nouvel environnement, l'Europe et la France doivent conforter leur stratégie de protection et de conquête. Construire une Europe forte est le préalable. Tout retard se paiera comptant.

Grâce à l'euro, nous sommes protégés, pour les deux tiers de nos échanges, des turbulences monétaires et financières. Grâce à l'élargissement, l'Europe a atteint la"masse critique" qui lui manquait. Mais il n'y a pas de protection durable pour nous sans Europe politique. Cette Europe politique, telle que la construit le nouveau traité constitutionnel, nous donnera un gouvernement de l'Europe plus efficace, plus légitime, capable de tenir son rang et de dialoguer d'égal à égal avec les autres puissances.

L'Europe politique nous protégera, mais cette protection ne se justifie qu'à condition de nous permettre d'organiser une stratégie de reconquête industrielle. Face à la mondialisation, le repli sur soi et le protectionnisme conduiraient à une inéluctable marginalisation.

C'est de stratégie de reconquête que je veux parler ici. Cette stratégie transcende les débats sclérosants et typiquement français entre une voie prétendument sociale et une voie prétendument libérale. Il y a longtemps que nos voisins européens, qu'ils soient scandinaves, néerlandais ou britanniques, ne se posent plus ce genre de questions !

Après le temps des réformes destinées à revaloriser le travail, à doper la création d'entreprises et à redonner à notre protection sociale des bases mieux assurées, voici venu le temps des projets. 2005 sera une année charnière où nous allons commencer à récolter ce que nous avons semé.

Conformément aux orientations fixées par le président de la République, le gouvernement met aujourd'hui en place trois agences ayant vocation à regrouper et structurer nos efforts de recherche et d'innovation: l'Agence de l'innovation industrielle, pour les grands programmes;"Oseo" , pour le développement de nos jeunes entreprises; l'Agence nationale de la recherche, enfin, pour les appels à projets thématiques vers les laboratoires publics et les entreprises. L'une des traductions concrètes de cette stratégie de projets réside en la constitution de pôles de compétitivité regroupant entreprises, laboratoires et universités. La construction de synergies locales est le meilleur rempart contre les tentations de délocalisation. Dans cette mobilisation, la recherche fondamentale, amont de toute cette démarche, ne sera pas oubliée.

La France joue aujourd'hui, avec l'Allemagne, un rôle actif pour que l'Europe équilibre sa politique de la concurrence par une politique industrielle plus volontariste: l'Europe économique doit"marcher sur ses deux jambes" .

La France œuvre pour une Europe qui soutient et pilote des grands programmes, comme hier Ariane ou Airbus, demain ITER et Galiléo. C'est avec ces programmes que nous pourrons projeter nos forces dans le monde. Ces efforts sont nécessaires pour nos emplois.

La mondialisation appelle la mise en place d'une nouvelle stratégie industrielle. Contrairement à une opinion répandue, elle nous laisse aussi de l'espace pour développer de nouveaux marchés domestiques. Ces nouveaux marchés, notamment ceux des services de proximité, recèlent un potentiel élevé d'emplois qualifiés et peu délocalisables. Le gouvernement a préparé un projet de loi en ce sens pour lever, dès le second semestre 2005, les freins qui brident l'expansion de ces nouveaux emplois.

La mondialisation ne nous contraint pas davantage à revoir à la baisse nos ambitions sociales. Plusieurs pays européens nous montrent qu'il est possible de concilier ouverture au monde et protection sociale élevée, à condition de rendre notre modèle économique moins rigide et nos politiques sociales plus actives. Le gouvernement s'y emploie, comme le montrent notamment les initiatives du contrat"France 2005":
-– la valorisation du travail et du temps choisi, car il n'y a pas de social durable sans augmentation totale des heures travaillées, via d'abord la baisse du chômage, ainsi que le prévoient de nombreux experts, d'ici la fin de cette année;
- – la participation et l'actionnariat des salariés, afin que les profits retirés de la mondialisation par les entreprises soient recyclés dans l'économie nationale;
- – la construction, avec le plan de cohésion sociale qui entre pleinement en application, de parcours personnalisés de formation et de reclassement pour accompagner les salariés victimes de restructurations vers de nouveaux emplois.

L'Europe politique, le volontarisme industriel et l'adaptation de notre modèle social constituent les axes de réponse que le gouvernement apporte aujourd'hui à la mondialisation. Face aux Etats-Unis, à la Chine, et bientôt à l'Inde, notre chance sera la force de l'Europe pour éviter la guerre des emplois.


Jean-Pierre Raffarin est premier ministre.

Jean-Pierre Raffarin
Article paru dans l'édition du 28.04.05


Le Monde / Opinions
Les gènes de la gauche française, par Gilles Martinet

 C élébrer le centenaire de la création du Parti socialiste permet de retracer une histoire. Mais elle devrait être aussi l'occasion de mesurer l'influence qu'elle a sur les hommes d'aujourd'hui. Comme tout être vivant, la gauche française a un code génétique. Sa naissance remonte à 1789. Mais, depuis, au fil des générations, de nombreux métissages sont intervenus. Pendant longtemps, les enfants du père Marx – authentiques ou bâtards – ont occupé le devant de la scène. Mais les gènes de Proudhon n'avaient pas pour autant disparu. On les voit resurgir dès qu'il est question d'opposer au"parlementarisme" la démocratie directe, aux "professionnels de la politique" le combat social et le mouvement associatif. On peut, à partir de là évoquer l'existence de plusieurs gauches.

Il y a une gauche qui entretient une culture d'opposition et se contente de sa fonction "tribunicienne" , et une autre gauche, qui privilégie la lutte pour le pouvoir et la culture de gouvernement. Une gauche distributrice et une gauche plus rigoureuse sur le plan économique. Une gauche pour laquelle la propriété sociale sera toujours moralement supérieure à la propriété privée, et une gauche qui s'accommode assez facilement de l'économie de marché.

Entre ces différentes gauches, il n'existe pas de fossés infranchissables, car chacun est partagé entre des sentiments contradictoires. On peut, selon les événements, passer de l'une à l'autre. On le voit à l'occasion du débat sur la Constitution européenne. Certains défendent des positions en pleine contradiction avec celles qu'ils avançaient auparavant. Depuis le tournant des années 1980 règne une certaine confusion. D'une part, la gauche a perdu l'espoir d'une révolution, c'est-à-dire d'une rupture avec le capitalisme fondée sur les nationalisations et la planification (pour ne pas parler de l'autogestion), ce qui supposait, sans qu'on voulut l'admettre, un certain protectionnisme national, incompatible avec la construction européenne. D'autre part, personne ne peut plus nier que, dans tous les pays où le capitalisme a été renversé (toujours par l'affrontement armé), le"socialisme réel" ne s'est maintenu que par l'instauration d'un Etat totalitaire. Il n'y a malheureusement pas eu d'exception à cette règle.

Or le rêve du socialisme français, depuis Jaurès, était d'associer la révolution à l'épanouissement de la démocratie. Il lui faut maintenant assumer sa vérité réformiste, c'est-à-dire s'apprêter à gérer dans le cadre du capitalisme en combattant ses dérives libérales et en cherchant à lui imposer de nouveaux objectifs sociaux et environnementaux. Cette stratégie apparaît d'autant plus inévitable que l'économie de marché se développe aujourd'hui en Russie comme en Chine. Le grand rêve né de la révolution d'Octobre n'a pas seulement été souillé par la mort des libertés et le goulag, il a échoué finalement sur le plan économique.

Depuis sa défaite de 2002, le Parti socialiste français s'est refait une santé en soutenant toutes les revendications et en approuvant tous les mécontentements. Il lui faut maintenant démontrer qu'il existe un projet alternatif. Pour l'instant, nous n'en sommes qu'au diagnostic. Le projet doit tenir compte de la mondialisation, et donc de l'avenir de l'Europe. Il doit être conçu en accord avec les autres social-démocraties européennes.

Mais voilà où se situe la difficulté. Dans la gauche française, il existe des gènes réformistes, révolutionnaires et libertaires. Il n'existe pas un gène social-démocrate. La charte d'Amiens adoptée jadis par les syndicats en a interdit la naissance.


Gilles Martinet est ambassadeur de France et ancien secrétaire national du PS.

par Gilles Martinet
Article paru dans l'édition du 28.04.05


– Les longues –
                 
                 

    En extra: Les éditos du Monde    

[*] «Longues propagandistes» parce qu'il existe aussi, dans cette rubrique, des «brèves propagandistes» reprenant surtout des dépêches de l'AFP. Ici, on trouvera pour l'essentiel des articles parus dans Le Monde, qui par le fait, sont beaucoup plus longs…