Longues propagandistes, série 5

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– Les longues –
                 
                 

    En extra: Les éditos du Monde    


Le Monde / Sciences
Sur la piste d'une hypothétique langue mère

 F adaises, absurdités, non-sens. Dans la communauté des linguistes, les travaux sur l'origine du langage et des langues ont, longtemps, été frappés du sceau de l'hérésie. Il suffit, pour s'en convaincre, de consulter les statuts de la Société linguistique de Paris (SLP), fondée en 1866: l'article 2 de son règlement dispose sans ambages qu'"aucune communication concernant soit l'origine du langage, soit la création d'une langue universelle" n'est admise.

Depuis, une part de ces tabous sont tombés. Même si d'importantes controverses subsistent. "Il y a deux aspects distincts dans ces discussions, dit Christophe Coupé, chercheur au laboratoire de dynamique du langage (CNRS et université Lyon-II). D'une part, la question de l'émergence de la fonction du langage qui pourrait remonter à plusieurs centaines de milliers d'années, voire à un à deux millions d'années. Et, d'autre part, la question d'une hypothétique langue mère, qui aurait été parlée par nos ancêtres, les premiers Homo sapiens, voilà environ 100 000 ans, en Afrique de l'Est, et dont dériveraient toutes les langues actuelles."

Ces deux questions n'auront, sans doute, jamais de réponses autres que spéculatives. Bon nombre de paléoanthropologues, de linguistes ou de préhistoriens ont cependant acquis la certitude que les premiers sapiens disposaient d'un langage évolué. Que l'émergence d'une langue structurée autour d'un lexique et d'une grammaire est, en somme, consubstantielle à l'apparition de l'homme moderne. "C'est ce qui donne tout son sens à l'hypothèse de la langue mère, dit Bernard Victorri, directeur de recherche (CNRS) au laboratoire langues, textes, traitements informatiques, cognition (Lattice). Si nous descendons de quelques milliers d'Homo sapiens partis d'Afrique et si ce groupe utilisait une seule et même langue, il est naturel de penser que toutes celles que nous parlons aujourd'hui dérivent, d'une manière ou d'une autre, de cette langue primitive."

Si, au contraire, on postule qu'une proto-langue n'est apparue chez sapiens qu'au cours de sa dispersion sur la planète, alors "tout devient plus compliqué". explique M. Victorri. "Dans ce cas, il est très difficile d'expliquer pourquoi toutes les langues partagent autant de caractéristiques, poursuit-il. Tous les lexiques du monde ont, par exemple, des propriétés de polysémie – - le même mot peut avoir plusieurs sens sans aucun rapport – - et de synonymie – - un même objet peut être décrit par plusieurs mots distincts." Des propriétés qui semblent banales au profane mais dont l'indéfectible présence dans toutes les langues humaines trahit, peut-être, leur lointaine parenté.

D'autres indices suggèrent que sapiens disposait d'une langue complexe avant de quitter son berceau est-africain. La colonisation de l'Australie, par exemple. Celle-ci, rappelle M. Coupé, s'est faite "il y a environ 60 000 ans alors qu'aucun bras de terre ne reliait le bloc australien au continent". "Les longues traversées maritimes nécessaires à sa conquête, poursuit M. Coupé, nous renseignent sur les capacités cognitives et sur la complexité des systèmes de communication des premiers sapiens pour, par exemple, construire des embarcations, etc."

Mais, à ce jeu, Homo sapiens n'a pas eu, tant s'en faut, l'exclusivité d'un système de communication sophistiqué. Car, comme le rappelle M. Coupé, "d'autres colonisations par voie maritime, plus anciennes, ne sont pas le fait de notre espèce". Les côtes de la Corse et de la Sardaigne ont, par exemple, été abordées voilà 300 000 ans par des esquifs sans doute très rudimentaires, construits et manoeuvrés par des spécimens d'Homo neanderthalensis. Voilà qui pose la question, dit M. Coupé, du niveau de complexité linguistique atteint par ces hominidés qui devaient disposer, au moins, d'un lexique élaboré.

Cette possibilité amène d'autres questions sur les origines des langues actuelles. Après sa sortie d'Afrique, Homo sapiens s'est frotté, parfois de près, aux Néandertaliens en Europe, mais aussi à des erectus archaïques en Asie. Y a-t-il eu échanges linguistiques ? La langue des sapiens s'est-elle, par endroits, mâtinée de parlers plus anciens encore, inventés par d'autres espèces que la nôtre ? Cette hypothèse ne peut être exclue, même si l'apport de preuves demeure illusoire.

Connaître le contenu de cette toujours hypothétique proto-langue est-il possible ? Depuis la fin du XIXe siècle, la linguistique s'échine à classer les langues en familles – chamito-sémitiques, indo-européennes, etc. – et à reconstruire leurs idiomes d'origine. A partir de l'indo-européen (sanskrit, latin, grec, etc.), les linguistes ont ainsi retrouvé le lexique du proto-indo-européen. Perdu depuis des milliers d'années, il a été ressuscité à force de déductions et de comparaisons. Un peu comme si, ignorant tout du latin, on le redécouvrait grâce au français, à l'italien et à l'espagnol...

Pourquoi, dès lors, ne pas réitérer ces recoupements pour tenter de parvenir, par comparaisons successives, à la fameuse langue mère ? Impossible, répondent la grande majorité des linguistes. "Les méthodes de la linguistique historique ne permettent pas de remonter au-delà de 7 000 ou 8 000 ans", explique M. Victorri.

Passant outre ce principe, le grand linguiste américain Joseph Greenberg, mort en 2001, avait pourtant proposé une nouvelle classification des langues du monde en une dizaine de "super-familles", dont les divergences remonteraient à plus de 12 000 ans... Son disciple Merritt Ruhlen, chercheur à l'université Stanford, est allé plus loin en proposant, dans un ouvrage paru en 1994 (L'Origine des langues, éd. Belin, coll. "Débats"), la reconstruction d'une trentaine de racines du lexique de l'hypothétique langue mère. Ses travaux sont cependant très controversés, et beaucoup de ses pairs lui reprochent une démarche qui manque cruellement de rigueur...

Le rêve de reconstituer, un jour, les premiers mots d'Homo sapiens est-il vain ? La génétique des populations apportera peut-être des éléments de réponse. L'étude des génomes permet en effet de dater les séparations des populations. En recherchant, en Afrique australe, à identifier des populations isolées depuis 50 000 à 70 000 ans, Joanna Mountain et Alec Knight, du laboratoire de génétique des populations de l'université Stanford, sont parvenus à la conclusion que sapiens pourrait bien avoir utilisé, en tout premier, une de ces langues "à clic" popularisées par un film des années 1980, Les Dieux sont tombés sur la tête...

Stéphane Foucart
Article paru dans l'édition du 17.08.05


Le Monde / Sciences
Les racines de la langue présumée de nos lointains ancêtres
Les premiers mots d'"Homo sapiens"

 Q uels étaient les premiers mots d'Homo sapiens ? Dans son ouvrage L'Origine des langues (éd. Belin, collection "Débats"), paru en 1994, le linguiste américain Merritt Ruhlen prétend avoir identifié, en collaboration avec John Bengston, une trentaine de racines appartenant à la langue présumée des ancêtres de l'humanité actuelle, partis à la conquête du monde depuis l'Afrique de l'Est, voilà plus de 50 000 ans. En observant, dans de très nombreuses langues, la redondance de suites de sons associées à certaines notions fondamentales, le linguiste américain, professeur à l'université Stanford, conclut qu'au sortir de son berceau africain sapiens disait, par exemple, aq'wa pour désigner l'eau. Dans cette hypothétique langue mère, tik signifierait "un" ou "doigt", mano voudrait dire "homme" et "tenir à la main" se dirait kama...

Les conclusions de M. Ruhlen – scientifique de renom, disciple du grand linguiste Joseph Greenberg – ont subi un feu nourri de critiques, la majorité de ses pairs jugeant sa démarche biaisée. Pourquoi ? Reconstituer le lexique d'une langue disparue corps et biens voilà plusieurs milliers d'années est possible si l'on dispose de sa descendance directe et si l'on ne remonte pas au-delà d'environ 7 000 ans. Or M. Ruhlen s'attaque au lexique d'un idiome vieux de plus de 50 000 ans !

Pierre Bancel et Alain Matthey de l'Etang poursuivent pourtant des objectifs semblables. Ces deux chercheurs français, financés par une institution américaine, le Santa Fe Institute, ont cependant restreint le champ de leurs investigations aux termes décrivant les systèmes de parenté. Ceux-ci, explique M. Matthey de l'Etang, "ont un intérêt linguistique particulier du fait qu'ils sont à la fois fondamentaux et d'une grande importance dans toutes les cultures". Deux termes se retrouvent notoirement dans une proportion importante des 6 000 langues actuelles. La mère est désignée par les mots de la forme mama ou nana – notés (m) ama et (n) ana. Les formes papa ou baba – notés (p) apa –, désignent, elles, le père ou un aïeul de la branche paternelle.

SIMPLES À PRONONCER

Comment expliquer que ces deux racines se retrouvent aussi régulièrement dans des idiomes réputés n'avoir aucun rapport ? L'explication généralement avancée tient à ce qu'ils sont les plus simples à prononcer pour le bébé humain. En somme, le murmure de contentement du nourrisson lors de la tétée, combiné à la voyelle ouverte la plus aisée à articuler, le "a", donnerait les mots de la forme (m) ama. La mère et la nourriture y seraient naturellement associées. Cette explication, purement physiologique, n'exclut pas que les premiers sapiens aient utilisé cette racine, bien au contraire. Mais elle implique que ce mot soit, en quelque sorte, "réinventé" à chaque génération. On ne pourrait donc pas y voir, stricto sensu, un vestige de la langue mère.

Pour Pierre Bancel – qui a traduit en français l'ouvrage-phare de Merritt Ruhlen –, l'explication physiologique est insuffisante. "La facilité avec laquelle les nourrissons prononcent ces termes est indéniable, dit-il. Mais, à mon sens, cela explique leur grande stabilité au cours du temps, pas leur apparition." Pour étayer cette thèse, MM. Bancel et Matthey de l'Etang ont recherché d'autres racines primordiales décrivant des liens de proche parenté et aussi fréquentes que (p) apa et (m) ama. S'appuyant sur les travaux de M. Ruhlen, ils estiment qu'une autre racine de ce type existe: (k) aka, signifiant "aîné mâle du côté maternel" ou "oncle maternel". Cette racine serait à l'origine du latin avunculus – dont le sens est "oncle maternel" –, lui-même à l'origine du français "oncle".

Les deux chercheurs ont dressé les nomenclatures de systèmes de parenté dans plus de 500 langues, réparties sur les cinq continents et dans les principales familles linguistiques. Parmi elles, plus de 300 présentent un ou plusieurs mots de la forme (k) aka. La distribution sémantique de ces termes a mis en évidence une forte prééminence de la signification "frère de la mère": environ 30% des langues étudiées comprennent un mot de la forme (k) aka porteur de ce sens. "On retrouve cette proportion de 30% – ce qui, en linguistique, est très important – dans les langues aborigènes d'Australie, ajoute M. Matthey de l'Etang. Or cela est très signifiant puisque cette famille de langues remonte à environ 50 000 à 60 000 ans." En outre, une claire distinction sémantique a été mise en évidence avec (p) apa, (k) aka ne désignant presque jamais le père et très rarement le frère du père. A l'inverse, (p) apa ne signifie jamais "frère de la mère".

Si elle était confirmée, l'existence de cette racine "serait très intéressante". confie Bernard Victorri, directeur de recherche au CNRS, qui n'accorde pourtant guère de crédit aux travaux de M. Ruhlen. "On pourrait alors, effectivement, être en présence d'un terme provenant de la langue mère", estime-t-il. L'existence d'un terme supplémentaire décrivant une proche parenté ne pourrait être expliquée par la seule théorie physiologiste. La preuve serait ainsi apportée de l'existence de vestiges laissés par les premiers mots de sapiens dans les langues actuelles.

S. Fo.
Article paru dans l'édition du 17.08.05


Le Monde / Sciences
Les mutations d'un seul gène, FOXP2, semblent avoir été déterminantes
Pourquoi l'homme parle et pas le singe ?

 T andis que les linguistes s'échinent à remonter aux sources d'une "langue mère", les généticiens suivent, eux, la piste des origines moléculaires du langage. Comme souvent dans cette discipline, ils se servent du pathologique pour éclairer le normal. Ainsi, depuis quinze ans, ils étudient une famille anglaise, connue sous le nom de code KE, dont la moitié des membres souffre de sévères difficultés d'élocution liées à des problèmes d'articulation et à des défaillances linguistiques.

Sur trois générations, la famille KE offre un terrain d'expérimentation inespéré pour les biologistes, qui ont soupçonné d'emblée qu'un gène, et un seul, était responsable de leur handicap. En 1998, une première étude génétique a permis d'identifier une altération située sur le chromosome 7. La même année, des observations en imagerie cérébrale mirent en évidence les structures affectées par cette mutation. En 2001, des travaux publiés dans la revue Nature identifiaient un gène particulier, FOXP2, dont une mutation ponctuelle était responsable des carences observées dans la famille KE.

S'agissait-il du "gène du langage" tant recherché, comme la presse fut tentée de le dénommer ? Pour les spécialistes, le problème ne se pose pas en ces termes. FOXP2 appartient, en effet, à une famille de gènes, les facteurs de transcription, qui permettent à des cascades entières de gènes de s'exprimer. Définir les modifications génétiques à plus grande échelle qu'induit l'altération d'un gène régulateur unique est un casse-tête encore loin d'être résolu.

FOXP2 n'en représente pas moins un formidable banc d'essai entre les espèces. En 2002, une équipe a ainsi comparé les versions normales du gène chez divers mammifères. Chez l'homme, la protéine dont la production est régie par FOXP2 est faite de 715 acides aminés. La version humaine de cette molécule diffère de deux acides aminés seulement de celles du gorille, du chimpanzé et du singe rhésus, identiques entre elles. Chez la souris, elle compte une altération supplémentaire.

Au fil de l'évolution, le taux de mutation de FOXP2 a donc eu tendance à s'accélérer: l'ancêtre commun des primates et de la souris vivait il y a 75 millions d'années environ. Cela signifie qu'en 150 millions d'années d'évolution séparée une seule mutation est intervenue, alors que deux nouvelles mutations sont survenues depuis 7 millions d'années, après qu'ancêtres des chimpanzés et des humains se sont engagés sur des rameaux séparés.

Quand sont intervenues les mutations humaines de FOXP2 qui ont pu facilitmr l'émergence du langage ? Les généticiens donnent une fourchette autour de 120 000 ans. Ce qui peut "coller" avec une date-clé de l'évolution humaine décrite grâce aux fossiles, celle du départ d'Homo sapiens sapiens d'Afrique à la conquête du monde.

Cette explication quasi miraculeuse de l'émergence de "mutants" humains parlants est probablement trop simpliste. Elle doit faire la place à d'autres critères, anatomiques, comme l'abaissement du larynx (observé chez d'autres mammifères) ou la fermeture de la cavité nasale, considérés comme favorables à l'émergence du langage articulé et qui seraient plus anciens. Les nouvelles variantes de FOXP2 ont-elles permis de faire exploser les potentialités linguistiques offertes par ces innovations anatomiques ?

Il faudrait, pour répondre, déterminer le spectre des modifications physiologiques induites par les modifications de FOXP2. Si les "mutants" de la famille KE montrent une grande immobilité musculaire de la bouche et de la face, on ne peut encore dire s'il s'agit d'une cause ou d'une conséquence de leurs difficultés d'élocution. Leur exemple n'est pas pertinent sur le plan de l'évolution, car la mutation dont ils souffrent ne correspond pas à un retour aux formes antérieures de FOXP2 portées par nos ancêtres.

Les études animales se sont parallèlement multipliées. Il a ainsi été montré que FOXP2 s'exprimait à un plus haut niveau dans le cerveau d'un petit passereau, le diamant mandarin, lors de sa période d'apprentissage du chant. Chez le canari, l'expression du gène suit un rythme saisonnier, synchrone avec l'évolution du chant du volatile.

Mais c'est la souris, plus proche de l'homme, qui offre le terrain d'expérimentation le plus excitant pour les généticiens – en attendant de passer au singe. Une équipe américaine vient de montrer que la mise hors circuit des deux copies de ce gène conduit à la mort prématurée des souriceaux, qui souffrent de graves retards moteurs. Ceux qui ne portent qu'une seule copie fonctionnelle de FOXP2 subissent un léger retard de développement. Leurs capacités d'apprentissage et de mémorisation semblent normales. Surtout, les petits rongeurs mutants sont incapables d'émettre des ultrasons lorsqu'ils sont séparés de leur mère, un réflexe observé chez les souris "sauvages". Cela plaide, là encore, pour l'implication de FOXP2 dans les phénomènes de vocalisation et de communication sociale.

Hervé Morin
Article paru dans l'édition du 17.08.05


Le Monde / Sciences
Le mystère de l'écriture du disque de Phaistos

 "E n 1978, alors que nous fouillions à Nérokourou, à deux pas de la baie de Souda -en Crète-. un jeune homme passablement excité vint nous trouver. Il avait fait une retraite spirituelle dans les Montagnes blanches en compagnie des chèvres, des brebis et de l'édition photographique du disque de Phaistos (...). La vérité n'avait pas tardé à lui être révélée et, bien entendu, il avait déchiffré le disque (...). C'est le message de ce dernier qui le plongeait dans un tel abîme d'anxiété: n'y lisait-il pas un avertissement venu d'En-haut, annonçant l'imminence de la fin du monde ?"

Des dizaines d'interprétations

Depuis la découverte du disque de Phaistos, plusieurs dizaines de propositions de traduction, des plus farfelues aux plus documentées, ont été publiées – souvent aux frais de leurs auteurs. Certains croient savoir que le disque retranscrit une langue indo-européenne proche du louvite (une langue parlée en Anatolie au deuxième millénaire avant notre ère), d'autres qu'il s'agit d'une forme très archaïque de grec. D'autres encore pensent pour leur part qu'il s'agit d'une langue sémitique (comme l'arabe ou l'hébreu) apparentée à celles jadis parlées en Phénicie, dont les côtes sont proches de la Crète.

Parmi toutes les solutions qui ont été proposées se cache peut-être la juste interprétation du texte – si c'est bien d'un texte qu'il s'agit. Mais c'est une succession de seulement 241 signes qui figure sur les deux faces du disque. On est très loin de disposer de la "masse critique" de documents permettant de valider – ou d'infirmer – une proposition de traduction.

L'anecdote que rapporte l'archéologue et historien Louis Godart dans un de ses ouvrages (Aux pays des premières écritures, éditions Armand Colin) illustre autant le caractère singulier du disque de Phaistos que l'intérêt fébrile qu'il suscite depuis sa découverte, voilà près d'un siècle. L'objet, qui fait aujourd'hui la fierté du musée archéologique d'Héraklion, dans l'île de Crète, demeure l'une des plus persistantes énigmes de l'archéologie du monde méditerranéen. Les questions qu'il pose aux épigraphistes, aux archéologues, mais aussi aux linguistes, n'ont pas d'équivalent dans l'histoire des écritures.

En juillet 1908, Luigi Pernier, un archéologue italien, exhume ce petit disque d'argile cuite des ruines du premier palais de Phaistos (Crète), dont la destruction date d'environ 1700 avant l'ère chrétienne. L'objet, qui n'excède pas 17 centimètres de diamètre pour 20millimètres d'épaisseur, attire aussitôt l'attention du chercheur. Sur chacune de ses faces apparaissent une centaine de signes gravés, disposés en spirale.

Les inscriptions qui y figurent sont inconnues, et plus d'un siècle de fouilles menées en Crète et dans le monde égéen n'ont pas permis de mettre au jour une pièce équivalente ou seulement comparable. Une singularité qui fait dire à Françoise Rougemont, chercheuse (CNRS) à la Maison de l'archéologie et de l'ethnologie et spécialiste de la protohistoire égéenne, qu'"il reste impossible de prouver de façon absolument certaine que les inscriptions du disque de Phaistos sont bien un système d'écriture". Cependant, ce constat est trop peu enthousiasmant pour faire l'unanimité.

Quarante-six caractères distincts composent les 123 signes de la première face du disque et les 118 de la seconde. Des signes dont le nombre, la récurrence et l'agencement laissent penser à la plupart des spécialistes qu'il est "probable qu'il s'agisse d'un texte", comme le dit Jean-Pierre Olivier, directeur de recherche au Fonds national pour la recherche scientifique (FNRS), en Belgique. Et si les inscriptions présentes sont bien un système d'écriture, poursuit Pierre Carlier, professeur à l'université Paris-X et spécialiste du monde grec, "alors il ne peut s'agir que d'une écriture syllabique". "Quarante-six signes, c'est trop pour être un alphabet. précise-t-il, et trop peu pour être une écriture idéographique." Tous les autres systèmes d'écriture exhumés en Crète sont, en partie au moins, des syllabaires.

Quelle langue est-elle transcrite par cette cabalistique écriture ? Le mystère est total. Certains pensent à un "vieux substrat européen" – une langue qui, tel le basque, n'est pas apparentée aux idiomes indo-européens. D'autres penchent pour une forme très archaïque de grec...

L'étude de la technique de réalisation du disque apporte de vraies surprises. Les inscriptions n'ont en effet pas été gravées ou tracées dans l'argile du disque: la parfaite netteté des caractères suppose que chaque signe y a été pressé à l'aide d'un poinçon – sans doute métallique. Le disque de Phaistos pourrait donc être le plus ancien texte de l'histoire à avoir été, en quelque sorte, "imprimé". Même si, tempèrent certains chercheurs, l'apposition de sceaux attestant la propriété d'un objet ou l'authenticité d'un document, courante dans l'Antiquité, peut être vue comme une technique comparable.

Autre particularité, autre paradoxe. Car, souligne M. Olivier, "l'auteur du disque n'a certainement pas confectionné des poinçons en métal pour chaque caractère dans le but de les utiliser sur un seul document" ! Cette technique d'impression laisse entendre – si c'est bien un texte qui figure sur le disque – que son système d'écriture a dû être employé à une bien plus vaste échelle. Or nulle autre trace de cette écriture n'a été exhumée à ce jour, ni en Crète ni ailleurs.

C'est sur ce point, celui de l'origine de l'objet, que les divergences de vues sont le plus marquées. Pour certains, le disque est d'origine minoenne – du nom de la civilisation qui rayonne sur la Crète jusqu'à l'arrivée des Mycéniens, vers 1450 avant J.-C. Pour d'autres, il faut chercher hors de Crète. "Aucun élément typique de l'iconographie crétoise n'apparaît sur le disque, comme la double hache ou la tête de taureau que l'on retrouve dans les autres systèmes d'écriture crétois", indique M. Olivier.

D'autres chercheurs mettent quant à eux en exergue de possibles apparentements entre certains caractères du disque et des signes retrouvés sur une table à libation ou une double hache en bronze, datant toutes deux de la période minoenne. Certains archéologues y voient des relations avec la Phénicie, sur la côte syro-libanaise actuelle, ou encore la Lycie, en Asie mineure. Mais, prévient un chercheur, les spécialistes peuvent discuter à l'infini de ces éventuelles ressemblances iconographiques. L'hypothèse d'une origine anatolienne est toutefois souvent évoquée. La raison en est simple: "L'Asie mineure est une région qui a encore été relativement peu fouillée", explique M. Olivier. Et c'est peut-être la Turquie actuelle qui recèle les alter ego du disque de Phaistos.

Quelle que soit son origine, crétoise ou non, les spécialistes s'accordent généralement pour dire que l'objet revêtait une importance particulière pour son auteur ou son commanditaire. "L'uniformité de la cuisson montre indéniablement que le disque a été cuit de façon intentionnelle", souligne M. Olivier. Donc que l'auteur du disque a voulu rendre pérenne son oeuvre, car la cuisson des tablettes n'était alors pas la coutume. Et, en Crète, les documents exhumés ont généralement subi la chaleur d'un incendie qui, en durcissant le matériau, a permis leur conservation au cours des siècles. M. Olivier en tire la conclusion que le disque n'est sans doute pas un document administratif ou économique. Mais, ajoute aussitôt le chercheur, "tout ce que l'on peut raconter sur le disque de Phaistos n'est pas démontrable".

L'histoire du disque de Phaistos a, en somme, tous les traits d'un polar historique des mieux ficelés. Il y manque encore, toutefois, une chute.

Stéphane Foucart
Article paru dans l'édition du 18.08.05


Le Monde / Sciences
Le minoen résiste aux efforts de décryptage des linguistes

 L e 10 juillet 1952, sur les ondes de la BBC, un jeune architecte anglais annonce avoir décrypté le "linéaire B", une écriture crétoise vieille de 3 500 ans. En expliquant que celle-ci transcrit une forme archaïque de la langue grecque, Michael Ventris bouleverse la compréhension du monde égéen.

La découverte du chercheur anglais montre en effet, définitivement, que les habitants de la Grèce continentale parlaient déjà le grec à l'"Age héroïque", au IIe millénaire avant J.-C. Les personnages chantés par Homère, Ulysse, Achille, Agamemnon et les autres, s'ils ont jamais existé, s'exprimaient en grec. L'information peut sembler triviale: habitants de la Grèce, ces hommes parlaient grec. Elle est, au contraire, saisissante.

Pour comprendre, il faut savoir qu'outre les inscriptions dites marginales, comme celles du disque de Phaistos, les archéologues ont exhumé de leurs fouilles sur l'île de Crète trois grands systèmes d'écriture: le hiéroglyphique crétois, le linéaire A et le linéaire B. Plusieurs indices portent les chercheurs à penser que le linéaire B dérive des deux autres graphies, qui, elles, semblent plus anciennes. En outre, de nombreux documents rédigés en linéaire B sont également retrouvés dans les ruines des palais de Mycènes bien sûr, mais aussi de Pylos, de Tyrinthe ou de Thèbes.

Or les Grecs continentaux envahissent la Crète vers 1450 avant l'ère chrétienne. La grande île est alors dominée depuis plus de mille ans par la brillante civilisation minoenne, dont les traits caractéristiques disparaîtront après environ deux siècles de domination mycénienne. Les chercheurs déduisent que les envahisseurs continentaux ont conçu le linéaire B en adaptant les écritures de leurs vaincus minoens à leur propre langue. Mais cela ne dit pas laquelle.

L'hypothèse d'un parler mycénien disparu et sans apparentement avec les langues sémitiques ou européennes actuelles n'est pas à exclure. Michael Ventris pense, au tout début de ses recherches, que le linéaire B n'écrit pas du grec, mais une langue proche de l'étrusque, c'est-à-dire un isolat, un idiome sans apparentement connu. Ses travaux donneront tort à sa première intuition.

En moins de deux ans, les résultats de Michael Ventris, aidé du philologue et helléniste John Chadwick, sont acceptés par la communauté scientifique. Mais, cinquante ans plus tard, les deux systèmes d'écriture dont dérivent plus ou moins directement le linéaire B, le linéaire A et le hiéroglyphique crétois, demeurent indéchiffrés. Aucune des propositions de décryptage publiées n'a été reconnue par la communauté des chercheurs. La difficulté semble presque insurmontable. Non seulement les épigraphistes ne savent pas lire phonétiquement le linéaire A et le hiéroglyphique crétois, mais les linguistes ignorent tout de la langue minoenne, transcrite, selon toute évidence, par les deux graphies... Et l'idiome minoen est probablement, comme le pensait M. Ventris du mycénien, un pur isolat.

Autre difficulté, le nombre de documents exhumés à ce jour et rédigés dans ces deux systèmes syllabiques reste très limité: à peine 300 inscriptions en hiéroglyphique crétois et 1 600 en linéaire A, contre 5 000 tablettes de linéaire B. Pour Pierre Carlier, professeur à l'université Paris-X et spécialiste du monde grec, la "masse critique" n'est pas atteinte. Mais, ajoute-t-il, "on découvre chaque année une quinzaine de nouveaux documents en linéaire A". Ces obstacles rendent improbable un décryptage prochain du linéaire A et du hiéroglyphique crétois. D'autant que guère plus d'une dizaine de chercheurs dans le monde y travaillent.

L'avancée des connaissances pourrait néanmoins s'accélérer avec la découverte d'inscriptions bilingues. Ce n'est pas exclu, surtout pour le linéaire A. Peuple maritime, les Minoens ont eu en effet de nombreux contacts avec la Phénicie, l'Egypte et plusieurs civilisations du pourtour méditerranéen. "Des tablettes de linéaire A ont même été retrouvées à Samothrace -une île grecque du nord de la mer Egée, à environ 600 kilomètres de la Crète-, explique ainsi M. Carlier. Cela montre le rayonnement important de ce système d'écriture en Méditerranée."

Stéphane Foucart
Article paru dans l'édition du 18.08.05


Le Monde / Sciences
La lente résurrection du méroïtique, première langue écrite d'Afrique

 L e méroïtique est mort. Claude Rilly, chercheur (CNRS) au laboratoire Langage, langues et cultures d'Afrique noire, veut le ressusciter. L'énoncé est simple; l'affaire est délicate. Elle était même réputée perdue – ou presque – jusqu'à ces toutes dernières années. La langue des royaumes de Kerma, de Napata et de Méroé – qui se sont succédé sur le territoire de l'actuel Soudan, entre le milieu du troisième millénaire avant J.-C. et le IVe siècle de l'ère chrétienne – s'est éteinte de longue date. "Vraisemblablement au Moyen Age", dit le chercheur, et "sans descendance".

L'idiome de Méroé a cependant laissé d'abondantes traces écrites: environ un millier de documents ont, à ce jour, été exhumés, textes magiques ou funéraires, édits royaux, etc. Dès le IIIe siècle avant J.-C., les Méroïtes ont adapté à leur langue l'écriture inventée quelque vingt-cinq siècles plus tôt en Egypte, le puissant suzerain du nord.

Les relations sont en effet étroites entre les civilisations koushitique et égyptienne. L'Egypte a dominé, plusieurs siècles durant, le pays de Koush. Quant à ce dernier, il a donné à l'Égypte les rois de la XXVe dynastie (environ 715-656 avant J.-C.), celle des "pharaons noirs", ainsi dénommés pour la couleur de leur peau.

Le syllabaire méroïtique existe sous deux formes, cursive et hiéroglyphique. Il a été entièrement décrypté en 1911 par l'égyptologue britannique Francis Llewelyn Griffith, grâce à une stèle bilingue comprenant des inscriptions hiéroglyphiques égyptiennes et méroïtiques. Celle-ci a permis d'établir les valeurs phonétiques de chaque signe du système graphique. Toutes les inscriptions peuvent donc être lues et prononcées. Mais elles demeurent incomprises.

Pour la majorité des linguistes, la probabilité était grande que la langue de Méroé soit un isolat, c'est-à-dire une langue sans aucun apparentement connu, à la manière du sumérien en Mésopotamie, de l'étrusque méditerranéen ou encore du basque, toujours parlé en France et en Espagne. Si tel avait été le cas, les chances de pouvoir comprendre un jour le parler des "pharaons noirs" auraient été nulles ou presque.

STÈLES BILINGUES

Le sumérien, langue principalement liturgique morte dès le milieu du troisième millénaire avant J.-C., n'a pu être reconstitué que grâce à la présence massive de tablettes bilingues suméro-akkadiennes. Quant à l'étrusque, qui a vraisemblablement perdu ses derniers locuteurs peu après l'émergence de Rome, il résiste encore et toujours à la sagacité des linguistes.

Quelques stèles bilingues ont, certes, permis de traduire un petit corpus de termes méroïtiques. Rien qui permette, tant s'en faut, la compréhension totale des textes exhumés. Egyptologue, disciple de Jean Leclant – le fondateur, dans les années 1950, de l'école française d'études nubiennes, sans formation initiale de linguiste, Claude Rilly a formulé, ces dernières années, l'ambitieuse hypothèse d'un apparentement du méroïtique avec plusieurs langues parlées dans l'actuel Soudan, au Tchad et en Erythrée.

Etudiés depuis une vingtaine d'années par le linguiste américain Lionel Bender, le nubien, les dialectes taman, le nara ou encore le nyima ont été rassemblés par M. Rilly, avec le méroïtique, dans le groupe soudanique oriental nord (SON), sous-ensemble de la grande famille des langues nilo-sahariennes.

Les comparaisons entre des termes méroïtiques connus et leurs équivalents dans les différentes langues du groupe SON valident le postulat de M. Rilly. Mais, pour ouvrir définitivement la voie à la compréhension totale du méroïtique, il reste à reconstituer le lexique du proto-SON, la protolangue dont dérivent ces idiomes. Une tâche considérable, d'autant que toutes les langues du groupe ne sont pas encore totalement documentées.

La traduction des édits des souverains de Méroé permettrait d'éclaircir certaines zones d'ombre de l'histoire du pays de Koush, mais aussi de son voisin égyptien. Outre les aspects historiques et linguistiques, ces travaux, de l'aveu même de M. Rilly, présentent une dimension "presque politique". Puisque l'égyptien parlé à la cour des pharaons (dont dérive le copte) est une langue chamito-sémitique apparentée aux idiomes du Levant, le méroïtique est en effet la première langue typiquement africaine à avoir été écrite. La retrouver serait, aussi, rendre à l'Afrique une part glorieuse, mais perdue, de son histoire.

Stéphane Foucart
Article paru dans l'édition du 18.08.05


Le Monde / Opinions
Edito du Monde
Les deux Sharon

 "L a colonisation a été un programme sérieux qui va se poursuivre et se développer." Alors que l'évacuation forcée des colons de la bande de Gaza est entrée dans sa phase cruciale, qu'Israël est très justement applaudi dans toutes les chancelleries – Paris qualifiant le retrait d'"historique" – et dans plusieurs capitales arabes, au Caire et à Rabat en particulier, Ariel Sharon a confirmé mercredi 17 août ce qu'il avait expliqué lors d'une interview accordée au Monde (27 juillet), à savoir qu'il entend "conserver des zones qui ont une grande importance stratégique" en Cisjordanie et qu'il nommait "les grands blocs d'implantations". Lors de la présentation publique de son "plan de désengagement" de Gaza, le 18 décembre 2003, lequel avait alors stupéfié autant sa propre opinion publique que la communauté internationale, le premier ministre israélien avait déjà clairement annoncé la donne: "Dans le même temps, avait-il déclaré, le pays va renforcer son contrôle sur les parties de la terre d'Israël qui constituent une partie inséparable de l'Etat." Aujourd'hui, Ariel Sharon confirme que tel serait bien l'objectif du "désengagement" actuellement à l'oeuvre à Gaza.

Il faut se souvenir en effet qu'"Arik, roi d'Israël", comme le nomment ses fidèles, avait aussi promis que jamais, au grand jamais, il n'abandonnerait la moindre colonie: "A aucun prix", affirmait-il le 13 avril 2001, dans la première interview qu'il donnait après son accession au pouvoir, précisant qu'il ne lâcherait "pas même Netzarim", une implantation totalement isolée en plein coeur de la bande de Gaza.

Aujourd'hui, c'est la totalité des colonies de Gaza qu'Israël évacue. Et, en septembre, l'Etat juif devrait également abandonner quatre implantations au nord de la Cisjordanie. Certes, il s'agit de petites colonies isolées, mais on a peu remarqué jusqu'ici que l'espace territorial qui leur était dévolu est... bien supérieur encore à celui de toute la bande de Gaza.

De quoi sera fait l'après-Gaza ? On peut se demander si les déclarations actuelles de M. Sharon quant à "la poursuite" de la colonisation en Cisjordanie n'auront pas un destin identique à ses déclarations passées sur le maintien "à tout prix" des colonies à Gaza. Même s'il l'a sans doute fait à son corps défendant, le chef de file de la droite israélienne, avec son désengagement "unilatéral" de Gaza, a provoqué un séisme politique dans l'histoire de son pays et dans son rapport aux Palestiniens. Il a fait ce qu'en trente-huit ans aucun de ses prédécesseurs, nationaliste ou travailliste, n'avait jamais entrepris: démanteler des colonies, et ce "sans contrepartie", uniquement parce qu'Israël ne peut les préserver plus longtemps et se doit de les quitter. Bref, il a amorcé un nouveau chemin.

Demain, le premier ministre va devoir affronter le problème de la Cisjordanie. On est en droit d'espérer que, comme dans le cas de Gaza, il sait déjà en son for intérieur que l'avenir de la relation israélo-palestinienne passe inéluctablement, comme à Gaza, par ce nouveau chemin.

Article paru dans l'édition du 19.08.05


Le Monde / Chats
Pétrole: que faire face à la flambée des prix ?
L'intégralité du débat avec Jean-François Gruson, directeur adjoint aux affaires économiques à l'Institut français du pétrole (IFP), lundi 22 août 2005

Henri: Comment expliquer cette flambée des prix du baril de pétrole ?
Jean-François Gruson:
Pour expliquer la flambée des produits pétroliers que les gens constatent à la pompe: la première raison est la montée observée depuis maintenant près de deux à trois ans, régulière et progressive, du prix du pétrole brut, de 25 dollars le baril fin 2002 à plus de 60 aujourd'hui. Pourquoi cette montée ? La première explication, c'est la forte croissance de la demande pétrolière mondiale, particulièrement en Chine, dans les pays en développement, mais aussi aux Etats-Unis, qui s'est révélée plus forte que prévu. La seconde explication, c'est la faible croissance dans le même temps des capacités de production de pétrole brut dans le monde. On avait donc des excédents de capacité essentiellement en Arabie saoudite, qui se sont très fortement réduits et qui ont entraîné cette croissance continue du prix du pétrole.

France: Existe-t-il un risque de pénurie du diesel ?
Jean-François Gruson:
Aujourd'hui, il n'y a pas de risque de pénurie de carburant diesel. Ce que l'on observe en Europe, c'est que la forte croissance de la consommation de gasoil, qui est due pour partie à la diéselisation du parc automobile, pour partie au développement du transport routier de marchandises, fait que les prix du gasoil hors taxes sont aujourd'hui au même niveau que les prix de l'essence.

Lou: Les pays interviennent-ils face à ce fléau ? Des plans d'économie d'énergie sont-ils mis en place ?
Jean-François Gruson:
Sur ce point, les situations sont très différentes d'une région du monde à l'autre. Les solutions alternatives à court terme sont toutefois réduites. Les possibilités sont essentiellement en premier lieu des actions sur la réduction de la consommation, aussi bien chez les particuliers que dans l'industrie, c'est la mise en place de programmes visant à développer les biocarburants, c'est enfin une incitation à développer des technologies plus économes en énergie. On peut citer à titre d'exemple les véhicules hybrides, mais aussi, à plus long terme, de nouvelles technologies dans le bâtiment ou une modification de l'organisation de la logistique des transports de marchandises. Mais ces solutions sont du long terme. L'autre approche possible, mais qui n'est pas du ressort directement des pouvoirs publics des pays consommateurs, c'est aussi d'accroître les investissements dans les pays producteurs pour redonner des surplus de capacités de production de pétrole brut. Mais le délai de réalisation de ces investissements est de l'ordre de deux à cinq ans.

LES BIOCARBURANTS: "PREMIÈRES ÉNERGIES ALTERNATIVES" DANS LE DOMAINE DES TRANSPORTS

Henri: Quels sont les différents types d'énergies alternatives ?
Jean-François Gruson:
Dans le domaine des transports, qui est le secteur le plus important dans nos pays, les premières énergies alternatives sont les biocarburants: éthanol pour l'essence; biodiesel ou ester d'huile végétale pour les moteurs diesel, qui sont les solutions les plus avancées. Mais le problème principal concernant ces solutions est la limitation des ressources, sauf à modifier profondément la répartition des usages des terres agricoles entre la vocation alimentaire et la vocation énergétique. Des recherches sont aussi en cours pour élargir cette ressource par l'utilisation des matières lignocellulosiques comme le bois ou les déchets de bois, ou la paille, pour fabriquer des carburants. Les autres options envisagées sont les moteurs à gaz naturel, qui sont déjà bien diffusés dans le secteur des transports urbains. Enfin, les solutions plus lointaines, même s'il existe aujourd'hui des véhicules en démonstration, c'est la voiture électrique, avec deux grandes options: soit tout électrique avec l'utilisation des batteries pour stocker l'électricité à bord du véhicule, soit la voiture à pile à combustible utilisant de l'hydrogène comme vecteur pour stocker et produire l'électricité. Ces deux dernières solutions sont encore loin d'une commercialisation généralisée.

Franck: Pourquoi attend-on de développer les biocarburants ? Des pays comme le Brésil le font depuis des années !
Jean-François Gruson:
La France n'a pas attendu les résultats du Brésil pour développer les biocarburants. Dès 1979, il y avait eu un plan "carburol" qui visait à développer une filière biocarburant en France. Il est vrai qu'à partir de 1986, la forte chute des prix pétroliers a stoppé une bonne partie de ces travaux, y compris au Brésil. C'est donc seulement depuis quelques années que de nouveaux projets ont vu le jour, avec un soutien fiscal de l'Etat, principalement sur le biodiesel, qui apparaissait comme un nouveau produit bien en ligne avec la croissance de la demande de gasoil. Il existe également une directive européenne qui incite les pays membres de l'Union à s'assurer que 5,75% des besoins énergétiques en carburants seront d'origine biomasse en 2010.

Rouchon: Sur la base de la consommation mondiale actuelle, à combien se situent les réserves mondiales de pétrole ? Avons-nous atteint le pic ?
Jean-François Gruson:
C'est une question difficile. Aujourd'hui, il existe plusieurs évaluations différentes sur le sujet. L'école des pessimistes pense que le pic de production de pétrole brut dans le monde se situera aux alentours de 2015. D'autres experts, dont fait partie l'IFP, pensent que le recours aux technologies de récupération assistée, aux technologies qui permettront de mieux visualiser les réservoirs où sont piégés les hydrocarbures, les technologies qui permettront de mettre en valeur les réserves non conventionnelles, comme les huiles extra-lourdes du Venezuela, ou les sables asphaltiques du Canada, devraient permettre de repousser ce pic de plusieurs années. Il n'en demeure pas moins que le pétrole est une matière première finie et que l'époque d'un pétrole pas cher et très abondant est probablement derrière nous.

DES ÉNERGIES ALTERNATIVES "SOUVENT CHER À PRODUIRE"

Lou: Quelle part donner aux énergies alternatives ?
Jean-François Gruson:
La question serait plutôt: quelle part pourraient prendre les énergies alternatives. Le premier enjeu est de réduire les coûts de ces énergies alternatives, qui restent encore trop souvent cher à produire. Il faut ensuite mettre en place l'ensemble des logistiques pour permettre leur déploiement. Je pense par exemple à une généralisation de l'électricité pour le transport ou la mise en place de réseaux de distribution d'hydrogène pour alimenter les véhicules à pile à combustible. On voit toute la difficulté de la tâche. Ce qui fait qu'aujourd'hui, il est encore difficile de pouvoir donner une estimation fiable sur cette part. On peut toutefois noter que, dès aujourd'hui, l'hydraulique dans la production d'électricité, ou la biomasse utilisée comme combustible, ne sont pas négligeables dans le bilan énergétique mondial. Un dernier point: dans le cas de la production d'électricité, l'éolien apparaît comme une des ressources alternatives relativement compétitives, mais pose encore des problèmes d'acceptation sociale pour construire ces éoliennes, ainsi que des problèmes d'intégration au réseau, dans la mesure où c'est une énergie intermittente.

Olivier: Quelle énergie renouvelable présente à ce jour une viabilité économique qui lui permettrait de remplacer en partie le pétrole ?
Jean-François Gruson:
Pour reprendre ce que j'ai dit précédemment, l'énergie alternative aujourd'hui la plus compétitive mais qui est déjà fortement développée, c'est l'hydraulique. La seconde, c'est la biomasse lignocellulosique aujourd'hui utilisée le plus souvent dans les pays en voie de développement comme combustible, avec toutefois les problèmes graves liés à la déforestation. L'éolien, pour la production d'électricité, est également assez proche d'un seuil de compétitivité. Pour les biocarburants, il n'y a pas que les prix du pétrole brut qui doivent être élevés, mais il faut également que les cours des matières premières (blé, maïs, huile de colza) ne connaissent pas eux-mêmes des hausses importantes comme cela a pu être le cas récemment pour les huiles végétales. On considère donc aujourd'hui que les biocarburants, même avec un prix du brut à près de 60 dollars le baril, ont encore besoin en Europe d'un soutien des pouvoirs publics, soit par le moyen d'une détaxation, ce qui est le cas aujourd'hui, soit par des moyens plus délicats comme une obligation d'incorporation en mélange dans les carburants pétroliers. Cette dernière solution est évidemment très controversée entre l'industrie pétrolière et les filières biocarburants. Les autres énergie alternatives (photovoltaïque, pile à combustible et hydrogène) sont encore loin d'offrir une compétitivité par rapport aux énergies traditionnelles.

Un pseudo: En ce qui concerne le transport aérien, il n'existe pas d'énergie alternative. Est-ce que l'on peut imaginer un système de priorité pour un usage privilégié du carburant dans ce secteur ?
Jean-François Gruson:
Il est vrai que le transport aérien, qui utilise une fraction de la coupe pétrolière qui s'appelle le kérosène, est le secteur pour lequel il apparaît le plus difficile de trouver une solution alternative. Il est clair qu'à terme, quelles qu'en soient les modalités, soit par le simple jeu du marché et par les prix ou par des systèmes normatifs ou d'autres procédures encore, se mettra en place un usage, une organisation de l'utilisation du pétrole brut plus soucieuse de la rareté future de ce carburant. On peut en effet penser que le transport aérien sera probablement un des derniers secteurs qui continueront à utiliser largement le pétrole.

Kitano: Les compagnies pétrolières n'ont-elles pas intérêt à garder leur prépondérance dans la fourniture d'énergie et à ne pas se lancer dans d'autres types d'énergies substituables ?
Jean-François Gruson:
Les compagnies pétrolières sont aujourd'hui également des compagnies gazières, et souvent de raffinage pour les plus grandes compagnies internationales. C'est vraiment leur cœur de métier, et c'est aujourd'hui dans cette activité qu'elles dégagent leurs bénéfices. Un point de précision: ces grandes compagnies ne contrôlent aujourd'hui qu'à peine 15% des réserves de pétrole brut mondiales. En effet, la plupart des réserves pétrolières sont aujourd'hui sous le contrôle de compagnies nationales. Pour citer certains pays: PDVSA au Venezuela, Aramco en Arabie saoudite. La Russie est un cas assez complexe, mais on peut considérer que les grandes compagnies sont encore sous le contrôle plus ou moins direct du gouvernement russe. On voit donc que l'enjeu des énergies alternatives ne concerne pas uniquement les grandes compagnies pétrolières privées. Il convient d'ajouter que, malgré tout, ces grandes compagnies sont également présentes dans le secteur des énergies alternatives. Pas de manière exhaustive, mais Total a des activités dans l'éolien, BP a pas mal investi dans le secteur du photovoltaïque, pour ne citer que ces deux compagnies. On peut donc dire que les compagnies pétrolières, dans la mesure où elles ne sont pas assurées à long terme de renouveler leurs réserves en pétrole ou en gaz naturel, n'ont pas intérêt à se désintéresser complètement des autres sources d'énergie, même si aujourd'hui la part de ces énergies reste marginale dans leur activité. Contradiction à surmonter pour nos pays: dans le cadre du protocole de Kyoto et du problème du réchauffement climatique, c'est la volonté affichée de réduire nos émissions de CO2, et donc de mettre en place à la fois des énergies alternatives non émettrices de CO2, de privilégier les technologies économes en énergie, d'inciter à des comportements économes en énergie, et dans ce cadre-là, on peut dire que la hausse des prix du brut est un élément favorable et positif. C'est également un indicateur pour le comportement des consommateurs. Et, d'autre part, la volonté de limiter l'impact sur l'activité économique, sur la consommation des ménages, de prix élevés de l'énergie. Il est quasiment sûr que des prix élevés de l'énergie - pas uniquement du pétrole - seront nécessaires si l'on veut voir se développer toutes les technologies et solutions permettant de réduire les émissions de gaz à effet de serre.

Chat modéré par Fanny Le Gloanic et Justin Meade.
LEMONDE.FR | 19.08.05 | 13h37


Le Monde / Chats
Comment renforcer la sécurité aérienne ?
L'intégralité du débat avec Denis Chagnon, porte-parole de l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI), vendredi 19 août 2005

Youssef: Comment analysez-vous la succession de crashs ces dernières semaines ?
Denis Chagnon:
Ici, à l'OACI, pour nous, c'est un concours de circonstances, évidemment malheureux. Il reste que de prime abord, il n'y a pas de lien direct entre ces accidents. Il faut analyser, bien sûr, les rapports d'accident pour en connaître la cause véritable et prendre les mesures qui s'imposent, par la suite, pour corriger toute anomalie dans le but d'éviter que ce genre d'accident ne se répète.

Mimi: Quel est le rôle de l'OACI dans le contrôle de la sécurité aérienne ?
Denis Chagnon:
En fait, le rôle de l'OACI est bien établi, bien arrêté. Il s'agit d'une part d'élaborer les normes de sécurité pour l'aviation civile internationale, donc l'exploitation de vols internationaux, et d'autre part, de venir en aide, d'appuyer les efforts des Directions générales d'aviation civile des pays membres de l'OACI, pour renforcer leur propre sécurité aérienne. De même que leur programme de surveillance de la sécurité. C'est donc un rôle double.

Roger: La pression économique étant apparemment responsable des accidents des petites compagnies, pensez-vous que les Etats devraient leur verser des subventions ?
Denis Chagnon:
C'est une question à laquelle les Etats seuls peuvent répondre. J'explique davantage le rôle de l'OACI: j'ai mentionné précédemment que son rôle est d'établir les normes de sécurité. Il revient à chacun des Etats membres de l'OACI la pleine responsabilité de la mise en œuvre des normes. Donc chaque pays membre doit s'assurer que les composantes de l'aviation civile – dont les aérogares, les lignes aériennes, les services du contrôle aérien –, soient conformes aux normes de l'OACI.

Jeanne: La culture nationale et le niveau de développement d'un pays ont-ils un lien avec le niveau de sécurité des compagnies ?
Denis Chagnon:
Je dirai que le niveau de sécurité des compagnies découle de la capacité d'un Etat à surveiller la mise en œuvre des normes internationales. Et l'OACI a mis sur pied un programme universel de surveillance de la sécurité par lequel elle apporte son appui à chaque Etat membre qui en ressent le besoin, afin d'amener son infrastructure d'aviation civile à des standards reconnus par l'OACI. Donc c'est essentiellement la capacité d'un Etat membre d'assurer la surveillance de la sécurité.

Youssef: Quels sont les critères pour autoriser une compagnie à voler ?
Denis Chagnon:
Une compagnie aérienne doit recevoir un certificat d'exploitation du pays concerné. Donc c'est une question qui revient, encore une fois, à chacune des Directions générales d'aviation civile d'octroyer un certificat d'exploitation. Et pour ce faire, le transporteur doit bien sûr satisfaire à toutes les conditions afférentes à un certificat d'exploitation.

L'AVION: "UN MOYEN DE TRANSPORT EXTRÊMEMENT SÉCURITAIRE"

Wilfried: Les charters et lowcosts baissent-ils le niveau global de la sécurité aérienne ?
Denis Chagnon:
Question intéressante. Je la place dans un contexte historique et mondial pour tout d'abord indiquer que les années 2004 et 2003 ont été de loin les plus sécuritaires dans l'histoire de l'aviation civile internationale. Exemple: en 1947, il y avait sur les transporteurs de l'époque 8 millions de passagers. En 2004, on comptait 1 800 000 000 de passagers et moins d'accidents et moins de décès. Donc somme toute, l'aviation civile est un moyen de transport extrêmement sécuritaire, et même le plus sécuritaire qui soit. Maintenant, les transporteurs lowcost ne sont pas nécessairement moins sécuritaires. Il y a eu en 2004, c'est vrai, plus d'accidents chez les transporteurs non réguliers. Il reste toutefois que ce nombre, au total, est extrêmement bas. L'objectif majeur de l'OACI est de réduire davantage le nombre d'accidents, autant chez les transporteurs réguliers que lowcost. Qui dit lowcost ne suggère aucunement une diminution de la sécurité comme telle. C'est tout simplement une formule de gestion qui permet d'offrir des vols à moindre coût. Chez les transporteurs où l'on a des accidents, tant chez les services réguliers que non réguliers, on note souvent que la cause est un non-respect de normes de l'OACI ou de normes de sécurité nationales. C'est la distinction importante que l'on doit apporter à tout ce débat.

Olivier: Comment se fait-il que ce soit justement ces compagnies qui subissent le plus d'accidents ? Les règles d'entretien ne sont-elles pas les mêmes pour tout le monde ?
Denis Chagnon:
Les normes d'entretien des aéronefs sont les mêmes pour tous les transporteurs, bien sûr. Ce qu'il faut assurer, c'est justement le respect de ces normes d'entretien et les normes d'exploitation. Les causes d'accident sont variées et comportent plusieurs facteurs, dont parfois l'entretien, les mesures d'exploitation ou autres facteurs humains. Encore une fois, ce qu'il faut assurer, et, j'insiste, pour tous les transporteurs, tous les exploitants, c'est le respect de toutes les normes. Et c'est en fonction des rapports d'accident détaillés que nous pourrons corriger les lacunes qui ont entraîné ces accidents.

Jeanne: Dans le monde de l'aviation, il était apparemment de notoriété publique que les avions de la West Caribbean étaient toujours en réparation, toujours en retard, avec des itinéraires et des durées de vols approximatifs. Comment expliquer qu'ils continuaient à voler sans aucune difficulté ?
Denis Chagnon:
Je ne peux répondre directement à cette question. Il faut bien sûr attendre les résultats de l'enquête.

Roger: Comment essayer d'améliorer le niveau de sécurité ?
Denis Chagnon:
Du point de vue de l'OACI, deux pistes s'offrent à nous: d'abord, le programme de surveillance de la sécurité, pour lequel l'organisation travaille en étroite collaboration avec les pays membres afin d'améliorer la mise en œuvre et le respect des normes internationales et des procédures d'exploitation. Nous avons, en 2004, adopté une stratégie unifiée pour résoudre les carences en matière de sécurité. Axée sur une plus grande transparence en ce qui concerne les résultats de ces audits de supervision de la sécurité. Cette nouvelle stratégie entraîne un plus grand partage des informations essentielles pouvant avoir une incidence sur la navigation aérienne. Cette stratégie repose essentiellement sur la coordination et la coopération de l'OACI d'une part, et d'autre part, des autorités nationales de l'aviation civile, de l'industrie et des institutions de financement, qui sont d'une importance critique dans l'apport de conseils et d'assistance technique aéronautique. En somme, c'est un effort global pour assurer à tous les passagers, où qu'ils soient, le plus haut niveau de sécurité. Le deuxième volet de cette approche est, comme je le disais, un apport technique de l'OACI à tous les Etats et aux directions générales d'aviation civile qui ressentent le besoin d'une plus grande expertise ou de sources de financement pour corriger les lacunes de leur système.

Roger: Existe-t-il une liste noire de compagnies peu fiables ? Si oui, le public peut-il y accéder ?
Denis Chagnon:
L'OACI ne dispose pas de liste noire de transporteurs. Encore une fois, notre souci premier est d'amener tous les pays membres à s'assurer que tous les transporteurs assurent le même niveau de sécurité, le même respect des normes d'exploitation.

Jeanne: De quelle manière les pilotes sont-ils contrôlés ?
Denis Chagnon:
Les pilotes sont contrôlés, d'une part, de par les normes internationales de l'OACI au niveau de la certification et de l'obtention de licence. Chacun des pays membres de l'OACI émet, bien sûr, ces licences conformément aux normes de l'OACI.

"UN CONCOURS DE CIRCONSTANCES TRÈS FÂCHEUX"

Wilfried: L'OACI n'a-t-elle pas l'impression – notamment avec les crashs récents – d'avoir des normes d'exploitation un peu faibles ?
Denis Chagnon:
Encore une fois, l'aviation civile est extrêmement sécuritaire. Il faut voir dans les récents accidents, déplorables, un concours de circonstances très fâcheux. Il reste que les normes de l'OACI sont très élevées et sont constamment remises à jour, surtout en fonction de rapports d'accident et de recommandations qui sont faites par les différents intervenants en aviation civile, de même que par les pays membres. En somme, je dirai que les normes de l'OACI sont très élevées et mises à jour de façon continue.

Thierry: L'OACI dispose-t-elle de pouvoirs d'interdiction d'exploitation ou se borne-t-elle a prodiguer des recommandations aux Etats et/ou aux compagnies ?
Denis Chagnon:
Bonne question, qui me permet de préciser le mandat de l'OACI. L'OACI tire son mandat de la convention relative à l'aviation civile internationale. Cette convention dicte très clairement le mandat de l'OACI comme étant d'assurer le développement sûr et ordonné de l'aviation civile internationale, en élaborant des normes et en apportant aux Etats membres qui en ressentent le besoin l'assistance technique nécessaire. La convention indique clairement la responsabilité des Etats dans la mise en œuvre, dans l'application des normes. L'OACI, de par son programme de surveillance de la sécurité, remet un rapport d'audit complet à chacun des pays membres, qui s'en trouve évalué, et remet également copie de cette évaluation à tous les autres pays membres. Ce qui fait que ce partage d'informations peut permettre à l'ensemble des pays de corriger les lacunes perçues, et pour les pays dans le besoin d'obtenir un appui, et pour ces mêmes pays où l'on note des lacunes, de procéder justement aux correctifs. Donc sans avoir un pouvoir d'imposer les normes comme telles, ce partage d'informations peut mener justement les Etats membres à améliorer la situation générale.

Wilfried: Existe-t-il des sanctions pour ceux qui ne respectent pas les recommandations?
Denis Chagnon:
A cette question, je répondrai de la façon suivante: comme expliqué plus haut, j'ai fait la distinction entre le mandat de l'OACI d'établir les normes, et la responsabilité des Etats d'en assurer la mise en œuvre. Il n'y a pas de sanction. C'est plutôt l'information, le partage de l'information, qui s'avère la formule la plus efficace pour encourager la mise en œuvre des normes et ainsi l'accroissement de la sécurité.

Jeanne: Je souhaite partir en voyage prochainement, mais tous ces crashs me font peur. Pouvez-vous m'indiquer les critères de choix d'une compagnie aérienne afin de voler en toute sécurité ?
Denis Chagnon:
Une recommandation, qui est faite assez souvent, c'est de communiquer avec les agents de voyages, ou encore les autorités gouvernementales de votre pays, pour savoir le niveau de sécurité du transporteur que vous comptez utiliser. C'est la meilleure approche.

Roger: Faut-il craindre une multiplication des accidents pour les années à venir ?
Denis Chagnon:
Je dirai que la tendance est à la baisse pour ce qui a trait aux accidents, et à la hausse pour ce qui a trait aux systèmes visant à améliorer la sécurité aérienne. L'ensemble de la communauté internationale de l'aviation déploie de toute évidence de plus en plus d'efforts afin de réduire constamment le nombre d'accidents. Dans le but, bien sûr, de protéger la vie des passagers.

Mimi: N'est-il pas illusoire de vouloir sécuriser tous les vols ?
Denis Chagnon:
C'est un objectif peut-être difficile à atteindre, mais qui nous guide de toute façon. Encore une fois, je donne comme exemple le dossier de l'année 2004, somme toute la meilleure depuis 1945, et jumelé aux efforts déployés par les Etats, par l'OACI, par les lignes aériennes et les constructeurs d'avions, on peut souhaiter, bien sûr, une diminution des accidents dans les années à venir. Et il est dans l'intérêt de tous, y compris bien sûr des passagers, que nous puissions en arriver un jour à zéro accident. Nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour que ce souhait se réalise.

Chat modéré par Fanny Le Gloanic et Bérangère Lepetit.
LEMONDE.FR | 19.08.05 | 11h45


Le Monde / Entreprises
Il y a dix ans, Internet commençait à changer le monde

En dix ans, Internet n'a pas seulement impacté l'économie, il a envahi la vie quotidienne de millions de gens. | AFP/VALERY HACHE
AFP/VALERY HACHE
En dix ans, Internet n'a pas seulement impacté l'économie, il a envahi la vie quotidienne de millions de gens.

 L e 9 août 1995, le navigateur Netscape s'introduisait au Nasdaq, la Bourse des valeurs technologiques américaines. Cette PME de la Silicon Valley avait seize mois d'existence, ses ventes totalisaient à peine 25 millions de dollars et elle perdait de l'argent. Pourtant l'action, proposée à 14 dollars, a plus que doublé le jour même (29 dollars), accordant à la société une capitalisation boursière de 2 milliards. Son logiciel de surf ouvrait une nouvelle ère: il permettait au grand public, et non aux seuls initiés de l'informatique, d'accéder aux merveilles du World Wide Web.

Cette entrée en fanfare donna le coup d'envoi d'une euphorie autour de l'Internet, dont on prédisait qu'il allait révolutionner les modes de vie et créer une nouvelle économie. En Bourse, cette "exubérance irrationnelle", selon l'expression du président de la Réserve fédérale américaine, Alan Greenspan, s'est traduite par une multiplication par près de cinq de la valeur du Nasdaq entre 1995 et son pic en mars 2000: des sociétés Internet naissantes, fondées par des étudiants dans des garages, qui dépensaient l'argent de leur capitaux-risqueurs avant d'avoir concrétisé la moindre vente, voyaient leurs valorisations boursières dépasser celles des géants de l'industrie.

Toutes ces illusions se sont envolées avec l'éclatement de la bulle spéculative: le Nasdaq n'est plus qu'à 40% du niveau qu'il atteignait il y a cinq ans. La plupart des valeurs ". com" ont été rachetées ou liquidées.

Aujourd'hui, aux Etats-Unis, seules quatre survivantes 100% Internet figurent au nombre des 150 premières capitalisations américaines: le moteur de recherche Google (30e), le site d'enchères eBay (50e), le portail Yahoo! (65e) et le cybermarchand Amazon (145e); en Asie, seulement une cyberentreprise appartient à ce club (le fonds Softbank, notamment actionnaire de Yahoo!) et aucune en Europe, même si de petites cyberentreprises grandissent régulièrement (comme le montrent, en France, les succès de Rueducommerce, Priceminister, Meilleurtaux, auFeminin ou Meetic).

Certes, le secteur connaît encore des poussées de fièvre: Google a vu son action s'envoler de 240% depuis son introduction en Bourse le 19 août 2004; son homologue chinois Baidu, lui, a vu son titre quintupler le jour de son entrée au Nasdaq, le 5 août. Cependant, ces entreprises justifient désormais leur valeur selon les critères classiques de Wall Street: forte croissance mais surtout solide rentabilité.

Leurs résultats prouvent la validité de certains cybermodèles économiques. Le business sur Internet est devenu une affaire sérieuse dans nombre de secteurs. Aux Etats-Unis, plus de 20% des achats de voyages se font électroniquement, le commerce en ligne représente plus de 6% de l'ensemble des ventes au détail, la e-publicité pèse pour plus de 4% des dépenses publicitaires totales. Et la part de l'Internet croît de 20% à 40% chaque année.

LES AUTRES MÉDIAS MENACÉS

Sur certains marchés, la rupture technologique est même brutale, déstabilisant les acteurs en place. L'exemple le plus frappant est certainement celui de l'industrie de la musique. Les grands du secteur souffrent d'un déclin des ventes de disques (20% depuis 2000) alors que, depuis le succès du site Napster, des millions de chansons sont téléchargées gratuitement via des réseaux décentralisés (peer-to-peer) d'échange de fichiers (Kazaa, eMule, BitTorrent...).

Les studios de cinéma commencent à subir le même détournement de leur activité. Plus de 60% des capacités du réseau Internet mondial seraient ainsi mobilisées par le téléchargement de contenus (musique, films, jeux vidéo, logiciels...).

Plus diffuse mais non moins réelle est la menace que fait peser le média Internet sur la presse, la télévision et la radio. Non seulement, il leur arrache de la publicité mais il les concurrence de manière frontale, ébranlant même leur légitimité.

Mais ceux qui ont le plus de souci à se faire sont certainement les grands opérateurs de télécommunications. D'ici cinq ans, les experts estiment que jusqu'à un tiers de leurs recettes issues de la téléphonie fixe vont fondre avec l'avènement de la téléphonie sur Internet (IP), qui casse la tarification à la durée et à la distance, rendant modique le prix des appels.

Les opérateurs ont vu le danger: en Europe, les grands (Deutsche Telekom, France Télécom, Telecom Italia et Telefonica) ont ainsi, en un an, racheté leur filiale d'accès Internet et multiplient les investissements pour avancer sur la convergence entre fixe, mobile et Internet.

Ce n'est là que la face visible de la "nouvelle économie". L'usage de la Toile s'est propagé dans toutes les entreprises (logistique, gestion des stocks, achats, distribution, service-client). Les économistes estiment ainsi que les Etats-Unis doivent chaque année un point de leur croissance aux gains de productivité apportés par la diffusion des technologies de l'information et de la communication.

En dix ans, Internet n'a pas seulement marqué l'économie, il a aussi envahi la vie quotidienne de millions de gens – au moins dans les pays développés. Ses trois pouvoirs – l'ubiquité, la variété et l'interactivité – rendent son potentiel d'usages quasi infini.

Sur Internet, on peut certes comparer les prix des locations de vacances, acheter son frigo, vendre sa voiture d'occasion et payer ses impôts mais aussi se faire expliquer un itinéraire routier, lire le mode d'emploi de fabrication d'une bombe ou comparer les articles de la presse internationale, partager sa passion pour les hameçons anciens ou jouer au poker avec un internaute aux antipodes, trouver un ancien copain de classe ou un nouvel amoureux, discuter des prix du pétrole ou des frasques de Paris Hilton, montrer les photos de ses enfants à sa famille, télécharger un tube de Madonna ou la Constitution européenne, livrer ses réflexions et sa vie intime...

Que peut réserver de plus la décennie à venir ? Le développement du Web a été l'un des plus rapides de l'histoire des technologies (avec la téléphonie mobile): le cap du milliard d'internautes devrait être passé cette année.

Mais les perspectives de croissance restent énormes dans les pays émergents (notamment en Chine et en Inde). Et l'arrivée à l'âge adulte des jeunes générations, rompues à l'utilisation du Web, devrait encore y contribuer. Si l'accès à haut débit représente une première étape dans l'accélération de l'usage du Net, la deuxième étape, son accès depuis les appareils mobiles, le rendra définitivement omniprésent.

Gaëlle Macke
Article paru dans l'édition du 19.08.05


Le Monde / Entreprises
Jean de Chambure, expert en veille technologique
"Internet a bien donné plus de pouvoir à chaque individu"

 J ean de Chambure est responsable éditorial de l'Atelier, une structure de BNP Paribas qui effectue depuis quinze ans de la veille sur les technologies de l'information et de la communication.

Internet grand public a dix ans. Est-on sorti de la phase des fantasmes et des désillusions ?

La puissante euphorie collective de la fin des années 1990 autour des perspectives de l'Internet serait un bon sujet d'étude pour les historiens. Y aurait-il un phénomène millénariste ? En l'an 1000 proliféraient les scénarios catastrophistes sur l'avenir de la planète; en l'an 2000 se sont développées des prédictions positivistes tout aussi passionnées sur un futur high-tech enchanteur.
Par ailleurs, alors que la génération des jeunes des années 1970 s'exprimait dans la contestation politique, ses enfants a vu avec l'Internet l'opportunité de bousculer l'ordre économique: au lieu que le peuple renverse le gouvernement, les mini-entreprises agiles allaient détrôner les grands groupes. Il y avait dans l'Internet une idéologie libertaire, où tout était gratuit, et les cyberentreprises se souciaient plus d'innover que de gagner de l'argent.

Internet n'a-t-il pas perdu un peu de la magie de ses débuts ?

Certes, le business sur Internet est devenu une activité économique importante et le mythe du tout gratuit a vécu. Cependant, l'Internet a bien donné plus de pouvoir à chaque individu: chacun peut être aussi bien informé qu'un journaliste, commercer à l'autre bout du monde comme une multinationale, partager ses fichiers avec ceux de millions d'autres pour constituer une banque de données géante... Son pouvoir de rassemblement a créé des formes de travail collectif, voire de troc et d'entraide: la plus connue est la confrérie des programmeurs de logiciels libres autour de Linux, qui fait trembler Microsoft.
Sur eBay, des gens achètent des objets à des inconnus avec pour seule garantie les évaluations en ligne des précédents acheteurs sur la fiabilité du vendeur. Des milliers d'experts sur tel ou tel sujet écrivent bénévolement les 200 millions d'articles de l'encyclopédie en ligne multilingues et gratuite Wikipedia.

Quel est le principal impact sociétal d'Internet ?

On craignait qu'Internet maintienne les gens derrière leur ordinateur: ils travailleraient en ligne, consommeraient en ligne, passeraient tous leurs loisirs en ligne. Mais Internet est un formidable moyen de communication. Le courriel reste le premier usage de la Toile. Messagerie instantanée, forums de discussion, sites de communauté et de rencontres, blogs: en fait nos sociétés modernes ont une soif d'expression, d'information.
La diversité, l'accessibilité des contenus, auquel chacun peut contribuer, est une grande richesse. Mais attention au nivellement. Le principal problème du Net, qui explique l'importance prise par les moteurs de recherches, reste le tri, la hiérarchisation, la pertinence de ces milliards de pages Web.

Propos recueillis par Gaëlle Macke
Article paru dans l'édition du 19.08.05


Le Monde / Entreprises
La "nouvelle économie" existe bel et bien
NEW YORK de notre correspondant

 L' expression "nouvelle économie", popularisée par le magazine Business Week en 1996, évoque aujourd'hui plutôt les excès de la bulle spéculative de la fin du XXe siècle et les promesses illusoires de prospérité pour tous et de croissance sans fin.

La frénésie d'enrichissement et la naïveté sont parties en fumée, mais pas les bouleversements nés de la mise en réseau planétaire des consommateurs, des producteurs et des distributeurs.

Dans son best-seller publié au début de l'année aux Etats-Unis The World is Flat ("Le monde est plat"), le journaliste et écrivain Thomas Friedman prend la mesure de l'impact des technologies de l'information. Il annonce la troisième phase de l'économie monde.

La première, remonterait àla découverte de l'Amérique en 1492. Elle est marquée par l'expansion européenne et par la "mondialisation des Etats". La deuxième, de 1800 à 2000, se caractérise par la "mondialisation des entreprises", la naissance et l'apogée des multinationales.

La troisième étape vient de commencer. Il s'agit de la "mondialisation des individus. Ils peuvent collaborer comme jamais et sont en c ompéti tion sur toute la planète. Le moteur n'est plus le muscle ni les machines, mais les logiciels et le réseau mondial de fibres optiques".

Pierre Omidyar, fondateur de la maison d'enchères en ligne eBay, fait une analyse similaire. "Nous assistons à un transfert de pouvoir fondamental, dit-il. Partout, les gens se rassemblent en utilisant Internet et changent les activités dans lesquelles ils sont impliqués."

Il y a à peine dix ans, il fallait téléphoner à sa banque pour connaître l'état de son compte, timbrer une enveloppe pour envoyer du courrier et lire son quotidien ou regarder la télévision pour connaître les résultats des matches de football etles prévisions météorologiques.

Aujourd'hui, selon une étude du Pew Internet & American Life Project, deux Américains sur trois font cela bien plus vite en ligne. Ils étaient 58 millions en décembre 2004 à envoyer au moins un courriel par jour et 35 millions à avoir fait de l'Internet leur principale source d'information.

Quelque 2 milliards de recherches sont effectuées chaque mois via Google; dans le même temps, le site de son concurrent Yahoo! est consulté par 345 millions de personnes. Près de 1 milliard d'êtres humains ont accès au réseau.

La partie émergée de l'iceberg de la nouvelle économie est le commerce en ligne. Deux entreprises, eBay et Amazon, ont fait de l'Internet une part grandissante du commerce mondial. Les ventes en ligne aux Etats-Unis ont atteint, en 2004, 6,5% du chiffre d'affaires du commerce de détail. Selon Forrester Research, ce taux pourrait atteindre 13% en 2010. La communauté des utilisateurs d'eBay dans le monde représente 157 millions d'individus, dont 500 000 aux Etats-Unis en ont fait leur principale activité professionnelle. La valeur des enchères sur eBay devrait atteindre 45 milliards de dollars (36,6 milliards d'euros) cette année.

Sur un modèle de commerce plus classique, Amazon compte 41 millions de clients dans sept pays. La musique en ligne et le piratage ont explosé, mettant à mal les maisons de disques. Légal et payant, l'Apple Music Store a vendu plus de 500 millions de chansons en deux ans. Dans le domaine de l'information, Internet menace la suprématie et l'avenir des médias traditionnels, notamment écrits.

UNE NÉCESSITÉ

La partie la moins visible des transformations, celles qui affectent le fonctionnement des entreprises, leur organisation, leurs stratégies, est sans doute la plus lourde de conséquences. Les sociétés peuvent aujourd'hui à la fois s'adresser au monde et s'adapter localement à chaque marché. La concurrence en est décuplée.

La capacité à recueillir, à traiter et à exploiter l'information, à travailler en réseau, à servir de manière personnalisée ses clients, tout en tirant parti des avantages d'une production à grande échelle, devient une nécessité pour rester compétitif. L'utilisation de supports électroniques pour les échanges d'information entre fournisseurs, sous-traitants, clients, prestataires de services et organismes financiers s'est généralisée.

Cela se traduit par une accélération sans précédent des gains de productivité. Entre les années 1970 et 1990, la productivité du travail aux Etats-Unis a augmenté en moyenne de 1,4% par an. A partir de 1995, elle s'est accrue de 2,5%, et de 4% depuis 2001.

Le centre de recherche du MIT (Massachusetts Institute of Technology) sur la nouvelle économie souligne les stratégies très différentes d'entreprises. Certaines se contentent de supprimer certaines tâches. D'autres, celles qui réussissent le mieux, changent totalement leur organisation et donnent les informations et les responsabilités nécessaires aux salariés pour qu'ils puissent à tout moment reprendre le contrôle.

La preuve de la foi retrouvée dans la nouvelle économie se trouve dans le retour des utopies. Dans son numéro d'août consacré aux "Dix ans qui ont changé le monde", le magazine Wired constate avec satisfaction que "moins de la moitié du Web est commercial, le reste fonctionne avec la passion". Il prend pour exemple le phénomène des blogs, dont 50 millions "sont apparus presque instantanément et n'ont aucune logique économique".

Yochai Benkler, professeur à l'université Yale, spécialiste de l'économie des réseaux, estime que la collaboration en ligne crée un nouveau mode de production différent de la relation traditionnelle entre les entreprises et le marché. Il prend pour exemple les logiciels libres, le partage de données en ligne et les millions d'appréciations portées par les consommateurs et accessibles sur les sites. "Le rôle économique du comportement social devient plus important", souligne-t-il.

Eric Leser
Article paru dans l'édition du 19.08.05


Le Monde / Sciences
Rico, le chien auquel il ne manque que la parole

 S i, comme le prétendait Jacques Lacan, "l'inconscient est structuré comme un langage", quel psychanalyste animalier accouchera la psyché de Rico, un colley élevé en Allemagne dont le vocabulaire atteint 200 mots ? Ce chien, qui a fait un pas important vers le monde des hommes, est-il menacé de dédoublement de personnalité ? Le psychologue expérimental Paul Bloom (Yale University) voit, en tout cas, en lui un "nouveau chimpanzé" dans la mesure où ses talents lexicaux en font l'égal des primates non humains.

Né en décembre 1994, l'animal possède un répertoire d'une étendue inédite pour un canidé, même s'il s'applique principalement à des jouets d'enfant et des balles, qu'il est capable de rapporter correctement. Une équipe, de l'Institut Max-Planck d'anthropologie de l'évolution de Leipzig, a étudié ses performances et tente d'en cerner les mécanismes.

Juliane Kaminski a découvert Rico grâce à une émission de télévision, très populaire outre-Rhin, intitulée "Parions que...". "Le pari en question était qu'il serait capable de retrouver 80 objets par leur nom. Ce qu'il a fait", se souvient cette spécialiste du comportement animal qui a immédiatement contacté ses maîtres.

Ceux-ci entraînaient Rico depuis l'âge de dix mois, ayant pris l'habitude de placer trois joujoux différents dans diverses pièces de leur appartement et de demander au jeune chien de rapporter l'un d'eux. Quand il y parvenait, il obtenait une récompense. Il leur suffisait de répéter le nom de l'objet deux ou trois fois pour que Rico le retienne. "Quand il a maîtrisé dix mots, nous avons décidé d'arrêter, car ça nous semblait déjà beaucoup, se souvient Susanne Baus, la maîtresse de Rico. Mais ça a continué, car Rico amusait toute la famille, les amis et les voisins. Tous apportaient de nouveaux jeux quand ils nous rendaient visite."

Pour évaluer ses dons, la famille de Rico a accepté de le confier aux scientifiques. "Sans s'en rendre compte, sa maîtresse donnait, en fait, beaucoup d'indices corporels au chien, comme de pointer des objets du doigt, par exemple", se souvient Juliane Kaminski. Il lui a donc été demandé de rester dans une pièce séparée de celle où Rico devait aller chercher un objet désigné parmi une dizaine de jouets familiers. Rico restait tout aussi performant. "En fait, il n'obéit pas seulement aux ordres de sa maîtresse mais à quiconque prononce correctement les mots qu'il connaît", précise Juliane Kaminski.

Au cours de cette phase de l'expérience, l'animal a rapporté 37 des 40 objets qui lui étaient réclamés. Au final, "l'étendue de son vocabulaire est comparable à celle d'animaux entraînés à des tâches langagières comme les singes, les dauphins, les lions de mer et les perroquets", indique l'équipe de Juliane Kaminski.

Mais Rico se distingue par sa faculté à apprendre rapidement de nouveaux termes. Dans une seconde phase expérimentale, il devait rapporter soit des objets qu'il connaissait déjà, soit un objet nouveau qu'on venait de lui désigner par son nom. A nouveau, Rico s'est montré particulièrement efficace, saisissant l'objet demandé dans sept cas sur dix. Sans doute procédait-il par exclusion. "Soit parce qu'il savait que les objets familiers avaient déjà un nom ou qu'ils n'étaient pas nouveaux", avancent les chercheurs allemands.

Quatre semaines plus tard, ceux-ci ont encore compliqué la tâche en plaçant un des objets que Rico n'avait vu et entendu nommer qu'une seule fois, au milieu de quatre de ses jouets familiers et de quatre autres entièrement nouveaux. Ils lui ont d'abord demandé de rapporter un objet connu, puis celui aperçu un mois auparavant. Il a réussi cette épreuve trois fois sur six, un niveau "comparable aux performances d'un enfant de 3 ans", assure l'équipe de Leipzig. Mais moins bonne que celle d'un enfant de 9 ans, capable, lui, d'intégrer dix nouveaux mots par jour, pour en posséder jusqu'à plus de 50 000 à la fin de sa scolarité...

Comment expliquer ce phénomène ? L'une des hypothèses était que Rico était un chien exceptionnel. "Mais, depuis la publication de nos résultats en 2004, nous avons reçu de nombreux témoignages de performances similaires et nous avons pu tester d'autres chiens qui réussissent effectivement aussi bien", précise Juliane Kaminski. Reste à découvrir les fondements de cet apprentissage particulier.

Pour sa consoeur américaine Irene Pepperberg, qui étudie la communication entre espèces avec son perroquet Alex, l'étude de Rico est "très intéressante, mais préliminaire". "Il faudrait savoir s'il comprend le sens des termes qu'il a acquis, indique-t-elle. Il peut considérer que le mot "balle" fait référence à celle qui se trouve dans sa boîte de jouets, mais on ignore encore s'il peut étendre ce concept aux ballons de plage, aux balles de ping-pong, etc. Alex peut faire ce genre de transfert."

Juliane Kaminski entend bien creuser la question. Certains chiens d'aveugle sont entraînés à répondre à des commandes comme "trouver les escaliers". "Ils l'apprennent avec un seul escalier et sont ensuite capables de généraliser cette connaissance à tous les escaliers du monde, rapporte la chercheuse. Je présume que ces chiens ont donc un concept/catégorie évoquant l'escalier. Mais cela reste effectivement à tester."

Un point essentiel pour Paul Bloom qui considère que Rico et ses pareils, contrairement aux petits enfants, qui effectuent naturellement ce type de généralisation, se situent dans un tout autre registre. Celui de l'action de "rapporter" qui a servi à sélectionner des générations de chiens depuis la domestication du loup, dans l'est de l'Asie, il y a quinze mille ans.

Une expérience conduite par plusieurs collègues de Juliane Kaminski à l'Institut Max-Planck de Leipzig, publiée dans Science en 2002, a montré que les chiots interprètent correctement les signaux humains leur indiquant la position de nourriture cachée, parmi deux emplacements possibles – que l'expérimentateur touche la bonne cache, qu'il la pointe du doigt ou se contente de la regarder. Les primates non humains, mais aussi les loups, même "domestiqués", en sont incapables.

Les auteurs de l'étude en concluaient qu'"au cours du processus de domestication les chiens ont été sélectionnés pour favoriser une série de facultés sociales et cognitives qui leur permettent de communiquer avec les humains selon des modalités uniques". Peut-être la performance de Rico s'inscrit-elle dans cette lignée. Elle continue à buter, entre autres, sur la limite que les meilleurs amis des chiens connaissent bien. Il ne leur manque que la parole.

Hervé Morin
Article paru dans l'édition du 19.08.05


Le Monde / Sciences
Vinciane Despret, philosophe et ethnopsychologue belge
"Communiquer, c'est un acte social"

 P ourquoi n'avait-on pas étudié plus tôt les compétences linguistiques des chiens ?

En fait, on l'a déjà fait mais c'était toujours suspect. Le premier exemple est Van, le chien de Sir John Lubock. Vers 1880, ce banquier et naturaliste avait écrit un article dans la revue Nature intitulé "Apprendre la conversation aux animaux". Il décrivait comment il avait disposé des cartons imprimés avec les mots "nourriture", "os", "eau", "dehors" à chaque fois que ces actions étaient réalisées.
Après un mois de travail, le chien demandait lui-même à sortir, avoir de l'eau, etc. La suspicion, c'était que Sir John envoyait des indices à son chien, comme ce fut le cas avec Clever Hans, un cheval, célèbre il y a un siècle, dont on croyait qu'il savait compter en tapant du sabot alors qu'il se fondait sur l'attitude de l'assistance pour frapper le bon nombre.
La plupart des études sur les chiens ont été disqualifiées de cette façon. Ce qui en ressortait, c'est qu'ils avaient des capacités extraordinaires à discriminer les indices: le comportement humain est impossible à contrôler parce que les chiens perçoivent des choses que les humains eux-mêmes ne décodent pas: posture, respiration, relâchement des muscles, odeurs. Ainsi, on a constaté que les chiens détecteurs de mines étaient capables de trouver des engins dont ils ne pouvaient objectivement pas connaître la position. On suppose qu'ils décelaient, chez les prisonniers utilisés pour déminer, des indices qui leur permettaient de savoir où étaient les pièges.
De plus, les chiens chercheurs de mines ont des performances différentes si leur maître a peur ou non. Dans les écoles pour chien d'aveugle, un même animal a des comportements très différents selon la personne à laquelle il est associé.

Rico peut-il être un "descendant" de Hans le cheval ?

Dans la mesure où le maître n'est pas dans la pièce, on élimine l'effet Clever Hans, l'influence par des indices subtils. Mais on peut trouver des similitudes. Ce sont des êtres de très grand talent. La psychologie s'est longtemps intéressée à des "quiconque": un rat, on le numérote pour le protocole, sans faire attention à sa biographie. Alors que Rico est unique au monde.
Tout comme Alex, le perroquet de la psychologue américaine Irene Pepperberg. On savait que les perroquets parlent, mais les scientifiques pensaient qu'ils ne savaient pas ce qu'ils disaient. Irene Pepperberg a montré que, dans un environnement qui les intéresse, ils peuvent même faire des catégories abstraites; on peut demander à Alex lequel, parmi des objets, est rose et carré. Il trouve la solution.
Cette branche de la psychologie commence à chercher du talent, des êtres d'exception. Mais elle reste suspecte: elle est anecdotique, pas répétable, ce qui est gênant selon les canons expérimentaux.

Quels enseignements tirer de ces observations ?

Ça pose la question: "Qu'est-ce que communiquer ?" On considère généralement que c'est un transfert d'information. Or c'est avant tout un acte social qui ne se résume sans doute pas, pour le chien, à une traduction lexicale du type tel mot signifie telle chose. Il est inséparable de la relation.
Irene Pepperberg estime que les compétences ne peuvent s'acquérir que dans un contexte pertinent: peut-être que, pour un chien, faire des associations entre des mots et des objets n'a pas beaucoup de sens, si ce n'est en passant par une association dans laquelle le chien est à son affaire, c'est-à-dire chercher des objets.

La domestication pourrait alors avoir un rôle...

Il est fort possible que la sélection ait joué et, certainement, la sélection humaine. Par rapport au loup, le chien peut transférer la compétence de rechercher en acceptant que quelqu'un d'autre le lui demande. Les chiens, quand ils arrivent dans une maison, cherchent ce qu'on attend d'eux: bébé, consolateur, gardien, protecteur d'enfant... Aller chercher fait partie des compétences que les humains ont sélectionnées.

Quel est le rôle de la motivation ?

On ne peut enseigner quelque chose à un animal si on ne lui donne pas l'appétit d'apprendre. Pour Alex le perroquet, Irène Pepperberg s'est appuyée sur la jalousie et le sens de la rivalité de l'animal: il suffit d'introduire un autre humain dans l'apprentissage pour que le perroquet jaloux veuille le devancer. Cela suggère que la maîtresse de Rico a su lui donner le goût d'apprendre sans recourir uniquement à la nourriture.

Comment interpréter la compétence de Rico ?

Certains éthologues considèrent que pour les animaux, le monde existe dans l'action. Les objets existent si l'on peut agir sur eux. En fait, deux mondes se sont croisés: le monde d'action du chien et notre monde de langage. Les auteurs de l'étude cherchent chez le chien l'origine du langage chez l'homme. Ce faisant, ils ratent peut-être quelque chose. Notre langage est hérité de milliers d'années d'évolution, le chien l'apprend et le greffe partiellement sur sa propre histoire constituée d'action. Rico va nous apprendre beaucoup sur les humains en révélant peut-être qu'ils communiquent une foule de choses à leur insu.

Propos recueillis par Hervé Morin.
Article paru dans l'édition du 19.08.05


Le Monde / Sciences
Des chercheurs ont guéri des brûlures sur des enfants avec des cellules foetales

 U n groupe de médecins et de chercheurs suisses a expliqué, jeudi 18 août, sur le site de la revue médicale britannique The Lancet. comment il est parvenu à guérir huit enfants souffrant de brûlures graves à partir de cellules prélevées sur un foetus.

Dirigés par le professeur Patrick Hohlfeld (département de gynécologie-obstétrique, hôpital universitaire de Lausanne), ces chercheurs ont, dans un premier temps, constitué une banque de cellules cutanées à partir d'un prélèvement effectué sur un foetus âgé de 14 semaines après interruption médicale de grossesse. La femme concernée avait, par écrit, donné son accord à l'équipe pour qu'une biopsie cutanée soit pratiquée sur ce foetus à des fins de recherche à visée thérapeutique.

A partir d'un unique prélèvement d'une surface de 4 cm2 de peau, les chercheurs suisses sont parvenus à obtenir, in vitro, une spectaculaire prolifération de cellules cutanées foetales. Ayant recours à une matrice de collagène d'origine équine, ils ont parallèlement mis au point, à partir de ces cellules, un procédé de mise en culture leur permettant de disposer de plusieurs millions de "lambeaux cutanés" d'une centaine de centimètres carrés chacun.

Plusieurs centaines de ces lambeaux ont été utilisées pour traiter un groupe de huit enfants (âgés de 1 à 8 ans) victimes de brûlures importantes du deuxième et du troisième degré, d'origine accidentelle.

EFFET SPECTACULAIRE

L'application de ces lambeaux, renouvelée tous les trois ou quatre jours sur ces lésions, a permis d'obtenir une guérison spectaculaire des huit enfants en moins de trois semaines.

Les chercheurs suisses estiment apporter la démonstration que ce procédé pourra, à l'avenir, utilement se substituer à la procédure actuellement en vigueur – efficace mais beaucoup plus lourde – qui consiste à pratiquer des autogreffes de tissus cutanés prélevés sur des zones indemnes de brûlure.

"Il ne s'agit pas ici d'une forme de greffe mais, plus exactement, d'une forme de pansement biologique qui permet de stimuler très rapidement la reprise de la multiplication naturelle des cellules de la peau des patients, précise le professeur Hohlfeld. De ce fait, nous n'observons aucun effet secondaire de type immunologique."

Pour sa part, The Lancet prend soin de préciser que deux des huit auteurs de cette publication ont, d'ores et déjà, déposé un brevet protégeant les applications pratiques qui pourraient résulter de cette découverte.

Publiée après l'affaire de la découverte, au début du mois d'août, des corps de foetus et d'enfants mort-nés au sein de l'hôpital Saint-Vincent-de-Paul à Paris, cette avancée thérapeutique vient, à sa manière, relancer la controverse sur l'usage qui peut ou non être fait des restes d'enfants à naître qui, faute d'un développement suffisant, n'ont pas respiré et ne disposent actuellement d'aucun véritable statut juridique. A la demande du premier ministre, le Comité national consultatif pour les sciences de la vie et de la santé a été saisi de cette question.

Les chercheurs suisses précisent, quant à eux, que le prélèvement de cellules cutanées foetales auquel ils ont procédé peut, dans leur pays, être assimilé à une forme de don d'organe.

Jean-Yves Nau
Article paru dans l'édition du 19.08.05


Le Monde / Sciences
La première photographie, grâce à la faible luminosité d'une naine brune

La première image d'une exoplanète prise en 2004 et annoncé au milieu de cette année par l'European Southern Observatory (ESO) a fait grand bruit dans le milieu de l'astrophysique. | GAMMA/CNRS
GAMMA/CNRS
La première image d'une exoplanète prise en 2004 et annoncé au milieu de cette année par l'European Southern Observatory (ESO) a fait grand bruit dans le milieu de l'astrophysique.

 L a première image d'une exoplanète, annoncée au milieu de cette année par l'European Southern Observatory (ESO), a fait grand bruit dans le milieu de l'astrophysique. Tous les mondes extérieurs détectés jusqu'à présent l'ont été de manière indirecte, en observant la perturbation qu'ils engendrent sur l'étoile qu'ils contournent.

Fin avril, une équipe internationale franco-américaine, dirigée par l'astrophysicien Gaël Chauvin (ESO, Chili), confirmait, en effet, l'image qu'elle avait prise en 2004 concernant un corps céleste dénommé 2M1207b. Ce dernier est situé à 230 années-lumière de la Terre et orbite autour d'une naine brune (une étoile avortée).

La détection de la planète avait été réalisée, en 2004, avec le NACO du Very Large Telescope du Chili, dont l'optique adaptative réduit les distorsions liées aux perturbations atmosphériques. Pour éviter toute ambiguïté, les chercheurs ont réalisé des observations complémentaires qui ont confirmé les premiers résultats. Ils ont notamment éliminé l'hypothèse d'un objet d'arrière-plan (situé plus loin que la naine brune, mais se trouvant par hasard dans sa direction).

Les couleurs infrarouges et les données spectrales de la planète indiquent la présence de molécules d'eau et permettent d'évaluer sa masse, équivalant à 5 fois celle de Jupiter. Mais il faudra du temps pour étudier son mouvement orbital car les scientifiques estiment sa période à 2 500 ans environ... La planète se situe, en effet, à 55 unités astronomiques de son étoile, ce qui représente deux fois la distance de Neptune au Soleil. "C'est la première fois que nous découvrons une exoplanète aussi éloignée d'une étoile ou d'une naine brune", explique Gaël Chauvin. Une naine brune est une étoile avortée dont la masse est insuffisante pour démarrer des réactions nucléaires. Peu lumineuse, elle a rendu possible la prise de vue de sa planète.

"En raison de ses particularités, la planète géante 2M1207b ne s'est probablement pas formée de la même manière que celles de notre système solaire, ajoute l'astrophysicien. Il est vraisemblable qu'elle a été créée, comme le Soleil, par l'effondrement gravitationnel d'un nuage de gaz et de poussières."

Peu après sa première photo, la même équipe a réédité l'exploit en découvrant un objet en orbite autour de la jeune étoile AB Pictoris, et dont la masse équivaut de 13 à 14 fois celle de Jupiter, ce qui pose un problème de nomenclature. Selon l'Union astronomique internationale, la masse d'une planète ne doit pas dépasser 13,6 fois celle de Jupiter. Au-delà, il s'agit d'une naine brune, catégorie de corps céleste détectée en 1995.

Christiane Galus
Article paru dans l'édition du 20.08.05


Le Monde / Sciences
Dix ans de découvertes de planètes extrasolaires
La première image d'une exoplanète prise en 2004 et annoncé au milieu de cette année par l'European Southern Observatory (ESO) a fait grand bruit dans le milieu de l'astrophysique. | GAMMA/CNRS
GAMMA/CNRS
La première image d'une exoplanète prise en 2004 et annoncé au milieu de cette année par l'European Southern Observatory (ESO) a fait grand bruit dans le milieu de l'astrophysique.

 E n 1995, deux astrophysiciens suisses de l'observatoire de Genève, Michel Mayor et Didier Queloz, faisaient sensation en annonçant la découverte de la première planète extérieure au système solaire. Elle orbitait autour de l'étoile 51 Pégase b, située dans la constellation de Pégase, à 40années- lumière de la Terre. Depuis cette date mémorable, 162 planètes ont été mises en évidence dans la Voie lactée (voir le site http://www.obspm.fr/encycl/f). Pour célébrer ces dix années de recherches qui ont révolutionné les connaissances sur les systèmes planétaires, un colloque international doit se tenir à l'observatoire de Haute-Provence, du 22 au 26 août.

Corot, chercheur de planètes telluriques

La communauté scientifique internationale attend beaucoup du satellite Corot, réalisé sous la maîtrise d'oeuvre du Centre national d'études spatiales (CNES). La case d'équipement et la caméra de l'engin ont été livrées, fin juin, par les équipes de l'observatoire de Paris à Meudon. Conçu par plusieurs laboratoires français, l'Agence spatiale européenne et plusieurs pays (Allemagne, Autriche, Belgique, Brésil, Espagne), le satellite, dont le budget est de 150 millions d'euros, devrait être lancé, durant l'été 2006, depuis la Russie.

Corot a deux objectifs. Il doit d'abord détecter la vibration des étoiles, semblables à celles du Soleil, pour comprendre leur structure interne. Ensuite, il cherchera des planètes telluriques analogues à la Terre hors de notre système solaire, en utilisant la méthode du transit. L'engin observera 50 étoiles pour étudier la sismologie stellaire et 60 000 pour détecter les exoplanètes. Les scientifiques espèrent détecter plusieurs dizaines de planètes extérieures lors de cette mission, qui durera deux ans et demi.

Détecter des mondes extérieurs constituait un vieux rêve de l'humanité. Déjà, il y a vingt-trois siècles, Epicure écrivait dans sa Lettre à Hérodote: "Les atomes étant en nombre infini, il n'est rien qui fasse obstacle à l'infinité des mondes." Mais il faudra attendre la fin du XXe siècle pour détecter de nouveaux mondes et aller de surprise en surprise. "Personne ne s'y attendait. explique Didier Queloz. Nous avions sélectionné 150 étoiles non binaires relativement brillantes et observables à partir du télescope de 193 cm de diamètre de l'observatoire de Haute-Provence. Notre objectif était de rechercher de grosses planètes orbitant loin de leur étoile. Or, à notre grand étonnement, nous avons détecté un gros corps gazeux qui faisait le tour de son étoile en 4 jours, contre 11 ans pour Jupiter autour du Soleil."

Personne, dans la communauté des astrophysiciens, ne s'attendait à un tel cas de figure, confirmé, ensuite, à maintes reprises. A tel point qu'on a même découvert une planète orbitant autour de son étoile en 1,2 jour... Ces planètes géantes gazeuses très proches de leur étoile ont reçu le nom de "Jupiters chauds" par opposition à notre Jupiter froid. "Ces astres étranges sont situés à une distance de leur étoile qui varie entre 0,23 unité astronomique (UA) et 4 à 5 UA (1 UA égale 150 millions de kilomètres, soit la distance de la Terre au Soleil)", précise Alain Lecavelier des Etangs, à l'Institut d'astrophysique de Paris (IAP).

THÉORIE DE LA MIGRATION

Il a bien fallu trouver une explication à l'existence de tels corps, "pour lesquels il n'y a pas d'équivalent dans le système solaire", explique Michel Mayor. Les astrophysiciens ont ainsi élaboré la théorie de la migration. Au départ, le principe de la formation du système planétaire est similaire au nôtre. D'un immense nuage de poussières et de gaz interstellaires se crée, par effondrement, une étoile entourée d'un disque de matière. Dans ce dernier s'agglomèrent peu à peu des planétissimaux, qui donneront naissance aux planètes.

Mais, "pendant les premiers 10 millions d'années de vie de l'étoile, période au cours de laquelle se forment les planètes géantes, une interaction de gravité se produit entre ces dernières et le disque de matière. La planète migre alors très vite (en moins de 100 000 ans !), en spirale, de l'extérieur du système planétaire vers l'étoile. Et, apparemment, rien ne peut l'empêcher d'être engloutie", ajoute Alfred Vidal-Madjar (IAP). Néanmoins,"on se demande comment certains Jupiters chauds ont survécu. Et pourquoi notre Jupiter n'a pas migré plus près du Soleil".

"BESTIAIRE INIMAGINABLE"

Les découvertes planétaires qui ont suivi ont encore bouleversé lesschémas connus. Alfred Vidal-Madjar et son équipe ont ainsi détecté, en 1999, une planète géante gazeuse, Osiris, si proche de son étoile qu'elle perd 10 000tonnes d'hydrogène par seconde (Le Monde du 6 février 2004). A terme, il ne subsistera que le coeur de la planète. Alain Lecavelier des Etangs suggère que de nombreux résidus rocheux planétaires pourraient ainsi peupler les abords des étoiles (Pour la science, août 2005).

Autre surprise: dans la revue Nature du 14 juillet, Maciej Konacki, astrophysicien du California Institute of Technology (Etats-Unis), a annoncé la découverte d'une planète géante gazeuse installée dans un système stellaire composé de trois étoiles. Cette configuration inexplicable pour l'instant suscite l'étonnement des spécialistes. Car elle n'a jamais été constatée à ce jour, bien que 20 des planètes extrasolaires détectées tournent autour d'un système d'étoiles doubles.

En dix ans, "on a découvert un bestiaire inimaginable et très diversifié de planètes extrasolaires, complètement différent de ce que l'on pouvait imaginer", confirme Alfred Vidal-Madjar. Ainsi, un grand nombre de planètes extrasolaires sont installées sur des orbites allongées, contrairement à celles, presque circulaires, du système solaire. "On a aussi constaté que 10% des étoiles possédaient des planètes et que, plus elles contenaient d'éléments lourds, plus elles avaient des chances de posséder des plan ètes." Tous les espoirs sont donc permis, car "on n'a, pour l'instant, sondé que la banlieue du Soleil", précise Alain Lecavelier des Etangs.

La chasse aux nouveaux mondes, d'abord abandonnée à quelques chercheurs farfelus, mobilise aujourd'hui de nombreuses équipes internationales. "C'est une aventure extraordinaire qui continue. Nous sommes dans le domaine de la passion et de l'aventure scientifique", jubile Didier Queloz.

Après la mise en évidence de grosses planètes gazeuses, tous les efforts portent maintenant sur la recherche d'astres similaires à la Terre. Des équipes ont découvert récemment trois petites exoplanètes dont la masse est de 15 à 20 fois celle de la Terre. Tandis que l'équipe de Geoffrey Marcy (professeur d'astronomie à l'université de Californie à Berkeley) vient d'observer la plus petite exoplanète connue à ce jour: sa masse équivaut à 7,5 fois celle de la Terre, et elle orbite à une distance de 0,02 UA autour de l'étoile Gliese 876.

A terme, les astrophysiciens veulent étudier la composition de l'atmosphère de ces planètes soeurs de la Terre pour y détecter la présence de méthane et d'eau. Car la question ultime, qui taraude tout le monde, est de savoir s'il existe de la vie ailleurs que sur notre planète. La réponse arrivera peut-être entre 2015 et 2025, grâce aux progrès de l'instrumentation et aux différents satellites dédiés à cette recherche.

Christiane Galus
Article paru dans l'édition du 20.08.05


Le Monde / Sciences
La précision des instruments joue un rôle décisif

 M ichel mayor et Didier Queloz insistent sur le rôle d'Elodie dans leurs travaux. Ce spectroscope "nous a en effet permis de faire une découverte capitale avec le petit télescope de 193 cm de diamètre de l'observatoire de Haute-Provence", atteste Michel Mayor, alors que des prédécesseurs malheureux et des équipes concurrentes n'y étaient pas parvenus.

Le spectrographe est un outil capital dans la technique de détection par vitesse radiale des étoiles. Il décompose la lumière de ces astres et produit de fines raies noires inégales semblables à un peigne édenté. Ces raies sont caractéristiques des éléments chimiques qui composent l'atmosphère stellaire.

Lorsque l'étoile se déplace dans l'espace en s'éloignant de nous, ces raies sont décalées vers les plus grandes longueurs d'onde (vers le rouge). Si elle vient vers nous, les raies sont décalées vers le bleu. Lorsqu'une planète orbite une étoile, le spectre de cette dernière se modifie régulièrement et avec une sorte de "balancement".

Cette technique de la vitesse radiale des étoiles a été dévelop-pée initialement par les Canadiens Bruce Campell et Gordon Walker. Mais leurs recherches ne leur ont pas permis à l'époque de découvrir des planètes extrasolaires. Alors que la réalisation du spectrographe Elodie par l'opticien André Baranne "a permis de détecter des mouvements à des vitesses de 10 à 15 m/s, au lieu de 250 m/s précédemment, précise Michel Mayor. Depuis, Elodie a été encore améliorée, et la précision a été portée à 6 m/s".

En octobre 2005, l'observatoire de Haute-Provence devrait être équipé du spectrographe Sophie. Plus stable, il permettra d'observer par vitesse radiale des déplacements à des vitesses inférieures à 3 m/s et des planètes extrasolaires de petite masse équivalant à 15 fois la Terre. Dans l'hémisphère Sud, le spectrographe Harps, qui a été installé au foyer du télescope de 3,6mètres de l'ESO (European Southern Observatory), percevra, quant à lui, des mouvements ne dépassant pas 1 m/s.

Un autre moyen utilisé par les astrophysiciens pour détecter de nouveaux mondes consiste à observer les transits planétaires. Lorsqu'une planète passe devant une étoile, elle provoque une atténuation de la lumière en provenance de l'étoile parente. Cette trace permet de la détecter. Le premier transit fut observé, en 2000, par David Charbonneau (Harvard Smithsonian Center for Astrophysics, Etats-Unis).

QUÊTE DES MONDES EXTÉRIEURS

Depuis, plus d'une centaine de candidates ont été identifiées par cette méthode. Un groupe de chercheurs polonais a engrangé les résultats les plus spectaculaires avec le télescope de l'observatoire de Las Campanas, au Chili, explique Claude Bertout, de l'Institut d'astrophysique de Paris, dans son ouvrage Naissance et évolution des systèmes planétaires (éd. Flammarion). "En nous renseignant sur le diamètre et la densité des planètes, les transits ont confirmé l'existence et le caractère planétaire des Jupiters chauds, dont certains doutaient", ajoute Claude Bertout. La mission américaine Kepler, qui doit être lancée en juin 2008 et qui utilisera la méthode du transit, devrait apporter son lot de découvertes.

Dans leur quête des mondes extérieurs, les scientifiques envisagent aussi de développer la technique de l'astrométrie. Ce procédé permet de connaître le mouvement (et non plus la vitesse) et les positions des étoiles dans le ciel. Le premier instrument d'astrométrie dédié à la recherche des exoplanètes, Prima, sera installé sur le Very Large Telescope Interferometer de l'European Southern Observatory (ESO) au Chili.

Prima servira à préparer la mission d'astrométrie du satellite Gaia que doit lancer l'Agence spatiale européenne en 2011. Destiné à réaliser une carte en trois dimensions de la galaxie, Gaia devrait avoir la capacité de détecter de nombreux nouveaux systèmes planétaires extrasolaires.

Christiane Galus
Article paru dans l'édition du 20.08.05


Le Monde / Carnet
Disparition
Kees Mok

 K ees Mok, linguiste néerlandais, grand connaisseur de la littérature occitane, est mort vendredi 12 août à Leyde (Pays-Bas). Il était âgé de 80 ans.

Né Quirinus Ignatius Maria Mok, le 30 juillet 1925 à Amsterdam, Kees Mok y fait ses études supérieures de français, qu'il suit à la Sorbonne.

Enseignant à l'université d'Amsterdam dès 1955, il y est nommé maître de conférences en 1968, année de publication de sa thèse consacrée à l'"Etude des catégories morphologiques du genre et du nombre dans le français parlé actuel". De 1971 à 1988, il occupe la chaire de linguistique romane à l'université de Leyde.

Kees Mok met à profit, depuis 1955, ses séjours réguliers en Périgord, Languedoc et Provence, pour approfondir sa connaissance directe de l'occitan contemporain. Il prolonge ainsi ses travaux sur la langue d'Oc médiévale (notamment son Manuel pratique de morphologie d'ancien occitan ) par de nombreuses enquêtes de terrain et consacre divers articles à certains aspects grammaticaux des écrits de Jasmin, Alphonse Daudet, Jean Boudou, Max Rouquette et Bernard Manciet.

Nommé en 1978 chevalier de la Légion d'honneur au titre de son action en faveur du maintien des études françaises aux Pays-Bas, Kees Mok a été, en 1981, cofondateur, et administrateur, puis secrétaire général (1984-1990), enfin président (1990-1993) de l'Association internationale d'études occitanes (AIEO,) qui rassemble plus de quatre cent cinquante spécialistes de vingt-cinq nationalités et dont le VIIIe congrès international se réunira à Bordeaux du 12 au 17 septembre.

Article paru dans l'édition du 21.08.05


Le Monde / International
Reprise des évacuations forcées à Gaza

 R eprenant leurs évacuations forcées après la pause de samedi pour cause de sabbat, les forces israéliennes ont contourné dimanche matin une barricade en flammes et pénétré à l'intérieur de la colonie de Katif, l'une des quatre de la bande de Gaza où se trouvent encore des réfractaires.

La confrontation couve entre les centaines de jeunes ultras, venus renforcer les dizaines de familles de colons toujours présentes, et les soldats sans armes dépêchés pour vider cette colonie de ses habitants.

Les occupants de Katif ont mis le feu à des ballots de foin, à des pneus et à des planches à l'entrée principale de Katif. Des dizaines de soldats ont contourné l'obstacle et sont entrés en franchissant une barrière non loin de là. Une épaisse fumée noire s'élève dans le ciel.

Un colon de Katif, Haïm Ben-Arieh, a dit espérer une intervention divine pour empêcher l'évacuation: "Le grand miracle peut se produire, ici à Katif, avec l'aide de Dieu".

Sur les 21 implantations juives progressivement construites dans la bande de Gaza depuis 1967, quatre n'ont toujours pas été totalement abandonnées par leurs habitants.

"CIMETIÈRE DES OPPRESSEURS"

Les unités israéliennes, composées de soldats non armés, doivent se rendre également dimanche dans la colonie d'Atzmona, autre communauté agricole, où vit une centaine d'habitants. Elles interviendront également dans la petite implantation de Shalev, déjà quasiment désertée, avant de se tourner mardi vers la dernière colonie de ce territoire, Netzarim, bastion isolé de juifs ultras situé à proximité de la ville de Gaza.

Devant une habitation d'Atzmona, les opposants au retrait ont érigé un petit cimetière factice, en carton, qu'ils ont baptisé le "cimetière des oppresseurs". Deux des fausses tombes portent le nom, d'une part de Hitler, d'autre part de Yasser Arafat.

Plus de 85% des 8.500 colons ont quitté ou ont été évacués de la bande de Gaza, mais les récalcitrants ont reçu le soutien de plusieurs centaines de manifestants, souvent jeunes, qui n'ont pas hésité à affronter les forces de l'ordre lors des évacuations forcées.

La mise en oeuvre du plan de retrait du Premier ministre Ariel Sharon a été deux fois plus rapide que les projections du gouvernement. Deux des quatre colonies de Cisjordanie concernées par le projet doivent cependant encore être évacuées et l'armée s'attend à un baroud d'honneur des ultranationalistes à Sanur et Homesh, en raison de la signification religieuse prêtée à ces implantations.

En accord avec l'Autorité palestinienne, les forces israéliennes doivent également commencer ce dimanche la démolition complète des maisons désertées de la bande de Gaza, territoire densément peuplé où les Palestiniens souhaitent construire des immeubles.

Avec Reuters
LEMONDE.FR | 21.08.05


Le Monde / Opinions
Edito du Monde
Des avions plus sûrs

 L a sécurité des avions peut paraître bonne avec seulement 1,5 accident par million de décollages ou atterrissages. A l'évidence, elle n'est pourtant pas à la mesure du développement de ce moyen de transport de masse.

Si les taux des accidents ont été divisés par 30 depuis 1960, le nombre des victimes reste, lui, égal, bien que fluctuant selon les années, autour de
1 000 par an, du fait de l'accroissement de la taille des appareils et du trafic. La profession ne doit plus se retrancher derrière la comparaison avec l'automobile qui ne tient pas pour des raisons à la fois d'évidence (un avion est piloté par un autre, qui est professionnel) et psychologiques.

En réalité, comme l'écrit fort justement le rapport parlementaire établi sous la direction d'Odile Saugues (député PS du Puy-de-Dôme) après l'accident de Charm el-Cheikh, l'aviation commerciale n'a pas encore adopté "une culture de sécurité" adaptée à la mondialisation et au boom du trafic.

Il faut aller plus loin dans l'exigence des normes techniques ainsi que dans les contrôles, et surmonter, avec détermination, les barrières diplomatiques et bureaucratiques qui bloquent l'actuel système de contrôle international établi sous l'égide des Etats et de l'OACI (Organisation de l'aviation civile internationale).

Le problème est celui des Etats défaillants, une trentaine dans le monde, qui, faute de moyens ou de volonté, immatriculent des compagnies sans vérifier suffisamment leurs appareils selon les exigences de l'OACI. L'Europe effectue quelques contrôles de ces compagnies étrangères dans ses aéroports, mais cela ne suffit pas.

Pour aller plus loin, la France propose de rendre publics ces contrôles et de labéliser les bonnes compagnies (Label bleu). Jacques Barrot, commissaire européen aux transports, veut, pour sa part, inverser la logique et publier la liste noire des mauvaises compagnies, comme le fait déjà, de son côté, le Royaume-Uni. Il a raison.

L'élaboration de cette liste constituera un bon moyen de forcer les pays membres jusqu'ici réticents, comme Chypre, à se mettre enfin au niveau communautaire. Les passagers et les tour-opérateurs qui, parfois, ignorent sur quelle compagnie s'effectuera le vol, seront incités à le demander pour que s'établisse enfin la transparence indispensable.

Cette liste doit relever non plus d'une entente entre les 25 pays membres mais d'une autorité communautaire qui s'impose aux Etats. Il sera ainsi possible de dépasser, à l'échelle européenne d'abord, le système international actuel qui laisse le pouvoir aux seuls Etats.

Les statistiques sont claires: pour l'essentiel, les accidents proviennent de ces Etats défaillants. La communauté internationale doit prendre les moyens de contraindre les compagnies de ces pays à se soumettre aux normes techniques de l'OACI ou bien les interdire de vol international. Au-delà, la mondialisation aérienne soulève la question de la création d'une autorité mondiale dotée de pouvoir de coercition.

Article paru dans l'édition du 23.08.05


Le Monde / Sports
De nouvelles accusations de dopage visent Lance Armstrong

 À  peine retiré de la compétition, l'Américain Lance Armstrong voit sa légende une nouvelle fois éclaboussée par des soupçons de dopage. Les accusations sont portées, cette fois, par L'Equipe. Selon le quotidien sportif français daté du mardi 23 août, des analyses effectuées par un laboratoire français sur des échantillons d'urine congelée démontrent que le vainqueur de sept Tours de France consécutifs aurait utilisé de l'érythropoïétine – plus connue sous le nom d'EPO – lors de sa première victore dans la Grande Boucle en 1999. Cette hormone de synthèse, qui augmente le nombre de globules rouges, améliore l'oxygénation des muscles et procure un gain de performance pouvant aller jusqu'à 30%

Les tests de dépistage de cette substance n'étaient pas encore au point en 1999 et n'ont été utilisés qu'à partir de 2000 aux Jeux de Sydney et l'année suivante sur le Tour de France. Le laboratoire de Châtenay-Malabry a effectuédes analyses à partir de 2004, qui ne visaient pas a priori à incriminer le champion américain.

Réalisées sur des échantillons prélevés en 1998 et 1999 – à une époque où l'utilisation de l'EPO était pratique courante dans les pelotons –, elles devaient simplement permettre au laboratoire, pionnier dans la détection d'EPO, d'affiner ses méthodes de repérage de l'hormone. Les tests ont d'ailleurs été réalisés sur des échantillons qui n'étaient pas nominatifs. Mais comme le montre L'Equipe, documents à l'appui, les numéros des échantillons analysés correspondent à ceux des contrôles effectués sur le champion américain.

Les résultats obtenus par le laboratoire sont accablants. Des traces d'EPO ont été trouvées dans six échantillons d'urine prélevés sur le champion américain à six dates différentes sur le Tour 1999, le premier que remporta Lance Armstrong. "Bien sûr, il ne s'agit pas d'un contrôle positif au sens réglementaire du terme", souligne le journal, qui fait valoir qu'il ne s'agissait pas de prendre des sanctions, mais que l'affaire pourrait néanmoins avoir des suites, l'Agence mondiale antidopage (AMA) étudiant la possibilité d'éventuels recours juridiques. Le dossier, poursuit L'Equipe, pourrait également être transmis à son pendant américain l'Usada, qui a montré lors de l'affaire Balco que des athlètes pouvaient être sanctionnés même sans avoir été au préalable contrôlés positifs.

"JOURNALISME À SCANDALE"

Lance Armstrong, après sa lutte victorieuse contre un cancer des testicules et son retour dans les pelotons, s'est toujours défendu, tout au long de ses sept succès dans le Tour de France, d'avoir utilisé un quelconque produit dopant malgré les suspicions et les accusations à répétition qui l'ont visé. A une seule reprise, le champion américain avait été contrôlé positif, lors du Tour 1999, mais avait été blanchi après que son équipe l'US Postal eut produit un certificat médical montrant qu'il avait utilisé une pommade pour soigner une douleur à la selle contenant un corticoïde interdit.

Le coureur a réagi à ces accusations sur son site Internet affirmant n'avoir "jamais pris de drogues favorisant la performance", qualifiant de "journalisme à scandale" les accusations de dopage du quotidien français L'Equipe mardi. "Encore une fois, un journal européen rapporte que j'ai été contrôlé positif à des drogues favorisant la performance". "L'édition de demain (mardi) de L'Equipe, un quotidien sportif français, rapporte que mes échantillons de 1999 étaient positifs. Hélas, la chasse aux sorcières continue et l'article de demain n'est rien d'autre que du journalisme à scandale".

Le journal admet même dans son propre article que la méthode scientifique en question ici est défaillante et que je n'ai aucun moyen de me défendre,rsuit le Texan. Ils disent: il n'y aura donc aucune contre-expertise ni poursuites réglementaires, au sens strict, puisque les droits de la défense ne peuvent être respectés". "Je répèterai simplement ce que j'ai dit à maintes reprises: je n'ai jamais pris de drogues favorisant la performance", conclut-il.

Pour sa part, Jacques de Ceaurriz, le directeur du laboratoire qui a décelé la présence d'EPO, a estimé, mardi matin, qu'il n'y a aucun doute possible sur la validité du résultat, bien que l'analyse ait été réalisée cinq ans après le prélèvement. "Nous n'avons aucun doute sur la validité du résultat", a déclaré le Dr de Ceaurriz du laboratoire de Châtenay-Malabry, en banlieue parisienne, "dans un tel échantillon, soit l'EPO se dégrade, et devient indétectable, soit la protéïne reste en l'état".

Avec AFP
LEMONDE.FR | 23.08.05 | 09h04


Le Monde / Opinions
Edito du Monde
Le mensonge

 L ance armstrong a remporté le Tour de France, cette année, comme il l'avait fait lors des six éditions précédentes. Un mois après cette victoire, alors que le coureur américain a annoncé sa retraite et qu'il s'adonne à la promenade en VTT avec son ami le président George W. Bush, des documents viennent mettre au jour des pratiques peu conformes à l'éthique sportive.

S'appuyant sur les résultats d'analyses du Laboratoire national antidopage de Châtenay-Malabry, recoupés par des documents officiels, le quotidien L'Equipe du mardi 23 août affirme que l'homme à l'éternel maillot jaune a menti.

Lors de la Grande Boucle de 1999, celle qui suivait l'"affaire Festina" et qui devait marquer le "renouveau" du cyclisme, Lance Armstrong a consommé de l'EPO. Des produits dopants ont été retrouvés dans les urines du Texan lors de six étapes de ce Tour qui l'a fait entrer dans la légende.

A l'époque Le Monde écrivait: "Sauf catastrophe, Lance Armstrong remportera cette année le Tour. Trois ans après avoir guéri d'un cancer (...), le coureur américain a survolé la Grande Boucle, ne donnant jamais l'impression de pouvoir être inquiété par ses adversaires. Cette supériorité suffirait-elle à jeter le doute sur sa performance et à faire soupçonner une pratique de dopage ? Pour l'heure, rien ne permet d'affirmer que Lance Armstrong a eu recours à des substances non autorisées. Certes il a utilisé, pour soigner une dermatite allergique, une pommade à base de glucocorticoïdes, mais l'on ne saurait ici parler de pratique illicite..." Dans la caravane comme chez les coureurs, ces réserves avaient été peu appréciées, et nos envoyés spéciaux sur l'épreuve devaient faire montre de patience face à un milieu prompt à se défendre. Armstrong lui-même affirmait, en juillet 1999, n'avoir rien à cacher et ne pas utiliser de produits type EPO. Il s'en prenait même violemment au "journalisme de ragots" qui, selon lui, tentait de le discréditer.

Informer, tel était notre rôle. Expliquer, au fil des années qui ont suivi ce premier sacre sur les Champs-Elysées, tous ces liens étranges qui existaient entre le coureur et un médecin italien condamné pour fraude sportive. Donner la parole à ses compatriotes, qui, comme Greg LeMond, émettaient des doutes sur la réalité de ses performances. Raconter les étranges histoires d'un ancien assistant ou d'une soigneuse évoquant des pratiques peu orthodoxes.

Aujourd'hui, des preuves du mensonge du recordman des victoires sont publiées. Celui qui se voulait le héros du Tour chute. Il n'est plus le champion extraordinaire que d'aucuns voulaient voir.

Dans le cyclisme, le dopage a existé et existe sans doute toujours. Des athlètes de haut niveau n'hésitent pas à chercher des substances qui leur permettent d'améliorer leurs performances. Il faut dénoncer inlassablement cette pratique, malgré ses complexités et l'inventivité des laboratoires. Parce que c'est une tricherie sportive et parce qu'elle a des effets désastreux sur la santé des sportifs.

Article paru dans l'édition du 24.08.05


Le Monde / Sports
Un faisceau de présomptions

 D epuis sa première victoire dans le Tour de France, en 1999, de nombreuses interrogations entourent les performances de Lance Armstrong.

Une hormone non décelée. Le 8 octobre 1996, le coureur américain annonce qu'il souffre d'un cancer du testicule. Il explique alors que sa maladie a été détectée à la suite d'un dosage anormalement élevé d'hormones gonadotrophines chorioniques (hCG).

Sa maladie, telle qu'il l'a décrite lui-même, était, lors de sa détection, à un stade avancé de type III. Or l'hormone révélatrice sert à des fins dopantes, et est censée être détectée lors des contrôles antidopage. Durant la période concernée, les contrôles réalisés sur le coureur américain n'avaient pourtant rien révélé de particulier. Soit ils ont été inefficaces, et jettent un doute sur la crédibilité des performances du coureur, soit leurs conclusions ont été étouffées (Le Monde du 19 juillet 1999).

Des cancérologues dubitatifs. Après un cancer du testicule, avec métastases au cerveau et au poumon, opérations et chimiothérapie, peut-on retrouver la plénitude de sa condition physique d'avant la maladie, peut-on même améliorer ainsi considérablement ses performances ? Des cancérologues, tel Thierry Bouillet (Le Monde du 5 juillet 2003), émettront des doutes sur le sujet.

Un contrôle positif. Juillet 1999. L'année de sa première victoire dans le Tour de France, Lance Armstrong subit un contrôle positif à la triamcinolone acétonide, un corticoïde (Le Monde du 21 juillet 1999). L'affaire est classée par l'Union cycliste internationale (UCI), qui explique que l'Américain avait "utilisé de la pommade Cemalyt afin de traiter une dermatite allergique -une maladie de la peau- ", et qu'il bénéficiait d'une "prescription médicale".

Une ancienne soigneuse, Emma O'Reilly, affirmera plus tard dans L. A. Confidentiel, un livre du Français Pierre Ballester et du Britannique David Walsh, paru en France avant le Tour 2004, que ce justificatif thérapeutique a été rédigé après le contrôle positif. En outre, toujours selon la soigneuse, l'Américain n'aurait jamais utilisé ce produit.

La Cemalyt aurait dû en tout cas faire l'objet d'une demande d'autorisation d'importation auprès de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps). Selon cette agence, "aucu ne autorisation d'importation n'a été délivrée à l'US Postal pour la Cemalyt pour le Tour de France 1999".

Une enquête contre l'US Postal. Le 22 novembre 2000, une information judiciaire contre X... visant l'équipe de Lance Armstrong, l'US Postal, soupçonnée d'avoir usé de produits dopants, est ouverte par le parquet de Paris.

Cette procédure fait suite à la découverte d'emballages d'Actovegin, un fluidifiant du sang, dans les poubelles de l'équipe américaine, par des journalistes de France 3, le 18 juillet, durant le Tour.

L'Actovegin, qui sera, à partir de décembre 2000, classé parmi les produits dopants, peut être associé à la prise de produits comme l'érythropoïétine (EPO), dont il compense les effets secondaires.

Un équipier qui accuse. Le coureur néo-zélandais Stephen Swart, qui a côtoyé Lance Armstrong chez Motorola au milieu des années 1990, laisse entendre dans L. A. Confidentiel que l'Américain avait recours à l'EPO lorsqu'ils étaient coéquipiers.

Un compatriote qui doute. Greg LeMond, le premier Américain à avoir remporté le Tour de France (à trois reprises), émet des doutes sur les performances de Lance Armstrong. " Il n'y a pas de miracle dans le vélo. Il y a toujours une explication". explique notamment l'ancien équipier de Bernard Hinault, dans Le Monde du 16 juillet 2004.

Un médecin condamné pour exercice illégal. En octobre 2004, le médecin italien Michele Ferrari est condamné pour fraude sportive et exercice illégal de la profession de pharmacien. Or, il est de notoriété publique que Lance Armstrong fait appel aux services de l'Italien.

Un ancien assistant qui parle. Mike Anderson a été pendant deux ans l'assistant personnel du coureur américain. Il affirme n'avoir aucun doute "sur le fait que Lance Armstrong a utilisé des produits interdits pour gagner le Tour de France" (Le Monde du 13 juillet).

Olivier Zilbertin
Article paru dans l'édition du 24.08.05


Le Monde / Sports
Lance Armstrong a utilisé de l'EPO en 1999

 L' américain Lance Armstrong a utilisé un produit dopant pour remporter le Tour de France 1999, le premier de ses sept Tours victorieux. Le quotidien sportif L'Equipe le révèle, dans son édition du mardi 23 août.

Le journal s'appuie sur des analyses effectuées récemment par le Laboratoire national de dépistage du dopage (LNDD) de Châtenay-Malabry (Hauts-de-Seine). Des traces "caractéristiques, indiscutables, et conséquentes" d'érythropoïétine (EPO), selon L'Equipe. ont été retrouvées dans les urines du coureur américain.

Un produit qui améliore le transport de l'oxygène

Initialement destiné aux insuffisants rénaux ou aux patients souffrant de graves anémies, l'usage de l'érythropoïétine (EPO) artificielle, commercialisée depuis 1983, a vite été détourné à des fins de dopage, défrayant notamment la chronique sportive lors du Tour de France 1998, avec l'affaire Festina. L'EPO, produite naturellement par le corps, stimule la fabrication des globules rouges, qui transportent l'oxygène vers les organes. Une augmentation artificielle de l'hématocrite (le taux de globules rouges dans le sang) permet une amélioration sensible de la performance.

Depuis le 1er avril 2001, l'Union cycliste internationale a validé une méthode française, mise au point en 2000 grâce au travail de Jacques de Ceaurriz et Françoise Lasne, chercheurs du Laboratoire national de dépistage du dopage (LNDD), à Châtenay-Malabry (Hauts-de-Seine), qui permet de détecter la présence d'EPO artificielle dans les urines. Cependant, au bout de trois jours, la molécule devient indétectable, alors que ses effets durent deux à trois semaines. Seuls les contrôles inopinés sont donc aujourd'hui vraiment efficaces.

En 1999, Lance Armstrong avait porté le maillot jaune durant quinze jours, et avait donc été contrôlé à de multiples reprises. A l'époque, aucune méthode de détection de l'EPO dans les urines n'était encore validée ni disponible. Les premiers tests n'ont commencé qu'à partir des Jeux olympiques de 2000, à Sydney. En 1999, les coureurs n'avaient donc encore aucune raison de se méfier.

A partir de décembre 2004, comme le relate le quotidien sportif, le Laboratoire de Châtenay-Malabry, en collaboration avec l'Agence mondiale antidopage (AMA) et le ministère des sports, entreprend de contrôler les échantillons "B" du Tour de France 1999, avec les méthodes plus récentes de détection. Ces échantillons, congelés, sont conservés par le laboratoire.

L'opération ne vise alors nullement à confondre d'éventuels tricheurs, mais à peaufiner une méthode de contrôle a posteriori, mise au point par des chercheurs du LNDD.

En 2000, le laboratoire avait déjà travaillé sur les prélèvements du Tour de France 1998, celui de l'affaire Festina et des révélations sur la consommation d'EPO au sein du peloton. Ces travaux avaient été l'objet d'une publication par la revue scientifique britannique Nature. "Nous n'avons aucun doute sur la validité du résultat". a expliqué, mardi, Jacques de Ceaurriz, le directeur du laboratoire de Châtenay-Malabry. Cette fois, le LNDD avait relevé la présence d'EPO dans douze échantillons.

La procédure veut normalement que les échantillons transmis et conservés à Châtenay-Malabry restent parfaitement anonymes. Il faudra donc un recoupement entre les numéros des flacons et les procès-verbaux conservés notamment par le ministère des sports et la Fédération française de cyclisme pour aboutir à cette conclusion: six des prélèvements appartiennent à Lance Armstrong. Il s'agit des contrôles effectués sur l'Américain à l'issue du prologue du 3 juillet au Puy-du-Fou et après les 1re, 9e, 10e, 12e et 14e étape. Des résultats "confondants pour le Texan". écrit L'Equipe.

Mardi matin, le coureur américain a réagi à ces révélations par le biais d'un communiqué sur son site Internet. "Je n'ai jamais pris de drogue favorisant la performance, explique Lance Armstrong. (...) La chasse aux sorcières continue et l'article (...) n'est rien d'autre que du journalisme à scandale." Une ligne de défense habituelle, mais qui sera sans doute plus difficile à tenir désormais.

Certes, ainsi que le note d'ailleurs L'Equipe. les tests effectués par le laboratoire n'ont qu'un caractère expérimental, et n'ont donc pas la valeur juridique d'un véritable contrôle antidopage. Donald Manasse, l'avocat américain de Lance Armstrong, joint mardi matin, le constatait: "Je note qu'il est écrit noir sur blanc dans l'article en question qu e les droits de la défense ne peuvent être respectés dans cette affaire. Je les prends au mot. Les procédures doivent être respectées. Dans le cas contraire, ce genre d'article n'a aucune fiabilité. Ce ne sont pas les journaux qui font les procès, à ce que je sache. La présomption d'innocence est un principe juridique qu'il convient de respecter. Nous allons prendre en compte avec mon client les différents éléments du dossier, et nous déciderons ensemble de la suite à donner à cette affaire, s'il y a suite. Mais rien n'est encore décidé pour le moment."

L'Agence mondiale antidopage n'excluait, mardi, aucun recours éventuel devant des juridictions ad hoc.

Les révélations du quotidien sportif viennent s'ajouter au faisceau de présomptions qui n'ont cessé de s'accumuler dans le sillage des succès à répétitions de Lance Armstrong.

Joints mardi, ni Jean-Marie Leblanc, directeur du Tour de France, ni la Fédération française de cyclisme n'ont souhaité réagir aux accusations lancées contre Lance Armstrong.

"Je sais qu'un certain nombre ne supportaient pas que l'on doute, a déclaré de son côté Daniel Baal, ancien président de la FFC et membre de l'UCI. Aujourd'hui une réponse est donnée qui me semble scientifique, rationnelle et très difficile à contester. Le mythe n'a plus raison d'être."

Olivier Zilbertin et Guillaume Lainé
Article paru dans l'édition du 24.08.05


Le Monde / Sciences
Des robots remontent aux sources du langage

 U ne balle orange sépare deux robots-chiens Aibo qui effectuent une danse savante et coordonnée sur la moquette du Computer Science Lab (CSL) de Sony, à Paris. "Ils sont en train de s'initialiser". indique Luc Steels, directeur du laboratoire. Quand les deux créatures mécaniques auront fini de scruter leur environnement, elles pourront commencer un dialogue, par ondes radio, afin de s'accorder sur la position de la balle. Et émettre, à partir d'un registre limité de termes aléatoires et personnels, des propositions telles que "Vuzupu" pour désigner l'angle qui les sépare du ballon.

Maido et Gurby, les bavards virtuels

En plus des robots-chiens, le laboratoire CSL de Sony de Paris abrite des petites créatures numériques telles que Maido et Gurby, bavards impénitents. Conçues par Pierre-Yves Oudeyer, dotées d'un conduit vocal et d'oreilles – haut-parleur et microphone –, elles permettent de remonter aux origines non du langage ou des langues, mais de la parole. "Comment est-il possible qu'un système de sons puisse se former et se modifier au cours du temps alors qu'il n'y a pas de chef ?". s'interroge le chercheur, dont la thèse a reçu, en 2004, le prix Le Monde de la recherche universitaire.

La réponse est fournie par un simple jeu d'imitation: un locuteur émet un son aléatoire, l'interlocuteur tente de le reproduire. Chacun met à jour son répertoire. "Avec une dizaine d'agents et des répertoires vides au départ, on aboutit vite à une sorte d'autoprogrammation de 100 à 200 vocalisations". constate Pierre-Yves Oudeyer. Des "accents" apparaissent, et certaines contraintes de vocalisation ont fait se dégager les grandes tendances des langues du monde.

L'exercice sera répété des dizaines de fois, jusqu'à ce qu'émerge un même mot pour qualifier un certain état de la balle pour les deux Aibo. "Ils deviennent capables de parler des trajectoires des ballons, mais jamais de façon exacte, en raison des incertitudes engendrées par leurs caméras et leurs capteurs". souligne Luc Steels. Cette incertitude, liée au fait de posséder un corps nécessairement imparfait, c'est l'un des secrets de la linguistique expérimentale et théorique – il préfère dire "dynamique sémiotique" – qu'il pratique depuis une dizaine d'années.

"Notre projet consiste à étudier comment des langues émergent à partir de jeux de langage appliqués à des agents qui peuvent être des robots ou des logiciels". résume-t-il. Le point de départ de ces expériences, baptisées "Talking Heads", était minimaliste: "Donner des noms à des choses dans un environnement." Deux agents-caméras regardent un même tableau et échangent à tour de rôle des termes pour désigner les formes géométriques qui y figurent. Lorsqu'ils sont identiques, la partie est gagnée et le mot accepté. Dans le cas contraire, les deux agents conservent en mémoire le terme utilisé par leur partenaire. C'est la répétition de ce processus des dizaines de milliers de fois, entre une multiplicité d'agents, qui permet progressivement de forger un vocabulaire commun. L'expérience, conçue par Frédéric Kaplan et pratiquée à distance via Internet, a été concluante.

Sous ses aspects ludiques – en 1999 et en 2000, elle a été conduite simultanément dans plusieurs musées et permettait aux visiteurs d'interagir avec les agents –, elle visait à tester quatre idées théoriques. La première était que la langue émerge à travers l'auto-organisation, du fait d'interactions locales entre les utilisateurs de cette langue. La deuxième est que le sens est construit lentement par chaque individu, à travers un processus cumulatif. La troisième hypothèse est qu'une métaphore écologique, avec ses processus d'adaptation et de sélection, est plus réaliste que celle de l'esprit ordinateur pour rendre compte des mécanismes cognitifs. Enfin, Luc Steels soutient que la grammaire non plus n'est pas innée, mais qu'elle est un produit de l'usage de la langue.

Ces conceptions vont à l'encontre des vues des innéistes, dont le plus célèbre est Noam Chomsky. Le chercheur américain postule l'existence d'une grammaire universelle, de structures innées commandant le langage. Luc Steels, qui fut son étudiant dans les années 1970 et n'est revenu à la linguistique qu'après un long détour par la robotique et l'intelligence artificielle, estime au contraire que le langage est un système adaptatif.

Certes, beaucoup d'éléments nécessaires au langage, comme la mémoire associative, sont innés, et sans eux ses agents seraient bien incapables de constituer un lexique et de l'échanger avec leurs pareils, reconnaît-il. Mais, avec quelques modules de base qui confèrent aux robots, en plus d'organes sensoriels, cette mémoire, la capacité d'adopter les termes proposés par autrui et de s'insérer dans une négociation, ceux-ci se montrent rapidement capables d'utiliser des mots, mais aussi des catégories, comme couleur, texture, longueur, largeur.

"Pour beaucoup, cela semble magique puisqu'au départ les robots n'ont pas de lexique commun". convient Luc Steels. Mais, en fait, ceux-ci parviennent peu à peu à s'entendre, en procédant à une sorte de découpage du réel – grand-petit, haut-bas, etc. La motivation de ces agents n'est pas la survie, mais le succès dans la communication et une dépense d'énergie minimale. Ils ne permettent pas de tester l'émergence du langage lui-même, mais de langues qui apparaissent éminemment évolutives. Qu'un certain nombre d'agents naïfs soient intégrés à une population de locuteurs stabilisés, et l'on verra apparaître, en quelques générations, de nouveaux termes dont certains s'imposeront avant qu'un nouveau lexique se stabilise.

Le chien Aibo s'est inséré naturellement dans ce programme de recherche, car sa mobilité permet de tester d'autres modules, comme la faculté à adopter le point de vue d'autrui: "Quand je dis à gauche, cela signifie à ma gauche. Mais si vous me faites face, cela voudra dire à votre droite. rappelle Luc Steels. Dans nos jeux de langage, ces notions émergent et subsistent."

Les dialogues des chiens mécaniques restent encore sommaires et un humain "naïf" serait bien incapable, sans le truchement des ordinateurs, de comprendre ce qu'ils se disent. Mais l'objectif n'est pas d'en faire des compagnons parlants.

"Il y a encore une différence énorme vis-à-vis des langues humaines". ne cache pas Luc Steels. L'exploit n'est cependant pas mince: le jeu de baballe de ses toutous mécaniques est devenu un révélateur d'une des facultés humaines les plus mystérieuses.

Hervé Morin
Article paru dans l'édition du 24.08.05


Le Monde / Sciences
"Les couleurs, ça se discute", affirment les automates

 D ans les forêts de l'Irian Jaya, le peuple Dani se contente de deux mots pour décrire le monde des couleurs. Pourtant, lorsqu'on demande à ses membres de mémoriser une teinte donnée sur une palette, ils se montrent aussi performants qu'un Occidental. Etudiés dans les années 1970, les Danis avaient apparemment apporté la preuve que la langue n'influence pas la perception et que les couleurs constituent, en fait, des catégories universelles.

"Pas si vite !". rétorquent Jules Davidoff (université de Londres) et deux collègues britanniques, qui ont reproduit l'étude conduite sur les Danis dans une autre tribu "de l'âge de pierre". les Berinmos de Papouasie-Nouvelle-Guinée. Ceux-ci n'ont que cinq mots de base pour désigner les couleurs, contre huit pour les Anglo-Saxons. Ainsi, "ils ne marquent pas la distinction entre le bleu et le vert, mais ils ont une frontière, entre leur "nol" -à cheval sur le bleu et le vert- et leur "wor" -qui couvre du vert, de l'orange et du marron-, qui n'existe pas en anglais", indiquaient les chercheurs britanniques dans un article publié dans Nature en 1999.

Les linguistes se sont précisément intéressés à ces frontières, grâce à des épreuves de mémorisation. Celles-ci consistent à présenter une couleur à un individu, puis à lui montrer deux échantillons et à lui demander de choisir lequel est le plus proche de celui qu'il a observé trente secondes plus tôt. Le résultat est éloquent: les Berinmos ont du mal à mémoriser et à distinguer les couleurs situées dans ce qui correspond au bleu et au vert des Occidentaux sur une palette chromatique standardisée. Mais ces chasseurs-cueilleurs parviennent sans difficulté à le faire lorsqu'elles se trouvent de part et d'autre de la frontière entre "nol" et "wor". Les résultats inverses étaient obtenus avec des cobayes anglais.

La conclusion rejoint l'hypothèse "relativiste" d'Edward Sapir (1884-1939) et son élève Benjamin Whorf, selon laquelle l'environnement façonne notre façon de parler du monde. L'exemple type étant les Inuits, dont le vocabulaire pour parler de la glace est d'une richesse effarante. La question étant de savoir si ce vocabulaire façonne en retour leur perception de leur environnement glacé. L'exemple des Berinmos semble apporter la preuve que la langue elle-même influence la catégorisation des couleurs, laquelle ne serait finalement pas universelle.

Le débat n'est cependant pas clos, certains s'interrogeant sur l'isolement génétique des Berinmos. Celui-ci n'aurait-il pu entraîner une dérive de leur perception visuelle ?

Les robots pourraient aider à trancher la question, comme l'indique un article de Luc Steels, directeur du laboratoire Sony à Paris, qui paraîtra à l'automne dans le journal Behavioral and Brain Sciences. Avec son collègue Tony Belpaeme, de l'Université de Bruxelles, il a mobilisé des populations d'automates parlants pour des jeux de discrimination et de "devinette".

Placés devant une palette, ils devaient d'abord former individuellement leur propre catégorisation, les frontières entre différentes couleurs du spectre. Ensuite, en couple, avec un locuteur et un "écouteur", ils devaient négocier sur la dénomination de certaines d'entre elles. Après de nombreuses interactions, un découpage linguistique assez homogène du monde chromatique a émergé. Mais l'introduction de nouveaux automates peut faire bouger ces frontières.

Ces modélisations ont permis de tester trois approches. La première, dite nativiste, postule que les êtres humains naissent avec des catégories perceptuelles identiques. Ils auraient simplement à apprendre de leurs parents le nom de chacune d'elles. La deuxième, appelée empirique, fait au contraire l'hypothèse que cette catégorisation reflète la structure "statistique" du monde dans lequel ils évoluent. Enfin, la position culturaliste voit dans le langage lui-même, à travers l'échange avec d'autres individus, un moyen de coordonner la catégorisation des perceptions.

Pour Luc Steels, c'est la troisième option qui semble la plus réaliste: "Cet apprentissage culturel conduit au développement d'un répertoire adéquat de catégories et de termes de couleurs qui sont partagées par les membres d'une même population, mais pas entre deux populations". conclut-il.

Pour le chercheur, même si le saut entre ses agents artificiels et le genre humain est délicat, ces modélisations appuient l'approche culturelle. "Je prends des positions fortes en ce se ns", indique-t-il. Car la question, qui s'inscrit dans le débat nature versus culture, est aussi éminemment politique. "Si l'on suit les innéistes, où tout est prédéfini, même la morale, on peut facilement glisser vers des thèses racistes ", prévient-il. De l'importance de discuter des goûts et des couleurs...

Hervé Morin
Article paru dans l'édition du 24.08.05


Le Monde / Sciences
Trois questions à... Bernard Victorri

 C hercheur au Laboratoire langues, textes, traitements informatiques, cognition (CNRS-ENS), vous êtes mathématicien de formation, passé à la linguistique. Qu'ont ces deux disciplines en commun ?
Au départ, la linguistique et l'informatique appartenaient à deux mondes séparés. Mais les informaticiens, qui voulaient modéliser les langues de façon parfois naïve, ont fait d'énormes progrès, ce qui a abouti à un changement d'état d'esprit des deux côtés. L'intérêt de l'informatique, c'est qu'elle permet, sur des systèmes simples, d'apporter la preuve qu'un mécanisme peut fonctionner dans telle ou telle condition. Pour simuler certains phénomènes, la robotique offre même une meilleure solution, parce qu'elle introduit de la variabilité du fait de l'imperfection physique des agents.

Quels types d'expériences peut-on faire sur la langue avec l'informatique ?
On peut, par exemple, étudier pourquoi il y a de la polysémie. Les mots prennent régulièrement des sens nouveaux, ils bougent. Pourquoi ? A priori, c'est une charge cognitive supplémentaire pour les locuteurs. Or ce sont les mots les plus fréquents qui ont le plus de sens possible. Grâce à des modèles informatiques, on montre qu'en fait la polysémie s'impose dès que les conditions des simulations sont suffisamment réalistes.
On peut aussi, comme Simon Kirby, de l'université d'Edimbourg, étudier la façon dont les grammaires ont pu émerger et évoluer. Par exemple, les langues n'emploient pas de la même façon les propositions relatives: toutes les langues qui disposent d'un pronom objet possèdent aussi un pronom sujet alors que l'inverse n'est pas vrai. Certaines ne diront pas "l'homme que j'ai vu", mais "l'homme qui a été vu par moi". Les pronoms apparaissent dans les langues dans l'ordre suivant: sujet, objet direct, objet indirect, circonstanciel, complément de nom, comparatif.
Kirby a montré, en faisant évoluer des générations d'agents locuteurs et apprenants, que ces "universaux implicationnels", comme les appellent les linguistes, émergent à partir de conditions très simples, sans qu'il soit nécessaire d'impliquer un mécanisme inné. Deux lois opposées, l'une portant sur la facilité de production par l'énonciateur et l'autre sur la facilité de compréhension par le récepteur, suffisent pour expliquer ce type de phénomènes.

Noam Chomsky ne se trouve-t-il pas contredit ?
C'est clair, le chomskysme est en passe d'être tranquillement dépassé. Chomsky a joué un rôle extrêmement important en opérant une coupure radicale avec une linguistique très descriptive, en affirmant que toutes les langues obéissent aux mêmes mécanismes syntaxiques, en postulant un organe du langage inné, une faculté spécifique à l'homme.
Or ce qui se dégage des travaux récents, en particulier les simulations informatiques, c'est qu'on peut aboutir à des grammaires "cognitives" qui font beaucoup plus de place au sens, sans recourir à des mécanismes innés.

Propos recueillis par Hervé Morin
Article paru dans l'édition du 24.08.05


Le Monde / Société
Des "bénévoles" autorisés à assister les chirurgiens au bloc opératoire

 P our les médecins, il s'agit d'une "très ancienne tradition". à laquelle est donnée aujourd'hui une "garantie supplémentaire de qualité"; pour les infirmières, ce sont des "mesures scandaleuses prises au mépris de la sécurité des patients".

La publication, le 10 août, d'un décret et d'un arrêté permettant à des personnes "bénévoles" d'exercer, dans les blocs opératoires des cliniques, les fonctions d'aides opératoires et d'aides instrumentistes auprès des chirurgiens a créé, lundi 22 août, une vive polémique dans le milieu médical.

Dénoncés par l'Association des enseignants et des écoles d'infirmiers de bloc opératoire (AEEIBO) et l'Union nationale des associations d'infirmiers de bloc opératoire diplômés d'Etat (Unaibode), ces textes régularisent la situation des femmes de chirurgiens qui assistent, hors de tout statut légal, leurs maris.

Dans le milieu médical, ce n'est un secret pour personne: certains chirurgiens exerçant dans le privé s'entourent, au bloc opératoire, de leurs secrétaires ou de leurs épouses, sans que ces collaboratrices aient reçu de formation pour exercer des actes de soin.

PROFESSION "BAFOUÉE"

Selon le Syndicat des médecins libéraux (SML), ces personnes, qui sont parfois amenées à intervenir directement sur le corps des patients, en refermant une paroi, par exemple, "ont acquis, de par leurs longues années de pratique, des connaissances réelles et un savoir-faire indiscutable". "Comme dans d'autres professions artisanales ou commerciales, les épouses faisaient l'assistance de leurs maris. explique le docteur Dinorino Cabrera, président du SML. Imaginer qu'elles sont incompétentes est ridicule: elles sont formées sur le tas et placées sous la responsabilité directe des praticiens."

Cette situation, qui n'a pas cours dans les hôpitaux publics, où toutes les personnes exerçant au bloc ont un diplôme d'infirmier, a perduré sans contrôle jusqu'à la fin des années 1990.

Souhaitant faire reconnaître leurs collaboratrices, notamment pour ne pas leur faire encourir de poursuites pour exercice illégal du métier d'infirmier, les médecins ont obtenu l'adoption par le Parlement, en 1999, d'un amendement officialisant la situation des personnes "salariées" de leur cabinet.

La loi prévoyait un contrôle des connaissances: 2 600 personnes se sont soumises, en 2003, à un examen national dénoncé par les syndicats d'infirmières. "L'examen s'est borné à un questionnaire fermé très succinct et le taux de réussite a frôlé les 99%. affirme Martine Reiss, présidente de l'AEEIBO. Par ailleurs, la loi prévoyait la mise en place d'une formation professionnelle obligatoire pour ces personnes, qui n'a jamais vu le jour."

Restait le cas des épouses, "bénévoles": c'est pour réparer cette "injustice". selon la SML, qu'un amendement a été ajouté à la loi de financement de la Sécurité sociale du 20 décembre 2004. Un nouveau contrôle des connaissances devrait concerner, selon le ministère de la santé, 300 à 400 personnes.

La situation est "scandaleuse" pour les infirmières diplômées d'Etat, qui estiment que leur profession, déjà confrontée à des difficultés de recrutement, "est de nouveau bafouée". "Cette décision est totalement contradictoire avec le renforcement de la qualité des soins et la lutte contre les infections nosocomiales. explique Mme Reiss. A titre d'exemple, les infirmières de blocs reçoivent 120 heures de cours d'hygiène, ces personnes aucune."

Estimant que ces textes contreviennent aux directives communautaires sur la formation minimale des infirmiers, l'AEEIBO et l'Unaibode devaient déposer, mardi 23 août, un référé en annulation devant le Conseil d'Etat, ainsi que, dans les jours qui viennent, un recours en excès de pouvoir.

Cécile Prieur
Article paru dans l'édition du 24.08.05


Le Monde / Société
L'antidépresseur Deroxat accusé d'inciter au suicide

 D ans son édition du lundi 22 août, le quotidien britannique The Times reprend, à la "une", les conclusions d'une étude médicale indiquant que les personnes traitées par la paroxétine (l'un des antidépresseurs les plus prescrits au monde, commercialisé en France sous le nom de Deroxat) seraient exposées à un risque élevé de mort par suicide. Ce travail, mené par un groupe de scientifiques norvégiens, vient d'être publié dans la revue médicale en ligne BMC Medicine. Il a été mené à partir des observations faites sur environ 1 500 personnes avant la commercialisation de ce médicament, au début des années 1990.

La multinationale pharmaceutique GlaxoSmithKline, qui commercialise le Deroxat, a vivement réagi à la publication de cette étude dont elle dénonce tant la méthodologie que les conclusions.

Pour l'heure, les autorités sanitaires britanniques et françaises estiment que les preuves scientifiques qui pourraient justifier le retrait de la paroxétine du marché ne sont pas réunies. Ce médicament avait été déconseillé chez les adolescents par l'Agence européenne pour l'évaluation des médicaments (EMEA), en décembre 2004 (Le Monde du 13 décembre 2004).

Commercialisé en France depuis 1992, le Deroxat est prescrit dans de nombreuses situations pathologiques parmi lesquelles les "épisodes dépressifs majeurs". les "troubles obsessionnels compulsifs" ou encore les "phobies sociales". Il fait partie d'une famille médicamenteuse qui, selon les spécialistes, a bouleversé la prise en charge des malades hautement dépressifs.

Jean-Yves Nau
Article paru dans l'édition du 24.08.05


Le Monde / Europe
Terrorisme: Londres publie une liste des comportements qui justifient une expulsion

 L ondres a précisé, mercredi 24 août, les nouvelles "règles du jeu" contre le terrorisme promises par Tony Blair, dressant la liste des "comportements inacceptables" qui pourront conduire à l'expulsion des imams extrémistes et autres figures de proue du "Londonistan". Ce programme sera mis en œuvre "très rapidement, dans les prochains jours", a affirmé le ministre de l'intérieur, Charles Clarke.

La liste de "comportements inacceptables au Royaume-Uni" comprend notamment le fait de "fomenter, justifier ou glorifier la violence terroriste", de "chercher à provoquer des actes terroristes" ou de "fomenter la haine pouvant mener à des violences entre les différentes communautés au Royaume-Uni"

Dix personnes paraissent déjà directement concernées: les dix étrangers arrêtés le 11 août pour "menace à la sécurité nationale". Parmi eux, Abou Qatada, considéré comme le chef spirituel d'Al-Qaida en Europe. Figure de proue du "Londonistan", la mouvance islamiste radicale installée dans la capitale britannique, ce Palestinien est à Londres depuis 1993, mais le ministère de l'intérieur n'a qu'un désir: le renvoyer vers son pays d'origine, la Jordanie. Restera à convaincre les juges que cette expulsion ne mettrait pas sa vie en danger.

SCEPTICISME DE KEN LIVINGSTONE

Si Charles Clarke a insisté sur le fait que l'intention du gouvernement n'était pas "d'étouffer la liberté d'expression ou le débat légitime sur les religions ou d'autres thèmes", tout le monde n'est pas convaincu.

Le maire de Londres, Ken Livingstone, a ainsi affirmé qu'il soumettrait ces nouvelles dispositions au "test Nelson Mandela": "Si ce texte avait été en place il y a vingt-cinq ans en Grande-Bretagne, les partisans de Nelson Mandela auraient-ils été expulsés de notre pays car ils soutenaient la campagne d'attentats à la bombe contre le régime raciste d'apartheid en place en Afrique du Sud ?", s'est-il demandé. "Si oui, alors le Parlement devrait s'insurger contre cette mesure", a-t-il insisté.

Pour M. Livingstone, les nouvelles dispositions entre les mains du ministre de l'intérieur ne devraient pas permettre d'interdire du territoire quelqu'un comme Youssef Al-Qardaoui, un influent religieux qatari d'origine égyptienne. Interdit de séjour aux Etats-Unis, Youssef Al-Qardaoui, 79 ans, a déjà effectué de nombreuses visites en Grande-Bretagne, mais il a suscité la polémique par ses propos justifiant les attentats-suicides en Israël. Si les nouvelles dispositions devaient viser des gens comme Al-Qardaoui, "il y aurait très peu d'imams ou de militants musulmans acceptés sur le territoire britannique, car la vaste majorité d'entre eux s'identifient avec le combat du peuple palestinien", a ironisé Ken Livingstone.

Avec AFP et Reuters
LEMONDE.FR | 24.08.05 | 15h12


Le Monde / Sports
Pendant le dernier Tour, la brigade des stupéfiants épiait Discovery Channel

 R attrapé par les analyses de ses prélèvements urinaires du Tour 1999, Lance Armstrong a échappé à une opération menée par la police française lors du dernier Tour de France. Cette opération, dont a été témoin Le Monde. a en effet eu lieu, lundi 18 juillet, à Pau, lors de la seconde journée de repos de la Grande Boucle 2005.

Pendant plus de douze heures, une demi-douzaine de policiers en civil, appartenant, selon nos informations, notamment, à la brigade des stupéfiants de Paris, a surveillé les va-et-vient autour de l'hôtel de la Discovery Channel. Comme à son habitude, l'équipe de l'Américain avait pris ses quartiers dans une résidence de luxe, la Villa Navarre, située légèrement à l'écart du centre-ville de Pau, à l'abri d'un grand parc et à l'unique entrée barrée d'un grand portail métallique.

D'abord dissimulés dans des véhicules banalisés, puis mélangés aux curieux venus guetter la sortie du maillot jaune, les enquêteurs avaient pour mission de tenter d'interpeller un présumé pourvoyeur de produits suspects.

Lors de la précédente journée de repos, le lundi 11 juillet, à Grenoble, un homme étranger à l'équipe américaine avait été photographié en train de pénétrer dans l'hôtel de la Discovery Channel avec une glacière. Orientés dans leurs investigations par leurs homologues italiens, les policiers français avaient été alertés que le même individu devait se présenter de nouveau à l'hôtel de la formation américaine lors de cette seconde journée de repos. Munis de la photographie du mystérieux homme, les policiers ont guetté. Apparemment sans résultat.

PLUSIEURS ANNÉES D'ENQUÊTES

La police française enquête sur le coureur texan depuis plusieurs années. Lors du Tour 2004, les fonctionnaires du groupe "surdoses et dopage" de la brigade des stupéfiants de Paris avaient interrogé Emma O'Reilly, une ancienne soigneuse personnelle de l'Américain.

Sur procès-verbal, l'Irlandaise avait confirmé toutes les informations qu'elle avait livrées à Pierre Ballester et David Walsh, les auteurs du livre-enquête L.A. Confidentiel, Les secrets de Lance Armstrong: le coureur américain, affirme-t-elle, lui avait demandé de se débarrasser d'un sac rempli de seringues après le Tour des Pays-Bas 1998, de lui maquiller le bras pour dissimuler des hématomes causés par les piqûres ou encore d'aller lui chercher en toute discrétion des médicaments au siège espagnol de l'US Postal, en 1999.

Peu après, les inspecteurs de la brigade des stupéfiants s'étaient rendus au tribunal de grande instance d'Annecy pour rencontrer le procureur de la République, Philippe Drouet. En janvier 2005, celui-ci a ouvert une enquête préliminaire sur les agissements d'un ostéopathe exerçant à Annecy. La police le soupçonne d'avoir joué un rôle dans un dispositif qu'auraient mis en place Lance Armstrong et son équipe pour échapper aux contrôles antidopage grâce à l'utilisation de produits masquants.

L'ostéopathe français affirme avoir seulement rencontré le Texan à deux reprises: une première fois en 2002, pour "des conseils nutritionnels". et à une seconde reprise lors du Tour du centenaire, en 2003, pour "des soins d'ostéopathie". Le Savoyard explique avoir connu le coureur par l'intermédiaire de son entraîneur, Chris Carmichael, lorsqu'il conseillait une équipe de VTT aux Etats-Unis. En 1997, un de ses protégés, le champion d'Europe 1995 de cross-country, avait été suspendu la veille des championnats du monde de VTT pour un hématocrite supérieur à 50%. Contacté par Le Monde. le parquet d'Annecy n'a pas souhaité faire de commentaire sur l'enquête en cours.

Quelques années auparavant, le 22 novembre 2000, la juge parisienne Sophie-Hélène Château avait ouvert une information judiciaire contre X... pour "infraction à la loi relative à la prévention de l'usage deproduits dopants, incitation à l'usage de produits dopants et infraction à la législation sur l es substances vénéneuses". Le 18 juillet 2000, lors de l'étape du Tour Courchevel-Morzine, des journalistes de France 3 avaient filmé le médecin et le chiropracteur de l'US Postal en train de se débarrasser de sacs-poubelle sur une aire d'autoroute. Les sacs renfermaient notamment des emballages d'Actovegin, un produit à base de sang de veau.

"CELUI QUI FOURNIT"

Sur commission rogatoire de la juge Château, le groupe "surdose et dopage" de la brigade des stupéfiants avait interrogé Johan Bruyneel et Luis Garcia del Moral, respectivement directeur sportif et médecin de l'US Postal. Sans résultat. Ils avaient également essayé de faire venir les coureurs quai des Orfèvres, pour pratiquer des prélèvements capillaires afin de rechercher la présence éventuelle de produits dopants. En vain.

Fin août 2002, la juge d'instruction avait rendu une ordonnance de non-lieu. "La situation des sportifs aux termes de la loi française exclut tout moyen de coercition à leur égard, avait alors précisé le procureur François Franchi, chef de la section de lutte contre la criminalité non organisée du parquet de Paris. Celui qui est visé par la loi est celui qui fournit les produits, pas celui qui les utilise."

Stéphane Mandard, Guillaume Prébois (à Milan) et Olivier Zilbertin
Article paru dans l'édition du 25.08.05


Le Monde / Sports
Jan Ullrich serait "très déçu" si l'affaire était "confirmée"

 L es révélations de L'Equipe. mardi 22 août, sur l'utilisation d'érythropoïétine (EPO) par Lance Armstrong pendant le Tour de France 1999 ne laissent pas indifférents le peloton des professionnels et le milieu du cyclisme. Déception, surprise, méfiance, toute la palette des sentiments est invoquée.

Sur le site Internet de son équipe T-Mobile, l'Allemand Jan Ullrich raconte ainsi comment, mardi matin, avant le départ de la 9e et dernière étape du Tour d'Allemagne, où il a finalement fini 2e derrière l'Américain Levi Leipheimer (Gerolsteiner), l'information "s'est répandue comme une traînée de poudre".

"Il est clair, prévient le vainqueur du Tour 1998, qui n'a pas couru l'édition 1999, que je serais très déçu si les informations contenues dans cet article étaient confirmées."

Parmi les anciens coureurs, nombreux sont ceux qui défendent le septuple vainqueur de la Grande Boucle. Ainsi du quintuple vainqueur belge du Tour, Eddy Merckx. "C'est du journalisme à sensation, affirme-t-il. Armstrong m'a toujours affirmé ne jamais s'être dopé. Entre [ce qu'écrit] un journaliste et la parole de Lance, je fais confiance à Armstrong. Par ailleurs, il faudrait lui donner la chance de se défendre. Or il semble qu'une contre-analyse ne soit pas possible. Cette histoire de 1999, c'est donc chercher midi à quatorze heures. Oui, je continue à faire confiance à Lance Armstrong."

La manière dont sont apparus les faits heurte aussi Marie-George Buffet, qui était ministre des sports en 1999. "J'avoue être un peu gênée de l'utilisation par L'Equipe de ces contrôles a posteriori, qui n'en étaient pas, puisqu'il s'agissait de recherche pour affiner encore la définition de l'EPO, parce qu'on dit ou on ne dit pas tout, et, selon le document, d'autres flacons sont concernés. Or on publie un seul nom". a-t-elle expliqué.

Pour l'actuel ministre, Jean-François Lamour, l'enseignement est ailleurs: "Je suis convaincu qu'il faut qu'il y ait une épée de Damoclès sur la tête de ceux qui veulent tricher et de ceux qui les aident à tricher". affirme-t-il. Et pour cela, constate-t-il, "il faut que nous soyons en capacité de recontrôler a posteriori un certain nombre de flacons".

(Avec AFP.)
Article paru dans l'édition du 25.08.05


Le Monde / Sports
En 1999, les doutes, déjà, et la légende du "miraculé"

 L' histoire était si belle. Dans ce Tour 1999, la victoire de Lance Armstrong sur ses adversaires et plus encore sur lui-même ne pouvait que susciter le lyrisme des ménestrels qui accompagnent chaque mois de juillet le peloton sur les routes de France. Le rescapé du cancer, à qui, fin 1996, les médecins ne donnaient qu'une chance de survie sur deux, remportait une des épreuves les plus dures du sport moderne: on était là dans la chanson de geste. Survenue dix ans plus tôt, une telle épopée aurait immédiatement figuré, bordée d'enluminures, dans la légende du Tour.

Mais 1999 venait après 1998, ce tour du déshonneur, avec arrivées d'étape au commissariat. Les verves s'étaient singulièrement émoussées à la lecture d'arides procès-verbaux. Le dopage avait inoculé le doute. "Cette année, je proscris les superlatifs". avait prévenu un chroniqueur désabusé comme qui décide d'arrêter de boire.

Les organisateurs savaient qu'ils risquaient gros dans cette 86e édition, qu'ils avaient baptisée "Tour du renouveau". "Le cyclisme a trois semaines pour se réhabiliter". assurait Jean-Marie Leblanc, directeur général de l'épreuve. Le peloton se fit donc exemplaire. Il n'était qu'une chose à reprocher aux héros en quête de rachat: leur refus obstiné de parler du dopage. Aborder le sujet aboutissait immanquablement à se retrouver avec un boyau arrière comme interlocuteur. Une chape était retombée sur le peloton.

DU DÉGOÛT, EN APARTÉ

Les faux-semblants auront duré jusqu'à la première étape de montagne, le 13 juillet, entre Le Grand-Bornand et Sestrières. Après avoir dominé le contre-la-montre, à Metz, et repris le maillot jaune, Lance Armstrong s'imposait sans le moindre stigmate d'effort. Lui qui n'avait jusque-là fait que de la figuration dans les gruppetti dès que s'élevait la route, terminait détaché sous l'orage.

Ce soir-là, trempés, humiliés, de nombreux coureurs exprimèrent leur dégoût en aparté. Mais aucun n'osa s'épancher publiquement. A Sestrières, Lance Armstrong n'avait pas seulement assis sa première victoire dans le Tour. Il avait également endossé un statut de patron qu'il défendra pendant sept ans.

Un seul homme bravait encore l'interdit: Christophe Bassons. Ce jeune coureur de La Française des jeux osait exprimer sans détour ses doutes. Dans les premiers kilomètres de l'étape suivante, Lance Armstrong se glissa à ses côtés. "Fous le camp !". lui intima-t-il. Deux jours plus tard, épuisé physiquement et moralement, las des invectives de cabots qui s'étaient trouvés un nouveau maître, Christophe Bassons abandonnait.

Le Tour du renouveau espérait une relève. Il avait éclos d'un revenant de 28 ans. La caravane regarda d'abord avec circonspection cette prise de pouvoir inattendue. Elle avalait mal les explications techniques fournies pour justifier la transformation du champion: perte de poids, accélération de la cadence de pédalage, effet de résilience, souci du détail, de la diététique et, bien sûr, travail acharné. On lui en avait déjà tellement servi, dans ce registre.

L'arrivée massive des médias américains, par l'histoire alléchés, ôta les inhibitions. Ces journalistes commencèrent à forger l'image du "miraculé" qui vaudra au champion un prestige inégalé dans son pays. A L'Alpe-d'Huez, le 14 juillet, un présentateur enthousiaste s'extasiait ainsi sur "l'homme qui avait sauvé le Tour de France". Les thuriféraires ont brodé de toutes pièces le mythe. Les suiveurs ont suivi. Et les superlatifs sont réapparus. La salle de presse, naguère solidaire, se divisa en deux camps irréductibles: les convaincus et ces fameux sceptiques que Lance Armstrong ne cessera de fustiger. Une fracture qui gagnera le public et perdurera sept ans. L'annonce par Le Monde. le 23 juillet, que Lance Armstrong avait été contrôlé positif aux corticoïdes ajouta au trouble. "Me traitez-vous de menteur ou de dopé, Mr Le Monde ?". lança Lance Armstrong à l'envoyé spécial de ce journal. Un opportun certificat médical, justifiant la prise d'une pommade, mit fin pour un temps à la polémique.

D'autres soupçons naîtront, les années suivantes, d'autres enquêtes, judiciaires et journalistiques, qui n'auraient sans doute jamais existé si le coureur avait atteint la gloire avant 1998. L'Amérique, elle, refusera systématiquement d'apporter le moindre codicille à son dithyrambe, faisant encore récemment de son héros un candidat potentiel à la présidence du pays. Ce ne sont pas les dernières révélations qui semblent vouloir la dessiller. L'histoire était si belle, il est vrai. Quel regret de ne pouvoir la croire !

Benoît Hopquin
Article paru dans l'édition du 25.08.05


Le Monde / Sports
Trois questions à... Dick Pound

 1 -  En tant que président de l'Agence mondiale antidopage (AMA), avez-vous le pouvoir de prendre des sanctions à l'encontre de Lance Armstrong dans cette affaire ?

Le code mondial antidopage prévoit que l'on peut disqualifier un sportif rétroactivement jusqu'à huit ans après qu'il a subi un contrôle positif. Le cas présent remonte à six ans. Mais, malheureusement, en 1999, le code mondial antidopage n'existait pas encore. L'AMA elle-même n'a été créée qu'en novembre 1999. C'est dommage, mais il est difficile d'assumer une juridiction rétrospectivement. C'est l'Union cycliste internationale (UCI) qui est la juridiction compétente.

2 - Mais pensez-vous que Hein Verbruggen, le président de l'UCI, aura la volonté de lancer des procédures disciplinaires à l'encontre du septuple vainqueur du Tour ?

Ce serait un coup encore plus dur pour le cyclisme si l'UCI ne prenait pas de sanction. Si les faits sont avérés – et apparemment tous les éléments nécessaires à prouver la culpabilité de Lance Armstrong sont réunis –, l'UCI ne peut pas rester sans rien faire.

Les résultats des analyses réalisées ont été envoyés au bureau de l'AMA, et nous sommes en train d'étudier les possibilités juridiques qui s'offrent à nous. Même si nous savons qu'il nous est difficile d'envisager une action, nous allons encourager la fédération internationale de cyclisme à agir.

3 - Avant le Tour 2004, Lance Armstrong vous avait adressé une lettre ouverte dans laquelle il mettait en cause votre place à la tête de l'AMA et affirmait sa probité, soulignant qu'il était le sportif le plus contrôlé au monde...

Ces nouveaux éléments montrent que ce n'est pas parce qu'un sportif affirme qu'il a été contrôlé 200 fois sans jamais avoir été contrôlé positif que cela signifie pour autant qu'il ne s'est pas dopé. Cette affaire montre en tout cas que n'importe quand, même quelques années plus tard, on peut rattraper les tricheurs.

Propos recueillis par Stéphane Mandard
Article paru dans l'édition du 25.08.05


Le Monde / Sports
Les révélations du quotidien sportif L'Equipe. mardi 23 août, sur l'utilisation d'érythropoïétine (EPO) par le septuple vainqueur américain du Tour de France, Lance Armstrong, ne concernent que sa première victoire, en 1999. Pourquoi si tard ? L'Américain peut-il être sanctionné ? Depuis, le cyclisme a-t-il changé ? Eléments de réponse.
L'impunité de Lance Armstrong en question

 P ourquoi les tests portent-ils sur les échantillons de 1999 ?

Au départ, il ne s'agissait que d'affiner une méthode de recherche de l'érythropoïétine (EPO) dans les urines. Pour ce travail de recherche, le laboratoire de Châtenay-Malabry (Hauts-de-Seine) a décidé d'analyser tous les échantillons "B" des tests antidopage effectués à l'occasion du Tour de France 1999. Ce choix a été dicté par plusieurs raisons: les échantillons de 1998 avaient déjà été utilisés, et ceux de 2000 sont toujours sous scellés, en raison d'une enquête judiciaire sur une affaire de dopage, concernant l'équipe US Postal de Lance Armstrong. Quant aux échantillons des années suivantes, ils présentent peu d'intérêt: les tests de recherche de l'EPO dans les urines ayant été utilisés sur le Tour à partir de 2001, les coureurs disposaient déjà des moyens de ne pas se faire prendre.

Les tests réalisés, comme tous ceux effectués par les laboratoires antidopage, sont anonymes. C'est le journal L'Equipe. en faisant le rapprochement avec les procès-verbaux rédigés à l'occasion des contrôles, en 1999, qui a abouti à la conclusion que Lance Armstrong a utilisé de l'EPO.

Durant ce Tour victorieux, Lance Armstrong avait porté quinze jours le maillot jaune et avait remporté quatre étapes. Il a donc été logiquement le plus contrôlé des coureurs de l'épreuve.

Pourquoi l'affaire n'est-elle publiée que maintenant ?

Pour expliquer la publication des informations près d'un mois après la fin du Tour de France, synonyme de retraite pour Lance Armstrong, Michel Dalloni, directeur de la rédaction de L'Eq uipe. revient sur la chronologie de l'enquête menée par le journal. "Damien Ressiot, l'un de nos journalistes, a eu vent il y a quelques mois du fait que le Laboratoire national de dépistage du dopage [LNDD] effectuait depuis la fin de 2004 des analyses sur des échantillons d'urine prélevés en 1999, qui donnaient lieu à des résultats étonnants, avec la découverte d'EPO". Le journaliste s'est alors attaché à se procurer les résultats des examens des échantillons anonymes, ainsi que les procès-verbaux rédigés lors des prélèvements en 1999.

"Obtenir ces documents et procéder à toutes les vérifications et les recoupements nécessaires a pris du temps, et n'a pu être complètement verrouillé que ces jours-ci", assure M. Dalloni.

Il ajoute que l'appartenance du quotidien sportif au groupe Amaury, dont une autre filiale, Amaury Sport Organisation (ASO), gère le Tour de France, n'a eu aucune influence sur la date de publication de cette enquête. "L'Equipe et ASO sont deux entreprises différentes, et le journal n'organise pas le Tour."

Que risque Lance Armstrong ?

Les tests réalisés par le LNDD sont fiables et ne laissent "aucun doute sur la validité du résultat", affirme le directeur du laboratoire, Jacques de Ceaurriz. Mais ce ne sont pas des contrôles antidopage officiels, qui permettent une contre-expertise. Une sanction paraît donc difficile à envisager.

Seule l'Union cycliste internationale (UCI) pourrait éventuellement en décider. "Dans ce cas seulement, en tant qu'organisateurs de l'épreuve, nous pourrions nous associer au pouvoir sportif, je ne sais pas encore sous quelle forme, a expliqué Jean-Marie Leblanc, directeur du Tour de France. En réclamant, par exemple, un déclassement."

Les révélations de L'Equipe ne seront cependant pas sans effet: elles devraient en particulier apporter un peu d'eau au moulin de la compagnie d'assurance texane SCA Promotions, avec laquelle le coureur est en conflit à propos d'une somme de 5 millions de dollars, que l'assureur refuse de lui verser pour sa victoire dans le Tour 2004. "Pour mes clients, c'est une preuve matérielle et plus seulement des suspicions, explique Me Thibault de Montbrial, qui défend les intérêts de la société en France. Lorsqu'il a signé le contrat en 2001 avec SCA Promotions, il leur a caché un élément essentiel: qu'il s'était dopée en 1999, poursuit l'avocat. Il n'a pas respecté la bonne foi contractuelle." Un procès est prévu fin 2006 au Texas.

Les contrôles antidopage sont-ils aujourd'hui fiables ?

Non reconnue lors du Tour 1999, mais validée par l'UCI le 1er avril 2001, la méthode mise au point par le laboratoire de Châtenay-Malabry est "extrêmement fiable, dans une fenêtre de détection comprise entre 48 et 72 heures après l'injection, alors que les effets se font sentir pendant deux à trois semaines", explique Michel Rieu, professeur des universités et conseiller scientifique du Conseil de prévention et de lutte contre le dopage (CPLD). "Le problème, ajoute-t-il, c'est que la méthodologie des sportifs pour contourner les contrôles s'est adaptée à cette nouvelle donne: en fonction des compétitions disputées, ils prennent pendant une courte période des doses élevées, puis un peu plus tard des "microdoses" difficilement décelables."

Lors du Tour 2005, 164 contrôles avaient été effectués, pour un seul cas litigieux, d'ailleurs classé sans suite par la commission antidopage de l'UCI. Pour Michel Rieu, la solution pour piéger les "tricheurs" serait de "multiplier les contrôles inopinés aux moments opportuns, c'est-à-dire à des moments où l'on sait que la cure d'EPO va être efficace pour la compétition à venir".

Service sports
Article paru dans l'édition du 25.08.05


Le Monde / Opinions
Edito du Monde
Le deuil martiniquais

 P our une fois, les habitants des départements français des Antilles ne se sont pas sentis oubliés par la métropole. De ce point de vue, l'hommage national organisé mercredi 24 août pour les victimes du crash aérien du 16 août, qui a fait 160 morts, dont 152 Français de Martinique, est comme le symbole d'un lien renouvelé, d'une forme de respect auquel les Martiniquais ont été d'autant plus sensibles qu'ils ne s'y attendaient peut-être pas.

Certes, il aura fallu des circonstances tragiques pour rapprocher la Martinique de la métropole. Mais, face à la catastrophe de l'avion de la West Caribbean, la France, sous l'impulsion du président de la République, a répondu "présent". Jacques Chirac, qui connaît bien l'outre-mer et y est populaire, a compris qu'en ces instants de douleur, la Martinique a besoin de la solidarité et même de l'affection nationales.

M. Chirac, qui participe lui-même à la cérémonie oecuménique organisée mercredi au stade Dillon de Fort-de-France, a envoyé au Venezuela, puis sur place, le ministre des DOM-TOM, François Baroin. En liaison constante avec l'Elysée, M. Baroin ne s'est pas contenté d'un déplacement ministériel éclair. Il est resté pendant une semaine.

L'amorce de polémique avec le président du conseil régional, l'indépendantiste Alfred Marie-Jeanne, n'a pas troublé cette atmosphère de cohésion nationale. Au contraire, même, puisque M. Marie-Jeanne devait accueillir M. Chirac à son arrivée en Martinique, ce qui était une première.

De leur côté, les Martiniquais ont renvoyé à la métropole une image de dignité, de cohésion et de solidarité. Dans un premier temps, l'ampleur du traumatisme subi par les Antillais a pu surprendre l'opinion dans l'Hexagone. C'était oublier qu'il faut rapporter le bilan des pertes à une population martiniquaise d'à peine 395 000 habitants. C'est un peu comme si, en métropole, un désastre avait provoqué d'un coup plus de 20 000 morts.

En outre, la Martinique est une petite communauté insulaire. Comme dans toutes les îles, les liens humains et familiaux, le sentiment d'appartenance à une même entité y sont plus forts que sur un grand continent. Les Martiniquais ont vécu leur deuil en conjuguant leur spécificité antillaise et leur appartenance à la nation française.

Au bout du compte, la catastrophe de Maracaibo aura sans doute resserré les liens entre la Métropole et ses lointains territoires des Caraïbes. Peut-on espérer que le choc aura été assez fort pour que ces sortes de retrouvailles autour d'un drame ne soient pas qu'un instant fugace de communion, mais trouvent leur prolongement dans la durée, la vie quotidienne et une attention plus forte portée aux problèmes de nos compatriotes antillais ?

Y aura-t-il, y compris en bien, un "avant" et un "après-Maracaibo", comme le pense le poète Aimé Césaire ? C'est l'enjeu auquel seront confrontés les pouvoirs publics. Après le deuil.

Article paru dans l'édition du 25.08.05


Le Monde / Société
La France rend un hommage national aux morts de Martinique

 L a cérémonie d'hommage national aux victimes de l'accident d'un avion de la West Caribbean qui s'est produit le 16 août au Vénézuela devait réunir, mercredi 24 août, au stade Dillon de Fort-de-France (Martinique) plusieurs milliers de personnes, en présence de Jacques Chirac et du ministre de l'outre-mer, François Baroin, de tous les élus de l'île, ainsi que du premier secrétaire du PS, François Hollande.

Au moment de la célébration oecuménique de la Martinique, à 10 h (16 heures en métropole), avec des représentants de tous les cultes existant sur l'île, catholique, orthodoxe, adventiste, évangélique, hindou, juif, musulman, une messe a été organisée à Notre-Dame de Paris, en présence du premier ministre, Dominique de Villepin, et de Bernadette Chirac. Les drapeaux ont été mis en berne sur le tout territoire français et les établissements publics et privés de la Martinique, fermés.

Aucune cérémonie de cette ampleur, à la laquelle assiste le président du Venezuela, Hugo Chavez, avec d'autres officiels étrangers, n'avait jamais été organisée par la France.

"A la demande des élus socialistes de Martinique", précise un communiqué publié, mardi, par le PS, même le chef de l'opposition, François Hollande s'est rendu sur l'île, remplacé au dernier moment par son bras droit, François Rebsamen, à un déjeuner prévu avec la presse à Paris. Les élus martiniquais ont fait valoir au premier secrétaire qu'il ne pouvait être absent de cette cérémonie solennelle en hommage aux 152 disparus de la Martinique, où il se rend accompagné du secrétaire national à l'outre-mer de son parti, Victorin Lurel, président de la région Guadeloupe.

De son côté, Jacques Chirac, qui, par penchant personnel et politique, use volontiers du registre compassionnel, ne s'est "même pas posé la question" de sa venue, évidente, à Fort-de-France, assure son entourage. Une présence à la fois solennelle, au stade Dillon, et plus personnelle et intime, puisque le président a prévu de rencontrer durant deux heures, les familles des victimes, à huis clos.

Ses proches insistaient davantage, mercredi, sur cet aspect de sa visite. M. Chirac ne se pardonne guère son absence durant la canicule de l'été 2003. Lors du dernier conseil des ministres du 2 août, il a personnellement ordonné à chaque membre du gouvernement d'être disponible et joignable à tout moment.

Cette ferme recommandation prenait d'autant plus de poids, après une série d'échecs politiques retentissants: le non au référendum du 29 mai, suivi d'une semi-capitulation devant Nicolas Sarkozy au 14 juillet. Le président ne peut guère échouer sur ce qui reste aujourd'hui sa marque: la communion compassionnelle avec les Français.

L'annonce de sa venue a été bien ressentie en Martinique. L'entregent du ministre François Baroin, sur place pour préparer la cérémonie, ont également joué, tandis que les tensions entretenues, immédiatement après l'accident, par les élus indépendantistes de l'île ont provoqué une certaine gêne dans la population. Celle-ci n'avait qu'un désir: honorer convenablement ses morts.

Béatrice Gurrey
Article paru dans l'édition du 25.08.05


Le Monde / France
RONAN ORIO, médecin psychiatre urgentiste au centre hospitalier universitaire de Nantes
"Les responsables politiques se réfugient dans la communication"

 V ous venez de passer une semaine au Venezuela pour accueillir les familles des victimes de la catastrophe aérienne qui a fait 160 morts, dont 152 Français, le 16 août. Le Quai d'Orsay envoie-t-il toujours des psychiatres sur les lieux de catastrophes ?

Non. On envoie toujours beaucoup de médecins, mais les pratiques se modifient. Parmi les 120 accompagnants dépêchés sur cet accident, mon rôle a consisté à aider les familles, mais aussi à apporter, comme psychiatre, une "aide à l'analyse". Les diplomates n'ont pas toujours de solutions pour mettre en place un dispositif d'urgence ou organiser des cérémonies.

C'est la nouveauté des catastrophes: l'installation immédiate de cellules de crise, comme si les familles de victimes, perdues dans leur chagrin, étaient aussi malades...

C'est un peu difficile pour moi de le dire, mais il est clair que ces hommes en blanc que l'on voit partout ne font pas de la médecine. Ils sont les officiants de la cérémonie. Ils rassurent. Ils servent aussi sans doute à donner l'illusion que l'Etat et les politiques ont la maîtrise de la situation.

Lors du crash de Charm el-Cheikh, en janvier 2004, vous aviez déjà été mandaté par le Quai d'Orsay pour "organiser l'événement". En Egypte, les familles de victimes avaient été protégées des médias. Au Venezuela, en revanche, les journalistes se sont mélangés aux familles, ont assisté aux réunions d'information...

Nous avons changé de stratégie. Nous nous adaptons très rapidement, en tenant compte de l'évolution des mentalités. Je ne regarde pas les émissions de télé-réalité, mais je sais que nous sommes dans l'ère de la célébrité facile. En quelques secondes, la télé fait de vous une star.

J'ai compris que les gens avaient besoin de se confier -aux journalistes- , que cela faisait partie, d'une certaine manière, de leur soulagement. Une minute trente, on veut une petite histoire...

C'est le format exigé par les médias. Je l'ai accepté: j'ai pensé qu'en refusant ces contacts je refusais l'évolution sociale. Je ne suis pas là pour éduquer, je suis là pour faire de la pédagogie.

Les familles endeuillées adoptent désormais un vocabulaire qui, naguère, n'appartenait qu'aux psychologues. Par exemple, "faire son travail de deuil"...

On ne sait pas d'où sortent ces formules, qui tiennent plus de la magie que de la science. Ce sont des termes qui correspondent à ce que j'appellerai des truismes incantatoires. Il y a des formules qu'il faut prononcer, dans un rite quasi liturgique.

Autre évolution: aujourd'hui, les familles veulent absolument "voir les corps", quel que soit leur état...

Notre époque est fascinée par la mort. Cette requête, morbide, est devenue partie intégrante de la cérémonie. Il y a aussi une autre valeur de cette requête: on réclame quelque chose qu'on ne peut pas obtenir. S'installe ainsi un discours "victimaire" rassurant qui rejoint les thèses complotistes à la mode – on nous ment, on nous trahit, on nous trompe. Les petites gens sont victimes des personnages importants.

Au Venezuela, une rumeur a commencé à enfler il y a quelques jours: les corps seraient tous dans une fosse commune. Il faut démentir, mais parfois on ne peut pas lutter.

Dans votre fonction, vous observez toutes ces transformations sociales. Mais quel peut-être votre rôle ?

Mon rôle, c'est de donner du sens à l'événement et expliquer que chacun peut vivre la mort à sa façon, loin du politiquement correct, loin de formes de deuil et de discours standardisés, sans être pour autant scandaleux. S'est en effet installée une sorte de discours totalitaire qui voudrait que, si on récupère le corps, si on est indemnisé, on sera guéri. C'est évidemment faux. Il faut expliquer aux gens qu'ils devront être patients: treize ans après la catastrophe du mont Sainte-Odile, l'enquête est tout juste close et les restes de corps du crash de Charm el-Cheikh ne sont toujours pas restitués.

On assiste aussi à un phénomène de mondialisation des cérémonies de deuil, où les spécificités ethniques s'estompent, disparaissent.

Jacques Chirac devait présider, mercredi 24 août, un hommage national mais religieux dans un lieu profane, le stade de Dillon, sans tenir de discours. Qu'en pensez-vous ?

Les hommes politiques sont devenus les officiants de cérémonies toujours oecuméniques. Dans ces retrouvailles, il ne faut fâcher ni les religions ni les partis politiques.

Comme ils n'ont plus de pouvoir d'action sur la réalité sociale, les responsables politiques se réfugient dans la communication. La communication compassionnelle, celle qui prend aux tripes, est celle qui, aujourd'hui, paraît la meilleure voie possible.

Propos recueillis par Ariane Chemin
Article paru dans l'édition du 25.08.05


Le Monde / International
Les chiites d'Irak étalent leurs divisions sur la Constitution

 D e sanglants affrontements ont opposé, mercredi 24 août, des partisans de l'imam chiite Moktada Al-Sadr à la police et à des milices rivales à Nadjaf, Bagdad et dans d'autres villes irakiennes. Moktada Al-Sadr s'est joint aux dirigeants de la minorité sunnite pour dénoncer le projet de Constitution qui risque, selon eux, de faire éclater le pays.

A Nadjaf, ville sainte du chiisme, cinq personnes sont mortes et sept ont été blessées dans des affrontements entre partisans et adversaires de la mouvance du chef radical Moqtada Al-Sadr. Les partisans de l'imam chiite ont accusé les forces gouvernementales d'avoir mené une attaque. Celles-ci ont démenti. Ces incidents ont eu lieu après la tentative de partisans de l'imam chiite de se réinstaller dans le cœur de la ville sainte, à 160 km au sud de Bagdad, à laquelle se sont opposés des habitants. Des miliciens de Moktada Al-Sadr se sont emparés des permanences du parti Dawa du premier ministre chiite Ibrahim Jaafari à Bagdad et se sont déployés en force à Nassiriya, dans le sud du pays.

"LE LANGAGE DES ARMES DOIT CESSER"

Pour protester contre ces violences, deux ministres proches de l'imam chiite – le ministre des transports, Salam Al-Maliki, et de celui de la santé, Abdel Mouttaleb Mohammed Ali –, ont suspendu leur participation au gouvernement, selon M. Amiri. Les députés de la même mouvance ont également suspendu leur participation à l'Assemblée. M. Jaafari est intervenu à la télévision publique Iraqia pour lancer un appel au calme et annoncer la formation d'une commission d'enquête. "Je condamne ces événements prenant pour cibles les bureaux d'autorités religieuses", a dit M. Jaafari en promettant une enquête afin de déterminer qui est à l'origine de ces troubles. "Le langage des armes doit cesser", a-t-il ajouté en invitant les chiites à se souvenir de la répression qu'ils subissaient sous Saddam Hussein.

DÉPÔT JEUDI DE LA VERSION DÉFINITIVE DE LA CONSTITUTION

Des partisans de Moktada Al-Sadr ont manifesté ces derniers jours contre le projet de Constitution et certains d'entre eux se sont joints mercredi à des manifestants sunnites mobilisés pour tenter de faire échouer le référendum prévu en octobre sur le texte. Les sunnites, qui avaient boycotté les élections législatives de janvier, ne sont guère représentés au Parlement. Ils craignent que le système fédéral proposé dans le projet de Constitution les prive des ressources pétrolières au profit des régions kurdes et chiites.

A la veille de la réunion du Parlement consacrée au dépôt de la version définitive de la Constitution, les chefs politiques ne semblent pas avoir aplani leurs divergences sur les questions essentielles du fédéralisme, du statut du parti Baas et de la répartition des pouvoirs au sommet de l'Etat.

Le négociateur sunnite Saleh Al-Motlak a accusé dans la soirée les chiites d'avoir fait échouer une réunion des chefs politiques en n'y envoyant que des délégués qui ne sont pas mandatés pour négocier. Il a reproché au chef chiite Abdel Aziz Hakim de ne pas avoir fait le déplacement et affirmé ne plus s'attendre à un consensus sur le texte. "Nous voulons que la Constitution souligne clairement l'unité de l'Irak et interdise toute possibilité de le diviser", a-t-il souligné.

Le Comité des oulémas irakiens, la principale association de religieux sunnites du pays, a tiré quant à lui à boulets rouges sur le texte et appelé les Etats-Unis à mettre fin à leur "occupation et à laisser les Irakiens élaborer leur Constitution sans ingérence étrangère".

Avec AFP
LEMONDE.FR | 25.08.05 | 08h15


Le Monde / Sports
Pour sa défense, Lance Armstrong évoque un complot anti-américain

 L' expert français Jacques de Ceaurriz, à l'origine des révélations sur le cycliste américain Lance Armstrong, a indiqué à un quotidien allemand que l'analyse d'échantillons prélevés lors du Tour de France 1998 avait révélé quarante cas de dopage à l'érythropoïétine (EPO).

Dans un entretien au Süddeutsche Zeitung à paraître vendredi 26 août, Jacques de Ceaurriz, directeur du laboratoire français de dépistage du dopage (LNDD), a expliqué que son équipe a également analysé d'autres échantillons prélevés lors du Tour de France. Pour l'édition 1999 du Tour, a-t-il rappelé, "nous avons analysé environ 70 échantillons et 12 se sont révélés positifs" dont, selon le quotidien L'Equipe, celui de l'Américain Lance Armstrong, septuple vainqueur du Tour.

"En ce qui concerne le Tour 1998, 70 échantillons ont été analysés et 40 se sont révélés positifs, mais attention, cela ne veut pas dire que 40 coureurs différents se sont dopés", a souligné Jacques de Ceaurriz. "Cela ne peut concerner qu'une petite partie du peloton", a insisté le patron du LNDD.

NOUVELLE MÉTHODE DE DOPAGE

Jacques de Ceaurriz a par ailleurs indiqué que ces analyses ont été menées à la demande de l'Agence mondiale antidopage (AMA) qui voulait savoir si "les sportifs n'avaient pas changé leur façon de recourir au dopage lors des dernières années." "L'AMA avait l'impression que les coureurs prenaient de plus fortes doses de produits dopants pendant leur période d'entraînement et ne faisait plus que les 'rafraîchir' en course", a-t-il expliqué.

"Il nous fallait découvrir si ces petites doses prises pendant les courses étaient identifiables par nos tests. La question qui se pose derrière tout cela, est: 'ne faut-il pas revoir à la baisse les seuils à partir desquels on considère qu'un athlète est dopé ?'", a ajouté M. de Ceaurriz. L'expert de la lutte antidopage a également précisé qu'il ne redoutait pas une éventuelle procédure judiciaire à l'instigation d'Armstrong.

"Notre laboratoire a donné les conclusions de ses analyses aux autorités compétentes (l'AMA), nous ne les avons pas données à la presse directement et nous avons respecté l'anonymat des échantillons", a assuré Jacques de Ceaurriz.

VICTIME D'UN COMPLOT

Pour sa part, Lance Armstrong a lancé sa riposte des Etats-Unis, jeudi 25 août, face aux accusations de dopage invoquant dans la presse américaine un complot. L'Europe en général, et la France en particulier, lui en veut. Le Vieux Continent est jaloux du succès d'un "US Boy" dans l'un des sports dits "européens". Une ligne de défense très populaire outre-Atlantique.

Depuis son premier communiqué de presse, le coureur évoque une nouvelle "chasse aux sorcières". "Encore une fois, un journal européen rapporte que j'ai été contrôlé positif à des drogues favorisant la performance", dit-il. "Un gars dans un laboratoire parisien ouvre votre échantillon. Il le teste. Il n'y a personne pour l'observer, aucun protocole n'est suivi. Et ensuite vous recevez un appel d'un journal disant 'nous avons découvert que vous avez été six fois positif à l'EPO'. Depuis quand un journal gouverne-t-il le sport ?", a déclaré Armstrong lors de l'émission de CNN "Larry King Live".

Il a toutefois balayé pour le moment l'hypothèse de lancer une procédure judiciaire qui "coûterait un million et demi de dollars et une année de ma vie". "J'ai de bien meilleures choses à faire avec un million et demi... et avec mon temps", a déclaré le jeune retraité américain, pour lequel les révélations arrivent un peu tard pour le troubler.

Avec AFP
LEMONDE.FR | 26.08.05 | 10h03


Le Monde / Entreprises
Un choc pétrolier plus violent que les précédents

 L e prix du baril WTI (brut léger américain) en termes réels, c'est-à-dire actualisés par l'inflation, avait été en hausse de 160% lors du premier choc pétrolier de 1973. Les cours du brut avaient un peu plus que doublé (+108%) lors du second choc pétrolier. Depuis le début 2002, ils ont déjà triplé (+196%). Selon les calculs réalisés par les économistes de la banque HSBC CCF, "le prix du baril WTI se rapproche dangereusement du record absolu de "cherté du baril" établi en mai 1980. Le niveau de 40 dollars auquel il culmina alors serait après actualisation par l'inflation américaine cumulée depuis mai 1980 équivalent à un niveau de 94 dollars aujourd'hui".

Le cours du baril de WTI a par ailleurs établi jeudi, un nouveau record en prix courants en franchissant les 68 dollars."Si le choc actuel est ressenti comme moins brutal, c'est principalement parce qu'il s'est étalé sur une période de temps plus longue: 43 mois cette fois-ci à comparer à dix mois en 1979/1980 et à 9 mois en 1973", précisent les experts de HSBC CCF. De plus, les prix du pétrole ont enregistré une pause entre octobre 2004 et mai 2005 favorisant un redressement, en juin et juillet, des indices de confiance des entreprises des pays industrialisés, signal précurseur d'une amélioration de la conjoncture au second semestre.

Le rebond brutal du prix du baril depuis la mi-2005 risque de la faire avorter, préviennent toujours les économistes de HSBC CCF. Ils rappelent pour cela que la très forte hausse des prix du baril intervenue entre février et octobre 2004 avait été suivie d'un net ralentissement de la croissance du PIB du G10 de la mi-2004 à la mi-2005."La capacité de l'offre de pétrole à répondre à une demande mondiale toujours en forte expansion demeure la question centrale depuis 2002", précisent-ils.

LE FACTEUR IRANIEN

"L'élément nouveau qui a contribué à l'accélération de la hausse du baril, c'est un facteur géopolitique susceptible de rester présent durablement. Les discussions entre les pays industrialisés et l'Iran sur la question nucléaire viennent d'entrer dans une impasse qui a toutes les chances de se prolonger et qui pourrait aboutir à une confrontation", poursuivent-ils.

"Dans ce contexte, les marchés craignent une spirale de représaille entre les pays industrialisés et l'Iran, deuxième pays producteur de l'OPEP derrière l'Arabie Saoudite." "Tant que le scénario principal demeure celui d'un rebond de la croissance dans le G10, le prix du baril WTI physique devrait continuer à fluctuer entre 60 dollars et 70 dollars d'ici fin 2005 avec une propension à rester proche de 70 dollars plutôt que de 60 dollars", le vrai débat consiste maintenant à savoir si "la complication géopolitique avec l'Iran est susceptible d'amener le prix du baril au-dessus de 70 dollars avant la fin de l'année 2005 pour se diriger ensuite vers 80$", préviennent-ils.

Avec Reuters
LEMONDE.FR | 26.08.05 | 21h27


Le Monde / France
Pétrole cher: M. Villepin consulte les industriels sur des mesures de riposte

 L a table ronde, qui a réuni plusieurs PDG de grands groupes et experts énergétiques pendant deux heures à l'Hôtel Matignon, n'a donné lieu à aucune décision. Elle visait cependant à faire le point sur les mesures possibles de riposte alors que le baril de pétrole flirte désormais avec les 70 dollars. "Le premier ministre voulait se faire une opinion. Il a demandé à ses interlocuteurs de lui faire des propositions concrètes et sera amené à faire des annonces dans quelques jours", a indiqué un des participants.

Etaient notamment présents les PDG de Total, Thierry Desmarest, d'EDF, Pierre Gadonneix, de Suez, Gérard Mestrallet, et de Veolia, Henri Proglio, ainsi que le président du Syndicat des énergies renouvelables, André Antolini, et la présidente de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'Energie (Ademe), Michèle Pappalardo."On sent que le pétrole est durablement cher", a déclaré le ministre de l'industrie, François Loos, résumant le sentiment général des participants, à l'issue de la réunion."Tout le monde a bien compris que le niveau d'économies d'énergie en France est bon mais devrait être encore meilleur, que de nombreux programmes de recherche sont nécessaires (et) qu'il y a beaucoup d'investissements à faire dans le raffinage, la production d'électricité, dans les énergies renouvelables", a-t-il ajouté.

Les économies d'énergie - qui pourraient notamment passer par une baisse des limitations de vitesse sur les routes - permettraient tout à la fois de réduire la dépendance énergétique de la France et de lutter contre le réchauffement climatique. "La problématique n'est pas seulement l'essence à la pompe et le pouvoir d'achat des Français mais tout autant celle du climat et de l'environnement", relève ainsi un participant.

DES MESURES ATTENDUES

Dominique de Villepin, contraint de réagir vite devant l'ampleur de l'inquiétude suscitée par la flambée des cours, pourrait s'exprimer sur ce sujet lors de sa conférence de presse jeudi. Le président Jacques Chirac doit aussi définir mardi à Reims "les grandes orientations de la nouvelle politique industrielle et d'innovation de la France". Le 16 août, le premier ministre, soulignant que la crise pétrolière était "appelée à durer", avait déjà prôné une politique de relance du nucléaire et de développement des énergies renouvelables. Il avait également appelé à une relance des investissements dans le domaine pétrolier, notamment dans le secteur du raffinage.

Parmi les idées sur la table figure aussi un renforcement du crédit d'impôt en faveur d'équipements moins consommateurs d'énergie tels que les voitures propres et chauffages fonctionnant à partir d'énergies renouvelables (chauffe-eau solaire, pompe à chaleur). Selon des participants, de nouveaux programmes de recherche-developpement sont également à l'étude, dans le cadre de l'Agence de l'innovation industrielle (AII), lancée jeudi, et de l'Agence nationale de la Rercherche (ANR). Ces programmes pourraient notamment porter sur la pile à combustible, les bioénergies et la sortie par les constructeurs français d'un véhicule hybride (diesel/électricité). Dans un bref communiqué, le premier ministre a appelé les acteurs du secteur à "accélérer et intensifier" leurs investissements et annoncé la création d'une "cellule de veille sur la situation pétrolière" associant experts publics et entreprises.

Avec AFP
LEMONDE.FR | 26.08.05 | 21h21


Le Monde / Sciences
La mondialisation menace la planète Babel

 B abel brûle. La Terre abrite environ 6 000 langues, mais la grande majorité d'entre elles sont menacées de disparition. Environ 97% de la population parlent 4% des langues du monde. A l'inverse, presque 96% des langues ne sont parlées que par 3% des Terriens. Et 10% ont moins de 100 locuteurs. Ces chiffres, rassemblés par des experts mandatés par l'Unesco, témoignent d'une diversité linguistique effarante.

Mais environ la moitié des langues perdent actuellement des locuteurs. Cette tendance lourde – dénoncée entre autres par le linguiste Claude Hagège – pourrait se traduire par le remplacement de la moitié, voire de 90% des langues minoritaires, par les idiomes dominants d'ici à la fin du siècle...

Face à cette perspective, les linguistes de terrain, qui ont fait profession de décrire le fonctionnement, la richesse, l'histoire et l'évolution des langues, doivent, de plus en plus, se transformer en sauveteurs d'une ressource en voie de raréfaction. Petit tour des questions auxquelles ils sont confrontés.

Comment sait-on qu'il existe 6 000 langues aujourd'hui ?

"Il s'agit évidemment d'une approximation". indique Jon Landaburu, recteur du centre d'études des langues indigènes d'Amérique (Celia, CNRS). D'autant que les démarcations construites par les locuteurs eux-mêmes peuvent être artificielles, "comme entre les Serbes et les Croates". rappelle le chercheur.

Les linguistes ont cependant établi des critères scientifiques de distinction. "On procède comme les biologis tes: on fait des relevés sur le terrain". indique Claire Moyse-Faurie, spécialiste de l'Océanie au laboratoire des langues et civilisations à tradition orale (Lacito, CNRS). Ces entomologistes de la langue traduisent 600termes de base. Lorsque 85% d'entre eux sont partagés par deux idiomes, on considère qu'il s'agit de dialectes. Ces recensements peuvent être trompeurs, car les locuteurs, flattés de l'intérêt porté à leur langue, ont tendance à exagérer les différences.

Cette première enquête, auprès d'un interlocuteur "compétent", peut ne prendre qu'un ou deux jours. Mais la description plus approfondie d'une langue tient du sacerdoce. "Il faut cinq ans pour faire le tour d'une langue, voire dix pour en tirer un dictionnaire". indique Bernard Caron, directeur du laboratoire langage, langues et cultures d'Afrique noire (Llacan, CNRS).

A quoi tient la diversité linguistique ?

Les langues, comme les espèces animales et végétales, sont filles de l'isolement. Qu'un peuple se divise et occupe deux régions séparées, et les deux groupes finiront par parler deux idiomes différents. "Les choses ne sont pas si simples". tempère Alexandre François (Lacito, CNRS), spécialiste du Vanuatu, une nation de 200 000 habitants riche de 110 langues. "En Polynésie, il n'est pas rare qu'on se comprenne entre des îles pourtant éloignées les unes des autres, parce que historiquement des relations culturelles et économiques ont été maintenues". dit-il. Mais, à l'inverse, en Mélanésie, un mode de vie plus terrien peut aboutir à une division linguistique marquée sur un même territoire, comme sur l'île de Malekula (2 000 km2), où l'on recense 30 langues.

Quelle est la viabilité des langues ?

Cette question suscite des batailles de chiffres parmi les linguistes, certains soutenant que, avec un seul locuteur, une langue peut être "sauvée" – entendre: être étudiée, sous ses aspects lexicaux et grammaticaux. Mais d'autres considèrent qu'il faut se concentrer sur des groupes humains plus importants, capables de perpétuer eux-mêmes leur tradition linguistique.

"Le critère numérique n'est en fait pas le seul". rappelle Colette Grinevald, professeur de linguistique à Lyon-II. A la demande de l'Unesco, elle a participé en 2003, avec un groupe d'experts, à l'établissement d'outils d'évaluation de la vitalité des langues. Le premier facteur retenu est la transmission de la langue entre générations avant même le nombre absolu de locuteurs et leur proportion par rapport à la population totale. Viennent ensuite les critères d'usage de la langue, sa capacité à intégrer de nouveaux domaines lorsque les conditions de vie du groupe de locuteurs changent. Son usage dans les médias, l'existence de matériel pédagogique et d'une littérature propre sont aussi prépondérants, comme l'attitude des pouvoirs publics et des locuteurs eux-mêmes à l'égard de leur langue, parfois facteur de discrimination.

En Amérique latine, "la langue quechua est parlée par 8 millions de locuteurs. Mais, dans des zones entières, les enfants parlent espagnol. Dans trente ans, le quechua y aura disparu", prédit Colette Grinevald. A l'inverse, des petites tribus d'Amazonie peuvent perpétuer leur langue. "Celle-ci se porte bien. Ce sont les gens eux-mêmes qui sont en danger physique, en raison des maladies ou des déplacements forcés". indique la chercheuse.

Certains critères sont déterminants, en particulier la transmission dans les familles. "C'est le cas du maori: depuis une trentaine d'années, il fait l'objet d'une promotion scolaire particulière, qui n'a pas connu le succès escompté". rappelle Claire Moyse-Faurie.

Pourquoi les sauvegarder ?

"L'extinction de chaque langue provoque la perte irrémédiable de connaissances culturelles, historiques et écologiques uniques". répond l'Unesco. Le sauvetage peut être demandé par les intéressés eux-mêmes. Colette Grinevald a ainsi été appelée au chevet de la langue rama, au Nicaragua, par les sandinistes. "Au départ, ils voulaient apprendre l'espagnol aux Indiens, mais ceux-ci menaçaient de prendre les armes". se souvient-elle. La linguiste a donc été chargée d'étudier la langue rama. "Il n'y avait plus qu'une poignée de locuteurs pour un millier de Ramas, raconte-t-elle. Leur langue n'a pas été ressuscitée, mais les enfants connaissent plein de mots et savent qu'il s'agit d'une vraie langue. Ils sont rassurés: leurs ancêtres n'étaient pas des primitifs."

Comment les sauvegarder ?

Plusieurs programmes internationaux ont été lancés. L'Unesco soutient des programmes locaux. Des fondations privées s'y consacrent également, en collectant des données, comme la bibliothèque virtuelle du Rosetta Project. Certaines organisations protestantes, comme la puissante SIL américaine, sont très actives. Avec ses 5 000 membres présents dans 70 pays, elle accomplit un important travail de recensement dans le dessein de traduire la Bible. Mais ces "sectes" choisissent les langues les plus rentables en termes de nombre de fidèles accessibles.

Le sauvetage reste un travail de titan. Il peut réussir, comme le prouve la résurrection de l'hébreu, redevenu langue vivante grâce à Eliezer Ben Yehuda (1858-1922). En Amérique latine, certains mouvements indiens sont très volontaristes, avec la fabrication de dictionnaires illustrés. Au Guatemala, on trouve ainsi des livres illustrés traduisant en maya des scènes d'aéroport.

La survie des langues est aussi affaire de fierté. "En Amérique latine, dans les pays où la Constitution a reconnu les langues indigènes, les attitudes des intéressés changent. assure Jon Landaburu. "Au début, pour la réussite de leurs enfants, ils voulaient l'espagnol et l'arithmétique. se souvient-il. Ils s'aperçoivent aujourd'hui que les gamins alphabétisés dans leurlangue maternelle apprennent ensuite plus facilement l'espagnol."

Hervé Morin
Article paru dans l'édition du 26.08.05


Le Monde / Sciences
En Amérique latine, des linguistes au secours des dialectes "primitifs"

 "N otre boulot, c'est rendre témoignage de la richesse de ces langues." Jon Landaburu, directeur du centre d'études des langues indigènes d'Amérique (CNRS), ne tarit pas d'anecdotes sur les idiomes et les peuples étranges qu'il a pu croiser au cours de sa carrière. Il évoque ainsi l'exemple du Vaupes. Dans cette région entre Colombie et Brésil, il est tabou d'épouser quelqu'un parlant sa langue. Pour respecter l'interdit, la fiction de l'ignorance de la langue maternelle est entretenue. Le chercheur évoque cette autre langue qui permet de raconter des histoires comme en caméra subjective, par des mécanismes qui apparaissent dans la conjugaison.

Comme lui, sa collègue Colette Grinevald (Lyon-II), spécialiste de l'Amérique latine, rappelle que le travail des linguistes réfute nombre d'a-priori sur la prétendue simplicité des langues indigènes – un argument commode pour les disqualifier. Or elles n'ont rien de "primitif". "Elles sont incroyablement compliquées. Nous sommes en train de nous casser la tête sur les langues amazoniennes", assure-t-elle. Pour exprimer "je vous le dis", certaines font appel à des systèmes de suffixes, signifiant qu'il s'agit d'un dicton, ou bien que le locuteur a été témoin de la scène, ou encore que c'est quelqu'un qui la lui a racontée. D'autres langues donnent à chaque objet une qualification de taille, de forme, de matière...

HILARITÉ

Dans sa thèse, publiée en 1977 au MIT, Colette Grinevald présentait, pour la première fois, la vision de phrases complexes dans une langue maya, le jacaltec, parlé dans les montagnes du Guatemala. Depuis, celle-ci a été rebaptisée popti'par les Indiens eux-mêmes. Et la chercheuse a compris pourquoi elle faisait l'hilarité de ses interlocuteurs: elle ne maîtrisait pas les directionnelles, de petites particules indiquant constamment la position des objets, du locuteur et de ceux à qui il s'adresse. "J'y étais au début des années 1970, rappelle-t-elle. Je viens seulement d'écrire un nouveau chapitre sur les directionnelles".

Tout le monde n'est pas aussi consciencieux: "Sur un millier de langues en Amérique, il y a peut-être 50 bonnes grammaires", estime la chercheuse. A ceux qui seraient prêts à baisser les bras face aux rouleaux compresseurs des langues dominantes, Jon Landaburu en appelle donc au sursaut: "Ces langues minoritaires font partie de notre héritage, pas comme des choses mortes, assure- t-il. Elles peuvent se renouveler et nous aider à porter un regard sur nous-mêmes."

H. M.
Article paru dans l'édition du 26.08.05


Le Monde / Sciences
La course contre la montre des Kanaks
NOUMÉA de notre correspondante

 Q uelque 3 000 ans après son premier peuplement, la Nouvelle-Calédonie abrite encore 28 langues locales, qui appartiennent à la famille austronésienne. "Elles ont toutes une même langue mère qui était parlée il y a environ 6 000 ans par des tribus de Taïwan", explique Jacques Vernaudon, maître de conférences en linguistique océanienne à l'université de Nouvelle-Calédonie. Mais seules cinq langues ont plus de 5 000 locuteurs, avec, en tête, le drehu, langue de Lifou parlée par environ 17 000 personnes, et le nengone de Maré. Au bas de l'échelle, le sishëë, avec quatre locuteurs rescapés. Le waamwang, parlé dans deux villages du Nord, n'a pas survécu.

Au Centre culturel Tjibaou, la course contre la montre est lancée. "Grâce à des conventions avec les conseils d'aires coutumiers, on collecte auprès des tribus les savoirs traditionnels. Il faut sauvegarder notre patrimoine oral, en train de disparaître et rendu inopérant par la vie contemporaine", explique Emmanuel Tjibaou, responsable du département patrimoine et recherche.

Fils du leader indépendantiste Jean-Marie Tjibaou, assassiné en 1989, Emmanuel Tjibaou juge ce travail "indispensable face à une transmission qui ne se fait plus, dans une société sans tradition d'écriture". Trois contes bilingues ont été publiés pour ouvrir les enfants kanaks au livre, encore trop souvent considéré "comme l'objet des Blancs". En province Nord, les noms en langue kanake des lieux sont recensés et rétablis.

Ces initiatives découlent de l'accord de Nouméa de 1998, qui déclare que "les langues kanakes sont, avec le français, des langues d'enseignement et de culture". Une académie des langues kanakes est prévue par le texte, qui prône aussi leur usage dans les médias.

IDIOMES INDIGÈNES

En 1969, trois jeunes militants kanaks ont été emprisonnés pour avoir distribué des tracts dans leur langue. A la rentrée scolaire de 1985, les indépendantistes du FLNKS avaient appelé au "boycott des écoles coloniales" au profit des "écoles populaires kanakes" où l'enseignement était dispensé en langue maternelle. Parler la langue est alors un acte militant qui puise sa détermination dans les premières heures de la colonisation (1853), où les "idiomes indigènes" sont interdits à l'école et dans toute publication. Solidement implantés dans les tribus, les missionnaires s'appuyant sur ces langues pour évangéliser et enseignant dans les écoles indigènes ont joué un rôle déterminant dans leur survivance.

En 1999, avec l'appui de l'Institut national des langues et civilisations orientales (Langues O'), un DEUG langues et cultures régionales, pour les quatre langues déjà présentes au baccalauréat, a été créé à l'université. La licence a vu le jour en 2001, et ses premiers diplômés ont participé à une expérimentation pour former des enseignants spécialisés dans certaines langues kanakes. Dix écoles et 210 élèves ont été concernés par ce projet, dont les résultats sont qualifiés, en 2005, de "très encourageants". "L'enjeu se situe tant au niveau de la lutte contre l'échec scolaire, largement plus important chez les Kanaks que dans les autres communautés, que de la sauvegarde du patrimoine linguistique et culturel", affirme Chantal Mandaoué, directrice de l'institut de formation des maîtres (IFM), qui a piloté l'opération.

L'expérience ne sera pourtant pas reconduite, du fait de l'absence de statut pour ces enseignants. Déplorant l'immobilisme des autorités locales, les étudiants de la filière ont formé un collectif pour réclamer la création d'un statut de professeur des écoles spécialisé en langues régionales. "Il faut qu'on arrête de bricoler pour enseigner les langues", assène Jacques Vernaudon. L'humeur demeure malgré tout optimiste: "La question est aujourd'hui dépolitisée. Avant, enseigner les langues kanakes revenait à fabriquer des indépendantistes. On en est sorti", se félicite Chantal Mandaoué.

Claudine Wéry
Article paru dans l'édition du 26.08.05


Le Monde / Europe
Londres veut lutter contre les comportements inacceptables des imams étrangers
LONDRES de notre correspondant

 C omment définir un "comportement inacceptable" justifiant l'expulsion ou l'interdiction du territoire ? Cette question posée par la publication, le 24 août, par le ministère britannique de l'intérieur, de mesures destinées à lutter contre les prédicateurs extrémistes étrangers divise le royaume britannique en deux.

Les bombes ont été activées "manuellement"

Les bombes utilisées pour les attentats londoniens du 7 juillet, qui ont fait 56 morts, ont été " activées manuellement ", a affirmé, mercredi 24 août, le Guardian en citant des sources policières de haut rang. Cette révélation semble battre en brèche les doutes qui étaient apparus sur la volonté des auteurs des attentats du 7 juillet de périr, notamment en raison d'informations selon lesquelles les bombes avaient été actionnées par les minuteries de téléphones portables et non pas manuellement. "Elles ont été activées manuellement... Il n'y avait aucune minuterie de téléphone portable le 7" juillet, a indiqué une source policière anonyme au Guardian. Les bombes qui n'avaient pas explosé dans les tentatives d'attaques du 21 juillet pouvaient également être "activées manuellement". a précisé le même journal. Le quotidien ne détaille pas le mode exact de fonctionnement de ces dispositifs. Il cite toutefois un expert antiterroriste qui avance les hypothèses d'un "bouton de déclenchement que l'on pousse pour que la bombe explose". – (AFP.)

A gauche, les défenseurs, très minoritaires, de la liberté d'expression, que mettrait à mal une législation visant ceux qui "fomentent, justifient ou glorifient la violence terroriste", "ceux qui cherchent à provoquer des attentats" ou "à distiller la haine pouvant perturber la paix communautaire".

A droite, les tenants de l'arsenal répressif, annoncé le 5 août par le premier ministre, Tony Blair, pour protéger le Royaume-Uni des "fous d'Allah", après les attentats de Londres des 7 et 21 juillet. "J'ai l'obligation d'empêcher l'installation dans ce pays de ceux qui peuvent, en particulier, influencer les jeunes". a indiqué le ministère de l'intérieur, Charles Clarke. Les nouvelles dispositions ont le soutien de l'opposition, conservatrice et libérale-démocrate (centriste), et de l'écrasante majorité de l'opinion pour qui l'incitation au terrorisme doit être interdite dans toute démocratie.

"Les règles du jeu ont changé", avait déclaré M. Blair à propos des ressortissants non britanniques qui s'adonnent à l'apologie et à la justification de la violence. Le 10 août, dix islamistes étrangers "ultras" – dont Abou Qatada, considéré comme le chef spirituel d'Al-Qaida en Europe, ont été arrêtés pour menace à la sécurité nationale.

La volonté du gouvernement est claire: mettre une fois pour toutes fin au "Londonistan", l'asile politique accordé aux radicaux fondamentalistes dans les années 1990 en contrepartie de l'absence d'attentat sur le sol britannique. La guerre en Irak avait fait voler ce consensus en éclat.

"Ces provocateurs ternissent la réputation des musulmans et sont responsables de la montée de l'islamophobie et de l'extrême droite", affirme le député musulman travailliste Shahid Malik, partisan de cette politique musclée. En revanche, le conseil des musulmans du Royaume-Uni évoque le risque de transformer les étrangers menacés d'expulsion en martyrs d'un gouvernement allié aux Etats-Unis en Irak et en Afghanistan.

Pour leur part, nombre d'experts soulignent les difficultés d'appliquer la législation envers des opposants bénéficiant de la protection de l'habeas corpus. Les tribunaux risquent de se trouver dans l'incapacité de fixer des repères permettant de définir les prêcheurs qui pervertissent l'islam au nom d'une lecture dévoyée du Coran.

Comme le souligne Amnesty International, l'extradition de religieux ou militants islamistes étrangers dans un pays où ils risquent d'être torturés est contraire à l'article 3 de la législation européenne des droits de l'homme. Pour contourner cet obstacle, le Royaume-Uni s'efforce de conclure des accords bilatéraux (memorandum of understanding) avec de possibles pays d'asile comme l'Algérie ou le Liban, sur le modèle de celui signé récemment avec la Jordanie.

Les méandres juridiques d'appel en Grande-Bretagne ne manqueront pas d'entraver la mise en oeuvre des déportations qui pourraient prendre jusqu'à deux ans. Le cas extrême de Rachid Ramda, l'Algérien du GIA qui, de Londres, aurait financé les attentats de 1995 dans le métro parisien et dont Paris réclame depuis dix ans qu'il soit remis à la justice française, illustre ces interrogations.

Marc Roche
Article paru dans l'édition du 26.08.05


– Les longues –
                 
                 

    En extra: Les éditos du Monde    

[*] «Longues propagandistes» parce qu'il existe aussi, dans cette rubrique, des «brèves propagandistes» reprenant surtout des dépêches de l'AFP. Ici, on trouvera pour l'essentiel des articles parus dans Le Monde, qui par le fait, sont beaucoup plus longs…