Longues propagandistes, série 3

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– Les longues –
                 
                 

    En extra: Les éditos du Monde    


Le Monde / Société
M. Roussin reconnaît le système d'entente sur les marchés publics d'Ile-de-France

 D ans un de ses moments de confidence devant le juge d'instruction, Gilbert Sananès, l'un des principaux prévenus dans le procès des marchés publics d'Ile-de-France avait lâché: "La région croyait que tout était possible et qu'elle était au-dessus des lois. Elle fonctionnait en vase clos. Ces gens étaient enivrés de pouvoir, ils menaient à bien des opérations extraordinaires, ils étaient incroyablement courtisés par les entreprises et ils n'avaient plus le sens des réalités."

On repensait à la justesse de cette phrase en écoutant, mardi 26 avril, Christine Lor déposer devant le tribunal. De 1984 à 1996, Mme Lor a fait partie de ces "gens". d'abord comme simple attachée d'administration, puis comme conseillère au cabinet du président de la région, chargée des affaires scolaires. Une carrière qui aurait pu – et sans doute dû – rester discrète si, au cours de cette période, le conseil régional ne s'était pas lancé dans une ambitieuse politique de rénovation et de construction des lycées.

Aux yeux de tous ceux que ce dossier intéresse, Mme la conseillère aux affaires scolaires apparaît vite comme un personnage important et, de fait, le devient. De réceptions en inaugurations, de colloques en réunions, on ne voit qu'elle. "Ma fonction s'est adaptée à ce que nous faisions à la région". convient-elle à la barre. C'est justement la nature de "ce que nous faisions à la région" qui lui vaut de comparaître sous les chefs de complicité de corruption active et passive dans ce procès. Car la très active conseillère des deux présidents successifs – Pierre-Charles Krieg, décédé depuis, et Michel Giraud – apprend et comprend vite ce qui se passe derrière le rideau des marchés publics: l'entente entre les entreprises, en amont de la commission d'appel d'offres, et, parallèlement, le système de financement des partis politiques mis en place à l'occasion de ces passations de marchés et estimé par l'accusation à 2% du montant de ces marchés.

"SECRET DE POLICHINELLE"

"Ces 2%, c'était un secret de Polichinelle. Tout le monde en parlait. Je croyais que c'était une coutume légale". dit Mme Lor. "Il arrivait que certains chefs d'entreprise me fassent part de leurs desiderata, mais je les renvoyais systématiquement sur les trésoriers des partis politiques". poursuit-elle. Mais alors, lui demande le président, Jean-Louis Kantor, pourquoi va-t-elle rencontrer pendant cette période le directeur de cabinet de Jacques Chirac à la mairie de Paris, Michel Roussin ? "Je suis curieuse de nature". explique-t-elle. Et comme "on" lui parlait de M. Roussin et qu'"on" lui disait qu'il "avait un rôle au cabinet". elle lui a demandé un premier rendez-vous, puis un deuxième, puis un troisième.

Sous la solide quinquagénaire perce à cet instant une pointe de midinette: "M. Roussin m'a toujours impressionnée, et même là, aujourd'hui, quand il est derrière moi, je suis impressionnée. C'est quelqu'un que je trouve tout à fait respectable, mais il me fait... un petit peu peur."

Plus tard, après une suspension d'audience, elle cherchera d'ailleurs à gommer ce mot ambigu: "J'ai juste voulu dire, dans mon langage à moi, qu'il m'impressionnait, se reprendra-t-elle. Donc, je suis allée le voir parce que je voulais vérifier que les dons des entreprises se faisaient bien dans le cadre légal." Et la deuxième fois, lui demande le président ? "J'y suis allée pour revérifier que le dispositif de dons restait le même". balbutie-t-elle. "Mais quel était pour vous le rôle de M. Roussin ?". insiste le président. "Puisque les entreprises me disaient qu'il avait un rôle, ben, c'était que..." Elle s'interrompt. "Euh, je peux reprendre ?" Elle reprend, la voix assourdie. "Quand je vais le voir, je pense qu'il peut me rassurer." "Quelles étaient vos inquiétudes ?". s'enquiert le tribunal. "Je vais le voir pour savoir... Enfin parce que les entreprises parlaient de lui et..."

Le président appelle Michel Roussin à la barre. "Etiez-vous au courant de cette répartition de 2% ?" "Je ne l'ignore pas. C'était de notoriété publique qu'il y avait 2% prévus par les entreprises." "C'était 2% sur quoi, M. Roussin ?". intervient une juge assesseur. "Je suis convaincu qu'il s'agit des marchés des lycées. Mais ni de près ni de loin je n'ai été associé, ni n'ai été l'inventeur de ce système. Mon rôle se limitait à rappeler la règle légale." "Comment expliquez-vous alors que les entreprises citent toujours votre nom ?". demande à son tour Me Jean-Yves Dupeux. Le prévenu se tourne et plante ses yeux dans ceux de l'avocat de la région Ile-de-France, partie civile au procès: "Maître, je ne me l'explique pas."

Pascale Robert-Diard
Article paru dans l'édition du 28.04.05


Le Monde / Société
Un projet de décret sur le financement des écoles privées suscite la polémique

 O pposées à un projet de décret portant sur le financement des écoles privées sous contrat, cinq organisations de l'éducation nationale posent la question: "Le ministère veut-il ranimer la guerre scolaire ?" Dans un courrier en date du 22 avril, des syndicats d'enseignants (SGEN-CFDT, SNUipp-FSU, SE-UNSA), la Fédération des conseils de parents d'élèves (FCPE) et la Ligue de l'enseignement demandent au ministre de l'éducation nationale, François Fillon, de retirer son texte.

Le projet de décret prévoit, en application de la loi du 13 août 2004 "relative aux libertés et responsabilités locales". de rendre obligatoire la participation financière des communes où résident des élèves scolarisés dans une école privée située sur une autre commune.

"Cette disposition introduit une inégalité profonde en défaveur de l'école publique". considèrent-ils. Ainsi, une municipalité peut refuser d'assumer les frais de fonctionnement liés à la scolarisation d'enfants dans une école publique située hors de sa commune, mais il existe un grand nombre d'exceptions. Elle doit payer ces frais à la commune d'accueil de l'élève quand elle-même n'est pas en mesure de le scolariser, qu'il n'y ait pas d'école ou que les capacités d'accueil soient insuffisantes. Les causes peuvent également être personnelles: exercice professionnel des parents, raison de santé ou scolarisation de l'un des frères et soeurs dans une autre commune.

Certains maires, n'ayant pas d'écoles sur leur commune inciteraient leurs administrés à inscrire leurs enfants dans l'école privée de la commune voisine plutôt que dans l'école publique, pour ne rien avoir à payer. L'article incriminé résulte d'ailleurs d'un amendement du sénateur socialiste du Puy-de-Dôme, Michel Charasse, au nom de la défense du service public.

Avec le projet de décret, considèrent ses détracteurs, la possibilité de refuser le financement lié à la scolarisation d'élèves en dehors de la commune de résidence ne pourrait pas s'appliquer aux écoles privées. Cela risquerait d'entraîner un afflux d'élèves vers le privé dans la mesure où ce secteur n'est pas soumis aux conditions strictes de sectorisation géographique du public.

"INÉGALITÉ DE TRAITEMENT"

"La mise en oeuvre du décret tel qu'il a été présenté contribuerait à déstabiliser l'organisation de la carte scolaire des écoles publiques, assurent les organisations dans leur lettre à M. Fillon. Il accentuerait l'inégalité de traitement entre une école publique, qui a vocation à accueillir tous les enfants en étant soumise à des règles de gestion très strictes, et une école privée qui conserve la maîtrise de son recrutement et se voit octroyer, une fois de plus, une plus grande liberté de gestion."

Le ministère de l'éducation considère que les craintes des organisations sont infondées. "Il est évident qu'on ne saurait porter atteinte au principe de parité entre le secteur privé et le secteur public". explique-t-on dans l'entourage de M. Fillon. Le principe, qui découle de la loi Debré, affirme que, en ce qui concerne les dépenses de fonctionnement, on ne peut avantager le privé au détriment du public et vice-versa. Le ministère prévoit donc de modifier le projet de décret pour confirmer ce principe d'une égalité de traitement entre les deux secteurs.

Martine Laronche
Article paru dans l'édition du 28.04.05


Le Monde / Société
Saisie record de 37 tonnes de cigarettes en France

 L es douanes françaises ont réalisé, le 12 avril 2005, la plus importante saisie de cigarettes de contrebande jamais réalisée en France. 37 tonnes de cigarettes provenant de Chine ont été confisquées au Havre et en région parisienne.

Jean-François Copé, le ministre du budget, a successivement qualifié de "considérable". d'"exceptionnelle" et d'"historique" cette saisie de plus d'1,8 million de paquets de cigarettes. "Ces 37 tonnes de cigarettes, c'est plus que tout ce que nous avons saisi au cours du premier trimestre 2005. C'est l'équivalent d'environ 9 millions d'euros à la revente", s'est-il félicité.

Les paquets avaient été dissimulés dans des containeurs, embarqués à Shanghaï sur un bateau ayant fait escale en Gambie, avant de mettre le cap sur Le Havre, a expliqué M. Jean-Yves Mahé, directeur régional des douanes.

FILATURE

Le 11 avril, les douaniers du port normand ont détecté la présence de ces cigarettes à la place des marchandises déclarées dans deux containeurs. Le lendemain, un semi-remorque a pris en charge l'un des containeurs, selon les responsables de la direction nationale des enquêtes douanières.

Le poids lourd a été alors suivi jusqu'à un entrepôt de Seine-Saint-Denis (banlieue nord de Paris), à proximité duquel les douaniers ont effectué une première saisie de 9,320 tonnes de cigarettes de marque Marlboro, "présumées être des contrefaçons" et destinées au marché français.

Dans un second containeur, resté au Havre, les douaniers ont saisi 27,94 tonnes de cigarettes de marques Sovereign, Regal et Benson, qui devaient probablement être acheminées vers la Grande-Bretagne.

Une information judiciaire de chef de contrebande en bande organisée a été ouverte. Trois personnes, dont deux responsables du trafic en France, désormais démantelé, ont été interpellées.

Les services de renseignements privés des cigarettiers ont, par ailleurs, recensé plus de 3 000 usines de fabrication clandestines en Chine.

LEMONDE.FR | 28.04.05


Le Monde / Société
Les établissements de crédit accusés de favoriser le surendettement

 L e nombre des dossiers déposés en commission de surendettement a augmenté de 13,7% en 2004. Les organismes de crédit et les établissements bancaires sont accusés d'avoir favorisé le phénomène. Le 12 avril, la Confédération syndicale des familles (CSF) a lancé une mise en garde contre les crédits renouvelables (ou "crédits revolving" ), octroyés, selon elle, à des taux prohibitifs, sans que la solvabilité des emprunteurs soit vérifiée. Le président d'Emmaüs France, Martin Hirsch, déplore, pour sa part, "l'explosion" de ces prêts "pousse-au-crime". "Tous les dossiers de surendettement sont envahis par les crédits renouvelables". renchérit Gérard Renassia, président de SOS-Surendettement.

Les "centrales positives" dans le monde La Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) a rendu un rapport, le 18 janvier, à propos des centrales positives, ces fichiers qui regroupent des informations financières sur les particuliers (crédits contractés, "capacités de remboursement". etc.). De nombreux pays centralisent de telles données, précise la CNIL, qui dresse un "panorama des centrales positives dans le monde".

Le système des credit bureaux prévaut notamment aux Etats-Unis (sous le nom de credit reporting agencies) et en Grande-Bretagne (credit rating agencies). Des sociétés privées croisent une multitude de fichiers et constituent des bases de données "relatives à l'identité, au statut familial, à l'emploi, au salaire, ainsi qu'à l'endettement".

Ces répertoires peuvent être consultés, moyennant finances, par "toute personne justifiant d'une finalité professionnelle légitime" (employeur, société de crédit, opérateur téléphonique...). Aux Etats-Unis, 9 adultes sur 10 seraient concernés par de tels fichages.

Ce système présente des "effets pervers". commente la CNIL. Les personnes qui n'apparaissent pas dans la base de données peuvent être assimilées à des indésirables auxquels "aucun crédit n'a jamais été accordé"; le risque d'"exclusion sociale" est "réel". Autre difficulté: les "erreurs d'inscription". qui résultent "d'informations inexactes ou d'usurpation d'identité".

Les centrales de risque existent notamment en Allemagne, en Italie et en Espagne. Outre-Rhin, une société de droit privé, la Schufa, "occupe une place prépondérante sur le marché des centrales positives". En principe, sa base de données doit seulement servir à éclairer la "décision d'octroi de crédit aux particuliers". Mais de nombreuses entreprises la consultent, en réalité: sociétés de vente à distance, opérateurs de télécommunications, fournisseurs d'énergie, bailleurs, qui "sont considérés comme faisant crédit à leurs clients" car ceux-ci ne paient qu'à la fin du mois. Il est arrivé que des fichiers soient consultés par des employeurs qui souhaitaient se renseigner sur la solvabilité de leurs salariés. A la fin 2001, plus de 57 millions de personnes étaient fichées à la Schufa et celle-ci "stockait 299 millions de fiches d'information de toutes sortes".

En janvier, deux députés UDF, Jean-Christophe Lagarde (Seine-Saint-Denis) et Hervé Morin (Eure), avaient défendu une proposition de loi "tendant à prévenir le surendettement". Ce phénomène est intimement lié "à un usage irraisonné du crédit "revolving"". avait écrit M. Lagarde, dans un rapport rédigé au nom de la commission des affaires économiques de l'Assemblée.

Mais ce type de prêt ne peut pas être présenté comme la cause unique du problème, même s'il apparaît dans 80% des dossiers de surendettement. L'étude conduite par la Banque de France au deuxième trimestre 2001 avait ainsi montré que les familles surendettées cumulaient, dans trois cas sur quatre, des prêts consentis par des établissements financiers et des créances liées à la vie quotidienne (loyers, factures EDF...).

Toutefois, certaines sociétés financières peuvent difficilement s'exonérer de leurs responsabilités. Le président de Conso France, Christian Huard, incrimine notamment les filiales bancaires des groupes de distribution, qui, sous prétexte de vouloir fidéliser leurs clients avec des cartes d'enseigne, leur vendent, en fait, à leur insu, des cartes de crédit. "La plupart des gens ne réalisent pas qu'ils acceptent une carte de crédit, commente-t-il. Jusqu'au jour où ils font usage du droit de tirage qu'elle offre, pour faire face à des difficultés de trésorerie. En fait de planche de salut, c'est l'entrée dans la spirale du surendettement."

La profession bancaire rejette ces critiques, en rappelant que les incidents de paiement liés aux crédits à la consommation ne représentent que 2% du total des prêts, sur un encours de 100 milliards d'euros, d'après l'Association des sociétés financières (ASF). Ce niveau de risque, qui est très inférieur à celui observé au Royaume-Uni (5%) ou aux Etats-Unis (6%), prouve que les établissements spécialisés ont un comportement responsable, souligne-t-on à l'ASF.

"UN MAUVAIS PROCÈS"

Pascal Roussarie, responsable de l'Observateur Cetelem, qui réalise des études sur la consommation, la distribution et le crédit, a même constaté que les incidents de paiement avaient diminué de 2% en 2004 chez Cetelem. Cette filiale de BNP-Paribas mène "une politique d'octroi de prêts rigoureuse". qui l'amène à refuser un dossier de demande de crédit sur trois. "On fait un mauvais procès aux établissements de crédit à la consommation, affirme M. Roussarie. Nous sommes les premiers à être intéressés par la maîtrise du surendettement: c'est elle qui décide de notre pérennité."

Pour lui, le marché du crédit à la consommation est insuffisamment développé en France et ne progresse que de 5% par an, et les ménages français sont parmi les moins endettés d'Europe: l'an passé, leurs dettes s'élevaient, en moyenne, à 4 800 euros, selon l'Observateur Cetelem, soit un niveau deux fois moins élevé que celui relevé chez les Britanniques ou les Scandinaves. "Cette situation n'est pas bonne". conclut M. Roussarie, mettant en garde contre l'amalgame communément fait entre "le surendettement, forme pathologique du crédit, et l'endettement, sain pour l'économie".

Quant aux banques, elles estiment "prêter de manière responsable". selon la formule de Pierre de Lauzun, l'un des porte-parole de la Fédération bancaire française (FBF). En 2004, la profession s'est engagée à obtenir "des informations appropriées sur la capacité de remboursement des emprunteurs".

M. de Lauzun considère que la France possède l'une des législations les plus protectrices d'Europe pour les consommateurs, grâce notamment au taux d'usure. Les taux d'intérêt restent en deçà de 20%: de 10% à 17% pour les crédits permanents; entre 3% et 7% pour les prêts personnels (crédit automobile). En Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, poursuit-il, il n'est pas rare de trouver des crédits à 30%, 40%, voire 50%.

Pour M. de Lauzun, il ne faudrait pas que la législation soit durcie, au point de restreindre l'accès au crédit. "On ne peut tout à la fois accuser les banques de contribuer à l'exclusion sociale et leur reprocher de trop prêter, argumente-t-il. Attention à ne pas faire du crédit un luxe par un excès de réglementation."

Daniel Tournez, secrétaire général de l'Indecosa CGT, insiste sur l'importance des crédits à la consommation dans le budget d'un ménage. Sans eux, des "millions de personnes ne pourraient pas remplir leur chariot". Pour M. Tournez, le fait de "focaliser" les débats sur ce type de prêts escamote les problèmes de fond: aggravation du chômage, érosion du pouvoir d'achat...

Le législateur a, toutefois, pris l'initiative de mieux encadrer le crédit renouvelable, notamment à travers la proposition de loi de Luc-Marie Chatel, député (UMP) de la Haute-Marne. Adopté par le Parlement en janvier, ce texte permet au consommateur de demander à tout moment la réduction de sa réserve de crédit ou la suspension de son droit à l'utiliser (Le Monde du 22 janvier). MM. Lagarde et Morin ont tenté d'aller plus loin encore en préconisant l'instauration d'un "répertoire" qui recenserait les encours de crédit des particuliers. Pour les deux députés, la mise en place de ce "fichier positif" (par opposition aux fichiers négatifs, qui centralisent les incidents de paiement) viserait à aider les prêteurs "dans l'examen de la solvabilité de leur client".

Mais l'Assemblée nationale a retiré cette disposition de la proposition de loi, quand elle l'a examinée en première lecture. Il est vrai que la plupart des associations et des professionnels du crédit n'y sont guère favorables: les premières craignent qu'une telle base de données ne soit détournée de sa mission et serve d'outil de prospection commerciale aux banques; les seconds trouvent que ce système est inefficace.

A la mi-janvier, la Commission nationale de l'informatique et des libertés a émis des réserves sur la création d'un tel outil, au nom "des risques d'atteinte à la vie privée". Un parlementaire devrait toutefois être désigné par le gouvernement pour explorer cette piste de travail.

La lutte contre le surendettement reste donc une priorité forte de l'équipe conduite par Jean-Pierre Raffarin. Mais elle risque de se heurter à un autre objectif: l'élargissement de l'accès au crédit pour stimuler la consommation.

Dans ses voeux pour 2005, Jacques Chirac avait estimé, début janvier, que la reprise des achats des ménages passait par "le développement du crédit, et notamment des microcrédits pour les 40% de Français qui en sont encore exclus".

Bertrand Bissuel et Anne Michel
Article paru dans l'édition du 28.04.05


Le Monde / Société
Des créanciers ont fourni 40 crédits à Julien, et ont hurlé lorsqu'il n'a plus payé

 C ombien a-t-il de crédits sur le dos ? De créanciers qui exigent leur dû ? Julien, qui témoigne sous un faux prénom, hésite. La réponse se trouve dans un épais classeur, que cet homme de 45 ans a trimbalé dans un sac à dos. Tout est là, mentionné en petits caractères sur des dizaines de feuillets: échanges de correspondances, plan de rééchelonnement des dettes établi par une commission de surendettement.

Dans la seconde moitié des années 1990, Julien a souscrit une quarantaine d'emprunts. Les banques et les organismes de crédit lui ont accordé "entre 600 000 et 800 000 francs". évalue-t-il. "Du pouvoir d'achat artificiel". qu'il n'arrive plus à rembourser.

La vie de Julien a basculé le jour où son père est mort. "J'ai alors pris ma mère sous ma coupe". raconte-t-il. A l'époque, il pouvait faire face: un "très bon job dans le secteur du jeu et des jouets"; des revenus plus que confortables – "50 000 à 60 000 francs" par mois. Désireux de maintenir un "certain train de vie". Julien et sa mère ont "commencé à faire du crédit à la consommation" grâce aux cartes délivrées dans les grands magasins. Pour les obtenir, rien de bien sorcier: d'après Julien, il suffisait de présenter un chèque barré, la photocopie de ses trois derniers bulletins de salaire, un relevé d'identité bancaire. Ensuite, jackpot ! "Vous bénéficiez d'une facilité de caisse renouvelable, qui peut atteindre plusieurs dizaines de milliers de francs. Vous pouvez tout vous payer: appareils électroménagers, vêtements, voyages..."

Qu'importe si les taux d'intérêt pratiqués sont élevés – "de 10% à 15%". De toute façon, Julien ne s'est jamais vraiment soucié des conditions posées pour encaisser l'argent: "Les petites lignes du contrat, vous ne les lisez jamais." Au fil des mois, les mensualités se sont alourdies. Julien a eu de la peine à les honorer lorsqu'il a été licencié. Mais il a su rebondir, en trouvant un emploi dans l'édition, avant de créer sa propre société. Grâce à ce retour à meilleure fortune, il a pu tenir ses engagements financiers. Toutefois, ses dettes n'ont pas désenflé. Au contraire: il a décroché de nouveaux prêts, parfois auprès d'établissements qui lui avaient déjà avancé des sommes substantielles. Ceux-ci auraient pu être alertés par son niveau d'endettement. "Mais je n'étais pas inscrit au FICP [e fichier des incidents de remboursement de crédits]. Alors ils n'en avaient rien à foutre de savoir si j'étais lourdement débiteur." Jusqu'au jour où sa société a coulé. Ses ressources ont plongé et les créanciers, qui n'étaient plus payés en temps et en heure, se sont lancés à ses trousses.

Julien reconnaît que "les torts sont partagés". Il dit s'être comporté comme un "drogué". qui avait besoin d'emprunter, encore et toujours. "C'était un jeu de dupes". analyse-t-il: lui-même et les établissements qui lui firent crédit avaient conscience des risques encourus. Mais ils ont agi comme si de rien n'était. Aujourd'hui, Julien perçoit l'allocation de solidarité spécifique: 14 euros par jour, maximum. "Socialement, confie-t-il, je n'existe pas."

B. Bi.
Article paru dans l'édition du 28.04.05


Le Monde / Société
La Belgique a créé un fichier recensant tous les prêts en cours
Bruxelles de notre correspondant

 L a Belgique a joué un rôle pionnier en Europe en adoptant, en mai 2001, le principe d'un "fichier positif". censé être un outil déterminant dans la lutte contre le surendettement. Enregistrant tous les contrats de crédit en cours, géré par la Banque nationale de Belgique (BNB, l'équivalent de la Banque de France), la Centrale des crédits aux particuliers doit obligatoirement être consultée par les établissements avant l'octroi d'un crédit.

La Commission de la vie privée a rendu un avis favorable à la création de ce fichier central, estimant, contrairement à certains de ses homologues, dont la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) française, qu'un tel outil comportait plus d'avantages que de désagréments.

Le fichier positif a été effectivement créé en juin 2003, après fusion des fichiers négatifs de la BNB et de l'Union professionnelle du crédit. Ceux-ci reprenaient les noms de 65 000 Belges en rupture de paiement, c'est-à-dire qui ne pouvaient faire face au remboursement d'au moins trois contrats de crédit.

Soucieux de recenser aussi les ménages proches de leurs limites financières et de remédier à une augmentation alarmante du nombre de dossiers de surendettement, le ministre de l'économie, Charles Picqué (PS francophone), souhaitait responsabiliser davantage les organismes prêteurs. En réalité, il visait surtout les organismes non bancaires (sociétés de financement, de vente par correspondance et de cartes d'achat) auprès desquels les ménages pouvaient emprunter pour tenter de rembourser d'autres emprunts.

"La réforme visait à éviter la fuite en avant". explique Jean Hilgers, membre du comité directeur de la BNB. Et, selon lui, le fichier positif a permis d'améliorer la situation. "Nous manquons peut-être du recul nécessaire, mais il semble que le nombre de personnes se trouvant en défaut de paiement soit à la baisse, alors que les ouvertures de crédit continuent de croître. On peut donc évoquer une plus grande prudence dans les comportements d'octroi."

Depuis l'instauration du fichier positif, tous les prêteurs sont tenus de le consulter avant d'octroyer un crédit. Ils vérifient si d'autres prêts sont en cours et si leur client a connu des difficultés de paiement. A cet égard, la nouvelle loi n'a rien changé: un incident, même régularisé, reste inscrit pendant un an au minimum, dix ans au maximum.

Le fichier, accessible aux prêteurs agréés, aux avocats ou aux notaires dans le cadre d'une affaire, ainsi qu'aux organismes de contrôle des assurances et des banques, reprend les renseignements sur tous les prêts en cours, ventes à tempérament, locations de longue durée et ouvertures de crédit (les cartes de paiement, par exemple) que le consommateur a souscrits. D'après la BNB, quelque 6,7 millions de contrats étaient enregistrés par la Centrale des crédits fin 2004; près de 4,4 millions de personnes (sur les 10 millions de Belges) étaient inscrites dans ce fichier positif.

La loi précise que les prêteurs ne sont pas obligés de refuser un crédit en cas de fichage de leur client. Leur récente prudence s'explique toutefois par le fait qu'ils s'exposent désormais à des poursuites au cas où la justice viendrait à se pencher sur la situation difficile d'un emprunteur et estimerait qu'elle a été encouragée par la légèreté du prêteur. Un contrat peut être déclaré nul ou son remboursement limité au montant emprunté, hors intérêts.

La Centrale informe aussi immédiatement une personne lorsqu'elle est enregistrée dans le fichier. C'est le cas lorsque trois mensualités prévues n'ont pas été payées à leur échéance ou lorsqu'une mensualité reste impayée durant trois mois.

La personne fichée peut demander à consulter son dossier, le faire rectifier ou compléter, par exemple en exigeant que le motif du défaut de paiement soit indiqué. "On peut ainsi faire valoir un "accident de vie", comme la perte d'un emploi ou un divorce, éléments dont le banquier pouvait antérieurement tenir compte lors d'une discussion en tête à tête destinée à évaluer la situation du client". explique un conseiller de la banque ING.

Le consommateur peut aussi introduire une plainte auprès de la Commission de la vie privée s'il estime que ses droits ont été bafoués. Quelques spécialistes, minoritaires, soulignent cependant que le droit d'accès à la Centrale n'est pas suffisamment restrictif.

Jean-Pierre Stroobants
Article paru dans l'édition du 28.04.05


Le Monde / Médias
Columbia reçoit le prix 2004 de la publicité la moins sexiste

 U ne mamie tatouée. Sur son biceps, qui pourrait être celui d'un biker, apparaît l'inscription "Born to nag". traduite ainsi en bas de l'image: "emmerdeuse née".

C'est ainsi que se présente Gert Boyle, PDG de l'entreprise américaine spécialisée dans les articles de sport et de randonnée Columbia Sportswear. Cette photo a été choisie pour illustrer la campagne publicitaire de cette marque publiée dans la presse magazine lors de l'annonce de l'ouverture d'une première boutique à Paris.

La campagne recevra, jeudi 28 avril, le Prix de la publicité la moins sexiste de l'année 2004, attribué par l'Association des femmes journalistes (AFJ).

"Cette femme, qui a aujourd'hui près de 80 ans, est depuis vingt ans l'égérie de la marque. Le ressort publicitaire est toujours le même: elle apparaît comme la "mère nature ", extrêmement exigeante, un peu sadique, et le ton employé est celui de l'humour vache". explique Frédéric Raget, directeur de l'agence Rage, en charge de la publicité de la marque en Europe.

Maïté Seegmuller, directrice du marketing de Columbia Sportswear en France, qualifie le personnage qu'incarne Gert Boyle de "Tatie Danielle". "Dans les spots télévisés, elle attache, par exemple, son fils sur le toit d'une voiture pour tester la résistance des vêtements sous tous les climats de l'Orégon". raconte-t-elle.

UNE IMAGE ASSEZ INÉDITE

Au-delà du personnage publicitaire, toute la communication de l'entreprise est centrée sur l'histoire de cette femme. Elle raconte qu'elle a fui, enfant, l'Allemagne nazie avec ses parents. Après s'être installés dans l'Oregon, ils achètent une petite entreprise de textile.

A la mort de son mari, restée seule avec trois enfants, Mme Boyle décide de reprendre l'affaire. C'est elle qui, avec l'aide progressive de son fils, en fera l'entreprise que l'on connaît aujourd'hui.

"C'est une image assez inédite dans le domaine du sport. Cette femme n'est pas toute jeune, mais elle reste féminine avec ses boucles d'oreille, malgré une attitude toute masculine". souligne Séverine Bounhol, membre de l'AFJ, avant d'ajouter: "Le grand changement cette année, c'est que la campagne primée n'est pas une campagne revendicative ou institutionnelle, mais se distingue par son humour."

Le jury a aussi attribué une mention, toujours dans le domaine du sport, à une publicité Andros illustrée d'une photo de Jeannie Longo, accompagnée de cette accroche: "Le plus grand sportif de tous les temps est une femme."

Une autre publicité s'est retrouvée dans le dernier carré de la sélection, celle de Dove. Pour vanter sa ligne de produits raffermissants, la marque n'avait pas hésité à montrer six femmes toutes en rondeurs.

"Le fait qu'elles soient encore une fois dénudées me gêne, mais on ne nous impose pas un modèle de femme. En montrant, cette année, des femmes aux cheveux gris, ridées ou avec des taches de rousseur, Dove fait très fort". dit Mme Bounhol. "C'est courageux". conclut M. Raget.

Laurence Girard
Article paru dans l'édition du 28.04.05


Le Monde / Culture
19 bibliothèques en Europe signent un manifeste pour contrer le projet de Google

 L es bibliothèques nationales européennes réagissent au projet de bibliothèque numérique de la société californienne Google. Dix-neuf d'entre elles viennent de signer une motion destinée à "appuyer une initiative commune des dirigeants de l'Europe visant à une numérisation large et organisée des oeuvres appartenant au patrimoine de notre continent."

Google, qui développe l'un des plus puissants moteurs de recherche sur la Toile, avait annoncé le 14 décembre 2004 le lancement d'une bibliothèque virtuelle (gratuite) de quinze millions de titres imprimés (environ 4,5 milliards de pages).

Jean-Noël Jeanneney, président de la Bibliothèque nationale de France (BNF), intervenait dans les colonnes du Monde (le 22 janvier 2005) pour appeler ses homologues de l'Union européenne à élaborer un contre-projet européen. Il précisait qu'"une telle entreprise suppose au niveau de l'Union une étroite concertation des ambitions nationales pour définir le choix des oeuvres. Elle appelle aussi le soutien des autorités communautaires pour développer un programme énergique de recherche dans le domaine des techniques qui serviront ce dessein."

Les bibliothèques nationales d'Allemagne, les pays du Benelux et l'Italie ont signé la motion, suivis par l'Autriche, le Danemark, l'Espagne, la Finlande, la Grèce, l'Irlande et la Suède, et ainsi que presque tous les Etats de l'ancien bloc communiste: Estonie, Hongrie, Lituanie, Pologne, République tchèque, Slovaquie, Slovénie. En plus de ces 19 pays, Chypre, Malte et le Portugal ont donné leur accord verbal et doivent le confirmer par écrit.

Le Royaume-Uni – élément capital en raison de la richesse de ses bibliothèques publiques et d'abord de la prestigieuse British Library – a décidé d'apporter un "soutien explicite à l'initiative" sans signer la motion... On attend encore la réponse de la Lettonie.

Pour que l'initiative de la BNF ne reste pas un voeu pieux, il faut que les responsables politiques prennent le relais. Lors des Rencontres pour l'Europe de la culture, qui doivent rassembler à Paris, les 2 et 3 mai, la plupart des ministres de la culture de l'Union, Jacques Chirac devrait, dans son discours inaugural, évoquer ce programme. Car si les bibliothèques européennes veulent être à la hauteur du projet Google Print, il leur faudra aligner un budget comparable, c'est-à-dire de 150 ou 200 millions de dollars, soit presque autant en euros.

La somme, indique M. Jeanneney, n'est pas si considérable par rapport aux grand projets européens. Dans un petit livre qui vient de paraître, Quand Google défie l'Europe, plaidoyer pour un sursaut, il considère l'initiative californienne comme "un choc stimulant" et non comme un "défi" guerrier.

"DISPERSION DU SAVOIR"

M. Jeanneney développe là les arguments esquissés dans Le Monde: ne pas laisser toute la place à une vision univoque (et américaine) du monde, proposer une alternative à la marchandisation d'un pan considérable du savoir. Cette alternative, dit-il, doit être transnationale, publique et européenne. Il s'agit pour les futurs partenaires de pousser conjointement un projet industriel ("logistique du maniement des livres, système de numérisation, procédés de qualification des documents" ) et un projet scientifique ("comment mettre à disposition des richesses intelligemment choisies et utilement organisées en corpus ?" ).

Pour M. Jeanneney, il n'est pas question de laisser les politiques se mêler directement des contenus. Des conseils scientifiques européens, composés de bibliothécaires, de conservateurs, d'informaticiens et de savants de toute nature, pourvoiraient à les définir. Une instance qui en serait l'émanation déterminerait une stratégie collective. Elle "s'attacherait à encourager tous les choix privilégiant la mémoire des échanges d'une nation à l'autre." Et devrait répondre "à cette inquiétude lancinante du n'importe quoi, de la dispersion du savoir en poudre". caractéristique à ses yeux du projet Google, "dont le président des bibliothèques américaines - Michael Gorman - s'est fait le dénonciateur persuasif et inquiet."

Reste un risque majeur: face à la souplesse et à la détermination d'une entreprise privée, disposant de moyens financiers très importants, l'Europe risque d'opposer à la firme californienne une complexe usine à gaz, addition d'administrations atomisées, jalouses et paralysées par des interférences politiques.


Quand Google défie l'Europe, plaidoyer pour un sursaut, de Jean-Noël Jeanneney. Ed.Fayard, coll. "Mille et une nuits" , 114 p., 9 €.

Emmanuel de Roux
Article paru dans l'édition du 28.04.05


Le Monde / France
Lundi de Pentecôte travaillé: Jean-Pierre Raffarin affiche sa détermination

 J ean-Pierre Raffarin a de nouveau demandé, jeudi 28 avril, que la loi faisant du lundi de Pentecôte une "journée de solidarité" travaillée en faveur des personnes âgées et handicapées "soit appliquée par tous". Il s'agit d'une "loi votée par le Parlement" et "je demande à ce que la loi soit appliquée par tous, c'est une pratique républicaine", a déclaré le premier ministre à la presse, à l'issue d'un séminaire gouvernemental à Matignon, destiné à "faire le point, secteur par secteur" sur cette journée du 16 mai.

"La loi permet d'interpréter l'ensemble des conditions des uns ou des autres. Nous avons valorisé l'accord". "Quand il y a accord" prévoyant que la journée de solidarité soit organisée "à tel ou tel autre moment de l'année", cet accord "s'applique", a-t-il réaffirmé. "Quand il n'y a pas d'accord, la loi dit que c'est le 16 mai", donc le lundi de Pentecôte, qui est travaillé, a-t-il ajouté.

Le gouvernement espère mieux faire accepter la mesure aux salariés en lançant le 3 mai une campagne de communication. Mais cet objectif tient de plus en plus de la gageure tant la fronde s'organise dans le privé comme dans le public, avec des arrêts de travail annoncés dans de multiples secteurs et des fermetures programmées dans certaines collectivités locales.

FRONDE DANS LE PUBLIC ET LE PRIVÉ

"Il s'installe une ambiance qui va finir par faire imploser la mesure gouvernementale", a commenté mercredi le secrétaire général de la CGT, alors que la confusion grandit sur les modalités de la mise en œuvre de cette journée et que les appels à la grève se multiplient pour en obtenir la suppression. "Ce que nous allons essayer de faire, d'ici au 16 mai, c'est d'obtenir sa non-application", a ajouté Bernard Thibault. Il a prédit ce jour-là un nouveau "temps fort de la mobilisation" des salariés puisque "le gouvernement n'a pas apporté les réponses appropriées aux revendications" sur les salaires et le pouvoir d'achat. Toutes les organisations syndicales ont dit leur hostilité à cette "journée de travail gratuit obligatoire" qui pèsera essentiellement sur les salariés.

La principale fédération de parents d'élèves, la FCPE, a renouvelé mercredi son appel à ne pas envoyer les enfants à l'école ce jour-là, alors que les syndicats d'enseignants ont appelé à la grève le 16 mai. La FCPE remarque notamment que "la journée n'étant pas imposée à la même date pour tous les salariés, rien ne garantit que la restauration, les transports et les garderies scolaires seront assurés".

Les appels syndicaux contre "l'injustice" de cette journée de "travail gratuit" semblent rencontrer un large écho dans la population: selon deux récents sondages, près des deux tiers des Français sont opposés à la suppression du jour férié, contredisant ainsi les déclarations du ministre Philippe Douste-Blazy (santé), persuadé que "les Français sont prêts à faire cet effort".

S'il ne veut pas céder pour 2005, le premier ministre a néanmoins dû accepter qu'une mission évalue d'ici à l'été le déroulement de cette journée et propose, le cas échéant, de nouvelles solutions pour les années à venir. Car malgré le soutien affiché par le patron de l'UMP, Nicolas Sarkozy, M. Raffarin se retrouve critiqué jusque dans son propre camp, pour cette mesure jugée impopulaire et inégalitaire dans son application, certains députés de "base" militant depuis des mois pour une journée "à la carte" (RTT...).

A droite comme à gauche, les partisans du oui au référendum sur la Constitution redoutent que la contestation autour du lundi de Pentecôte travaillé - qui tombe treize jours avant le scrutin - vienne tendre une situation politique et sociale déjà électrique (affrontement Raffarin-Villepin, hausse du chômage, déferlante du textile chinois,"parachute doré" de l'ancien patron de Carrefour...) et grossir les rangs du non, donné gagnant dans tous les sondages depuis un mois. Julien Dray (PS) a annoncé mardi que son parti abrogerait la mesure s'il revenait au pouvoir en 2007.

Avec AFP et Reuters
LEMONDE.FR | 28.04.05


Le Monde / France
Jospin intervient en faveur du oui mais n'entend jouer "aucun rôle particulier" d'ici à 2007

 L es enjeux du référendum du 29 mai. Alors qu'il s'exprimait pour la première fois à la télévision depuis son échec à la présidentielle, le 21 avril 2002, Lionel Jospin a tout d'abord mis en garde contre les confusions qui pouvaient être faites entre les problèmes de politiques intérieures, et le vote du 29 mai prochain sur le Traité constitutionnel européen. Voter contre le traité constitutionnel, c'est "sanctionner la France, c'est sanctionner l'Europe, ce n'est pas sanctionner le pouvoir en place", a t-il déclaré. "Les Français sont en colère, ils sont mécontents, ils ont des raisons d'être en colère", a assuré M. Jospin. "Comme on n'a pas tenu compte de leurs protestations exprimées clairement en 2004, ils ont un désir de protestation et une envie de sanction", a dit encore M. Jospin. Mais "voter contre le Traité constitutionnel c'est sanctionner la France, c'est sanctionner l'Europe, ce n'est pas sanctionner le pouvoir en place", a-t-il ajouté.

"Si nous avons un problème politique en France, réglons-le en France et ne prenons pas l'Europe à témoin ou en otage de ces discussions nécessaires" sur la manière dont est gouvernée le pays, a expliqué M. Jospin. "Je comprends ces protestations" des Français contre la politique gouvernementale, évoquant la montée du chômage, et "des impôts injustes". "En même temps, je dis: ça n'est pas l'objet, ce n'est pas le moment pour trancher cette question", a ajouté l'ex-premier ministre. Selon M. Jospin, "il n'y a pas de cohérence d'un non pro-européen". "Quand on veut l'Europe, on dit oui à l'Europe, on ne dit pas non à l'Europe", a-t-il lancé.

Interrogé sur la possible confusion qui pouvait être fait entre le oui de droite, et le oui de gauche, l'ancien premier ministre a déclaré que l'Europe ne pouvait pas être remise en cause à chaque alternance politique.

La Constitution. Elle ne peut pas être un carcan libéral, a expliqué l'ancien premier ministre, le libéralisme étant par définition l'absence de cadre. L'Union européenne n'est pas libérale, mais "elle a des imperfections" et "j'aurai pu souhaiter un traité constitutionnel qui aille plus loin sur le plan social", a t-il cependant admis. Si le non l'emportait, "politiquement et psychologiquement, c'est une europe en panne "et "une france qui s'isole", a t-il expliqué. "Il faut peser le conséquence de ses actes", "le oui est plus clair et plus simple".

Son rôle futur. Interrogé sur le rôle qu'il entendait tenir entre 2005 et 2007, M. Jospin a répondu: "Aucun rôle particulier". "Je veux pouvoir dire ce que je crois juste dans certaines circonstances, pas forcément tout le temps ni fréquemment, notamment pour mon pays mais aussi par exemple pour l'Europe, le dire librement. Pour le reste, je veux aider les socialistes à agir", a-t-il dit. "Mais sans reprendre un rôle plus actif ?", lui a demandé le journaliste. "Non", a-t-il répondu. "Ce que je souhaite, c'est que la gauche se rassemble pour changer l'Europe et non pas pour la bloquer, et aussi que les socialistes soient au coeur de cette gauche", a ajouté Lionel Jospin.

Les réactions. Le Parti socialiste a estimé après l'intervention télévisée de Lionel Jospin, que "sa voix porte un message attendu par toutes les Françaises et tous les Français". "Lionel Jospin a toujours été présent à nos côtés, dans nos combats électoraux et, comme à chaque fois, son soutien nourrit et enrichit nos débats", écrit Annick Lepetit, porte-parole du PS dans un communiqué. "Il est normal qu'il explique un référendum de cette importance qui engage à la fois l'avenir de la gauche, de la France et de toute l'Europe", observe enfin la porte-parole.

Avec AFP
LEMONDE.FR | 28.04.05


Le Monde / France
Constitution européenne - Compte-rendu
24 heures de campagne: M. Breton tient meeting, M. Raffarin est à Sup de Co et M. de Villiers pavoise

Bourg-en-Bresse

 I l faut un début à tout. Mais pour son premier meeting pour le oui au référendum, Thierry Breton a choisi d'assurer: en accompagnant Nicolas Sarkozy, le président de l'UMP, il était certain d'avoir une salle pleine et enthousiaste. Plus de 2 000 personnes étaient en effet réunies dans le Parc des expositions de Bourg-en-Bresse (Ain), mercredi 27 avril.

M. Breton s'est lancé sans un regard au discours préparé par ses services, sans aucune autre note avec des arguments qu'il a lui-même rôdés. Sous le regard curieux de Nicolas Sarkozy, assis avec des parlementaires sur la scène. Les délocalisations ? "C'est quelque chose dont on parle depuis longtemps, parce que nous changeons de monde, pas à cause de la Constitution européenne." Les nouveaux pays membres, qui attirent des emplois ? "On ne peut pas le nier, mais on leur vend aussi plus de produits", ce qui nous a permis de "créer 150 000 -postes-", affirme le ministre. Alors "attention à la désinformation, faites de la pédagogie", lance-t-il.

Côté positif, il en appelle "à tous ceux qui ont moins de 31 ans", qui vont "voter pour la première fois pour l'Europe": "Si le président de la République a souhaité le référendum, c'est aussi et surtout pour que vous puissiez vous exprimer." Il reconnaît que la Constitution n'est "pas un cadre parfait", mais "prenez-le, vous pourrez le faire évoluer", assure-t-il. Il termine sur une note risquée: pour la première fois, la Constitution contient un article qui permet de sortir de l'Europe, "qui a beaucoup de défauts", avoue-t-il. Pour lui, ceux qui veulent "dire non à l'Europe doivent aussi voter oui".

Au passage, M. Breton tente d'appâter les militants. Estimant que les jeunes entrent trop tard sur le marché du travail et que les retraités en sortent trop tôt, il assure qu'il a la solution pour changer cela: "Je sais exactement ce qu'il faut faire." Sans en dire plus. Décevant. "C'est une question de timing, affirme le ministre, obscur. Il ne faut rien faire faire quand les conditions de marché ne s'y prêtent pas."

Il rentre à Paris tellement ravi de sa soirée et convaincu que les arguments du non "tournent en rond", qu'il en a oublié le sujet du séminaire gouvernemental du lendemain. "Le lundi de Pentecôte, vous croyez ? Mais tout est clair, il n'y a pas besoin de séminaire", s'étonne-t-il. Nicolas Sarkozy est plus inquiet. Même s'il a électrisé la salle, il sait aussi qu'il faudra encore beaucoup d'efforts pour convaincre les électeurs de "ne pas renverser la table". "On sent qu'ils en ont très envie", reconnaît-il. Il les prévient: "Vous risquez de la recevoir sur les genoux."
Amiens

 L e premier ministre avait, lui, décidé, mercredi, de plaider pour le oui à Sup de Co Amiens, dans le fief du ministre des transports, Gilles de Robien.

"Mes camarades !", lance-t-il d'entrée aux étudiants, se souvenant qu'il a été lui aussi un "sup de co". Succès garanti. Lucie pointe une contradiction entre le droit à la vie prévu dans la Constitution européenne et le droit à l'IVG inscrit dans la loi française: "La suite du texte sur le droit à la vie dit qu'on doit respecter les politiques nationales", répond M. Raffarin.

"Comment faire comprendre aux jeunes que le vote du 29 mai n'est pas un vote de politique intérieure ?", demande un jeune. Le premier ministre quitte son fauteuil, va sur le devant de la scène: "Il ne s'agit pas de voter pour des hommes politiques. L'Europe verra beaucoup d'hommes politiques se succéder. C'est une affaire de citoyenneté. Est-ce que la voix de la France sera silencieuse dans les vingt ans qui viennent ou est-ce qu'elle sera encore entendue ? C'est ça le défi."
Amiens encore...

 P hilippe de Villiers, chantre du non, était lui aussi, mercredi, dans l'ancienne capitale picarde. Une "coïncidence, un hasard de calendrier", a-t-il tenu à préciser. Qu'il a aussitôt exploité en invitant France 3 à le filmer devant la mairie au moment où M. de Robien recevait le premier ministre.

"Sympa de pavoiser pour le non !", a-t-il ironisé devant les drapeaux qui décoraient l'édifice public. Il a pris un malin plaisir à énoncer les faits d'actualité travaillant, selon lui, pour le non. "L'Europe impuissante face au textile chinois" ou encore "le patron alsacien qui a proposé à ses employés licenciés, un reclassement en Roumanie, à 110 euros par mois, tandis que le PDG de Carrefour, en déplacement en Chine à Pékin, obtient des indemnités colossales". Les électeurs à Amiens entendront-ils les réponses formulées à Bourg-en-Bresse ?

LEMONDE.FR | 28.04.05


Le Monde / Entreprises
Morosité persistante sur les marchés d'actions

 L a séance du mardi 26 avril a été décevante sur les principales Bourses occidentales.

A Wall Street, le Dow Jones a cédé 0,89%. Le Nasdaq composite a reculé de 1,20%. Le moral des ménages américains, publié par le Conference Board, s'est établi à 97,7 points en avril, contre 103 points le mois précédent. Selon l'institut de conjoncture, les prix énergétiques ont pesé sur les prévisions de consommation des ménages. La publication de cet indicateur a renforcé les doutes des investisseurs sur le dynamisme de la croissance économique aux Etats-Unis.

Des résultats trimestriels d'entreprises en deçà des attentes du marché ont également pesé sur les décisions d'investissement des opérateurs. L'action Lexmark International a décroché de plus de 14%, à New York, affectant l'ensemble des valeurs technologiques américaines. Le fabricant d'imprimantes a publié un bénéfice pour le premier trimestre 2005 jugé décevant. Même déconvenue pour le titre du groupe chimique DuPont, en baisse de 3,19% (la plus forte baisse du Dow Jones), suite à la publication d'un bénéfice trimestriel en deçà du consensus des analystes.

L'action de l'assureur AIG a perdu 1,33%, alors qu'Eliot Spitzer, le procureur général de l'Etat de New York, annonçait, mardi, avoir élargi son enquête sur de nouvelles irrégularités comptables présumées, qui auraient évité au géant de l'assurance de payer des millions de dollars de cotisations sociales de ses salariés.

L'annonce d'une perte nette au deuxième trimestre de son exercice 2004-2005 pour Infinéon, fabricant allemand de semi-conducteurs, a pesé sur l'ensemble des technologies européennes. A Paris, le CAC 40 est resté inchangé, mardi, à 3 993,04 points.

A Tokyo, mercredi 27 avril, le Nikkei a cédé 0,28%, dans le sillage de Wall Street.

Cécile Ducourtieux
Article paru dans l'édition du 28.04.05


Le Monde / Entreprises
Les Etats-Unis s'emparent de la question du textile chinois

 T ant Bruxelles que Washington ont finalement accepté d'ouvrir des enquêtes pour déterminer si la très forte progression récente des importations chinoises, de plus de 1 000% pour certains vêtements, entraîne effectivement la distorsion des marchés dénoncée par ces producteurs.

Pour l'Europe, l'enquête est confiée aux services compétents de la Commission européenne, tandis qu'aux Etats-Unis les recherches seront menées par le CITA, un comité gouvernemental présidé par le ministère du commerce.

Dans les deux cas, les procédures commencent par une période de consultations de toutes les parties intéressées. Le ministère américain du Commerce a précisé que les Chinois pouvaient eux aussi formuler leurs commentaires, comme ils l'ont déjà fait par le passé.

DURÉE MAXIMUM DE 120 JOURS

"Nous sommes contents, c'est une étape de plus dans un processus long et difficile pour obtenir un peu de répit pour ce qui se passe sur notre marché ici, mais en Europe, vous connaissez les mêmes problèmes", a expliqué à l'AFP, David Trumbull, directeur de la National Textile Association, l'une des fédérations de producteurs américains à l'origine de la requête début avril pour l'imposition de mesures de sauvegarde.

Néanmoins, ce responsable a exhorté le gouvernement américain "à agir immédiatement, en déterminant sans attendre" qu'il y a distorsion de marchés, "et à imposer immédiatement ces mesures". La procédure américaine prévoit 30 jours de consultations puis encore un maximum de 30 jours de délai de réflexion avant de décider s'il y a eu distorsion ou non. En cas de réponse affirmative, le gouvernement américain ouvre des discussions avec Pékin tout en imposant des mesures provisoires pour limiter les arrivages massifs des sept catégories de vêtements visées par les demandes des producteurs.

L'idée étant de parvenir à un accord négocié avec les responsables chinois évitant ainsi l'imposition de nouvelles barrières commerciales. La procédure prévoit une durée maximum de 120 jours pour ce faire.En Europe, l'enquête porte sur neuf catégories de produits textiles importées de Chine. Dans les deux cas il s'agit surtout de chemises, chemisiers, pantalons, soutien-gorges en coton et fibres synthétiques.

LES AMÉRICAINS EXIGENT L'INTERVENTION DE LEUR GOUVERNEMENT

Selon les chiffres du ministère du commerce américain, au premier trimestre, les importations de ces produits fabriqués à bas coûts affichent une progression exponentielle entre 300 et 1 500%, selon les types de vêtements, par rapport au 1er trimestre 2004.

Certes, les producteurs américains avaient près de 10 ans pour se préparer à l'expiration le 1er janvier dernier des quotas qui ont encadré les échanges commerciaux internationaux de produits textiles. Mais l'ampleur des flux en provenance de Chine lors des trois premiers mois les a conduit à exiger l'intervention du gouvernement pour protéger leur marché alors que dans le cadre de l'Organisation mondiale du Commerce (OMC), ils prônent au contraire davantage de libéralisation des échanges.

"Les importations ont déferlé et ça a fait des dégâts", a rappelé M. Trumbull. Selon les chiffres officiels, pour le seul mois de mars, le secteur du textile et de l'habillement a perdu au total 7 600 emplois, soit 245 emplois par jour durant ce mois. Les associations de producteurs ont multiplié les plaintes et requêtes depuis l'automne dernier en rappelant que l'accord d'adhésion de la Chine à l'OMC prévoit la possibilité pour Washington de limiter provisoirement la croissance des importations chinoises à 7% par an.

Avec Afp
LEMONDE.FR | 28.04.05 | 20h35


Le Monde / Entreprises
Fin de la grève à la SNCM

 A près 17 jours d'une grève jugée "suicidaire" par le gouvernement, les marins CGT de la Société Nationale Corse-Méditerranée (SNCM) ont voté, jeudi 28 avril à Marseille, la reprise du travail, estimant avoir reçu des garanties suffisantes de l'Etat, actionnaire majoritaire.

Presque totalement paralysé depuis le début du conflit, le trafic de la compagnie publique de transport maritime devait reprendre progressivement dès jeudi soir, avec un premier départ à minuit du Napoléon-Bonaparte de Bastia vers Marseille. Les autres traversées au départ de la cité phocéenne vers différents ports corses reprendront vendredi, avec un premier départ vers le Maghreb le lendemain, selon la direction.

Depuis le 12 avril, les marins CGT avaient entamé une grève dans le cadre d'un mouvement national lancé par leur syndicat contre le Registre international français (RIF), qui permet aux armateurs d'embaucher jusqu'à 75% de marins non européens et qui a été validé, jeudi, par le Conseil constitutionnel. Reçus lundi à Paris au secrétariat d'état à la mer, les représentants des grévistes avaient notamment obtenu des engagements écrits du gouvernement sur le fait que le RIF ne s'appliquerait pas aux navires desservant la Corse et le Maghreb, une de leurs principales revendications.

Cet engagement devrait être confirmé juridiquement sous la forme d'un "accord de branche" entre les fédérations syndicales et les "Armateurs de France" (patronat), selon une lettre du préfet de région, Christian Frémont, qui a reçu à plusieurs reprises les grévistes à Marseille durant le conflit.

"PROJET ALTERNATIF"

La situation de la SNCM, en grave difficulté financière et sous le coup d'un plan de redressement prévoyant notamment la suppression de 210 emplois (sur 2 400), était également au coeur des préoccupations des grévistes. Ils ont obtenu lundi l'engagement de l'Etat et de la direction que le "volet social" de ce plan serait suspendu "jusqu'à l'élaboration d'un projet global porteur d'avenir" pour l'entreprise.

Jean-Paul Israël, secrétaire CGT des marins de Marseille, a expliqué au cours de l'assemblée générale que la direction disposait d'un délai de six semaines pour présenter ce projet aux salariés. Dans l'intervalle, un "groupe de travail" regroupant certains syndicats de la SNCM doit se réunir régulièrement avec le préfet pour élaborer un "projet alternatif" visant à éviter l'entrée de partenaires privés au sein de la compagnie.

Selon le gouvernement, la SNCM accuse 25,6 millions d'euros de pertes pour 2004 et le secrétaire d'état à la mer, François Goulard, affirme que l'appel à un investisseur extérieur est indispensable pour renflouer la trésorerie. D'un coût estimé à plus de 3 millions d'euros par l'Etat, ce mouvement de grève à la SNCM - le troisième d'envergure en un an - avait été qualifié de "suicidaire" par le ministre des transports, Gilles de Robien, qui avait comme M. Goulard et le PDG, Bruno Vergobbi, brandi le spectre du dépôt de bilan.

"On appelle à la reprise du travail parce qu'on a obtenu des avancées, pas parce qu'on se 'cague' dessus", a assuré Jean-Paul Israël, vivement interpellé en assemblée générale.

Avant de voter quasi unanimement la fin du conflit, marqué par des heurts avec la police et le blocage du port de Marseille à plusieurs reprises, les grévistes ont également obtenu de la direction l'abandon de toute sanction interne individuelle, à l'exception de ceux qui seraient condamnés par la justice.

Avec AFP
LEMONDE.FR | 28.04.05


Le Monde / Europe
Un proche de Jean Paul II collaborateur des services communistes polonais

 L e père Konrad Hejmo, chargé des pèlerins polonais au Vatican et proche du pape défunt Jean Paul II, a été accusé, mercredi 27 avril, d'avoir collaboré avec les services de sécurité communistes polonais (SB). Il a qualifié ces accusations d'"absurdes". "C'est complètement absurde. Il y a eu des gens qui venaient nous voir comme soi-disant de grands amis, et qui s'intéressaient à tout, au pape", a-t-il dit au téléphone à la télévision publique polonaise TVP.

Le père Hejmo a confirmé avoir été "sollicité" par la SB à l'époque communiste, comme "tous les prêtres" en Pologne. "Tout prêtre avait forcément son tuteur" de la SB, a-t-il dit.

L'Institut de la mémoire nationale (IPN) qui instruit les crimes nazis et communistes, a annoncé mercredi que le père Konrad Hejmo aurait collaboré avec les services de sécurité communistes polonais (SB). "L'IPN dispose des dossiers attestant que le père Konrad Stanislaw Hejmo collaborait secrètement dans les années 1980 avec les services de sécurité de la Pologne communiste", a déclaré devant la presse le président de l'IPN, Leon Kieres.

Interrogé sur ces documents, le père Hejmo a affirmé qu'il pouvait s'agir de nombreux "articles" qu'il avait écrits, notamment en tant que directeur adjoint du bureau de presse de l'épiscopat polonais à Rome après 1979. "Quand j'écrivais un article, je le signais forcément. Ils étaient envoyés au primat de Pologne, avec une revue de la presse italienne sur le pape", a-t-il dit. Il n'a pas exclu que ses conversations aient pu être enregistrées à son insu et aient "fait l'objet de montages" par les services spéciaux.

Le père Hejmo, un moine dominicain âgé de 69 ans, utilisait dans ses rapports avec SB les pseudonymes "Hejnal" et "Dominik", a ajouté M. Kieres. Envoyé à Rome en 1979 par le primat de Pologne de l'époque, Mgr Stefan Wyszynski, le père Hejmo y est devenu directeur d'un centre pour pèlerins polonais Corda Cordi. Dans les années 1980, il organisait l'aide aux immigrés polonais à Rome.

Les dossiers du père Hejmo comprennent 700 pages de documents et portent sur sa collaboration avec la SB dans les années 1980 "et avant", selon les responsables de l'IPN. Il connaissait le cardinal Karol Wojtyla avant son élection à Rome. "Il avait accès aux plus proches collaborateurs de Jean Paul II", a affirmé à la TV 24 Jacek Palasinski, correspondant de cette chaîne de télévision polonaise à Rome.

"GRANDE SURPRISE"

Interrogé par l'AFP, Mgr Tadeusz Pieronek, membre de l'épiscopat polonais, a qualifié l'information donnée par M. Kieres de "grande surprise". "Il ne faut pas oublier que ce système - communiste - était sans pitié. Il est facile de condamner, mais ce système avait tout le monde dans ses tenailles", a souligné Mgr Pieronek. Selon lui, ce n'est toutefois "pas le moment pour ce genre d'informations, après tout ce que nous avons vécu avec la mort du pape".

Le président de l'IPN avait annoncé la semaine dernière que son institut disposait de nouvelles traces de mouchards des services de sécurité communistes dans le proche entourage ecclésiastique de Karol Wojtyla. Il a précisé qu'il s'agissait notamment d'enregistrements audio de dépositions de l'un d'eux, "un ecclésiastique", dont la voix était "reconnaissable".

Ce moine dominicain est responsable des pèlerins polonais au Vatican depuis vingt et un ans, et à ce titre, avait ses entrées auprès du proche entourage de Jean Paul II. Pendant les dernières semaines de vie de Jean Paul II, il informait régulièrement les médias sur la santé du souverain pontife, mort le 2 avril à l'âge de 84 ans.

Grand, mince, aisément reconnaissable avec son épaisse chevelure blanche, le moine polonais était sur la place Saint-Pierre au milieu des pèlerins polonais à chaque apparition du pape pour les audiences générales ou pour l'angélus du dimanche. Lors des deux dernières hospitalisation de Jean Paul II en février et mars, le père Hejmo avait emmené avec lui des groupes de Polonais devant l'hôpital Gemelli pour prier et chanter sous les fenêtres de sa chambre.

Le 16 mars, le pape, qui avait regagné ses appartements du Vatican, avait fait une apparition surprise à la fenêtre de son bureau pour bénir les pèlerins polonais quelque minutes après un échange téléphonique entre le père Hejmo et Mgr Stanislaw Dziwisz, le secrétaire particulier de Jean Paul II.

Avec AFP
LEMONDE.FR | 28.04.05


Le Monde / Europe
Le futur président du Sénat autrichien défend les nazis "persécutés" après 1945
Vienne de notre correspondante

 E ntre les anciens militants nazis et les déserteurs de la Wehrmacht, le sénateur autrichien Siegfried Kampl n'hésite pas. Il sait qui il faut plaindre: les premiers ont été victimes de "brutales persécutions" après 1945, au moment où les Alliés ont voulu épurer son pays, tandis que les seconds étaient trop souvent, à ses yeux, des "assassins de leurs camarades" de combat.

Ses propos ont créé un certain émoi en Autriche et embarrassent le Parti populaire (ÖVP, chrétien conservateur) du chancelier Wolfgang Schüssel, au pouvoir depuis cinq ans avec le concours de l'extrême droite. M. Kampl doit en effet, à dater du 1er juillet, assumer la présidence du Conseil fédéral, la Chambre haute (Sénat) du Parlement autrichien. Comme la totalité des ministres et la moitié des députés du Parti libéral (FPÖ, extrême droite), cet élu de Carinthie a rejoint la nouvelle Alliance pour l'avenir de l'Autriche (BZÖ), fondée début avril par le populiste Jörg Haider, qui a provoqué une scission dans son propre camp afin de marginaliser l'aile ultranationaliste.

L'affaire Kampl perturbe son opération de "recentrage" politique et devient gênante pour ses alliés conservateurs, qui voulaient croire que le BZÖ serait plus présentable que l'ancien FPÖ: un autre sénateur, John Gudenus, a dû démissionner du FPÖ maintenu, mardi 26 avril, après avoir mis en doute, pour la deuxième fois de sa carrière, l'existence des chambres à gaz et la réalité du génocide des juifs.

Très proche de Jörg Haider, Siegfried Kampl n'a pas craint de dénoncer, dans un entretien à la radio autrichienne, le 19 avril, le traitement "brutal" infligé, à la fin de la guerre, aux anciens nazis. "J'ai vécu personnellement ces persécutions, en tant qu'enfant, quand on est venu chercher mon père -pour l'arrêter- en 1945". a affirmé M. Kampl, convaincu que "plus de 99%" de ses compatriotes avaient, à l'époque, adhéré au Parti national-socialiste (NSDAP) d'Adolf Hitler.

Le magazine Profil révèle que le père du sénateur, militant nazi dès 1934, a passé deux ans dans un camp d'internement des forces britanniques: il avait été condamné en vertu d'une loi sur les crimes de guerre pour avoir dénoncé l'une de ses voisines aux autorités du IIIe Reich.

L'Autriche s'apprête à fêter, début mai, le soixantième anniversaire de sa libération par les troupes alliées. Mais, parmi les générations les plus âgées, beaucoup partagent le mépris de M. Kampl pour les déserteurs de la Wehrmacht, considérés comme des"traîtres".

HAUTES PROTECTIONS

Ce n'est que récemment que l'Eglise catholique, à l'instigation du cardinal Christoph Schönborn, a pris l'initiative d'honorer la mémoire de l'insoumis Franz Jägerstätter, qui avait refusé par conviction religieuse de servir le régime hitlérien. A la différence de l'Allemagne, la République autrichienne n'a jamais totalement réhabilité les déserteurs et les insoumis. L'étude d'une proposition de loi dans ce sens, déposée en 2004 par les Verts (écologistes), a déjà été ajournée à cinq reprises par la majorité de droite, sous la pression du FPÖ.

Les Verts, tout comme les sociaux-démocrates, jugent "intolérable" que, après de telles professions de foi, M. Kampl puisse accéder à la tête d'une des plus hautes institutions du pays, six mois avant que l'Autriche prenne la présidence de l'Union européenne.

Dans un discours prononcé, mardi 26 avril, à la télévision nationale, pour célébrer le soixantième anniversaire de la IIe République autrichienne, le chef de l'Etat, le social-démocrate Heinz Fischer, a rendu hommage à tous ceux qui, dans son pays, ont résisté au système nazi: la victoire militaire des Alliés"n'était pas notre défaite". a-t-il souligné. Des dirigeants conservateurs ont aussi émis des protestations, mais le chancelier Schüssel a choisi, comme à son habitude, de traiter par le silence le dérapage verbal de M. Kampl.

Malgré les pressions exercées sur lui en coulisses, celui-ci ne montre, pour l'instant, aucune intention de renoncer à son poste, et Jörg Haider hésite à désavouer ce fidèle partisan. Il a même suggéré que le sénateur jouissait de hautes protections dans les milieux catholiques: "Kampl a été reçu deux fois en audience par le pape -Jean Paul II-: il devait quand même être un gars constructif pour arriver jusque-là". a-t-il déclaré.

Joëlle Stolz
Article paru dans l'édition du 28.04.05


Le Monde / Europe
A une semaine des élections législatives, Tony Blair est attaqué sur l'Irak

 L e premier minsitre britannique, Tony Blair, est accusé par les partis d'opposition d'avoir menti et trompé la nation en décidant d'envahir l'Irak. Cette décision aurait été prise en dépit d'un rapport de Peter Goldsmith, conseiller juridique du gouvernement, contestant la légalité d'une telle opération.

Dans ce rapport secret datant du 7 mars 2003, dévoilé par la BBC et Channel Four, l'Attorney général estime qu'un "tribunal pourrait bien conclure" que les résolutions du Conseil de sécurité existant à l'époque n'autorisent pas une guerre.

"Je reste d'avis que la procédure la plus sûre serait d'obtenir l'adoption d'une autre résolution autorisant le recours à la force" écrit le conseiller juridique.

DIFFÉRENCE ENTRE DEUX DOCUMENTS

Pourtant, dix jours plus tard, bien que la Grande-Bretagne n'ait pas obtenu le vote d'une nouvelle résolution, Lord Goldsmith a présenté au gouvernement son avis selon lequel la guerre était légale.

Des responsables de l'opposition et des activistes antiguerre ont pointé la différence entre les deux documents signés de Peter Goldsmith, demandant des explications, et ont appelé à la publication intégrale de l'avis légal de sept pages rédigé par le procureur général. Le premier ministre n'a jamais voulu répondre jusqu'à présent à cette requête.

"Il est maintenant clair que l'avis a bien été amendé et il faut que l'on nous dise par quoi ou par qui il a été modifié", a déclaré pour sa part à la BBC Michael Howard, chef du parti conservateur.

"CIRCONSTANCES" CHANGÉES

Le ministre britannique des affaires étrangères, Jack Straw, a tenté de calmer l'emballement médiatique qui a suivi ces révélations, et précisé à la BBC qu'entre le 7 et le 17 mars les "circonstances" avaient changé, modifiant l'avis de Peter Goldsmith sur la question de la légalité.

Il a indiqué que de nouvelles informations avaient été transmises au Conseil de sécurité sur les violations irakiennes de résolutions passées, et que la France avait également annoncé qu'elle mettrait son veto à une nouvelle résolution autorisant une action militaire. Jack Straw a affirmé que Londres avait toutefois toujours souhaité une seconde résolution, pour des raisons politiques, et non légales.

Cependant, deux sondages d'opinion donnent Tony Blair gagnant le 5 mai, ce qui lui permettrait de décrocher un troisième mandat consécutif, et une enquête indique que seulement trois pour cent des électeurs considèrent l'Irak comme un facteur déterminant dans leur choix.

Avec AFP et Reuters
LEMONDE.FR | 28.04.05


Le Monde / Europe
Berlusconi a obtenu sans convaincre la confiance du Parlement

 S ilvio Berlusconi a obtenu, jeudi 28 avril, la confiance du Parlement avec le feu vert, définitif, des sénateurs italiens à son nouveau gouvernement. Au lendemain du vote favorable des députés, il reste malgré tout un leader affaibli et contrôlé de près par ses alliés.

Le centre-droit disposant d'une confortable majorité au Sénat, M. Berlusconi a obtenu 170 oui et 117 non à la motion de confiance, au cours d'un vote sans enjeu, à l'image de celui à la Chambre des députés où il a obtenu 334 oui contre 240 non. Le résultat du vote au Sénat a ainsi été annoncé dans un hémicycle vide, les sénateurs connaissant le rapport de forces au sein de leur chambre et l'heure du déjeuner ayant sonné. "Nous offrons une confiance tiède, à l'image du printemps tiède de ces derniers jours", a déclaré au cours de son intervention Francesco D'Onofrio, chef des sénateurs démocrates-chrétiens de l'UDC, illustrant l'ambiance générale.

Ce parti et Alliance nationale (AN, droite conservatrice) avaient poussé M. Berlusconi à démissionner, il y a huit jours, dans une tentative pour envoyer un signal fort à l'électorat après la lourde défaite électorale du centre-droit lors des régionales de début avril. Ils s'étaient cependant engagés à soutenir un nouveau gouvernement Berlusconi avec un programme rénové de fin de législature.

Mais le nouveau gouvernement ressemble trop au précédent, selon ses alliés critiques, et le programme s'apparente davantage à une liste de voeux qu'à un projet réalisable, laissant déçus AN et surtout l'UDC.

"VOUS N'AVEZ PAS RÉSOLU LA CRISE"

M. Berlusconi s'est efforcé de convaincre ses alliés de la validité de ses idées, au cours de ses interventions devant la Chambre des députés et le Sénat, mais sans y parvenir. "M. Berlusconi, regardez vos ministres, sans enthousiasme, sans élan, sans joie, regardez-les. Ce sont des visages marqués par la panique et la préoccupation. Vous n'avez pas résolu la crise", lui a lancé jeudi Gavino Angius, chef des sénateurs du parti des Démocrates de gauche (DS, principal parti d'opposition). "Dans une démocratie représentative, la confiance parlementaire est le plébiscite quotidien des gouvernements", avait déjà mis en garde mercredi Marco Follini, chef de l'UDC.

"Un discours loyal, précis et courageux à l'égard de Silvio Berlusconi à qui il a fait savoir avec clarté la fin, en ce qui concerne l'UDC, de son leadership. C'est le début clair de la reprise d'une initiative politique et parlementaire autonome de l'UDC qui conduit à croire que le nouveau gouvernement ne durera pas toute la législature", a commenté l'ancien président de la République, Francesco Cossiga.

"La confiance jour après jour", titrait ainsi jeudi en guise d'avertissement au chef du gouvernement le principal tirage italien, le Corriere della Sera, lui rappelant ainsi qu'il sera quotidiennement à la merci des votes de ses alliés au Parlement jusqu'à la fin de la législature, théoriquement prévue en mai 2006.

"Davantage de non que de oui de la part des alliés au chef du gouvernement", a estimé le quotidien La Repubblica, proche de l'opposition. "La chute d'un tabou", titrait jeudi le même journal, annonçant la fin du "berlusconisme" et d'une ère où le chef du gouvernement était le leader indiscuté de la majorité.

"L'après-Berlusconi a débuté même à droite. Au cours de la journée qui devait être celle de sa relance, le chef du gouvernement a entendu à la télévision et au Parlement l'annonce de sa fin politique", écrit le journal. "Il avait à peine fini de parler du parti unique et de la victoire certaine contre les gauches non libérales quand la massue de Follini est tombée: 'La direction de la coalition en 2006 n'est pas acquise'. La phrase sonne comme une condamnation définitive", estime le journal.

Avec AFP
LEMONDE.FR | 28.04.05


Le Monde / International
En Equateur, l'impossible retour à la monnaie nationale
Quito de notre envoyée spéciale

 L a peau brune et l'oeil clair, Rafael Correa, 42 ans, aurait pu être acteur de cinéma, mais il est le nouveau ministre de l'économie de l'Equateur. La nomination de ce docteur en économétrie, formé entre son pays, la Belgique et l'Illinois, directeur de la faculté d'économie de l'université la plus chère de Quito, devrait rassurer banquiers et marchés. Et voilà qu'elle fait peur.

Il faut dire que Rafael Correa parle de défendre la souveraineté économique du pays et de payer la dette sociale. "Une révolution, après vingt-cinq ans de néolibéralisme". note un de ses collègues économistes. "N'est-il pas immoral qu'un pays comme l'Equateur consacre 40% de son budget au paiement de la dette extérieure ? Que sur 100 dollars de revenus pétroliers deux soient alloués à la santé et à l'éducation ?". demande le ministre. Wall Street fronce le sourcil. Depuis le début de la crise, les titres de la dette équatorienne ont perdu près de 40% de leur valeur. "Nous voulons développer l'économie productive, relancer la croissance et créer des emplois. Tous les créanciers et les opérateurs étrangers y trouveront leur compte". rassure M. Correa. Croit-il disposer d'une baguette magique ? "Non. Mais il est des recettes simples qui, en Equateur, n'ont jamais été appliquées. La politique actuelle concernant les revenus du pétrole, dont une partie est automatiquement allouée au rachat de la dette, est absurde". souligne-t-il.

LES "VRAIES ÉTUDES"

Catholique très pratiquant, M. Correa dit en riant appartenir "à l'aile dure des Petits Frères de la charité". Jeune, il a travaillé pendant un an avec des soeurs à Zumbahua, au fin fond des Andes. Dimanche, les téléspectateurs ont eu la surprise d'écouter leur nouveau ministre échanger sur le plateau quelques mots en quechua avec une Indienne. "N'oublie pas la misère que tu as vue à Zumbahua". lui dit la militante. "Ne t'inquiète pas, c'est là que j'ai fait mes vraies études supérieures". répond-il en souriant.

"En matière économique, il est souvent plus facile de faire que de défaire". soutient le ministre, qui juge impossible de "dédollariser" l'économie équatorienne dans le contexte actuel. "Revenir à une monnaie nationale suppose un consensus politique et social qui, pour le moment, n'existe pas". dit-il.

Désigné par un président fragile, Rafael Correa sait que le sort du nouveau gouvernement dépend de sa capacité à satisfaire les attentes de la population. Interrogé sur les risques de dérive populiste, il s'énerve: "Si Bush dit qu'il gouverne dans l'intérêt des citoyens, c'est un démocrate, mais si un Latino-Américain le dit, on le taxe de populisme."

Marie Delcas
Article paru dans l'édition du 28.04.05


Le Monde / International
AIEA: les Etats-Unis retardent la réélection de M. El-Baradei
Vienne de notre correspondante

 I l est l'unique candidat à sa propre succession, il a fait ses preuves, depuis huit ans, dans des situations de crise, et il est appuyé par la quasi-totalité des pays membres de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA). Pourtant, l'Egyptien Mohamed El-Baradei devra sans doute patienter encore quelques semaines avant de se voir accorder un troisième mandat de directeur général... à cause des réticences des Etats-Unis.

Pour surmonter ce blocage, le "groupe des 77" – qui rassemble les pays en développement – a demandé la tenue d'une session extraordinaire du Conseil des 35 gouverneurs de l'Agence, mercredi 27 avril à Vienne. Elle ne devrait pas déboucher sur un vote, afin de donner à Washington la possibilité de se rallier à une position de consensus avant la prochaine réunion du Conseil des gouverneurs, le 13 juin. "Il faut éviter un affrontement, car M. El-Baradei serait élu, mais dans des conditions qui le fragiliseraient, lui et l'Agence". résume un diplomate européen.

Dès que l'actuel directeur a sollicité un troisième mandat, à l'automne 2004, les Etats-Unis ont fait savoir qu'ils n'y étaient pas favorables. Le motif officiellement invoqué est l'usage établi par les principaux contributeurs aux organisations des Nations unies – le "groupe de Genève" –, qui stipule que le chef d'une agence onusienne ne doit pas excéder deux mandats.

LETTRES DE SOUTIEN

En fait, l'administration Bush reproche surtout à M. El-Baradei de se montrer trop conciliant dans le traitement du dossier nucléaire iranien, et lui garde rancune d'avoir mis en doute, devant le Conseil de sécurité des Nations unies, en mars 2002, l'existence d'armes de destruction massive en Irak, principale raison avancée par les Etats-Unis pour justifier une intervention militaire contre le régime de Saddam Hussein.

Mais, en dépit de tous ses efforts, Washington n'a pas réussi à susciter une candidature alternative avant la date limite du 31 décembre 2004. Entre-temps, la présidente du Conseil des gouverneurs, la Canadienne Ingrid Hall, a reçu des lettres de soutien à M. El-Baradei émanant de l'Argentine et de l'Algérie – au nom du "groupe des 77" –, ainsi que de pays latino-américains et des Caraïbes, ou encore de la Chine.

La France, elle aussi, a pris, ce mois-ci, position en sa faveur. L'Union européenne et la Russie devaient faire des déclarations dans le même sens lors de la session du 27 avril.

Selon un diplomate du "groupe des 77". "il s'agit de montrer que le soutien à M. El-Baradei se consolide, et de prendre date pour que la question soit tranchée en juin". afin d'empêcher les Etats-Unis de demander un délai de réflexion supplémentaire. Mais, ajoute ce diplomate, "personne ne veut passer en force. Au moment où l'administration Bush rencontre des difficultés pour faire nommer comme ambassadeur aux Nations unies John Bolton -l'ancien sous-secrétaire d'Etat au désarmement, très critique envers M. El-Baradei-, ce serait une claque de trop".

Washington, qui sait qu'il n'obtiendra pas, parmi les gouverneurs, les douze voix nécessaires pour bloquer la candidature de l'Egyptien, a déjà donné des signes d'infléchissement: la coopération avec les Européens sur le dossier iranien compte aujourd'hui davantage qu'une bataille d'arrière-garde au sein de l'Agence.

J. Sz
Article paru dans l'édition du 28.04.05


Le Monde / International
Irak: le Pentagone sanctionne rarement les erreurs de tir
New York de notre correspondant

 E n Irak, dans le contexte d'une guérilla meurtrière où les insurgés se mêlent à la population, il est difficile de faire la part entre les accidents et les tirs délibérés touchant les civils et imputables à l'armée américaine. Certains, qui concernent des Occidentaux ou des membres de la coalition, ont été plus facilement répertoriés.

Pour Rome, l'affaire Calipari n'est pas close
Le chef du gouvernement italien, Silvio Berlusconi, a annoncé, mardi 26 avril, devant la Chambre des députés, que l'enquête sur la mort de l'agent secret italien Nicola Calipari, tué par des tirs américains le 4 mars à Bagdad, lors de la libération de la journaliste otage Giuliana Sgrena, n'était pas close. Après avoir convoqué et reçu l'ambassadeur américain à Rome, M. Berlusconi, l'un des plus fidèles alliés du gouvernement Bush, a affirmé: "Je déplore que des indiscrétions malheureuses aient annoncé que l'enquête était close". allusion aux déclarations faites la veille à l'AFP par un responsable militaire américain, qui avait déclaré que les soldats avaient "respecté toutes les procédures pour des opérations de contrôle et, de ce fait, n'étaient pas coupables de manquement au règlement". Ces déclarations laissaient entendre qu'aucun militaire américain ne serait sanctionné. – (AFP.)

Ainsi, le 4 mars, jour où l'agent secret italien Nicola Calipari a été tué sur la route de l'aéroport de Bagdad alors qu'il accompagnait l'otage libérée Giuliana Sgrena, un soldat bulgare a trouvé la mort dans le village de Hamza, à 160 km au sud de la capitale irakienne, quand son véhicule s'est trouvé pris sous le feu de soldats américains devant un centre de communications.

Selon le Pentagone, les règles d'engagement en Irak sont inspirées du concept d'"escalade de la force": les GI ont pour consigne de mettre en garde un véhicule jugé menaçant avant d'ouvrir le feu; les soldats amenés à tirer sont censés neutraliser le moyen de transport en visant le moteur.

Voilà pour la théorie. Dans la pratique, plusieurs observateurs indépendants, qui ont pu suivre l'armée américaine dans ses opérations, ont souvent noté l'absence de sommations.

Parmi les "bavures" dont les auteurs ont été blanchis, la plus connue s'est produite le 8 avril 2003 quand un char américain a ouvert le feu sur l'hôtel Palestine, à Bagdad, et tué deux journalistes, l'Espagnol José Couso, de Tele Cinco, et l'Ukrainien Taras Protsyuk, de Reuters TV. Trois autres personnes avaient été blessées, dont une grièvement.

La thèse du Pentagone était celle de la "légitime défense" en réponse à des tirs provenant de l'hôtel. Une enquête interne, rendue publique le 5 novembre 2004, a innocenté les soldats, estimant qu'ils avaient respecté les règles et n'avaient commis "aucune faute". Mais une enquête parallèle de Reporters sans frontières (RSF) a conclu qu'aucune menace ne provenait de l'hôtel, ce que l'armée américaine a fini par concéder.

Le sergent Shawn Gibson, qui a ouvert le feu, et son supérieur, le capitaine Philip Wolford, qui l'a autorisé, ont déclaré ne pas avoir riposté à des attaques. Ils ont expliqué avoir tenté de neutraliser un "observateur" irakien qui guidait des tirs de mortiers sur leurs positions depuis les étages supérieurs de l'hôtel. Les soldats ont confondu un cameraman qui filmait depuis un balcon avec l'"observateur" en question. Selon RSF, les militaires ne savaient pas que l'hôtel abritait des journalistes. L'organisation estime que l'attaque contre les journalistes n'était pas délibérée, mais évitable, et qu'elle est la conséquence d'une "négligence criminelle" du commandement, qui n'avait pas averti ses hommes de la présence des médias.

Le matin même du 8 avril 2003, un avion d'attaque au sol A-10 avait mitraillé les bureaux de la chaîne arabe Al-Jazira, tuant un journaliste jordanien, Tariq Ayoub.

Depuis le 1er mai 2003, cinq autres journalistes ont péri en Irak sous les balles américaines, sans qu'aucune sanction ait été prise.

Mais les principales victimes des tirs américains sont avant tout les civils irakiens. Selon l'ONG Iraq Body Count (Décompte des corps en Irak), entre 21 000 et 24 000 d'entre eux ont été tués depuis le début de l'invasion américaine, essentiellement dans les combats des premières semaines et dans les attentats terroristes. Mais les "erreurs de tirs" semblent fréquentes.

Le 8 janvier, les autorités irakiennes ont ainsi reconnu la mort de deux policiers irakiens et de deux passants tués par erreur par des tirs américains à un point de contrôle au sud de Bagdad. Quelques heures plus tôt, un chasseur F-16 de l'US Air Force avait bombardé une maison d'Aaytha, un village dans le nord du pays, causant la mort de 14 civils. L'état-major américain avait annoncé ouvrir une enquête.

Une autre erreur d'appréciation, cette fois en Afghanistan, a provoqué la mort, le 17 avril 2002, de quatre soldats canadiens, lorsqu'un avion américain avait largué une bombe sur leur groupe, qui effectuait un entraînement nocturne. Les deux pilotes américains avaient affirmé ensuite avoir pris dans "le brouillard de la guerre" les tirs d'entraînement des Canadiens pour une attaque de talibans.

Le major Harry Schmidt, considéré comme le principal responsable, a été reconnu coupable le 6 juillet 2002 de "négligence" et a payé une amende de 5 000 dollars. Son avocat a expliqué qu'il avait pris des amphétamines une heure avant sa mission, ce qui avait altéré son jugement. L'US Air Force a reconnu qu'il s'agissait d'une pratique courante pour maintenir les pilotes en éveil lors de longues missions, mais à "faibles doses".

Eric Leser
Article paru dans l'édition du 28.04.05


Le Monde / International
Le président Gbagbo accepte le plan Mbeki sur l'organisation de la présidentielle en Côte d'Ivoire

 L e président ivoirien Laurent Gbagbo a annoncé, au cours d'une intervention télévisée, mardi 26 avril, qu'il acceptait que son rival, l'ancien premier ministre Alassane Ouattara, participe à l'élection présidentielle d'octobre 2005. "Monsieur Alassane Dramane Ouattara peut, s'il le désire, présenter sa candidature". a-t-il indiqué.

Ce faisant, Laurent Gbagbo lève un obstacle de taille sur la voie du règlement de la crise ivoirienne, ouverte en septembre 2002 par la partition du pays. La candidature d'Alassane Ouattara, à laquelle le pouvoir faisait obstacle depuis des années, lui reprochant son "ivoirité douteuse". focalise la vie politique du pays. C'était déjà le cas avant l'arrivée au pouvoir du président Gbagbo.

En acceptant ce qu'il avait toujours refusé, Laurent Gbagbo répond favorablement à une demande de son homologue sud-africain, Thabo Mbeki, chargé par ses pairs africains de mener une médiation en Côte d'Ivoire. Après l'accord de paix signé le 6 avril à Prétoria entre loyalistes et rebelles, M. Mbeki avait décidé le 13 avril que tous les partis signataires de l'accord de Linas-Marcoussis de janvier 2003 pourraient présenter un candidat à la présidentielle. Habile, la formule permettait de ne pas faire obstacle à M. Ouattara sans avoir à modifier la Constitution. Manquait l'accord formel de Laurent Gbagbo.

Avant de donner sa réponse, le président ivoirien avait tenu à consulter les "forces vives" de la nation, ce qu'il avait commencé à faire recevant tour à tour les jeunes, les chefs traditionnels, les responsables politiques, les militaires... Le tour de piste devait se conclure mercredi et déboucher le même jour sur l'intervention télévisée.

Laurent Gbagbo a finalement abrégé les rendez-vous et annoncé sa décision sans consulter les militaires – les derniers à devoir être reçus à la présidence. Si l'on ignore les raisons de l'accélération du calendrier, le contenu du message présidentiel, lui, était prévisible. Recevant il y a peu des élus locaux, le chef de l'Etat avait indiqué qu'il allait "tout faire pour que la paix revienne". Plus important, son parti, le Front patriotique ivoirien (FPI), avait publié la semaine dernière un communiqué où le principe de la candidature de M. Ouattara, pourtant qualifiée de "calamité politique et éthique". était avalisé.

Dans son intervention, le président a mis en avant qu'en échange de la candidature de M. Ouattara il a obtenu gain de cause sur deux autres points: le désarmement des rebelles et une sorte de "sanctuarisation" de la Constitution, puisqu'elle ne sera pas modifiée pour élargir le champ des candidats à la présidentielle.

Il reste à surmonter bien des obstacles avant l'organisation de l'élection présidentielle d'octobre.

Un problème crucial est celui du désarmement, un processus qui inclut les quelque 2 000 à 3 000 miliciens à la solde du régime qui sévissent à Abidjan. Le clan des "durs" qui entoure le chef de l'Etat acceptera-t-il de se priver d'une telle force ?

Une autre difficulté réside dans l'établissement des listes électorales. Dans son discours à la nation, Laurent Gbagbo a fourni des indications précises sur le processus qui sera mis en oeuvre pour s'assurer que tous les Ivoiriens auront droit à une carte d'électeur. Mais des ombres subsistent.

Jean-Pierre Tuquoi
Article paru dans l'édition du 28.04.05


Le Monde / International
En acceptant la candidature de Ouattara, Gbagbo se dote également des pleins pouvoirs

 L e président ivoirien Laurent Gbagbo, en autorisant la candidature à l'élection présidentielle de son principal opposant Alassane Ouattara, ouvre la voie à un règlement de la crise ivoirienne. Cependant, en utilisant l'article 48 de la Constitution, il se dote en même temps des pleins pouvoirs. La presse ivoirienne soulignait, mercredi 27 avril, les effets de cette mesure, à double tranchant, estimant que l'opposition avait été finalement "piégée" par le chef de l'Etat ivoirien.

M. Ouattara, musulman originaire du nord, avait été écarté en 2000, par la Cour suprême, de la course à la présidentielle pour "nationalité douteuse". Les partisans du président Laurent Gbagbo voient en lui l'inspirateur de la rébellion armée qui contrôle le nord depuis septembre 2002 à la suite d'un sanglant coup d'Etat raté.

En annonçant mardi soir, dans une adresse à la nation, qu'il acceptait la candidature de l'ancien premier ministre, M. Gbagbo s'est plié à la demande impérative du président sud-africain Thabo Mbeki, médiateur dans la crise ivoirienne. M. Mbeki s'en est félicité mercredi, estimant que cette décision "signifie que le peuple de Côte d'Ivoire se dirige vers la paix, vers la démocratie".

Le Rassemblement des républicains (RDR), parti de M. Ouattara, a également salué mercredi cette annonce. Elle "va permettre à notre pays de trouver la voie de la paix et de la réconciliation", a déclaré à l'AFP Cissé Bacongo, porte-parole du RDR, qui a néanmoins souligné que "l'ouverture des élections à tous les candidats n'est pas une fin en soi". "C'est l'organisation d'élections crédibles, démocratiques, et transparentes qui constitue, pour nous, l'objectif final", a-t-il dit.

UN ARTICLE À DOUBLE TRANCHANT

Pour permettre la candidature de M. Ouattara, M. Gbagbo a mis en œuvre l'article 48 de la Constitution qui permet au chef de l'Etat de prendre "les mesures exceptionnelles exigées par les circonstances". "Conformément à cet article, dès cet instant, je décide, uniquement pour l'élection présidentielle d'octobre 2005 (...), que les candidats présentés par les partis politiques signataires des accords de Marcoussis sont éligibles. Par conséquent, M. Alassane Ouattara peut, s'il le désire, présenter sa candidature", a déclaré M. Gbagbo, faisant allusion aux accords signés en banlieue parisienne en janvier 2003.

L'article 48 stipule notamment que lorsque les "institutions de la République" sont en danger, "le président de la République prend les mesures exceptionnelles exigées par ces circonstances", c'est-à-dire qu'il dispose de pleins pouvoirs. M. Gbagbo en a profité pour avertir qu'"à compter de ce jour, et jusqu'à la fin de la crise", il pourrait prendre "toutes les mesures qui me paraîtront exigées par les circonstances", ne laissant aucun doute sur sa volonté d'en utiliser toute la puissance.

Cette phrase a d'ailleurs été mise en exergue par la presse ivoirienne qui soupçonne M. Gbagbo de vouloir en faire une "utilisation abusive". "Gbagbo a désormais tous les pouvoirs", titrait mercredi en "une" Notre Voie, un quotidien proche du FPI. "Le président Gbagbo peut désormais diriger le pays par ordonnance et prendre toutes les décisions qu'il juge nécessaires pour la conduite des affaires de l'Etat sans s'en référer à qui que ce soit", écrit ce journal.

Pour Le Courrier d'Abidjan, également proche du pouvoir, "les adversaires de Gbagbo, par leur inculture politique, lui ont donné toutes les armes pour imposer son autorité et se mettre au centre du jeu politique (...) en monarque absolu".

De son côté, Le Patriote, quasi-organe du RDR, fait état de "danger à l'horizon". "L'article 48 offre généreusement au président Gbagbo la carte du diktat de ses desiderata (...) et personne n'y pourra plus rien", écrit ce journal, alors que L'Evénement, du courant du président décédé Félix Houphouët-Boigny, titrait en "une" "Gbagbo instaure la dictature", soulignant que l'opposition est "piégée".

Avec AFP
LEMONDE.FR | 28.04.05


Le Monde / International
Trois fois plus d'attentats dans le monde en 2004, selon Washington

 651  attentats dans le monde en 2004, contre 208 recensés l'année précédente. Ce sont les chiffres divulgués, mercredi 27 avril 2005, par le Centre national de l'antiterrorisme (NCTC), sous l'autorité de la CIA (renseignement américain).

Le nombre de tués a également augmenté de manière significative, passant des 625 dénombrés en 2003 par le ministère des affaires étrangères américain, à 1 907 en 2004, selon le NCTC.

Un total de 6 704 personnes ont été blessées dans des attentats en 2004 contre 3 646 l'année précédente. Par ailleurs, le rapport précise aussi que 710 personnes ont été prises en otage en 2004.

ATTENTATS LES PLUS SANGLANTS EN EUROPE ET EN EURASIE

En 2004, plus de la moitié des attentats ont eu lieu en Asie du Sud, qui a enregistré 327 attaques responsables de 502 morts, selon le NCTC. Et le Moyen-Orient compte le plus grand nombre de tués, avec 726 tués pour 270 attentats. Les attentats les plus sanglants ont eu lieu en Europe et en Eurasie, où 636 personnes ont été tuées dans 24 attentats, notamment ceux de Madrid, en mars, et de Beslan (Russie), en septembre.

"Le terrorisme international continue de représenter une menace pour les Etats-Unis et ses partenaires", affirme le document de 129 pages du département d'Etat, regrettant que Cuba, l'Iran, la Corée du Nord et la Syrie aient "maintenu en 2004 leurs liens avec le terrorisme".

Ces statistiques étaient auparavant publiées dans le rapport annuel du département d'Etat sur l'état du terrorisme dans le monde. Les chiffres de 2003 ayant fait l'objet d'une polémique, avant d'être révisés, le ministère des affaires étrangères américain avait annoncé au début du mois d'avril qu'il se refusait désormais à assurer la publication de ces chiffres.

AL-QAIDA, PRINCIPALE MENACE

Le rapport rappelle également que la nébuleuse Al-Qaida - dont le chef, Oussama Ben Laden, est toujours en fuite - demeure la principale menace terroriste contre les Etats-Unis, malgré l'arrestation de plusieurs de ses cadres et l'affaiblissement de ses capacités opérationnelles.

"Plusieurs hauts responsables d'Al-Qaida continuent à planifier des attentats contre les Etats-Unis, les intérêts américains et des alliés des Etats-Unis, et cherchent à fomenter des attaques en persuadant de nouveaux groupes sunnites extrémistes de mener des actions violentes au nom de la guerre sainte (djihad)", note le texte.

En Irak, le rapport souligne que "d'anciens membres du régime (de Saddam Hussein), ainsi que des combattants étrangers et des islamistes continuent à mener des attentats contre des civils". Si aucun attentat n'a visé en 2004 le territoire des Etats-Unis, des Américains ont été tués à l'étranger, notamment en Irak, en Arabie saoudite, en Afghanistan, en Egypte et dans la bande de Gaza, précise le document.

Parmi les Etats continuant à soutenir le terrorisme, le rapport affirme que l'Iran reste le plus actif, étant "impliqué dans la planification et le soutien d'attentats et exhortant différents groupes à se servir du terrorisme pour parvenir à leurs fins".

Avec AFP
LEMONDE.FR | 28.04.05 | 09h53


Le Monde / International
M. Bush et le prince héritier saoudien Abdallah tentent de rassurer les marchés pétroliers
New York de notre correspondant

 L a rencontre, lundi 25 avril à Crawford (Texas), entre George Bush et le prince héritier d'Arabie saoudite, Abdallah Ben Abdel Aziz, avait pour objectif de faire baisser la tension sur les marchés pétroliers. A court terme, c'est chose faite. Mardi 26 avril, les cours du baril étaient en baisse de près de 40 cents à New York, autour de 54,20 dollars, après avoir reculé de plus de 80 cents lundi. Le baril de brut léger américain a atteint, début avril, le record de 58,28 dollars. Les prix de l'essence à la pompe se trouvaient, il y a deux semaines, à un sommet historique aux Etats-Unis à 2,28 dollars (1,75 euro) en moyenne par gallon (3,7 litres).

Le président des Etats-Unis tente de limiter les dégâts économiques et politiques engendrés par l'envolée des prix à la pompe. Elle représente un danger à la fois pour le pouvoir d'achat des ménages, la croissance... et sa popularité. L'opposition démocrate avait appelé le président à la fermeté. "Pousser les Saoudiens à ouvrir les robinets pourrait faire une différence demain". avait déclaré John Kerry, l'ancien candidat à l'élection présidentielle. Avant la visite, M. Bush avait laissé poindre son agacement, s'interrogeant sur la sincérité des déclarations de bonne volonté saoudiennes. "Je ne crois pas qu'ils pompent à fond". avait-il lâché.

Cette fois, la Maison Blanche a souligné les "très bons contacts, marqués par un très bon esprit". George Bush a même embrassé, devant les caméras, le prince saoudien sur la joue. Dans un communiqué commun, les deux pays se sont engagés "à poursuivre leur coopération pour que l'offre pétrolière d'Arabie saoudite reste disponible et assurée. Les Etats-Unis apprécient le solide engagement de l'Arabie saoudite à accélérer ses investissements et à accroître ses capacités de production pour contribuer à fournir une offre stable et adéquate au marché".

"PAS EN AVANT"

La secrétaire d'Etat, Condoleezza Rice, n'a pas caché sa satisfaction, à l'issue de la rencontre. "Le président travaille sur ce dossier depuis longtemps; ce qu'il a obtenu des Saoudiens, c'est un pas en avant important, montrant qu'ils comprennent qu'il y a un problème structurel de capacité de production qu'il faut résoudre". a-t-elle déclaré.

L'analyste John Waterlow, de Wood Mackenzie Consultants, estime que "la rencontre a envoyé au marché le signal que les deux pays ont la volonté de faire quelque chose". Selon lui, "il s'agit d'une sorte de reconnaissance par les Saoudiens qu'il n'est pas dans leur intérêt que la hausse se poursuive". Stephen Hadley, conseiller américain à la sécurité nationale, expliquait, lundi, que "le problème sur le marché pétrolier, aujourd'hui, est la perception que les capacités de production sont insuffisantes. Si des assurances sont données, cela fera baisser les cours". Il a annoncé que la délégation saoudienne a présenté des "plans d'investissement" de 50 milliards de dollars, visant à permettre la production de 12,5 millions de barils par jour d'ici à 2010, et 15 millions au-delà, "pour aider à stabiliser le marché et assurer une offre suffisante à un prix correct".

L'Arabie saoudite produit actuellement 9,5 millions de barils par jour et dispose de 1,3 à 1,4 million de barils de capacités non employées que le royaume peut rapidement "rendre opérationnelles si nécessaire". selon le conseiller saoudien aux affaires étrangères, Adel Al-Djoubeir. Mais de nombreux experts mettent en doute l'existence d'une telle marge de manoeuvre. L'Arabie n'a plus produit 10 millions de barils par jour depuis 1980.

"Nous avons besoin des Saoudiens et ils ont besoin de nous, en dépit de la mauvaise image des Etats-Unis en Arabie saoudite et de leur mauvaise image chez nous". explique David Mack, vice-président du Middle East Institute. Quinze des 19 pirates de l'air des attaques du 11 septembre 2001 contre New York et Washington étaient saoudiens, tout comme Oussama Ben Laden. Mais le clan Bush, père et fils, a toujours entretenu des liens privilégiés avec la famille royale saoudienne. En contrepartie d'un effort pour produire plus, Riyad espère obtenir le soutien de Washington pour sa candidature à l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Selon M. Al-Djoubeir, les deux pays sont "très, très près" de conclure un accord commercial bilatéral.

Eric Leser
Article paru dans l'édition du 28.04.05


Le Monde / International
George W. Bush promet d'encourager l'énergie nucléaire

 L e président américain George W. Bush, qui craint de payer le coût politique de l'envolée du prix de l'essence, a promis mercredi 27 avril d'encourager l'énergie nucléaire et le développement des raffineries aux Etats-Unis, provoquant aussitôt une chute du prix du pétrole.

La France a notamment été donnée en exemple par M. Bush parce qu'elle tire les trois quarts de son électricité de l'énergie nucléaire.

Dans un discours consacré à la réduction de la dépendance énergétique des Etats-Unis, le président a insisté sur l'indispensable modernisation de l'industrie pétrolière. "Un avenir énergétique sûr pour l'Amérique passe par la construction et le développement des raffineries de pétrole américaines", a-t-il déclaré.

M. Bush, dont les sondages de popularité récents sont tombés aux plus bas niveaux depuis le début de sa présidence, s'est contenté de parler d'un accroissement des capacités existantes, sans demander aux Américains de réduire leur consommation.

Début 2001, le vice-président Dick Cheney - lui-même ancien responsable d'une compagnie pétrolière - avait estimé que les économies d'énergie "peuvent être des actions vertueuses mais que ce n'était pas suffisant pour construire une politique énergétique efficace".

Mercredi, George W. Bush a souligné qu'aucune nouvelle raffinerie n'a été construite aux Etats-Unis depuis 1976 alors que la demande américaineen essence "croît". "Ce qui signifie que nous dépendons de plus en plus des importations de produits raffinés", a-t-il expliqué."Pour encourager le développement des sites existants, le ministère de l'environnement simplifie les règles et réglementations", selon lui.

Un "avenir énergétique plus sûr aux Etats-Unis doit inclure plus de nucléaire", a aussi affirmé George W. Bush qui s'exprimait devant l'Association des petites et moyennes entreprises.

"Le nucléaire fournit environ 20% de l'électricité aux Etats-Unis sans pollution atmosphérique ni émission de gaz à effet de serre", a-t-il argumenté.

C'est "l'une des sources d'énergie les plus sûres et les plus propres au monde, et il nous en faut plus ici aux Etats-Unis".

"Malheureusement, l'Amérique n'a construit aucune centrale nucléaire depuis les années 1970. Dans le même temps, la France a au contraire fabriqué 58 réacteurs et aujourd'hui plus de 78% de l'électricité en France vient de centrales nucléaires sûres et propres. Il est temps pour l'Amérique d'en construire à nouveau", a-t-il souligné.

Il a exhorté le Congrès à inclure ces propositions dans son plan énergétique, qui est pour le moment bloqué au Sénat.

Ce projet de loi prévoit notamment des allègements fiscaux pour encourager la production pétrolière, de gaz naturel, de charbon, d'énergie nucléaire, et permettre de doubler l'utilisation d'éthanol à base de maïs comme additif à l'essence. Les Etats-Unis sont le premier producteur mondial de maïs.

Il prévoit aussi l'exploitation de gisements d'hydrocarbures dans une réserve naturelle d'Alaska, dont le Sénat a déjà approuvé le principe, en dépit de l'opposition des défenseurs de l'environnement. Il y a deux jours, le président Bush avait fait pression sur l'Arabie saoudite pour qu'elle favorise une baisse des prix du pétrole. Selon la Maison Blanche, ce pays pourrait être en mesure de produire quelque 12,5 millions de barils par jour (mjb) d'ici à 2010, et 15 mbj au-delà (contre 11 actuellement) "pour aider à stabiliser le marché et assurer une offre suffisante à un prix correct".

FORTE BAISSE DU PRIX DU BARIL DE BRUT

Le prix du baril de brut a enregistré une très forte baisse, mercredi 27 avril à New York, passant en-dessous des 52 dollars.

Les opérateurs avaient déjà bien liquidé, après la publication, dans la matinée, d'un bond surprise des stocks américains la semaine dernière. La première échéance du baril de "light sweet crude" a clôturé mercredi sur un plongeon de 2,59 dollars à 51,61 dollars sur le New York Mercantile Exchange. A Londres, le baril de Brent de la mer du Nord est également repassé sous les 52 dollars, perdant 2,18 dollars à 51,96 dollars.

Par ailleurs, le ministère de l'énergie américain a annoncé mercredi que les stocks de brut ont augmenté de 5,5 millions de barils (mb) à 324,4 mb au cours de la semaine achevée le 22 avril, bien plus que la progression attendue de 650 000 barils. Ces stocks se situent au-dessus des normales saisonnières, a précisé le ministère. Cette augmentation était "largement inattendue", souligne Bill O'Grady, analyste de AG Edwards. "On se dirige vers le bas", confirme Bill O'Grady. Il prévoit que les liquidations pourraient s'accélérer si le baril passe sous le plancher de 49,66 dollars atteint il y a deux semaines."Mais je serais surpris de voir les prix tomber sous 45 dollars", conclut-il.

CONFÉRENCE DE PRESSE

Le président américain George W. Bush tiendra, jeudi 28 avril à 20 h 30 (2 h 30 du matin, heure de Paris), une conférence de presse à l'heure de grande écoute pour défendre les priorités de politique intérieure de son second mandat, a annoncé mercredi le porte-parole de la Maison Blanche.

"Le président va tenir une conférence de presse" pour promouvoir ses projets de réforme énergétique et de privatisation partielle du système de retraite, a indiqué Scott McClellan.

Avec AFP
Le Monde.fr | 28.04.05 | 08h43


http://stalker.hautetfort.com/archive/2005/04/29/referendum_constitutionnel_cet.html
29/04/2005
Référendum constitutionnel: cette bizarre campagne
par Serge Rivron
Cette campagne est bizarre, parce que dans un premier temps tout le monde s'accordait sur le fait que le texte soumis à notre suffrage était un mauvais texte, au moins dans sa forme, et souvent sur telle ou telle partie de son fond. La différence entre les tenants du oui et ceux du non était alors que les premiers répétaient à l'envi que si le texte était certes très imparfait, on s'emploierait dès que voté à le faire évoluer pour qu'il soit mieux, alors que les seconds affirmaient texte à l'appui que ce ne serait pas possible.
Cette campagne est bizarre, parce que les tenants du oui ne cessent à présent de dire que ce texte est excellent, qu'il est le résultat d'un tas d'heure de discussions très ouvertes et que le refuser est inenvisageable parce qu'on ne pourra jamais le rediscuter.
Cette campagne est bizarre parce que ce mauvais texte, qui devrait être au centre du débat puisque c'est sur lui qu'il va falloir se prononcer, sert à tout sauf à enrichir le débat: ceux qui le rejettent s'échinent à démolir les propositions qu'il avance sans être d'accord sur celles qu'il faudrait lui opposer, et ceux qui le soutiennent n'ont d'autres justifications que de s'évertuer à lui faire dire autre chose voire l'inverse que ce qu'il dit.
Cette campagne est bizarre: le texte à ratifier compte plus de 500 pages, et ceux qui l'ont écrit n'arrêtent pas de nous expliquer que seules les 60 premières sont à considérer. Alors pourquoi en ont-ils écrit 460 de plus ?
Cette campagne est bizarre. On voudrait croire que ceux qui défendent la Constitution, parce qu'ils l'aiment bien, aimeraient la lire, mais ils ne citent jamais précisément le moindre de ses articles, et s'empressent d'en empêcher ceux qui sont contre. On préfère nous passer des reportages pour expliquer que l'Union européenne a fait du beau boulot depuis 35 ans, ce dont personne ne semble disconvenir.
Cette campagne est bizarre: on se demande où est passé Philippe Seguin – que la médiature unanime avait, à l'époque du référendum pour Maastricht, élu leader charismatique du non. On se dit qu'il n'y a sans doute pas de leader charismatique du non cette fois-ci, alors qu'on se rappelle que pour Masstricht ç'avait été exactement la même pagaille dans le camp du non (et du oui, d'ailleurs) et qu'il n'y avait pas plus de raison qu'aujourd'hui de trouver dans cette pagaille un leader charismatique, mais qu'on l'avait quand même trouvé.
Cette campagne est bizarre, il n'y a pas non plus de leader charismatique dans le camp du oui, mais Jack Lang semble bien vouloir de ce rôle, puisque le Président de la République refuse de l'assumer et ne veut surtout pas que Nicolas Sarkozy s'en empare. Et on essaye de nous expliquer que le bordel est seulement dans le camp du non.
Cette campagne est bizarre. La voix de ceux qui sont pour ce texte a priorité absolue dans tous les grands médias, ceux qui expriment ce choix détiennent l'essentiel des postes de pouvoir depuis 25 ans, et ils n'arrivent pourtant pas à convaincre largement les Français de l'intelligence de leur point de vue.
Cette campagne est bizarre: on n'a aucune envie de porter au pouvoir ceux qui disent non, mais on n'a aucune confiance en ceux qui disent oui.
Cette campagne est bizarre: tout le monde accuse tout le monde d'en vouloir à l'Europe, mais personne ne paraît s'apercevoir que la Constitution proposée ne définit jamais ce que c'est que l'Europe.
Cette campagne est bizarre. Ceux qui se prononcent pour cette Constitution au prétexte de ses avancées démocratiques et sociales regrettent qu'elle ait été jetée en pâture au suffrage universel; et ceux qui se prononcent pour le non au prétexte qu'elle n'est pas assez démocratique et pas assez sociale se revendiquent pour la plupart d'idéologies assez peu démocrates et pas très douées pour la prospérité des peuples.
Cette campagne est bizarre: les partisans du oui accusent ceux du non d'être frileux et peureux, mais ils ont peur que le non l'emporte parce qu'ils pensent que nous risquerions d'être mal jugés et mis au ban par les autres pays.
Cette campagne est bizarre. Ce texte que plus de 60 de ses propres articles nomment sans ambages la Constitution, est systématiquement appelé Traité par ceux qui l'approuvent lorsqu'ils expliquent à ceux qui redoutent son immuabilité une fois voté que ça n'est pas vrai du tout. Ils reprochent en revanche à ceux qui rejetteraient ce texte que ce serait une grande inconséquence que d'empêcher la Charte de droits fondamentaux d'être inscrite dans la Constitution, parce que cette inscription lui ferait gagner en respectabilité et garantirait sa durée.
Cette campagne est bizarre: les partisans du oui affirment que ce Traité pourra être modifié dès demain, mais il est selon eux inenvisageable de rediscuter le moindre article du projet en cas de victoire du non, parce que les 25 pays de l'Union ne pourront plus jamais se remettre d'accord.
Cette campagne est bizarre: les partisans du non sont jusqu'à 55% dans certains sondages. Or les médias semblent croire qu'ils soient très bien représentés par 4 à 5 leaders de partis politiques minuscules qui n'ont pas l'air de s'entendre du tout entre eux.
Cette campagne est bizarre: on nous dit sans arrêt que les 55% de Français qui s'apprêtent à dire non sont des vieux un peu trouillards et légèrement arriérés qui sont mal informés parce qu'ils habitent la province. Or je corresponds bien moins à ce profil que Jack Lang et même que Serge July, qui pourtant voteront oui, à ce qu'ils disent.
Cette campagne est bizarre: les ténors du oui anticipent comme une épouvante en cas de non le retour prévu au Traité de Nice qu'ils ont pourtant signé avec enthousiasme, quand les ténors du non qui l'ont toujours dénoncé sont prêts à faire avec encore un moment en attendant mieux.

Cette campagne est bizarre: malgré tout, elle pourrait bien finir par une victoire du oui.


Le Monde / Carnet
Philip Morrison, physicien américain

 L e physicien américain Philip Morrison est mort, vendredi 22 avril, à son domicile de Cambridge (Massachusetts). Il était âgé de 89 ans.

Né le 7 novembre 1915 à Somerville (New Jersey), Philip Morrison obtient un doctorat de physique théorique de l'université de Californie (Berkeley), en 1940. Deux ans plus tard, il s'associe au projet Manhattan, auprès du professeur Robert Oppenheimer, pour concevoir les premières armes nucléaires.

L'histoire veut que le physicien ait directement participé à l'assemblage de la première bombe au plutonium testée dans le désert du Nouveau-Mexique en juillet 1945, puis, quelques semaines plus tard, à celle qui fut lancée sur la ville japonaise d'Hiroshima, le 6 août 1945. Cependant, en dépit de cette participation technique directe au montage des premiers engins nucléaires, la contribution scientifique de Philip Morrison à la conception de la bombe A n'a pas été décisive.

Au sortir de la seconde guerre mondiale et après s'être rendu à Hiroshima pour évaluer les dégâts causés par la bombe atomique, Philip Morrison s'engage, au côté d'Albert Einstein, dans la Federation of American Scientists (FAS) – une organisation marquée à gauche –, et s'engage dans la lutte contre la prolifération nucléaire.

La carrière de Philip Morrison n'en a pas moins été dominée par la recherche en astrophysique. Professeur dans les universités américaines les plus prestigieuses – à la fin de sa carrière, il était professeur émérite au Massachusetts Institute of Technology (MIT) –, il a été passionné par l'astronomie des hautes énergies, la cosmologie, la recherche de planètes extrasolaires et, plus spécifiquement, par la quête de vie hors du système solaire.

L'une de ses publications – cosignée avec le physicien Giuseppe Coconni –, acceptée en septembre 1959 par la revue britannique Nature, pose les fondements théoriques d'une possible communication interstellaire. Philip Morrison y anticipe l'intérêt d'utiliser les micro-ondes dans les tentatives de communiquer à de très longues distances. Il propose même une fréquence de communication"idéale" , 1 420 mégahertz, la fréquence d'émission de l'hydrogène (H), l'élément le plus répandu dans l'Univers.

Selon cette "conjecture de Morrison-Coconni" , si une civilisation extraterrestre venait à vouloir communiquer, elle utiliserait comme fréquence d'émission celle de l'atome le plus simple et le plus commun. Cette idée sera l'un des fondements du projet SETI (Search for Extraterrestrial Intelligence), popularisé plus tard par le film Contact.

La mort de Philip Morrison a suscité, outre-Atlantique, un grand émoi dans la communauté scientifique. "Le monde a perdu l'une des grandes consciences de la science. Pendant plus de cinquante ans, depuis son implication dans le développement de la première bombe atomique, Philip Morrison a été l'un des principaux acteurs dans les efforts pour contrôler et éliminer les armes nucléaires". a déclaré l'historien des sciences Charles Weiner.

Stéphane Foucart
Article paru dans l'édition du 29.04.05


Le Monde / Médias
La "psymania" envahit aujourd'hui l'ensemble des magazines féminins

 I l est loin le temps où la psychanalyste Françoise Dolto parlait sur les ondes de France-Inter. C'était en 1976. Trente ans plus tard, pas un magazine féminin qui n'ait sa rubrique psychologie, de Biba à Elle, en passant par Cosmopolitan ou Prima. Sans parler de la télévision ou de la radio.

Des journaux entièrement consacrés à la psychologie, surtout lus par des femmes, sont nés, le plus connu étant Psychologies magazine. Les rapports entre psys et médias ont été bouleversés, le psy devenant l'expert des pages psycho des magazines, labellisé par ses trois lettres qui recouvrent des catégories professionnelles différentes (psychanalyste, psychothérapeute, psychiatre).

Trente millions de lecteurs pour 44 titres

La presse féminine totalise 44 titres. Elle affiche une quasi-stabilité (+ 0,08%) de sa diffusion en 2004, selon l'Office de justification de la diffusion (OJD). La baisse est de 1,52%, si l'on exclut les suppléments vendus avec un quotidien, comme Version Femina, diffusé avec 30 titres de la presse quotidienne régionale et Le Journal du dimanche et dont la diffusion a été de 3,77 millions d'exemplaires, en 2004. Ce secteur reste l'un des plus dynamiques de la presse magazine, avec des lancements réussis, comme Glamour, des publications Condé Nast (264 000 exemplaires). Au total, 423 millions d'exemplaires de journaux féminins ont été vendus en France en 2004. La presse féminine généraliste compte 30 millions de lecteurs, dont 19 millions de femmes, selon Interdéco, régie publicitaire du groupe Hachette Filipacchi Média. Femme actuelle reste le leader du secteur avec 1,225 million d'exemplaires, suivi par Prima. Elle, qui a fêté ses 60 ans, ou Marie-Claire, qui a célébré son cinquantenaire en 2004, se portent toujours bien.

Le phénomène n'est pas nouveau mais s'est amplifié ces dernières années, au point de toucher aujourd'hui tous les secteurs de la presse, L'Usine nouvelle par exemple. Depuis janvier 2003, Le Monde publie une page Psychologie deux fois par mois. Vingt-huit titres de la presse quotidienne proposent eux, une fois par semaine, une page psycho, réalisée en partenariat par Psychologies magazine.

"LE CULTE DU MOI"

Cette "psymania" répond à l'évolution même de la société. "Cela correspond à un mouvement vers une individualisation, le culte du moi, la nécessité d'aller chercher une solution à ses problèmes". explique Dominique Lévy, directrice du département médias à TNS Sofres. "Dès qu'un événement se produit (guerre d'Irak, questions médicales, écologiques, etc.), des experts sont convoqués. Les Français sont aujourd'hui plus soucieux de leur bien-être psychique, parce que leur bien-être matériel est globalement acquis, même s'il est encore insuffisant". expliquait notamment Serge Tisseron dans Les Dossiers de l'audiovisuel de l'Institut national de l'audiovisuel (INA), publiés en septembre-octobre 2003 et intitulés "Psys et médias sont-ils compatibles ?". "Dolto a fait le reste, poursuit M. Tisseron, en faisant sortir la psychanalyse et la psychiatrie du cabinet de consultation pour les faire entrer dans les médias."

"Les sujets psycho ont toujours remporté un vif succès parmi nos lecteurs". admettent tous les éditeurs. "La psychologie a toujours été présente et nécessaire dans la presse féminine et a toujours été un souci dans Marie-Claire. L'une des caractéristiques du journal est le témoignage et l'échange d'expériences". explique Monique Majerowicz, directrice déléguée de Marie-Claire. "Cette place de choix dans la presse féminine révèle plusieurs choses, notamment l'intérêt largement féminin pour les sujets psy, lebesoin de vérifier que l'on est "normal" en se retrouvant dans des témoignages ou des descriptions faites par des experts, le besoin de se sentir moins seul face à ses problèmes psychologiques et le besoin de mettre des mots sur des symptômes. C'est la même chose qu'en médecine". explique Anne-Françoise Chaperon, psychologue clinicienne.

L'illustration de ce mouvement, c'est le succès de Psychologies magazine. Créé en 1970 et intitulé à l'époque Psychologie, il a été racheté en 1997 par Jean-Louis Servan-Schreiber. Il n'a cessé de progresser en vente, malgré un prix élevé (4 euros), passant de 84 709 exemplaires en 1997 à 293 587 exemplaires en 2004, selon l'OJD. Il compte près de 100 000 abonnés et 2 millions de lecteurs.

Fort de ce succès, Psychologies magazine, détenu à 49% par Hachette Filipacchi Médias depuis juin 2004, s'est exporté en Italie, en Espagne et en Belgique, et prévoit trois autres éditions étrangères d'ici à la fin de l'année, indique Arnaud de Saint-Simon, directeur général. Le groupe Psychologies magazine (journal, site, édition), dont le chiffre d'affaires devrait atteindre 20 millions d'euros cette année, est rentable, assure la direction.

Cette réussite de presse a incité un peu plus les éditeurs, toujours en quête de nouveaux relais, à "mettre de la psycho" dans leurs journaux. Le féminin pratique Prima a rajouté un cahier "centré sur le bien-vivre". selon son éditeur Fabrice Boé, directeur général en charge des magazines chez Prisma Presse. "Nos études sociologiques ont montré ces dernières années que les lectrices sont de plus en plus intéressées par elles-mêmes et les relations avec les autres, la famille, les amis et les relations au travail". assure-t-il. Femme actuelle (également chez Prisma) lancera début mai un hors série Femme actuelle psycho, et le leader de la presse féminine sera rénové fin mai avec l'introduction de pages d'actualité générale et culturelle.

MALAISES DE L'INDIVIDU

Au-delà du contenu, certains magazines sont tout entiers orientés psycho, au niveau éditorial, comme Bien dans ma vie, lancé par Axel Springer uniquement en petit format. "Les entrées dans le magazine sont psycho. C'est "Je me fais du bien !", "Je craque !", "Je regarde !", l'idée même du mensuel étant: comment faire pour que je sois bien dans ma vie". résume Laurence Dorlhac, directrice de la rédaction.

Les autres éditeurs suivent la même voie: "20 ans est quasiment un psychomagazine pour les 18-25 ans, souligne Bruno Gosset, directeur éditorial des titres féminins et masculins d'Emap. Lorsqu'on a rénové Biba en 2004, lapsychologie se banalisait. Nous avons alors créé une rubrique, "Biba Zen"."

"Les médias peuvent souvent représenter, pour nous les psys, un excellent relais, car ils peuvent donner le petit coup de pouce nécessaire pour aller consulter, ce qui n'empêche pas que dans certains cas la psychologie se trouve dévoyée ou détournée". tempère Mme Chaperon. Jusqu'ici orientés sur les malaises de l'individu, les psys s'expriment sur les maux de la société, en généralisant forcément, ce qui peut entraîner des dérives aux yeux de certains professionnels.

Ainsi, le psychanalyste Claude Halmos estime que la parole psy est parfois surmédiatisée et déniée ou décrédibilisée. Au point que, selon Laurence Bernheim, directrice des études du pôle féminin chez Interdéco, "l'attrait pour la psychologie qui répond à ce que souhaite les lectrices s'essouffle quelque peu. Peut-être même a-t-il atteint un palier."

Pascale Santi
Article paru dans l'édition du 29.04.05


Le Monde / Sciences
Le bébé forge-t-il une théorie de l'esprit ?

 G uignol profite de l'absence du Gendarme pour cacher le bicorne de celui-ci. Où donc le Pandore cherchera-t-il d'abord son couvre-chef à son retour ? "Là où Guignol l'a caché !", répondront les bambins de trois ans. "Là où le Gendarme l'avait laissé", corrigeront leurs aînés d'un an. Douze mois de maturation qui leur permettent de distinguer chez autrui les croyances fausses.

Cette capacité à appréhender la subjectivité, à se représenter l'esprit d'autrui, est une étape fondamentale du développement du petit d'homme. Les dispositifs expérimentaux, qui reprennent grosso modo la saynète décrite ci-dessus, indiquent qu'elle se construit au fil de l'acquisition du langage. Mais de nouvelles observations, mettant en scène des nourrissons de 15 mois, suggèrent que cette faculté pourrait avoir une origine bien plus précoce.

Kristine Onishi (université McGill, Montréal) et Renée Baillargeon (université de l'Illinois, Champaign) ont mesuré le temps passé par une cinquantaine de bébés à observer les faits et gestes d'une actrice jouant à ranger une tranche de melon en plastique dans des boîtes vertes ou jaunes.

L'expérience prévoyait ensuite un déplacement spontané de ces boîtes et le passage, ou non, de la tranche de l'une à l'autre, sous le regard des deux protagonistes, le bébé et l'actrice. L'hypothèse des chercheuses était que lorsque cette dernière chercherait l'objet dans la mauvaise boîte, le bout de chou regarderait plus longuement cette opération inattendue. C'est bien ce qui s'est passé, comme elles le résument dans la revue Science du 8 avril.

"Ces résultats suggèrent que les enfants de 15 mois possèdent déjà – au moins sous une forme rudimentaire ou implicite – une théorie de l'esprit, écrivent-elles. Ils comprennent que les autres agissent en fonction de leurs croyances et que celles-ci sont des représentations qui peuvent refléter, ou non, la réalité." Les deux chercheuses indiquent que leurs observations pourraient permettre de mettre au point des outils de détection précoce des enfants autistes, qui ont précisément des difficultés à passer les tests standards de "fausses croyances" et dont les difficultés de communication sont souvent décrites comme liées à une déficience dans l'élaboration d'une théorie de l'esprit.

UN PROCESSUS DOUBLE

Cet enthousiasme est cependant tempéré par un second article publié dans Science, qui s'interroge sur la véritable signification de ces nouvelles observations. Comment expliquer en effet que des bébés de 15 mois, ne sachant pas encore parler, possèdent la faculté de distinguer les fausses croyances, alors que ceux de trois ans, à la langue pourtant déjà bien pendue, n'en sont en grande majorité pas capables ?

Peut-être parce que la longueur du regard ne témoigne pas d'une prise de conscience d'un comportement erroné, avancent Joseph Perner (université de Salzbourg) et Ted Ruffman (université d'Otago, Nouvelle-Zélande). Mais plutôt d'un temps de traitement de l'information allongé, au niveau cérébral, face à une situation qui n'avait pas été rencontrée lors de la phase initiale de familiarisation, avancent-ils.

Seconde explication possible: les bébés auraient intégré une règle de comportement, sans pour autant se forger une théorie de l'esprit: dans l'expérience, la règle est que l'on cherche un objet là où on l'a vu pour la dernière fois. On peut parfaitement l'intégrer, et être surpris lorsqu'elle n'est pas respectée – ce que traduit un temps d'observation plus long –, "sans pour autant concevoir que l'esprit est le médiateur" entre la vision et l'action.

Pour Joseph Perner et Ted Ruffman, la théorie de l'esprit ne vient aux enfants qu'au terme d'un processus double: comme les autres primates, ils ont une prédisposition à intégrer les nouvelles règles comportementales. "Ensuite, les enfants développent une compréhension plus profonde du comportement à travers leur "enculturation" dans une communauté de langage", notent les deux chercheurs.

Ils citent des études montrant que des enfants sourds élevés par des parents ne souffrant pas de ce handicap connaissent généralement un retard de développement langagier de plusieurs années, qui se traduit par une compréhension tardive des fausses croyances.

Hervé Morin
Article paru dans l'édition du 29.04.05


Le Monde / Sciences
Deux amphibiens archaïques révèlent la richesse de la faune de la Pangée

 A u cours de la longue histoire de la Terre, les continents se sont, à plusieurs reprises, réunis en un seul bloc avant de se séparer à nouveau. Il y a 251 millions d'années, tous les continents de la Terre étaient réunis en un continent unique, baptisé Pangée, qui s'étalait d'un pôle à l'autre et était traversé par l'Equateur. Il était entouré par un grand océan, le Panthallasa.

En raison de données insuffisantes, les scientifiques estimaient, jusqu'à présent, que le climat et la faune de ce super-continent étaient relativement homogènes. Une découverte, publiée dans la revue Nature du 14 avril, remet en question cette hypothèse, car elle montre que l'environnement et la faune étaient plus diversifiés.

Une équipe internationale de paléontologues nigériens, américains, sud-africains, canadiens et français, dirigée par Christian Sidor (département d'anatomie, New York College of Osteophatic Medecine, Old Westbury, N.Y.), vient en effet de mettre au jour au nord du Niger deux amphibiens archaïques de grande taille, inconnus jusqu'à présent et datés de 251 millions d'années. Cette découverte résulte de fouilles menées dans des couches sédimentaires d'âge permien, dernière période de l'ère primaire sur laquelle nous avons encore très peu de données. Les terrains explorés correspondent à la zone équatoriale de l'ancienne Pangée.

Appartenant au groupe des temnospondyles, ces amphibiens fossiles ont été baptisés respectivement Nigerpeton ricqlesi et Saharastega moradiensis. "Longs de plus de 3 mètres, ils étaient à la fois terrestres et aquatiques et ressemblaient à des crocodiles, dont ils avaient le mode de vie", explique Jean-Sébastien Steyer, paléontologue au département histoire de la Terre (Muséum national d'histoire naturelle), un des signataires de l'article de Nature. "Carnivores, ces sortes de salamandres géantes vivaient dans une immense plaine traversée par des cours d'eau en voie d'assèchement", ajoute le chercheur.

Les données géologiques et les simulations climatiques suggèrent en effet que des conditions semi-désertiques se mettaient en place, remplaçant peu à peu un climat plus modéré. En conclusion, les signataires de l'article estiment que "pendant le permien, les faunes établies de part et d'autre de la zone équatoriale différaient de manière importante de celles qui ont dominé les autres régions de la Pangée, où régnait un climat tempéré et tropical".

Lors des fouilles, les paléontologues ont aussi mis au jour des reptiles archaïques inconnus, terrestres et herbivores, appartenant aux groupes des paréiasaures et des captorhinomorphes. "Les paréiasaures, longs de 5 à 6 mètres, étaient des animaux assez massifs, cuirassés comme certains dinosaures, et dotés de cornes sur la tête", ajoute Jean-Sébastien Steyer.

Autre particularité: ces grands animaux vivaient sur une Terre qui avait été frappée environ trois millions d'années plus tôt par la plus grande extinction de l'histoire de la planète, celle de la fin du permien. On pense qu'elle a fait disparaître 90% des espèces marines, les deux tiers des familles d'amphibiens et de reptiles terrestres et 30% des ordres d'insectes. Bon nombre de paléontologues pensent que cette catastrophe a failli être fatale à la vie.

Un tel cataclysme aurait été provoqué par la conjonction de plusieurs facteurs. La réunion de toutes les terres du globe en un ensemble unique a considérablement réduit la surface des mers peu profondes et modifié le climat. Pendant des milliers d'années, d'énormes épanchements de laves se sont déversés en Sibérie pour former des trapps (du mot suédois qui veut dire escalier) similaires à ceux du Deccan, en Inde, créés il y a 65 millions d'années. Il se pourrait aussi que la Terre ait été frappée à cette époque par un astéroïde géant, dont on recherche toujours l'impact.

"La crise de la vie a été rapide à l'échelle des temps géologiques. Mais les renouvellements faunistiques ont aussi été rapides après la crise", ajoute Jean-Sébastien Steyer. Malgré l'hécatombe, la vie a survécu, car certaines espèces semblent avoir été protégées par des niches (marécages ou abysses). Pour expliquer ce phénomène, les scientifiques avancent la notion récente "d'extinction sélective". Mais les espèces qui apparaissent après la catastrophe sont différentes des précédentes. Ainsi, les nombreux animaux des mers permiennes qui vivaient fixés sur un support ont été remplacés par des animaux très mobiles.

Christiane Galus
Article paru dans l'édition du 29.04.05


Le Monde / International
Vladimir Poutine veut inscrire la Russie dans le processus de paix israélo-palestinien
Jérusalem de notre correspondant

 P remier président russe à se rendre en Israël et dans les territoirespalestiniens, Vladimir Poutine, arrivé à Jérusalem, mercredi soir 27 avril, savait pouvoir compter sur un accueil emprunt de courtoisie de la part de ses hôtes. Les sujets de mécontentement ne manquent pourtant pas entre les deux pays.

Favorable à un programme nucléaire civil iranien qui inquiète au plus haut point Israël, la Russie compte par ailleurs livrer à la Syrie des missiles antiaériens, qui, comme l'a précisé crûment le président russe lors d'un entretien à une télévision israélienne, vont "compliquer la possibilité de vol rasant au-dessus de la résidence du président syrien" Bachar Al-Assad, en faisant allusion à une opération israélienne menée en 2003, sans changer l'équilibre des forces entre les deux pays.

La Russie et Israël s'opposent également sur la présence en Israël d'oligarques déchus réclamés par la justice russe. Mais l'heure n'est pas à la discorde, comme l'a d'ailleurs montré, sur ce dernier point, le report opportun du verdict du procès de l'ancien patron du groupe Ioukos, Mikhaïl Khodorkovski, dont certains proches se trouvent en Israël.

Pour des questions de standing international, M. Poutine, qui avouait, lundi, sa nostalgie de l'URSS, ne peut donner l'impression d'être tenu pour un acteur mineur au Proche-Orient. Israël, qui compte en son sein plus d'un million environ de russophones émigrés au cours des quinze dernières années, soit un cinquième de sa population, tient également à ménager son visiteur, à condition qu'il ne se montre pas trop volontariste.

BALLON D'ESSAI

Certes, la Russie est présente, aux côtés des Etats-Unis, de l'Union européenne et des Nations unies, dans le Quartet, cette instance informelle chargée théoriquement de piloter la "feuille de route". le plan de paix international.

Mais M. Poutine a bien conscience, comme les Européens, du monopole dont jouissent les Etats-Unis sur le dossier israélo-palestinien, puisqu'ils sont les seuls interlocuteurs véritablement acceptés par les Israéliens. En proposant, au Caire, où il a commencé, mardi, satournée au Proche-Orient, une conférence internationale dont la Russie serait l'hôte à l'automne, M. Poutine a lancé à la fois un ballon d'essai et affiché ses positions.

La réaction pour le moins mesurée des Etats-Unis laisse peu d'espoir à cette initiative, à laquelle Israël est également opposé. "Nous croyons qu'il y aura un moment opportun pour l'organisation d'une conférence internationale, mais nous n'en sommes pas à ce stade maintenant et je ne m'attends pas à ce que cela arrive d'ici à cet automne". a estimé le porte-parole de la Maison blanche, Scott McClellan. M. Pou- tine s'efforce cependant de prendre date.

Pour la diplomatie russe, en effet, le plan de retrait de Gaza, pour lequel le premier ministre israélien, Ariel Sharon, devait être complimenté jeudi, doit marquer un début et non une fin. La conférence internationale, que réclame également la France, de longue date, pourrait permettre de lancer un véritable processus politique avec, en ligne de mire, un accord de règlement définitif. "La conférence internationale que nous proposons découle de la nécessité de relancer le processus de paix". a d'ailleurs affirmé, au Caire, le président russe, en indiquant qu'il était en train "d'examiner le niveau -de représentation- et le calendrier de la réunion".

A Ramallah, où M. Poutine est attendu vendredi, la direction palestinienne, qui appelle de ses voeux des discussions substantielles le plus rapidement possible, a naturellement applaudi des deux mains l'initiative russe. Pour M. Sharon, en revanche, la perspective de telles négociations est tout simplement prématurée. A l'occasion de la Pâque juive, il a fait savoir que les "infrastructures terroristes" palestiniennes devaient être démantelées avant d'engager tout dialogue.

Gilles Paris
Article paru dans l'édition du 29.04.05


Le Monde / International
Bush promet de faire baisser les prix de l'essence

 L eorge W. Bush a promis, jeudi 28 avril, aux Américains, de tout faire pour faire baisser les prix de l'essence qui grèvent les budgets des ménages et des entreprises et commencent à freiner sérieusement la croissance de la première économie du monde.

Le président américain, qui fêtera samedi les cent premiers jours de son deuxième mandat mais dont la popularité est en berne, s'est voulu très volontariste sur ce sujet, promettant des mesures immédiates mais revenant aussi longuement sur son plan à long terme pour donner au pays une plus grande indépendance énergétique.

"Des millions de familles américaines et de petites entreprises souffrent à cause de la hausse des prix de l'essence. Mon gouvernement fait tout ce qu'il faut pour rendre les prix de l'essence plus abordables", a affirmé le président.

Parlant de "priorité vitale pour le peuple américain", il a promis que son gouvernement "allait encourager les pays producteurs de pétrole à augmenter leur production" pour essayer de faire reculer au plus vite les prix du brut.

Il a aussi promis qu'il allait "protéger les consommateurs" de ceux qui tenteraient de profiter de la flambée des prix: "Il n'y aura pas de manipulation des prix à la pompe aux Etats-Unis".

Les prix de l'essence à la pompe ont atteint des niveaux records en avril, selon l'Association des automobilistes américains, avec une moyenne de presque 2,3 dollars par gallon (environ 61 cents par litre). Ces prix, qui feraient rêver en Europe où l'essence est beaucoup plus chère, ont néanmoins un impact sur le budget des ménages et par conséquent sur la consommation, le pilier de la croissance américaine.

Le président lui-même l'a reconnu. "C'est comme un impôt sur les petites entreprises créatrices d'emplois. C'est un impôt sur les familles et je crois que cela a affecté le moral des ménages. Je pense que cela a affecté l'économie", a-t-il lancé.

De fait, les chiffres de la croissance, publiés jeudi, font état d'un net ralentissement de la conjoncture.

Le produit intérieur brut a augmenté de 3,1% en rythme annuel au 1er trimestre, sa plus faible progression depuis deux ans, à cause d'un fléchissement de la consommation et d'un déficit commercial toujours plus élevé.

Pour autant, M. Bush a tenté de rassurer: "Les experts me disent que les prévisions de croissance économique restent bonnes".

Soulignant que la consommation d'énergie aux Etats-Unis avait augmenté "quarante fois plus vite que la production d'énergie", M. Bush a longuement détaillé son plan destiné à réduire la dépendance des Etats-Unis envers l'étranger. Il a toutefois reconnu qu'il faudra du temps.

Il a notamment plaidé pour le développement de nouvelles sources d'énergie et suggéré d'aider les pays émergents comme la Chine et l'Inde, gros consommateurs d'énergie, à "utiliser de nouvelles technologies pour utiliser l'énergie plus efficacement et réduire la demande mondiale pour les énergies fossiles".

Le président a sommé le Sénat d'adopter son projet de loi sur l'énergie "d'ici à l'été". Ce projet, l'une des priorités de sa première présidence, avait été soumis au Congrès en 2001, et a finalement été adopté par la Chambre des représentants il y a quelques jours.

Avec AFP
LEMONDE.FR | 29.04.05 | 08h08


Le Monde / France
Le oui en session de rattrapage avec Lionel Jospin

 V ingt minutes pour faire bouger le rapport de forces entre le non et le oui à gauche, pour l'instant favorable au premier dans les sondages. Voilà l'enjeu de l'intervention de Lionel Jospin, jeudi 28 avril sur France 2, dans "Question ouverte" à l'issue du journal télévisé de 20 heures. Après Jacques Chirac, sur qui reposaient les attentes de la droite, la pression du oui de gauche est maintenant sur l'ancien premier ministre socialiste. Mais pour Lionel Jospin, cette pression est double car c'est la première fois, depuis son élimination au premier tour de l'élection présidentielle, le 21 avril 2002, qu'il s'adressera en direct aux Français.

Duel à distance avec Laurent Fabius

Des Etats-Unis, où il se trouve en ce moment, Laurent Fabius a donné la consigne à ses partisans, et celle-ci a été respectée: aucun fabiusien n'a réagi au sévère rappel à l'ordre que Lionel Jospin a lancé, lors des cérémonies du centenaire du PS, samedi 23 avril, aux partisans socialistes du non. Surtout, ne rien faire qui puisse faire resurgir l'opposition entre les deux hommes, et qui avait abouti au congrès fratricide de Rennes, en 1990 !

Mais le calendrier fait que, jeudi 28 avril, Lionel Jospin et Laurent Fabius s'exprimeront en même temps, sur le même sujet, selon des positions diamétralement opposées. Décalage horaire oblige, c'est au moment où M. Jospin, promoteur du oui, interviendra sur France 2, que M. Fabius, tenant du non, expliquera ses raisons de rejeter la Constitution européenne devant les étudiants de l'université Columbia, à New York, dont il est l'invité pour débattre du "futur de l'Union européenne". Sur le même thème, il sera également devant les étudiants de l'Institut d'études politiques d'Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône), début mai.

Il s'y est préparé. "Il a beaucoup travaillé". assurent ses amis. Plusieurs d'entre eux lui ont conseillé de revenir sur la politique européenne qu'il a conduite de 1997 à 2002 à la tête du gouvernement et de lever les ambiguïtés persistantes sur le sujet. Un peu à la manière dont il s'est débarrassé, le 23 avril, lors des cérémonies du centenaire du PS, de ses phrases – "Mon projet n'est pas socialiste". "l'Etat ne peut pas tout" – qu'il traînait, depuis, comme un boulet.

Car l'Europe fait, aussi, partie des contentieux qui subsistent entre Lionel Jospin et une partie de l'électorat de gauche. Barcelone, Lisbonne, Nice, Amsterdam: ces noms de sommets européens restent en mémoire.

Le 16 mars 2002, en Espagne, Lionel Jospin et Jacques Chirac se présentent ensemble devant la presse. C'est leur dernière conférence de presse commune, et l'ambiance est assez glaciale. Quelques jours plus tôt, le premier ministre avait qualifié d'"usé" et "vieilli" son rival.

Mais ce que les Français retiendront du sommet, c'est la décision des Quinze, approuvée par les deux représentants de l'exécutif français, de retarder progressivement l'âge de la retraite.

A Barcelone, le sujet de fond était pourtant tout autre: il s'agissait d'ouvrir le marché de l'énergie à la concurrence. Lionel Jospin s'y montre tiraillé entre sa volonté de "défendre les services publics" et les appels de la direction d'EDF, relayés par Laurent Fabius alors ministre de l'économie, qui craint, si rien ne change, de ne pas pouvoir poursuivre son expansion.

Il y a Nice, en décembre 2000, le plus long sommet européen, sous présidence française. A l'usure, un accord sur la réforme des institutions de l'Union, préalable à son élargissement, est signé, en deçà des ambitions affichées. Tony Blair s'est refusé à la moindre concession en matière de fiscalité et de politique sociale. Le bilan n'est pas de bon augure pour la suite. Lionel Jospin en est conscient. "L'après- Nice, dit-il, est d'une autre nature, il faut aborder ce sujet avec une parfaite disponibilité intellectuelle, mais se montrer réaliste et prudent sur ce que l'on pourra faire."

L'HOMME DU "NON AU NON"

Il y a Lisbonne, en novembre de la même année, qui restera comme le sommet d'un aggiornamento historique entre chefs d'Etat et de gouvernement, la plupart de gauche, pour adopter une stratégie pour la croissance et l'emploi, fortement imprégnée de libéralisme. La France obtient que les secteurs de l'énergie et des transports soient maintenus à l'écart. Mais Lionel Jospin reconnaît que l'adaptation du secteur public français à la modernisation "doit se faire".

Il y a Amsterdam enfin, le tout premier sommet européen de Lionel Jospin, en juin 1997. Les Quinze entérinent le pacte de stabilité qu'il avait lui-même qualifié, en campagne électorale, de "concession faite absurdement aux Allemands". "Je n'ai aucune raison de me sentir engagé par cela". avait-il lancé en comparant le pacte à du "Super Maastricht".

Rien n'avance non plus sur l'adaptation des institutions européennes avant l'élargissement. Du coup, Lionel Jospin doit affronter le mécontentement dans son propre camp. Quelques députés, dont Julien Dray, votent contre.

Mais Lionel Jospin est aussi l'homme du "non au non". celui qui a toujours considéré que les "imperfections de l'Europe" ne devaient pas conduire à claquer la porte. "J'ai exclu la stratégie de rupture qui m'était parfois suggérée, écrivait-il dans Le Nouvel Observateur en novembre 2004, en se targuant d'avoir pu faire évoluer les préoccupations de l'Europe vers l'emploi, la politique sociale, la coordination des politiques économiques, la régularisation de la mondialisation, la sécurité maritime et même la moralisation du sport." Dans cette tribune intitulée "Pour moi, c'est oui". il prenait fermement position pour la Constitution en qualifiant "la thèse d'une crise européenne" de "chimérique".

Jeudi soir, il devait persister et signer. Avec un petit handicap supplémentaire. Si une majorité (62%) de sympathisants du PS espèrent son retour en politique, selon un sondage CSA paru le même jour dans Le Parisien, 41% des Français répondent par la négative, contre 38% qui souhaitent le contraire

Isabelle Mandraud
Article paru dans l'édition du 29.04.05


Le Monde / Chats
La Constitution rend-elle l'Union européenne plus démocratique ?
L'intégralité du débat avec Henri de Bresson, responsable du bureau Europe au "Monde", lundi 02 mai 2005

Test*: La Constitution, telle qu'elle nous est présentée, nous donnera-t-elle, aux citoyens, les moyens de se faire mieux entendre ?
Henri de Bresson:
Cette question appelle plusieurs réponses. D'abord, l'Union européenne telle que la Constitution la prévoit est basée sur une démocratie parlementaire. Donc le citoyen se fait d'abord entendre par le biais normal du fonctionnement démocratique, c'est-à-dire l'élection du Parlement européen, qui représente les peuples qui constituent l'Union. Ce Parlement européen a pour interlocuteurs la Commission, qui incarne l'intérêt communautaire, et les Conseils, à la fois le Conseil des ministres qui a un pouvoir de co-législation avec le Parlement européen, et qui représente les Etats nationaux; donc les gouvernements sont directement issus, dans chaque pays, des élections. En dehors de ce système classique de la démocratie, il est également prévu la possibilité pour les citoyens d'adresser des pétitions au Parlement européen, mais surtout, ce qui est nouveau, c'est ce qu'on appelle le "droit d'initiative", qui doit permettre à un million de citoyens membres de l'Union européenne, appartenant à plusieurs pays, d'interpeller la Commission pour lui demander de revoir un projet de loi ou de soumettre une proposition appropriée sur des questions pour lesquelles les pétitionnaires considèrent qu'il faut légiférer. Il y a débat sur un terme de ce droit d'initiative: la Constitution prévoit que ces initiatives populaires permettent d'"inviter" la Commission à soumettre sa proposition. Juridiquement, ce n'est pas une obligation. La Commission est maître de ses propositions. C'est l'essence même de son existence. Quand le Conseil ou le Parlement lui demandent de faire une proposition d'acte législatif, elle n'est pas obligée d'accepter. C'est la même chose pour les initiatives populaires. Néanmoins, on peut raisonnablement penser qu'une initiative qui recueillerait un ou trois ou quatre millions de signatures pèsera d'un poids politique suffisamment important pour que la Commission ne puisse l'ignorer.

Jef: La possibilité offerte aux citoyens européens de se faire entendre par le biais de pétition est-elle un leurre ou un véritable nouvel outil démocratique ?
Henri de Bresson:
Nous ne connaissons pas en France ce genre de pétition. En Italie ou en Suisse, il existe une telle disposition. Il faut 500 000 signatures en Italie pour pouvoir organiser un référendum populaire pour rejeter un acte législatif. Il y a eu de nombreux exemples en Suisse, en Italie, en Californie de ce genre de manifestations, qui ont recueilli des nombres de signatures importants. Si dans un pays comme la Suisse le référendum a une valeur décisionnaire, il n'empêche qu'au niveau européen le poids politique de la pétition sera également important.

Manu: Pour qu'il y ait plus de démocratie il faudrait une véritable responsabilité de la Commission devant le Parlement, à l'image de celle du Parlement national devant le gouvernement. Cela est-il envisageable ?
Henri de Bresson:
Cela a été un des termes du débat sur la Constitution. Fallait-il une Union européenne plus fédérale ou non ? Les fédéralistes, qui se recrutaient dans des pays comme l'Allemagne, par exemple, souhaitaient effectivement qu'on aille beaucoup plus loin pour donner à la Commission un véritable rôle de gouvernement avec une responsabilité claire devant le Parlement. Un compromis a été passé entre la France, qui défendait une idée de l'Union européenne où les Etats-nations restent maîtres de la décision finale, et la thèse des fédéralistes. Le compromis, c'est que le président de la Commission ne peut être nommé par les chefs d'Etat et de gouvernement que s'ils ont l'approbation du Parlement européen. C'est un droit de veto. Le Parlement a également la capacité de destituer la Commission. Mais le Conseil européen, qui réunit les chefs d'Etat et de gouvernement, reste une instance au-dessus de la mêlée, qui donne les grandes orientations à l'Union. Il sera désormais présidé par une personnalité élue par les chefs d'Etat et de gouvernement. Nous avons donc un système tout à fait original à trois grandes composantes, qui n'est pas un régime fédéral.

"LE PARLEMENT SENSIBLEMENT RENFORCÉ"

Elo: Le rôle du Parlement européen, élu par le peuple, ne semble pas être vraiment renforcé par la Constitution. La Commission (qui n'a pas la même légitimité démocratique) ne reste-t-elle pas le moteur de l'Union européenne ?
Henri de Bresson:
La Commission a un grand pouvoir: celui d'élaborer des propositions de loi qui sont ensuite adoptées par le Conseil et le Parlement. C'est ce qu'on appelle le droit d'initiative. Il a une raison d'être, c'est de permettre à la Commission en tant qu'organe représentant l'intérêt communautaire de préparer des projets de loi qui correspondent à cet intérêt communautaire. On a voulu éviter de se retrouver avec des projets de loi émanant de groupes d'Etats ou de lobbies. Cela n'empêche pas le Conseil ou le Parlement de soumettre des propositions, mais c'est la Commission qui les met en forme et les envoie dans les rouages parlementaires. La Commission, ensuite, exécute les décisions une fois qu'elles ont été votées par le Conseil des ministres et le Parlement. Donc ce n'est pas la Commission qui prend les décisions. Le Parlement est quand même sorti très sensiblement renforcé des négociations sur la Constitution. On lui reconnaît désormais un droit général à co-légiférer avec le Conseil des ministres. Quand l'Union traite de sujets où il ne peut pas être un législateur, on considère que ce sont des exceptions. Le champ d'application de la co-législation s'est accru avec la Constitution d'une vingtaine de domaines dans lesquels, jusque-là, il ne pouvait que donner des avis.

Shimoda: Pourquoi le Parlement, démocratiquement élu, ne peut pas faire de propositions de lois ?
Henri de Bresson:
Il peut faire des propositions, c'est inscrit dans la IIIe partie de la Constitution, mais on a gardé le mode de fonctionnement traditionnel de l'Union, qui veut que ses propositions ne soient validées que si la Commission les fait siennes. On aurait pu, bien sûr, choisir un autre système. Mais ni la Convention, qui a négocié le projet de Constitution, ni les gouvernements des 25 Etats qui l'ont finalisée, n'ont souhaité avoir un système fédéral total. Un système où le Parlement, effectivement, partage avec l'exécutif le droit de proposition des lois. Dans un tel régime fédéraliste, les Etats auraient formé une deuxième Chambre, comme les régions allemandes en Allemagne ou espagnoles en Espagne. Mais ce n'est pas la solution qui a été retenue à ce stade.

Sabine: D'un point de vue juridique, la Cour européenne des droits de l'homme aura-t-elle une place renforcée ?
Henri de Bresson:
Quand on parle de la Cour européenne des droits de l'homme, on parle bien sûr de la Cour de Strasbourg, et non pas de la Cour de justice européenne de Luxembourg. La charte des droits fondamentaux fait beaucoup de références à la Convention européenne des droits de l'homme dont la Cour est la gardienne. En outre, cette référence est reprise par la Constitution dès sa Ire partie, qui stipule que l'Union adhère à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et que les droits fondamentaux garantis par cette Convention font partie du droit de l'Union en tant que principes généraux.

Elo: Les juges ne risquent-ils pas, par l'interprétation de la présente Constitution, d'avoir un pouvoir accru ?
Henri de Bresson:
Là, on fait référence non plus à la Cour européenne des droits de l'homme, mais à la Cour de justice de Luxembourg, qui est chargée de veiller à la bonne application du droit européen. Il est clair que dans les domaines où la Constitution élargit le champ de compétences de l'Union, on élargit du même fait les compétences de la Cour de justice.

"UN SYSTÈME QUI TIENT COMPTE DE LA TAILLE ET DE LA POPULATION DE CHAQUE ÉTAT"

Erasmi: La Constitution donne-t-elle le même pouvoir, dans le processus de décision européen, aux 25 pays de l'Union quelles que soient leurs population et richesse ?
Henri de Bresson:
Non, on a adopté dans la Constitution un système qu'on appelle de double pondération des voix, qui tient compte de la taille et de la population de chaque Etat. C'est-à-dire que dans chaque vote, on tiendra compte, pour calculer la majorité, non seulement du nombre des Etats, mais également de leur importance démographique. Ce système remplace un système où chaque Etat disposait d'un nombre de voix en fonction de son importance. C'est le système de Nice, où la France avait obtenu que les quatre grands Etats gardent le même nombre de voix. Et ensuite, de manière dégressive, les Etats moyens, les plus petits, disposent d'un nombre de voix inférieur. C'est ce système que les Polonais et les Espagnols, qui sont très avantagés dans le traité de Nice, ont voulu garder, et auquel ils ont dû renoncer dans la Constitution. Dans le nouveau système, les quatre plus grands pays de l'Union européenne auront un avantage considérable dans les jeux d'alliances nécessaires pour adopter les décisions. Par ailleurs, au Parlement européen, là aussi, chaque pays se voit attribuer, avec une proportionnalité relative, un certain nombre de députés qui dépend de la taille de ces pays. Ainsi, l'Allemagne aura le droit à un nombre de députés supérieur à tous les autres, et les petits pays ne disposeront que d'un minimum de six députés.

Gael: On apprend très "jeune" qu'une des bases de la démocratie est la séparation des pouvoirs. Pourquoi le Conseil des ministres, représentant donc du pouvoir exécutif, partage-t-il le pouvoir législatif avec le Parlement européen ?
Henri de Bresson:
Dans le système français, le gouvernement est à la fois l'exécutant des lois et partage avec le Parlement le pouvoir de proposer des lois et négocie avec les deux chambres du Parlement l'adoption des lois. Donc l'exécutif a aussi un rôle législatif. Dans le système européen, le Conseil des ministres a longtemps été le seul maître à bord face à la Commission, et ce n'est que petit à petit que le Parlement européen a eu lui aussi le droit de prendre part à l'adoption de certains actes législatifs européens. On est donc dans un processus évolutif. Le Parlement n'est d'ailleurs élu au suffrage universel que depuis la fin des années 1970, donc ce n'est pas encore un processus très vieux, et on n'est pas encore dans un système parlementaire total. Si tant est qu'on y arrive un jour.

Sirius2: Du municipal à l'européen, les Français "bénéficient" de cinq niveaux d'administration; la démocratie ne s'y dilue-t-elle pas ?
Henri de Bresson:
C'est une bonne question, mais qui doit se poser au niveau national comme au niveau européen. On a ajouté en France au système des cantons des conseils généraux, des régions dont le rôle augmente petit à petit. On a créé des pays, des systèmes d'intercommunalité, et effectivement, on peut se poser la question de savoir si tout cela ne devient pas très compliqué et s'il ne faut pas revoir notre système. C'est en partie la question posée par la régionalisation. L'échelon européen n'est qu'à un seul niveau au-dessus du niveau national et il intervient dans des domaines où l'on estime que l'action de chaque pays n'a de sens que si elle est menée à un niveau européen face au monde extérieur.

Isildur: Qu'en est-il du rôle des partis politiques à l'échelle européenne. Leur rôle est-il affirmé ?
Henri de Bresson:
Là aussi, les choses avancent extrêmement lentement. Sur le principe, les partis politiques au niveau européen se voient reconnaître une existence juridique par la Constitution, qui affirme qu'ils contribuent à la formation de la conscience politique européenne et à l'expression de la volonté des citoyens. Les grands groupes de partis sont désormais organisés au Parlement européen par affinités politiques. On a le Parti populaire européen, qui représente les principales familles de la droite, le Parti socialiste européen, le groupe des libéraux, des Verts, de la gauche unie (surtout des apparentés communistes). Il y a à l'extrême droite de l'échiquier un groupe souverainiste. Ces partis européens n'ont pas évolué jusqu'à présent dans leur fonctionnement comme de véritables partis comme on les connaît dans chacun de nos pays, mais ils tentent d'aller dans cette direction. Il est prévu que la loi européenne fixe le statut des partis politiques au niveau européen. Il reste que c'est plus facile à dire qu'à faire. Il est souvent difficile de trouver des programmes communs entre des formations social-démocrates ou de droite qui ont chacune sa tradition nationale. Le Parti socialiste européen vient seulement, l'année dernière, de modifier ses statuts pour accepter que des membres puissent s'inscrire directement aux partis européens sans passer par les partis nationaux.

Khi-deux: Pensez-vous qu'à terme le président du Conseil élu pour 2 ans et demi trouvera sa place ? Aura-t-il un programme ? Aura-t-il des missions claires sur lesquelles on le jugera ?
Henri de Bresson:
C'est un peu une des grandes inconnues de cette Constitution. Les Etats, notamment sous l'influence de la Grande-Bretagne, se sont arrangés pour qu'il ait seulement un rôle d'impulsion et de coordination. Il n'est pas élu au suffrage universel, il est seulement élu par les chefs d'Etat et de gouvernement. D'autre part, sa relation avec le président de la Commission européenne n'est pas vraiment définie. Il reste qu'il aura la possibilité de préparer les réunions du Conseil, d'influencer l'ordre du jour. Il disposera de la durée pour trouver des compromis entre les approches des chefs d'Etat et de gouvernement. Beaucoup dépendra, évidemment, de la personnalité qui sera choisie pour exercer ce rôle. Si c'est quelqu'un qui a une véritable autorité et qui sait s'imposer, il peut avoir une grosse influence.

L'UE "SERA PLUS DÉMOCRATIQUE"

Eporue: Les syndicats de salariés forment un contre-pouvoir très salutaire pour la démocratie. On n'a pas l'impression qu'ils coordonnent beaucoup leur action au niveau européen. Qu'en est-il ?
Henri de Bresson:
Les syndicats ont une représentation auprès de l'Union européenne, qui est la Confédération européenne des syndicats. La Constitution donne une existence juridique à la notion de dialogue social entre l'Union, les syndicats de salariés et les syndicats patronaux, représentés par leurs organisations européennes. Ils ont notamment un rôle dans la discussion de tout ce qui concerne les conditions de travail. La Confédération européenne des syndicats a joué un rôle non négligeable lors de la Convention européenne, mais aussi lors de la Convention qui a négocié la charte des droits fondamentaux, par ses propositions. Une très grande majorité des syndicats nationaux qui la composent se sont prononcés en faveur de la Constitution. Du côté des syndicats français, font partie de la CES la CFDT, FO, la CGT, notamment. La CFDT a milité au sein de la CES pour la Constitution. La CGT s'était abstenue au départ, avant finalement de se prononcer pour le non.

Manu: La demande d'un supplément de démocratie dans le fonctionnement de l'UE et le rejet d'une Europe fédérale ne sont-ils pas contradictoires, voire insurmontables ?
Henri de Bresson:
La Constitution ne représente pas la dernière étape de l'Union européenne. Il y a eu discussion sur le préambule et sur les premiers articles de la Constitution pour savoir ce qu'il fallait préciser à ce propos. L'article Ier précise que l'Union exerce sur le mode communautaire des compétences qu'il lui attribue. On a remplacé effectivement le mot sur le mode "fédéral" qu'avait souhaité inscrire notamment M. Giscard d'Estaing, qui présidait les travaux, par le mot "communautaire". Le préambule rappelle la phrase qui se trouve dans les précédents traités, qui indique que les peuples d'Europe sont unis d'une manière sans cesse plus étroite pour forger leur destin commun. Le débat n'est pas achevé sur la forme finale que revêtira cette Union et les dispositions de la Constitution permettent simplement d'avancer un peu plus loin dans la manière de légiférer et de mener ensemble les actions.

Ledent: Avec cette Constitution, l'Europe sera-t-elle plus démocratique ou pas, selon vous ?
Henri de Bresson:
Elle sera plus démocratique, oui, parce que le Parlement européen est davantage impliqué, parce qu'il est également inscrit que lorsque le Conseil des ministres se réunit pour discuter de projets de loi, il le fait en public. Le fonctionnement de la Commission européenne est traditionnellement beaucoup plus transparent, si l'on veut bien prendre la peine d'aller regarder ce qui s'y passe, que beaucoup de gouvernements européens. Si l'on juge une démocratie aussi à sa transparence, l'Union européenne peut donner des leçons aux systèmes démocratiques nationaux. En revanche, on a tenu à ce que les prérogatives de l'Union ne touchent pas à tous les domaines: en matière de politique étrangère, de défense, pour la fiscalité, notamment, les Etats conservent leurs prérogatives et ne font éventuellement que coordonner leurs politiques à l'unanimité. Sur ce plan, on a également innové puisque les Parlements nationaux ont désormais un regard sur la répartition des compétences pour s'assurer que l'Union européenne n'accapare pas de nouvelles compétences sans que personne ne s'en rende compte.

Chat modéré par Constance Baudry et Tupac Pointu
LEMONDE.FR | 29.04.05 | 11h52


Le Monde / Société
Il y a soixante ans, les Françaises votaient pour la première fois

 I l a suffi de quelques mots pour que le suffrage devienne vraiment universel. Près d'un siècle après le suffrage universel masculin, institué en 1848, une ordonnance signée à Alger, le 21 avril 1944, par le général de Gaulle, accordait le droit de vote aux femmes: "Les femmes sont électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes". proclamait-elle. Un an plus tard, le 29 avril 1945, les Françaises glissaient pour la première fois de leur histoire un bulletin dans l'urne à l'occasion des élections municipales.

Ce geste en faveur de l'égalité arrivait bien tard: les Néo-Zélandaises votaient depuis 1893, les Australiennes depuis 1902, les Canadiennes depuis 1917. Au lendemain de la Grande Guerre, une vague de réformes avait couronné l'action des "suffragettes" et salué la participation des femmes à l'effort de guerre en leur accordant le droit de vote en Grande-Bretagne, en Pologne, en Allemagne, en Autriche, aux Pays-Bas, au Luxembourg, en Belgique et aux Etats-Unis. Ces pays avaient ensuite été rejoints par le Liban, l'Inde, la Turquie, le Brésil, les Philippines ou la Suisse.

Mais la France, elle, continuait à traîner les pieds. Les réticences étaient anciennes: à la fin du XVIIIe siècle, la Révolution avait refusé le droit de vote aux femmes et leur avait même interdit, en 1795, toute réunion politique et tout rassemblement à plus de cinq dans la rue. "En général, les femmes sont peu capables de conceptions hautes et de méditations sérieuses, affirmait, en 1793, le député Jean-Baptiste Amar. Et si, chez les anciens peuples, leur timidité naturelle et la pudeur ne leur permettaient pas de paraître hors de leur famille, voulez-vous que, dans la République française, on les voie venir au barreau, à la tribune, aux assemblées politiques comme les hommes; abandonnant, et la retenue, source de toutes les vertus de ce sexe, et le soin de leur famille ?"

LES PARTIS RESTENT MASCULINS

En 1848, la France adoptait le suffrage universel, mais elle le réservait aux hommes. Un petit siècle plus tard, la Chambre des députés défendait à plusieurs reprises le suffrage des femmes – en 1919, 1925, 1927, 1932 et 1935 ! –, mais ces propositions étaient toutes mises en échec par le Sénat. Et, en 1936, le Front populaire se contentait d'un geste symbolique: Léon Blum nommait trois femmes sous-secrétaires d'Etat, prouvant que l'on pouvait alors, comme Irène Joliot-Curie, appartenir au gouvernement, être titulaire du prix Nobel... et n'être ni électrice ni éligible.

Soixante ans après le scrutin de 1945, le vote des femmes ne se distingue plus, ou presque, de celui des hommes: aujourd'hui, les taux d'abstention sont proches et l'équilibre droite-gauche est à peu près semblable. Une exception: l'extrême droite. Depuis que Jean-Marie Le Pen est candidat à l'élection présidentielle, le pourcentage d'hommes qui ont voté pour lui a toujours été supérieur d'au moins six points à celui des femmes. Et le 21 avril 2002, si les électrices n'ont pas qualifié le président du Front national pour le second tour, alors que les hommes l'ont placé en tête, devant Jacques Chirac.

Ces réticences sont particulièrement fortes chez les femmes retraitées, veuves et âgées, et chez les femmes jeunes, célibataires, diplômées, salariées du public et parisiennes. Pour décrire ces "deux France de l'anti-lepénisme féminin". la chercheuse Mariette Sineau invoque le catholicisme et le féminisme: "Le catholicisme, en professant des valeurs humanistes et universalistes, s'oppose à l'idéologie xénophobe du Front national" tandis que "le féminisme, entendu comme l'idée d'égalité entre les sexes, s'oppose de façon radicale à l'idéologie sexiste du Front" (Le Nouveau Désordre électoral, les leçons du 21 avril 2002, Presses de Sciences Po, 2004).

Aujourd'hui, le paysage politique est loin d'être égalitaire. "Si le droit de vote est pleinement exercé, l'éligibilité demeure encore, pour une large part, hors de portée". résume Janine Mossuz-Lavau, directeur de recherche au CNRS (Cevipof), dans le Dictionnaire historique de la vie politique française (PUF, 2004).

Instaurée en l'an 2000, la parité a permis de porter au pouvoir une nouvelle génération de femmes dans les élections au scrutin proportionnel de liste – les européennes, les régionales, les municipales dans les villes de plus de 3 500habitants –, mais à l'Assemblée nationale, où la loi prévoit de simples pénalités financières, l'échec est patent: en 2002, la part des fem-mes est passée de 10,9% à 12,3% (Le Monde du 8 mars).

Le déséquilibre est tel que la députée (UMP) de Moselle, Marie-Jo Zimmerman, rapporteure de l'Observatoire de la parité, a déposé, à l'occasion du soixantième anniversaire du vote de 1945, cinq propositions de loi destinées à favoriser la "dynamique paritaire". "En l'absence de dispositions contraignantes, les partis politiques ne font rien pour améliorer la situation, constate-t-elle. Il est donc illusoire de spéculer sur leur bonne volonté pour faire avancer les choses."

Les partis restent encore majoritairement masculins: les femmes représentent 35% des militants à l'UMP, près de 39% au PS. "Ce qui a trait au pouvoir est encore perçu comme naturel pour les hommes, moins pour les femmes, explique Réjane Sénac-Slawinski, déléguée nationale à la parité au PS. Aujourd'hui encore, on accepte que les femmes s'installent dans la sphère publique à condition qu'elles continuent à assumer la sphère privée. Cela constitue un obstacle à l'implication des femmes dans la vie politique."

Même si elles militent, les femmes peinent souvent à accéder aux instances dirigeantes des partis: l'UMP compte seulement 18% de femmes parmi les secrétaires nationaux thématiques et 21% parmi les secrétaires nationaux fonctionnels. "Nous essayons de mettre au point des règles favorisant la parité, explique Bérangère Poletti, députée (UMP) des Ardennes et secrétaire nationale à la place des femmes. Mais il faut une volonté politique forte, car les responsables ne voient pas pourquoi ils devraient céder leur place à des femmes."

Au PS, depuis le congrès de Dijon, les instances dirigeantes doivent comporter au moins 40% de femmes. "Cela a permis de féminiser la direction, constate Barbara Romagnan, membre du bureau national, qui vient de publier Du sexe en politique (Ed. Jean-Claude Gawsewitch, 252 pages, 19,50 euros). Mais les mentalités sont longues à bouger: beaucoup de femmes hésitent encore à prendre la parole en public et beaucoup d'hommes continuent à avoir, parfois sans s'en rendre compte, des réflexes sexistes."

Anne Chemin
Article paru dans l'édition du 29.04.05


Le Monde / Société
"Elles vont voter comme leur mari ou le curé, disait-on à gauche", se souvient Simone, 83 ans

 T outes les trois n'ont jamais été de ferventes féministes, mais elles se souviennent, non sans peine parfois, de ce jour "tant attendu par les femmes et tant redouté par les hommes". où elles mirent pour la première fois un bulletin dans l'urne.

Renée, qui ne souhaite pas donner son nom, avait 25 ans; elle venait de retrouver son mari, qui avait rejoint le général de Gaulle dès 1940 et avait été blessé dans les terribles combats du pont de Remagen, en mars 1945. "Je me revois dans la rue, bien habillée, toute fière d'aller voter, dit-elle. Je pensais que beaucoup de choses allaient changer. Les femmes étaient contentes comme tout parce que ça les valorisait, elles faisaient comme les hommes. Depuis, je n'ai jamais raté un vote !"

L'événement ne fit pas la "une" de La République du Centre ce jour du 29 avril 1945. L'imminence de l'armistice et la probable mort de Hitler à Berlin faisaient les gros titres du quotidien d'Orléans. En page 2, il faut lire attentivement un article consacré aux élections municipales pour découvrir la nouvelle. Les citoyennes qui "pourraient éprouver quelque timidité" trouveront sur place toutes les informations "pour voter tranquillement, sans perdre leur calme". indiquait le rédacteur.

Le journal rendait également compte d'un meeting de la liste unie de la Résistance. "Nous ne voulons nullement supplanter les hommes. Nous ne sommes pas de ces ardentes féministes qui font retomber tout le poids des erreurs passées sur le dos des hommes". lançait avec prudence une candidate de l'Union des femmes françaises, proche du PCF, montée à la tribune. A Orléans, douze femmes figurèrent sur les différentes listes, quatre furent élues.

En France, les femmes remplirent si bien leur devoir – beaucoup d'hommes étaient retenus prisonniers ou déportés en Allemagne – que l'on vit, paraît-il, des religieuses siéger dans les bureaux de vote.

"Il y avait un scepticisme sur le vote des femmes. Elles vont voter comme leur mari ou le curé, disait-on à gauche". raconte Simone Minet, 83 ans, jeune institutrice dans le Loiret à l'époque, pour qui ce jour fut moins marquant que "celui de l'armistice et de la naissance de sa fille" au même moment. "Avant la guerre, dit-elle, j'étais trop jeune pour penser à l'injustice que cela pouvait représenter de ne pas voter."

"J'AI LOUPÉ CE COMBAT"

Andrée Thomas, 85 ans, issue d'une famille ouvrière de gauche, a voté à La Ferté-Saint-Aubin (Loiret). Mais ce fut pour elle une "déception". car, se souvient-elle en souriant, c'était le "châtelain" qui l'avait emporté. "Les femmes disaient que ce n'était pas leur affaire de faire de la politique. Dans ce débat, je critique les femmes plutôt que les hommes."

Elle se souvient qu'à l'âge de 13 ans – en 1933 –, elle avait demandé à son institutrice pourquoi les femmes ne votaient pas. "La maîtresse m'a répondu que c'était parce qu'elles ne pouvaient pas être soldat. Gamine comme j'étais, je lui ai rétorqué: mais qui le fabrique le soldat ? Cela l'avait un peu époustouflée !"

Juste avant la guerre, le Front populaire n'accorda pas le droit de vote aux femmes, qui était surtout combattu par les radicaux et au Sénat, et il se contenta de nommer trois femmes sous-secrétaires d'Etat. Pour Léon Blum, il était trop tôt. Alors que les femmes votaient déjà en Inde depuis 1921, et en Turquie depuis 1934. "Je suis entièrement pour le vote des femmes, quelles qu'en soient les conséquences politiques. Si elles n'ont pas eu les droits jusqu'ici, ce n'est pas la faute des hommes, c'est la faute des femmes. Elles n'y tien-nent pas". déclarait le leader socialiste.

Avant la guerre, Lucie Aubrac ne fut pas elle-même une militante du suffragisme. "C'est très curieux, j'ai loupé ce combat. J'en suis confuse maintenant, a expliqué avec sincérité l'ancienne résistante à Elisabeth Guigou dans l'ouvrage de celle-ci, Etre femme en politique (Plon, 1997). Je trouvais un peu ridicules Louise Weiss et ces jeunes femmes élégantes qui se faisaient enchaîner aux grilles du Sénat. Pour moi, c'était un combat de bourgeoises. En 1936, j'ai fait à vélo la campagne de Jean Zay dans l'Orléanais, sans me rendre compte que je n'allais pas voter. En avril 1945, il n'y avait plus eu d'élection depuis 1938. Sept ans après, ces élections étaient pour les jeunes hommes aussi étonnantes que pour les femmes. Je participais aux luttes antifascistes, j'ai créé un réseau de résistance, je me suis toujours sentie citoyenne, même en ne votant pas."

Régis Guyotat
Article paru dans l'édition du 29.04.05


Le Monde / Société
Mariette Sineau, directrice de recherche CNRS au Centre de recherches politiques de Sciences Po
"Le 21 avril 2002, les femmes n'ont pas qualifié M. Le Pen. Les hommes l'ont mis au premier rang"

Pourquoi la France a-t-elle été en avance pour instituer le suffrage universel masculin, en 1848, et en retard pour reconnaître le vote des femmes, en 1944 ?
Des raisons historiques longues éclairent ce paradoxe: sous la monarchie absolue, la loi salique, qui écarte les femmes du trône, a été exhumée, et l'un des premiers actes des révolutionnaires, en 1789, a été de publier un décret maintenant cette tradition. Si la Révolution a admis les femmes dans lacitoyenneté civile (instituant le divorce par consentement mutuel), elle leur a refusé la citoyenneté politique. Cela a légitimé pour longtemps, dans la conscience des républicains, l'incompétence des femmes dans la sphère politique.

Comment a évolué le vote des femmes depuis 1945 ?
En France, comme dans la plupart des pays européens, le gender gap – les divergences politiques selon le genre - – a connu trois phases.
Dans un premier temps, les femmes étaient plus nombreuses parmi les abstentionnistes et, quand elles votaient, privilégiaient les partis conservateurs et confessionnels. Sous la IVe République, elles ont manifesté leur préférence pour le Mouvement républicain populaire (MRP) et boudé le Parti communiste. Sous la Ve République, elles ont épousé le camp gaulliste et voté massivement pour le général de Gaulle, en 1965. Au contraire, François Mitterrand était majoritaire chez les hommes: sans le vote des femmes, il serait devenu le premier président de la Ve élu au suffrage universel.
Au début des années 1980 a commencé une deuxième phase, celle du "réalignement": le taux d'abstention des femmes a reculé et leur vote s'est rapproché de celui des hommes, au terme d'un long mouvement de bascule vers la gauche. Aux élections législatives de 1981, pour la première fois de l'histoire, une majorité absolue de Françaises ont voté à gauche. Puis, lors de la présidentielle de 1988, François Mitterrand a même été réélu avec un surplus de voix féminines.
Aujourd'hui, nous sommes entrés dans le troisième âge du gender gap: les divergences ne portent plus sur l'orientation gauche/droite, mais sur l'extrême droite. Il en va ainsi dans tous les pays européens qui ont connu une poussée de ces partis. En France, ce clivage a pris un tour spectaculaire lors de l'élection présidentielle de 2002: le 21 avril, les femmes n'ont pas qualifié Jean-Marie Le Pen pour le second tour, alors que les hommes l'ont mis au premier rang des candidats.

Comment expliquer cette évolution du comportement électoral des femmes ?
Tout d'abord, des raisons structurelles ont inclus les femmes dans la gauche sociologique. Au cours des "trente glorieuses" , elles ont largement bénéficié de la démocratisation de l'enseignement secondaire et supérieur – dès 1967, les filles étaient majoritaires parmi les bacheliers – et sont entrées en masse dans la vie active salariée, notamment dans le secteur tertiaire. Là où elles étaient artisanes ou exploitantes agricoles, elles sont devenues institutrices, employées ou professeurs du secondaire, toutes catégories qui votent à gauche.
Les changements culturels et idéologiques advenus dans l'Europe de l'après-guerre sont aussi à prendre en compte. Déclin de la pratique et des valeurs catholiques d'un côté, montée des valeurs féministes de l'autre, ont été au principe du changement de cap des électrices. Les mouvements de femmes des années 1970, qui ont revendiqué de nouveaux droits reproductifs et une autre division sexuelle des tâches, ont socialisé toute une génération, celle du baby-boom, au refus d'un certain ordre patriarcal. Ordre dont le Front national voudrait la restauration et auquel les femmes disent non.

Quelles sont les inégalités hommes-femmes qui subsistent dans le système politique français ?
Si, depuis 1944, les Françaises sont éligibles à toutes les élections, ce droit est longtemps resté formel. Ainsi, durant les vingt premières années de la Ve République, elles n'ont jamais été plus de 2% à siéger parmi les députés ! La loi sur la parité, votée en 2000 sous le gouvernement de Lionel Jospin, a permis de faire élire des femmes dans les assemblées élues au scrutin de liste, en particulier dans les conseils régionaux et municipaux. Mais elle s'est révélée inopérante pour le scrutin uninominal des législatives, le plus discriminant pour les femmes, et pour lequel elle ne prévoit qu'une parité incitative. A l'Assemblée nationale, symbole républicain par excellence, près de 88% des représentants sont des hommes !
La responsabilité en incombe aux partis, qui, en sélectionnant leurs candidats, filtrent l'accès à la représentation. Or, en France, ces partis s'apparentent plus à des petits clubs d'élus, fermés sur eux-mêmes, qu'à des partis de militants. Aujourd'hui, plus que jamais, ils peinent à s'ouvrir aux forces vives de la société, à la différence de ce qui se passe en Scandinavie ou en Allemagne, par exemple, qui connaissent des partis de masse plus ouverts aux femmes comme aux jeunes.


Mariette Sineau a publié Profession: femme politique (Presses de Sciences Po, 2001, 305 pages, 25 euros).

Propos recueillis par Anne Chemin
Article paru dans l'édition du 29.04.05


Le Monde / Société
Procès des marchés publics: M. Giraud se dit victime du duel Chirac-Balladur

 M ichel Giraud, 75 ans, a disposé quelques feuilles surlignées devant lui, et plaqué ses deux larges mains de part et d'autre du pupitre, dans une de ces attitudes familières que trente-cinq années de tréteaux ont façonnée. "Monsieur le Président, Mesdâââmes." Il ne comparaît pas, il discourt.

Pendant près de cinq heures, mercredi 27 avril, l'ancien président du conseil régional s'est défendu contre les accusations de favoritisme et de complicité de corruption active et passive dans le dossier des marchés publics d'Ile-de-France, pour lesquelles il encourt dix années d'emprisonnement. Il a préparé ce moment, assistant depuis l'ouverture du procès à chaque journée d'audience.

Le voilà donc qui sème ses petits cailloux. Un rappel, d'abord, des conditions dans lesquelles il a été élu président de l'exécutif régional en 1992, après s'être opposé pendant la campagne au secrétaire général du RPR, Alain Juppé, qui avait eu des visées sur ce poste avant d'y renoncer.

Une évocation, ensuite, de sa "surprise" devant la concurrence acharnée entre les élus des Hauts-de-Seine – fief de Charles Pasqua – et ceux de Paris – dont Jacques Chirac était le maire – pour obtenir la présidence de la très stratégique commission de l'administration générale dont dépendait, alors, la commission d'appel d'offres. Chacun a compris où il veut en venir, mais il retarde le moment d'y arriver et, surtout, insiste sur les mesures qu'il a prises pour tenter de remettre de l'ordre dans le fonctionnement de cette commission. "En tant que président, je peux faire le maximum pour la rigueur et la transparence, je ne peux pas gérer ce qui est extérieur et antérieur". dit-il.

Le président du tribunal, Jean-Louis Kantor, en vient à l'épineuse question de ses relations avec Claude-Annick Tissot, la présidente de la commission d'appel d'offres dont la démission, en 1996, et la dénonciation publique des graves irrégularités dont elle avait été le témoin ont précipité l'ouverture de l'information judiciaire.

Il est question d'une scène assez violente, en mars 1995, au cours de laquelle M. Giraud avait convoqué Mme Tissot – qui s'était opposée à certaines procédures suspectes dans le choix des entreprises – pour lui intimer l'ordre de "choisir qui on [lui] dira de retenir et de faire ce qu'on -lui- dira de faire".

"PAS PENSABLE !"

L'ancien président du conseil régional jette un petit caillou. "C'est vrai qu'à ce moment-là, mes relations avec Mme Tissot ne sont pas bonnes. Entre janvier et mars 1995, il se passe un certain nombre de choses, monsieur le Président..." Le président ne relève pas. "Ce n'est pas moi qui ai allumé le feu avec Mme Tissot. A partir de 1995, on a dépassé le stade des désaccords techniques et on est entré dans un climat passionnel. La calomnie, les mensonges ont commencé à circuler sur moi. J'ai beaucoup souffert dans les années 1995, 1996 et 1997." Il glisse: "Peut-être que les événements nationaux de 1995 y ont été pour quelque chose..."

Jean-Louis Kantor saisit la perche tendue: "Ce qui est sous-jacent dans tout cela, ce sont des choix politiques. Vous, en 1995, vous avez pris l'option Balladur [lors de l'élection présidentielle].

- – Oui, j'ai perdu et je ne regrette rien. Mais en 1995, ce qui s'est passé, c'est une véritable mise à mort politique !–

- Il a été dit que Mme Tissot avait été envoyée par... l'autre candidat.–

- Je n'en sais rien–

- Pensez-vous qu'elle a pu avoir des motivations politiques ?

- – Je ne souhaite pas en dire plus". répond le prévenu.

On en vient à un autre point sensible pour la défense de M. Giraud: ses multiples contacts avec l'intermédiaire, Jean-Claude Méry, attestés par des agendas, et les accusations que celui-ci a portées contre le président de la région dans sa fameuse cassette, où il évoque, entre autres, une somme de 3 millions de francs en espèces qui lui aurait été remise.

"Alors, là, pardon, mais ce n'est tout simplement pas pensable ! Est-ce que je peux vous rappeler la date d'enregistrement de la cassette Méry ? C'est 1996. Je n'ai pas d'autre commentaire à faire, s'exclame-t-il.–

- Ah, si, s'agace le président, il faudrait en dire un peu plus–

- J'ai du mal. Disons que M. Méry, à ce moment-là, a pu être inspiré par son environnement". répond M. Giraud, soucieux de ne pas envoyer ses cailloux trop loin, ou trop haut.

Pascale Robert-Diard
Article paru dans l'édition du 29.04.05


Le Monde / Société
Stéphane Rozès, sondeur des fractures

 P our justifier ses réticences à se voir portraituré dans les colonnes du Monde, Stéphane Rozès se réfugie derrière ce qu'il décrit comme sa propre "schizophrénie". Un rien flatté néanmoins, comme il le reconnaît volontiers, d'être pour une fois un sujet d'observation, le directeur de CSA-Opinions, qui se sait bavard, s'inquiète. Que retiendra-t-on de son flot de paroles, qui pourrait nuire à l'une ou l'autre de ses "casquettes" ? Son passé militant, ou la neutralité qu'impose l'exercice de sa profession ? Ses amitiés avec les élites, ou ses considérations sur "le peuple" ? Ses analyses publiques des mouvements d'opinion, ou les conseils qu'il dispense en privé à ceux qui cherchent à les anticiper ?

Rendez-vous est fixé "au premier étage du Flore". pour "faire connaissance". Certaines préventions étant tombées, un autre suivra, au rez-de-jardin d'une résidence de Bourg-la-Reine (Hauts-de-Seine), où habite Stéphane Rozès. A peine a-t-on franchi le pas de cette porte, début avril, que le politologue brandit deux feuillets de courbes et de chiffres. "Dépêchez-vous si vous voulez me présenter comme le premier qui a donné le non en tête, car le oui pourrait bien remonter". prévient-il.

Son fait d'armes remonte au 18 mars. Ce jour-là, Le Parisien barre sa "une" d'un "NON ?" en lettres rouges. En pages intérieures figurent les résultats du premier sondage accordant une – courte – majorité au non (51% contre 49%). En dépit de la traditionnelle marge d'erreur et, surtout, de la forte proportion d'indécis, sa publication déclenche une déferlante politique et médiatique. Les chiffres de CSA sont observés avec circonspection par les partisans du oui. Mais, dans les semaines qui suivent, tous les instituts confirment – ou amplifient – la tendance. Le 21 avril est publié le vingtième sondage consécutif donnant le non gagnant. Réalisée par CSA, cette enquête est également la première à montrer une baisse nette (quatre points) des intentions de vote contre la Constitution européenne. De quoi alimenter les soupçons des autres sondeurs, qui ironisent volontiers sur le sens aigu du marketing dont ferait preuve Stéphane Rozès...

Aux yeux de l'intéressé, le coup d'éclat du 18 mars est à la mesure de quelques glorieux précédents. Comme en février 1995, lorsque son institut enregistra le croisement des courbes d'intentions de vote Chirac-Balladur. "Chirac dépassant Balladur ? Les élites, qui sont mes clients, jugèrent cela baroque. Le client est roi, mais mon seul maître est l'opinion". assène Stéphane Rozès. Sur elle, il est intarissable. Le débit des mots s'accentue, avec la musique de Bach – l'une de ses passions – en fond sonore.

Le sondeur, qui enseigne à Sciences Po depuis une douzaine d'années, est moins disert sur son propre parcours. Des éléments épars finissent par apparaître, au hasard de brèves incidentes. Un milieu familial "plutôt bourgeois". des études au collège Stanislas, à Paris, puis dans une institution religieuse de Fontainebleau, dirigée par des jésuites; le militantisme "à l'extrême gauche [a Ligue communiste révolutionnaire] du milieu des années 1970 au début des années 1980, puis à gauche -au Mouvement des citoyens de Jean- Pierre Chevènement- jusqu'au milieu des années 1990". Une première passerelle est jetée des jésuites au trotskisme: "Je voulais réenchanter le monde."

Faut-il davantage de liant ? Bach, toujours lui, est appelé à la rescousse. "C'est le "Clavier bien tempéré", explique Stéphane Rozès. Le prélude, c'est la spontanéité que l'on canalise. Avec la fugue, on part de ce qui est canalisé pour le faire rayonner." La fugue, poursuit-il, fut le mouvement de sa jeunesse, marquée par des "concepts" qu'il lui fallut ensuite "oublier pour aller au réel" et se fondre dans l'empirisme: l'art du prélude.

Stéphane Rozès ne renie rien. Le suicide de son père lui apprit, très jeune, à "être -son- propre tribunal personnel". "Ma formation militante, indique-t-il, m'a permis de ne pas être comme une plume dans le caniveau." Bien arrimé, mieux vaut l'être lorsqu'on travaille "en même temps avec un ministre et la direction de la CGT". "Je converse aussi bien avec François Ewald [président du conseil scientifique de la Fondation pour l'innovation politique – Fondapol –, proche de l'UMP] qu'avec Jean-Christophe Le Duigou [secrétaire confédéral de la CGT]". assure Stéphane Rozès.

Il a le tutoiement facile, l'emploie aussi bien "avec Philippe de Villiers qu'avec Marie-George Buffet". Ses liens avec Jean-Pierre Chevènement n'ont-ils pas contribué à ce que son institut en fasse un possible "troisième homme" avant la présidentielle de 2002 ? "Ceux qui le laissent entendre sont des médiocres, réplique- t-il, cela m'indiffère."

Pour celui qui fut marqué à gauche, l'éclectisme politique est, de fait, un sésame indispensable. "Je travaille pour des candidats différents – à l'exception de l'extrême droite – lors d'une même campagne". insiste Stéphane Rozès, qui se dit "aussi à l'aise à l'Elysée que place du Colonel-Fabien". Jean-Pierre Chevènement, bien sûr, mais aussi Claude Chirac, Robert Hue et François Bayrou lui témoignèrent leur solidarité lorsqu'il lutta contre un cancer tenace.

Son métier lui impose d'entretenir des relations équidistantes avec ses clients. Il lui faut aussi tenir le secret tout en répondant aux nombreuses sollicitations des médias. "Trois mois avant la date [le 21 avril 1997], j'ai su qu'il y aurait une dissolution. Interrogé à ce sujet par la presse, j'ai répondu en élaborant des scénarios". raconte-t-il. "C'est très simple. C'est une question d'ascèse". ajoute Stéphane Rozès.

Les points de repère n'étant pas légion dans sa vie professionnelle, il se dit "homme de rites" dans sa vie privée, "fidèle aux lieux, à Bach". ainsi qu'à son "footing du dimanche matin". Est-ce suffisant ? "Si j'avais le temps, je ferais des retraites de deux ou trois jours chez les bénédictins."

Tant qu'à vivre dans la schizophrénie, le politologue s'est pris de passion pour une "ligne de fracture". Celle qui, dit-il, sépare "le peuple" des "élites". Il lui a consacré un long article, intitulé "Aux origines de la crise politique". dans la revue Le Débat (mars-avril). "Le désamour entre nos concitoyens et les élus est le problème premier de la période". écrit Stéphane Rozès. Qui, fort de son expérience personnelle, cherche à rapprocher ces présumés contraires.

Jean-Baptiste de Montvalon
Article paru dans l'édition du 29.04.05


Le Monde / Opinions
Edito du Monde
Tous Européens

 D ans un mois, les Français auront dit oui ou non au traité constitutionnel de l'Union européenne qui leur est soumis. Avec et après la France, une dizaine d'autres pays membres de cette Union seront appelés à se prononcer par référendum, les autres, par tradition ou par prudence, laissant à leurs Parlements la charge de la ratification.

En France, l'élémentaire prudence parlementaire, née de la méfiance que tout républicain devrait nourrir à l'endroit du référendum, si souvent transformé en plébiscite – pour ou contre un homme –, a été écartée au profit du risque maximum: celui de la simplification, alors qu'il s'agit de se prononcer sur un édifice complexe et qui, par nature, résulte d'un compromis.

C'est aussi le risque de la réponse donnée à une question qui n'est pas posée, à savoir la confiance au président et à son gouvernement, la mesure du mécontentement qu'il suscite.

A quelque chose malheur est bon: appelés à trancher, les Français exercent un droit, celui de choisir. Ils débattent de sujets qui semblaient jusqu'alors être le domaine réservé de ces "bureaux de Bruxelles" un temps dénoncés par le premier ministre. Et, finalement, l'intensité et l'âpreté de ce débat permet de prendre la mesure de l'enjeu, du cap symbolique et politique que le pays décidera de franchir ou de ne pas franchir.

Le débat en lui-même constitue une étape car, exception faite des extrêmes, les partisans du non eux-mêmes se réclament de l'Europe, d'une autre Europe ou d'une meilleure Europe au sens de leurs intérêts ou de leur idéologie. De fait, une majorité de celles et ceux qui vont voter sont nés, dans l'Union, après l'acte de naissance de celle-ci, à Rome, en 1957. Ils n'ont connu que les progrès de la construction européenne et ils vivent avec ses acquis. Ils n'ont eu vent des désordres qu'elle a contribué à faire reculer – la guerre, la pauvreté, les dictatures – qu'à travers les manuels d'histoire.

Il est donc tentant de penser que la paix, la prospérité, la démocratie peuvent désormais progresser autrement. En ce sens, nous sommes tous devenus Européens. Simplement, pour être sûrs de le rester, mieux vaut, à tout prendre, voter oui au texte tenant lieu de Constitution pour l'Europe. Car cette Constitution ouvre des portes. Elle est le point de passage vers une construction politique qui nous fait défaut, le moyen de franchir une étape supplémentaire sur un chemin long et inédit, qu'il faut poursuivre.

L'Histoire n'attend pas. Dans les négociations internationales de demain, quand il s'agira d'ériger quelques normes universelles – sur le commerce, la culture, l'environnement, l'énergie, l'immigration, par exemple –, mais aussi de traiter à l'ONU de la guerre et de la paix, il y aura trois ou quatre poids lourds autour de la table: les Etats-Unis et peut-être l'ensemble latino-américain, la Chine, l'Inde; l'Europe si elle le décide. Si elle le veut bien.

Là est l'enjeu principal du projet soumis au vote de ratification des Français. Le traité dote l'Europe d'une personnalité politique et morale sur la scène internationale; il assure la représentation politique d'une population de 450 millions de personnes; il donne aux pays européens une masse critique organisée.

On peut juger que cette réorganisation des institutions européennes ne va pas encore assez loin, qu'elle est le reflet de l'euro-scepticisme de nos dirigeants, qu'elle fait la part trop belle aux gouvernements aux dépens d'un projet plus fédéral, qu'elle renonce ainsi à créer de véritables Etats-Unis d'Europe. On peut penser qu'il était inutile ou politiquement maladroit de regrouper dans un seul et même texte les trois éléments qui constituent le traité: l'organisation et le fonctionnement des nouvelles institutions de l'Union européenne; la Charte des droits fondamentaux de l'Union; la reproduction de tous les accords existants qui régissent déjà l'Europe unie. On peut estimer critiquable l'emploi du terme Constitution pour ce qui reste un traité conclu entre Etats indépendants, qui mettent volontairement en commun certains des attributs de la souveraineté. Mais le fait est là: ratifié, le traité permettra à l'Europe d'exister politiquement quand elle n'était jusqu'à présent qu'un géant économique, commercial et monétaire.

À LA TABLE DES GRANDS

L'Europe avait une adresse, une enseigne commerciale. Elargie à 25, puis à 30, si elle devait rester en l'état, cette Europe a toute chance d'être ingouvernable, de revenir à la case "zone de libre échange" et d'être l'Europe-passoire que le nationalisme ambiant appelle de ses voeux. Le choix est donc uniquement celui-ci: la ratification d'un projet qui autorise un début d'existence politique de l'Europe, ou un statu quo qui nous prive de cette fonction politique.

A Washington, New Delhi et Pékin, on attend une réponse à la question suivante: y aura-t-il demain un Européen à la table des Grands ? Dans le système actuel, un pays assume pour six mois une sorte de secrétariat général des affaires européennes. Le projet de traité confie au Conseil européen (qui réunit les chefs d'Etat et de gouvernement des pays membres) le soin d'élire un président pour deux ans et demi (renouvelables une fois). Il ou elle n'est, certes, que le président du Conseil européen et, à ce titre, dirige le travail de secrétariat général qui était celui de l'ancienne présidence tournante de l'Union. Mais la dimension emblématique, symbolique, politique change.

Et ce tournant est confirmé par l'autre nomination à laquelle procédera le Conseil européen: un ministre des affaires étrangères de l'Union (qui sera aussi le vice-président de la Commission). Avec le traité constitutionnel, l'Europe acquiert une présence internationale.

Le traité a d'autres qualités. Il assure un fonctionnement de l'Europe qui est à la fois plus social, plus démocratique et plus favorable à la France.

Plus social: d'une part, il reconnaît expressément que des missions de service public échappent au domaine concurrentiel; d'autre part, la Charte des droits fondamentaux, document imprégné de l'esprit de l'économie sociale de marché, peut être invoquée devant la Cour de justice par tout citoyen d'un pays membre qui estimerait qu'une directive de Bruxelles lui est contraire. C'est une garantie qui n'a sans doute pas échappé à la Confédération syndicale européenne qui – à l'instar d'absolument tous les partis socialistes de l'Union – affirme son soutien résolu au traité.

Il organise un fonctionnement plus démocratique de l'Union: renforcement des pouvoirs du Parlement européen au niveau législatif (extension du nombre de sujets qui relèvent d'une codécision Parlement-Conseil) et politique (il élit à la majorité simple le président de la Commission, sur proposition du Conseil, lequel doit prendre en compte le résultat des élections européennes). C'est une architecture prudente, peut-être trop prudente, mais la vie de cette machinerie complexe sera plus démocratique.

La France y gagne. Cette conception de l'Europe, où le débat essentiel continue de se dérouler entre les Etats membres, est la sienne. En outre, le projet de traité accroît son poids au sein du Conseil européen, où elle disposerait, demain, de 13,4% des droits de vote, contre 9% dans le cadre actuel du traité de Nice. C'est encore plus vrai du couple franco-allemand, moteur historique de la construction européenne, dont les droits de vote passeraient de 18% à 31,4%.

MAUVAISE ADRESSE

Mais le scrutin ne se décidera pas sur la seule valeur du nouveau traité. L'irritabilité du corps social trouvera – a déjà trouvé selon les sondages d'opinion – un débouché dans les urnes. Elle est la marque d'une défiance à l'égard d'un pouvoir qui n'a pas entendu le message électoral du printemps 2004, certes; mais elle est aussi une défiance à l'égard d'une Europe soupçonnée de faire obstacle au modèle français, voire de le défaire.

Il est vrai que, depuis plus de quarante ans, la construction européenne a été un formidable levier de transformation de nos pays. La peur existe de voir celle-ci désormais conduire à l'effacement progressif de l'Etat et des politiques nationales qu'il continue d'incarner, peur liée au fait que le modèle étatique ancien n'a pas disparu, tandis que les contours de l'Etat moderne restent flous.

Tentés par le non, nombre de Français veulent aussi faire entendre une vraie souffrance sociale, leurs protestations devant cet aspect tristement essentiel du modèle social français, le chômage de masse. Il serait faux de leur dire que l'intégration européenne est un remède à tous nos maux. Elle ne l'est pas. Ces électeurs tentés par le non se trompent d'adresse: le chômage est un problème français.

Mais c'est bien dans le cadre de l'Europe qu'il faudra organiser et réguler des flux migratoires, commerciaux et monétaires qui n'en existeraient pas moins sans elle, mais dont l'existence "sauvage" serait dévastatrice. Ce n'est pas une contrainte. Cela peut rester une chance et une ambition, à la condition que le oui l'emporte.

Jean-Marie Colombani
Article paru dans l'édition du 29.04.05


Le Monde / Opinions
Pont de vue
Mon cher Lionel...

 U u n'es pas un ami pour moi seulement, mais aussi pour de nombreux militants socialistes, et peut-être parce que, parmi toutes tes qualités – et tes défauts –, il y en a une que l'on apprécie par-dessus tout: la franchise !

Alors, parce que tu as jugé nécessaire de t'exprimer franchement et publiquement, j'ai décidé de faire de même.

Comment peux-tu nous demander de respecter le vote du référendum interne du PS alors même que les dirigeants du parti et partisans du oui ont foulé aux pieds leurs propres engagements en"oubliant" les sept exigences pour une Constitution démocratique et sociale telle qu'elles avaient été adoptées lors du conseil national du 10 octobre 2004. Je te les rappelle:

- – une base juridique claire pour la protection et le développement des services publics doit être posée;

- – des mesures d'harmonisation de la fiscalité doivent pouvoir être adoptées à la majorité qualifiée. Ce doit être aussi le cas en matière sociale. Les critères de l'emploi et de la croissance seront introduits pour guider les interventions de la Commission et de la Banque centrale européenne. L'Europe doit être dotée d'un gouvernement économique, disposant d'un budget suffisant et d'un impôt, pouvant recourir à l'emprunt pour financer des grands travaux...;

- – la majorité qualifiée doit aussi devenir la règle pour la politique extérieure et de sécurité commune, l'unanimité étant l'exception;

- – la diversité culturelle doit être garantie. Nous souhaitons que la Constitution renforce les valeurs de la démocratie européenne et qu'elles permettent l'évolution des institutions;

- – le caractère laïque de la construction européenne est un principe à nos yeux fondateur;

- – les mécanismes de coopérations renforcée entre les Etats membres doivent être assouplis;

- – les révisions futures de la Constitution doivent pouvoir être adoptées, si possible par référendum européen organisé le même jour dans toute l'Union, à la majorité qualifiée de la population et des Etats.

Comment peux-tu nous demander de ne pas obéir aujourd'hui à une clause de conscience alors même que la démocratie a été bafouée par nos amis communs ? Comment peux-tu nous demander de cesser notre campagne alors que nous sommes engagés depuis des mois – sous des formes variées mais poursuivant le même but – pour une Europe conforme aux valeurs collectives du Parti socialiste et, partant, contre un texte qui transformerait "une économie de marché en société de marché" ?

Et comment peux-tu apporter ton appui à des camarades qui non seulement, on l'a vu, ne respectent pas les textes qu'ils ont votés, mais tentent en plus de faire croire aux militants et aux électeurs que la directive sur les services n'a rien à voir avec le projet de Constitution, alors même qu'elle n'en est que le bébé arrivé avant terme ?

A l'évidence, tu te trompes d'interlocuteurs mais aussi de combat ! De combat, quand tu laisses entendre que la politique du gouvernement actuel n'a rien à voir avec la conception même du projet de Constitution, alors qu'il vient de remettre en cause les 35 heures, tandis qu'une loi européenne en préparation fixe la durée maximale du travail à 65 heures, et que le texte en débat transforme un outil de l'économie de marché - – "la concurrence libre et non faussée" – en objectif fondamental de l'Union ? Peux-tu vraiment douter de notre volonté européenne alors que nous avons accepté tous les traités passés, et, lorsque quelques-uns d'entre nous les critiquaient, c'était par souci de parvenir à une Europe plus sociale et plus rapidement que l'on ne nous le proposait ?

Penses-tu réellement que nous sommes rattrapés par le souverainisme ou le nationalisme alors que nous t'avons soutenu quasiment à l'unanimité lors de l'adoption du traité d'Amsterdam – qui pourtant ne comportait pas les réponses positives aux quatre conditions que tu avais toi-même posées quelques mois auparavant ? Nous pensions alors collectivement qu'il serait malvenu en début de mandature d'ouvrir une crise avec le président de la République, que les occasions ne manqueraient pas pour donner à l'Europe des outils permettant de s'opposer au libéralisme et de la doter de normes sociales et fiscales favorables à l'emploi pour l'ensemble des travailleurs européens.

Comment peux-tu concevoir qu'après avoir accepté le traité de Maastricht – traité dont tu reconnaissais toi-même à l'époque combien il était boiteux –-, le problématique traité d'Amsterdam pour les raisons évoquées ci-dessus, l'ébouriffant traité de Nice pour accueillir dans un élargissement sans principes dix nouveaux pays, il nous faudrait à présent capituler devant ce qui ne serait plus un traité s'il était ratifié par tous les peuples mais une Constitution construite pour soumettre les citoyens au libéralisme ?

Car ne t'a pas échappé, je présume, l'énorme différence qu'il y a entre un traité thématique et une Constitution généraliste ? Comme ne t'a pas échappé non plus le fait qu'aucun partisan du oui n'est capable de justifier la raison pour laquelle le projet de Constitution reprend dans sa troisième partie les traités antérieurs, alors même que ces derniers restent toujours en vigueur en tant que traités ?

On ne nous convaincra pas, et l'électorat de gauche non plus, que si les traités antérieurs ont été repris dans la troisième partie – et de loin la plus longue – du projet de Constitution, c'est, comme le dit Jacques Julliard, parce qu'"on a voulu intéresser la partie, comme à la belote" !

Alors de grâce, Lionel, reprends-toi ! Et si tu veux, comme je le pense sincèrement, servir l'Europe, demande le retrait de la troisième partie du projet de Constitution. Et si nous y parvenons collectivement, nous aurons fait un grand pas vers la construction de l'Europe !

Avec franchise et amitié.


Vincent Assante est membre du conseil national du PS.

par Vincent Assante
Article paru dans l'édition du 29.04.05


Le Monde / Opinions
Chronique
Les lendemains incertains d'un référendum perdu

 E t si les Français disaient non, le 29 mai, à la Constitution européenne ? La question commence à agiter les chancelleries, même si elles se défendent d'y réfléchir sérieusement pour ne pas donner l'impression qu'elles jugent la partie perdue. Des hypothèses s'esquissent, des conjectures se forment. On se demande ce que feront les autres pays en cas d'échec du référendum en France, on s'interroge sur l'avenir du projet de Constitution, on s'inquiète de l'avenir même de l'Union. Pour le moment, on se contente de spéculer, mais il faudra bien se préparer à répondre à l'événement.

Première incertitude: un seul non suffisant à bloquer l'application du texte, la procédure de ratification sera-t-elle aussitôt interrompue dans les autres pays ? A quoi bon voter, disent les partisans de l'interruption, puisque, de toute façon, le projet ne pourra pas entrer en vigueur à cause de l'opposition française ? Des propos ambigus de Tony Blair ont ainsi accrédité l'idée que la Grande-Bretagne pourrait renoncer à organiser une consultation sur un traité condamné à demeurer virtuel. Les pays qui redoutent une réponse négative ne seraient pas mécontents de laisser la France porter seule la responsabilité d'un échec.

A l'inverse, ceux qui veulent que la procédure continue, même après un refus français, font valoir que chaque Etat doit se prononcer, par la voie référendaire ou par la voie parlementaire, avant que les Vingt-Cinq se réunissent pour examiner la situation et fixer la marche à suivre.

En adoptant le projet en 2004, rappellent-ils, les gouvernements ont prévu de convoquer un Conseil européen extraordinaire si dans les deux ans la ratification n'était pas unanime. Ils ont donc implicitement choisi d'aller jusqu'au terme de la procédure. Cette éventualité paraît la plus probable: aussitôt après le vote du 29 mai, les Néerlandais, le 1er juin, puis les Luxembourgeois, le 10 juillet, prendront le relais des Français.

La deuxième incertitude concerne le sort du projet de Constitution. Il sera certes mort-né sous sa forme actuelle, faute d'accord entre les Vingt-Cinq, mais n'est-il pas envisageable soit de rouvrir une négociation pour obtenir un texte meilleur, soit au moins de s'entendre pour mettre en application les dispositions les plus consensuelles ? C'est ce que soutiennent les partisans du non. Selon eux, l'Europe ne sera pas contrainte d'en rester au traité de Nice si le traité constitutionnel est rejeté: les Vingt-Cinq remettront le texte en chantier en tenant compte des positions françaises ou, à défaut, proposeront, comme l'a dit l'eurodéputé socialiste Henri Weber, proche de Laurent Fabius, un projet allégé, "recentré sur les institutions, les valeurs et les droits".

Cette analyse ne semble guère crédible. On imagine mal l'Union européenne recommencer de zéro une discussion qui l'a occupée pendant plus de deux ans et qui a permis aux représentants des gouvernements, des Parlements nationaux, du Parlement européen, de la Commission, dans leur diversité politique, d'échanger longuement leurs arguments. On imagine encore moins bien qu'elle puisse donner satisfaction à ceux qui demandent davantage d'Europe sociale, alors même qu'une partie de ses membres ont accepté à contre-cœur les quelques avancées de la Constitution.

On ne voit pas bien non plus comment les Vingt-Cinq pourraient choisir de conserver certaines parties du traité, jugées acceptables par tous, en renonçant à celles qui suscitent l'opposition des citoyens. D'abord parce que même les dispositions les moins contestées, comme la nomination d'un ministre des affaires étrangères, ont été le résultat de laborieux compromis. Ensuite parce qu'il faudrait, pour les appliquer, modifier le traité de Nice et faire ratifier ces modifications par chaque Etat.

Le gouvernement français procédera-t-il encore par référendum ? Non, car il s'exposerait à une nouvelle défaite. Mais s'il passe par le Parlement, ne sera-t-il pas accusé de chercher à contourner le vote populaire ? Il faut se rendre à l'évidence: si la France dit non, la Constitution sera bel et bien précipitée dans les oubliettes de l'Histoire.

L'Union continuera donc d'être régie par le traité de Nice. Faut-il s'en alarmer ? Oui et non. Non si l'on s'en tient aux aspects juridiques. L'Europe ne cessera pas d'exister, elle fonctionnera tant bien que mal, comme aujourd'hui, selon les mêmes règles et les mêmes procédures, qui rendent à vingt-cinq sa gestion difficile mais non pas impossible. En revanche, si l'on considère les effets politiques, les dégâts seront lourds. L'Union se porte plutôt mal, faute d'une véritable volonté européenne dans la plupart des Etats membres. Un vote négatif accélérerait son délitement. C'est bien l'objectif de ceux qui ne veulent pas de cette Europe-là.

Les partisans de la Constitution n'ont pas tort de s'inquiéter de ce qui se passera en cas de victoire du non. Mais, comme l'a dit avec lucidité le comédien Francis Huster, invité sur France 2 du magazine télévisé"Face à l'image", ils seraient plus convaincants s'ils expliquaient aussi ce qui se passera en cas de victoire du oui, c'est-à-dire ce qui changera en Europe quand la nouvelle Constitution entrera en vigueur.

Thomas Ferenczi
Article paru dans l'édition du 29.04.05


Le Monde / Opinions
Éditorial du Monde 2
"Au vif": l'affaire Vinaver

 À  quoi ça sert, le théâtre ? A remuer nos idées. Pas à nous asséner les idées de l'auteur, mais à déplacer les nôtres, à les mettre en mouvement, au risque du déséquilibre. La réponse a été donnée par celui que l'on considère, ici, comme un maître, l'un de nos plus grands auteurs de théâtre contemporains, Michel Vinaver. C'était en 1982, à Paris, au Théâtre national de Chaillot, lors d'un colloque sur "Théâtre et démocratie". "Il est vain d'appeler à l'existence un théâtre des idées, déclarait-il. Il est vain d'encourager les écrivains dans ce sens. Il en va des idées comme de la beauté. Il ne faut pas s'y efforcer. Si ça vient, c'est par-dessus le marché. Et si le théâtre des idées était un théâtre qui remue les idées du spectateur ? Qui ne laisse pas en place nos idées, qui les met en branle ?" (Ecrits sur le théâtre 2, L'Arche, 1998).

"11 SEPTEMBER 2001"

Depuis un demi-siècle et sa première pièce, Les Coréens (1955), le théâtre de Vinaver est fidèle à ce projet dont Roland Barthes fut le premier à saluer la radicale nouveauté. A rebours d'un théâtre militant ou édifiant, les textes de Vinaver affrontent le réel, sa trivialité et son opacité. Vinaver, écrivait Barthes en 1956, échappe au dilemme qui voudrait que l'on ne produise que "des œuvres bénisseuses ou révoltées, comme s'il n'y avait pas d'autre issue esthétique aux malheurs humains que l'Ordre ou la Protestation". "Aussi éloigné du prêchi- prêcha jdanovien que du psychologisme bourgeois", le travail de Vinaver, insistait-il, se situe "dans un certain en-deçà des concepts idéologiques, sans pour autant faire de cette restriction une irresponsabilité". "L'art a bien plus intérêt à nous montrer des inconscients que des méchants", poursuivait Barthes, qui n'hésitait pas à comparer l'exigence de Michel Vinaver à celle de Charlie Chaplin, tous deux ayant en commun d'asseoir leur pouvoir de démystification "sur une certaine imprécision politique". "Univers sans procès", le monde de Charlot n'en est pas moins "un univers profondément orienté", tout comme la politique de Vinaver "consiste à retrouver les rapports réels des hommes, débarrassés de toute décoration psychologique".

Si l'on s'autorise ces notes de lecture, c'est pour l'édification de la diplomatie française en général et de son ambassade à Washington en particulier. La dernière pièce de Michel Vinaver a pour titre 11 September 2001. Elle fut écrite dans les semaines qui ont suivi la destruction des Twin Towers de Manhattan, directement en anglais – "plus précisément en américain", précise l'auteur qui, jeune, a vécu aux Etats-Unis, ayant fui avec ses parents les persécutions antisémites du régime de Vichy et de son "Etat français". A la manière d'une cantate ou d'un oratorio, 11 September 2001 est un récit polyphonique de ces heures qui ont fait dévier le cours du monde. Des voix s'entremêlent, se croisent et se coupent. Le matériau est la réalité même: tirés des journaux, les mots prononcés par tous ceux qui, anonymes ou célèbres, victimes ou survivants, furent témoins et acteurs du drame. Parmi eux, George Bush et Oussama Ben Laden, évidemment, dont les discours télévisés se font écho dans le final de la pièce.

L'AMBASSADEUR ET L'OBJECTEUR

C'est ce que n'a pas supporté Jean-David Levitte, notre ambassadeur aux Etats-Unis, qui a brusquement décidé de retirer le soutien de ses services culturels à un événement qui était tout à l'honneur de la France: la première mondiale de 11 September 2001 à Los Angeles, dans une coproduction franco-américaine mise en scène par Robert Cantarella. On ne doute pas de l'intelligence ni de l'indépendance de M. Levitte. Immensément maladroit comme tout acte de censure, son geste nous étonne d'autant plus. Une nation qui prend peur au spectacle de sa propre culture témoigne de sa grande faiblesse. L'inculture est ici l'alibi d'une pathétique surenchère dans la vassalité. Car c'est bien de la France qu'il s'agit, le choix de la pièce de Vinaver par CalArts, l'Ecole des beaux-arts de Californie, n'ayant suscité aucune protestation américaine.

Pour un auteur qui n'est plus si jeune, ce spectacle est rassurant: le théâtre de Vinaver continue de faire scandale au point de remuer jusqu'au désordre les idées de nos meilleurs diplomates. Notre auteur s'est toujours défini comme un objecteur – L'Objecteur est d'ailleurs le titre de son deuxième roman, publié chez Gallimard par l'entremise d'Albert Camus. Un objecteur, pas un rebelle. Un "réfractaire", précise-t-il, de ces personnes dont le comportement "est à l'écart de ce qu'on attend, et c'est souvent plus intolérable". Vinaver ne fait pas la morale ni la leçon. Il objecte, tout simplement. Et, dans la pièce en cause, il se contente, dans un couper-coller saisissant, de faire entendre les similitudes rhétoriques des discours de Bush et Ben Laden.

On peut ne pas le supporter. Mais c'est alors la réalité que l'on ne supporte pas.

Edwy Plenel LE MONDE | 29.04.05 | 14h49


Le Monde / Entreprises
Les résultats de L'Oréal en Europe de l'Ouest déçoivent les marchés financiers

 D eux mois après l'annonce du départ de Lindsay Owen-Jones d'ici à un an de la tête de L'Oréal (Le Monde du 18 février), le numéro un mondial des cosmétiques a perdu de sa superbe en Bourse. Depuis le 15 avril, le titre a baissé de plus de 7% pour terminer, mercredi 27 avril à 55,7 euros. Loin derrière les performances de ses années fastes, lorsque l'action L'Oréal tutoyait, début 2002, les 80 euros.

En publiant, jeudi 21 avril, un résultat de 3,54 milliards d'euros, en hausse de 1,6% par rapport au premier trimestre 2004, L'Oréal n'a pas répondu aux attentes du marché. Pour les analystes de la banque Morgan Stanley, qui tablaient sur une hausse du chiffre d'affaires comprise entre 5,5% et 7%, à taux de change constant, les 3,1% de L'Oréal "représentent un début d'année très décevant". précisent-ils dans une note. "Nous sommes confrontés à beaucoup d'incertitudes et de difficultés, le chiffre d'affaires est décevant". a reconnu M. Owen-Jones, le PDG du groupe lors de l'assemblée générale (AG) du mardi 26 avril. Une réunion qui a permis à L'Oréal de proposer d'accueillir un nouvel administrateur, Louis Schweitzer, le PDG sortant de Renault.

Face à cette morosité boursière, le dirigeant du groupe cosmétique a voulu rassurer sur la bonne tenue générale de l'entreprise. "Je ne voudrais pas que la mauvaise performance de l'Europe de l'Ouest masque un démarrage prometteur des Etats-Unis et la poursuite du développement des nouveaux marchés". a-t-il souligné au cours de l'AG en commentant ces résultats. En cause: la faiblesse de la consommation des produits grand public en Allemagne et en France, une zone géographique qui représente 12% du chiffre d'affaires. Cette consommation morose s'est vue doublée d'une politique attentiste de la part des distributeurs, plutôt soucieux de procéder à des déstockages.

Un simple coup d'oeil à la courbe du cours de l'action L'Oréal depuis 1988, année où M. Owen-Jones est arrivée à sa tête, permet de relativiser ses déboires actuels. En l'espace de dix-huit ans, sa valeur boursière a été multipliée par plus de 11 en passant d'à peine 5 euros à 56 euros, avec un pic à plus de 85 euros fin 2000, juste avant l'éclatement de la bulle Internet.

VINGT ANS DE CROISSANCE

C'est à coup d'acquisitions successives que le groupe a construit sa croissance internationale. Alors que les années 1980 se traduisent par une hausse relativement lente du cours de l'action, les années 1990 le voient monter en flèche. Le véritable changement de dimension se situe juste après l'acquisition de Maybelline, numéro trois américain des cosmétiques, en 1996 pour 508 millions de dollars (394 millions d'euros). C'est dans la foulée que l'entreprise développe son implantation sur des marchés émergents (Chine, Mexique, Brésil...), devenus aujourd'hui de véritables relais de croissance.

Ces relais d'autant plus important que sur son marché historique, l'Europe, la tendance du marché est moins porteuse. "L'Oréal doit faire face à une concurrence beaucoup plus sévère de Procter & Gamble ou d'Unilever mais aussi supporter une pression de plus en plus forte sur les prix de la part des distributeurs". explique un analyste spécialiste du secteur.

A deux ans du centième anniversaire du groupe (fondé en 1907), Jean-Paul Agon, qui prendra la succession de M. Owen-Jones en avril 2006, va devoir réinventer le modèle qui a fait le succès commercial de L'Oréal. Après vingt années consécutives d'une croissance à deux chiffres des bénéfices, le groupe français doit composer avec l'apathie du marché européen. La mutation est déjà en cours. La part du chiffre d'affaires du groupe réalisée sur de nouveaux marchés (c'est-à-dire hors Etats-Unis, Europe et Japon) devrait passer d'ici 2010 de 22% à 30%, notamment grâce à la Chine et à l'Inde.

Jean-Baptiste Duval
Article paru dans l'édition du 29.04.05


Le Monde / Entreprises
Nouvelle journée morose pour les places européennes

 À  l'exception de Wall Street, qui s'est ressaisie en fin de séance (+ 0,47%), l'ensemble des grandes places boursières internationales a connu, mercredi 27 avril, une nouvelle journée morose. Tous les marchés d'actions du Vieux Continent ont terminé dans le rouge, la palme revenant pour la deuxième séance consécutive à la Bourse de Stockholm avec un recul de 2,98%.

En abandonnant 1,64% à la fermeture, le marché parisien est revenu à ses niveaux du début du mois de février et n'affiche plus désormais qu'un gain de 2,79% depuis le début de l'année. La Bourse de Londres a terminé la séance sur une baisse de 1,16% alors que le marché francfortois perdait 1,06%.

Pour les observateurs, les investisseurs ont pris conscience que l'économie, des deux côtés de l'Atlantique, était entrée dans une nouvelle phase de ralentissement. En Europe, les statistiques rendues publiques mercredi avaient de quoi freiner les initiatives.

En Allemagne, l'institut de sondage GFK s'attend à une progression très faible des dépenses des ménages cette année (de l'ordre de 0,4%), et le baromètre de l'institut IFO sur le moral des chefs d'entreprise est ressorti en baisse pour le troisième mois consécutif.

En France, le moral des industriels a reculé en avril, selon l'enquête mensuelle de l'Insee, l'indicateur le mesurant s'établissant à 97, en baisse de 4 points.

Aux Etats-Unis, c'est la publication de l'indice des commandes de biens durables, en baisse de 2,8% en mars, alors que les économistes interrogés par Reuters attendaient une hausse de 0,3%, qui a contribué à la morosité ambiante.

La déception causée par la publication de quelques résultats trimestriels comme ceux d'Amazon aux Etats-Unis et de Siemens et STMicroelectronics en Europe a également contribué au pessimisme.

Jeudi, la Bourse de Tokyo a terminé inchangée par rapport à la veille.

François Bostnavaron
Article paru dans l'édition du 29.04.05


Le Monde / Opinions
Edito du Monde
Un grand patron

 A ussi austère de l'extérieur qu'il est audacieux de l'intérieur, Louis Schweitzer aura transformé Renault. Très rares dans l'histoire industrielle française sont les bilans aussi flatteurs que le sien. Le travail avait été préparé par ses prédécesseurs Georges Besse et Raymond Lévy, mais Louis Schweitzer, en treize ans, aura porté Renault au quatrième rang mondial de l'automobile.

Le constructeur était, au milieu des années 1980, une "régie nationale" bloquée dans l'économie mixte d'après-guerre, souffrant de graves problèmes de coûts. L'entreprise a traversé ce désert grâce aux aides de son propriétaire, l'Etat, c'est-à-dire du contribuable. Mais la menace planait de perdre des parts de marché et de devenir un petit constructeur régional comme l'italien Fiat aujourd'hui ou de disparaître complètement comme le britannique Rover.

Louis Schweitzer a mobilisé l'énergie française. Preuve utile, en ces temps de profond franco-pessimisme, que Boulogne-Billancourt, bref, le pays, recèle assez d'inventivité et de force pour conquérir une belle place dans la mondialisation. Encore faut-il accepter de s'adapter: ce fut le choix difficile de fermer l'usine de Vilvorde pour abaisser les coûts. Encore faut-il du style: ce fut le choix de lancer le modèle Scénic, contre l'avis conservateur de son état-major. Encore faut-il savoir choisir ses maréchaux: ce fut le cas en prenant à ses côtés Carlos Ghosn, dont la réputation de manager avait été faite à l'école Michelin. Encore faut-il du culot: ce fut la décision d'acheter Nissan, alors que l'allemand Daimler-Benz avait dédaigné la proie et que les marchés financiers, dont la vision à long terme n'est pas le fort, grimaçaient devant cette aventure.

Louis Schweitzer ne quitte pas l'industrie, de nombreux groupes européens le veulent à leur conseil d'administration. Mais, nommé à la tête de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (Halde) et au Festival d'Avignon, il change de vie.

Carlos Ghosn devra s'inscrire dans la ligne de son prédécesseur, de ses prédécesseurs, poursuivre l'internationalisation de Renault. L'automobile va devoir, dans les années qui viennent, se transformer plus rapidement encore avec la hausse du prix de l'essence, la lutte pour la préservation de l'environnement, qui va la repousser hors des villes, et l'essor immense de tous les marchés du tiers-monde, à commencer par la Chine et l'Inde.

Renault-Nissan a beaucoup d'atouts. Mais la fusion "binationale" franco-nippone reste à parachever dans cet univers de la mondialisation automobile dont l'avenir est à écrire. Pour la première fois, les nouveaux pays industriels ont des ambitions d'autonomie. La Corée a montré que l'Asie savait créer de nouveaux constructeurs: la Chine et l'Inde suivent.

Carlos Ghosn a lui aussi des atouts. Le risque est cette fois que Renault, aspiré par le monde, perde toute racine française. Le pari est que M. Ghosn s'attache à l'esprit national, celui de Boulogne-Billancourt.

Article paru dans l'édition du 29.04.05


Le Monde / Entreprises
Les cinq défis de Carlos Ghosn à la tête de Renault-Nissan

 "S on arrivée chez Renault ? Comparé au redressement de Nissan en 1999, ce sera le paradis." Carlos Ghosn ne perd jamais le moral. Pourtant, la pression est forte. A 51 ans, le Franco-Libanais s'apprête à affronter l'un des défis les plus ambitieux qu'un PDG ait eu à relever dans l'automobile. A l'issue de l'assemblée générale des actionnaires de Renault, vendredi 29 avril, M. Ghosn deviendra le neuvième président du constructeur français. Tout en restant patron de Nissan.

9 patrons en 106 ans

Louis Renault (1899-1944). Fondateur de l'entreprise, en 1899. Accusé de collaboration à la Libération, il est arrêté et meurt en prison le 24 octobre 1944. Renault est nationalisé.

Pierre Lefaucheux (1944-1955). Centralien, docteur en droit, nommé administrateur provisoire en 1944. En 1945, il devient le premier président de la Régie Renault. Il meurt dans un accident de la route en 1955.

Pierre Dreyfus (1955-1975). Docteur en droit, futur ministre socialiste (en 1981), il est l'homme des avancées sociales (congés payés, etc.).

Bernard Vernier-Palliez (1976-1981). Ce HEC/Sciences-po amorcera l'internationalisation de Renault, l'implantant aux Etats-Unis avec AMC et Mack.

Bernard Hanon (1981-1985). HEC, passionné de produit mais piètre gestionnaire, il démissionne après des pertes colossales.

Georges Besse (1985-1986). Ce X-Mines venu du nucléaire et de Pechiney est chargé de sauver la Régie à la dérive. Assassiné en 1986 par Action directe.

Raymond Lévy (1986-1992). X-Mines, ancien d'Elf, il parachève le redressement de l'entreprise, en la retirant notamment des Etats-Unis.

Louis Schweitzer (1992-2005). Licencié en droit, énarque, il est nommé en 1992. En 1996, il obtient la privatisation de l'ex-Régie nationale.

Carlos Ghosn. Polytechnicien et ingénieur des mines, il est le premier PDG, depuis Louis Renault, à ne pas être nommé par l'Etat.

L'homme se retrouve à la tête d'un mastodonte produisant 5,8 millions de véhicules, employant plus de 270 000 personnes, sur 42 sites de production, avec deux sièges sociaux distants de plus de 10 000 kilomètres. Pour corser le tout, les deux entreprises devront garder leur identité et leur culture propres, secret de la réussite de l'alliance depuis 1999.

"Gérer son emploi du temps sera son principal défi". dit de son successeur Louis Schweitzer, qui reste président du conseil d'administration de Renault. M. Ghosn affirme qu'il passera 40% de son temps à Paris, autant à Tokyo, et le reste aux Etats-Unis. Voilà pour la communication. La réalité risque d'être différente. "La première nécessité pour moi est de redécouvrir l'entreprise. Renault n'est pas en crise, donc il n'y a pas d'urgence, explique M. Ghosn. Je prends mes fonctions lundi et on commence par une visite d'usine." Le manager le plus médiatique de la planète se donne six mois avant de dévoiler sa feuille de route. "Dès la fin 2005 les objectifs seront fixés, a-t-il affirmé jeudi 28 avril. Sur un plan stratégique, il n'y aura pas beaucoup de surprise, le changement se fera sur le rythme, la vigueur. Je ne pratiquerais pas de copier-coller." Cinq grands chantiers se dessinent.

Rassurer les troupes. Depuis quelques semaines, un vent de paranoïa s'est emparé de Billancourt. "L'ambiance est complètement surréaliste, avoue un cadre dirigeant. Je ne reconnais plus les gens. Carlos Ghosn est exigeant, c'est vrai, mais de là à mettre Renault à feu et à sang..." Les précédentes expériences du PDG montrent en effet que sa méthode consiste à mettre l'entreprise sous tension, mais en s'appuyant sur les équipes en place. Ce fut le cas chez Renault, lors de son premier passage en 1996, ou chez Nissan en 1999.

La génération des cinquantenaires pourrait faire les frais d'un rajeunissement de l'état-major. Mais, globalement, les changements devraient être limités, dans la mesure où M. Schweitzer a déjà profondément modifié le comité exécutif en décembre 2004. Le directeur de la communication, Patrick Bessy, a déjà démissionné. L'avenir du directeur du design, Patrick Le Quément, très lié à M. Schweitzer, reste en suspens. A terme, M. Ghosn devra choisir un numéro deux capable de le soulager d'une partie de ses responsabilités.

Restructurer l'international. Carlos Ghosn hérite d'une organisation géographique compliquée. Les chantiers lancés par M. Schweitzer, à commencer par l'objectif de vendre 4 millions de véhicules par an (contre 2,5 millions aujourd'hui), passent obligatoirement par un changement en profondeur de la structure. Les premières décisions seront prises après l'été, date du départ en retraite de Georges Douin, directeur général adjoint chargé de l'international.

En outre, M. Ghosn devra transformer l'essai de la Logan, la voiture à 5 000 euros, qui constituera le principal levier de l'internationalisation de Renault dans les prochaines années. Enfin, il pourrait être l'homme du retour de Renault aux Etats-Unis, dix-huit ans après la cession d'AMC par Raymond Lévy.

Repenser la gamme. La question la plus urgente porte sur le haut de gamme. Après les récents échecs de la Vel Satis et de l'Avantime, M. Ghosn devra trancher: comment Renault peut-il être présent sur ce segment dominé par les Allemands ? Une solution consisterait à s'appuyer sur Nissan et sa marque de luxe Infiniti. Une stratégie de mise en commun de la technologie pourrait permettre à Renault de développer un véhicule de loisir haut de gamme. Concernant les petits véhicules, le nouveau PDG pourrait être amené à faire des choix différents de son prédécesseur. Les six petits modèles que Renault a en portefeuille ne sont pas loin de se cannibaliser. Le dernier arrivé, la Modus, a du mal à décoller. Compte tenu des derniers choix arbitrés par M. Schweitzer, la première Renault de l'ère Ghosn ne devrait pas voir le jour avant 2008.

Améliorer la performance industrielle. Même si Renault a fortement augmenté sa productivité sous l'ère Schweitzer, Carlos Ghosn a encore du grain à moudre. Un employé de Renault fabrique, en moyenne, 19,5 véhicules par an, contre 24,3 pour PSA, selon une étude de Morgan Stanley publiée le 22 avril. Par ailleurs, Renault devra améliorer l'utilisation de ses capacités de production, qui s'élèvent aujourd'hui à 60%, contre 75% chez Nissan.

Consolider l'alliance. Le concept d'entreprise binationale imaginé par Louis Schweitzer reste, malgré son succès incontestable, d'une évidente fragilité. La prise de contrôle "en douceur" de Nissan, en respectant son identité, a fait la force de l'alliance. Mais cette approche peut à tout moment se transformer en handicap.

Nissan est plus fort que jamais. Premier constructeur mondial en termes de rentabilité, deuxième capitalisation boursière du secteur derrière Toyota, le constructeur japonais a-t-il encore vraiment besoin de Renault pour passer la décennie ? Son loyalisme à l'égard de l'alliance va être un défi de chaque jour et M. Ghosn devra user de tout son charisme pour persuader les Japonais que l'avenir de Nissan est indissociable de celui de Renault.

Inventer un avenir commun entre Français et Japonais n'est pas une mince affaire. Pour fédérer les deux entités, le nouveau patron peut jouer sur la peur de la concurrence, face à laquelle Nissan et Renault doivent se persuader que la seule façon de lutter est d'unir leurs forces. L'ennemi commun est à l'évidence Toyota.

M. Ghosn aura en tout cas les moyens financiers de ses ambitions, puisqu'il va disposer d'un trésor de guerre colossal: les deux entreprises sont désormais très rentables et le bénéfice cumulé de l'alliance a atteint 7,3 milliards d'euros en 2004. Que pense M. Schweitzer des défis à relever par son successeur ? "J'ai eu des opportunités, Carlos Ghosn aura les siennes, dit le PDG sortant. Il faudra qu'il les saisisse, mais je ne me fais pas beaucoup de souci. Sa mentalité, c'est plutôt de battre les records que de les admirer."

Stéphane Lauer
Article paru dans l'édition du 29.04.05


Le Monde / Entreprises
Le nouveau citoyen mondial de Billancourt

 J amais l'arrivée d'un nouveau patron chez Renault n'aura suscité autant d'attente ou d'angoisse. Carlos Ghosn saura-t-il s'adapter à la fameuse exception culturelle française ? "Notre époque porte une marque de fabrique qui s'impose aux entreprises comme à notre pays: le dépassement des frontières". lançait, en guise de profession de foi, le futur PDG, dans une tribune du Monde, le 24 mars.

Une chose est certaine: l'homme dispose d'une étonnante capacité d'adaptation. Dès son arrivée chez Renault, en 1996, Louis Schweitzer, qui songeait déjà à en faire son successeur, lui conseilla de prendre la nationalité française. Un patron de Renault libanais, né au Brésil, c'était trop atypique. M. Ghosn s'exécutera sans hésiter.

Partout où il passe, l'homme se coule dans les cultures, tente de laisser de côté les préjugés, avec un objectif: la performance. Ses origines y sont sans doute pour beaucoup. Son grand-père, un Libanais maronite, était allé chercher fortune au Brésil au début du XXe siècle. C'est là que Carlos Ghosn naît, en 1954. Passé par le moule des jésuites au Liban, il fait ensuite Polytechnique à Paris.

Michelin lui offre son premier emploi. Commence une ascension fulgurante. Directeur d'usine à 27 ans, patron de la filiale brésilienne à 33 ans, numéro un pour l'Amérique du Nord à 37 ans. Du jamais-vu. François Michelin l'a très vite repéré et lui accorde sa confiance, au point d'envoyer à ses côtés son fils Edouard pour faire ses armes de patron. De là naît un malentendu entre les deux hommes. M. Ghosn entre un jour dans le bureau de François Michelin pour lui demander s'il deviendra cogérant du groupe (la plus haute fonction chez Michelin). La fin de non-recevoir est sans appel, le poste est déjà promis à son fils. La direction de la branche pneu tourisme, la plus importante chez Michelin, ne réussira pas à retenir l'ambitieux manager.

COMPLÉMENTARITÉ

Louis Schweitzer cherche un numéro deux pour remettre de l'ordre chez Renault, qui perd de l'argent. Un cabinet de chasseur de têtes lui présente deux candidats, un normalien – qui a fait depuis une belle carrière – et M. Ghosn. "Je ne l'avais jamais vu aussi enthousiaste sur quelqu'un". se souvient un proche de M. Schweitzer. Les deux hommes se complètent à merveille. Schweitzer fixe le cap, Ghosn taille la route.

Lorsque l'opportunité de prendre le contrôle de Nissan se présente, le PDG de Renault sait que M. Ghosn est l'homme de la situation. Alors que tout le monde prévoit l'échec, le Franco-Libanais trouve les méthodes pour galvaniser les Japonais. "Pour être performante, une entreprise doit être sur la pointe des pieds". répète-t-il souvent. Une fois les objectifs fixés et acceptés, la marge de tolérance pour l'échec est extrêmement réduite. "J'aime bien les engagements clairs, ça pousse les gens à donner le meilleur d'eux-mêmes parce qu'ils n'ont pas d'échappatoire". dit-il.

Boulimique de communication, M. Ghosn utilise sa personnalité atypique comme une image de marque. Lorsqu'il arrive chez Nissan, le constructeur japonais n'a pas grand-chose à "vendre". Les résultats sont catastrophiques, les lignes des voitures banales. Il choisit alors d'incarner à lui seul l'identité du groupe. Une personnalisation à double tranchant, car le jour où le patron trébuche, c'est toute l'entreprise qui tombe par terre.

En tout cas, la méthode fonctionne chez Nissan. En l'espace de quelques années, il fait de "l'homme malade" de l'automobile nippone le constructeur le plus rentable de la planète. Avec ses solutions nouvelles, M. Ghosn arrive à point dans un Japon en proie au doute, après dix ans de crise. Le patron suscite une adulation des Japonais... et agace Billancourt.

Qu'importe, il estime qu'il n'a plus de comptes à rendre à Renault. Sur la façon de mener l'alliance, il n'hésite plus, à partir de 2001, à prendre le contre-pied de M. Schweitzer. S'il revient en France, ce sera bien comme numéro un. Le talon d'Achille de M. Ghosn est certainement son ego. Mais l'homme est habile et pragmatique. Il a déjà laissé entendre, à la veille de son arrivée à Billancourt, qu'il se médiatiserait moins qu'au Japon...

Stéphane Lauer
Article paru dans l'édition du 29.04.05


Le Monde / Entreprises
Louis Schweitzer, la retraite en fanfare

 M ême les Renault se mettent à battre les Ferrari ! Quatre grands prix de formule 1: quatre victoires pour le constructeur français. Alors que le groupe enregistre des résultats financiers records, tout semble sourire à Louis Schweitzer à la veille de son départ. Vendredi 29 avril, le PDG cède, à 62 ans, le volant de Renault à Carlos Ghosn.

Pourtant, il y a quelques mois, voyant l'échéance se rapprocher, Louis Schweitzer n'était pas si serein. Son angoisse de "disparaître du paysage" était réelle. Il s'était pourtant juré qu'on ne le prendrait pas au petit jeu du patron qui se fait tirer l'oreille une fois l'heure de la retraite venue. En voulant continuer à présider le conseil d'administration de Renault, tout en laissant la direction opérationnelle à Carlos Ghosn, il avait, malgré lui, entretenu l'ambiguïté. Et puis la délivrance est intervenue le 19 février, lorsque Jacques Chirac lui a proposé la présidence de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (Halde).

Le dirigeant va certes garder le titre de président du conseil d'administration, mais son esprit est désormais ailleurs. D'ailleurs, depuis la proposition du président de la République, Louis Schweitzer fait preuve d'un enthousiasme débordant, presque une seconde jeunesse. Oubliés ceux qui voulaient le propulser à la tête du Medef pour succéder à Ernest-Antoine Seillière. "Ce poste, ça n'est pas moi". insiste-t-il.

Après presque treize ans passés chez Renault, prendrait-il ses distances avec le monde de l'entreprise ? Pas vraiment. Louis Schweitzer est guetté par le syndrome du cumulard. Outre la présidence de Renault, qu'il conserve, il est, depuis le 1er janvier, président du groupe pharmaceutique anglo-suédois AstraZeneca, siège aux conseils d'administration de Volvo, BNP Paribas, EDF, Veolia et Philips, et vient d'être nommé à celui de L'Oréal. De quoi rassurer sa femme, qui avait peur de le voir à la retraite.

"J'ai l'air moins conformiste que j'en ai l'air, affirme-t-il à qui veut l'entendre. Chez Renault, ce contraste m'a aidé à faire des changements qui n'allaient pas de soi." Cette fois, Louis Schweitzer a décidé de mettre son "atypisme" affiché au service d'autres causes. La Halde, bien sûr, mais aussi le théâtre, en prenant la présidence du conseil d'administration du Festival d'Avignon. Cet homme réservé et pudique a toujours eu une certaine fascination pour la scène. Il ne se passe pas une semaine sans qu'il se laisse entraîner à Nanterre ou à Bobigny voir la dernière mise en scène de Peter Brook ou de Bob Wilson. "A chaque représentation, on a le sentiment d'assister à quelque chose d'unique, qui ne se reproduira plus, contrairement au cinéma ou à la télévision". explique celui qu'Alain Crombecque, le patron du Festival d'automne, avait qualifié un jour de "spectateur professionnel".

Une nouvelle vie attend donc Louis Schweitzer, l'occasion de peaufiner une image d'"honnête homme". que ses précédentes fonctions ne lui ont pas permis d'exprimer pleinement. Les marges de manœuvre seront sans doute plus confortables pour qu'il affirme ses convictions profondes quand il ne sera plus question de sauvegarde de la compétitivité de Renault.

Sur ce terrain, la mission est accomplie. Sous son impulsion, cette régie franco- française, symbole de l'économie mixte de l'après-guerre, s'est transformée en une multinationale, désormais quatrième constructeur mondial depuis sa prise de participation dans le japonais Nissan, en 1999.

Renault est devenue en 2004 le constructeur européen le plus rentable, si l'on excepte les deux spécialistes du haut de gamme, Porsche et BMW. La capitalisation boursière de la marque au losange pèse désormais plus lourd que celle de General Motors ou de Ford, pourtant respectivement numéro un et numéro trois mondial. Bien des inspecteurs des finances aimeraient afficher un tel bilan.

Qui aurait dit que, avec ses costumes sages et ses bonnes manières, le haut fonctionnaire se métamorphoserait en capitaine d'industrie ? "En fait, c'est un entrepreneur qui s'est égaré dans la fonction publique". confie en souriant son ami Noël Goutard, ancien PDG de Valeo. Un "égarement" conditionné sans doute par une famille peu banale. Petit-neveu du Prix Nobel de la paix Albert Schweitzer et du chef d'orchestre Charles Munch, il est aussi cousin de Jean-Paul Sartre. Issue de la bourgeoisie protestante alsacienne, né à Genève, Louis Schweitzer était formaté pour suivre les traces de son père, ancien directeur du FMI, célèbre pour avoir osé s'opposer à Richard Nixon en préconisant une dévaluation du dollar au moment de la crise financière du début des années 1970. C'est donc tout naturellement que, à sa sortie de l'ENA, il devient inspecteur des finances et entre à la direction du Trésor. Son destin bascule une première fois en mai 1981. Laurent Fabius, pressenti pour être ministre du budget, cherche un directeur de cabinet. "A l'époque, au budget, des hommes de gauche qui avaient des compétences incontestées n'étaient pas légion". souligne l'ancien premier ministre. Correspondant au profil, Louis Schweitzer est convoqué au siège du PS, rue de Solferino. M. Fabius est en retard. Au moment où M. Schweitzer songe à partir, le futur ministre arrive enfin. Une demi-heure a suffi pour souder le destin des deux hommes, qui ne se quitteront plus jusqu'en 1986. "Je ne sais toujours pas pourquoi il m'a choisi". affirme M. Schweitzer avec cette suprême vanité qui consiste à brider constamment son orgueil.

Après le budget, Louis Schweitzer suit Laurent Fabius à l'industrie, puis à Matignon. "Avec Louis, j'avais une sécurité de travail absolue. Pendant ces cinq années, il n'y aura pas un seul problème entre nous". souligne M. Fabius. Louis Schweitzer se met avec délectation dans la peau d'une éminence grise qui négocie, donne des avis, prépare les décisions mais "ne se voit pas".

Dès lors, il se trouve en première ligne sur plusieurs affaires délicates. Le dossier du sang contaminé d'abord, dans laquelle il bénéficiera d'un non-lieu. "Nous avons fait ce que nous devions faire, c'est-à-dire introduire des tests de dépistage beaucoup plus tôt que dans d'autres pays". explique-t-il aujourd'hui. Louis Schweitzer fait aussi partie des prévenus dans l'affaire des écoutes téléphoniques de l'Elysée. En tant que directeur de cabinet, il avait une autorité théorique pour donner le feu vert à ces pratiques. Le procès doit reprendre en septembre.

La crise calédonienne, puis l'affaire du Rainbow-Warrior, le navire amiral de Greenpeace, dont Louis Schweitzer a toujours nié connaître les tenants et les aboutissants, scelleront le destin des deux hommes.

A cette époque, il se lie d'amitié avec Georges Besse, dont il a soufflé le nom à Laurent Fabius pour remplacer Bernard Hanon à la tête de Renault. Les contacts entre la Régie et la tutelle sont réguliers. En 1986, à l'issue d'une réunion, Louis Schweitzer demande à Georges Besse si, à 43 ans, il peut encore espérer travailler dans l'industrie. "C'est un peu vieux". lui répond-il. La conversation en reste là, jusqu'à ce coup de fil du PDG, le 17 mars 1986, qui fait basculer une seconde fois la carrière de Louis Schweitzer.

La veille, la gauche vient de perdre les élections législatives. "J'étais un peu dans la situation de Gaston Lagaffe: un héros sans emploi". ironise Louis Schweitzer, qui a toujours eu la passion des BD. Georges Besse lui propose le poste de directeur de contrôle de gestion. Mais, auparavant, l'ancien "dircab" de Fabius doit se faire oublier et apprendre l'entreprise. Commence alors un stage de plusieurs mois à l'usine de Flins, au Mans, à Cléon, dans le réseau commercial. L'inspecteur des finances fera même du porte-à-porte à Pantin.

En novembre 1986, Georges Besse est assassiné par le groupe terroriste Action directe. Louis Schweitzer perd un ami, mais aussi son principal soutien chez Renault. Le nouveau PDG, Raymond Lévy, a toutes les raisons pour ne pas garder le "protégé" de Georges Besse. Cinq ans auparavant, M. Schweitzer, alors directeur de cabinet au ministère de l'industrie, avait annoncé à Raymond Lévy son renvoi de la présidence d'Usinor. Mais, lorsque celui-ci arrive à la présidence de Renault, il trouve une entreprise traumatisée. Pour ne pas ajouter au trouble, il choisit de jouer la continuité en confirmant toutes les décisions prises par M. Besse, y compris la nomination de Louis Schweitzer.

Dès lors, l'ascension chez Renault est rectiligne. Directeur financier, puis directeur général, Louis Schweitzer fait très vite figure de favori pour succéder à Raymond Lévy, en 1992. A l'époque, les Cassandre répètent que Renault n'a d'autre avenir que de se faire racheter ou mourir. Pour Louis Schweitzer, les choses commencent mal: c'est l'échec de la fusion avec Volvo, le 2 décembre 1993. A trop se préoccuper des futures structures d'organisation et pas assez des hommes et des différences culturelles, Renault est passé à côté de l'essentiel. Louis Schweitzer retiendra la leçon lorsque, cinq ans plus tard, il courtisera Nissan pour former une nouvelle alliance.

Il comprend également à cette occasion qu'un Renault nationalisée n'est plus suffisamment adapté à un monde qui s'internationalise. Celui qui a été l'un des principaux artisans des nationalisations de 1982 tire les conséquences, dix ans plus tard, de l'émergence de nouvelles règles de concurrence au niveau européen. "A partir du moment où l'Etat actionnaire ne pouvait plus aider les entreprises qui étaient sous sa coupe, la justification même d'une nationalisation était remise en question". explique-t-il.

Le feu vert politique à la privatisation prend deux longues années, pendant lesquelles il règne un certain flottement dans l'entreprise. Les coûts dérivent, la rentabilité s'érode, les doutes sur sa capacité à diriger Renault s'installent. "Il a toujours eu du mal à se passionner pour le lendemain; ce qui l'excite, c'est la vision à cinq ou dix ans. Il n'a pas la même voix pour trancher sur une nouvelle voiture que pour donner son avis sur un compte d'exploitation". estime un proche.

Sentant le danger, Louis Schweitzer décide de reprendre l'initiative en imposant à Renault un traitement de choc. "Nos voitures sont trop chères". proclame-t-il. Conscient de ses faiblesses dans la gestion quotidienne, il décide de recruter un numéro deux qui saura mener à bien la réduction des coûts. Son choix se porte sur Carlos Ghosn. Un OVNI chez Renault: Libanais né au Brésil, l'homme n'a pratiquement jamais travaillé en France, mais a connu un parcours de météorite chez Michelin au Brésil, puis aux Etats-Unis.

La relation n'a rien de fusionnelle: origines, parcours, mode de fonctionnement, tout sépare les deux hommes. Mais Louis Schweitzer a flairé le manager d'exception à qui, dès le départ, il promet qu'il lui succédera. "C'est le grand mérite du chef de savoir s'entourer des gens qui risquent d'être aussi bons, voire meilleurs que lui-même". note Raymond Lévy. C'est ce tandem qui, en 1997, prendra la responsabilité de fermer l'usine belge de Vilvoorde. Louis Schweitzer décide, Carlos Ghosn exécute. Conspué par les syndicats, par la Commission européenne et par ses amis politiques, qui lui reprochent d'avoir trahi ses idées, Louis Schweitzer se retrouve alors au ban de l'Europe sociale.

"On peut être patron et de gauche, mais je ne sais pas ce qu'est un patron de gauche". estime-t-il. Le PDG est à deux doigts de se faire limoger. Mais il parvient à convaincre Alain Juppé, puis Lionel Jospin, qui se succèdent à Matignon, que la fermeture de Vilvoorde est vitale pour Renault. Pendant six mois, l'entreprise fait bloc derrière son PDG. "C'est incontestablement avec cet épisode que Louis Schweitzer a gagné sa légitimité aux yeux des salariés de Renault". estime Patrick Faure, directeur général adjoint du groupe.

Renault restructurée, vient alors le temps des prises de risque et des paris gagnants. La Scénic, d'abord, ce modèle emblématique des années Schweitzer qui, par son concept révolutionnaire de monospace, permet à Renault de se constituer un véritable trésor de guerre. Louis Schweitzer a désormais les moyens de lancer son groupe à la conquête du monde. Il rachète le roumain Dacia, le coréen Samsung, et surtout Nissan. Alors que les patrons de l'automobile se sont lancés dans des fusions, Louis Schweitzer, fin stratège, propose aux Japonais une alliance basée sur le respect des cultures. Le modèle est inédit, le succès aussi. L'alliance Renault-Nissan fait en quelque sorte la synthèse des deux vies de Louis Schweitzer: c'est une idée politique appliquée au monde de l'entreprise.

Louis Schweitzer s'est donc toujours trouvé là où se situe le véritable pouvoir, qui s'est déplacé de la sphère publique vers le privé. "J'aurai connu le meilleur des deux mondes". conclut cet homme heureux. Etre toujours du bon côté: voilà sans doute le secret, et les limites, d'une belle réussite "à la française".

Stéphane Lauer
Article paru dans l'édition du 29.04.05


– Les longues –
                 
                 

    En extra: Les éditos du Monde    

[*] «Longues propagandistes» parce qu'il existe aussi, dans cette rubrique, des «brèves propagandistes» reprenant surtout des dépêches de l'AFP. Ici, on trouvera pour l'essentiel des articles parus dans Le Monde, qui par le fait, sont beaucoup plus longs…