Longues propagandistes, série 11

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– Les longues –
                 
                 

    En extra: Les éditos du Monde    


Le Monde / Chats
Que faire face à un enfant turbulent ?
L'intégralité du débat avec Edwige Antier, pédiatre, auteure de "Dolto en héritage" (Robert Laffont, 2005), jeudi 22 septembre 2005

Doudou : Les enfants turbulents ont-ils toujours existé ou est-ce une spécificité de nos sociétés actuelles où règne la violence ?
Edwige Antier :
Oui, les enfants turbulents ont toujours existé. Parce que les enfants ont toujours connu la violence, malheureusement. Mais il est vrai que dans notre monde d'aujourd'hui, ils sont harcelés par de multiples stimuli : télévision, téléphone, vie précoce en collectivité, qui aggravent considérablement leur agressivité.

COUCOU : Comment faire la différence entre un enfant turbulent et un enfant hyperactif ?
Edwige Antier :
C'est très important. Parce que le terme d'hyperactif sonne comme une pathologie qui va mériter traitement ou rééducation. On l'emploie trop largement aujourd'hui. L'hyperactif associe trois symptômes : la difficulté à se concentrer, l'impulsivité et l'agitation. Seule l'association des trois peut faire suspecter le diagnostic d'hyperactivité. Un enfant qui est très actif, qui aime monter sur les toboggans, taper dans les ballons, courir dans les couloirs de la maison, mais qui est capable de se concentrer lorsque vous lui racontez une petite histoire avec un livre, n'est pas un enfant hyperactif. C'est un enfant vif, heureusement.

Tybert : Ne pensez-vous pas qu'un enfant turbulent est un enfant normal ?
Edwige Antier :
Oui, ma réponse précédente montre que l'enfant turbulent, mais qui est capable de se concentrer sur un échange avec l'adulte et qui ne bouscule pas systématiquement ses congénères pour toujours passer le premier au toboggan (impulsivité), est normal. Il faut savoir respecter la turbulence de cet enfant mais aussi canaliser son énergie vers des échanges positifs. C'est un enfant avec lequel il faut volontiers se poser pour ouvrir des livres, faire de la pâte à modeler, partager une petite histoire douce à la télévision... Et sa turbulence passera avec la maturité, vers 5 ans.

CANALISER L'ÉNERGIE

Thierry : Ce qu'on appelle turbulence n'est-il pas plutôt de l'énergie non canalisée et mal distribuée plutôt qu'une forme de violence ?
Edwige Antier :
Merci, Thierry, d'employer le mot que je viens justement d'écrire : canaliser. Car un enfant est une extraordinaire boule d'énergie. Et toute l'éducation consiste à canaliser son énergie vers le positif : j'apprends à construire une tour de cubes, à parler, à colorier "sans dépasser", par rapport à l'énergie négative : je me roule par terre, je mords, je tape. Et nous allons voir que c'est tout un art et beaucoup de présence.

Luciole : Pensez-vous que la tendance américaine à donner des calmants aux enfants jugés hyperactifs risque de gagner la France ?
Edwige Antier :
Bonne question. En France, nous utilisons peu les "calmants" style Ritaline, et nous avons mis des barrières : la prescription initiale ne peut être faite que par un pédopsychiatre hospitalier qui seul peut la renouveler tous les ans, après des bilans approfondis. Même avec cette précaution, la prescription augmente mais reste très marginale. Il ne faut pas non plus ignorer certains vrais hyperactifs qui sont dans des états suicidaires tant ils sont rejetés par le groupe. On ne peut donc réfuter totalement l'intérêt du traitement médical.

Tybert : Vous dites que la vie précoce en collectivité aggrave l'agressivité... Quid, alors, des crèches ?
Edwige Antier :
Il est important d'humaniser les crèches, c'est-à-dire que le personnel doit avoir une attention permanente au groupe pour réguler les relations entre les enfants. Et lorsque vous êtes une éducatrice pour huit enfants qui marchent (la norme), il vous faut une attention constante. Faute de laquelle, en effet, les enfants ont des jeux qu'on appelle "parallèles", ils ne savent pas échanger jusqu'à 3 ans, ils se poussent, voire se mordent. C'est dire l'importance de la formation du personnel, du respect qu'on lui doit et de l'ouverture de la crèche aux parents, pour laquelle je travaille avec d'excellents retours.

Sophie : Pensez-vous que les punitions (expliquées et justifiées) puissent aider à "recadrer" un enfant très turbulent ?
Edwige Antier :
Certainement pas. Au contraire, soit elles aggravent la turbulence car elles endurcissent l'enfant, qui prend l'habitude de vous braver, soit elles l'éteignent et le transforment en un enfant trop soumis qui perd de sa curiosité. Jusqu'à l'âge de 7 ans, lorsque vous voulez appliquer la punition, l'enfant ne sait déjà plus pourquoi il a voulu transgresser. Il se culpabilise et entre dans le profil de l'"affreux jojo".

Laurence : Ma fille a 2 ans. Je la retrouve depuis sa naissance dans les qualificatifs d'impulsive et d'agitée. Elle ne reste pas en place avec un livre ou un jeu. Seul un DVD de dessin animé la fait tenir en place plus de cinq minutes. Faut-il utiliser ce support pour progresser, ou bien au contraire le réduire à la portion congrue ?
Edwige Antier :
On a beaucoup diabolisé le petit écran, mais si vous vous asseyez à côté d'elle, que vous la prenez sur vos genoux en partageant le dessin animé, en faisant des commentaires et en captant bien ses émotions, il joue le rôle d'un livre d'images. Donc pourquoi s'en priver et l'en priver ? Par contre, mettre le DVD en boucle et la laisser sucer son doudou le regard vague pendant que vous vaquez à vos occupations, c'est vraiment habituer son cerveau à l'absence d'échange, et dès que vous éteindrez le magnétoscope, elle se remettra à grimper aux rideaux.

Momo : Un enfant naît-il turbulent ou le devient-il ?
Edwige Antier :
C'est toute la question entre l'inné et l'acquis. Avec trente ans de pratique, je peux dire que dans 90 % des cas, il le devient, mais ça vient très tôt. Dès le deuxième semestre de la vie, la façon dont vous interagissez avec votre enfant va laisser partir son énergie de manière négative. Et on peut le deviner en voyant vos relations. Le deuxième enfant est beaucoup plus turbulent que le premier parce qu'on est moins en relation de duo avec le deuxième, par exemple. Le caractère inné s'impose parfois à l'analyse, mais c'est tout de même rare.

LA PUNITION : "JAMAIS !"

MC : Quelle solution autre qu'une punition pour recadrer un enfant qui a mordu ou tapé un copain ? Une mise à l'écart temporaire le temps de se calmer, des excuses à la victime ?
Edwige Antier :
La punition, je l'ai dit : jamais ! De toute façon, il recommencera. Les excuses à la victime, c'est surréaliste. Ça humilie et n'a aucun effet car l'enfant ne comprend pas pourquoi il a eu cette pulsion. La mise à l'écart – les Américains disent "time out" –  est une bonne solution si elle n'est pas pratiquée sur le mode de la punition. L'idéal est que le parent et l'enfant fassent pour chacun d'eux "time out". Par exemple : tu vas dans ta chambre, voire dans ton lit, voilà des jouets, et moi je prends le journal, Le Monde peut-être, et je vais m'allonger sur mon lit. Chacun se fait du bien, mais chacun de son côté. Et on se revoit quand maman – qui a été fatiguée par l'agressivité – va mieux.

Calavera : Ne pensez-vous pas que nos sociétés "pathologisent" à outrance des problèmes de comportement qui relèvent – le plus souvent – de réponses éducatives plutôt que médicales ? Les familles ne tendent-elles pas alors à se défausser sur le corps médical ?
Edwige Antier :
Nous, les pédiatres, sommes interpellés, en effet, à 60 % pour des problèmes d'éducation. Mais je pense que c'est notre rôle. Ce n'est pas pour autant que nous donnons des médicaments. Nous aidons les parents à comprendre leur enfant. Les enseignants ont aussi, peut-être, facilement recours au psy' dès qu'ils ont une difficulté. Mais il faut reconnaître que gérer une classe de 25 enfants, avec quelques trublions qui ne tiennent pas en place, demande qu'on appelle au secours. Le problème est que – on l'a vu dans les messages précédents – tout se joue dans les premières années, entre les parents et l'enfant, ou le mode de garde et l'enfant. Après, c'est dur à rattraper, même si c'est possible.
Laurence : L'absence totale de punition ne nous conduit-elle pas à la permissivité, et au laxisme, responsable a priori de bien des maux ?
Edwige Antier : Remarquez que mon livre, qui redonne l'ABC que nous a livré Françoise Dolto, a pour sous-titre "Tout comprendre, pas tout permettre". Je ne suis absolument pas pour le laxisme. Mais les punitions exacerbent la violence. Comprendre l'enfant, c'est savoir répondre à ses problèmes pour ne pas susciter l'agressivité. Il faut beaucoup de respect, pas du laxisme.

Mateo : Ne faut-il pas voir dans l'augmentation de ces comportements une corrélation avec une certaine violence parents/enfants, les parents ne sachant plus donner de limites à leur progéniture ?
Edwige Antier :
Vous me faites très peur. Car ce discours invoquant la nécessité de mettre des limites conduit les parents qui ont été en extase devant ce bébé qui est une "personne" à faire, à partir d'un an à 18 mois, un virage à 180° dès lors que l'enfant explore le monde, pour lui taper sur la main dès qu'il est en investigation. C'est le trahir, c'est trahir votre admiration du début et dès lors, il perd confiance dans le guide que vous devez être. La mise de limites doit commencer avec l'"âge de raison", autour de 7 ans, quand il est capable d'un raisonnement abstrait. Avant, c'est un accompagnement. Vous devez accompagner chaque découverte pour lui en donner le sens et transmettre vos valeurs.

"TIME OUT"

Caroline_andrian : Face à une enfant de 2 ans qui frappe ses parents (non agressifs) quand ils le contrarient, quelle attitude faut-il avoir ?
Edwige Antier :
Cette question se pose très fréquemment, car à 2 ans, les enfants frappent ou mordent. Or une maman, c'est sacré. Un papa aussi. Si l'enfant le fait, c'est parce que vous en avez ri, ou vous avez voulu répondre sur le même registre : crier et parfois même mordre en retour. Dans tous les cas, l'enfant retient que c'est un mode de communication. Ce qu'il faut faire, dès qu'il esquisse le geste, c'est immédiatement lui proposer autre chose : un jouet, la boîte à boutons, et détourner son attention. Il retient qu'on n'échange pas ainsi. S'il en est déjà à vous braver, vous vous reportez au "time out" dont nous avons parlé plus tôt.

Josette : Croyez-vous en ce fameux "retour de l'autorité" prôné par certains psychanalystes ? Ne pensez-vous pas que donner la parole à l'enfant au sein de la famille, c'est également instaurer une plus grande "démocratie familiale"  ?
Edwige Antier :
Le problème de la parole est que parfois les parents se dissolvent en négociations interminables, et l'enfant prend l'habitude de tout discuter. Françoise Dolto ne disait pas : il faut tout dire à l'enfant, mais disait : il faut dire les vérités "qui le concernent". C'est-à-dire les choses existentielles – est-ce qu'on l'a désiré ? Est-ce qu'on voulait bien une fille ? –, mais pas les mille et une petites choses de la vie dans lesquelles les parents s'engluent à force de suppliques aujourd'hui. Donc il ne veut pas prendre son bain : je te comprends, mais je suis désolée, c'est comme ça, alors on le fait, et vite !

Marc : Ne trouvez-vous pas scandaleux que le rapport de l'Inserm [rendu public ce jeudi 22 septembre, qui préconise le dépistage  et la prise en charge précoce du "trouble des conduites chez l'enfant et l'adolescent"] fasse le lien entre un enfant turbulent à 36 mois et un délinquant ? N'y a-t-il pas là une dérive dangereuse ?
Edwige Antier :
Je dois reconnaître que j'ai parfois en consultation des enfants de 3 ans dont je vois déjà qu'ils sont dans la rage et dans la perversité. Ce sont des enfants dans une colère extrême, avec lesquels on a tenu des discours incohérents, soit les parents, soit des auxiliaires pour sa garde. Ils n'ont pas connu l'empathie, et leur colère paraît vraiment inscrite dans leurs neurones de façon irréversible si les parents ne consultent pas et si l'on ne fait pas de psychothérapie. J'ai vu ainsi un enfant étrangler ma poupée avec le cordon du rideau pendant que sa mère me racontait en quoi il la décevait.

Stat : Existe-t-il des études montrant le lien entre souffrance à la naissance et troubles sérieux du comportement ?
Edwige Antier :
Je ne pourrais pas les citer de mémoire, mais il en existe. Et le lien est certain. A propos des souffrances organiques, c'est-à-dire des ralentissements du cœur dans la période avant ou pendant l'accouchement, des difficultés obstétricales importantes, une grande prématurité, et des périodes de séparation post-natale. C'est pourquoi on fait entrer les parents aujourd'hui dans les centres de prématurés et de nouveau-nés en souffrance. C'est un domaine où les pédiatres ont été très mobilisés.

Geraldine : Que faire face à un enfant qui hurle quand il est contrarié ? J'essaie de rester très calme et expliquer que crier n'est pas une solution. J'applique déjà la méthode du "time out", mais cela ne semble pas marcher.
Edwige Antier :
Il faut comprendre que jusqu'à 5 ans, la partie corticale du cerveau mûrit assez rapidement, permettant le développement du langage et d'une intelligence de plus en plus rationnelle. Alors vous croyez pouvoir raisonner votre enfant. Mais dans les zones profondes du cerveau, la zone qu'on appelle limbique est le centre de l'humeur, qui permet de réguler nos humeurs. Cette zone est très immature jusqu'à 5 ans. Plus vous expliquez, plus l'enfant est débordé par son émotion. Il ne sait plus pourquoi. Il vaut mieux lui dire : tu es fatigué, c'est pas grave. Et rassurez-vous, ça va passer.

Cri : N'y a-t-il pas aussi un enjeu commercial dans cette approche médicalisée des troubles ? Vous-même, êtes-vous approchée par des laboratoires pharmaceutiques désireux de placer leurs produits ?
Edwige Antier :
La pharmacopée de l'enfant ne rapporte pas d'argent. C'est même un problème car on met très longtemps à faire bénéficier les enfants de certains produits qui leur seraient utiles, faute de les avoir expérimentés selon des protocoles très coûteux. Nous ne sommes pas de bons clients, nous les pédiatres, pour l'industrie pharmaceutique. Nos congrès, contrairement à la médecine adulte, ne sont jamais financés par les laboratoires pharmaceutiques. Ce qui peut être fructueux pour les laboratoires, c'est la consommation des laits ou des couches, c'est tout... Il n'y a pas d'intérêt commercial. Tant mieux, mais en même temps cela freine les innovations en pédiatrie. On a mis très longtemps, par exemple, à utiliser les médicaments anti-douleur pour les enfants faute d'études.

Stat : Comment expliquez-vous que dans une famille de trois ou quatre enfants, un seul pose des problèmes graves ?
Edwige Antier :
Cela nous ramène à l'idée de l'inné et de l'acquis. Si l'hyperactivité et l'agitation étaient innées, on pourrait s'attendre à plusieurs enfants dans une fratrie. Mais comme je vous l'ai dit, c'est plutôt un phénomène qui est acquis rapidement dans la vie de l'enfant, et l'interaction d'une mère avec son enfant est très différente avec chaque enfant, car elle dépend de l'environnement affectif de la mère, du caractère de l'enfant, de ce qu'ils se renvoient l'un l'autre, qui est une alchimie unique. Le père joue un grand rôle car selon qu'il soutient sa compagne ou, au contraire, se met en rivalité avec l'enfant, la situation est encore plus complexe.

Laleliloley : N'est-ce pas particulièrement dangereux de faire appel à des traitements médicamenteux si lourds aussi précocement ? Je m'explique : cela ne risque-t-il pas aussi de porter atteinte au développement psychique de l'enfant et de le rendre dépendant de ce type de recours ?
Edwige Antier :
C'est bien cette crainte qui fait tant limiter le traitement de l'hyperactivité en France. En même temps, il faut bien dire que les études faites à long terme n'ont pas montré de dépendance ni de troubles du comportement à l'adolescence chez les enfants qui avaient été traités. Et les médicaments de la famille de la ritaline ont pour but de réguler les neuromédiateurs qui dysfonctionnent, et pas d'abrutir l'enfant.

"DES COURS D'ÉCOLE DE PLUS EN PLUS VIOLENTES"

Palmophil : A quelle condition et sur quel registre les parents peuvent-ils (doivent-ils ?) intervenir à l'école lorsque l'enfant manifeste des comportements répétés d'agressivité ou en est l'objet ?
Edwige Antier :
Les cours d'école sont de plus en plus violentes. Je l'ai observé depuis quinze ans. Et lorsqu'un enfant est mordu ou bousculé très violemment, si la mère ou le père vont se plaindre, il arrive qu'on leur réponde qu'il faut que l'enfant "apprenne à se défendre". C'est absolument incroyable, comme si dans le cas où quatre enfants lui tomberaient dessus, il faudra bientôt lui donner un canif... Au contraire, il y a des directeurs qui, immédiatement, réunissent les enfants, leur font un cours sur le respect de l'autre et la maîtrise de son agressivité. Cela est extrêmement important. Les enseignants me disent souvent qu'ils ne sont pas assez nombreux pour surveiller les cours de récréation. Mais parfois les parents me disent que les enseignants ne sont pas assez dispersés dans la cour. Je pense qu'il faudrait surtout s'allier avec les associations de parents pour qu'ils s'impliquent dans la surveillance de la cour et de la cantine. Ce n'est pas forcément apprécié des enseignants...
Je pense que la montée des violences correspond à cette montée de l'agressivité que Le Monde relève. Elle commence au berceau. Nous avons parlé des tout-petits au début de notre discussion. Et les parents nous ont parlé de punition ou de négociations interminables. Ils sont eux-mêmes fatigués. L'un des mots les plus utilisés avec les enfants, c'est "vite". Les enfants, très petits, sont ainsi eux-mêmes harcelés et répondent par l'agressivité. Ca commence avant la cour d'école et ça s'aggrave dans la cour d'école.

Karine : Comment expliquer qu'un enfant soit turbulent à la maison et très calme, voire timide, à l'école ?
Edwige Antier :
C'est fréquent. A l'école, impressionné par l'autorité du maître, il maîtrise son énergie. Si, en même temps, il répond bien aux consignes et exécute bien ses petits travaux, c'est magnifique ! A la maison, il est avec des personnes qui l'aiment, et il en profite pour se défouler. Vous-même, si vous rentrez du bureau après une réunion un peu tendue, ne râlez-vous pas auprès de votre conjoint ?

Luc : Pensez-vous que ne pas inscrire ses enfants à la maternelle (quand on peut s'en occuper) est un bon moyen de retarder le contact entre l'enfant et cette violence ?
Edwige Antier :
Si un enfant parle bien déjà à 2 ans, s'il va à l'école seulement le matin, avec une institutrice bienveillante et chaleureuse, s'il rentre déjeuner chez lui et peut jouer ensuite librement, oui, il pourra ainsi apprendre le rapport avec les autres en douceur. S'il a encore un langage peu développé, s'il est dans une classe surchargée, avec une maîtresse fatiguée, s'il reste à la cantine, multiplie les récréations, puis encore dans la classe l'après-midi, puis la récréation, puis la garderie, c'est une bombe à retardement. L'école maternelle, surtout à 2 ans, n'est pas un mode de garde gratuit, c'est un lieu d'éveil. Et ce n'est pas respecter les enseignants que de leur infliger de si longues journées avec des petits auxquels il faut donner leur doudou à chaque récréation, multiplié par 25 et avec seulement la moitié d'une assistante.

Laurence : La présence en famille d'animaux dont l'enfant pourrait être responsable peut-elle aider ?
Edwige Antier :
Oui, les animaux apportent beaucoup aux enfants. Mais là encore, tout dépend de la façon dont vous avez accompagné l'enfant dans sa relation avec l'animal. Il y a très vite des enfants tortionnaires d'animaux qui poursuivent votre petit chien sous le buffet et cultivent ainsi leur agressivité. Apprendre à respecter un animal, à ne pas l'ennuyer, c'est une très bonne école de la vie.

Saulcy : Que pensez-vous du mot "autonomie" que l'on évoque à toutes les sauces à propos de l'éducation des enfants ? Ne pensez-vous pas qu'à vouloir les rendre autonomes trop tôt, on angoisse les enfants ?
Edwige Antier :
Merci beaucoup pour la formulation de votre question. Je reviendrai à Françoise Dolto qui disait qu'une première autonomie commençait vers 5 ans. Aujourd'hui, on veut rendre des enfants autonomes en les laissant à la garderie, hurlant de détresse. Ils voudront ensuite toujours récupérer ce manque et à 25 ans, ils ne seront toujours pas partis de chez vous. Bravo l'autonomie !

COUCOU : Avez-vous un remède miracle ?
Edwige Antier :
Oui ! La disponibilité, la passion pour le développement de votre enfant, les progrès que peut faire un être humain dans ses premières années sont si fascinants qu'en les accompagnant avec extase, vous n'aurez absolument pas un enfant turbulent ou agressif. Et c'est une très courte période dans votre vie.

Chat modéré par Constance Baudry et Eric Nunès
LEMONDE.FR | 22.09.05 | 18h39


Le Monde / Chats
Discriminations à l'embauche, quelles solutions ?
L'intégralité du débat avec Roger Fauroux, auteur du rapport "La Lutte contre les discriminations ethniques dans le domaine de l'emploi", jeudi 22 septembre 2005.

Babaaurhum : Ne s'occupe-t-on pas d'avantage de faciliter l'entrée des Français "d'origine immigrée" dans les discothèques que de s'atteler à leur assurer une intégration dans le monde du travail ?
Roger Fauroux :
Les deux sont éminemment souhaitables, c'est l'intégration dans l'ensemble de la vie sociale. Moi, je me suis intéressé, à la demande du gouvernement, à l'intégration dans le monde du travail. Et les discriminations à ce stade sont très importantes. Le problème des discothèques est insignifiant par rapport à celui des discriminations dans le monde du travail. La tâche est infiniment plus compliquée, mais les choses se font.

Chambi : Pourquoi le CV anonyme n'a-t-il pas été retenu par nos chers députés ?
Roger Fauroux :
Parce que l'obligation du CV anonyme est inapplicable. On peut voter n'importe quel texte, mais quand il s'agit de PME, les principaux employeurs et recruteurs, il est impossible techniquement d'imposer le CV anonyme. Celui-ci ne peut être expérimenté que dans les très grandes entreprises. Ce n'est donc pas la solution des problèmes.

Benjamin_H : Pour lutter contre la discrimination ethnique à l'embauche, ne faudrait-il pas, dans un premier temps, quantifier ou tout au moins identifier les critères d'égalité face à l'emploi ?
Roger Fauroux :
Tout à fait. Je suis de votre avis. Je pense que ce qu'il faut absolument obtenir, c'est de connaître l'absence ou la présence des immigrés dans les organisations françaises publiques ou privées. C'est une chose importante, d'abord du point de vue pédagogique. Et puis on pourra mesurer d'une année sur l'autre le recul des discriminations et l'efficacité des mesures.

Pixie : Supprimer l'interdiction de recenser les origines ethniques des citoyens français vous parait-il une des solutions ?
Roger Fauroux :
Oui, je crois qu'il faut absolument faire ce qu'on fait dans d'autres pays : connaître la situation exacte des immigrés dans les activités françaises. L'interdiction d'identifier les personnes est vraiment une espèce de tabou et aussi un alibi pour se cacher l'existence d'un problème. Beaucoup de gens disent : mais il n'y a pas de problème, nous considérons les immigrés comme le reste des Français. Il faut donc leur démontrer que dans leur entreprise il n'y a pas d'immigré, ou que les immigrés n'y sont pas considérés du point de vue hiérarchique, comme les Français de souche.

Mourad : Bonjour. Je m'appelle Mourad, 24 ans, diplômé ingénieur en France et actuellement aux Etats-Unis depuis deux ans, où je suis également diplômé de master (bac +6 aux Etats-Unis). Cependant, étant aujourd'hui décidé à retourner chez moi, en France, quelle ne fut pas ma surprise de voir que mon CV est indésirable. Ecartant d'entrée la piste de la discrimination, j'ai envoyé à ce jour, un total d'environ 250 candidatures en bonne et due forme, dont l'immense majorité n'a même pas fait l'objet d'une réponse ou d'un accusé de réception. Y a-t-il aujourd'hui de la discrimination au niveau de postes qualifiés tels que ceux d'ingénieur ? Que pouvez-vous faire pour régler un problème ayant plus trait à un problème social à très large échelle, tel que celui de la discrimination ?
Roger Fauroux :
Votre cas illustre de manière éclatante ce que je suis en train de dire. La discrimination en France est d'autant plus forte que le niveau de qualification est élevé. J'ai deux conseils à vous adresser : le premier, c'est d'écrire à Louis Schweitzer, président de la Halde (Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité). Il faut que vous le saisissiez de votre cas, très illustratif et très scandaleux. D'autre part, il faut écrire personnellement à Claude Bébéar, président d'AXA, en citant mon nom si vous le voulez, pour lui raconter votre histoire. Car il a pris l'initiative de former un groupement d'entreprises pour la diversité.

"JE NE SUIS PAS POUR LA DISCRIMINATION POSITIVE"

Bertein : Bonjour. Quid de la discrimination positive à l'heure où le principe méritocratique ne fonctionne pas ?
Roger Fauroux :
Je ne sais pas ce que vous voulez dire. Car le principe méritocratique fonctionne au profit d'une élite qui se reproduit. Donc je ne suis pas pour la discrimination positive – et d'ailleurs les immigrés qui ont réussi sont contre, car cela laisse entendre qu'ils doivent leur promotion sociale à la couleur de leur peau. Mais il faut introduire réellement l'égalité entre les immigrés et les Français de souche, car cette égalité, en fait, n'existe pas.

Pixie : La mise en place d'un système de quotas par origine ethnique semble découler logiquement d'un recensement ethnique. Après l'étude, l'action. Y êtes-vous favorable ?
Roger Fauroux :
Ce système se retourne toujours contre les personnes que l'on prétend aider. Cela s'est vérifié aux Etats-Unis. C'est un système trop facile qui introduit en fait une fausse égalité, car les gens vont dire que les immigrés bénéficient de conditions plus favorables, alors qu'il s'agit de les mettre sur le même pied que les Français de souche. Il faut donc inventer autre chose que le systèmes des quotas.

Jim : Observe-t-on autant de discriminations à l'embauche lorsque l'on a un diplôme "reconnu" ? Un diplômé, d'origine étrangère, de Sciences-Po, de l'Essec ou de HEC rencontre-t-il autant de difficultés pour être embauché qu'un individu postulant pour un poste moins prestigieux socialement ?
Roger Fauroux :
Quand on dit étranger, bien sûr, il s'agit d'étrangers venus du Maghreb ou d'Afrique. Le problème, malheureusement, concerne la couleur de peau. Jim a raison : plus l'individu est qualifié, plus il aura de difficultés à s'intégrer. Sur un chantier de travaux publics, on trouve beaucoup de ressortissants de l'Europe du Sud. On en trouve beaucoup moins dans les grandes écoles. Il faut prendre le problème à la base, à l'école : les enfants de familles immigrées doivent recevoir des bourses, soient conseillés, pour que les meilleurs puissent s'engager dans des études longues. Ensuite, il faut veiller à ce que, à leur entrée dans l'emploi, ils soient mis à égalité avec les jeunes Français de souche.

LA NÉCESSITÉ DU RECENSEMENT ET DE LA PUBLICITÉ

Hamid : "Inventer autre chose", oui, mais que proposez-vous M. Fauroux ?
Roger Fauroux :
J'ai fait un rapport pour M. Borloo dans lequel je fais un certain nombre de propositions. La première, qui me paraît essentielle, est le recensement. Il faut montrer du doigt aux responsables que notre système ne marche pas, ne favorise pas l'intégration. D'autre part, il faut faire de la publicité. Il faut que le gouvernement finance une campagne de publicité, comme une entreprise de recrutement l'avait fait, montrant que les immigrés sont des gens qui doivent et peuvent remplir de très grands services aux entreprises. Que la diversité est un enrichissement, et la discrimination, un gaspillage. Il faut aussi expérimenter le CV anonyme dans les grandes entreprises. Il faut également que dans chaque bassin d'emploi, les chambres de commerce, les unions patronales, les syndicats, les responsables d'entreprises, les fonctionnaires se rassemblent pour mettre en œuvre des mesures anti-discrimination. Cela existe dans un petit nombre de régions de France, et cela marche.
C'est au niveau territorial, décentralisé, que les choses ont le plus de chances de fonctionner. Et de manière générale, il faut perfectionner les procédures d'embauche. Il faut évaluer les compétences, l'expérience, la motivation d'un candidat à l'emploi plutôt que recruter à la tête du client. Il y a une tendance beaucoup trop grande de la part des recruteurs à faire jouer des facteurs subjectifs. Il y a un effort qui est en train de se développer pour que ce soit les "habiletés", c'est-à-dire les compétences réelles, qui soient évaluées, et non le nom ou la couleur de la peau. Le rapport que nous avons remis à M. Borloo est sur Internet et peut donc être consulté facilement.

Faseyo : Comment dépister efficacement les discriminations en vue de les sanctionner ?
Roger Fauroux :
Il faut que la Halde, qui a été instituée pour cela, ait des moyens et les exerce. C'est-à-dire qu'elle doit faire des enquêtes chaque fois qu'elle est saisie d'un cas de discrimination et, si elle le juge nécessaire, faire appel aux juges. Et il faut que les magistrats, qui, jusqu'à maintenan,t n'ont pas manifesté beaucoup de zèle dans la poursuite des délinquants, considèrent que c'est l'une de leurs priorités, au même titre que les autres délinquances.

Elo : La Halde dispose-t-elle de moyens suffisants pour lutter contre les discriminations à l'embauche ?
Roger Fauroux :
La Halde débute. Elle doit avoir un mois d'existence. Et j'espère qu'on va lui donner des moyens. On peut considérer comme un bon signe que le président de la République ait tenu à mettre en place personnellement la Halde et à présenter son président, Louis Schweitzer, ancien président de Renault.

Babybarn : Aux discriminations ethniques se surajoutent tout un ensemble de filtres tout aussi insidieux (apparence physique, sexe, âge, comme l'a montré Jean-François Amadieu). Est-ce un mal typiquement français ?
Roger Fauroux :
Malheureusement non. C'est un phénomène qui existe dans tous les pays et qui s'appelle la peur de l'étranger. Et l'expérience montre qu'aucun pays européen ne mérite vraiment d'être cité en exemple. Je pense d'ailleurs que quoi qu'on puisse dire, les Américains, à leur manière, ont mieux réussi que nous. Il est symptomatique que le deuxième personnage de l'Etat, Condoleezza Rice, soit noire, et que le précédent secrétaire d'Etat, Colin Powell, était un général également issu de la communauté noire. Nous n'avons aucun représentant des communautés d'immigrés qui, en France, ait atteint ce niveau de responsabilité. Et quand on regarde la télévision américaine, ou même anglaise, on voit beaucoup plus de visages"exotiques" qu'à la télévision française. Je crains malheureusement que nous soyons un peu plus mauvais que les autres...

LES DIFFICULTÉS DE L'ÉTAT FACE À CE PHÉNOMÈNE DE SOCIÉTÉ

Pixie : Votre plan propose beaucoup d'études et de communication, mais peu d'action. Et de préférence décentralisée. L'Etat ne peut-il pas prendre lui aussi ses responsabilités ? Non pas seul mais en tant qu'acteur parmi d'autres. En étant aussi un exemple en tant qu'employeur ?
Roger Fauroux :
Ce que nous avons voulu dire, c'est que les discriminations sont un phénomène de société fondé sur des représentations, des tabous, des angoisses, des soupçons, bref, toute une série de phénomènes sociaux, psychologiques, sur lesquels l'Etat n'a pas beaucoup de prise. La preuve, c'est que nous avons un arsenal législatif et réglementaire très étoffé, mais il ne fonctionne pas. Il y a deux secteurs sur lesquels l'Etat a une prise, donc une responsabilité : le premier concerne le recensement, dont nous avons parlé. Je pense que le gouvernement doit négocier avec la CNIL (Commission nationale de l'informatique et des libertés) des procédures qui permettent à la fois de savoir quelle est la situation réelle en France, de manière chiffrée, et d'autre part, bien sûr, de préserver les libertés individuelles.
Et il y aussi un aspect des choses sur lequel l'Etat pourrait agir, ce sont ses propres salariés, les fonctionnaires. Or il suffit de pénétrer dans un ministère ou une préfecture pour se rendre compte que les immigrés, quand il y en a, remplissent les fonctions les plus subalternes et sont peu nombreux dans les étages supérieurs. Donc l'Etat, pour donner l'exemple, doit installer dans des postes de responsabilité à l'intérieur de l'administration des gens issus de l'immigration. Je dois dire qu'il a commencé à le faire en ce qui concerne le gouvernement lui-même, puisque nous avons aujourd'hui deux ministres issus de l'immigration nord-africaine, M. Azouz Begag et M. Mekachera, et c'est un phénomène que malheureusement on n'avait pas vu depuis le général de Gaulle, soit depuis une bonne quarantaine d'années.

Mourad : Quels sont aujourd'hui le rôle et les moyens d'action du ministre délégué à l'égalité des chances (Azouz Begag), quant à ce problème de la discrimination à l'embauche ?
Roger Fauroux :
Il est membre du gouvernement, ministre délégué auprès du premier ministre ou auprès de M. Borloo, il a donc tous les pouvoirs. Il a en particulier le pouvoir de veiller à ce que la Halde assume ses responsabilités.

Guimbarde : Et les médias, où sont-ils ? Ne participent-ils pas à la formation de ces angoisses, ces inquiétudes, voire indirectement au refus de régler ce problème d'embauche ?
Roger Fauroux :
Je crois que c'est une bonne remarque. C'est vrai que les médias jouent un rôle très important dans la formation de l'opinion. Un rôle plus important que celui que peut jouer le gouvernement, dont les moyens sont limités et qui, jusqu'ici, ne s'est pas beaucoup intéressé à ce problème. Certains médias préfèrent mettre l'accent sur les incidents violents qui ont lieu dans les banlieues. Je préside un jury alimenté par des fonds privés et qui décerne chaque année quarante bourses d'enseignement supérieur à des jeunes issus des banlieues, élevés dans des familles très démunies, pour une large part de familles immigrées, et qui ont eu une mention"très bien" ou "bien" au bac. Les médias ne parlent pas beaucoup de ces jeunes immigrés. Les médias pourraient donner l'exemple en recrutant également parmi les journalistes, en particulier ceux qui apparaissent sur les écrans de télévision, des personnes issues de l'immigration. Or tout le monde constate qu'ils sont vraiment rarissimes.

Pkoipa : Les clients des entreprises sont souvent cités par les managers ou autres pour justifier la discrimination à l'embauche. Ne devrait-on pas agir envers ces fameux clients ?
Roger Fauroux :
Je crois que ce sont des alibis. C'est plutôt l'inverse qui serait vrai. Je connais des responsables de grandes surfaces installées dans des banlieues et qui jugent plus astucieux d'avoir des personnes originaires du Maghreb à leurs caisses, précisément parce qu'une bonne proportion de leur clientèle vient du Maghreb. Une entreprise proche des clients a intérêt à avoir un personnel identique à ses clients.

Elo : Quelle population est touchée par ces discriminations ? Comment réagit-elle ?
Roger Fauroux :
Il y a deux manières de réagir : ceux qui avalent les affronts et redoublent d'efforts. Ce sont les jeunes que je citais tout à l'heure et qui obtiennent de bons résultats au bac. Et il y a ceux qui réagissent très violemment à cette exclusion et qui cherchent au contraire à se ré enraciner dans un islam fondamentaliste, en rejetant la société occidentale.

Hamid : Maintenant que vous avez remis votre rapport, quel va être votre rôle sur ce dossier à l'avenir ?
Roger Fauroux :
Personnellement, j'ai remis mon rapport, mais je considère que c'est un combat qu'il faut poursuivre. C'est-à-dire que je suis tout à fait décidé à utiliser le réseau que je peux avoir, la connaissance que j'ai acquise du dossier, pour essayer de faire avancer la solution du problème. Mais j'insiste sur le fait que je ne peux pas le faire seul. Il faut que tout le monde – les immigrés eux-mêmes, les patrons, les ministres et les médias – s'y mette. C'est d'ailleurs ce que nous sommes en train de faire en ce moment même.
Nous sommes à un moment très important. Pendant des années, des dizaines d'années, on a ignoré ce problème, et maintenant il est devenu énorme. Et je crois que pour la première fois, l'opinion se rend compte qu'il faut trouver une solution. Et nous n'avons pas beaucoup de temps. L'Histoire avance vite, les hommes et les femmes sont très impatients, et je me félicite que le gouvernement ait enfin considéré le problème des discriminations comme une priorité nationale.

Chat modéré par Constance Baudry et Fanny Le Gloanic
LEMONDE.FR | 22.09.05 | 17h44


Le Monde / Technologies
RSF apprend à bloguer pour contourner la censure

 L' organisation Reporters sans frontières (RSF) publie, jeudi 22 septembre, le Guide pratique du blogger et du cyberdissident. En 87 pages, ce guide vise à aider les bloggers, "par des conseils pratiques et des astuces techniques, à préserver leur anonymat, à contourner la censure – en identifiant la technique la mieux adaptée à chaque situation". "Les blogs passionnent, inquiètent, dérangent, interpellent", assure RSF dans sa préface.

"Dans les pays où la censure est reine, lorsque les médias traditionnels vivent à l'ombre du pouvoir, les bloggers sont souvent les seuls véritables journalistes. Ils sont les seuls à publier une information indépendante, quitte à déplaire à leur gouvernement et parfois au risque de leur liberté", poursuit RSF.

OPTIMISER LE RÉFÉRENCEMENT

Le guide répond également, selon RSF, aux questions "lancer un blog dans de bonnes conditions", "le faire connaître – en optimisant son référencement sur les moteurs de recherche", et "asseoir sa crédibilité via le respect de quelques règles éthiques et journalistiques". "Créez votre blog, préservez votre anonymat et contournez la censure !", résume RSF dans ce guide qui donne la parole à des experts comme le journaliste américain Dan Gillmor, fondateur de Grassroot Media Inc, auteur de Nous les médias, Mark Glaser ou les journalistes français du site pointblog.com.

Plusieurs témoignages de bloggers venus des Etats-Unis, de Hongkong, d'Iran ou du Népal sont livrés également dans ce guide qui recense en outre les "champions de la censure sur Internet" dans le monde. Ce guide est disponible en librairie (10 euros). Il sera également bientôt possible de le télécharger, en cinq langues (français, anglais, chinois, arabe et persan), sur le site de Reporters sans frontières, www.rsf.org.

Avec AFP
LEMONDE.FR | 22.09.05 | 12h17


Le Monde / Europe
Portrait
Angela Merkel s'apprête à discuter avec le parti de Gerhard Schröder et les libéraux

 L es conservateurs allemands, qui ont remporté sur le fil les législatives dimanche, mais sans obtenir de majorité absolue, engagent, jeudi 22 septembre, des consultations exploratoires avec les sociaux-démocrates et les libéraux, prélude à des négociations pour tenter de former une coalition gouvernementale.

Manœuvre du SPD pour devenir le plus grand groupe parlementaire
Le Parti social-démocrate (SPD) du chancelier allemand Gerhard Schröder envisage une modification du règlement du Bundestag qui lui permettrait de devenir le groupe parlementaire le plus important et donnerait plus de poids à sa revendication de la place de chancelier, a indiqué, jeudi 22 septembre, l'un de ses dirigeants. "Il y a de telles tendances (qui se dessinenti", a affirmé le vice-président du groupe parlementaire SPD, Gernot Erler, sur l'antenne de la radio berlinoise RBB-Inforadio. Il confirmait ainsi partiellement des informations du quotidien Suddeutsche Zeitung selon lesquelles les sociaux-démocrates veulent qu'à l'avenir l'Union chrétienne-démocrate (CDU) d'Angela Merkel et sa petite sœur bavaroise, l'Union chrétienne-sociale (CSU) d'Edmund Stoiber forment deux groupes parlementaires distincts.

Le chancelier social-démocrate sortant, Gerhard Schröder, va participer, contrairement à ce qui était prévu, aux discussions avec sa rivale chrétienne-démocrate Angela Merkel et Edmund Stoiber, dirigeant de la CSU, alliée bavaroise de la CDU.

UNE COALITION SPD-CDU/CSU EN PERSPECTIVE

Aux côtés du président du Parti social-démocrate (SPD), Franz Müntefering, Gerhard Schröder entend visiblement souligner par sa présence qu'il revendique la direction de la future coalition, faisant un pied de nez à l'ambition d'Angela Merkel de devenir la première chancelière de l'Allemagne. Mais il s'agit surtout de peser les chances d'aboutir à une "grande coalition" entre le SPD et les unions chrétiennes CDU/CSU, scénario privilégié par les Allemands et jugé le plus crédible par la presse et les politologues.

M. Cohn-Bendit table sur une coalition SPD-CDU-CSU sans Schröder ni Merkel
La situation en Allemagne après les élections législatives du dimanche 18 septembre "n'est pas grave"et "tout sera réglé dans trois semaines", probablement via une grande coalition excluant à la fois Angela Merkel et Gerhard Schröder, estime le député européen Daniel Cohn-Bendit, co-président du groupe Verts au Parlement européen au quotidien La Croixà paraître jeudi 22 septembre.
"A la fin, je pense que les grands partis, la CDU-CSU et le SPD, même affaiblis, vont faire une grande coalition avec un nombre identique de ministres. Mais une coalition sans Schröder ni Merkel", a-t-il déclaré. Avec un tel gouvernement, "il n'y aura aucune position pure et dure, mais ça tombe bien car l'électorat n'en veut pas. Le gouvernement sera à l'image de la société allemande", a-t-il dit.

Ni les unions chrétiennes CDU/CSU et leur allié libéral du FDP, ni le SPD et les Verts n'ont obtenu de majorité absolue aux élections, ce qui rend nécessaire la formation de nouvelles alliances.

Le SPD, qui a donné mercredi le coup d'envoi des consultations exploratoires en rencontrant les Verts, a appelé le FDP à se joindre à des discussions en vue de former une éventuelle coalition tripartite.

Jusqu'à présent le Parti libéral, troisième force politique allemande, ne veut négocier qu'avec la CDU/CSU, refusant toute rencontre avec le SPD ou les Verts. C'est ce que fera jeudi son président, Guido Westerwelle, avant de laisser la place aux sociaux-démocrates.

De leur côté, les Verts, qui se rendront vendredi à une invitation d'Angela Merkel, ont laissé entendre que leurs discussions avec la droite conservatrice et libérale avaient peu de chances d'aboutir, le FDP étant "aux antipodes" de leurs positions sur l'écologie, l'énergie et les réformes sociales.

Faisant fi de ce scepticisme, plusieurs dirigeants de la CDU ont plaidé pour une "coalition jamaïcaine" entre conservateurs, libéraux et Verts (en référence aux couleurs du drapeau de la Jamaïque : noir pour les conservateurs, jaune pour les libéraux, vert pour les écologistes).

Les consultations exploratoires puis les négociations entre partis peuvent durer des semaines voire des mois, aucun délai n'étant prévu par la Loi fondamentale (Constitution).

Avec AFP et Reuters
LEMONDE.FR | 22.09.05 | 10h14


Le Monde / Aujourd'hui
Le "trouble des conduites" de l'enfant, concept psychiatrique discuté

 D ans une expertise collective, rendue publique jeudi 22 septembre, l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) fait le point sur une catégorie de symptômes psychiatriques jusqu'alors inconnue du grand public en France, le "trouble des conduites chez l'enfant et l'adolescent" .

Issu des classifications cliniques anglo-saxonnes, ce syndrome, qui se caractérise par des comportements violents et répétés chez l'enfant et l'adolescent, toucherait, selon la littérature scientifique internationale, entre 5 % et 9 % des jeunes de 15 ans. Bien qu'aucune étude épidémiologique n'ait été réalisée en France sur ce sujet, l'Inserm recommande le dépistage et la prise en charge précoce de ce trouble, en familiarisant les familles, les professionnels de la petite enfance et les enseignants à son repérage.

L'expertise sur le trouble des conduites se situe dans le prolongement d'un précédent travail de l'Inserm qui, en additionnant des troubles aussi divers que l'hyperactivité, l'autisme, la dépression ou les troubles anxieux, affirmait, en 2002, qu'un enfant sur huit souffre d'un trouble mental.

Cette fois, l'Inserm a choisi de mettre l'accent sur le trouble des conduites, un syndrome défini "par la répétition et la persistance de conduites au travers desquelles sont bafoués les droits fondamentaux d'autrui et les règles sociales" . Il s'exprimerait ainsi, chez l'enfant et l'adolescent, par "une palette de comportements très divers" qui vont "des crises de colère et de désobéissance répétées de l'enfant difficile aux agressions graves comme le viol, les coups et blessures et le vol du délinquant" .

Cette définition très large découle de la classification arrêtée, en 1968, par la psychiatrie américaine dans le manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM), reprise, en 1977, par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) dans la Classification internationale des maladies (CIM-9).

Fidèle à son approche biologique de la psychiatrie, centrée sur les symptômes et les comportements, l'Inserm ne remet pas en cause, dans son expertise, la validité de la notion de trouble des conduites – un concept jugé fourre-tout par les psychiatres d'orientation psychanalytique, mais très en vogue aux Etats-Unis.

Les douze experts – dont deux Canadiens –, pédopsychiatres, épidémiologistes, cognitivistes, neurobiologistes, reconnaissent néanmoins que la notion déborde du champ médical en se situant "à l'interface et à l'intersection de la psychiatrie, du domaine social et de la justice" . Le "trouble des conduites doit être considéré comme un facteur de risque de délinquance sur lequel on peut agir (...) mais ne doit pas être confondu avec la délinquance, qui est un concept légal" , affirme l'expertise collective.

"Jusqu'ici, la délinquance n'était abordée que d'un point de vue judiciaire ou social , précise Isabelle Gasquet, épidémiologiste et membre du groupe d'experts. Loin de nous l'idée de nous approprier le bébé, mais nous avons cherché à ajouter l'angle médical pour en enrichir l'approche. Tout est à faire dans ce domaine, où les données sont inexistantes en France."

Pour l'expertise collective, le trouble des conduites, souvent associé au "trouble déficit de l'attention / hyperactivité", "est le produit d'interactions complexes entre des facteurs individuels (facteurs génétiques, tempérament, personnalité) et des facteurs environnementaux (relations familiales, environnement social)" . Les études internationales estiment sa prévalence dans une large fourchette de 5 % à 9 % des adolescents de 15 ans. En France, il existe une seule étude, menée à Chartres dans 18 écoles primaires et qui rapportait une prévalence globale de 6,5 % et de 17 % dans les classes adaptées.

D'après la littérature internationale, deux tiers des enfants présentant un trouble des conduites répondraient toujours aux critères diagnostiques à l'adolescence. L'étude affirme ainsi que, "selon l'âge de survenue du trouble, avant ou après la dixième année de l'enfant, sa symptomatologie et son évolution diffèrent, avec un pronostic plus péjoratif et un risque élevé d'évolution vers une personnalité antisociale à l'âge adulte, lorsque l'apparition est précoce" .

Pour les experts, "le dépistage, la prévention et la prise en charge médicale du trouble des conduites restent insuffisants en France en regard de ses conséquences (risque de mort prématurée, troubles associés...) et du coût pour la société (instabilité professionnelle, délinquance, criminalité...)" .

Pour pallier ce "retard", l'expertise collective recommande d'informer le public mais aussi les professionnels de la petite enfance et les enseignants sur les différents symptômes du trouble des conduites. L'idée est de favoriser le "repérage des perturbations du comportement dès la crèche et l'école maternelle" , afin d'enrayer l'évolution de l'enfant vers des comportements délinquants.

Le groupe d'experts préconise ainsi de procéder à un dépistage médical systématique de chaque enfant dès 36 mois, au prétexte que, "à cet âge, on peut faire un premier repérage d'un tempérament difficile, d'une hyperactivité et des premiers symptômes du trouble des conduites" .

Une fois identifiée l'existence d'un trouble chez un enfant, le groupe d'experts recommande le recours à des programmes "psychosociaux" de "guidance parentale" en s'inspirant d'exemples américains et canadiens. Avec les enfants, il est proposé de mener des thérapies individuelles de type comportementaliste, fondées sur des jeux de rôle, pour leur "apprendre des stratégies de résolution des problèmes" . Le groupe d'experts suggère par ailleurs de recourir "en seconde intention" aux traitements psychotropes (antipsychotiques, psychostimulants et thymorégulateurs), qui ont "une action antiagressive" .

L'expertise collective émet par ailleurs des réserves sur le placement des jeunes délinquants en "centres spécialisés" , au motif que ces "regroupements d'adolescents" renforceraient les attitudes délinquantes. Ces structures de prise en charge renforcée, qui existent depuis dix ans en France et dans lesquelles exercent des psychologues, permettent pourtant, selon les spécialistes de la délinquance des mineurs, à certains adolescents de se reconstruire.

Cécile Prieur
Article paru dans l'édition du 23.09.05


Le Monde / Aujourd'hui
Pierre Delion, chef de service de pédopsychiatrie au CHU de Lille
"Cette notion moralise le débat là où, au contraire, il faudrait accepter la diversité"

 Q ue pensez-vous de cette notion de trouble des conduites et de l'idée d'un dépistage précoce des enfants préconisé par l'Inserm ?
Je ne suis pas du tout adepte de ce genre de concepts. Le trouble des conduites implique une référence à une bonne conduite et à une mauvaise conduite. Cette notion moralise donc le débat là où, au contraire, il faudrait accepter la diversité de tous les parents et de leurs enfants.
Je préfère utiliser le concept de "souffrance psychique", qui indique, à un moment donné, qu'un enfant va mal. Cet enfant qui souffre dans l'interaction avec ses parents, et non à cause d'elle, tente par ce symptôme d'appeler à l'aide pour rééquilibrer son développement. Or il arrive que la fonction paternelle soit en défaut, pour des raisons très diverses : par exemple, le père (ou la mère) est malade, ou en prison, ou délirant... ; l'enfant, du fait de l'angoisse qu'il ressent, va alors réorganiser son comportement en fonction de ces éléments.
Que l'on puisse, dans certains cas, appeler cela des troubles des conduites, je ne suis pas contre, mais ce qui compte le plus c'est de dire à cet enfant que son appel a été entendu. A ce moment-là, l'important n'est pas de faire un dépistage systématique, de type Big Brother, mais de rendre possible, pour les parents, la rencontre avec des professionnels, pour accueillir cette souffrance de l'enfant et éventuellement la traiter.

Comment réagissez-vous à la préconisation de l'Inserm de familiariser le public aux concepts d'hyperactivité ou de troubles des conduites ?
Parler de souffrance psychique en ces termes peut avoir des effets délétères. Les enseignants, par exemple, se sont déjà emparés de ces catégories. Nous voyons très souvent des parents envoyés par des instituteurs qui "diagnostiquent" des troubles de type hyperactivité et déficit de l'attention. Ces notions ont envahi la société dans son ensemble, bien au-delà du milieu médical. Les parents arrivent maintenant en consultation avec une question : "Quel traitement médicamenteux prescrivez-vous pour notre enfant ?" On voit bien, en arrière-plan, se profiler les intérêts économiques des firmes pharmaceutiques.

Les enquêtes épidémiologiques en psychiatrie ne sont-elles pas légitimes ?
Il ne faut pas confondre ce qui est de l'ordre de la raison statistique et ce qui relève du travail psychique, en consultation. Quand on raisonne en épidémiologiste, on préfère compter tous les enfants qui présentent un même trouble. Tout ce qui est du côté de la raison statistique peut faciliter la compréhension de ce que cela veut dire du fonctionnement de notre société, de la place qu'on y accorde aux parents, et, surtout, de comment on peut les aider.
Mais cela ne peut remplacer l'autre plan, celui de la souffrance psychique de cet enfant qui vient me voir en consultation et dont je suis responsable, au sens de Levinas. Il me semble qu'aujourd'hui un mouvement s'organise pour conjuguer dans la clinique les concepts des deux ordres. Il y a là un problème d'épistémologie sur lequel il faut réfléchir et qui peut expliquer l'inutilité et surtout les apories d'un ouvrage comme Le Livre noir de la psychanalyse .

Que pensez-vous du violent débat qui s'est engagé entre les thérapeutes d'orientation comportementaliste et les psychanalystes à propos de la sortie de ce livre ?
La violence et l'obsolescence des arguments avancés contre la psychanalyse me paraissent totalement déplacées. Ce débat s'est organisé comme si on voulait absolument faire l'économie des liens à construire entre les statisticiens-épidémiologistes, les neuroscientifiques et les psychothérapeutes nourris de psychanalyse.
Les parents des enfants que nous soignons nous attendent sur ce terrain. C'est une démarche souhaitable et elle est possible : je fais ainsi des consultations conjointes avec Louis Vallée, le neuropédiatre du CHU de Lille, où l'on reçoit des enfants pour hyperactivité, pour des troubles autistiques, et bien d'autres... Je peux vous assurer que les parents nous sont reconnaissants de voir des médecins qui essaient de raisonner en termes de complémentarité, en tentant de dépasser le manichéisme stérile de l'opposition des orientations.

Propos recueillis par Cécile Prieur
Article paru dans l'édition du 23.09.05


Le Monde / Aujourd'hui
Aux Etats-Unis, les laboratoires sont les premiers bénéficiaires de la mise en place de tests de dépistage
WASHINGTON correspondance

 L e gouvernement Bush a lancé en 2002 une grande initiative pour prévenir les risques de maladie mentale, pour permettre, en théorie, à tous les citoyens d'avoir accès à des soins adéquats et de favoriser l'insertion des malades. En 2003, la Commission sur la santé mentale qu'il a mise en place a préconisé de faire des tests de dépistage des maladies mentales dans les Etats pour l'ensemble de la population, et plus particulièrement pour les enfants et les adolescents : 5 % à 9 % des enfants américains souffriraient de "désordres émotionnels sérieux".

L'initiative a été saluée par des associations de psychiatres et de psychologues... et par l'industrie pharmaceutique. Une vingtaine d'Etats ont commencé de mettre en application ces examens, qui suscitent une forte polémique. Plusieurs parents ont attaqué en justice des écoles pour avoir ordonné ces tests sans leur consentement.

Ce sont surtout les dessous de cette initiative qui suscitent la colère de nombreuses associations, qui dénoncent une mesure destinée à favoriser les laboratoires pharmaceutiques. Un enquêteur de l'inspection générale de Pennsylvanie, Allen Jones, a été licencié pour avoir critiqué ces mesures dans des journaux. Dans une étude (consultable sur www.psychrights.org), il montre les liens entre des membres de la commission et l'industrie pharmaceutique.

Allen Jones revient également sur la genèse de cette décision. Elle trouve son origine au Texas, dans une mesure prise au milieu des années 1990 par le gouverneur de l'époque, George W. Bush. Il s'agissait de donner à tous les Texans les meilleurs soins, et un accès aux médicaments les plus récents... et les plus chers, mais dont l'efficacité n'est pas toujours reconnue. La commission mise en place par M. Bush reconnaît dans son rapport que "les effets à long terme de nombreux psychotropes n'ont pas été assez étudiés" . La consommation de psychotropes a depuis considérablement alourdi les dépenses de santé du Texas.

Dans une étude de 2003 sur les élections locales de 1996 à 2002, l'Institut sur l'argent dans la politique des Etats note que "l'industrie pharmaceutique a donné au moins 13,2 millions de dollars à des candidats politiques (...), au moment où les Etats essaient de diminuer les coûts croissants des dépenses de médicaments" . Pfizer, GlaxoSmithKline et Eli Lilly versent près de la moitié de cette somme : 7,2 millions aux républicains, 5,9 millions aux démocrates.

Alain Salles
Article paru dans l'édition du 23.09.05


Le Monde / France
Restructurations : l'Etat supprime son principal outil d'intervention

 L a mission interministérielle sur les mutations économiques (MIME) vit ses derniers jours. Dominique de Villepin devrait officialiser la décision au plus tard à la mi-octobre, soit à l'occasion d'un conseil des ministres, soit au cours du prochain Comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire (CIADT).

L'inquiétude de la CGT et de la CFDT

"Même si la MIME disposait de peu de moyens , témoigne Jean-Christophe Le Duigou, secrétaire confédéral de la CGT, c'était un outil intéressant car transversal et anticipateur. Je ne l'ai jamais considérée comme un remède miracle mais elle réfléchissait à la manière de passer des emplois d'aujourd'hui à ceux de demain. Je regrette que le gouvernement ait décidé de confier à la Datar, qui travaille surtout sur les pôles de compétitivité, le soin de lancer une nouvelle structure. C'est terrible de voir la logique administrative l'emporter sans s'interroger sur la vocation des uns et des autres."

De son côté, Gaby Bonnand, secrétaire national de la CFDT, chargé de la protection sociale et des questions économiques, estime que "l'on perd là une pièce maîtresse de l'accompagnement des territoires en détresse" . "La CFDT, poursuit-il, note que l'on transmet au ministère de l'intérieur le soin de veiller aux restructurations ! Que ce gouvernement ne vienne pas nous dire ensuite que l'emploi est l'une de ses préoccupations majeures, je ne le croirai pas... Cette décision ne nous convient pas du tout."

La MIME va être ainsi remplacée par une nouvelle direction créée au sein de la Délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale (Datar). Et disparaître au moment même où la Drôme voit s'évanouir son activité dans la chaussure et où Grenoble s'inquiète des importantes suppressions d'emplois annoncées par le groupe informatique Hewlett-Packard. Officiellement créée en octobre 2003, la MIME avait pour vocation d'anticiper et d'accompagner les restructurations, tout comme d'aider au redéploiement industriel des territoires touchés par les fermetures d'entreprises.

"Avec le futur dispositif, nous souhaitons renforcer l'animation des contrats de site sur l'ensemble du territoire , indique-t-on au ministère de l'emploi auquel était rattachée la MIME. Ce qui se passe aujourd'hui dans le département de la Drôme après la liquidation de l'atelier de production de chaussures Stéphane Kélian et le dépôt de bilan de Charles Jourdan nous conforte dans l'idée que c'est la bonne voie. La MIME multipliait les efforts pour gérer au mieux les restructurations, mais ne parvenait pas vraiment à relancer une dynamique économique sur les bassins d'emplois blessés." Renforcée, la Datar, qui ne souhaite faire aucun commentaire, devrait également changer de nom et devenir la "Délégation à la compétitivité des territoires".

L'aventure de la MIME avait pourtant bien commencé puisque c'est Jacques Chirac lui-même qui en annonce, en 2002, la future création lors de son traditionnel entretien du 14 juillet : "Il faut que le gouvernement ait une structure lui permettant d'intervenir massivement pour apporter des solutions lorsqu'il y a des plans sociaux et des fermetures." Il y a urgence : 890 plans sociaux recensés en 2000, 1 053 en 2001 et déjà plus de 1 000 lorsque le président de la République s'exprime à la mi-2002.

En dépit de cette volonté politique, les difficultés apparaissent vite. La principale d'entre elles tient au statut interministériel de la MIME qui doit, pour agir, s'appuyer sur les services de l'Etat (ministères, administrations centrales et territoriales) concernés par les restructurations, et les coordonner. Cette prérogative va heurter certaines administrations peu enclines à partager leurs pouvoirs. Et compliquer la tâche de Jean-Pierre Raffarin alors à Matignon. Ainsi, alors que la MIME est opérationnelle dès octobre 2002 sous la direction de Claude Viet, ancien directeur général de La Poste, il faudra attendre un an pour que le décret annonçant sa création officielle et ses attributions précises paraisse au Journal officiel .

GUERRE DE TRANCHÉES

Le texte ne suffit pas à calmer la guerre de tranchées qui fait rage. Les services du premier ministre envoient, le 28 janvier 2004, une circulaire aux préfets de région et de département, destinée à "préciser le rôle respectif joué dans le dispositif d'anticipation et d'accompagnement des mutations économiques, par la MIME, la Datar et les autres services et organismes concernés" , parmi lesquels le Comité interministériel de restructurations industrielles (CIRI), la direction générale des collectivités locales (DGCL) et la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP).

Le peu de moyens dont dispose officiellement la MIME (trois chargés de mission et un budget annuel de 100 000 euros), le remplacement au bout de onze mois de Claude Viet par Jean-Pierre Aubert, délégué interministériel aux restructurations de défense (DIRD), alors que les plans sociaux continuent à se multiplier, font douter de l'efficacité de la structure. Impossible d'ailleurs de disposer d'un bilan précis en termes d'emplois préservés, par exemple. La MIME met davantage en avant le succès de son ancrage territorial grâce à la création d'observatoires régionaux des mutations économiques dont le premier a concerné les Pays de la Loire, et les liens importants tissés avec les acteurs de terrain (organisations patronales, syndicats, etc.). Au final, elle s'enorgueillit des relations établies avec plusieurs centaines d'entreprises fragilisées, qui ont permis, dans certains cas, d'accélérer l'arrivée de nouveaux investisseurs ou de lancer plus tôt des programmes de formation pour les salariés menacés.

La suppression annoncée de la MIME ne fait pas d'ailleurs l'unanimité. Même auprès des préfets qui pourraient pourtant se féliciter de voir la Datar, aujourd'hui dans la zone d'influence du ministère de l'intérieur, récupérer la mise.

"J'ai pu voir dans ma région comment la Mime avait réussi à travailler en amont avec un secteur d'activité en difficulté qui compte plus de 30 000 salariés, lançant des actions de reconversion sans attendre la dernière minute, explique l'un d'eux. Je crains de perdre ce soutien." Sans préjuger de l'efficacité de la structure qui remplacera la MIME, une chose est sûre, c'est que sa mise en place va demander du temps. Quelques mois supplémentaires de perdus alors que les restructurations, elles, se poursuivent.

Marie-Béatrice Baudet
Article paru dans l'édition du 23.09.05


Le Monde / France
Jean-Pierre Aubert, chef de la MIME
"Sur ce dossier crucial, l'Etat improvise et manque de visibilité"

 C omment réagissez-vous à la suppression de la Mission interministérielle sur les mutations économiques (MIME) ?
Il ne faut pas que ce soit une régression car chacun des acteurs, dont nous avons essayé de coordonner les interventions pour mieux anticiper les restructurations, peut être tenté de reprendre ses billes. La disparition de la MIME peut laisser sur le carreau beaucoup de nos interlocuteurs qui ne sauront plus à qui s'adresser.
Sur le papier, tout cela apparaît cohérent puisque la Datar -dans laquelle la MIME va être fondue- est une délégation, elle aussi interministérielle, bien qu'elle soit mise actuellement à la disposition du ministère de l'intérieur et de l'aménagement du territoire. En réalité, l'enjeu n'est pas institutionnel mais sur la façon de procéder. Il faut éviter que cette fusion se traduise par la réduction de la démarche transversale que nous avons initiée, à un seul de ses aspects : le territorial.

Hewlett-Packard : Paris tente de faire pression

En recevant l'intersyndicale de Hewlett-Packard (HP), le ministre délégué à l'emploi a insisté, mercredi 21 septembre, sur la "détermination du gouvernement" à obtenir du géant de l'informatique des "assurances concrètes sur la pérennité de son implantation en France". Sur RMC, le ministre délégué à l'emploi avait annoncé qu'il demanderait, lundi 26 septembre, au patron "Europe" du groupe américain de "revoir le contenu et le périmètre" de son plan de suppressions d'emplois (5 968 postes, dont 1 240 en France). M. Larcher a également invité Bruxelles à "faciliter un examen concerté, au niveau européen" du plan de HP. Après la saisine par Jacques Chirac de la Commission européenne, son président, José Manuel Durao Barroso, avait rappelé, mercredi, qu'"il n'est pas dans la compétence de la Commission d'empêcher une entreprise de licencier" . "C'est la responsabilité des autorités nationales" , avait-il aussitôt précisé.

Bilan peu lisible, manque de moyens... Les critiques ne manquent pas à l'égard de l'action de la MIME...
Un bilan est toujours contestable, surtout dans un laps de temps aussi court. Concernant celui de la MIME, aucun membre de mon équipe n'a à en rougir. Je défie quiconque d'avoir pu réaliser autant de choses en si peu de temps, avec les moyens dont nous disposions. Nous avons installé des observatoires de mutations économiques associant tous les acteurs dans une douzaine de régions, et des dispositifs de veille et d'anticipation intéressants.
Nous sommes intervenus sur des dizaines de dossiers (LG Philips à Dreux, Arc International à Saint-Omer, Mitsubishi à Rennes, etc.) avec plus ou moins de succès, bien évidemment. Mais il suffit de recenser toutes les demandes de conseils et d'aides qui nous arrivent spontanément, soit de secteurs menacés (la fonderie, les équipementiers automobiles, le textile, etc.), soit de collectivités locales, d'organisations syndicales et de préfets qui perçoivent tôt la dégradation économique de leur environnement, pour mesurer combien la volonté d'anticiper qui était à la base de notre démarche, intéressait.

Comment s'explique la décision de supprimer la MIME ?
Je crois que les modes de pensée et d'action de l'Etat sont encore trop hermétiques à l'action transversale. En dépit des discours officiels, la tendance de chaque administration est plutôt de vivre de manière autonome en préservant ses modes de fonctionnement et ses logiques d'intervention. C'est une pathologie qui n'est ni de droite ni de gauche.

Comment l'avez-vous observée ?
Tous les vendredis matin, la MIME avait institué la réunion de l'ensemble de ses interlocuteurs au sein des administrations et des cabinets ministériels, afin de nous alerter mutuellement sur les dossiers de restructurations en cours ou ceux en gestation. J'ai pu mesurer les difficultés posées par le simple échange d'informations ! Un exemple révélateur : un jour, un chef de bureau d'une administration centrale est venu me voir pour m'expliquer qu'il était tout prêt à me passer les notes sur lesquelles il travaillait, mais que son propre service vivrait cela comme une trahison. Sans parler de la concurrence entre les cabinets ministériels !

Quelles sont les conséquences de ces comportements ?
Ils expliquent pourquoi l'Etat manque de visibilité et improvise trop souvent sur la question, pourtant cruciale aujourd'hui, des mutations économiques. Nous en restons à des visions parcellaires qui provoquent le retard à l'allumage sur nombre de dossiers. La MIME avait commencé à faire bouger les choses, mais il reste encore beaucoup de chemin à faire pour instaurer une véritable culture de l'anticipation et de l'action transversale.
Tout cela est d'autant plus paradoxal que les mutations économiques et les restructurations qu'elles provoquent sont au coeur des préoccupations des Français. Nous sommes face à un mouvement permanent qui s'étend à l'ensemble des secteurs d'activité.
Le fait de s'organiser en amont afin d'avoir un ou plusieurs coups d'avance permet d'être mieux placé pour agir. Sachant que tous les acteurs – Etat, entreprises, collectivités territoriales, organisations syndicales – sont parties prenantes dans les solutions à offrir et qu'il faut donc réussir à les fédérer. La disparition de la MIME ne doit pas casser cette mécanique.

Propos recueillis par Marie-Béatrice Baudet
Article paru dans l'édition du 23.09.05


Le Monde / Europe
M. Barroso enterre la Constitution et veut "remettre l'UE au travail"
BRUXELLES de notre bureau européen

 J osé-Manuel Barroso a placé sa rentrée sous le signe du réalisme, afin de tenter de relancer un projet européen paralysé par le double échec de la constitution en France et aux Pays-Bas. "Parfois, les gens vivent dans l'illusion" , a-t-il relevé mercredi 21 septembre à Bruxelles, en rendant compte d'un séminaire tenu la veille avec ses vingt-quatre collègues. Selon lui, la ratification du traité constitutionnel est reportée d'au moins deux à trois ans après son rejet dans deux pays fondateurs. "Il n'y aura pas de Constitution dans les années à venir, c'est évident, regardons cela en face" , a-t-il déclaré : "Si entre temps, la France et les Pays-Bas nous disent "nous avons une solution" je serai un des Européens le plus heureux, mais ce n'est pas le cas pour le moment" , a-t-il dit.

Position entérinée sur Chypre et Ankara

Les Vingt-Cinq ont entériné, mercredi 21 septembre à Bruxelles, une déclaration sur le principe de la reconnaissance de Chypre par Ankara dans la perspective de l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne. Après des semaines de tractations, le document affirme que "la reconnaissance de tous les Etats membres est une composante nécessaire du processus d'accession". L'Union exige l'application sans discrimination du protocole d'extension à ses nouveaux membres, dont Chypre, de l'union douanière qui la lie à la Turquie. Cette dernière avait signé le 29 juillet le protocole, mais en soulignant que ce geste ne valait pas reconnaissance de Chypre. Après ce compromis, la présidence britannique de l'Union espère obtenir sans tarder un accord sur le cadre de négociation avec la Turquie que les Vingt-Cinq doivent adopter à l'unanimité d'ici à l'ouverture des pourparlers, le 3 octobre. Mais l'Autriche continue de demander que soit mentionnée la perspective d'un partenariat privilégié. – (Corresp.)

Afin d'"éviter la paralysie" , celui que ces détracteurs accusent d'immobilisme estime qu'il est temps de "remettre l'Europe au travail" sur des chantiers concrets. En dépit de la polémique suscitée par le projet de directive sur les services, il espère l'adoption "rapide" de ce projet, sur la base des amendements en cours de discussion au Parlement. Surtout, la commission entend favoriser un compromis sur le budget européen pour la période 2007/2013. Un accord avait été impossible en juin, du fait en particulier de l'opposition du gouvernement britannique. Mais la Commission, et plusieurs capitales espèrent qu Tony Blair, le président en exercice de l'Union ce semestre, sera en mesure de débloquer les négociations d'ici à la fin de l'année. "Il y a urgence" , a jugé M. Barroso. La Commission entend, a-t-il précisé, "amortir les chocs de la mondialisation" . La Commission semblait se contenter en juin de l'ultime proposition de compromis faite par la présidence luxembourgeoise. Elle a désormais l'intention de relancer l'idée d'un fond d'ajustement doté d'un milliard d'euros par an, pour aider les régions victimes de "chocs imprévus" .

M. Barroso a rappelé que les six principaux Etats contributeurs, dont la France, avait torpillé ce projet par souci d'économie budgétaire. L'ancien premier ministre portugais voit pourtant dans cette initiative la meilleure réponse possible à la demande formulée par le président français Jacques Chirac d'intervenir pour limiter l'impact du plan social chez Hewlett Packard. D'autant plus, a-t-il rappelé, qu'il n'est pas dans les compétences de l'Union de régler ce type de problème social.

Sur la méthode, le président de la Commission européenne tente de placer son action au centre du jeu entre les différentes capitales. "Certains pensent qu'il est possible d'avoir l'Europe politique sans l'intégration économique" , a-t-il dit, dans une allusion à la France : "Ils se trompent" . D'autres, comme le Royaume-Uni qu'il n'a pas non plus nommé, "pensent qu'ils peuvent avoir l'intégration économique sans les outils politiques. Ils se trompent aussi" .

S'il prône l'action, M. Barroso considère que la Commission se doit d'agir avec mesure. Pour lui, la période Delors où l'exécutif européen lançait projet sur projet est révolue. "Les citoyens ont d'autres attentes" , a-t-il jugé mercredi. D'ailleurs, le collège doit présenter mardi 27 septembre la liste des quelque 70 projets de directives qu'il entend retirer pour "légiférer moins, mais mieux" . Le Parlement européen et plusieurs capitales craignent que cette initiative n'illustre surtout le manque d'ambition des institutions européennes, et de la commission. Mais pour M. Barroso, il s'agit de répondre aux électeurs qui perçoivent Bruxelles comme une machine bureaucratique incapable de restreindre son appétit législatif.

Philippe Ricard
Article paru dans l'édition du 23.09.05


Le Monde / Médias
Google attaqué en justice pour son projet de bibliothèque numérique

 L e rêve de Google de mettre en ligne un maximum de livres, photos, voire à terme de vidéos, se heurte à la résistance des propriétaires de ces œuvres, qui décident désormais d'en appeler aux tribunaux pour défendre leurs droits.

L'Authors Guild, syndicat défendant plus de 8 000 écrivains américains publiés, a déposé plainte cette semaine à New York contre la firme exploitant le célèbre moteur de recherche, estimant qu'avec son projet de gigantesque bibliothèque virtuelle, celle-ci se rendait coupable de "violation massive des droits d'auteur".

Alors que l'intéressé a lui-même suspendu en août son opération de numérisation de livres ("Google Print"), le temps de s'entendre avec les détenteurs de droits sur quoi sélectionner, la controverse se poursuit. "Ce n'est pas à Google ou à qui que ce soit d'autre que les auteurs, détenteurs légitimes des droits, de décider si oui ou non et de quelle manière leurs travaux vont être copiés", a indiqué Nick Taylor, initiateur de la plainte en tant que président de l'Authors Guild.

"VIOLATION MASSIVE DES DROITS D'AUTEUR"

Recherchant la qualification de plainte en nom collectif, le syndicat a obtenu que s'associent à son action plusieurs écrivains, dont un ancien éditorialiste du New York Times, biographe du président Abraham Lincoln.

Pour lancer sa bibliothèque virtuelle gratuite, Google avait annoncé en décembre 2004 des accords avec les universités Stanford, Harvard, Oxford, du Michigan ainsi qu'avec la bibliothèque de New York pour accéder à leurs fonds documentaires et pouvoir numériser des ouvrages vieux parfois de plusieurs siècles. Selon la plainte de l'Authors Guild, Google n'a pas cherché à avoir le feu vert des auteurs qui sont référencés dans ces fonds ou de leurs ayants droit.

Google a dit "regretter" cette action et assuré qu'en l'absence d'autorisation de l'ayant droit, seul un "court extrait" du livre apparaissait sur l'écran d'ordinateur, "accompagné des informations bibliographiques de base et de plusieurs liens vers des librairies en ligne". Google Print (http://print.google.com) fait partie des sites les plus visités aux Etats-Unis. La semaine dernière, il a grimpé à la trentième place des sites les plus visités alors qu'il n'était qu'à la quatre-vingt-dixième place le mois dernier, selon les mesures d'audience du cabinet Hitwise. "Google Print bénéficie directement aux auteurs et aux éditeurs en augmentant les ventes et en sensibilisant le public sur leurs ouvrages", argumente Google dans un communiqué.

SENSIBILISER LE PUBLIC

L'Electronic Frontier Foundation (EFF), organisation plaidant pour un Internet libre, est venue au secours de Google. Elle a jugé que son projet pouvait être comparé à la mise sur fiches informatiques des ouvrages, pratiquée par de nombreuses bibliothèques pour en faire profiter gratuitement les visiteurs. "Il est facile de voir comment Google Print peut stimuler la demande pour des livres qui, sans cela, prendraient la poussière dans des rayons de bibliothèque", a ajouté Fred von Lohmann, de l'EFF. "C'est difficile de voir comment cela pourrait nuire aux éditeurs ou aux auteurs", a-t-il conclu.

Ce n'est pas la première fois que Google fait face à de telles accusations, dont l'esprit rappelle celles des maisons de disques contre les sites d'échange gratuit de musique. Le mois dernier, l'éditeur d'un magazine de charme américain, Perfect 10, avait soutenu avoir été abusé par la firme californienne, coupable selon lui d'avoir proposé aux internautes des milliers de photos de femmes nues dont il détient les droits. L'Agence France-Presse a également porté plainte contre Google pour violation des droits d'auteur, l'accusant d'avoir offert sans autorisation ses dépêches d'information et photos.

Avec AFP et Reuters
LEMONDE.FR | 23.09.05 | 17h25


Le Monde / Chats
OGM, sommes-nous bien informés ?
L'intégralité du débat avec Philippe Martin, député socialiste, vendredi 23 septembre 2005

Emmanuel : Comment expliquez vous la paranoïa ambiante qui règne autour de la culture des OGM ? Au nom du principe de précaution, la rationalité française semble avoir déserté le débat...
Philippe Martin :
Ma réponse, c'est que notre pays a connu depuis trente ans une succession de catastrophes sanitaires et environnementales qui pousse malgré tout à aborder la question des OGM avec au moins de la précaution. Il n'y a donc pas de paranoïa, mais l'expérience de crises où des scientifiques nous disaient que les évolutions étaient sans danger et qu'elles se sont révélées – quelquefois dix ou quinze ans après – provocatrices de sérieuses difficultés.

Gaetan : Ne pensez-vous pas qu'il y a une confusion, volontaire ou pas, entre les dangers en ce qui concerne la santé et les enjeux économico-stratégiques ?
Philippe Martin :
Je crois qu'il faut séparer la recherche, notamment thérapeutique, sur les OGM qui peut déboucher sur des bénéfices indubitables et le lobby transnational de la semence, qui cherche surtout à faire plus de profits et, d'une certaine façon, à aliéner un peu plus les agriculteurs. Les 1 000 hectares de culture de maïs OGM qui ont été révélées il y a peu ne sont destinées ni à la recherche ni à la faim dans le monde, mais à nourrir des cochons espagnols... On est donc là dans une démarche qui est commerciale. Et tout le problème est de séparer les deux choses.

"PAS DE VÉRITABLE RÉGLEMENTATION"

M. Mendes : Quelle est la législation actuelle sur les OGM ?
Philippe Martin :
Curieusement, pour ce qui concerne les essais de recherche, cette législation est relativement encadrée et elle a fait l'objet d'une mission parlementaire visant à préciser, justement, les conditions dans lesquelles ces essais pouvaient être faits en plein champ. Et dans le même temps, pour les cultures commerciales, il n'y a pas de véritable réglementation, puisque la France n'a toujours pas retranscrit en droit français une directive européenne de 2001. C'est d'ailleurs pour cela que les agriculteurs qui ont cultivé les 1 000 hectares dont on parle actuellement ont pu le faire sans enfreindre la loi, mais en bénéficiant du vide juridique qui entoure aujourd'hui les cultures d'OGM.

Ela : La France est en retard pour transposer les directives européennes sur les OGM. Pourquoi ?
Philippe Martin :
D'abord parce que la France est souvent en retard sur la transcription des directives européennes. La France parle beaucoup d'Europe et donne souvent la leçon, mais sur cet aspect de la transcription en droit français des directives européennes, elle est très en retard.

Mireille : Le Figaro a révélé il y a quelques jours que des milliers d'hectares d'OGM étaient cultivés dans le plus grand secret. Comment expliquez-vous que cela puisse arriver dans un pays censé pratiquer la transparence ?
Philippe Martin :
Ça veut dire que ce pays, qui est censé jouer la transparence, ne le fait pas. Je crois qu'au contraire, la mission parlementaire avait préconisé le respect d'un triple principe : celui de la précaution, de la parcimonie et de la transparence. Et en réalité, c'est un autre triple principe qui est appliqué en France : celui du risque, de la prolifération et de l'opacité. Aujourd'hui, les agriculteurs qui veulent cultiver des maïs OGM n'ont aucune obligation de déclaration à faire.

Olive : Vous avez tenté d'organiser un référendum sur la culture d'OGM dans votre département. Une tentative qui a été bloquée par le tribunal administratif. Pourquoi une telle intiative de votre part ?
Philippe Martin :
Parce que je crois que l'absence de débat sur les OGM dans notre pays et l'impossibilité pour les citoyens de s'exprimer sur ce sujet conduisent aux actions de désobéissance civique, et donc de fauchage, qu'on connaît. Et j'ai voulu, à l'échelle d'un département, proposer une démarche à la fois participative et citoyenne. L'Etat fait tout son possible pour l'empêcher, probablement parce qu'il craint que cette initiative fasse tache d'huile partout en France. La consultation citoyenne, ça me paraît indispensable pour tout ce qui a trait à l'environnement et au développement durable. Le référendum, pour moi, c'est d'abord la possibilité d'ouvrir le débat. C'est une première chose. Et puis c'est une façon de réintroduire le citoyen entre le scientifique et le politique.

Joviciaz : La science a toujours nécessité quelques risques. L'incompétence des politiques et leur précaution à ne pas déplaire nous mettent en perpétuel retard !
Philippe Martin :
Oui, probablement, mais j'aurais aimé que le principe de précaution soit appliqué dans le dossier de l'amiante ou des farines animales. Peut-être cela aurait-il empêché certaines catastrophes sanitaires ou environnementales. Une prise de risque, bien sûr, je ne suis pas contre la recherche, loin s'en faut. Mais on ne peut pas introduire dans notre Constitution le principe de précaution et s'en affranchir dans un dossier comme celui des OGM.

Joviciaz : Croyez-vous réellement qu'un citoyen lambda est capable de prendre une bonne décision face au problème des OGM ?
Philippe Martin :
Ma réponse est : croyez-vous qu'un citoyen lambda pouvait répondre par "oui" ou par "non" à la Constitution européenne ?

Michel : Si la société Monsanto était française, ne pensez-vous pas que la classe politique se comporterait d'une manière différente ?
Philippe Martin :
Je ne sais pas. Il y a aussi de grosses coopératives françaises et des groupes semenciers français, comme Limagrain, qui font des OGM. Le problème n'est donc pas un problème de patriotisme économique.

Pascalou : Afin de ne pas provoquer la disparition de nos agriculteurs, comment régler le problème de distorsion de concurrence entre l'Espagne, le Brésil ou les Etats-Unis par rapport à la France, sachant que l'on importe de la viande d'animaux nourris aux OGM sans taxes ni barrière réelle ?
Philippe Martin :
C'est un vrai problème. Plus de 90 % de la production d'OGM sont cultivés sur les deux parties du continent américain : Nord et Sud. Et il est clair que les OGM sont, pour les pays concernés, Etats-Unis et Brésil surtout, des enjeux économiques majeurs. Il y a quinze ans de cela, dans les négociations avec les Etats-Unis, la France a perdu la bataille du soja, qui, en grande partie, est importé dans notre pays des Etats-Unis et du Brésil, et qui, donc, désormais, est en grande partie OGM.

Paul_Aymon : Que pensez-vous de la possibilité récente de produire des OGM libres, c'est-à-dire par des procédés "open source", non brevetables, c'est-à-dire échappant au monopole des multinationales sur la production de semences OGM ? Comme les logiciels libres mettent en jeu le monopole de Microsoft.
Philippe Martin :
La question est compliquée. Ce que souligne cette question, c'est l'enjeu majeur que constituent les brevets et les échanges commerciaux qui entourent les brevets. Il est clair que certains grands groupes transnationaux cherchent à breveter des OGM pour pouvoir en tirer bénéfice par la suite.

Moi : Donc, dire que les OGM peuvent être utilisés à des fins humanitaires est complètement utopique ?...
Moi : Pensez-vous réellement que les OGM peuvent permettre d'éradiquer la faim dans le monde, ou vont-ils permettre aux gros exploitant de s'enrichir ?
Philippe Martin :
Je crois que la réponse est contenue dans la question. Il serait faux de dire que la recherche thérapeutique, la recherche publique, ne peut pas aboutir à des progrès qui pourront être utilisés un jour, tant pour des maladies génétiques que pour des problèmes liés à l'alimentaire. Mais je pense que la priorité des groupes qui font des OGM, c'est quand même les profits financiers.

Michel : Le syndrome OGM ne risque-t-il pas de compromettre la recherche dans d'autres domaines, et d'affaiblir les capacités de recherche et développement des organismes publics (comme le CNRS) et des entreprises ?
Philippe Martin :
Ce qui affaiblit les organismes de recherche publics, c'est la faiblesse des budgets que ce gouvernement consacre à la recherche. C'est parce que la recherche publique n'est pas assez puissante qu'une recherche privée se développe, avec d'autres objectifs que l'intérêt général.

M. Mendes : Quel est donc le débouché actuel des OGM ? Est-il possible que nous en consommions sans le savoir (même indirectement) ?
Philippe Martin :
Il est probable que nous en consommions parce que les règles liées à l'étiquetage des produits ne sont pas suffisamment claires pour que le consommateur soit réellement informé. Par exemple, manger de la viande d'un animal qui a été nourri avec des céréales OGM n'apparaîtra pas sur l'étiquetage du boucher ou de la grande surface.

Bbb : Culture normale signifie emploi massif de pesticides et herbicides, ce qui pollue la nappe phréatique, et pose de très sérieux risques pour la santé. Pour la culture d'OGM, aucun risque n'a été prouvé, et pas besoin de pesticides. Qu'en pensez-vous?
Philippe Martin :
Depuis que les hectares d'OGM dans le monde progressent, dans le même temps, on n'a jamais autant consommé de pesticides et d'herbicides sur la planète.

Marc_Bernasconi : Existe-t-il une réglementation spéciale pour les OGM thérapeutiques ?
Philippe Martin :
Non, justement, l'objet de la mission parlementaire qui a eu lieu il y a quelques mois était de voir dans quelles conditions la recherche thérapeutique pouvait continuer de se développer. Il y a un consensus sur la nécessité de faire en sorte que la recherche thérapeutique avec les OGM puisse se poursuivre.

"SURDITÉ DU GOUVERNEMENT"

Steph : Etes-vous pour ou contre l'initiative des faucheurs d'OGM ?
Philippe Martin :
Je ne les approuve pas, mais je peux comprendre que la surdité du gouvernement sur cette question des OGM, l'agacement des élus ruraux qui se voient imposer cette technologie, l'agacement des agriculteurs bio dont les cultures peuvent être contaminées, provoquent ce type de réaction.

Ela : Que pensez-vous des arrêtés anti-OGM de certains maires ?
Philippe Martin :
Je pense que le fait que dans la plupart des cas ils soient annulés par l'Etat aboutit à amoindrir et dévaluer le rôle de ces maires, qui sont pourtant interpellés par leurs administrés sur cette question.

Coolbens.canalblog.com : Le lobbying des agriculteurs est-il puissant au point que les politiques s'inclinent si facilement ?
Philippe Martin :
Je crois que justement, il convient que les hommes politiques puissent résister à tous les lobbies, quels qu'ils soient, pour ne défendre que ce qui leur paraît juste dans l'intérêt général.

Coolbens.canalblog.com : Pourquoi la gauche et la droite ne parviennent-elles pas à discuter raisonnablement de questions d'écologie ?
Philippe Martin :
D'abord parce que la gauche, notamment le Parti socialiste, n'est pas allée assez loin sur cette question, préférant souvent la déléguer aux Verts. Et parce que la droite, notamment libérale, ne peut pas faire de propositions qui défendent véritablement l'écologie.

Sirius2 : L'hostilité aux OGM ne s'apparente-t-elle pas à la campagne anti-vaccinations ?
Philippe Martin :
Non, parce que je crois que les campagnes de vaccination ont désormais largement montré leur utilité. Dans le cas des OGM, les bénéfices attendus sont encore sujets à caution, car les scientifiques ne s'accordent pas tous sur la question.

Coolbens.canalblog.com : Pourquoi la France persiste-t-elle sur la voie de l'agriculture de masse ? Chacun sait que l'impact de l'agriculture intensive est très néfaste sur la flore et la faune.
Philippe Martin :
Justement, je crois qu'elle a tort et qu'il conviendrait d'avoir une agriculture qui soit plus tournée vers le développement durable, c'est-à-dire que les solutions mises en œuvre préservent les éléments naturels pour les générations futures. Mais cela ne peut se résoudre que par une réflexion à l'échelle européenne, et pas simplement française.
Je suis heureux d'utiliser toutes les formes de débat, parce que quelle que soit la position qu'on a vis-à-vis des OGM, il faut surtout débloquer ce débat et jouer la démocratie jusqu'au bout.

Chat modéré par Constance Baudry et Stéphane Mazzorato
LEMONDE.FR | 23.09.05 | 17h02


Le Monde / Europe
L'échec de la rencontre entre Verts et conservateurs renforce la perspective d'une coalition SPD/CSU

 P lusieurs dirigeants des Unions chrétiennes CDU-CSU, dont Edmund Stoiber lui-même, s'étaient montrés pessimistes avant l'entrevue avec les Verts. L'échec de la première rencontre, à l'échelle nationale, entre Verts et conservateurs renforce la probabilité d'une grande coalition entre conservateurs et sociaux-démocrates.

"Rien n'est terminé, mais aucun autre rendez-vous n'a été prévu" pour le moment, a déclaré, à l'issue de la réunion, la candidate conservatrice à la chancellerie, Angela Merkel, précisant que la décision définitive dépendra de la prochaine rencontre prévue avec les sociaux-démocrates mercredi prochain. Son allié bavarois, M. Stoiber, a reconnu que les divergences étaient encore "très très grandes" et ne permettaient pas "pour le moment" d'envisager d'autres entretiens entre les directions des Unions chrétiennes CDU-CSU et les Verts.

DES DIFFÉRENCES "EXTRAORDINAIREMENT GRANDES"

A l'issue de cette première entrevue entre les directions de la CDU-CSU et les Verts, ces derniers, représentés par leurs dirigeants, Reinhard Bütikofer et Claudia Roth, ont déclaré qu'il n'y avait pas de base à partir de laquelle coopérer avec des conservateurs qu'ils considèrent comme des "néolibéraux" hostiles à l'écologie. "Il n'y a pas lieu de recommander à l'exécutif de notre parti de nouvelles discussions exploratoires", a estimé M. Bütikofer, président des Verts.

M. Bütikofer s'est montré très négatif à l'issue de la rencontre : "Les différences sont extraordinairement grandes sur les questions de programme, de personnes et de culture (...). Cela a été clair des deux côtés : il y a toutes les raisons de ressentir un scepticisme considérable" quant aux chances de succès des discussions sur une coalition, a-t-il dit. Quant à la coprésidente des Verts, Claudia Roth, elle a déclaré : "Nous nous préparons à entrer dans l'opposition."

L'HYPOTHÈSE D'UNE COALITION JAMAÏCAINE ÉCARTÉE

Au nombre des hypothèses de coalition possibles après les législatives particulièrement indécises de dimanche dernier, il était question ces derniers jours d'une "coalition jamaïcaine"– allusion aux couleurs du drapeau de ce pays – regroupant les conservateurs de la CDU-CSU (noirs), les libéraux du FDP (jaunes) et les Verts, parti situé à gauche mais qui n'avait pas, a priori, rejeté, l'idée de gouverner avec la droite. Toutefois, selon un sondage Politbarometer, 50 % des Allemands sont contre une telle coalition.

S'exprimant devant les journalistes après les discussions avec les Verts, Angela Merkel a estimé que les discussions avaient été cordiales mais qu'il n'y avait pas lieu, du moins pour le moment, de continuer à discuter. La porte n'est cependant pas définitivement fermée à de nouvelles tractations avec les Verts, à une date ultérieure, a-t-elle toutefois noté. Mme Merkel a par ailleurs fait savoir que la CDU allait désormais se concentrer sur les discussions avec le SPD en vue de la formation d'une grande coalition entre les deux "partis populaires".

Angela Merkel et Gerhard Schröder se sont rencontrés, jeudi, pour des discussions exploratoires et sont convenus de se retrouver mercredi prochain pour de nouvelles discussions. Au-delà de leurs divergences politiques, l'un et l'autre estiment avoir un mandat pour occuper la chancellerie. Le jour même où ils se rencontraient, un sondage réalisé par l'institut Emnid montrait que 47 % des personnes interrogées voulaient voir Mme Merkel accéder à la chancellerie, tandis que 44 % préfèrent que M. Schröder reste à la barre.

Tant qu'aucun accord de gouvernement n'aura été conclu, le chancelier sortant, Gerhard Schröder, expédiera les affaires courantes. Les nouveaux élus doivent se réunir au Bundestag au plus tard le 18 octobre, soit un mois après les législatives, mais ils n'ont pas obligation d'élire un nouveau chancelier tant qu'un accord de coalition n'aura pas été conclu.

Avec AFP et Reuters
LEMONDE.FR | 23.09.05 | 18h27


Le Monde / Opinions
point de vue
Iran : rétablir la confiance, par Philippe Douste-Blazy, Joschka Fischer, Javier Solana, Jack Straw

 S' il est un objectif qui réunit les gouvernements de tous bords, c'est bien celui de mettre fin à la dissémination des armes nucléaires. L'action menée au niveau international pour instaurer un système crédible de prévention de la prolifération de ces armes a pour fondement le traité de non-prolifération des armes nucléaires (TNP). Ce traité compte davantage d'Etats signataires que tout autre. Son respect strict est essentiel pour la sécurité internationale et pour l'efficacité de notre système multilatéral.

Il y a deux ans et demi, l'Iran a été obligé de reconnaître devant l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) qu'il construisait des installations secrètes d'enrichissement de l'uranium et de production de plutonium, pouvant être utilisées pour produire des matières destinées à des armes nucléaires. Par ailleurs, ce pays s'employait, et continue de s'employer, à mettre au point des missiles balistiques qui seraient en mesure de servir de vecteurs à des ogives de ce type. L'Iran paraissait défier le régime de non-prolifération. Des recherches ultérieures ont montré que, pour reprendre les termes de l'AIEA, "la politique de dissimulation de l'Iran (...) a entraîné de nombreuses violations de ses obligations".

Celles-ci laissent sérieusement craindre que le programme nucléaire iranien puisse ne pas avoir, comme l'affirme ce pays, des buts uniquement pacifiques. En vertu des règles de l'AIEA, le cas de l'Iran aurait dû être soumis au Conseil de sécurité des Nations unies, il y a deux ans. Nous avons voulu plutôt trouver une issue qui donnerait à l'Iran la possibilité de dissiper ces préoccupations et de prouver que les objectifs de son programme nucléaire étaient pleinement pacifiques.

Le conseil des gouverneurs de l'AIEA a accepté de suspendre un rapport sur cette question au Conseil de sécurité afin de donner une chance à l'initiative européenne. Le coeur de notre initiative visait à proposer à l'Iran de rétablir la confiance en suspendant l'ensemble de ses activités liées à l'enrichissement et de ses activités de retraitement pendant que nous discuterions d'arrangements à long terme mutuellement acceptables. Le conseil de l'AIEA a adopté à l'unanimité six résolutions successives qui demandaient à l'Iran de suspendre ces activités.

En novembre 2004, l'Iran a fini par accepter d'aller de l'avant sur cette base. L'accord dit de Paris a défini le cadre de nos négociations. Il offrait non seulement la perspective d'une solution à long terme du problème nucléaire mais encore celle de relations plus fortes entre l'Europe et l'Iran, y compris une coopération en matière politique et de sécurité, ainsi que dans les domaines économique et scientifique.

Les enjeux étaient importants, ils le sont encore aujourd'hui. En cas de succès de ce processus, l'autorité du régime de non-prolifération en sortira renforcée. A l'inverse, si l'Iran persiste dans la même voie, l'Asie centrale et le Moyen-Orient, qui sont parmi les zones les plus fragiles du monde, risquent d'être déstabilisés. D'autres Etats pourraient bien chercher à développer leurs propres capacités. Le TNP en sera gravement affecté, tout comme l'objectif d'établir au Moyen-Orient une zone exempte d'armes de destruction massive, cause à laquelle nous sommes attachés. Cela explique le large soutien dont nous bénéficions. Le mois dernier, l'Iran a décidé de défier la communauté internationale en reprenant la conversion d'uranium dans son usine d'Ispahan, mesure unilatérale qui a interrompu nos pourparlers.

L'Iran affirme ne rien faire d'autre qu'exercer son droit à l'usage pacifique des technologies nucléaires, en conformité avec le TNP. Il cherche à présenter le problème comme un différend qui opposerait le monde développé et les pays en développement.

Ces arguments ne résistent pas à l'examen. Personne ne cherche à empêcher l'Iran de produire de l'électricité grâce à l'énergie nucléaire. Nous ne remettons pas en question les droits qui découlent du TNP pour l'Iran, pas plus que pour tout autre pays. C'est pourquoi nous lui avons proposé, en août, dans le cadre d'un accord à long terme, d'apporter notre soutien à son programme nucléaire civil. Mais, si le TNP reconnaît des droits, il comporte aussi des obligations très claires, et il existe de sérieux motifs de craindre que les ambitions nucléaires de l'Iran puissent ne pas être exclusivement pacifiques.

Durant près de vingt ans, l'Iran a caché des activités liées à l'enrichissement et des activités de retraitement qui, en cas de réussite, lui permettraient de produire des matières fissiles pour une arme nucléaire. C'est seulement depuis 2002, avec la découverte de l'étendue de ses activités non déclarées, qu'il en a reconnu l'existence ; encore n'était-ce que sous la pression d'investigations de l'AIEA. L'Iran avait commencé par nier tout enrichissement de matières nucléaires, mais il a été établi qu'il s'y était livré en utilisant deux procédés distincts. Il a également affirmé que son programme d'enrichissement par centrifugation n'avait bénéficié d'aucune aide extérieure, mais il a été établi qu'il avait eu recours au même réseau secret que celui qui avait permis à la Libye et à la Corée du Nord de développer des programmes clandestins d'armement nucléaire.

Aucune logique économique ne justifie l'existence des installations qui se trouvent au centre du différend, les usines d'Ispahan et de Natanz, si celles-ci ont pour unique fonction de produire du combustible destiné à des réacteurs nucléaires, comme l'affirme l'Iran. L'Iran n'a aucune centrale nucléaire susceptible d'utiliser le combustible qu'il dit vouloir produire. Il n'en possède qu'une seule, en cours de construction, dont le combustible sera, par accord, fourni par la Russie pendant dix ans. La Russie a offert de fournir le combustible pendant la durée de vie du réacteur, lequel ne peut fonctionner en toute sûreté qu'avec du combustible russe. L'Iran n'a aucune licence pour fabriquer ce combustible par ses propres moyens et cela ne correspond à aucun argument d'ordre rationnel et économique. Nous avons proposé à l'Iran de coopérer afin qu'il ait des garanties d'approvisionnement en cas de problème avec ses fournisseurs. Trente et un pays dans le monde ont des centrales nucléaires, mais la grande majorité de ceux-ci n'ont pas développé une industrie du cycle du combustible, démontrant ainsi que ces capacités ne sont pas critiques pour développer une industrie nucléaire civile.

Nous avons poursuivi ces négociations de bonne foi. Cependant, de même qu'il a enfreint l'accord de Paris en reprenant les activités qui avaient été suspendues, l'Iran a rejeté, sans même les avoir étudiées sérieusement, les propositions, détaillées, d'accord à long terme que nous avions présentées le mois dernier. Il s'agissait des idées les plus ambitieuses, dans le domaine des relations entre l'Iran et l'Europe, qui aient été émises depuis la révolution iranienne de 1979, idées qui auraient défini les bases de rapports nouveaux reposant sur la coopération.

Au début de la semaine, à New York, dans le cadre des Nations unies, nous avons, publiquement et en privé, réaffirmé notre volonté de travailler avec l'Iran, dans les domaines politique, économique, scientifique et technologique, et notre disposition à explorer les moyens de poursuivre les négociations. Nous avons délibérément choisi d'éviter tout commentaire public susceptible d'accroître les tensions, en dépit de la violation par l'Iran de l'accord de Paris. Mais, dans son discours à l'Assemblée générale le 17 septembre, le président Ahmadinejad n'a montré aucune flexibilité, parlant d'"apartheid nucléaire" et insistant sur l'exercice par l'Iran de ses droits de développer la technologie du cycle du combustible, sans tenir aucun compte des préoccupations de la communauté internationale.

Les projecteurs sont maintenant sur le conseil des gouverneurs de l'AIEA, à Vienne, qui doit répondre. Le dernier rapport de Mohammed ElBaradei conclut que, "après deux ans et demi d'inspections et d'investigations intensives, la pleine transparence de la part de l'Iran est indispensable mais [qu']elle se fait attendre". Si l'Iran persévère dans la voie qu'il suit aujourd'hui, les risques de prolifération sont trop élevés. Nous espérons que tous les membres de la communauté internationale resteront unis. Il nous appartient collectivement de relever le défi.


Philippe Douste-Blazy, ministre français des affaires étrangères.
Joschka Fischer, ministre allemand des affaires étrangères.
Javier Solana, haut représentant pour la politique étrangère de l'Union européenne.
Jack Straw, ministre britannique des affaires étrangères.

par Philippe Douste-Blazy, Joschka Fischer, Javier Solana, Jack Straw
Article paru dans l'édition du 23.09.05


Le Monde / Opinions
Edito du Monde
Zéros de conduite

 E n rendant publique, jeudi 22 septembre, un bilan des connaissances actuelles sur la notion de "trouble des conduites chez l'enfant et l'adolescent", l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) ouvre une boîte de Pandore. Aux confins d'un domaine qui déborde du champ médical pour se situer au carrefour de la psychiatrie, du social et de la justice, l'institut recommande le dépistage systématique, dès l'âge de 36 mois, et la prise en charge précoce de ce "trouble", afin notamment de mieux prévenir la délinquance.

Issu des classifications cliniques anglo-saxonnes, le "trouble des conduites" groupe des comportements très divers, qui vont des simples crises de colère et de désobéissance répétées de l'enfant ou de l'adolescent difficile aux viols et coups et blessures pour les cas les plus graves. Par sa nature moralisante – qu'est-ce qu'une bonne conduite ? – et idéologique – la volonté d'"améliorer les compétences sociales de l'enfant" –, le sujet ne peut qu'enflammer les passions.

Aux Etats-Unis, d'où vient ce vent, une commission installée en 2002 par George W. Bush a préconisé un tel dépistage pour traquer les maladies mentales et les troubles du comportement. Si une vingtaine d'Etats ont commencé de mettre en oeuvre ces examens, des parents ont attaqué des écoles en justice pour n'avoir pas recueilli à ce sujet leur consentement et des associations dénoncent la mesure, destinée, selon elles, à favoriser l'industrie pharmaceutique.

En France, l'Inserm propose donc, avant d'avoir effectué la moindre étude clinique et épidémiologique, que les enfants à problème(s), au tempérament difficile, hyperactif, etc. soient eux-aussi détectés et orientés sur des programmes psychosociaux de "guidance parentale" comme il en existe outre-Atlantique. Il prône, dans le droit-fil d'une étude précédente qui a mis en ébullition les mondes de la psychiatrie et de la psychanalyse, le recours aux thérapies individuelles de type comportementaliste, voire, si nécessaire, aux traitements médicamenteux ayant une action "anti-agressive".

Au moment où paraît en librairie la correspondance de Françoise Dolto (1908-1988), cette célèbre psychanalyste qui a reconnu aux enfants leur part de liberté, cette médicalisation fait question. D'autant plus dans un pays dont la consommation de psychotropes est excessive. A trop s'attacher à la seule disparition de symptômes, le risque est grand de passer à côté d'un questionnement plus large et fondamental, qui traverse aussi la question du traitement de la délinquance : comment la société entend-elle prendre en charge la souffrance psychique, là où elle existe vraiment ?

Est-il besoin de souligner que toute conduite jugée anormale ne débouche pas nécessairement sur la délinquance. Sur le terrain du psychosocial, avant d'appeler au dépistage précoce du "trouble des conduites", il conviendrait probablement de mieux coordonner les approches (comportementaliste, analytique) et si possible d'en promouvoir la complémentarité.

Article paru dans l'édition du 23.09.05


Le Monde / Opinions
Chronique
Electeurs en quête de GPS, par Patrick Jarreau

 L e vote allemand est une sorte de banc d'essai du vote français. Pour presque toutes les forces politiques, de ce côté-ci du Rhin, le choix – ou plutôt le non-choix – des électeurs partagés entre Angela Merkel, Gerhard Schröder, Joschka Fischer, Guido Westerwelle, Oskar Lafontaine, est un test. Mieux qu'un sondage, il apparaît comme une anticipation de ce que pourrait être un vote français. Des sociétés comparables, ayant à affronter les mêmes problèmes, sont placées devant des offres politiques similaires.

Le chancelier sortant a choisi la voie des réformes. Il incarne ce que la gauche de la gauche, dans les deux pays, dénonce comme le "social-libéralisme" ou la résignation à la nécessité d'adapter la société à l'économie de marché. Lionel Jospin disait oui à l'économie de marché, mais non à la société de marché. Gerhard Schröder a plaidé qu'on ne pouvait pas avoir la solidarité sans compétitivité. Ce choix lui a valu de tels déboires, dans les élections locales, qu'il a fini par estimer qu'il ne pourrait pas s'en tirer sans rebattre les cartes. Il a joué son va-tout sur la dissolution, mais il a surpris tout le monde par sa remontée des trois dernières semaines. Avait-il prévu que son adversaire, Angela Merkel, se révélerait une piètre meneuse de campagne ? Pensait-il que le programme de la CDU, une fois que les électeurs en prendraient vraiment connaissance et qu'il serait perçu non pas comme un exercice de style, mais comme annonçant la réalité de demain, ressouderait les électeurs de gauche autour du SPD ? Si ce n'est pas ce qu'il avait prévu, du moins est-ce ce qui s'est passé.

La situation est différente de ce qu'elle fut, en France, après la dissolution de l'Assemblée nationale par Jacques Chirac, en avril 1997, mais quelques points communs existent. D'emblée, à l'annonce de la dissolution, Lionel Jospin avait lancé sa campagne en évoquant la menace d'une "droite dure". Dans l'esprit de Jacques Chirac, d'Alain Juppé et de Dominique de Villepin, la dissolution devait permettre de prendre de court une gauche insuffisamment préparée et de mobiliser les électeurs de droite contre le retour de ceux qui avaient été sévèrement sanctionnés quatre ans auparavant. En fait, la droite a fait plus peur que la gauche.

Avoir empêché Angela Merkel d'atteindre un score correspondant au potentiel de la CDU n'est pas exactement une victoire pour Gerhard Schröder. Il a été devancé, et ses chances de conserver le poste de chancelier sont faibles. Du moins a-t-il évité à son parti et à lui-même d'être réprouvés. La gauche allemande était menacée d'une fracture profonde et durable. Or, c'est plutôt l'inverse qui s'est produit. Certes, Oskar Lafontaine et le Parti de gauche, associant les anciens communistes de l'Est aux dissidents socialistes de l'Ouest, ont réussi une percée. Mais le SPD, le PS allemand, ne s'est pas désagrégé. La menace libérale a convaincu beaucoup d'électeurs de gauche d'aller voter, quand même, pour un parti et un dirigeant avec lesquels ils s'étaient brouillés au cours des derniers mois. Le réformisme de gauche est sorti plutôt renforcé de l'épreuve.

La question qui se pose à Nicolas Sarkozy est de savoir si le réformisme de droite a été, lui, affaibli. Le président de l'UMP a beau prétendre qu'il échappe à ces classements, l'échec d'Angela Merkel a été perçu comme un mauvais signe pour lui. Et un bon pour Dominique de Villepin, qui se présente en réformateur modéré. Les partisans du premier ministre ont vite fait d'opposer son approche respectueuse des habitudes françaises à la "rupture" invoquée par Sarkozy. L'argument a ses limites, puisque la progression du Parti libéral, le FDP, prouve qu'une partie des électeurs ont jugé Angela Merkel trop timorée. Le ministre de l'intérieur peut faire valoir que les électeurs de droite qui, finalement, ne sont pas allés voter pour la CDU ont moins sanctionné la rupture que les hésitations d'"Angie". Peut-être ont-ils témoigné aussi, pour une partie d'entre eux, de leur résistance à l'idée de voir leur pays dirigé par une femme. Cette variable-là est difficile à mesurer, mais on ne peut exclure que, dans ce duel entre un homme et une femme, l'appréciation du leadership de l'un et de l'autre ait été influencée, chez certains électeurs, par des préjugés sur les rôles des deux sexes.

L'expérience allemande va agir, en retour, sur le débat politique français. Chaque pays a son histoire, ses institutions, son mode de gouvernement et des partis qui n'ont ni le même passé ni les mêmes modes de fonctionnement. Néanmoins, dans ce qui est devenu une sorte de désorientation française, le jeu allemand est regardé comme un guide. Le moins qu'on puisse dire est que ce GPS ne fournit pas d'indications très claires aux responsables et aux électeurs égarés entre le non du 29 mai, la dispersion de la gauche, la bataille à droite, Chirac qui se prolonge, Villepin qui s'avance et Sarkozy qui s'agite. Pourtant, à tort ou à raison, le film qui se joue outre-Rhin est perçu ici comme une simulation ou l'un de ces wargames que les experts de politique étrangère ou de stratégie pratiquent, à Washington, pour anticiper sur une situation.

Le jeu est illusoire, sans doute, et méconnaît bien des différences, mais il témoigne qu'en Europe les marchandises, les capitaux et les personnes ne sont pas seuls à circuler librement. Les problèmes politiques et leurs diverses solutions transitent aussi, sinon intégralement entre tous les pays, du moins partiellement ou entre certains d'entre eux. C'est peut-être là le vrai "plan B" après l'échec de la Constitution européenne.

Patrick Jarreau
Article paru dans l'édition du 24.09.05


Le Monde / Opinions
analyse
Les risques d'une mêlée confuse, par Jean-Claude Casanova

 R arement le paysage politique aura été aussi obscur. On voyait plus clair avant le référendum. François Hollande s'était imposé aux socialistes et devenait leur candidat naturel à la présidentielle. Hors du gouvernement, à la tête de l'UMP, au faîte de la popularité, Nicolas Sarkozy avait gagné à droite. Jacques Chirac ne pouvait que renoncer à une cinquième candidature à l'Elysée puisqu'il risquait, face à ces deux candidats, d'être éliminé au premier tour.

Le référendum lui offrait encore un espoir. S'il avait gagné, il aurait pu conserver Jean-Pierre Raffarin un an de plus à Matignon. Il aurait ensuite promu Dominique de Villepin avec la tâche de préparer sa candidature à un troisième mandat présidentiel. Le référendum, dans son esprit, servait trois objectifs : diviser les socialistes, le valoriser lui-même, lui donner du temps avant la décision ultime. Pour la division du Parti socialiste, le résultat dépasse ses espérances. Pour le reste, il s'est affaibli, et c'est M. de Villepin qui a gagné le temps utile à sa propre candidature.

La guerre que se mènent les socialistes et l'affaiblissement de M. Sarkozy ne suffisent pas à remettre M. Chirac en selle. Sa candidature reste improbable parce qu'il a perdu le référendum et les Jeux olympiques et parce que brusquement sa santé paraît fragile. Il a appelé M. de Villepin à Matignon parce qu'il ne pouvait pas faire autrement. Il espère désormais, par l'intermédiaire du premier ministre, éliminer M. Sarkozy.

Cette situation ne se serait pas produite si, lors de la réforme du quinquennat, on avait limité à deux le nombre des mandats qu'un même président peut exercer. On aurait réduit la liberté de choix des électeurs, mais on aurait aussi limité le goût immodéré du pouvoir chez ses détenteurs. Dans cette hypothèse, M. Chirac n'aurait pas organisé son quinquennat dans la perspective de sa réélection en 2007.

Quitte à accepter qu'on lui fasse de l'ombre, il aurait choisi un premier ministre apte à maîtriser un vaste programme de réformes. L'UMP, plutôt que de se créer comme "le parti du président" passé, présent et à venir, aurait pu agir comme une véritable majorité parlementaire.

Une autre difficulté institutionnelle accroît la confusion. L'élection du président de la République existe maintenant depuis plus de quarante-deux ans, mais nous n'avons toujours pas de mécanisme satisfaisant de sélection des candidats avant le premier tour. La division des forces politiques et la force des ambitions personnelles provoquent un trop-plein dont on a mesuré les effets en 2002, puisque les deux candidats retenus pour le deuxième tour ne représentaient ensemble que 36,7 % des voix et 25,4 % des inscrits. Ce risque sera encore plus grand en 2007. Pour réduire le nombre des candidats, il faudrait augmenter le nombre des parrainages requis pour la candidature. A l'approche d'une élection, il est délicat de changer la règle du jeu. Il aurait fallu avoir la sagesse et le courage de le faire dès 2002.

La situation au sein des principales forces politiques n'arrange pas les choses. A gauche, beaucoup de socialistes veulent barrer la route à M. Hollande, soit qu'on lui reproche sa prudence, soit qu'on regrette qu'il se soit aventuré dans un référendum interne. D'autres poursuivent le même objectif à l'égard de Laurent Fabius, qui aurait trahi l'Europe et dont le gauchisme serait artificiel. Les socialistes éviteront sans doute d'avoir deux candidats à la présidentielle, mais leurs hésitations et leurs querelles internes les affaibliront et continueront de favoriser la dispersion des suffrages puisqu'il y aura une multitude de petits candidats de gauche (trotskiste, antimondialiste, communiste, écologiste, etc.).

A droite, deux candidats gaullistes se présenteront, sauf si l'un ou l'autre capitule. Or M. Sarkozy annonce que rien ne le fera céder, et M. de Villepin est déjà en campagne. Il a d'ailleurs adopté la stratégie de Jacques Chirac à l'égard d'Edouard Balladur. Le "modèle social français " menacé tient lieu de "fracture sociale" dénoncée. Il accueillait avec ferveur l'entrée de la Turquie en Europe, voilà qu'il devient réticent. Pour ne pas paraître libéral, il décline le programme de M. Sarkozy sur le mode mineur : on peut subventionner les mosquées, mais sans le dire ; on doit expulser les étrangers clandestins, mais avec humanité. Il accorde aux électeurs de droite et aux catégories privilégiées des réductions fiscales pour 2007 (notamment par le plafonnement des impôts), en se gardant de proposer une réforme globale qui le ferait apparaître comme "ultralibéral".

En matière d'emploi, il introduit un contrat de travail plus flexible, qui facilite pendant deux ans le licenciement, mais il clame que l'Europe entière admire notre droit du travail. Langage habile et manœuvre classique, qui consistent à pousser M. Sarkozy sur la droite et à chercher dans l'opinion et parmi les élus une légitimité opposée à celle que les adhérents de l'UMP accorderont à leur président en le désignant comme leur candidat. Quoi qu'il en soit, la discorde entre gaullistes profitera aux autres candidats du centre et de droite, et augmentera probablement le nombre des abstentionnistes.

Cette confusion contredit les doctrines établies. L'orthodoxie gaulliste expliquait que la désignation du président de la République au suffrage universel favorisait l'union des Français, elle les divise davantage. La science politique annonçait que l'élection présidentielle, accompagnée du mode de scrutin majoritaire aux législatives, donnerait enfin à la France le système bipartisan auquel elle aspire, à l'imitation des Anglais. Ni le PS ni l'UMP ne sont devenus hégémoniques, et ils se divisent...

Les théoriciens du quinquennat soutenaient que si l'élection présidentielle précédait les législatives, il en résulterait le succès d'une majorité parlementaire favorable au président élu. En restent-ils convaincus aujourd'hui ?

Que des théories soient démenties par les faits n'est pas le plus grave dans l'immédiat. Les révisions constitutionnelles viendront plus tard. Dans la configuration politique actuelle, les grands problèmes qui dominent l'avenir politique de la France risquent d'être masqués. Quels seront les institutions, les frontières et le rôle de l'Europe dans le monde ? Comment retrouver un dynamisme adapté à la nouvelle situation économique de la France ? L'Europe entière est ouverte sur un monde asiatique de plus en plus compétitif. Nous devons supporter les coûts sociaux du vieillissement, d'une immigration non qualifiée et de la concurrence internationale. Comme notre croissance est faible, une politique sociale réformée et la hausse des revenus sont rendues difficiles.

A ces deux questions graves, il faudrait des réponses sérieuses et argumentées. Le risque est que l'entremêlement des divisions, les surenchères démagogiques, le poids des extrêmes, l'éparpillement des candidatures, ne rabaissent la politique à un théâtre où s'agitent des marionnettes inspirées par des conseillers en communication. Dans la course présidentielle américaine, tout compte et tous les coups (légaux) sont permis. Mais la dualité profondément installée et le pouvoir de la branche législative bien établi permettent d'offrir aux électeurs avec le choix d'un président une vue claire de son orientation politique.

Puisque nous avons un système présidentiel, demandons aux candidats d'avancer leurs arguments sans hypocrisie et d'expliquer clairement ce qu'ils proposent. On a vu à quoi a mené la fausse élection du second tour de 2002. Prenons garde que les mêmes causes ne produisent les mêmes effets.

Jean-Claude Casanova pour "Le Monde"
Article paru dans l'édition du 24.09.05

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Alcys ♦ 23.09.05 | 17h04 ♦ Comme d'habitude le microcosme politicien barbotte dans l'eau sale pendant que l'appareil économique perd de sa substance. JCC décrit sans trop d'indignation le jeu médiocre de nos élites. Pourquoi faire le diagnostic si c'est pour ajouter à la maladie le malaise du medecin? Impuissance et Mollesse : JCC n'est même plus capable d'une quelconque révolte. Jour après jour , le pessimisme des complices résignés du Monde a pour but de nous guider,pas à pas, vers le libéralisme .
Fabrice B. ♦ 23.09.05 | 16h56 ♦ C'est etrange cette manie de voir le poste de premier ministre comme un tremplin vers la présidentiel alors que depuis Pompidou, quel premier ministre a été élu dans la foulée ? Et à part lui & Chirac qui a été premier ministre puis président ?
Roger D. ♦ 23.09.05 | 16h41 ♦ Et pourquoi ne pas revenir à des Grands Electeurs (les députés par exemple) élus à la proportionnelle par le peuple et donc représentatifs de toutes les opinions du pays, lesquels éliraient le président de la République pour deux quinquennats maximum. Ne serait-ce pas plus sain, plus clair, plus démocratique et cela ne diminuerait-il pas les risques de dérive démagogique et monarchique du pouvoir ?
Jean D. ♦ 23.09.05 | 16h37 ♦ Le pouvoir, le pouvoir, toujours le pouvoir. Mais il rend fou mon bon monsieur. Rares sont les politiques qui le recherche pour tout simplement servir leur pays. Pauvre France.
Paul G. ♦ 23.09.05 | 15h58 ♦ En 2002,sans la candidature de Mme Tobira,Jospin aurait été présent au 2nd tour.Pour éviter une nouvelle "mêlée confuse",il faudrait remplacer le parrainage multiple par un vote électronique collecté par le Conseil Constitutionnel:chaque Grand Electeur proposant un seul candidat.Le secret de ce vote serait levé 3 mois avant le scrutin.Seraient retenus comme valables par exemple les candidats recueillant 10% des parrainages ou bien les 5à6 placés en tête par les Grands Electeurs?
Cl. Courouve ♦ 23.09.05 | 15h04 ♦ "Mêlée confuse" Ah, le beau pléonasme ! Si j'ai bien compris, Jean Claude Casanova souhaiterait une mêlée claire et distincte, cartésienne en somme ... Que Chirac ait perdu les J. O. est loin d'être évident (Paris, Delanoe, la France, les qualités de Londres ont joué); l'erreur de 1997, les régionales de 2004, et le fait qu'il ait été mal réélu en 2002, sont plus pertinents pour 2007. Limiter à 2 quinquennats, voilà qui sera sage, quand politique et sagesse marcheront d'un même pas.


Le Monde / Opinions
Edito du Monde
Social-villepinisme

Le chef du gouvernement, qui s'était déjà fait le propagandiste du "patriotisme économique", invente aujourd'hui un "social-villepinisme" qui est le cousin du premier. M. de Villepin veut réunir les conditions d'un rassemblement et d'une mobilisation des forces vives de la nation pour que "nous ayons la volonté de gagner ensemble, chefs d'entreprise, collectivités, Etat et salariés".

La décision du groupe américain Hewlett-Packard, entreprise qui marche bien au point de réaliser des profits élevés, de réduire de 15 % ses effectifs en Europe a provoqué une levée de boucliers en France. Le maire de Grenoble, le socialiste Michel Destot, est allé plaider sa cause en Californie. En vain. Jacques Chirac a saisi la Commission européenne. Evidemment en vain puisqu'elle ne peut rien faire. En désespoir de cause, M. de Villepin reprend donc une idée qui a cheminé de LO à la LCR puis au PCF, du PS – François Hollande a exprimé, jeudi, la même demande de remboursement des aides publiques – à l'UDF et enfin... à Matignon. Le social-villepinisme trouve ses sources d'inspiration à gauche.

L'injonction du premier ministre masque en fait l'impuissance de l'Etat à empêcher une multinationale de supprimer des emplois. En septembre 1999, Lionel Jospin, lui aussi adepte de "l'équilibre" cher à M. de Villepin, avait assuré, après l'annonce brutale par Michelin, entreprise française réalisant des bénéfices, de 7 500 suppressions d'emplois, que l'Etat ne peut pas tout. "Ce n'est pas par l'administration qu'on va réguler l'économie", avait lancé le premier ministre socialiste avant de faire voter une loi de modernisation sociale que la droite a suspendue en revenant au pouvoir en 2002...

En menaçant HP – car il y a encore loin de la parole aux actes –, M. de Villepin affirme sa différence avec Nicolas Sarkozy. Quand le ministre de l'intérieur et président de l'UMP juge obsolète le modèle social français, M. de Villepin s'en fait l'avocat, revendiquant son interventionnisme – par opposition au "laisser faire" – et se situant même en défenseur de "l'intérêt général". Il n'est pas surprenant que le premier à se démarquer du chef du gouvernement soit l'ancien ministre François Fillon. Pour le nouveau sénateur de la Sarthe, proche de M. Sarkozy, "il faut faire attention de ne pas rendre de plus en plus inhospitalier le territoire français pour les investisseurs étrangers". Le social sera, à l'évidence, un enjeu de la bataille à droite.

Article paru dans l'édition du 24.09.05

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emmanuel G. ♦ 23.09.05 | 17h54 ♦ Peut-on décemment reprocher au Premier ministre de vouloir faire la différence avec un ministre de l'intérieur aussi intellectuellement indigent que prolixe? Non, je ne le crois pas! Aussi, il me semble que M. de Villepin, tout critiquable soit-il, a vocation à s'interroger sur ce non-sens HP. Peut-il toutefois réconcilier justice sociale et capitalisme financier? J'en doute, de même que le cortège des tenants du Non au TCE n'y parviendrait pas plus, sauf à renouer avec un dirigisme dangereux.
champollion ♦ 23.09.05 | 17h51 ♦ Voilà une preuve que faire des cadeaux de ce genre ne mène à rien. Ce n'est qu'un dramatique constat de ce libéralisme sans jamais demander de contrepartie ou exercer un moyen de pression efficace à ces aides qui pourraient servir à autre chose...
Stéphane D. ♦ 23.09.05 | 17h05 ♦ Les classes moyennes Chinoises et Indiennes seront effectivement rapidement plus nombreuses et mieux éduquées que les Européennes. Vers 2015 à peu près, c'est à dire demain. L'entreprise et l'innovation développent les peuples rapidement, par opposition aux années d'étatisme et de communisme qui ont précédé. Il n'y a qu'en France qu'on retourne à l'étatisme pour justifier d'éviter de bosser.
Deathwind ♦ 23.09.05 | 16h59 ♦ L'Europe ne s'appauvrit pas, elle continue à s'enrichir. Ensuite le capitalisme profite à tous, à la fois aux Chinois et Indiens qui s'enrichissent et peuvent acheter des produits francais ce qui enrichit les Francais à leur tour. Le commerce profite à tous, ca n'est pas une machine à sens unique.
Deathwind ♦ 23.09.05 | 16h50 ♦ Les paroles de Villepin sont-elles de la gesticulation politique ? Oui sans aucun doute, il essaye de donner des gages de "social" pour contrebalancer d'autres actions plus "libérales". Au-dela de la forme, peut-on légitimement réclamer le retour de ces subventions ? Juridiquement ca semble douteux à moins que des clauses spécifiques aient été prévues. Economiquement l'Etat risque un effet boomerang car les entreprises risquent de ne plus être réceptives à ce genre d'incitations.
olivier S. ♦ 23.09.05 | 16h48 ♦ Personne n'est dupe dans cette histoire. (sauf nous, comme d'hab.) Evidemment les déclarations de De Villepin font chaud au coeur et ne changent rien à rien. C'est une meilleure méthode de communication que de ne rien dire du tout, ce qui ne donne même pas chaud au coeur. Après tout Villepin dans l'absolu a raison, l'idée est d'ailleurs partagée par toute la classe politique. Bonne occasion de l'ouvrir au contraire je dirais :-)
Nawak ♦ 23.09.05 | 16h39 ♦ On sabre les budgets de recherche, de l'enseignement, on privatise les bijoux de famille, on innove plus, on ne créé plus on fusionne, bref quel valeur aurons-nous à offrir dans quelques années, hormis une plateforme touristique pour classes moyennes indienne et chioinse... Il serait peut-être temps de réactiver la machine au lieu de subir tout ce qui se passe autour...
monrog ♦ 23.09.05 | 16h37 ♦ Puisque le Premier ministre en est à puiser dans l'arsenal de la LCR et de LO, on ne peut que lui conseiller d'aller plus loin et d'emprunter à M. Fabius son projet de supprimer la loi Fillon sur les retraites et d'augmenter leur montant.
Awerle ♦ 23.09.05 | 16h17 ♦ Il n'est sans doute pas utile de créer une nouveau mot en -isme,pour désigner une attitude de bon sens largement partagée parl'opinion publique. Incompréhensible qu'une entreprise faisant des milliards de bénéfices mette à la rue la main d'oeuvre hautement qualifiée à laquelle elle doit une part de son succès.Absurde ce totalitarisme financier obsédé par la maximisation des profits.N'y a-t-il pas risque de tuer ainsi l'innovation...etla poule aux oeufs d'or?
Beasty boy ♦ 23.09.05 | 16h15 ♦ Le Monde compare Villepin à Laguiller... Diantre ! Chirac, affaibli physiquement et par le référendum d'une part et admiratif de Fabius, d'autre part, serait-il aux basques de ce bon Besancenot ?!!! Que nenni ! La vérité, c'est qu'après l'édito friedmanien (de Milton Friedman) de JMC il y a quelques jours, Le Monde considère désormais toute politique non explicitement sarkozyste (car au fond, Sarkozy = Villepin) est de gauche. Ah, misère... Il faudra pourtant bien en sortir !
J-F ♦ 23.09.05 | 15h50 ♦ Quand Arlette ou LCR tiennent de tels propos aberrants, ils sont dans leur rôle car on sait qu'ils ne sont bon qu'à ça. Mais que le premier ministre et le président continuent de faire de la politique d'annonce, ça devient ridicule. Combien de raclées électorales doivent-ils se prendre pour se rendre compte que de telles fausses mesures sont inutiles et qu'au final elles sont même dangereuse puisqu'elles affichent ouvertement la nullité de la classe politique repoussant les gens vers les extrême
JMJ ♦ 23.09.05 | 15h48 ♦ Monsieur Chirac sait parfaitement que la commission européenne ne peut rien contre une décision de licenciement, Monsieur Villepin sait ou devrait savoir que le montant total des aides publiques reçues par HP est de l'ordre de 4 ou 5 millions d'euros alors que l'entreprise n'a pas hésité à acheter la paix sociale lors du précédent plan social pour 300 millions de dollars. Pitoyables gesticulations !
68Soul ♦ 23.09.05 | 15h28 ♦ L'Inde et la Chine comptent non seulement de nombreux ouvriers bon marché, mais aussi de plus en plus d'ingénieurs et informaticiens, hautement qualifiés... et bon marché... ce qui rendra la France "inhospitalière", quoiqu'il arrive, aux yeux d'actionnaires qui visent à accroître leurs dividendes au plus vite... mais si l'Europe va s'appauvrir, qui achètera la camelote? Les classes moyennes chinoises et indiennes? Laissez-moi rire... le capitalisme se mange la queue, au mépris des peuples...
LOUIS MARIE P. ♦ 23.09.05 | 14h13 ♦ Les propos de Monsieur de Villepin ne sont pas surprenants : ils se situent dans la droite ligne du bonapartisme, cette forme aussi autoritaire qu'inefficace de faire de la politique, avec laquelle une bonne partie de la droite n'a pas encore su rompre. Plutôt que de se livrer à de purs effets d'annonce, il vaudrait mieux réfléchir à la question de savoir si notre droit est en mesure de répondre efficacement à la situation.
jacklittle ♦ 23.09.05 | 14h13 ♦ Décidément Mr Dominique de VILLEPIN n'a aucune inquiétude à se faire pour son avenir,le monde politique d'abord,les électeurs ensuite,peuvent l'éjecter du devant de la scène politique et médiatique,sa reconversion est déjà trouvée: l'AFFICHAGE. Ses déclarations tous azimuts de l'affichage,ses "mesurettes" tant sociales que fiscales de l'affichage,ses envolées quasi-lyriques sur le patriotisme économique de l'affichage,ses autres envolées sur la FRANCE:colonnes MORRIS,non colonnes VILLEPIN.
Gregory ♦ 23.09.05 | 13h45 ♦ c´est un peu normal que M. de Villepin essaie d´affirmer sa difference avec M.Sarkozy sur le social, le non (quoiqu´on en dise) au referendum emane d´une peur sur le modele social francais et le neoliberalisme qui envahit peu a peu tous les cercles du pouvoir.
gérard B. ♦ 23.09.05 | 13h41 ♦ Vivons nous dans un Etat de droit? Un principe, posé par la DDHC (1789), en est la non rétroactivité.Soit les subventions ont été accordées inconditionnellement et le Premier Ministre, moins que quiconque, ne peut les reprendre, soit il y avait des conditions, et un service administratif compétent traitera le cas, sans que le PM n'ait à intervenir. Dans tous les cas, celui-ci a raté une occasion de se taire. Gageons que les investisseurs étrangers apprécient cette incertitude juridique.


Le Monde / Médias
Christophe Lambert, président de Publicis France et nouvel auteur à succès
Quand la peur et le plan média font vendre

 D epuis fin août, les Français ont découvert un nouveau visage de la publicité : Christophe Lambert, président de Publicis Conseil France, ami et conseiller de Nicolas Sarkozy. Des plateaux de "Tout le monde en parle" (France 2) au "Fou du roi" (France-Inter), en passant par les pages du Point, Christophe Lambert est partout. Motif de cet engouement : la publication de son livre La société de la peur (Plon), vite qualifié de "livre événement de la rentrée". L'ouvrage est nº4 des ventes d'essais au classement de L'Express du 22 septembre. Après un premier tirage de 7 000 exemplaires, l'éditeur a annoncé un nouveau de 26 000.

Plon explique ces bons chiffres par le titre très accrocheur du livre, "facile à lire, dans l'air du temps et qui raconte ce que les gens veulent entendre" . Titre et ouvrage sont aussi le fruit d'un plan média bien orchestré. Dès l'été, Le Point a négocié la publication des bonnes feuilles de l'ouvrage dès sa parution, accompagnée d'une critique de Nicolas Baverez, connu pour défendre la thèse du déclin français. De même, rendez-vous a été pris avec Jean-Pierre Elkabbach (Europe 1). Le mouvement s'est amplifié, avec une campagne d'affiches dans le métro et sur les bus parisiens ces derniers jours.

UNE FIGURE DE LA PUBLICITÉ

Avec sa plume, M. Lambert prend du poids sur la scène médiatique. A 40 ans, après vingt ans d'une carrière qui l'a conduit jusqu'à la présidence de Publicis Conseil France, M. Lambert incarne la nouvelle génération de publicitaires désireuse de jouer un rôle de premier plan. Pourtant, il n'est guère question de publicité dans La société de la peur . L'auteur s'y interroge sur l'état de la France et livre son constat, plutôt sombre. Depuis trente ans, la France est entrée dans une spirale anxiogène : peur de l'avenir, de l'autre, de la maladie, de la mondialisation, etc. D'où la paralysie d'une société française, hostile à toute prise de risque. "La peur s'est installée et rien ne semble devoir la déraciner ", écrit M. Lambert, pour qui toutefois "la France est capable de rebond ", dû à l'avènement d'une "société des morales ", à condition que le leader de demain soit "un chef moral"...

"Le fait que les gens achètent le livre prouve qu'ils sont sortis du syndrome de l'évitement ", explique M. Lambert, satisfait de l'accueil du public. Il fait la comparaison avec une campagne publicitaire réussie. Au service de quelle marque ? "La marque Publicis et la marque Christophe Lambert !", précise-t-il.

Le succès de cet essai fera-t-il des émules ? Plon dit avoir signé un contrat avec Stéphane Fouks, autre "quadra de la pub", coprésident d'Euro RSCG Worldwide, filiale d'Havas. Parution en 2006.

Laurence Girard
Article paru dans l'édition du 24.09.05


Le Monde / Entreprises
énergie
Les experts pétroliers ont de plus en plus de mal à anticiper l'évolution des cours du baril

 À  la fin du mois de mars, la banque d'affaires américaine Goldman Sachs avait fait sensation en affirmant que le prix du baril de pétrole pourrait prochainement atteindre 105 dollars (86 euros). Quelques semaines plus tard, l'institution financière française Ixis CIB surenchérissait en évoquant la possibilité d'un cours du baril à 360 dollars en 2015.

Prévisions extrêmes et fantaisistes ? Peut-être. Reste qu'aucun expert n'avait envisagé en janvier que le cours de l'or noir puisse grimper jusqu'à 70 dollars. L'évolution des prix du pétrole est-elle imprévisible ?

"Les experts n'ont pas cessé de se tromper depuis deux ans sur les prix du pétrole, jamais sans doute dans de telles proportions" , constate Bruno Cavalier, économiste au Crédit agricole. A priori, l'exercice de prévision semble relativement simple : l'or noir est un produit physique dont le prix d'équilibre est théoriquement fixé par l'offre, la demande et les stocks.

"Le cours du pétrole paraît être une variable moins multidéterminée qu'un taux de change ou qu'une action" , note M. Cavalier. Mais la pratique se révèle beaucoup plus complexe. D'abord parce que du côté de l'offre, les incertitudes sont nombreuses. Incertitudes à court terme, la production d'or noir étant directement influencée par des éléments imprévisibles, comme, par exemple, les cyclones Katrina et Rita.

Incertitudes à long terme, aussi, les estimations des réserves pétrolières variant de 780 milliards à 1 100 milliards de barils ! Elles sont d'autant plus sujettes à caution qu'elles émanent des Etats et des compagnies pétrolières eux-mêmes. Début 2004, Shell avait reconnu avoir surestimé de 20 % ses réserves prouvées.

Ces divergences d'anticipation sur les stocks ont une influence directe sur les prix actuels, le pétrole ayant la particularité de ne pas être une ressource "reproductible", comme peuvent l'être par exemple le coton ou le blé, mais "épuisable". "Si depuis 1974, le prix du pétrole avait augmenté au rythme optimal d'une ressource épuisable, le pétrole vaudrait aujourd'hui 122 dollars le baril" , note Patrick Artus, économiste chez Ixis CIB. La flambée actuelle ne serait ainsi qu'une sorte de rattrapage des prix trop bas du passé.

Enfin, le fait que plus de la moitié de la production d'or noir soit contrôlée par l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), cartel susceptible à tout moment d'augmenter ou de restreindre la production, perturbe considérablement le fonctionnement du marché et le libre ajustement de l'offre et de la demande.

De façon plus générale, le fait que la plupart des grands pays producteurs soient aussi des pays "géopolitiquement" ultrasensibles, comme l'Irak, l'Arabie saoudite – ou encore le Venezuela et le Nigeria – a pour effet d'accroître la volatilité des cours du brut.

Mais les incertitudes qui entourent la demande d'or noir sont au moins aussi grandes que celles qui concernent l'offre. "C'est l'incapacité à évaluer correctement la hausse de la demande chinoise de pétrole qui explique pour une bonne part les erreurs de prévision des dernières années" , souligne M. Cavalier. A elle seule, la Chine a représenté, en 2004, près du tiers de l'accroissement de la demande mondiale d'or noir. Les conséquences du boom économique de la Chine sur le prix du baril sont d'autant plus difficiles à cerner que de nombreux économistes soupçonnent Pékin de sous-estimer délibérément sa croissance. Impossible, dans ces conditions, de deviner les besoins réels en pétrole de la Chine.

"ÉNORME BULLE SPÉCULATIVE"

Le flou qui entoure l'offre et la demande de pétrole fait le jeu des spéculateurs. "Le pétrole se comporte de plus en plus comme un actif financier, ce qui rend les prévisions sur son prix plus délicates encore" , déclare M. Cavalier. De la même façon qu'ils interviennent sur les indices boursiers et les emprunts d'Etat, les fonds spéculatifs cherchent à tirer profit, sur les marchés à terme, des évolutions du cours du brut.

Steve Forbes, le milliardaire américain éditeur du magazine financier éponyme, estimait le 30 août que le pétrole était victime d'une "énorme bulle spéculative" qui va éclater d'ici à un an. "La spéculation peut amplifier les tendances de fond, mais pas expliquer ce que l'on observe aujourd'hui" , estime au contraire Jean-Philippe Cotis, économiste en chef de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), une organisation qui a décidé... de ne plus établir de prévisions sur les cours du pétrole !

Pierre-Antoine Delhommais
Article paru dans l'édition du 24.09.05


Le Monde / Régions
Trois questions à Isabelle Grémy

 V ous êtes directrice de l'Observatoire régional de santé (ORS) d'Ile-de-France. Pourquoi avoir réalisé cet Atlas de la santé en Ile-de-France ?
Il y a trois ans, un directeur régional des affaires sanitaires et sociales avait demandé de pouvoir disposer de données sanitaires plus proches des territoires. L'originalité de cet Atlas est de fournir cette approche "territorialisée" et d'avoir été réalisé grâce à la collaboration de tous les partenaires (Insee, IAURIF, caisses d'assurance-maladie, direction régionale des affaires sanitaires et sociales, professionnels de santé, etc.).
Il arrive au bon moment car les décisions dans le domaine sanitaire se prennent de plus en plus au niveau régional – notamment la mise en place des programmes régionaux de santé – du fait de la décentralisation et de la nouvelle loi de santé publique.

Quelles sont les particularités de l'Ile-de-France ?
Sous l'apparence de bons indicateurs, notamment en terme d'espérance de vie, de morbidité et d'offre de soins, cette région recouvre un paysage social particulièrement contrasté et des territoires très déficitaires. Par exemple, alors que l'on enregistre, dans les Yvelines, 241 décès pour 100 000 habitants parmi les hommes de moins de 65 ans, ce chiffre atteint 324 pour 100 000 en Seine-Saint-Denis. En outre, l'importante concentration de populations en situation de précarité entraîne des pathologies – comme le saturnisme ou la tuberculose – qui sont liées à cette précarité et que l'on ne retrouve pas, dans les mêmes proportions, dans d'autres régions. Il en est de même pour les problèmes environnementaux – pollution, bruit – liés à la forte urbanisation de l'Ile-de-France.

A quoi va servir cet atlas ?
A montrer, par exemple, à quel point l'offre de soins en médecine de ville est mal répartie, à quel point il existe un déficit impressionnant d'infirmières libérales ou d'établissements pour les personnes lourdement handicapées. Nous mettons le doigt là où ça fait mal.
En raison du coût des loyers, des problèmes de transport et d'insécurité, les infirmières libérales fuient l'Ile-de-France. Cela crée une vraie difficulté à l'heure où le nombre de personnes âgées ne cesse d'augmenter. Nous espérons que cet atlas deviendra un outil pour aider les collectivités à faire des choix et qu'il contribuera à la création d'une plate-forme coordonnée d'observation sur les questions de santé.

Propos recueillis par Sandrine Blanchard
Article paru dans l'édition du 24.09.05


Le Monde / Régions
Les Franciliens inégaux devant le système de santé

 L' Institut d'aménagement et d'urbanisme de la région Ile-de-France publie, vendredi 23 septembre, le premier Atlas de la santé en Ile-de-France, un gros ouvrage illustré de 150 pages (Iaurif, 15, rue Falguière, Paris-15e, 40 euros), fruit d'un travail collectif entre un organisme dépendant du conseil régional et des experts du ministère de la santé.

Il réunit un ensemble de données, jusque-là dispersées, sur la santé des Franciliens et sur l'offre de soins dans la région de France où les contrastes sociaux sont les plus marqués avec des populations aisées à l'ouest et des territoires plus défavorisés au nord et au nord-est.

La santé n'échappe pas aux clivages souvent mis en évidence pour le logement ou l'emploi. Ainsi, la Seine-Saint-Denis, le seul département de la région à avoir enregistré une baisse du revenu moyen de ses habitants entre 1984 et 2000, est aussi celui où la mortalité néonatale est la plus forte et où le taux de mortalité due au cancer est le plus élevé, chez les hommes comme chez les femmes.

Une durée de vie élevée au sud-ouest de la région. L'espérance de vie ne cesse d'augmenter en France, au rythme d'une année gagnée en moyenne tous les quatre ou cinq ans. Cette progression est particulièrement marquée en Ile-de-France, première région, depuis 2001, pour l'espérance de vie masculine (77,1 ans), troisième pour l'espérance de vie des femmes (83,4 ans), derrière les Pays de la Loire et Rhône-Alpes.

L'explication tient en partie à la surreprésentation, dans la région, des cadres et des catégories sociales supérieures, qui bénéficient d'une espérance de vie supérieure à la moyenne.

Une mortalité infantile plus élevée. Le taux de mortalité infantile est légèrement supérieur en Ile-de-France (4,7 pour mille) qu'au niveau national, alors que l'inverse a longtemps été vrai. L'explication est dans la situation très défavorable de la Seine-Saint-Denis (5,7 pour mille). Aucun autre département de France métropolitaine ne présente un taux de mortalité infantile aussi élevé.

Davantage de cancers mais une mortalité en baisse. Plus de 40 000 Franciliens sont atteints chaque année d'un cancer, ce qui est comparable au niveau national. Au cours des vingt dernières années, la mortalité due au cancer a davantage régressé en Ile-de-France (– 20 %) qu'au plan national (– 11 %) chez les hommes, tandis que les femmes ont connu une baisse comparable à la moyenne nationale (– 12 %).

On sait que les disparités géographiques de la mortalité par cancer sont considérables en France, de 271 décès pour 100 000 dans le Gers à 435 dans le Nord ou le Pas-de-Calais. On retrouve ces disparités en Ile-de-France, avec 286 décès pour 100 000 à Paris et dans les départements de l'ouest, contre 369 pour 100 000 en Seine-Saint-Denis. Paris est, en outre, le département qui présente le taux de mortalité par cancer du poumon le plus élevé de France chez les femmes (+ 60 % par rapport à la moyenne nationale).

45 % des malades du sida. Avec 26 083 cas de sida répertoriés entre 1978 et 2003, la région reste la première touchée par l'épidémie en France métropolitaine, notamment Paris, où le nombre de cas diagnostiqués depuis huit ans est sept fois plus important que dans les Yvelines.

Contrairement à ce qui est observé dans les autres régions, l'épidémie ne faiblit pas en Ile-de-France. Elle touche de plus en plus des femmes (33 %) et des hétérosexuels (58 %). Enfin, plus de la moitié des personnes contaminées sont des étrangers, principalement originaires d'Afrique subsaharienne.

80 % des cas de saturnisme infantile. Pathologie liée à l'habitat dégradé, le saturnisme infantile (ou intoxication au plomb) fait l'objet d'un dispositif de surveillance en Ile-de-France depuis 1992. En dix ans, 24 526 enfants ont été dépistés et 6 935 cas mis en évidence. La quasi-totalité des actions de dépistage est le fait de Paris et de certaines communes de Seine-Saint-Denis, comme Aubervilliers. Ces deux départements sont fortement exposés du fait des caractéristiques de leur parc de logements. Toutefois, la carte des résidences principales construites avant 1948 montre que certaines communes de l'Essonne et de Seine-et-Marne sont potentiellement concernées par cette pathologie.

Moins de médecins généralistes. En 2001, sur les 23 496 médecins libéraux d'Ile-de-France, 10 247 (43,6 %) exerçaient la médecine générale, une densité plus faible que la moyenne nationale. Paris et l'ouest de la région concentrent une offre importante, qui décroît à mesure que l'on s'éloigne du centre, à l'exception des zones fortement urbanisées de grande couronne (Fontainebleau, Provins, Pontoise, Meaux, etc.).

Jusqu'à 67 % de spécialistes à Paris. En Ile-de-France, les médecins spécialistes représentent 56 % de l'ensemble des praticiens libéraux, contre 47 % en France métropolitaine. Cette proportion atteint 67 % à Paris, mais plafonne à 45 % en Seine-et-Marne. Sevran (Seine-Saint-Denis) compte par exemple onze fois moins de médecins spécialistes que Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine). Villetaneuse ne compte aucun spécialiste courant (du type gynécologue ou pédiatre) et ne recense que deux dentistes. A l'inverse, les psychiatres, dont un tiers sont installés en Ile-de-France, sont concentrés à Paris (63,7 %).

Des infirmières libérales en nombre insuffisant. Le mouvement est inverse pour les infirmières libérales, qui sont moins nombreuses à mesure que l'on s'éloigne du coeur de l'agglomération vers les cantons les moins urbanisés de la grande couronne. Leur nombre n'a cessé de décroître entre 1998 et 2002 : – 18 % dans les Hauts-de-Seine, – 14 % dans l'Essonne, – 13 % à Paris. Globalement, la densité d'infirmières libérales est deux fois moindre en Ile-de-France que dans le reste de la France.

Une région qui vieillit et qui prend mal en charge ses personnes âgées. Depuis 1980, l'offre d'hébergement pour les personnes âgées a progressé de plus de 30 % en Ile-de-France, mais le taux global d'équipement reste en deçà du niveau moyen national. Paris et la proche couronne figurent parmi les territoires les moins bien équipés. L'offre régionale de places médicalisées est de 145 pour mille personnes âgées de plus de 75 ans (contre 153 pour mille au niveau national). Elle va de 192 à 215 places pour mille dans les départements de grande couronne à 85 places pour mille à Paris.

Christine Garin
Article paru dans l'édition du 24.09.05


Le Monde / Europe
L'hypothèse d'une "grande coalition" CDU-SPD fait son chemin en Allemagne
BERLIN de notre envoyé spécial

 P our la première fois depuis le scrutin qui a plongé la vie politique allemande dans la confusion, la présidente du Parti chrétien-démocrate allemand, Angela Merkel, et le chancelier social-démocrate Gerhard Schröder se sont consultés jeudi 22 septembre à Berlin pour discuter de la faisabilité d'une "grande coalition" pour gouverner l'Allemagne. Les deux formations de l'Union chrétienne, la CDU et la CSU bavaroise, qui forment le même groupe parlementaire au Bundestag, étaient arrivées en tête des élections législatives du 18 septembre avec 35,2 % des suffrages et 225 sièges, contre 34,3 % et 222 sièges au SPD.

A l'issue de ce rendez-vous, Franz Müntefering, le président du SPD, s'est montré conciliant : "la perspective est ouverte pour des pourparlers concrets" , a-t-il dit. Tout en relevant des "divergences", Mme Merkel a qualifié ces consultations de "constructives" . Les deux parties ont convenu de se revoir mercredi prochain 28 septembre. Vendredi, les chrétiens-démocrates devaient sonder à leur tour les Verts (8,1 % des voix, 51 députés), auxquels ils proposent avec insistance de rallier une coalition avec leur allié naturel, les libéraux du FDP (9,8 %, 61 élus).

En dépit de ces consultations préliminaires, la partie de poker menteur engagée par M. Schröder et Mme Merkel se poursuit. Malgré sa contre-performance électorale, la chef de file de la droite a répété que c'est elle qui a "reçu le mandat de mener les pourparlers" destinés à former un gouvernement "stable" . Au contraire, le président du SPD a réaffirmé que son parti souhaitait gouverner, "sous la direction de M. Schröder" , et selon un programme fortement inspiré du sien.

Signe de tensions persistantes, les dirigeants conservateurs ont dénoncé le projet prêté jeudi matin au SPD de modifier le règlement du Bundestag afin de scinder le groupe conservateur entre ses deux composantes : la CDU et sa soeur bavaroise, la CSU. Cette idée, que les sociaux-démocrates se sont empressés de démentir sous la pression de leurs adversaires, aurait eu l'avantage de faire de leur groupe le plus important du Bundestag. Et de les mettre en position d'être chargé par le président de la République, le chrétien démocrate Horst Köhler, de mener les négociations gouvernementales.

Malgré ces passes d'armes, l'hypothèse d'un gouvernement CDU-SPD continue de faire son chemin. A eux deux, les deux grands partis, bien qu'affaiblis par le scrutin de dimanche, atteindraient facilement la majorité de 307 sièges requise au Bundestag. "En l'état actuel des choses, on se dirige vers une grande coalition" , a estimé le ministre sortant des affaires étrangères, le Vert Joschka Fischer, dans le quotidien Tageszeitung . Tandis que M. Müntefering venait de présenter les principes qu'il entend défendre, M. Schröder s'est montré plus ambigu que jamais sur l'ambition affichée depuis dimanche de se maintenir à la chancellerie : "l'objectif de mon parti est identique au mien" , s'est-il borné à dire aux journalistes.

Les schémas alternatifs de coalition suscitent de fortes réticences parmi les petits partis. Sourds aux appels des dirigeants sociaux-démocrates, les libéraux rejettent tout rapprochement avec la formation de Gerhard Schröder. "Nous avons fait campagne contre le gouvernement sortant, ce n'est pas le moment de faire alliance avec lui" , répète Guido Westerwelle, leur président.

De leur côté, les Verts hésitent. "Les programmes sont difficilement compatibles", ont répété leurs dirigeants, avant même de voir Mme Merkel. La candidate à la chancellerie a elle aussi pointé les "grandes divergences" qui existent entre les conservateurs, et les écologistes. Son allié bavarois Edmund Stoiber, le chef de la CSU, considère qu'une telle alliance serait "extraordinairement difficile" à mettre en place. Quant au troisième petit parti représenté dans le nouveau Buntdestag, le Parti de gauche d'Oskar Lafontaine et de Gregor Gysi (8,7 %, et 54 députés), il a été exclu par les autres des négociations.

Philippe Ricard
Article paru dans l'édition du 24.09.05


Le Monde / International
Après le triomphe électoral de M. Koizumi, le Japon peine à se trouver une opposition

 L e triomphe du Parti libéral- démocrate (PLD) aux législatives du 11 septembre signifie-t-il que l'électorat a donné carte blanche au premier ministre Junichiro Koizumi ? Une fois passé l'effet de surprise, les commentateurs politiques analysent plus froidement la "déferlante" qui a donné une majorité absolue au PLD et une hégémonie des deux tiers à la coalition qu'il forme avec le parti centriste Komei.

La réforme de la Poste présentée à nouveau

Le Parti libéral-démocrate (PLD) a décidé, jeudi 22 septembre, de présenter à nouveau à la Diète (Parlement), sans modification majeure, la réforme postale emblématique du premier ministre Junichiro Koizumi. La commission ad hoc du parti a simplement changé quelques mots dans le projet de loi de privatisation de la Poste, dont le rejet par le Sénat avait conduit M. Koizumi à provoquer les élections anticipées du 11 septembre.

Il y a peu de doute que la réforme postale sera adoptée cette fois par la Diète, d'autant que M. Koizumi – plébiscité par les urnes – continue à bénéficier d'une popularité record selon les sondages d'opinion. Sa cote n'a cessé de croître depuis qu'il a décidé de dissoudre la Chambre des représentants le 8 août, entraînant un raz de marée électoral historique pour le parti dominant de la vie politique nippone à la Chambre des représentants (296 députés sur 480). – (AFP.)

Cette victoire, estiment-ils, reflète imparfaitement le sentiment du pays. Le système électoral (qui combine scrutin uninominal et représentation proportionnelle) a amplifié en effet la percée du PLD : celui-ci a obtenu 73 % des sièges au scrutin majoritaire avec seulement 47 % des suffrages. Le Parti démocrate (PD), principale formation d'opposition, a recueilli 36 % des suffrages mais n'a que 17 % des sièges.

Selon le politologue Norihiro Narita, la victoire du PLD est due aux voix d'une partie de l'électorat sans affiliation partisane qui, aimantée par le populisme de M. Koizumi, s'est rendue aux urnes (le taux de participation a augmenté de 7,7 %) et a voté pour lui. "Les chances d'une alternance se sont évanouies mais cela ne signifie pas que le système en place soit solide" , commente-t-il.

Provoqué par le "phénomène Koizumi", le raz de marée libéral démocrate peut être suivi d'un reflux. Si M. Koizumi déçoit, l'électorat flottant peut l'abandonner aussi facilement qu'il l'a plébiscité, note le Tokyo Shimbun . La vieille "machine" de pouvoir clientéliste du PLD a été ébranlée, mais sa nouvelle base est versatile et le parti est plus vulnérable.

Ces élections ont certes marqué des évolutions. Avancée inattendue du PLD dans les zones urbaines (notamment à Tokyo) ; rajeunissement et relative féminisation du camp conservateur ; nouveau rapport entre l'électeur et le candidat, moins perçu comme le défenseur d'intérêts locaux que comme le "porte-parole" du premier ministre.

Cette modernisation de l'échiquier politique comporte cependant des ombres. Grâce à l'imposante majorité détenue avec le parti Komei, le PLD peut régner en "maître" sur le Parlement. Même si la Chambre haute est récalcitrante, tous ses projets de loi seront adoptés en deuxième lecture par la Chambre basse. Réduire la première à être une chambre d'enregistrement "n'est pas sain" , estime le politologue Mitsuru Uchida. Une autre ombre est le laminage de l'opposition interne et externe au parti dominant.

Le premier ministre a étouffé le pluralisme au sein du PLD par l'éviction de ses opposants. Il s'est forgé, en revanche, une base de soutien avec ceux que la presse a baptisés ses "enfants" – 83 élus (sur 296) dont il a parrainé la candidature. Dans un premier temps, il est peu probable que quiconque au PLD ait le courage de s'opposer à M. Koizumi.

La victoire du PLD doit beaucoup au Komei, "bras séculier" de la secte bouddhique Soka gakkai (10 millions de foyers), en raison des alliances électorales au niveau local. Au cours des six années de coalition avec le PLD – en particulier sous les cabinets Koizumi –, le Komei a "avalé des couleuvres" en soutenant une politique éloignée des valeurs de la secte mère (officiellement, les deux organisations sont distinctes).

Le pacifisme de la Soka gakkai a été malmené par l'envoi de troupes en Irak, et les visites de M. Koizumi au sanctuaire shinto Yasukuni – où sont honorés, parmi les morts pour la patrie, des criminels de guerre – ne sont pas pour plaire aux membres d'une organisation bouddhique dont le fondateur fut persécuté par le régime militariste. Embarrassée, la secte fait valoir que le Komei est un parti politique tenu à des compromis, mais qu'elle ne transige pas sur ses valeurs. Le Komei défendra-t-il celles-ci plus activement et prolongera-t-il son opportunisme au risque de lasser des fidèles ? Il a perdu trois sièges le 11 septembre.

L'opposition est, elle, affaiblie. Même avec un nouveau président à leur tête, les démocrates peineront à donner une colonne vertébrale à un parti formé de transfuges du camp conservateur et de sociaux-démocrates, qui s'est vu soustraire le réformisme dont il se voulait le tenant par le "théâtre Koizumi". La gauche traditionnelle, sociale-démocrate et communiste, laminée aux législatives de 2003, a conservé ses faibles forces (16 sièges). Dans la liste proportionnelle, elle représente près de 9 % des électeurs.

HÉRITAGE HISTORIQUE

La gauche japonaise a été la victime de la fin de la guerre froide. De la défaite de 1945 à la décennie 1980, elle fut le contrepoids à l'origine du compromis social du Japon de l'expansion, contraignant le PLD à mener une politique de redistribution de la richesse. Alors deuxième force politique (25 % des suffrages), le Parti socialiste (PS) connut son dernier grand moment à la fin des années 1980 sous la présidence de la charismatique Takako Doi. Mais l'arrivée au pouvoir en 1994 d'un premier ministre socialiste, Tomiichi Murayama, dans un gouvernement de coalition avec le PLD, lui porta un coup fatal. Afin de rompre avec un discours figé dans l'idéologie, le PS renia son héritage historique (contestation de la légitimité des forces d'autodéfense et de l'alliance américaine).

Déchiré, il se saborda en 1996 pour donner naissance à l'actuel Parti social-démocrate. Ses dissidents ont trouvé refuge au PD. Le Parti communiste qui, dans les années 1970, participa au mouvement eurocommuniste en se démarquant de Moscou et de Pékin, a conservé, lui, sa base militante et ses sympathies dans le monde intellectuel, mais il n'a pas su renouveler son image.

"L'hégémonie du PLD est paradoxalement une chance pour la gauche traditionnelle" , estime néanmoins Yasuo Ogata, directeur du bureau international du PC et membre de la Chambre haute : "Le PD n'est pas parvenu à se distinguer du PLD, et la gauche traditionnelle représente la seule voix d'opposition à l'orientation néolibérale du gouvernement." Minoritaire, la gauche traditionnelle véhicule un message cohérent et modéré mais peine à se faire entendre.

Philippe Pons
Article paru dans l'édition du 24.09.05


Le Monde / Horizons
Enquête
Tali Fahima, une Israélienne trop curieuse
Tali Fahima, jeune juive israélienne de 29 ans, le 26 janvier, devant la Cour suprême de Jérusalem. | EYAL WARSHAVSKY/BAUBAU
EYAL WARSHAVSKY/BAUBAU
Tali Fahima, jeune juive israélienne de 29 ans, le 26 janvier, devant la Cour suprême de Jérusalem.

 L' image est toujours la même : encadrée par des policiers, une jeune femme pâle, les cheveux noirs sévèrement tirés sur la nuque, ébauche un sourire dans une salle de tribunal. Le regard est assuré, la silhouette fine, presque frêle, juvénile. De son passé de secrétaire dans un cabinet d'avocats, Tali Fahima a gardé le maintien strict et les lunettes à montures noire qui durcissent son visage anguleux. C'est cette image que les Israéliens ont découverte il y a un peu plus d'un an, lorsque cette jeune femme de 29 ans a été décrétée "danger pour l'Etat" .

Incarcérée le 10 août 2004, Tali a passé sept mois dans le plus total isolement, en détention administrative. Cette procédure d'exception, héritée du mandat britannique sur la Palestine avant 1948, permet d'emprisonner des années et sans procès toute personne supposée représenter un danger pour la sécurité nationale. Des milliers de Palestiniens et quelques activistes israéliens d'extrême droite ont connu et connaissent l'arbitraire du procédé. Mais c'est la première fois qu'une femme juive en est victime. Aujourd'hui en détention préventive – depuis cinq mois –, Tali attend maintenant la suite de son procès, ouvert en juillet à Tel-Aviv. Les prochaines audiences – à huis clos, comme les précédentes – sont prévues fin octobre. Quelle qu'en soit l'issue, le cas Fahima n'a pas fini de soulever des interrogations sur l'état d'esprit actuel de la société israélienne.

A première vue, les faits reprochés à la jeune femme sont graves. Elle est accusée d'avoir participé à la préparation d'attentats, d'avoir "prêté assistance à l'ennemi en temps de guerre" et d'avoir illégalement porté une arme. L'intéressée récuse catégoriquement chacune des charges. Elle admet seulement s'être rendue plusieurs fois à Jénine, en Cisjordanie occupée, entre septembre 2003 et août 2004. Son intention, jure-t-elle, était de venir en aide aux enfants du camp de réfugiés local, particulièrement éprouvé durant ces années d'Intifada. Une démarche rare, totalement incompréhensible pour l'immense majorité de la société israélienne. Pour les institutions militaires et sécuritaires, c'est une trahison. Car, inconscience ou naïveté, Tali Fahima n'a pas fait les choses à moitié.

Sachant que son projet "humanitaire" était voué à l'échec sans le feu vert et le soutien des activistes palestiniens – les véritables maîtres du camp ––, elle s'est adressée au premier d'entre eux, un nommé Zacharia Zubeidi. Chef local des Brigades des martyrs d'Al-Aqsa, un groupuscule armé qui a revendiqué plusieurs attentats-suicides en Israël, le jeune Zubeidi était présenté comme l'un des "terroristes" les plus recherchés par Israël. Juliano Mer Khamis, un cinéaste israélien engagé, connaît le Palestinien de longue date. Dans les années 1990, sa propre mère, Arna Mer Khamis, avait fondé un théâtre pour enfants à Jénine, et Zacharia Zubeidi, alors adolescent, avait participé au projet. Juliano avait tiré de cette expérience un poignant documentaire en 2003.

"Zacharia m'a demandé ce que je pensais de cette dénommée Tali , se souvient le cinéaste. Je lui ai dit qu'elle avait les mêmes intentions que ma mère , mais je lui ai recommandé d'être prudent." Après tout, inconnue des mouvements de gauche et pacifistes israéliens, Tali, l'oiseau solitaire, pouvait très bien être télécommandée par le Shin Beth, le puissant service israélien de la sécurité intérieure.

En quelques visites à Jénine, la jeune femme gagne la confiance des Palestiniens. Elle s'efforce de lever des fonds pour acheter livres et ordinateurs pour les enfants réfugiés. "Elle était pleine de bonnes intentions" , assure Joseph Algazy, un ancien journaliste qui, à l'instar d'une partie de l'extrême gauche israélienne, soutient Tali face aux autorités. "En 2003, une équipe de la télévision israélienne l'a même suivie à Jénine, souligne-t-il. Vous pensez qu'elle aura it médiatisé ses petites affai res si tout cela n'avait pas été "kasher" ?" Dans le reportage en question, Tali, tout sourire, arpente les rues du camp au côté de Zacharia, lourdement armé, comme à son habitude. Image forte, image insoutenable pour une opinion publique meurtrie et révoltée par les attentats. D'autant que la jeune Israélienne ne s'en tient pas là ! Quelque temps après, alors que les lieutenants de l'activiste palestinien sont éliminés les uns après les autres par l'armée, elle se déclare prête à lui servir de "bouclier humain". Romantisme ou provocation ? Ce comportement met définitivement Tali Fahima en marge de la société dont elle est issue.

"Tu as parlé avec des Arabes, ta place est en prison, telle est la sentence d'Israël" , résume Sarah Lakhyani, sa mère. Un an que cette petite dame vive clame l'innocence de sa fille. "Après son arrestation, le Shin Beth l'a présentée de la manière la plus laide qui soit." Ancienne ouvrière textile, au chômage depuis des mois, Sarah s'énerve : "Ils ont laissé entendre qu'elle avait une histoire d'amour avec un Palestinien, et même qu'elle était enceinte de lui. Comme si cela ne suffisait pas, ils ont choisi 'le pire', ce Zacharia Zubeidi. Mais à Jénine, tout le monde le sait, elle passait son temps avec les femmes et les enfants !"

Juliano Mer Khamis, le cinéaste engagé, est tout aussi révolté. "On aura tout entendu sur Tali, elle a été démonisée, accusée d'avoir trahi 'la tribu' [le peuple juif], d'être une pute pour Arabes. A son époque, ma mère aussi a été insultée sur ce mode-là." Pour Joseph Algazy, "le fait que Tali soit une femme, séfarade, d'origine modeste et, par tradition familiale, marquée à droite a certainement aggravé son cas". A mille lieues des groupes gauchistes bien connus des "services", Tali a effectivement engagé un combat solitaire, atypique, propre à affoler les services de renseignement. "Si elle l'a fait, pourquoi des milliers de gens ne décideraient pas, demain, d'aller voir de près la réalité de l'occupation dans les territoires ? ", interroge Lin Chalozin-Dovrat, responsable d'une organisation pacifiste qui soutient Tali. "Pour éviter cela, la justice va faire un exemple. L'Etat est toujours prêt à accepter quelques manifestations propalestiniennes pour montrer combien il est démocratique. Mais, en dialoguant avec un 'terroriste', Tali a franchi une ligne rouge." Juliano estime même que la jeune femme "est devenue le cauchemar du régime sioniste" . La mère est d'accord : " Tali n'a jamais eu peur de personne. C'est l'Etat qui a peur d'elle aujourd'hui."

Reste que le "courage" et "l'entêtement" ne suffisent pas à expliquer comment et pourquoi une jeune employée de bureau, issue d'un milieu modeste, élevée dans une ville déshéritée et conservatrice – Kiriat Gat, dans le sud du pays ––, a pu s'engager dans pareille rupture. Elle a bravé les barrages militaires pour se rendre en territoire palestinien – parfois déguisée en Palestinienne –, elle affronte la justice de son pays et prend à présent le risque d'écoper d'une lourde peine de prison. Sacré parcours !

Peu connue de ses "nouveaux amis" de la gauche pacifiste, rejetée par ses anciennes relations, Tali Fahima reste une sorte d'énigme. "J'ai voté Likoud toute ma vie. J'ai été éduquée dans la haine et la peur des Arabes. Je pensais que l'occupation était juste. Mais, lorsque j'ai découvert que ma liberté était assurée a ux dépens de celle des Palesti niens, notamment ceux de Jénine, je n'ai pas pu l'accepter", expliquera-t-elle à la presse avant son arrestation. Sarah elle-même ne paraît pas avoir mesuré l'étendue du cheminement politique et intellectuel de sa fille. "Dans la famille, on votait Likoud par habitude, parce que cela permettait parfoi s de trouver du travail. Rien de ce qui relevait des Arabes ne nous intéressait. A l'époque où ils travaillaient dans mon usine de confection [avant la seconde Intifada], je connaissais des Palestiniens, très polis, très gentils. Mais, si vous m'aviez demandé ce que je pensais de l'occupation, je n'aurais pas su quoi répondre. Ma seule politique, c'était l'éducation de mes trois filles."

Tali a découvert les discriminations envers "les Arabes" en 2002, dans le cabinet d'avocats de Tel-Aviv où elle a travaillé jusqu'à la médiatisation de son curieux itinéraire. L'idéalisme, une grande curiosité et la certitude d'être dans le bon droit plongent la secrétaire dans l'étrange situation qui est la sienne aujourd'hui. Paradoxalement, sa prise de conscience s'est manifestée au plus fort de l'Intifada. "Elle a voulu comprendre ce qui poussait des jeunes Palestiniens à se faire exploser dans les bus et dans les restaurants israéliens" , avance encore sa mère. Pour aller au-delà des explications partiales délivrées par les télévisions israéliennes, Tali achète alors tous les journaux, navigue sur Internet, y rencontre des internautes arabes, avec qui elle mènera de longues conversations en anglais. Ces communications déclenchent les soupçons du service de sécurité intérieure, qui l'interroge sur ce subit intérêt.

Son envie d'aller voir "de l'autre côté" ne faiblit pas. Elle met le cap sur Jénine. Arrêtée une première fois, elle est relâchée après quelques jours, sans explication. "Le Shin Beth a tenté de la recruter", affirme Sarah. "Elle a refusé, ça les a rendus fous, ajoute Juliano . A aucun moment Tali n'a réalisé qu'elle constituait un danger pour le système. Elle pensait naïvement qu'en temps que juive, elle serait protégée." Erreur.

Sa famille elle-même ne sera pas épargnée. Face à l'hostilité ambiante, Sarah, la mère, a dû quitter son appartement. Six de ses sept frères et soeurs ne lui parlent plus. "Dans cette affaire, j'ai perdu toute ma vie d'avant", résume-t-elle simplement. Sa nouvelle vie est tout entière consacrée à Tali. Zacharia Zubeidi lui téléphone régulièrement pour avoir des nouvelles. En novembre, la petite femme énergique ira en Europe pour faire connaître le "cas Fahima". Elle voyagera avec une mère palestinienne dont le fils est en détention administrative. D'origine algérienne et détentrice de la nationalité française, Sarah envisage de demander un passeport français pour sa fille.

Sur le procès proprement dit, Smadar Ben Natan, l'avocate de Tali, ne cache pas son inquiétude. "Si les juges s'en tenaient aux élé ments objectifs, je serais optimiste, le dossier est vide. Mais ils vont prendre en compte des considérations sécuritaires et la pression de l'opinion publique. C'est ce qui me rend pessimiste." La défenseure, qui considère sa cliente comme "une prisonnière politique" , estime qu'Israël "est aujourd'hui un pays qui met ses opposants en prison". Il y a plusieurs mois, le ministre de la justice d'alors, Joseph Lapid, ne s'était pas gêné pour rendre publiquement son verdict avant le procès : "Cette femme mérite pleinement de rester en prison..."

L'élément le plus tangible de l'accusation repose sur un "document militaire secret" que Tali aurait "traduit" pour ses amis palestiniens. Sauf que Zacharia Zubeidi parle hébreu et que les feuillets en question, perdus par des soldats israéliens dans le camp de Jénine, ne donnaient que quelques éléments biographiques sur des Palestiniens recherchés et contenaient des photos aériennes... du camp lui-même.

"Cette affaire restera marquée par la désinformation et le mensonge" , accuse Joseph Algazy. La dernière rumeur ? Une chaîne de télévision israélienne affirme que Tali Fahima recevait 300 shekels par mois de l'Autorité palestinienne pour sa cantine – 55 euros. "Personne ne m'a appelée pour vérifier, assure Smadar Ben Natan. Et quand bien même cela serait avéré, où est le problème ? L'Autorité palestinienne n'est pas une organisation terroriste, que je sache !" Pour les habitants du camp de Jénine, en tout cas, Tali est déjà la plus palestinienne des Israéliennes. Zacharia Zubeidi a demandé qu'en cas d'accord entre Israël et l'Autorité sur la libération de détenus palestiniens, la jeune femme en fasse partie. Aujourd'hui, "le portrait de Tali est placardé sur les murs du camp" , affirme Juliano. Au même titre que ceux des "martyrs" palestiniens.

Stéphanie Le Bars
Article paru dans l'édition du 24.09.05


Le Monde / Entreprises
Le G7 lance un appel aux groupes pétroliers

 L es pays du G7 ont lancé un appel pressant aux groupes pétroliers et pays producteurs pour qu'ils réinvestissent les bénéfices énormes qu'ils engrangent dans de nouvelles capacités de raffinage et d'extraction afin de calmer la flambée des prix du brut. Cela a été le sujet principal des discussions et des préoccupations des grands argentiers des sept pays les plus riches du monde réunis à Washington vendredi 23 .

Les prix du brut ont doublé depuis le début 2004 et avec eux les craintes pour la croissance mondiale, la confiance des ménages - que la hausse des prix de l'essence prive d'une partie de leur pouvoir d'achat - et les entreprises qui voient leurs coûts augmenter. "Des investissements importants sont nécessaires dans l'exploration, la production, les infrastructures d'énergie et les capacités de raffinerie", a insisté le G7 (Allemagne, Japon, France, Etats-Unis, Grande-Bretagne, Italie, Canada) dans son communiqué final.

Cette parade permettrait selon le forum de répondre non seulement à l'appétit vorace des automobilistes américains, mais aussi à celui de pays émergents comme la Chine, l'Inde ou encore le Brésil, qui ont un besoin énorme d'énergie pour se développer.

100 MILLIARDS DE DOLLARS DE BÉNÉFICES

Qui doit payer pour développer ces infrastructures ? Ceux qui engrangent les dividendes de la hausse des prix. Que ce soit les pays producteurs ou les groupes pétroliers qui affichent des bénéfices record trimestre après trimestre. Sur les six premiers mois de 2005, les bénéfices du premier groupe pétrolier du monde, l'Américain Exxonmobil ont atteint le chiffre record de 15,5 milliards de dollars. Au total, des analystes estiment que les 5 plus principaux groupes pétroliers mondiaux feront plus de 100 milliards de dollars de bénéfices cette année.

"Le montant des investissements dans les pays membres de l'OPEP (le cartel des pays producteurs, ndlr) est deux à trois fois inférieur à celui de pays comme le Canada ou les Etats-Unis", a affirmé Xavier Musca le directeur français du Trésor, lors d'une conférence de presse. "On voit bien que ces pays accumulent des excédents dont ils pourraient réinvestir une partie dans l'exploitation et la production", a-t-il ajouté.

Il a aussi souligné le problème du raffinage. Aux Etats-Unis aucune raffinerie n'a été construite depuis 1976. Les groupes pétroliers ont souffert pendant des années de marges bénéficiaires très faibles ne permettant pas les très lourds investissements que nécessite un tel outil industriel. Le cyclone Katrina a révélé toute la fragilité de l'infrastructure, qui tourne à pleine capacité ou presque. L'interruption d'une partie de la production démultiplie les conséquences.

Delta Air Lines, la troisième compagnie aérienne des Etats-Unis, ployant sous le poids du prix du kérosène est en faillite et va licencier jusqu'à 9 000 personnes. En France, les camionneurs se sentent étranglés et manifestent bruyamment. Le cartel des pays producteurs comprend bien que ce boom a aussi un revers en incitant les consommateurs à développer des sources d'énergie alternatives.Le G7 a d'ailleurs consacré une partie de son communiqué au sujet.

Le 21 septembre, sentant peut-être le vent du boulet du G7, les pays membres de l'OPEP ont dévoilé à Vienne un projet d'investissement massif dans la construction de nouvelles raffineries, aussi bien chez eux qu'à l'extérieur, en Chine notamment. "Chaque pays membre construit de nouvelles raffineries. Nous faisons beaucoup dans le secteur du raffinage (...), bien plus que notre seul devoir qui concerne la production", avait alors déclaré le président du cartel, le Koweïtien cheikh Ahmad al-Fahd al-Sabah.

Avec AFP
LEMONDE.FR | 24.09.05 | 10h52


Le Monde / Société
Les secrets de l'élection de Benoît XVI révélés par un cardinal trop bavard

 L es lendemains de conclave à Rome bruissent toujours de rumeurs et de semi-confidences. Pour la première fois, un cardinal-électeur, sous couvert d'anonymat, a violé le serment qu'il avait fait, à la Chapelle sixtine, de respecter le secret sur le déroulement du conclave des 18-19 avril. Il a livré à Limes, une revue italienne de géopolitique, son carnet de bord, qu'elle devrait publier dans son intégralité. Mais déjà la presse italienne s'est emparée des résultats du vote. Une aubaine pour les vaticanistes.

On savait que l'élection du cardinal Joseph Ratzinger, devenu Benoît XVI, avait été aisée puisque obtenue au quatrième tour de scrutin. Mais, jusqu'à ces révélations, on ignorait qu'il avait eu un sérieux challenger. Celui-ci ne fut pas, comme il avait été dit, Carlo-Maria Martini, ancien archevêque de Milan, chef de file des progressistes modérés, assez vite hors course en raison de son âge et de sa maladie de Parkinson, mais un cardinal argentin, Jorge-Mario Bergoglio, 68 ans, archevêque de Buenos Aires et jésuite comme Martini.

Bergoglio n'était pas un inconnu. Il faisait partie des papabili latino-américains, mais personne n'imaginait que cet homme – engagé dans le combat contre la pauvreté mais hostile à la théologie de la libération – avait représenté, sinon une menace, une alternative au choix conservateur du cardinal Ratzinger.

"DIEU, ÉPARGNEZ-MOI CELA !"

Le nombre des cardinaux-électeurs était de 115 et, pour devenir le 264e successeur de Saint-Pierre, le candidat devait atteindre 77 suffrages, soit une majorité des deux tiers. Dès le premier tour de scrutin, lundi 18 avril, Joseph Ratzinger prend le large avec 47 voix. Mais la surprise est que, dans le camp réformateur, Bergoglio (10 voix) dépasse Martini (9).

Au deuxième tour, le mardi matin, les deux premiers se détachent : Ratzinger avec 65 voix et Bergoglio qui bondit à 35. Martini disparaît de la course. Au troisième tour, le cardinal allemand atteint 72 voix, mais la minorité fait bloc sur le nom de Bergoglio, dont les suffrages montent à 40.

Le moment est crucial. Toute l'histoire des conclaves témoigne de renversements de situation au détriment d'un candidat presque élu. "L'inquiétude gagne les cardinaux partisans de Mgr Ratzinger", note alors dans son carnet le cardinal trop bavard.

C'est au quatrième tour, mardi soir, que les jeux se font. Le score de Jorge Mario Bergoglio chute à 26 voix, alors que Joseph Ratzinger est élu avec 84 voix.

Le cardinal qui a brisé le secret du conclave a une interprétation de l'événement plus sujette à caution que ses chiffres. Il écrit : "J'observe [Bergoglio] en train de mettre son bulletin dans l'urne. Son visage est empreint de souffrance, comme s'il suppliait : Dieu, épargnez-moi cela !" Bergoglio se serait montré si effrayé par la perspective de devenir pape que ses soutiens se seraient effondrés.

Henri Tincq
Article paru dans l'édition du 25.09.05


Le Monde / Opinions
Point de vue
Un livre, un divan et un débat, par Pierre-Henri Castel

 L e Livre noir de la psychanalyse ? Un déchaînement d'invectives et d'accusations grotesques, enchâssées dans des études érudites anciennes, encore une fois recyclées, que ponctuent, enfin, des invitations au "dialogue" tantôt patelines, tantôt sarcastiques. Puisque tout est fait, là, pour discréditer, a priori comme imbécile ou escroc, le malheureux qui s'y engagerait. Je me réjouis, en revanche, d'observer dans les réactions de nombreux lecteurs qui découvrent ce qui fait, depuis quinze ans, mon ordinaire d'historien de la médecine mentale, de philosophe et de psychanalyste, une perplexité qui vire à la méfiance devant un pareil flot de haine – sentiment assumé par plusieurs contributeurs, et qui sert de glu pour faire un "tout" d'alliances de circonstances et de thèses contradictoires.

Que doit être la psychanalyse pour susciter de telles réactions ?, se demandent quelques-uns, un brin critiques. Ne dirait-elle pas, du coup, quelque chose qui gêne ? Un autre facteur s'y conjugue, qui inciterait certains lecteurs (pas tous) à regarder d'un meilleur oeil la psychanalyse à cause des outrances du Livre noir.

Car, contrairement aux affirmations de nos sociologues amateurs, la fréquentation du divan n'est plus, depuis longtemps, l'effet de la fascination culturelle (sauf chez les étudiants en psychologie). Elle résulte du bouche-à-oreille entre gens qui en ont profité, et de longs parcours antérieurs qui incluent désormais aussi les thérapies cognitivo-comportementales, parfois des hospitalisations, souvent des psychotropes, mais qui ne leur ont pas apporté satisfaction. L'idée, juste, qu'une psychanalyse est plus longue, plus coûteuse, mais aussi plus "profonde" (quelque sens que l'on donne à ce terme) que ce que les patients ont déjà essayé n'est donc pas près de se dissoudre sous les crachats de ceux qui ont décidé de se poser en concurrents sur le grand marché émergent de la santé mentale.

Or il est vrai qu'une cure apprend à regarder ses symptômes d'une façon différente, ce qui paraît, aux yeux de nos auteurs, le comble de l'imposture. La rage impuissante qui s'étale dans ce livre m'a donc bien fait rire. Quoi ! On a beau répéter que les gens sont victimes de la suggestion, complices d'une ineptie scientifique, aux effets parfois mortels, et ils s'allongent encore ? On n'a sûrement pas aboyé assez fort...

Quatre remarques. Le Livre noir , qui vante à chaque pas les mérites de la science et de la positivité, se fabrique une psychanalyse imaginaire. Il est cocasse de voir tel auteur se lamenter du prestige scandaleux et de l'empire diabolique des freudiens sur le monde pour, quelques pages plus loin, découvrir, chez tel autre, l'ampleur de son recul partout où on le mesure. J'y vois un règlement de comptes, remâchant les humiliations subies par les non-freudiens des années 1970, qui trouve, trente ans trop tard, son conduit culturel d'évacuation.

Car, affaire d'âge, je n'ai jamais même pu adhérer au mythe de Freud modèle d'honnêteté scientifique désintéressée (Freud, je le préfère de loin en "conquistador", c'est son mot !). Et qui, de ma génération, verrait autre chose dans ses procédés douteux qu'une question personnelle, à lui adressée, sur les effets des relations dans lesquelles il s'engage avec ses patients ? C'est d'autant plus – je le dis simplement – une raison pour que l'analyste soit analysé.

La contradiction mutuelle de ces attaques rend toute réponse globale impossible (c'est pourquoi seule la haine les rassemble). Il est loufoque de défendre les thérapies cognitivo-comportementales en compagnie de Mikkel Borch-Jacobsen : ses "réfutations" de Freud, transposées aux preuves de l'efficacité des thérapies cognitives et comportementales (TCC), auraient un effet dévastateur. Livre en main, que chacun s'amuse à appliquer sa critique des témoignages des patients de Freud... à ceux du psychiatre Jean Cottraux. Et j'en passe.

Ensuite, les conditions du débat n'existent pas, pour une raison logique. Popper avait caractérisé avec humour l'arme absolue des freudiens contre la critique : si vous êtes en désaccord (avec Freud ou avec l'interprétation d'un analyste), c'est que vous "résistez" , et c'est l'indice d'un "refoulement" .

Ainsi, quoi que vous fassiez, vous restez dans le schéma freudien. Pire : vos résistances le confirment. On a désormais le symétrique inverse de l'idée de Popper. Etant désormais "acquis" que la psychanalyse est une imposture, contester cette prémisse prouve soit votre bêtise, soit votre incapacité symptomatique à renoncer à vos croyances. Tout contre-argument confirme votre mauvaise foi. Et l'idée même d'en débattre suscite commisération souriante ou soupçon de fraude. Le Livre noir empile les exemples de ce sophisme retourné : tout serait suggestion, ou conditionnement (on ne croit à l'oedipe que parce que le psychanalyste vous en parle et que la culture ambiante, c'est sûr, en consolide l'autorité). Hélas, il n'y a aucun critère qui permette de s'assurer qu'on n'est pas suggestionné, ou conditionné, en un sens si général. Par exemple, cher lecteur, ce que tu lis en ce moment n'est pas un argument, c'est une suggestion insidieuse, un essai de te conditionner !

Comment prouver que ce n'est pas le cas ? Si tu es d'accord avec moi, c'est par complaisance – tandis que si tu approuves Le Livre noir , tu as recouvré la raison, tu as guéri de la psychanalyse. Je soupçonne d'ailleurs que ce futile jeu de miroirs, auquel se cramponnent, ici, tant d'auteurs, trahit leur fascination blessée pour ce qu'ils n'ont jamais pu dépasser, et qui les ronge. Voyez mon sans-gêne...

Enfin, je m'inquiète de l'escroquerie qui consiste à ne jamais mentionner les réponses et contre-objections apportées, de longue date, à certaines imputations anti-freudiennes. Que veut-on faire croire ? Que nul n'a jamais été capable de les fournir ? C'est absolument faux, et d'autant plus choquant qu'on se drape dans la toge de la rationalité épistémologique ou de la critique des sources. Mais l'idée qu'il pourrait y avoir même un commencement de raison dans la psychanalyse est insupportable : Dieu sait où ce commencement nous entraînerait ! Voilons donc cet embarras d'un silence épais.

La psychanalyse, par conséquent, est bien encore à l'honneur : il est drôle de voir les contributeurs tenter, chacun, de la coincer dans ses catégories et lui reprocher de ne pas avoir la décence de s'y loger. C'est de la science (fausse), ou de la philosophie (sans effet médical objectif), ou de la religion (sans Dieu), ou de la littérature (détestable), mais jamais la psychanalyse n'est... la psychanalyse. Pour quelqu'un qui s'y est intéressé justement pour cette raison, l'ironie est parfaite.

Pierre-Henri Castel est psychanalyste et membre de l'Association lacanienne internationale.
Article paru dans l'édition du 25.09.05


Le Monde / Opinions
chronique du médiateur
Les mauvaises herbes, par Robert Solé

 S on premier courriel a été envoyé le 24 août, en plein été. "Chers amis du Monde , voici quelques approximations pêchées dans le journal ces derniers jours..." Suivait un relevé de phrases mal écrites, alourdies de mots inutiles ou employés de travers : "assigner" au lieu d'"affecter" , "à la lisière" au lieu d'"à la frontière" ... Alain Mayor, lecteur d'Asnières (Hauts-de-Seine), concluait : "J'arrête pour aujourd'hui et retourne à ma vie normale." Ce n'était pas un adieu, mais un au revoir.

Ayant accusé réception de cette petite pêche, j'ai eu droit par la suite à plusieurs casiers remplis de poissons. "Ce sont souvent les mêmes, m'écrivait M. Mayor, parce que chaque lecteur a ses dadas. Ces fautes sont comme des bougies d'anniversaire truquées : vous soufflez, et elles se rallument aussitôt." En d'autres termes, vous avez beau les signaler, les dénoncer, elles reviennent immanquablement sous la plume de certains journalistes.

De guerre lasse, Alain Mayor a fini par rendre son tablier. "Je vais arrêter mon petit travail de traque dans Le Monde (ce qui ne veut pas dire arrêter de le lire !), précisait-il le 18 septembre. Dois-je penser que mes remarques, et celles d'autres psychopathes de mon espèce, ne sont jamais discutées en conférence de rédaction ? Qu'aucun mot n'est affiché dans l'ascenseur ou à la cafétéria du journal pour signaler ces petits travers permanents ?"

Il ne faut pas prendre Alain Mayor pour un obsédé de la langue française, ni pour un oisif qui passerait ses journées à pêcher dans l'encre du Monde . Ce directeur de productions cinématographiques n'a le temps de lire le journal que trois ou quatre fois par semaine. Mais, comme d'autres butent inévitablement sur les anglicismes ou les participes mal accordés, lui, il rencontre toujours les mêmes fautes.

Par exemple, l'emploi de la préposition "sur" à propos d'une ville. Le Monde nous indique que "sur Paris, il y a dix-sept universités" , que des manuscrits ont été "rapatriés sur Pékin" ou qu'un agriculteur produit des pêches et des salades "sur la commune de Toulouges, près de Perpignan" . Pourquoi cet horrible "sur" ? Faudra-t-il le dénoncer par affichette... "sur " la cafétéria ?

L'un des autres sujets de souffrance de M. Mayor est le verbe "rentrer" , employé inlassablement à la place d'"entrer" . Cette incorrection grammaticale peut affecter le sens d'une phrase. Selon Le Monde du 10 septembre, Ioulia Timochenko, ex-première ministre d'Ukraine, "a annoncé qu'elle rentrait dans l'opposition" . Question de notre lecteur : "Ioulia est-elle "entrée" dans l'opposition, ce qui signifie qu'elle n'y était pas, ou "rentrée", ce qui signifie qu'elle y retourne ?"

Un "r" de trop, une lettre superflue... Le Petit Robert nous donne cette définition de la redondance : "Augmentation du nombre des caractères dans un message sans accroissement corrélatif de la quantité d'informations."

Mais il y a d'autres moyens, plus redoutables, de manger de l'espace dans un journal : les mots inutiles. M. Mayor en a plein ses filets. Découvrant dans Le Monde une somme de "plus de 500 000 euros environ" , il se dit qu'on pousse un peu loin la précision. Apprenant que le coût d'un traitement médical "est, en moyenne, de l'ordre d'une centaine d'euros" , il commente : "Et encore, c'est relativement à peu près approximativement estimé !"

Le Monde du 1er septembre n'était pas obligé de faire dire au gouverneur de la Louisiane : "Avant cela, nous devons d'abord amener suffisamment de nourriture..." De quoi énerver deux fois notre lecteur : "d'abord" était superflu ; le journal confondait comme d'habitude "amener" et "apporter" .

Quand M. Mayor apprend que "les attentats du 11 septembre étaient intervenus dans un contexte de crise du marché de l'assurance en crise" (14 septembre), il se dit qu'effectivement ça va mal dans l'assurance ! Quand il lit "des policiers déguisés en faux touristes" , il se demande si des policiers déguisés en (vrais) touristes seraient moins efficaces. Devant des "photos de suspects potentiels" , il s'interroge : "Un suspect étant déjà un coupable potentiel, s'agirait-il de coupables potentiels potentiels ?"

M. Mayor s'étonne de lire dans Le Monde qu'une personne a été "très grièvement blessée" , alors que "grièvement" signifie déjà très gravement. Cela se discute. Un pléonasme n'est pas toujours une faute : il vise parfois à renforcer le sens. Notre vigilant lecteur ne prétend d'ailleurs pas à l'infaillibilité. "Bien évidemment, m'écrivait-il, je ne suis ni Littré ni Grevisse, je peux moi aussi me tromper."

Pourquoi "moi aussi" ? N'aurait-il pas dû écrire : "Je peux aussi me tromper" ? Cela également se discute...

La traque aux mots superflus ne devrait pas être l'affaire des lecteurs, mais des journalistes. Que d'adjectifs, d'adverbes ou d'incises inutiles ! Que de formulations compliquées ! A propos d'une émission de télévision, Le Monde daté 24-25 juillet parlait d'"un secret de guerre étouffé pendant depuis presque soixante ans" . Deux ou trois prépositions ou adverbes supplémentaires auraient sans doute rendu l'information plus précise...

Tout cela peut paraître anecdotique. Il y a plus grave : les phrases alambiquées, avec des subordonnées en cascade, qui rendent les articles incompréhensibles. Vous nous faites perdre notre temps ! écrit en substance un lecteur de Draguignan (Var), P. A. Ponomareff. "Les défaillances d'écriture sont de plus en plus fréquentes. Les constructions défectueuses font douter de la signification du texte et obligent à le relire par deux fois pour s'assurer que l'on ne fait pas de contresens."

A la fin de l'année dernière, un lecteur de Bruxelles, Elie Vamos, nous avait reproché un extrait d'article, qu'il ne serait pas charitable de reproduire ici, avec le commentaire suivant : "Je suis peut-être stupide, mais j'ai dû relire cette phrase trois ou quatre fois et à des moments différents pour enfin croire que je l'ai comprise. Vos collaborateurs ne pourraient-ils pas se relire et s'efforcer à une écriture plus limpide (cf. Bossuet) ?"

Il ne s'agit pas d'arriver à des textes exsangues, incolores et sans saveur, qui seraient tous sur le même modèle. Concision et simplicité ne sont pas synonymes de pauvreté. Elles exigent souvent plus de travail que l'enflure et le délayage. Ce travail n'a rien de frustrant, au contraire. Supprimer, dans un article, tout ce qui l'obscurcit ou l'alourdit est un plaisir qui s'apparente au jardinage.

Il ne me reste plus qu'à relire cette chronique, encore une fois, pour l'alléger, la rendre plus directe, plus claire... Avec le même bonheur et la même gourmandise que la collecte d'informations. Sachant que des articles d'actualité, écrits à chaud, dans la fièvre du bouclage, ne peuvent pas toujours bénéficier de tels soins.

Article paru dans l'édition du 25.09.05


Le Monde / Opinions
Chronique de l'économie
Une réforme peut être eurocompatible et socialement équitable : démonstration

 Q uand ils ont commencé à y travailler, il y a un an, ils n'y croyaient pas. Vouloir réformer le système fiscal français pour faire face à la compétition européenne montante, sans que personne y perde et sans que l'Etat réduise ses recettes : Christian Saint-Etienne, professeur d'économie à Tours, et Jacques Le Cacheux, directeur des études à l'OFCE, haussaient les épaules. Le rapport qu'ils s'étaient engagés à rédiger pour le compte du Conseil d'analyse économique (CAE) auprès du premier ministre s'annonçait comme la quadrature du cercle. Impossible. Une réforme fiscale oblige forcément à choisir. Il faut bien déshabiller Paul pour habiller Jacques. On ne peut donner à tous, aux pauvres, aux riches et à l'Etat.

Pendant l'été, les auteurs ont demandé au ministère des finances de calculer le taux global, tout compris, des impôts en France ; moulinage informatique que les experts de Bercy n'avaient jamais opéré. Ajoutez les recettes de la CSG, les impôts sur le revenu, l'impôt sur les sociétés, etc., divisez par l'addition des revenus, des bénéfices, etc. et répondez à la question simple : combien prend l'Etat sur l'ensemble de la richesse créée ? "O n pensait obtenir 20-25 %, explique Christian Saint-Etienne. On a trouvé 12 %, hors cotisations sociales ".

TAUX INTRINSÈQUE

C'est une immense bonne surprise. L'Etat, finalement, contrairement au sentiment général, ne taxe qu'à hauteur de 12 % ! C'est beaucoup moins que les contribuables le pensent, mais aussi moins que ne l'estimaient, jusqu'ici au jugé, les experts en fiscalité. Et si l'on ajoute la TVA dans cet ensemble d'impôts, le taux, dit "taux intrinsèque", tombe à 10,5 %.

Ce résultat ouvre grandes les portes du possible. Car ce 12 % "don ne des marges de manoeuvre énormes pour faire ce que nous voulions faire, une réforme efficace mais équitable", poursuit Saint-Etienne. Et ce 12 %, c'est, en plus, justement, le niveau vers lequel convergent en Europe les taux d'imposition des sociétés et les taux d'imposition de l'épargne. Si nous, Français, sommes déjà à 12 %, point n'est besoin de baisser ! Nous pouvons être compétitifs sans nous engager dans une grande baisse générale des impôts et des taxes.

UN GRUYÈRE

C'est tout l'intérêt de ce rapport du CAE de faire la démonstration que les réformes, ici la réforme fiscale, peuvent aboutir à l'exact inverse de ce que les adversaires des réformes serinent : des réformes, y compris eurocompatibles, peuvent être socialement justes. Efficacité fiscale, équité sociale et compétitivité économique vont ensembles.

Par quel miracle ? La réponse est dans les détails. Dans la complexe société moderne, la réponse est toujours dans les détails et jamais dans les slogans politiques. En fait, notre fisc est comme un gruyère où il y a désormais beaucoup plus de trous que de pâte : bien peu de contribuables paient l'impôt sur le revenu (20 % des ménages en paient 91 %) ; bien peu d'entreprises paient l'impôt sur les sociétés ; bien peu d'investisseurs paient l'impôt sur le capital ; et les vrais riches ne paient pas l'ISF. L'ensemble des 400 "niches" de dérogations, de dégrèvements et les autres astuces d'"optimisation fiscale" utilisées par les petits et les gros malins ont exempté de plus en plus de contribuables de l'impôt citoyen. Le fisc n'est pas coupable de trop taxer, mais de taxer toujours les mêmes.

LE COÛT DES BIENS PUBLICS

Or, et c'est là le malheur, cette politique fiscale "hyperconcentrée" désavantage le pays dans la compétition européenne. Car les mégataxés sont "les salariés les plus productifs et potentiellement les plus mobiles ", susceptibles d'émigration fiscale. On se plaint de la fragilité du capital des grands groupes (Danone), mais les revenus du capital investi en actions sont plus taxés que partout ailleurs. Cherchez l'erreur. La France doit desserrer "le noeud coulant " qu'elle s'est mis autour du cou en focalisant les impôts sur les éléments créateurs de richesses.

"Toutes les activités délocalisables ne vont pas partir du jour au lendemain, nuancent les auteurs. Les activités non délocalisables représentent peut-être 60 % du PIB et 80 % des emplois. Mais, ce qui est en jeu, c'est le taux de croissance potentielle de notre économie. Même en cas de départs mesurés, la croissance serait durablement faible et les reports de charges sur les facteurs non mobiles seraient vite insupportables."

L'autre intérêt du rapport est de fixer à 6 % le coût des biens publics économiquement acceptables, autrement dit le surplus de taxes que les investisseurs en France acceptent de payer pour profiter de ses infrastructures de qualité (autoroutes, TGV, hôpitaux, formation...). Pourquoi 6 % ? Les évaluations sont ouvertes. Mais cette idée permet de remonter à 18 % (12 + 6) le taux effectif d'imposition possible des entreprises et des capitaux.

Sur ces bases, et tous calculs faits, les auteurs proposent une réforme d'ensemble de neuf impôts (revenu, sociétés, ISF, CSG, taxe professionnelle...) qui permet de jouer de toutes les marges de manoeuvres. Plusieurs scénarios sont examinés qui donnent avantage tantôt aux entreprises, tantôt aux ménages (avec des variantes sur les différentes catégories) et tantôt à l'Etat.

ÉBORGNÉ

Le résultat est très ouvert. Il est fort possible de privilégier et les entreprises et les ménages les moins bien lotis. Supprimant les niches, le projet rétablit l'équité horizontale (les mêmes revenus sont taxés de façon identique) et verticale (les riches paient proportionnellement plus).

Le premier ministre a éborgné la réforme en limitant les changements au seul impôt sur le revenu. Il oublie le point de départ des auteurs : répondre à la compétition européenne inévitable. L'intérêt politique du dispositif gouvernemental n'a échappé à personne à l'horizon 2007 – encore que ce sont les ménages riches qui en profiteront et non pas les classes moyennes comme il le dit. Mais l'intérêt économique est lui devenu quasi nul. Il faudra y revenir vite. Réformer est possible sans mettre le feu au lac.

Eric Le Boucher
Article paru dans l'édition du 25.09.05


Le Monde / Opinions
Analyse
A Berlin, un parfum de IVe République, par Daniel Vernet

 B onn n'est pas Weimar. La formule, appliquée pendant de longues années à la République fédérale, quand la capitale était dans la petite ville des bords du Rhin, est encore valable après la réunification. Berlin n'est pas Weimar.

Les pères fondateurs de la République fédérale s'étaient appliqués en 1949, sous l'oeil vigilant des alliés occidentaux, à construire des institutions stables qui tranchent avec la fragilité de la République de Weimar (1918-1933).

Ils avaient mis en place un système parlementaire bien tempéré, avec un pouvoir exécutif dirigé par le chef du gouvernement et non par un chef de l'Etat élu au suffrage universel – le Reichspräsident de Weimar –, et un pouvoir législatif fort. La loi électorale, mélange de scrutin majoritaire et de proportionnelle, devait éviter l'éparpillement des forces politiques et garantir des majorités stables.

Le système a parfaitement fonctionné pendant un demi-siècle. Certes, pour la première fois, les élections du 18 septembre n'ont pas désigné de vainqueur indiscutable, mais il est hâtif d'en tirer la conclusion que l'Allemagne est menacée par l'instabilité chronique qui fut fatale à la première République allemande.

Berlin n'est pas Weimar. Depuis une semaine, la République de Berlin a plutôt les traits de notre IVe République. Une crise gouvernementale qui promet de durer, un éclatement du paysage politique avec cinq, voire six, partis, alors que la République fédérale avait l'habitude de fonctionner avec trois ou quatre, l'apparition d'un fort pôle d'extrême gauche – 8,7 % des suffrages, 54 députés – dont les voix sont en quelque sorte neutralisées, puisque personne ne veut s'allier ni même discuter avec lui... Une différence notable cependant, aucune formation à la droite de la démocratie chrétienne n'a réussi à s'imposer.

L'extrême droite est présente aux élections municipales et régionales, notamment à l'Est. Elle est même entrée dans certains Parlements des Länder, mais elle reste marginale lors des scrutins nationaux. La fonction "tribunitienne", que les politologues français attribuaient aux partis situés aux deux extrêmes de l'échiquier politique, est exclusivement exercée par le Linkspartei, la gauche radicale, qui, à l'Est, est composée des héritiers de l'ancien parti unique.

La caractéristique principale qui souligne le parallèle entre la situation allemande actuelle et la IVe République tient à la composition du gouvernement. L'Allemagne a toujours connu des coalitions : entre les chrétiens-démocrates et les libéraux, entre les deux grandes formations CDU-CSU et SPD – de 1966 à 1969 avec la "grande coalition" – entre les sociaux-démocrates et les libéraux et, enfin, ces sept dernières années, entre les sociaux-démocrates et les Verts. Mais dans la quasi-totalité des cas, les électeurs savaient qu'en votant pour tel ou tel parti ils auraient telle ou telle coalition. Ils se prononçaient en connaissance de cause, à l'inverse de ce qui se passait en France jusqu'en 1958, ou en Italie. Là, les coalitions gouvernementales ne dépendaient pas avant tout du choix des citoyens mais des combinaisons entre les états-majors des partis. Les alliances n'étaient pas annoncées avant les élections, mais nouées a posteriori.

L'Allemagne risque aujourd'hui de tomber dans ce travers. Les électeurs n'ayant pas tranché entre les deux coalitions, noire-jaune d'une part, rouge-verte d'autre part, qui s'offraient à leurs suffrages, ce sont les dirigeants des partis politiques qui vont décider à leur place. Les questions de personnes joueront un rôle aussi important dans l'issue des négociations que les programmes.

C'est en effetune autre similitude entre la situation allemande actuelle et la IVe : les Allemands n'auront sans doute pas le chancelier pour lequel, ou laquelle, ils ont voté. Bien sûr, ils n'élisent le chef du gouvernement au suffrage universel direct. Le titre de "candidat chancelier" n'est pas reconnu par la Constitution. Mais, depuis les années 1960, la tendance générale à la personnalisation du pouvoir aidant, la tête de liste de chacune des grandes formations, CDU-CSU ou SPD, réclame les suffrages pour son parti afin de diriger le gouvernement. Le président de la République n'a guère d'autre possibilité que d'entériner ce choix.

Il y a bien eu quelques accidents de parcours, prévus ou non. Aux élections de 1961, Konrad Adenauer avait promis de passer la main à son ministre de l'économie, Ludwig Erhard, au milieu de la législature. En 1965, l'alliance entre les chrétiens-démocrates et les libéraux a été remplacée par la "grande coalition" sans que les électeurs aient été consultés. En 1974, Helmut Schmidt a succédé à Willy Brandt, triomphalement réélu deux ans plus tôt, mais qui avait dû démissionner à cause d'une affaire d'espionnage.

Dans l'ensemble cependant, en votant pour un parti, les électeurs allemands désignaient un chancelier. Cette fois, ce n'est pas le cas. Non seulement la coalition gouvernementale ne sera aucune de celles qui se présentaient aux suffrages, mais il y a quelques probabilités pour que le futur chancelier ne s'appelle ni Angela Merkel ni Gerhard Schröder. Un nom sortira des négociations entre partis, à l'insu des citoyens. Là encore flotte un petit parfum de IVe République. En 1956, les Français qui avaient voté pour le Front républicain voulaient Mendès France et la négociation en Algérie ; par le jeu des partis, ils ont eu Guy Mollet, qui s'octroya "les pouvoirs spéciaux" et envoya le contingent.

Il ne faut pas pousser trop loin les comparaisons. L'Allemagne ne se trouve pas dans la situation dramatique et précaire de la IVe finissante. Le Linkspartei mis à part, tous les autres partis peuvent trouver des points d'accord dans leurs programmes respectifs, même si certaines alliances paraissent plus difficiles à réaliser que d'autres.

GOUVERNEMENT MINORITAIRE

C'est pourquoi la "grande coalition", expérimentée pendant deux ans à la fin des années 1960, ne serait pas un mariage contre nature. L'opinion allemande aura en revanche plus de mal à accepter un gouvernement minoritaire qu'elle n'a pratiquement pas connu depuis la création de la RFA. A la première occasion elle sanctionnerait durement les personnalités ou les partis qui auraient empêché la formation d'une majorité gouvernementale.

Des voix se font déjà entendre en faveur d'une révision de la Loi fondamentale de 1949, qui est aussi un élément de stabilité. Elle a fait l'objet de quelques amendements au fil des ans, mais pas d'une réforme fondamentale. Pour éviter l'éparpillement des voix et garantir une majorité, le système électoral pourrait devenir plus fortement majoritaire, aux dépens de la proportionnelle. Le Bundestag pourrait se voir accorder le droit de s'autodissoudre, et le fédéralisme devrait être réformé pour limiter les prérogatives du Bundesrat, la Chambre des Etats, et renforcer les pouvoirs de l'Etat fédéral. La première "grande coalition" avait déjà évoqué une réforme de la loi électorale pour réduire l'importance des petits partis, sans aller jusqu'au bout de ses projets.

Il est peu probable cependant que la prochaine coalition inscrive ces réformes à son programme. S'il doit y avoir des changements, ils mettront longtemps à mûrir. Les Allemands ne voudront pas mettre en cause un système qui a fait ses preuves pendant des décennies et auquel ils sont attachés, à cause d'un accident de parcours.

Daniel Vernet
Article paru dans l'édition du 25.09.05


Le Monde / Sciences
Canicules et sécheresses menacent de "booster" l'effet de serre

 D e la vague de chaleur qui a accablé l'Europe durant l'été 2003, on a retenu un chiffre : 35 000 morts, dont 15 000 en France. La flambée des températures, surtout à l'ouest du continent, où l'on a enregistré des écarts de plus de 6 º C avec les normales saisonnières, ainsi que le déficit d'eau, particulièrement éprouvant à l'est, où les pluies ont été deux fois plus faibles qu'à l'accoutumée, ont eu aussi un impact sévère sur la végétation européenne. Avec une conséquence imprévue : un relâchement massif de dioxyde de carbone (C02) dans l'atmosphère. Et le risque, si de tels épisodes caniculaires se reproduisent, d'une amplification de l'effet de serre.

C'est ce que révèle, dans la revue Nature du 22 septembre, une étude associant une trentaine de chercheurs français, italiens, allemands, belges, espagnols, finnois, américains et danois, sous la direction de Philippe Ciais, du laboratoire des sciences du climat et de l'environnement (CEA-CNRS) de Gif-sur-Yvette (Essonne). "Ces résultats, décrit André Granier, de l'unité d'écologie et écophysiologie forestières de l'INRA à Nancy , ont été obtenus en combinant les approches et les données de deux communautés scientifiques."

D'une part, des observateurs de terrain disposant, grâce au programme communautaire CarboEurope, d'un réseau d'une soixantaine de stations au sol. Représentatives des différents types de couverture végétale – forêts principalement, mais aussi cultures agricoles et prairies –, elles mesurent en temps réel, à l'aide de capteurs, les flux de gaz carbonique absorbé ou libéré. D'autre part, des modélisateurs simulant, sur leurs supercalculateurs, les interactions entre climat, végétation et CO2. Il apparaît qu'à l'échelle de l'Europe la production végétale a chuté de 30 % en 2003 par rapport à 2002, dans les peuplements forestiers comme sur les surfaces cultivées. Une baisse sans précédent au cours du siècle écoulé. Conséquence de cette anémie, une réduction considérable de la quantité de carbone stockée dans la biomasse.

STRESS HYDRIQUE

Face aux fortes chaleurs et, surtout, au stress hydrique, les plantes adoptent en effet un mécanisme de défense qui leur permet de limiter leur évapotranspiration et d'éviter de dépérir. Elles ferment les stomates de leurs feuilles, ces minuscules pores par lesquels s'effectuent les échanges gazeux avec leur environnement. Résultat : une photosynthèse ralentie, donc une quantité de CO2 absorbée moindre. Et même, dans le cas présent, largement inférieure à celle émise par la respiration des végétaux.

Les auteurs de l'étude estiment qu'en 2003 les écosystèmes européens ont relâché dans l'air quelque 500 millions de tonnes de CO2. Soit l'équivalent de quatre années de séquestration du même gaz par la végétation.

Ces conclusions inattendues vont sans doute obliger les climatologues à revoir leurs modèles. Ceux-ci prédisaient plutôt que le réchauffement climatique aurait pour effet, en Europe et aux latitudes tempérées, d'allonger la saison de végétation active et de stimuler la flore. Les forestiers en avaient observé des signes avant-coureurs : au cours du dernier demi-siècle, le volume de bois sur pied des forêts européennes a augmenté de plus de 40 %.

L'article de Nature met en fait en évidence l'impact sur les écosystèmes, non pas d'un réchauffement global, mais d'une canicule et d'une sécheresse exceptionnelles. Il n'en sonne pas moins comme un avertissement, dans la mesure où l'une des répercussions attendues du changement climatique global est, précisément, la multiplication d'épisodes extrêmes.

"Si, comme les climatologues le prévoient, le réchauffement planétaire se traduit notamment par une augmentation de la fréquence et de l'intensité des sécheresses, on peut alors penser que la végétation sera moins efficace qu'elle ne l'est aujourd'hui pour limiter l'effet de serre", commente André Granier.

A l'échelle de la planète, les experts estiment que le manteau végétal permet aujourd'hui de capturer entre 10 % et 20 % des émissions humaines de CO2, principal gaz impliqué dans l'augmentation de l'effet de serre. Ce bouclier vert risque donc se transformer en menace. De puits de carbone, "les écosystèmes des régions tempérées pourraient se muer en sources de carbone", écrivent les signataires de l'article.

Dans un commentaire accompagnant cette publication, Dennis Baldocchi, de l'université de Californie à Berkeley, se veut rassurant. L'exemple des écosystèmes européens ne serait pas transposable aux autres continents. Ainsi, à température et pluviosité comparables, le ralentissement de la photosynthèse ayant bridé en 2003 la pousse des végétaux en Europe n'affecterait pas les forêts nord-américaines, habituées à des chaleurs estivales plus élevées. Il pense en outre "raisonnable de s'attendre à ce que les forêts s'acclimatent si les températures moyennes continuent à croître graduellement".

Cette nouvelle étude s'ajoute aux récents travaux de chercheurs britanniques qui, dans Nature également, décrivaient comment, sous l'effet du réchauffement, les sols libèrent du carbone par millions de tonnes (Le Monde du 9 septembre). De quoi rendre encore plus problématique le respect des engagements de Kyoto sur la limitation des gaz à effet de serre.

Pierre Le Hir
Article paru dans l'édition du 25.09.05


Le Monde / Horizons
La Courneuve par temps calme
La Cité des 4000, à La Courneuve | DUFOUR SEBASTIEN/GAMMA
DUFOUR SEBASTIEN/GAMMA
La Cité des 4000, à La Courneuve

 C ette fois-ci, pas de drame à La Courneuve. Pas d'enfant tué d'une balle perdue comme le fut Sidi-Ahmed, 11 ans, en juin. Pas de riverain énervé qui saisit sa carabine et abat de sa fenêtre un individu jugé trop bruyant. Comme Toufic, 10 ans, en 1983. Pas de jeu en armes qui s'achève par la paralysie à vie d'un gamin qui passe par là. Comme Kamel, 13 ans, en 2003.

Depuis la mort de Sidi-Ahmed, le "Kärcher" promis par le ministre de l'intérieur, Nicolas Sarkozy, a pris la forme d'une compagnie de CRS qui rôde, contrôle, interpelle. Les habitants ironisent sur le court terme d'une mesure "poudre aux yeux" , tout en se réjouissant du calme revenu. Il faut toujours un fait divers pour que l'on prête attention à La Courneuve. Pour que l'on s'émeuve brièvement des "barres" dégradées de la Cité des 4 000, fabrique à délinquance qui fait de cette commune du "neuf-trois" (Seine-Saint-Denis) l'une des plus emblématiques de la violence urbaine en France. Le fait divers passé, on oublie.

Mais La Courneuve existe aussi par temps calme. Avec son quotidien tranquille. Sa petite vie cabossée qui saisit d'abord par la chaleur des rapports humains. Ce côté "rue orientale" où l'on ne cesse jamais de se dire bonjour, de se serrer la main, de se demander comment ça va, de s'entraider, de s'offrir un Coca ou un verre d'eau. Et cette manière élégante qu'ont parfois les hommes de porter discrètement la main droite sur le coeur, en guise de salut. Où des jeunes lisent les journaux sur Internet, s'arrêtent aux feux rouges, sont plutôt bons élèves au lycée. Où l'on croise à toute heure d'autres jeunes gens, désoeuvrés, réunis par grappes, et qui vous interpellent pour tester votre "respect". Où l'on risque de recevoir sur la tête un sac d'ordures, négligemment jeté d'une fenêtre. Quand ce n'est pas un projectile délibérément envoyé.

La Courneuve est une ville de douceur et de violence, de ruptures radicales. D'un côté de la rue, il y a ces pavillons en brique et jardins proprets. De l'autre, à 20 mètres, il y a cette barre gigantesque et déglinguée où règnent les détritus, les mauvaises odeurs et les graffitis, style "Nique les juifs" . A d'autres endroits, il y a aussi ces HLM, de taille plus humaine, mieux entretenues. Trois mondes se côtoient, parfois brutalement, dans le même périmètre urbain. A l'intérieur, quatre-vingts nationalités cohabitent, plus ou moins dans le désordre. Avec leurs multiples lieux de prière : trois paroisses catholiques, neuf mosquées – plus le siège national de l'UOIF (Union des organisations islamiques de France) –, une synagogue et un nombre incalculable de chapelles (adventistes, évangélistes, Témoins de Jéhovah, rose-croix, Eglise de la Pentecôte primitive, chiites de Madagascar, sikhs, etc.). Vingt-six cultes au total, le record des villes de France.

La répartition des origines n'est pas recensée, mais selon Gilles Poux, le maire (PC) de la localité, les Rebeus ou Beurs (Français d'origine maghrébine) forment la majorité de la population avec les Céfrans (Français d'origine... française), devant les Renois (Noirs), et les Asiatiques répartis en Noiches (Chinois), en Indiens, Pakistanais, Sri-Lankais et autres.

Dans la vie quotidienne, pourtant, les barrières intercommunautaires n'apparaissent pas. Les écoliers se mélangent tout autant que les bandes qui traînent. Même les bagarres ne mettent pas face à face, "race contre race" , comme on dit là-bas. Renois, Rebeus ou Céfrans (les Asiatiques restent à part), tout le monde est copain... Tant que sont respectés les codes et les limites. Dans la cité plus qu'ailleurs, tout est question de codes.

Ce soir-là, Sabrina est rentrée chez elle, enthousiaste. Un garçon l'a draguée dans la rue, "très gentiment" , en lui disant qu'elle était belle. Ils ont pris un café. En tout bien tout honneur, bien sûr, car Sabrina, d'origine algérienne, est une musulmane très pieuse. "En plus , s'exclame-t-elle, il était superbeau, arabe, et tout !" C'est important qu'il soit arabe ? Sabrina hausse les épaules : "Je ne vois pas pourquoi je sortirais avec un Renoi ou un Céfran, alors qu'il y a plein d'Arabes. De toute façon, sortir avec un Renoi, plutôt mourir, je ne pourrais jamais. Avec un Céfran, bon, il faudrait qu'il soit vraiment très musulman, et encore..."

Son frère l'écoute, sourit. Et lui, la laisserait-il sortir avec un Renoi ? "Elle fait ce qu'elle veut , répond-il, magnanime. Mais alors nos relations seraient brisées, je ne pourrais pas faire autrement que la renier." Même si le Renoi est musulman ? N'est-ce pas haram ("péché") pour un musulman de rejeter un autre musulman ? "Si, c'est haram , reconnaît la mère. Mais je n'aimerais pas que ma fille se marie avec un Renoi ou un Céfran, même musulmans. Ce n'est pas du racisme, c'est affaire de coutume."

A l'origine de la mort du petit Sidi-Ahmed, en juin, il y a une histoire de ce genre. Un drame à la Roméo et Juliette entre familles noires et arabes, sur lequel s'est greffée une rivalité de "territoires de drogue" . Un Comorien, Mahmoud, est soupçonné d'avoir tiré la balle perdue qui a tué le garçon, lors d'une bagarre avec deux Tunisiens. Ces deux-là, frères de Nadia B., ne supportaient pas que leur soeur ait pu vivre une histoire d'amour, même terminée, avec "ce Renoi de Mahmoud" .

Aujourd'hui, Nadia B. va mieux. Un été "au pays" , en Tunisie, l'a aidée à se défaire de l'idée qu'elle pouvait être responsable du drame. "J'ai pris grave du recul par rapport à ça." Elle marche d'un pas svelte dans les rues de La Courneuve, parle du "grand respect" qu'elle a pour ses frères et de son amour intact pour Mahmoud. Ses frères et Mahmoud sont en prison. "Dès le premier instant où j'ai embrassé Mahmoud, où j'ai su que j'allais l'aimer, ce mec-là, je savais que toute ma famille s'y opposerait. On a décidé de s'accrocher, ça a tenu trois ans et puis sa famille, qui m'acceptait parfaitement, a fini par faire pression sur lui pour qu'il arrête : sortir avec une Arabe, quand tu es noir, ça fait trop d'histoires."

ON ne voit pas de couples mixtes s'afficher dans la cité. D'ailleurs on ne s'affiche pas dans cette cité. On ne marche pas bras dessus, bras dessous. Question de codes et de "respect". Les jeunes se rassemblent dehors, au bas des immeubles, mais ne se donnent pas rendez-vous dans les cafés, lesquels sont rares et fréquentés exclusivement par les anciens. Quand les jeunes sortent ensemble, ils vont aux Champs-Elysées, au Châtelet, à l'Opéra, ou dans les banlieues avoisinantes. "Je ne connais pas de couples mixtes dans la cité, à part moi , constate Nadia B. Ils se cachent pour se voir, comme je me cachais avec Mahmoud. Mais c'est pareil dans les quartiers chics, non ? Une petite Française qui ramène un Noir, ça fait désordre."

Les Renois, eux, ne font pas tant d'histoires. "Nous, on n'est pas raciste s, plaisante John, camerounais. On est tolérants. Le problème des Rebeus, c'est qu'on leur pique leurs meufs. Elles nous trouvent beaux, elles nous aiment, on n'y est pour rien. Moi, avant de sortir avec une Rebeu, je fais gaffe à la famille. Si elle est du genre trop traditionnel, je n'ai pas envie de polémiquer avec les frères, je préfère laisser béton. Chez nous, c'est comme chez les aristos : ils se marient entre eux et puis parfois ça dérape, la jeune fille ramène un mec de La Courneuve à la maison, et c'est le bordel !"

La ligne de clivage ne passe pas seulement entre origines, mais aussi entre les générations. Les adultes ne se reconnaissent pas dans les plus jeunes. "De la vraie caillera !" , lâche un trentenaire qui explique très sérieusement son jugement : "Nous, on allait voler à Paris, dans le 8e ou dans le 16e, c'était plus moral. Les jeunes d'aujourd'hui, ils volent même à La Courneuve, c'est n'importe quoi."

Ah, le bon vieux temps des "4 000" ! Khaled, 45 ans, fils d'un ancien chef de réseau FLN dans la ville, raconte le début de ces barres construites dans les années 1960 et vécues comme un paradis pour les rapatriés d'Algérie qui vivaient d'abord en bidonvilles. "Aux "4 000", raconte-t-il, mes voisins étaient rebeus, céfrans, feujs, harkis... Ceux qui avaient été ennemis ne voulaient plus le savoir, personne ne parlait de la guerre. La mosquée et la synagogue étaient côte à côte. C'était le plein-emploi, les portes étaient ouvertes, on allait chercher les oeufs à l'étage au-dessus, chez Mme Teboul ou Mme Molina. A partir de 1975, c'était fini. Le chômage et l'héroïne avaient fait leur trou. Il fallait des parents hyperstricts pour ne pas déraper."

Pendant une quinzaine d'années, les gens ont vécu harmonieusement, se souvient Anthony Russel, conseiller municipal. Et puis "les jeunes arrivés au début des années 1960 se sont retrouvés sans emploi à 35-40 ans. Ils se sont mis à se défoncer au bistrot, les aînés ont pris les gosses en charge. Toute une génération a pété les plombs" .

Moins frappés par le chômage, les "Français", y compris les juifs, ont déserté les "4 000". Seuls sont restés les Beurs, avec le sentiment d'être parqués. Et puis ils ont vu arriver d'autres immigrés, par vagues, au gré des conflits du monde : les Africains au début des années 1980, et puis d'autres Africains (des Comores) une dizaine d'années après, puis les Tamouls du Sri Lanka, les Indiens, les Pakistanais. Quant aux Chinois, on ne les voit pas aux "4 000" : ils ont accédé à la propriété dans les zones pavillonnaires de La Courneuve.

Le dernier arrivé dérange, chacun est l'Arabe de l'autre : c'est peut-être le cycle naturel de l'intégration. Pour les Français, "les problèmes" ont commencé avec l'arrivée des Arabes. Une fois "normalisés", avec un mode de vie "français", une fécondité maîtrisée, des enfants scolarisés, ce fut leur tour de mal ressentir la vague d'immigration suivante, celle des Africains, essentiellement maliens. Souvent polygames et non alphabétisés, ceux-ci concentrent dans un même appartement plusieurs femmes et de nombreux enfants laissés dans la rue, à l'africaine, mais sans les structures africaines, donc davantage livrés à la "caillera" . John le Camerounais a décidé de rester philosophe : "Les Rebeus et les Céfrans oublient un peu vite qu'eux aussi faisaient plein d'enfants au début. Les communautés évoluent à leur rythme."

Christine, qui habite le "petit Balzac", juste en face de la grande barre du même nom (la plus dégradée et la plus "chaude" des "4 000"), est elle aussi nostalgique de cette époque bénie. Longtemps au chômage, elle a trouvé un boulot de repasseuse grâce à une association qui emploie les précaires. Cette brune de 46 ans, yeux bleus et visage d'ange, mère de cinq grands enfants, parle chaleureusement de ses amis beurs ou noirs. Elle parle aussi de la dégradation de la cité, "depuis l'arrivée massive d'une population qui ne parlait pas français, la fin de la solidarité dans le quartier" , etc.

Christine parle encore des fameux "codes" qu'elle a appris à connaître, la manière de regarder qu'il faut maîtriser pour ne pas "manquer de respect" , pour se faire respecter. "Si on me dit bonjour, je dis bonjour. Sinon, je ne dis rien." Comme ses fils, elle a dû se bagarrer physiquement pour s'imposer. Sans que la police n'intervienne jamais. Pour protéger sa fille aînée, elle a eu l'idée de la confier au délinquant le plus notoire de la cité. Mais Christine en a marre. "Tout ce que je souhaite, c'est que mes enfants réussissent à quitter La Courneuve , dit-elle en souriant doucement. Moi, c'est trop tard." Il y a longtemps qu'elle ne vote plus. Mais elle devient "de plus en plus extrémiste" . Pas à gauche.

Aux "4 000", quatre barres ont déjà été démolies, d'autres logements sociaux ont été reconstruits, les habitants relogés. Ce devrait être au tour de "Balzac" dans les prochaines années, et les Courneuviens s'en réjouissent. Autre bonne nouvelle : le ministère des affaires étrangères a choisi La Courneuve pour accueillir en 2008 les archives de la diplomatie. Les associations pullulent pour aider les jeunes et les précaires.

La municipalité, administrativement reliée à sept autres communes de Seine-Saint-Denis ("Plaine-commune"), s'attache à développer un urbanisme plus humain que ces barres-dépotoirs. Et à développer pour les jeunes des centres de loisirs, de sports et de culture. Pour les jeunes Courneuviens, la consolation est mince. Le chômage, au moins deux fois supérieur à la moyenne nationale, plombe tout espoir. "Qu'est-ce que tu veux faire d'un centre d'art dramatique, quand tu vis le drame tous les jours ?"

Marion Van Renterghem
Article paru dans l'édition du 25.09.05


– Les longues –
                 
                 

    En extra: Les éditos du Monde    

[*] «Longues propagandistes» parce qu'il existe aussi, dans cette rubrique, des «brèves propagandistes» reprenant surtout des dépêches de l'AFP. Ici, on trouvera pour l'essentiel des articles parus dans Le Monde, qui par le fait, sont beaucoup plus longs…