Longues propagandistes, série 1

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– Les longues –
                 
                 

    En extra: Les éditos du Monde    


Le Monde / Société
Le destin inespéré des "miraculés" de Mai 68

 O n savait que Mai 68 avait durablement marqué la vie politique et intellectuelle nationale. On savait qu'il avait fait évoluer en profondeur la société française. Mais on ne savait pas qu'il avait permis à une génération de jeunes, candidats au baccalauréat cette année-là, d'accéder assez miraculeusement à l'Université et de profiter d'une ascension sociale exceptionnelle. On imaginait encore moins que cet épisode de l'histoire conduirait leurs enfants à mieux réussir à l'école.

Une note rédigée par les économistes Eric Maurin et Sandra McNally sur "les bénéfices de long terme de 1968" démontre que la simplification et la désorganisation des examens après la crise ont permis à un nombre important de jeunes d'intégrer l'Université, alors qu'ils n'y seraient jamais parvenus dans des conditions normales. Ces miraculés de Mai ont eu une carrière professionnelle et des revenus largement supérieurs à ce qu'ils pouvaient attendre. Et, près de quarante ans plus tard, il apparaît que leurs enfants ont moins redoublé à l'école.

Une méthode scientifique originale

Dans leur note sur "les bénéfices de long terme de 1968", Eric Maurin et Sandra McNally utilisent une méthode scientifique originale. Dans les sciences sociales, en effet, il est impossible de procéder à des expériences, comme le font les chercheurs en "sciences dures". Pour dépasser cette difficulté, les économistes cherchent des "expériences naturelles" qui permettent d'étudier l'effet d'une variable sur la société.
Eric Maurin et Sandra McNally se sont intéressés aux conséquences d'une plus grande ouverture de l'Université du fait de l'allégement des examens après Mai 68. Pour cela, ils ont étudié le parcours des personnes ayant passé le baccalauréat en 1968 à travers les enquêtes emploi de l'Insee réalisées entre 1990 et 1999. La réussite scolaire de leurs enfants à l'âge de 15 ans a été étudiée à partir des enquêtes emploi entre 1990 et 2001.

"EXPÉRIENCE DE LABORATOIRE"

La note, qui doit être publiée début avril par La République des idées (www.repid.com), un club de pensée présidé par Pierre Rosanvallon et Olivier Mongin, traite une thématique rarement abordée à propos de Mai 68. Une des conséquences immédiates de la crise fut, en effet, l'organisation d'examens "allégés", beaucoup moins sélectifs. A la demande des lycéens, inquiets à l'idée d'être pénalisés par leur engagement, le baccalauréat fut réduit à de simples épreuves orales. La conséquence est connue: le "bac 68" s'est caractérisé par un taux de réussite supérieur de 30% aux sessions précédentes et à celles qui ont suivi.

Cet épisode de l'histoire peut apparaître anecdotique. Mais il fournit aux économistes le cadre d'une expérience "grandeur nature" sur un sujet éminemment politique: quels sont les effets sur la société de l'ouverture, en l'occurrence accidentelle, de l'enseignement supérieur ?

"La désorganisation des examens en Mai 1968 s'apparente à une expérience de laboratoire permettant d'évaluer les effets d'une formation universitaire pour les personnes qui, en temps ordinaire, seraient restées aux portes de l'Université", expliquent les économistes Eric Maurin, de l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), et Sandra McNally, de la London School of Economics.

Deux jeunes chercheurs
Eric Maurin, 42 ans, est directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS). Elève à Polytechnique et à l'Ecole nationale de la statistique et de l'administration économique (Ensae), il a fait l'essentiel de sa carrière à l'Insee, jusqu'à son arrivée, en 2004, à l'EHESS. Economiste, il aborde les questions de société à partir de statistiques inédites. Son dernier ouvrage, Le Ghetto français (La République des idées/Le Seuil, 2004, 96 p., 10,50 euros), décrit les mécanismes de ségrégation en France.
Sandra McNally, 32 ans, est économiste au Centre for Economic Performance à la London School of Economics (Londres) et coordonnatrice du Centre for the Economics of Education. Elle est l'auteur de nombreux articles, dont plusieurs sur les politiques éducatives de Tony Blair.

A travers une analyse économétrique très détaillée, les deux chercheurs constatent que le "relâchement" des procédures d'examen après Mai 68 a surtout bénéficié à des élèves issus des classes moyennes. A l'époque, ceux-ci n'avaient statistiquement que peu de chances d'obtenir un diplôme largement réservé aux classes favorisées et pratiquement interdit aux jeunes issus de milieux populaires. L'assouplissement des conditions d'examen leur a permis d'accéder à l'Université.

Ces chanceux du mois de mai ont ensuite obtenu des diplômes de l'enseignement supérieur. "Lorsqu'on suit ces 'élus' dans le temps, on s'aperçoit que cette opportunité s'est traduite, des années plus tard, par un surcroît de salaire et de réussite professionnelle par rapport aux étudiants qui, nés un an plus tôt ou un an plus tard, n'avaient pas eu la chance de se trouver au bon endroit du système éducatif au bon moment de son histoire", écrivent les deux auteurs.

Etudiant en particulier le devenir des générations nées en 1948 et 1949, c'est-à-dire les élèves qui avaient 20 ans et 19 ans en 1968, Eric Maurin et Sandra McNally chiffrent précisément le gain obtenu. Ils constatent, en s'appuyant sur les enquêtes emploi réalisées par l'Insee dans les années 1990, que "chaque année supplémentaire passée à l'Université a eu pour effet causal d'augmenter le salaire d'environ 14%". Dans le même temps, la probabilité de devenir cadre s'est accrue de 10% par année d'études validée. Les deux auteurs parlent de "destin économique et social inespéré" pour ces jeunes passés à travers les mailles de la sélection habituelle.

"COBAYES HEUREUX"

Plus étonnant, la note montre que le bénéfice acquis a été transmis aux enfants. Les auteurs se sont penchés sur le niveau scolaire des élèves dont les pères ont passé leur baccalauréat en 1968 et l'ont comparé avec celui des enfants des générations précédentes et suivantes. Conclusion: les fils et filles des bacheliers de Mai 68 ont beaucoup moins redoublé que leurs camarades des autres années.

Ils estiment que chaque année de formation supérieure suivie par les pères se traduit mécaniquement par une diminution de 30% du risque de redoublement pour les enfants, un résultat bien supérieur à des études antérieures. Cette constatation autorise les auteurs à parler de transmission du "capital humain" entre les générations.

Les économistes tirent de leur étude une analyse plus générale. "Le fait que cet impact soit aussi particulièrement élevé et persistant à travers les générations est un argument de poids pour ceux qui aujourd'hui militent pour une expansion nouvelle de notre enseignement supérieur", affirment Eric Maurin et Sandra McNally. "Au fond, une des leçons les moins repérées de Mai 68 se trouverait dans la réussite aussi formidable qu'accidentelle d'une émancipation par la formation supérieure", ajoute Thierry Pech, secrétaire général de La République des idées, qui commence, avec cette note, la publication gratuite de documents sur Internet et s'apprête à lancer, sur abonnement, une revue mensuelle d'information sur les débats intellectuels internationaux (La Vie des idées).

Quarante ans plus tard, on en revient aux sources du mouvement de Mai 68, qui portait d'abord sur la place de l'Université dans la société.

"L'histoire sociale des 'élus de Mai' donnerait ainsi raison à tous ceux qui, révolutionnaires alors, pensaient que l'Université ne devait pas s'adapter à la société, mais la transformer. Ceux-là auront été, pour une part, les cobayes heureux de leurs propres idées", ajoute M. Pech, pour qui l'analyse démontre l'efficacité d'un "supplément de formation" du point de vue de la "justice sociale" et de la "performance économique". Vive la révolution !

Luc Bronner
Article paru dans l'édition du 30.03.05


Le Monde / Sciences
Le renard arctique, "fléau" des îles aléoutiennes

 L e contraste est saisissant. Alors que certaines îles de l'archipel aléoutien, à l'extrême sud-ouest de l'Alaska (Etats-Unis), présentent toutes les caractéristiques de la toundra, d'autres – pourtant toutes proches – sont parées de grasses et vertes prairies. L'injustice n'aurait rien de singulier si toutes les Aléoutiennes n'étaient climatiquement et géologiquement presque identiques.

les raisons de cette hétérogénéité demeuraient inconnues. La clé du mystère a été donnée vendredi 25 mars, dans la revue Science, par une équipe de biologistes et d'écologues américains. Chose étrange, le responsable identifié par les chercheurs n'est pas un brouteur de prairie: c'est le petit renard arctique (Alopex lagopus).

Pourtant, le responsable est non coupable. La faute en revient aux trappeurs du Grand Nord qui, vers la fin du XIXe siècle, pour répondre à la demande européenne croissante de fourrures, ont introduit le petit mammifère sur plus de 400 îles de l'archipel. Dans cet environnement, le carnivore a profité de proies abondantes et "naïves" – les nombreux oiseaux de mer – pour prospérer plus que de raison. Et ensuite, être facilement traqué pour son précieux pelage. Mais, en plus d'un siècle de chasse compulsive, Alopex lagopus a tant décimé d'oiseaux sur les îles qu'il a investies que le guano est venu à manquer.

Peu à peu, les sols de certaines îles ont ainsi perdu une grande part de leur fertilité. Cette "cascade trophique" mise au jour par les chercheurs américains est spectaculaire. "Elle montre à la fois la fragilité des écosystèmes et, surtout, met en lumière leur interdépendance, explique Gérard Lacroix, chercheur au laboratoire biogéochimie et écologie des milieux continentaux (UMR 7 168). En effet, les oiseaux de mer se nourrissent de ressources pélagiques: lorsqu'ils fertilisent ensuite les terres, ils assurent une sorte de lien entre les écosystèmes marin et insulaire".

Dans le cas des îles aléoutiennes, poursuit le biologiste, "l'introduction d'un prédateur supérieur a, seule, rompu ce lien". D'autres études ont été menées sur ces interconnexions de deux écosystèmes par transfert de nutriments. Mais celle présentée ici est "un cas d'école". Faune et flore peu abondantes, quantité limitée d'espèces et grand nombre d'îles aux caractéristiques très proches contribuent à faire des lointaines Aléoutiennes un exceptionnel laboratoire naturel.

Pour se convaincre de l'interdépendance des milieux insulaire et marin, les écologues américains ont étudié l'azote fixé par la flore. Celle, abondante, qui prospère sur les îles épargnées par le renard contient de l'azote dont les proportions isotopiques trahissent la provenance océanique et sa "transmission" par les colonies d'oiseaux. Quant à la toundra qui subsiste sur les îles infestées par le petit prédateur, elle stocke principalement l'azote présent dans l'air et ne reçoit que peu de nutriments provenant, indirectement, de l'océan.

La démonstration est donc faite que les fluctuations du marché de la fourrure, en Europe, ont pu remodeler les paysages d'archipels en Alaska.

Stéphane Foucart
Article paru dans l'édition du 30.03.05

NOTE. À mon jugé ça se passe de commentaire, mais je commente tout de mêm un brin. L'important dans cet article me semble la remarque finale: «La démonstration est donc faite que les fluctuations du marché de la fourrure en Europe ont pu remodeler les paysages d'archipels en Alaska». Ce qui va dans le sens d'un discours que je tiens dans plusieurs pages: à l'heure actuelle, il n'y a plus «des» écosystèmes, mais un seul écosystème, la biosphère dans son ensemble.


Le Monde / Sciences
L'accès haut débit sur fil de cuivre se démocratise

 L a vulgaire paire de fils de cuivre n'en finit pas de surprendre tant ses ressources semblent illimitées. Après avoir réussi l'exploit de transmettre simultanément le téléphone, Internet à haut débit et la télévision numérique, la voilà qui se prépare à acheminer des programmes en haute définition. Et cela pour presque tout le monde...

Le retour de la vidéo à la demande
On pouvait penser que l'affaire était réglée. Graal du haut débit, la vidéo à la demande n'a pas trouvé de clientèle sur Internet, mais elle tente à nouveau sa chance sur la télévision par VDSL. Les services comme ceux de la Freebox ou de MaLigne tv se prêtent à une telle diffusion de films. France Télécom teste ainsi à Issy-les-Moulineaux un catalogue de 1 000 films vendus de 0,5 à 5 euros pour un seul visionnage. Une concurrence directe des vidéo-clubs de location de DVD, avec l'avantage de ne pas avoir à sortir de chez soi. Reste à vérifier la qualité des images et leur fluidité.

L'époque où les modems affichaient fièrement 28 kilobits par seconde (kbps) n'est pas si lointaine, puisqu'elle remonte à tout juste dix ans. Aujourd'hui, leurs héritiers, les modems ADSL, offrent 15 mégabits par seconde (Mbps), bientôt 50 Mbps, et sans doute 100 Mbps dans quelques années... Alain Vellard, directeur des réseaux d'accès à la division R & D de France Télécom, estime même que l'on pourra un jour, au moins en laboratoire, friser le gigabit par seconde (Gbps).

Comment un tel miracle est-il possible ? Pour Dominique Hajerman, directeur des réseaux Internet chez France Télécom, ce sont les performances de l'électronique qui expliquent la vertigineuse croissance des débits sur le réseau téléphonique. L'exploitation d'un spectre de fréquences de plus en plus large n'explique pourtant pas tout. "Nous pouvons extraire un signal dans une mer de bruits", indique-t-il. Un exploit réalisé en temps réel et pour un coût qui a suivi la baisse des prix des composants électroniques. Reste les fils de cuivre eux-mêmes, qui n'ont pas changé depuis qu'ils ne servaient qu'à acheminer la voix et qu'on envisageait de les remplacer par des fibres optiques. Ces dernières se contentent des interconnexions entre les centraux téléphoniques. Le cuivre prend le relais pour atteindre chaque abonné.

Aujourd'hui, 5,5 millions de foyers sont "éligibles", c'est-à-dire qu'ils sont techniquement en mesure de recevoir le haut débit. D'ici à la fin de l'année, ils seront 10 millions. Au-delà, l'équipement des centraux ne permettra plus de progresser tant la distance qui les sépare des abonnés joue un rôle déterminant. La réception d'Internet et de la télévision à haut débit offerte par Free ou France Télécom (MaLigne TV) ne concerne que les foyers situés à moins de 2 ou 3 km (en fonction du diamètre des fils de cuivre installés) d'un central équipé en ADSL.

Depuis le 9 mars, France Télécom teste à Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine) une nouvelle technologie baptisée Very High Bit Rate DSL (VDSL) qui promet d'offrir des débits jusqu'à 50 Mbps pour la voie descendante (réception par l'abonné) et 25 Mbps en voie montante (émission). La grande originalité du VDSL est d'être installée, non plus dans les centraux téléphoniques, mais dans les sous-répartiteurs (SR).

Il existe environ 120 000 SR en France, contre 12 000 centraux. "Il s'agit des armoires grises qui sont souvent visibles sur la voie publique et qui ont l'avantage de se trouver plus près de l'abonné", explique Alain Vellard, directeur des réseaux d'accès pour la division R & D de France Télécom.

Le VDSL offre le haut débit dans un rayon d'environ 1 km. Si la distance efficace est plus faible que celle de l'ADSL, c'est en raison de l'exploitation de hautes fréquences plus sensibles que les basses fréquences à l'atténuation. Le VDSL utilise le spectre compris entre 1,1 MHz et 12 MHz. Or, son débit, de près de 40 Mbps lorsque le SR se trouve à une distance de 250 mètres de l'abonné est divisé par deux à 1 km et il devient pratiquement nul à 2 km. C'est dire s'il s'agit bien d'une technologie de proximité.

Dominique Hajerman indique que la mise en oeuvre du VDSL sur le terrain est relativement simple. L'expérimentation d'Issy-les-Moulineaux n'a demandé qu'un mois d'installation. L'introduction des cartes VDSL dans les SR exigera souvent la pose d'un boîtier supplémentaire. L'adaptation du réseau passe néanmoins par l'acheminement de la fibre optique jusqu'aux sous-répartiteurs, ce qui représente la pause de quelques centaines de milliers de kilomètres de fibres. Globalement, l'investissement correspondant devrait se chiffrer en centaines d'euros par ligne. Avec, sans doute, des prix de revient très variables suivant les configurations. Les SR peuvent en effet contenir de quelques dizaines de lignes à plus de 2 000 en fonction de la densité locale de populationAprès trois ans de travail, en particulier sur la normalisation, France Télécom semble décidé à généraliser rapidement le VDSL. Le recours à la technologie de haut débit par radio (Wimax) doit compléter la couverture nationale, afin d'offrir "un service permanent haut débit dans toute la France fin 2006", selon Dominique Hajerman. Malgré cet engagement sur la mise à niveau du réseau, France Télécom ne semble pas avoir encore de certitude sur l'étendue des applications du haut débitAlors même que l'on attend sa généralisation, le VDSL semble toucher aux limites des besoins. "Faudra-t-il offrir du très haut débit à tous nos clients ?", s'interroge ainsi Dominique Hajerman. De fait, la télévision constitue l'usage le plus gourmand, avec 4,6 Mbps aujourd'hui. Demain, avec la haute définition (TVHD), ce débit montera à 10 ou 15 Mbps suivant que l'on choisit la compression Mpeg 4 HD ou Mpeg 2 HD. Pour exploiter au mieux les possibilités du VDSL, il faudra, en sus du téléphone et d'Internet, souscrire au moins deux abonnements à la TVHD. Cela peut séduire ceux qui veulent enregistrer un programme en en visionnant un autre. Mais combien sont-ils ? La question souligne le chemin parcouru depuis le temps où l'on pestait contre la lenteur des modems, il y a seulement dix ans

Michel Alberganti
Article paru dans l'édition du 30.03.05


Lu sur le site de l'UFCN
tariq-al-halal.com - Interview - mercredi 30 mars 2005
Interview de Faouzia Zebdi Ghorab
Rencontre avec une femme qui a pris son courage à deux mains pour dénoncer les discriminations en se présentant à toutes les élections. Une femme qui ne demande finalement qu’une seule chose: qu’on enlève ce voile des préjugés pour ne voir en elle que la citoyenne française, certes musulmane voilée, mais citoyenne.

 N ous vous proposons une longue interview mais qui vous permettra de découvrir une femme au fort tempérament devenue aujourd’hui la représente du mouvement politique Union Française pour la Cohésion Nationale (UFCN).

Tariq Al Halal (TaH): Faouzia Zebdi Ghorab Quel est votre parcours professionnel ?
Faouzia Zebdi Ghorab (FZG):
Mon parcours professionnel consiste en un cursus très théorique car en fait je n’ai jamais pu pratiquer tout ce que j’ai appris. J’ai commencé par un DEUG de lettres, puis j’ai obtenu un DEA de Philosophie. J’ai également suivi une formation d’enseignement du braille. En fait j’ai fait beaucoup de choses tout en restant au stade de la théorie. Ce qui s’est passé c’est que j’acquérais une certaine connaissance que j’avais envi d’appliquer, de mettre en pratique. Mais comme les portes (ndlr: les portes de l’emploi) restaient fermées, je me disais que plutôt que de ne rien faire je me devais d’acquérir un maximum de compétences. Dès que j’avais une porte qui se fermait, je ne supportais pas d’être inactive. Je vais dire donc que j’ai usé mes «pantalons», sur les bancs des écoles en espérant qu’une nième formation me servirait enfin. Et comme je suis quelqu’un de très curieux intellectuellement, cela pouvait aller d’une formation à une autre sans qu’elles aient un quelconque lien entre elles. J’ai donc fait de l’italien, j’ai fait de l’arabe, du braille, de la calligraphie, du dessin... Je n’avais aucun préjugé par rapport à une science ou un domaine en particulier. Et puis un jour après mon DEA de philosophie, j’ai commencé à fatiguer un petit peu... Pour la suite de mon parcours, je vais vous raconter une anecdote un peu longue mais qui démontre bien le climat dans lequel on évolue. C’est assez significatif. Je me suis rendu à l’ANPE. Et la dame qui me reçoit au guichet me dit: «vous voulez quoi ?». Je lui réponds que je recherche du travail donc que je souhaite m’inscrire dans le cadre de la recherche d’un emploi. Elle me donne alors un imprimé et me demande ma pièce d’identité. Je sors alors mon stylo pour commencer à remplir l’imprimé. C’est alors qu’elle tire l’imprimé vers elle en me disant: «Bon je vais vous le faire». Je l’ai alors laissé faire sans broncher. Elle me demande alors: «vous avez fait des études ?». Je réponds que oui. Elle continue à me questionner: «Vous avez été au collège ?». Je réponds oui. Puis, elle enchaîne en me demandant si je suis passé en seconde. Je réponds: «oui». Elle me demande alors d’une voix étouffée: «vous avez eu votre bac». Je continue de répondre que oui. C’est alors qu’elle me dit, piquée de colère: «Mais, vous auriez pu me le dire...». Et je lui ai répondu: «mais je ne vous ai rien demandé n’est ce pas vous qui avez préjugé de mes capacités intellectuelles». Et l’agent de l’ANPE de me demander: «vous êtes allé jusqu’où ?». Je lui dit: «Bac +5». Et elle de rétorquer: «l’ANPE Cadre c’est au-dessus. Niveau 1».
L’histoire ne se termine pas là. Je monte à l’ANPE Cadre. A peine j’étais rentrée, que quelqu’un me dit «Qu’est ce que vous faites ici ? l’ANPE c’est en bas !». Je réponds qu’on m’avait dit que l’ANPE Cadre c’était ici. On me demande alors: «Vous savez ce que c’est l’ANPE Cadre ?» Je réponds que oui. Et ce n’est qu’à ce moment là que la personne a daigné m’écouter... J’ai expliqué que je souhaitais travailler dans mon domaine mais compte tenu des difficultés, je préférerais procéder à une réorientation. A l’époque c’était très à la mode l’informatique. Donc je me suis dit que j’allais le tenter. On me fixe une date pour le test d’évaluation. Je me retrouve avec tous les cadres dans une classe. A propos de classe cela me fait rappeler un autre moment manifestant le préjugé qui existe en France à l’encontre des femmes voilées et des français de référence afro- maghrébine en général et qui démontre qu’il existe un voile d’une autre sorte: le voile des préjugés et des apriori. J’allais donc à l’école avec mes enfants pour un entretien parents professeurs. J’entre la première dans la classe, les enfants étant en retraits derrière moi ne pouvant être vu par le professeur, quand celui-ci jette un regard en ma direction et me dit: «Pas tout de suite le ménage !» accompagnant ses mots d’un geste des mains comme si je ne pouvais le comprendre sinon par le langage des signes.... Notre vie foisonne d’anecdotes comme celles-ci. Pour en revenir à l’ANPE cadre, On m’explique qu’il y a un test... Je vois ensuite une conseillère pour analyser mes résultats. Et elle me dit: «C’est formidable notamment en logique où vous coiffez tout le monde». Je lui réponds que c’était sans mérite car la logique des prédicats est une option obligatoire et éliminatoire en cursus de philosophie. Cette conseillère de l’ANPE me dit alors: «Malgré tout, je peux pas valider votre stage car j’ai oublié de vous faire passer un test !». Sans me démonter, je lui dis: «Pas de problème faites moi passer le test tout de suite, je suis disponible maintenant ou je peux revenir demain !». Et elle me réponds: «Ah ben non ! C’est pas comme ça que cela fonctionne madame, il faut une échéance de 6 mois pour refaire le test».
J’ai alors claqué la porte et je n’ai plus jamais remis les pieds dans une agence nationale pour l’emploi.

TaH: Vous êtes membre de l’UFCN dont le président est Mustapha Lounes, pouvez vous nous décrire l’objectif de ce mouvement ?
FZG:
L’objectif est englobant dans sa «simplicité». D’ailleurs ce que j’aime dire à propos de l’UFCN c’est que derrière le message de l’UFCN, il y a une véritable pensée; pensée élaborée par ses membres fondateurs et Mustapha Lounès en particulier. Et je suis persuadée que c’est ça qui va faire que le mouvement va perdurer, qu’il va prendre de l’ampleur et qu’il va se construire. Peut-être lentement mais le processus est inéluctable. Et je pense que c’est ce que nous envient beaucoup de formations qui derrière leur grand discours n’ont pas de pensée ou de concept durable. Je ne pense pas que c’est l’action seule qui déclenche le fait que les gens se fédèrent. Il faut qu’en amont de cette action, il y ait une pensée, une idée maîtresse. Et l’UFCN c’est avant tout une idée essentielle: l’idée de promouvoir une société dans laquelle les gens vivraient ensemble tout simplement. Cela peut paraître simple voire utopique et pourtant cela ne l’est pas. J’y crois avec tout le bureau politique de l’UFCN et nous mettrons tout en œuvre pour concrétiser ce «rêve» d’une France sans discriminations.

«Il n’y a pas une France, il y a des Frances»

TaH: Vous estimez qu’aujourd’hui en France on ne vit pas ensemble ?
FZG:
Il n’y a pas une France, il y a des Frances. Et des Frances qui sont cloisonnées au point que dans des circonscriptions tels que Neuilly- Puteaux, on a l’impression en lisant dans le regard des autres que ces zones appartiennent à des régions dans lesquelles on ne devrait pas apparaître. Il a véritablement des Frances. La France des gens d’en- bas, la France des discriminés, des «sous citoyens, des chômeurs, des citoyens de référence afro maghrébine, je ne pourrai pas énumérer toutes les Frances, mais il est certain qu’il n’y a pas une France avec un principe d’égalité pour tout le monde, mais des Frances avec des accessions au logement différentes, une accession à l’éducation différente, une accession au travail différente, ...

TaH: Donc d’une certaine manière, vous êtes opposée à l’idée de communautarisme ?
FZG:
Absolument. Il y a plusieurs réponses à faire par rapport à l’idée de communautarisme. Un communautarise c’est quelqu’un qui voudrait vivre selon des principes que sa communauté aurait fixés dans une zone bien circonscrite, qui voudrait vivre en marge de sa société...Le contraire de ce que nous revendiquons. Notre but est justement de casser le communautarisme et le ghetto dans lequel on nous a mis. C’est les politiques urbaines successives qui nous ont mis dans des ghettos desquels on veut sortir. Et maintenant on nous traite de communautariste. C’est vraiment un inversement des rôles et des discours.

TaH: Quelle fut votre motivation pour participer à un tel projet ?
FZG:
En fait, je ne me suis jamais reconnu ni retrouvée dans aucun mouvement. Pourtant, je suis quelqu’un qui ne s’est jamais désintéressée du fait politique et de la vie de la cité comme c’est le cas de beaucoup de français aujourd’hui quelque soit leur référence d’ailleurs. Autant le PS a pu fédérer des personnes de référence afro maghrébine ou des couches dites défavorisées, autant le discours du PC a pu quelque temps intéresser ces mêmes catégories de personne, autant l’extrême gauche aussi a eu un discours très flatteur par rapport à ces catégories de populations, autant les verts un certain moment avec le discours écologique, discours de l’«authenticité» ont pu attirer un certain électorat, et je ne parlerai pas des mouvements de droite, autant ces discours ne m’ont jamais interpellé. J’ai toujours observé et j’ai pu reconnaître les actes positifs de ces partis qui pouvaient apporter du concret à des problèmes spécifiques. Mais il y avait un déficit politique vraiment flagrant à l’encontre d’une frange de la population française dont on ne parlait qu’en période électorale et qui servait essentiellement de vivier électoral en période de campagne. Et cela je l’avais bien senti. J’avais senti que c’était purement et simplement de la démagogie ou de l’opportunisme politique. «On s’est «intéressé» à celles et ceux qui désespérément s’attachaient à une tentative de reconnaissance au prix d’une «dénaturation»».

TaH: Donc pour vous c’était pour lutter contre cette démagogie que vous êtes entrée à l’UFCN ?
FZG:
Oui dans un sens. Car je crois qu’il s’agit d’une démagogie qui voulait qu’on ne s’intéresse à moi que quand on en avait besoin. Ces jeunes filles qui sont aujourd’hui exclues du système économique. Jamais, aucun parti n’en a parlé. Ces milliers de jeunes de référence afro maghrébine exclus du système scolaire avec des procédés très souvent scandaleux car quand vous envoyez des personnes orientées vers un BEP alors qu’elles ont des 12 et des 14 de moyenne, je trouve cela révoltant. La discrimination scolaire, Georges Felouzis un universitaire de bordeaux qui a réalisé une étude sur le sujet, en a très bien parlé en apportant des chiffres très éloquent en la matière. Et cette discrimination, il n’y a pas que nous qui la constatons. Quand dans des banlieux on retrouve des classes à 98% d’élèves de référence afro maghrébine, il ne faut pas venir nous parler de mixité sociale. Le problème c’est qu’on ne s’y est jamais intéressé véritablement. Il a eu des slogans. A la rigueur, on s’est «intéressé» à celles et ceux qui désespérément s’attachaient à une tentative de reconnaissance au prix d’une «dénaturation». A cela, je dis non. Je suis une enfant de la France. Et bien, la France est bien ingrate en ce moment. On est les canards boiteux de la famille. Mais, ce n’est pas pour autant que je vais me nier et accepter d’exister autrement pour que l’on me reconnaisse et que l’on voit en moi un être humain. Quand j’ai lu le projet de l’UFCN, J’ai tout de suite adhéré. Les partis politiques traditionnels qui m’ont parlé pendant des années ne m’ont jamais convaincu; l’UFCN il a fallu à peine un mois pour que j’y adhère.

TaH: Comment ceux que vous rencontrez, jugent votre projet ?
FZG:
Les personnes à qui on parle ont d’abord été surprises. C’est la première étape: l’étonnement. Les gens me demandaient si j’étais partie véritablement à la préfecture pour déposer un dossier en tant que candidate d’une élection libre ! Les gens avaient du mal à y croire. Ils s’interrogeaient: «On a le droit ?». Quelque par cela m’a donné envi de pleurer parce que je me disais: «Mon dieu, on est si loin que ça !»... «On est si sinistré que ça au point de se demander si on a le droit de se présenter à des élections et si on est éligible !». On a donc changé la vision des choses que peuvent avoir les gens. Ils voient aujourd’hui qu’il y a une constance à chaque élection. Et le scepticisme qui était présent, est désormais parti. Et cela est un pas de géant. Rien que pour cela, cela valait la peine de faire tout ce qu’on fait. Après l’étonnement et le scepticisme, il y a eu tout d’un coup les gens qui se sont intéressés à l’aspect technique, juridique, pragmatique des choses. Une véritable éducation à la citoyenneté venait de commencer. Il y a également toute une culture que l’on draine avec nous qui fait qu’au début j’avais un auditoire principalement féminin parce que l’on pensait que mon message ciblait entre autre la discrimination féminine. Puis petit à petit, des personnes de tout horizon ont commencé à fédérer le mouvement.

«il va falloir que tu fasses doublement tes preuves»

TaH: Estime-vous qu’aujourd’hui les droits des citoyens français de confession musulmane sont bafoués ?
FZG:
Il est vrai qu’aujourd’hui les français de confession musulmane «bénéficient» d’un traitement qui n’est pas égalitaire. Du fait même de sa confession, le citoyen français de confession musulmane est en position de marginalisation. Du fait de cette marginalisation forcée, on lui fait subir un traitement discriminatoire. D’où la loi du 15 mars 2004, d’où cette stigmatisation à travers une terminologie qui est excluante. «D’origine,», «issu de l’immigration», «beur» toujours ces connotations excluantes qui sont en fait là pour dire: «tu es français mais tu ne penses tout de même pas que tu auras accès égalitairement à tous les droits des dits français. Et ce même si la constitution te les reconnaît en terme de droits constitutionnels. Mais dans la pratique, il va falloir que tu fasses doublement tes preuves». Il nous reste maintenant à comprendre ce que cela veut dire faire doublement ses preuves. Parce qu’au niveau de l’intégration intellectuelle et économique, les jeunes de référence afro maghrébine offrent un potentiel économique et une richesse à la France comme nos parents ont apporté une richesse à la France. Sur le plan économique et social on a rien a prouver et sur le plan intellectuel ou culturel non plus. Donc qu’est ce que l’on veut nous demander de prouver ? En quoi doit-on faire nos preuves ? Nous, à l’UFCN, ce que l’on a compris c’est qu’on nous demande de faire nos preuves en n’oubliant une part de ce qui fait notre spécificité, nos différences qui sont autant de richesse. Et ça on ne peut pas l’accepter.

TaH: En prenant une femme voilée comme sa représentante, est ce que les membres du UFCN n’ont pas peur d’être associé à un mouvement fondamentaliste ?
FZG:
On a beaucoup réfléchi à cela. Lorsque j’ai adhéré au mouvement, je me suis très vite investie pour la promotion de son discours. Je l’ai porté avec beaucoup de conviction; conviction que j’essayais de faire partager tout autour de moi. Pourquoi alors ceux qui luttent contre la discrimination auraient refusé ma candidature. En cas de refus, moi-même je me serai posée des questions. Je me serai dit: «C’est un parti qui lutte contre toutes les formes de discrimination et qui quelque par me discrimine pour des raisons complètement étrangères au critère de choix de ma candidature. Alors on ferait comme les autres partis. Autant dans ce cas intégrer les autres partis». Mais le fait que le bureau politique de l’UFCN ait accepté ma candidature, c’est au contraire prouver la véracité de la non démagogie de leur mouvement. Parce que c’est lourd à porter pour eux, je l’imagine. Quelque part la stratégie d’avoir peur de ce dont on pourrait nous qualifier pervertirait la teneur du message que l’on veut envoyer.

TaH: En clair, vous avez appliqué le principe d’égalité des sexes et de la reconnaissance du travail effectué ?
FZG:
Exact. Et cela, nous l’avons appliqué alors que d’autres partis ne l’ont jamais fait ou disent commencer à vouloir le faire sans que nous en voyions les preuves concrètes.

TaH: Vous avez participé à l’élection partielle de Neuilly-Puteaux dimanche 13 mars où vous avez réalisé 0,76% des voix soit 185 votes sur 25000 bulletins, quelles leçons votre mouvement en tire ?
FZG:
Les leçons à tirer sont de deux ordres. Il y a des leçons à tirer dans l’absolu du score en lui même. Et il y a des leçons à tirer de ce score qui s’inscrit dans la continuité du mouvement de son action et de son impact. Au niveau de l’analyse intrinsèque du score, je dis qu’il reflète assez bien le travail qui a été fait. Et franchement, il est même au-delà de nos espérances. Vu le travail qui a été fait, vue la couverture médiatique qui n’était pas élogieuse, vue la tentative de stigmatisation systématique de ma candidature, vues les régions dans lesquelles on se présentait, on aurait pu penser à un score dérisoire. Et là, j’avoue que ce score là, quelque part il nous rappelle qu’avec peu de moyens mais avec des militants qui ont porté le message avec sincérité, qui ont tracté avec leurs tripes, avec spontanéité et une certaine naïveté; qui ont agit sans qu’on leur promette quoi que ce soit, ... en fait quelque part je suis très «fière» d’eux et du score qu’on a pu réaliser par leur simple mobilisation.

TaH: Au vue du score que l’UFCN a réalisé lors de cette élection quel était l’intérêt de participer à cette élection où votre cible d’électeurs, que sont les personnes subissant des discriminations, sont moins représentés à Neuilly que dans d’autres villes ?
FZG:
L’intérêt s’inscrit plus dans le cadre d’un travail que l’UFCN effectue sur le long terme qui est d’acquérir le maximum de visibilité et de donner le plus d’audience à notre projet politique du «Vivre Ensemble» Notre discours doit être entendu de tous car la discrimination et en particulier «traquer» la discrimination, est l’affaire de tous et toutes.

TaH: Vous vouliez donc juste passer un message lors de cette élection ?
FZG:
Pourquoi les putéoliens ou les nocéens devraient être exemptés du droit et du devoir de savoir que d’autres citoyens vivants à quelques mètres d’eux parfois sont dans une situation inadmissible pour tous. Devrait-on moduler notre discours en fonction des quartiers ? Veut-on également ghettoïser notre discours ?

TaH: N’avez-vous pas l’impression que votre candidature est gênante pour certains élus, voire certaines associations ?
FZG:
Le «jeu démocratique» veut que la pluralité des candidats serve la démocratie. C’est la garantie d’une démocratie saine. C’est la garantie de pouvoir porter sur la scène politique les espoirs et les revendications de tous. Maintenant, il est certain que tout le monde ne voit pas cela du même œil. Beaucoup ont perdu cette capacité d’indignation et de revendication et ont pu voir dans ma candidature une «gêne» ou une «excentricité». Mais par notre présence sur la scène politique et notre persistance, le discours finira je pense par nous inscrire sur la liste des formations politiques dont on juge la présence «normale».

«je n’ai jamais vécu dans une société de tradition musulmane»

TaH: Estimez vous plus difficile aujourd’hui d’être une femme dans une société musulmane ou d’être une musulmane voilée dans une société occidentale ?
FZG:
Je ne pourrai pas vous le dire pour la simple raison que je n’ai jamais vécu dans une société de tradition musulmane. Pour ce qui est par contre d’être une femme voilée dans une société occidentale comme vous dites Personnellement je ne l’ai jamais vécu comme une situation particulière jusqu’au jour ou on a insisté pour nous dire par le biais du discours puis d’une loi, que l’on considérait un statut particulier pour la citoyenne française de confession musulmane et que dans ce cadre il fallait légiférer. Nous mesurons aujourd’hui les conséquences dramatiques de ce traitement discriminatoire.

TaH: Pensez-vous que le CFCM puisse jouer un rôle dans cette politique de lutte contre les discriminations ?
FZG:
J’aimerais si vous le permettez répondre à votre question par une autre question. Auriez- vous posé la même question à d’autres formations politiques ? Le CFCM est un conseil qui fut crée en vue de gérer le culte musulman. Si je dois me positionner par rapport à cet organisme c’est sur le plan privé et personnel vue que ma religion est une affaire privée. Cela relève de l’opinion personnelle. Et je crois que mon opinion personnelle n’a pas lieu d’être exposé et débattue en public.

TaH: Comment analysez vous la lecture faites de l’islam par les médias, les intellectuels et certaines associations ?
FZG:
Ce qui est étrange c’est autant on peut faire une lecture des candidatures en se basant essentiellement sur leurs messages, leurs textes, leurs discours, leurs formations politiques, leurs appartenance politiques, mais autant à partir du moment que c’est quelqu’un qui se présente de manière différente qui a des références un peu différente à ce moment là on ne considère plus comme un candidat à part entière C’est-à-dire que le message, le discours politique, sa formation politique, etc., sont mis en retrait pour ne plus voir en lui qu’un individu dont la confession ou les références orienteraient le discours et lui donneraient des connotations. Et ça, c’est quelque chose qu’à l’UFCN on va s’engager à démonter. Car il faut aussi que l’on nous voit à travers un message, à travers un discours politique. Est ce à dire que les autres candidats n’ont pas de principes et n’ont pas de confession particulière ? Non ! Mais ce n’est pas à partir de cela que l’on va déclencher des commentaires dans les articles. Alors pourquoi pour moi ce serait une dimension personnelle qui déclenche les commentaires à propos d’une candidature qui est publique et qui s’inscrit dans le schéma électoral, etc. Il y a donc là un traitement qui n’est pas égalitaire. On va donc veiller à une égalité de traitement sur le traitement de nos candidatures

TaH: Se déroulera le 29 mai prochain le référendum sur le traité constitutionnel européen, quelle sera la position de votre mouvement ?
FZG:
Au niveau de la convention européenne, nous avons jusqu’au mois de mai pour bien l’étudier et communiquer notre position. Pour le moment, on a un avis qui n’est pas tranché bien que nous penchions vers le non. Nous serions défavorable au oui car en amont, l’Union Européenne refuse pour des considérations que l’on juge à l’UFCN complètement «aprioriste» l’entrée de la Turquie en Europe. On aimerait bien que cela soit justifié politiquement et économique hors cela n’est pas le cas aujourd’hui. Par contre la constitution européenne réaffirme certains principes relatifs aux droits de l’homme, à la définition de ses libertés, au droit du citoyen, qui pourraient quelque part nous amener à penser que cela pourrait nous permettre de rétablir certaines normes qui en ce moment deviennent un peu flou pour beaucoup.

TaH: Quels sont les projets d’action que vous comptez mener ?
FZG:
Et bien, les actions que l’on compte mener sont avant tout des actions de terrains. Appeler les gens massivement à s’inscrire sur les listes électorales. Et c’est vrai que toutes les bonnes volontés et les idées pour arriver à ce projet, sont les bienvenues. Je ne veux pas pousser les gens à s’inscrire sur les listes pour voter UFCN. Je voudrais dans un premier temps qu’ils comprennent l’intérêt de l’inscription avant même de décider pour qui ils vont voter. En effet, celui qui n’a pas encore compris l’intérêt du vote ne peut pas être prêt à faire le choix de l’UFCN , vu que ce choix nécessite d’avoir compris les enjeux d’un engagement qui passe par la voie des urnes. Cela passera essentiellement par l’établissement de bureaux UFCN, à l’échelle du canton, chargés d’une campagne massive visant au développement de l’esprit civique (inscription sur les listes électorales, formation au fonctionnement des institutions: municipalités, conseils généraux, conseils régionaux, assemblée nationale, sénat). Nous envisageons la création de comités départementaux supervisés par des directions régionales. Nous souhaitons également aider à la création de parents d’élèves et de locataires. Nous désirons ouvrir la réflexion sur la constitution de syndicats pour lutter efficacement contre la discrimination à l’embauche. Et bien sur, nous travaillons, en fidélité avec notre projet politique, à la préparation des prochaines échéances électorales.


Le Monde / International
Jean-Hervé Bradol, l'humanitaire à contre-courant

 "O n juge quelqu'un sur la qualité de ses refus", recommandait Paul Valéry. A cette aune-là, le docteur Jean-Hervé Bradol apparaît à son avantage. A l'image de Médecins sans frontières (MSF), qu'il préside depuis 2000, il sait dire non.

Non, il ne faut pas continuer à adresser des dons à MSF pour l'aide d'urgence aux victimes du tsunami en Asie, répéta-t-il voilà tout juste trois mois. Non, il ne faut pas se taire face à l'intolérable, mais au contraire dénoncer, comme il le fit en 1994, "le soutien de la France au régime génocidaire" rwandais. Non, il ne faut pas se contenter, sous prétexte d'humanitaire, d'"une médecine au rabais, de mauvaise qualité". Non, il ne faut pas accepter avec fatalisme que les pays les plus pauvres soient privés d'accès aux traitements contre les maladies qui les dévastent.

Chronologie

1958 Naissance à Paris.
1989 Première mission pour Médecins sans frontières (MSF), en Ouganda.
1994 A Kigali (Rwanda) au moment du génocide des Tutsis.
2000 Elu président de MSF.

Emboîtant le pas à ses homologues de Hongkong et des Etats-Unis, Jean-Hervé Bradol a annoncé début janvier que MSF suspendait la collecte de dons pour les victimes du tsunami. "Ce n'est pas une position idéologique, mais une question d'honnêteté. Nous n'avons fait qu'expliquer à nos donateurs notre politique de transparence, argumente le président de MSF. Face à un emballement collectif, nous avons dit que nous avions plus d'argent que nécessaire pour l'aide que nous pouvions mettre en oeuvre. Nous n'avons affirmé ni qu'il fallait cesser les dons aux autres ONG ni que nous n'avions pas besoin d'argent pour nos autres missions".

Bilan: 50 donateurs perdus sur les 400 000 que compte MSF. Au moment de la suspension, 40 millions d'euros avaient été reçus. Dans les deux semaines suivantes, le total des dons a achevé de grimper jusqu'à 87 millions d'euros.

"Trois mois après le tsunami, notre diagnostic initial est confirmé, estime aujourd'hui le président de MSF. Les secours venus de l'étranger n'ont pas été déterminants. Le héros étranger sauve 15% des victimes survivantes. Les autres le sont grâce aux secours de proximité. Et où sont les épidémies annoncées ? Une manipulation politique et sociale de l'aide a rempli les caisses de différentes organisations. Il y a eu un embouteillage du fait du trop grand nombre d'acteurs, dont beaucoup ont été inefficaces. Nous-mêmes avons mis plus d'un mois à faire parvenir des tentes à la population indonésienne".

Cet art de se placer à contre-courant, le spécialiste de médecine d'urgence et de médecine tropicale ne l'a pas découvert en prenant la présidence de MSF. C'est au contraire ce qui l'a amené vers l'humanitaire, alors qu'il gardait d'un passage à la Ligue communiste révolutionnaire une certaine défiance à l'égard des mouvements caritatifs.

Fils d'un cadre des PTT, breton et ancien FTP, et d'une secrétaire parisienne, fille d'immigrés italiens, Jean-Hervé Bradol a commencé par exercer la médecine dans des services d'urgences du sud francilien. L'été, pendant deux mois, il travaille à Belle-Ile.

L'envie de voyager le tenaille. Le frère d'un ami médecin lui parle de MSF. "La combinaison d'une pratique dans les situations de crise et d'une réflexion politique sur l'aide humanitaire" l'incite à tenter le coup.

Après plusieurs projets de mission avortés, il part pour six mois dans le nord de l'Ouganda à l'automne 1989. Au menu: maladies tropicales en tout genre, guerre civile et réfugiés soudanais. "C'était passionnant. J'ai appris énormément de choses avec le collègue argentin que je relevais. Mes réticences idéologiques n'ont pas résisté à l'épreuve de la réalité".

Rentré en France, il s'"ennuie dans son activité professionnelle". Quand MSF lui propose à brûle-pourpoint de partir pour la Somalie, il accepte sans hésiter. Il est l'un des treize étrangers présents à Mogadiscio, la capitale déchirée par la guerre civile. Membres de MSF, du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) et d'une ONG italienne, ils travaillent seize à dix-huit heures par jour dans une atmosphère parfois dantesque.

Les blessés se comptent par milliers, les malades sont armés et les échanges de tirs dans l'hôpital ne sont pas exceptionnels. Il passe trois mois sous protection armée permanente. "C'est l'une des contradictions des organisations humanitaires. Nous gérons une milice armée parce qu'il n'est pas possible de travailler sans cela, en croisant les doigts pour qu'elle ne tue personne".

D'autres missions suivent. La Thaïlande, dont il garde la nostalgie, puis à nouveau la Somalie en 1993 – "un Barnum humanitaire". L'année suivante, il est au Rwanda. Son visage tout en longueur se fait plus grave. "Je suis entré le 13 avril 1994 -une semaine après le déclenchement du génocide- à Kigali avec un convoi, dans le cadre d'une opération conjointe de MSF et du CICR. J'ai découvert la mécanique génocidaire. Notre hôpital était un îlot au milieu d'un univers hallucinant à la Jérôme Bosch".

A son retour, en mai 1994, il fait scandale en mettant en cause les complicités françaises au 20 heures de TF1. Fureur à l'Elysée. Les conseillers de François Mitterrand proposent une rencontre avec le président. Refus de Philippe Biberson, président de l'organisation humanitaire.

Plus de dix ans après, Jean-Hervé Bradol ne regrette ni sa sortie ni ce refus. A l'évidence encore marqué par son expérience rwandaise, il évoque le sentiment d'"être renvoyé à sa propre impuissance, à sa propre lâcheté, d'être obsédé par la culpabilité de ne pas en faire assez pour les autres". On n'oublie pas. On ne s'habitue pas non plus.

Pour ne pas "cramer" ses membres, MSF leur permet de "décompresser" en prenant un congé sabbatique. La règle vaut pour tous, y compris le président. Alors, même si son mandat court encore un an, le docteur président souffle. Pendant ses trois mois de congés, qui s'achèvent en mai, il voyage, lit, fait du sport, et réfléchit... à l'avenir.

Paul Benkimoun
Article paru dans l'édition du 01.04.05


Le Monde / International
Mort de Maskhadov: le parquet dément la version officielle

 L e parquet général russe a affirmé, vendredi 1er avril, que le président indépendantiste tchétchène Aslan Maskhadov avait été tué par balles par ses compagnons d'armes à sa demande, démentant la version officielle selon laquelle il avait été tué par une explosion lors de l'assaut le 8 mars de sa cache.

"Maskhadov est mort de multiples blessures par balle, qui lui ont été infligées à sa demande par des individus se trouvant avec lui dans le bunker", a déclaré le procureur général adjoint Nikolaï Chepel lors d'une conférence de presse à Vladikavkaz.

Il a indiqué que toutes les expertises judiciaires avaient été achevées, et a confirmé que, conformément à la nouvelle législation antiterroriste russe, le corps ne serait pas rendu à la famille d'Aslan Maskhadov.

Le porte-parole de l'état-major des forces fédérales dans le Caucase du Nord, Ilia Chabalkine, avait affirmé, lors de l'annonce très médiatisée de la mort du leader séparatiste, qu'il avait été tué par l'onde de choc d'une charge explosive placée par les forces spéciales pour parvenir à le capturer dans un bunker souterrain sous une maison de Tolstoï-Iourt (nord de Grozny).

Le vice-premier ministre du gouvernement pro-russe de la Tchétchénie, Ramzan Kadyrov, avait cependant laissé entendre que Maskhadov avait été tué par balle par l'un de ses gardes du corps.

Les trois compagnons de M. Maskhadov qui se trouvaient avec lui dans le bunker avaient été capturés vivants, selon la version officielle. Les télévisions russes avaient montré le corps du leader indépendantiste, une flaque de sang derrière la tête mais ne portant pas de blessure apparente. Un quotidien russe, Moskovskiï Komsomolets, a de son côté affirmé que le leader indépendantiste avait été capturé par les forces tchétchènes pro-russes, interrogé puis tué par balle, et son corps placé dans la cave de la maison de Tolstoï-Iourt pour une mise en scène.

UNE ÉLIMINATION DÉCIDÉE PAR LE PRÉSIDENT VLADIMIR POUTINE

La maison a été par la suite entièrement détruite à l'explosif par les militaires russes pour des raisons inconnues. Un site indépendantiste a affirmé dernièrement que son propriétaire avait été retrouvé mort après avoir été emmené par les forces spéciales russes. Les autorités ont de leur côté affirmé qu'il avait été arrêté pour interrogatoire et se trouvait en détention.

La presse russe a estimé que l'élimination d'Aslan Maskhadov n'avait pu être décidée que par le président Vladimir Poutine, craignant que les appels répétés du leader indépendantiste à la négociation et le cessez-le-feu unilatéral qu'il avait décrété unilatéralement en février 2005, dans la république séparatiste ne finissent par en faire "le leader d'un Sinn Fein tchétchène", dans une allusion à l'aile politique de l'IRA, l'Armée républicaine irlandaise.

Aslambek Aslakhanov, un général tchétchène nommé en 2003 conseiller du Kremlin, a de son côté relevé que l'élimination du leader indépendantiste empêcherait ce dernier de faire des révélations et de dire qui sont "les ordures qui ont commencé ce carnage, qui ont pillé cette république et ont apporté tant de malheurs à la Russie et à la Tchétchénie".

Article paru dans l'édition du 01.04.05


Le Monde / Opinions
Point de vue
Nouveau lumpenprolétariat et jeunes casseurs

 P our nous, parents de lycéens agressés le 8 mars, ce qui s'est passé ce jour-là nous laisse un goût amer. A la fois parce que ce sont nos enfants qui manifestaient et qui ont été blessés et traumatisés et parce que nous sommes depuis longtemps engagés dans le combat contre les politiques de relégation dont ces violences sont le résultat.

Mais ce désarroi est aussi redoublé par le silence gêné que l'on observe chez nombre de nos amis politiques, à gauche et à l'extrême gauche, comme si voir et penser cette situation nouvelle dérangeait le confort de leur représentation du monde. A la difficulté de faire partager l'expérience des victimes s'ajoute ainsi le déni de ceux qui devraient en être solidaires.

Nous sommes convaincus que refuser de penser cette réalité revient seulement à laisser les démagogues de tous bords s'en emparer, au risque de l'aggraver.

Ne nous y trompons pas: les violences du 8 mars, loin d'être un incident isolé, sont révélatrices de la crise qui traverse la société depuis de nombreuses années et annoncent de nouveaux lendemains qui déchantent. Si la présence des adultes et des services d'ordre syndicaux, à la manifestation du 15 mars, a permis de contenir de nouvelles agressions, elle n'est en rien une solution.

Nous qui avons fait nos premiers pas dans les luttes sociales à la fin des années 1970 sommes bien placés pour savoir que la jeunesse a besoin d'affirmer son autonomie politique et que les lycéens n'ont pas les moyens de s'auto-organiser efficacement pour affronter cette violence, sauf à se transformer eux-mêmes en milices d'autodéfense, ce que nous ne pouvons leur souhaiter. C'est donc la liberté même de manifester qui est remise en question.

D'abord, il faut rappeler les faits. Ceux qui n'ont pas assisté aux violences du 8 mars ou qui ne sont pas parents de victimes ont du mal à mesurer l'ampleur et la gravité de ce qui s'est passé ce jour-là. Contrairement aux années 1990, il ne s'agit pas d'actes isolés débordant la colère incontrôlée de "casseurs" révoltés, mais d'une violence massive (on parle d'un millier de "casseurs" pour 9 000 manifestants) et dirigée de façon exclusive et systématique contre les manifestants. Visages ensanglantés, filles traînées par les cheveux, lycéens en pleine crise de nerfs, bandes s'acharnant à dix, à coups de pied et de bâton, sur des gamins à terre.

Tous les témoignages décrivent ces scènes de cauchemar. Ce sont des centaines d'agressions qui ont eu lieu le 8 mars et des dizaines de gamins qui se sont retrouvés à l'hôpital, blessés et traumatisés. Sans parler des effets de cette violence sur l'imaginaire social de la jeunesse et de la terreur qu'elle a durablement installée dans l'esprit des plus tièdes. Ce qui a été cassé le 8 mars, c'est la manifestation lycéenne, contrainte de se disperser à mi-parcours, et avec elle la mobilisation des jeunes contre la loi Fillon et une éducation toujours plus inégalitaire.

Ces violences n'auraient pu avoir lieu sans la complicité passive des forces de l'ordre, qui ont assisté aux scènes de lynchage, souvent à quelques mètres, sans intervenir. Tout indique que le gouvernement a laissé faire, dans le but de briser la mobilisation lycéenne, au risque de nombreux dégâts collatéraux. C'est pourquoi nous demandons à ce qu'une enquête parlementaire soit menée pour faire le bilan de ces agressions (nombre d'admissions dans les hôpitaux et gravité des blessures, nombre de plaintes déposées) et la lumière sur le comportement des autorités.

Au-delà de cette question essentielle, il nous faut nous interroger pour comprendre comment des jeunes exclus du système scolaire, pour la plupart issus de l'immigration, en sont arrivés à considérer comme leurs ennemis d'autres jeunes manifestant pour l'égalité des chances. Or, à de rares exceptions près, les analyses proposées par les commentateurs sont incapables d'appréhender la nouveauté de cette situation. Ainsi Esther Benbassa se demande, dans Libération des 26 et 27 mars, si "dans les violences commises à l'égard des manifestants lycéens, il n'y a pas plutôt l'ancienne opposition bourgeois-prolétaires".

Cette lecture est doublement erronée. D'abord parce que les lycéens qui manifestaient le 8 mars n'étaient pas des "bourgeois", mais venaient essentiellement des couches moyennes et des classes populaires. Les lycéens de banlieue étaient d'ailleurs fortement représentés durant la manifestation et ont eux aussi été victimes des violences. A l'inverse, les écoles d'élite, publiques ou privées, où se reproduit la bourgeoisie, étaient évidemment absentes de la mobilisation.

Les agresseurs ne sont pas plus proches du prolétariat que les agressés de la bourgeoisie. Ils appartiennent plutôt à cette couche d'exclus née de la délocalisation massive du travail ouvrier à partir des années 1970 et de l'éclatement des anciennes solidarités qui y étaient liées. Discriminés par leurs origines sociales et ethniques, relégués dans des ghettos, orientés malgré eux dans des filières sans avenir, certains de ces jeunes plongent dans les mirages de l'économie parallèle et assouvissent leur fantasme de toute-puissance dans l'hyperviolence à la Orange mécanique, dernier réceptacle d'un capital corporel qui ne trouve plus à s'employer.

Exclus du système éducatif, ils le sont aussi des combats pour sa transformation et n'entretiennent plus avec ceux qui luttent que ressentiment et jalousie sociale.

Loin de contester le système, les identités refuges qu'ils se fabriquent au sein de leur sous-culture de ghetto le reproduisent jusqu'à la caricature: conquête de territoires, consommation effrénée de marques, haine de la différence, machisme, cynisme, business, guerre de tous contre tous. Plus que les "prolétaires", ces exclus des exclus rappellent le lumpenprolétariat, cette "armée de réserve du capital" décrite par Marx, qui constituait la "phalange de l'ordre" de Bonaparte ou qui servait d'auxiliaire de choc aux troupes d'Hitler et de Mussolini.

Comme on l'a vu le 8 mars, l'ordre néolibéral se nourrit de cette forme contrôlée d'illégalisme. Utilisée ponctuellement pour briser une manifestation parisienne, cette violence est en général maintenue à la périphérie, mais elle justifie en même temps un quadrillage généralisé et elle est forcément coupée des classes populaires puisque celles-ci en sont les premières victimes. Elle est politiquement sans péril et économiquement sans conséquences. Bouc émissaire de toutes les inquiétudes sociales, elle permet de fabriquer un "ennemi intérieur" face auquel l'Etat peut se constituer comme garant de l'ordre et justifie d'autant l'apartheid social et la logique sécuritaire qui en est le corollaire.

Le racisme est évidemment une composante de ce ressentiment. Tous les témoignages sur le 8 mars le corroborent et certains des agresseurs le revendiquent. Si, et il est essentiel de le souligner, nombre de manifestants étaient eux-mêmes issus de l'immigration, les bandes qui les attaquaient étaient bien des bandes ethniques. Elles traquaient surtout les "petits Blancs" et de préférence les petits blonds, même si elles ne se gênaient pas pour frapper les lycéens de couleur qui s'interposaient, traités de "suceurs de Blancs" pour l'occasion.

A défaut de nous plaire, ce constat ne devrait pas nous surprendre. Pourquoi les Juifs, les Arabes ou les Noirs, qui subissent l'explosion du racisme, comme viennent de le confirmer les travaux de la Commission nationale consultative des droits de l'homme, ne deviendraient-ils pas, pour certains, racistes à leur tour à l'encontre de ces "petits Blancs" érigés en victimes expiatoires de leur exclusion sociale ?

L'histoire nous démontre que la pulsion raciste, l'exclusion de l'autre, et son contraire, le dépassement de l'altérité par l'affirmation d'une société commune, n'ont cessé de se livrer une lutte sans merci en tous lieux et depuis l'aube de l'humanité. La bête immonde sommeille en chacun et l'éclatement communautariste qui accompagne la barbarie libérale lui prépare encore de beaux jours.

Voir et penser ce racisme à l'envers est nécessaire pour comprendre le degré de fracture au sein de la jeunesse. Il ne s'agit en aucun cas de stigmatiser l'ensemble des jeunes issus de l'immigration, qui dans leur immense majorité ne le partagent pas. C'est pourquoi nous dénonçons l'appel lancé il y a quelques jours contre le "racisme et les ratonnades anti-Blancs", qui surfe sur le traumatisme du 8 mars pour collecter des signatures auprès des lycéens.

Comme le racisme est protéiforme, l'antiracisme est indivisible. Contre les démagogues communautaristes qui cherchent à mettre en concurrence la mémoire des crimes coloniaux et des génocides, et qui tentent d'instrumentaliser les souffrances du présent pour nous diviser, notre seule force est la réaffirmation, ici et maintenant, d'une communauté humaine possible.

Nous avons appris dans notre jeunesse que la notion de race n'avait pas de fondement scientifique et nous avons éduqué nos enfants pour en faire des citoyens du monde. Ni blancs, ni blacks, ni beurs, notre identité n'est pas seulement faite de nos origines, mais de ce que nous faisons de nos vies. Encore faudrait-il que ce monde accueille des citoyens libres et égaux. Pour l'heure, nous en sommes à la résistance, et, comme le disait Jean-Luc Godard dans son Eloge de l'amour, "il n'y a pas de résistance sans mémoire et sans universalisme".


Brigitte Larguèze, sociologue, Frédéric Goldbronn et José Reynes sont parents de lycéens blessés lors de la manifestation du 8 mars.

par Brigitte Larguèze, Frédéric Goldbronn et José Reynes
Article paru dans l'édition du 01.04.05


Le Monde / Opinions
Analyse
Le référendum et l'avertissement

 E n choisissant le référendum plutôt que le débat parlementaire, le président de la République a sacrifié à la doctrine gaulliste, il est apparu enfin comme un grand européen et il a souhaité diviser les socialistes, ce qu'il a obtenu. Peut-être a-t-il aussi commis une erreur. Les référendums sont dangereux et la Constitution ne produira pas, dans les traités, une mutation telle qu'elle exigeait cette forme d'avertissement.

On demande aux Français de répondre seulement à la question posée. Mais il est normal qu'ils pèsent leurs arguments. Les raisons du non sont claires et vives. Un adversaire résolu de l'intégration européenne ou du capitalisme votera évidemment non, sans états d'âme. Les raisons de voter oui existent tout autant, mais sont moins mobilisatrices parce que le texte du traité est un compromis. Il est bien supérieur au traité de Nice, mais il ne comble pas les espoirs des fédéralistes.

Comme il ne facilite pas suffisamment les chances d'une coopération renforcée entre les pays qui voudraient aller plus loin, il déçoit aussi les partisans d'une Europe plus étroite. Il ne satisfait pas non plus les partisans d'une Europe puissante qui voient bien qu'une véritable politique étrangère et de défense commune reste une chimère. Les parlementaires auraient compris naturellement les vertus de cette synthèse et ils auraient approuvé le texte sans hésiter. Les électeurs partisans de l'Europe sont moins enthousiastes.

L'ouverture des négociations avec la Turquie a compliqué les choses. Ce fut une autre erreur du président Chirac. Il n'en avait pas soufflé mot pendant sa campagne présidentielle en 2002. Puis il a proclamé que c'était une chance pour l'Europe. Quand il a mesuré les effets de son engagement, il a botté en touche, pour que les Français se prononcent dans dix ou quinze ans. Il n'en reste pas moins qu'une question troublante, celle des frontières et donc de l'identité de l'Europe, a été posée.

Un autre problème embarrasse tout autant: celui du contenu social. Un socialiste y sera peut-être plus attentif, encore que tous les Français soient concernés.

Le chômage, la stagnation des rémunérations, l'évidente mobilité des entreprises et des capitaux peuvent donner le sentiment que l'Europe favorise l'insécurité sociale.

Pour le démontrer, une partie de la gauche dit que l'Europe, avec cette Constitution, s'interdit le socialisme. Tout dépend de la façon dont on définit le terme. S'il s'agit d'abolir le marché au profit de la planification, alors la cause est entendue: dans ce cadre constitutionnel, l'Europe ne pourra pas devenir socialiste. S'il s'agit de refuser la mondialisation en fermant ses frontières, l'Europe est liée par ses engagements internationaux, et non par sa future Constitution.

Demain, en fonction de ses intérêts, elle pourra choisir d'être plus ou moins protectionniste. Hypothèse peu vraisemblable aujourd'hui, mais qui n'est pas interdite. Si on définit le socialisme par les prélèvements publics et par la redistribution égalitaire, il faut admettre que les Etats-nations resteront libres de leurs choix. Tout au plus devront-ils limiter leurs déficits, et encore chercheront-ils, parce que la démagogie – même lorsqu'elle invoque Keynes ou la croissance – est la mère du déficit, à desserrer ce carcan.

Reste la forme la plus ancienne du socialisme puisqu'elle remonte à avant Turgot. Elle consiste à privilégier des corporations: agriculteurs, électriciens, enseignants, médecins, postiers, etc. Sans intervention publique, le marché libre leur allouerait des revenus différents de ceux qu'elles perçoivent. Les corporations disposent généralement d'un poids électoral élevé ou d'une capacité de nuire qui offre les mêmes avantages. L'observateur doit reconnaître qu'en France la défense des corporations mobilise autant la gauche que la droite. Or toutes les corporations se sentent menacées par l'élargissement de l'Europe. C'est pour cela que la directive Bolkestein fait un si grand bruit. Tous ceux qui bénéficient d'une forme de protection se sentent concernés. Notaires, plombiers et cheminots, étroitement unis, risquent d'exprimer leurs craintes en mai. Il faudra donc les rassurer en leur expliquant que le grand marché européen provoquera un accroissement de la productivité par tête.

Mais l'explication est difficile à faire admettre pour deux raisons. La première est que, au jeu de la croissance, si tout le monde gagne en moyenne, certains gagnent vraiment et d'autres perdent ou gagnent moins. A ceux-là l'argument statistique fait une belle jambe.

ÉLUDER LA QUESTION

Ensuite, quand on veut rassurer, il faut éviter d'affoler et ne pas renforcer les craintes. Il y a un mois, on ne trouvait pas d'argent pour les fonctionnaires. Maintenant on en trouve "sous le tapis". Il y a un mois, la directive Bolkestein ne posait pas de problème et les commissaires français l'avaient approuvée à Bruxelles. Maintenant, c'est le comble de l'horreur.

En dénonçant ainsi ce qu'il appelle le libéralisme de Bruxelles, le président de la République apporte de l'eau au moulin des partisans du non et affaiblit le oui des libéraux. Il est légitime que l'opposition s'oppose. On pourrait admettre aussi qu'il est légitime que le gouvernement gouverne et ne se croie pas obligé de dire, à quelques mois de distance, le contraire de ce qu'il disait auparavant.

Aussi la meilleure façon, à mes yeux, de défendre la Constitution européenne est de rappeler un certain nombre d'évidences:

1) il n'est pas vrai que, si la Constitution n'était pas approuvée, ce serait une catastrophe irrémédiable et la mort de l'Europe. Ce qui est vrai, c'est qu'il faudrait renégocier, ce qui serait long et difficile et ne conduirait pas nécessairement à un résultat meilleur;
2) il est faux que la Constitution tranche le débat sur l'orientation sociale ou libérale de l'Europe. L'Europe sera à la fois sociale et libérale dans des proportions qui dépendront des électeurs et du taux de croissance, mais non du traité;
3) la question turque n'est pas secondaire et sera posée. Pour la trancher, les Français n'attendront pas quinze ans. La prochaine élection présidentielle leur permettra de préciser leur volonté;
4) il est préférable de voter oui, puisque le compromis obtenu par Valéry Giscard d'Estaing est le meilleur qu'on puisse obtenir aujourd'hui et que la victoire du non nuirait à l'image de la France.

De toute façon, l'avertissement que les Français adressent à travers ce débat doit être entendu. Quel que soit le résultat du référendum, les responsables politiques européens ne pourront plus éluder la vraie question: pourquoi faut-il faire l'Europe et avec qui ?

D'autant que dans cette mêlée obscure gît une lumière cachée. A beaucoup de signes, on voit que l'Europe prend conscience de son existence et de sa force potentielle. Les hésitations, les inquiétudes de l'Amérique à son sujet le prouvent. La conversion de M. Chirac aussi: voilà plus d'un quart de siècle, il dénonçait encore les partisans de l'Europe comme le "parti de l'étranger".

Les souverainistes voient bien que les nations subsistent malgré l'Europe et que leurs craintes étaient vaines. Mais ils reconnaissent que, dans un monde dominé par les Etats-Unis et la Chine, elles ne sont plus des puissances.

Autrement dit: l'Europe sait qu'elle existe, mais elle ne sait pas encore qui elle est. Ce sera la prochaine étape.

Jean-Claude Casanova pour le Monde
Article paru dans l'édition du 01.04.05


Le Monde / International
L'échec des Forces démocratiques de libération du Rwanda est patent

 L eur adieu aux armes, pour si timide et théorique qu'il soit, n'en survient pas moins à point nommé. Après avoir passé, pour certains d'entre eux, plus de dix ans "dans la forêt", en République démocratique du Congo, l'échec des rebelles hutus des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) est patent. Quel espoir peuvent-ils encore nourrir de rentrer dans leur pays les armes à la main pour en chasser l'actuel pouvoir, après les débâcles successives de leurs dernières attaques en territoire rwandais ?

De plus, les FDLR n'ont pas réussi à se laver du passé "génocidaire" d'une partie de leurs membres. Alors que c'était l'un de leurs objectifs prioritaires depuis l'apparition de leur mouvement en 2000, qui avait fédéré l'ensemble des groupes armés hutus. Certes, les 10 000 à 15 000 hommes des FDLR n'ont pas tous participé, dans les rangs de l'armée ou des milices, à la tentative d'extermination des Tutsis, en 1994. Tous ne sont pas non plus déterminés à rentrer au Rwanda pour y "terminer le travail" du génocide. Mais l'afflux denouveaux combattants, qui étaient à peine nés en 1994, et la volonté des FDLR de se transformer en parti politique ne garantissent pas que l'idéologie meurtrière de ses principaux chefs ait changé.

DANS LES MAQUIS

Au fil des années, le gouvernement rwandais, à dominante tutsie, n'a cessé de travailler au retour des rebelles hutus. Des émissaires – souvent d'anciens rebelles "retournés" par Kigali – ont été envoyés dans les maquis pour convaincre leurs membres de rentrer au Rwanda. Au total, un peu plus de 3 000 combattants ont sauté le pas. Au Rwanda, ils sont accueillis dans des ingandos, des "camps de solidarité" où sont dispensées, en chansons, les vertus de la réconciliation nationale. La plupart des ex-combattants peuvent ensuite retourner dans leurs collines d'origine. C'est là que, éventuellement, la justice pourrait les retrouver, dans le cadre des juridictions gacaca – les tribunaux traditionnels qui jugent, à l'échelle locale, les Rwandais qui ont participé aux massacres de 1994.

Les membres des FDLR qui ont décidé de quitter le maquis l'ont fait contre la volonté des éléments les plus durs du mouvement, ceux dont la responsabilité dans le génocide est la plus lourde. En octobre 2003, le général Paul Rwarakabidje, chef d'état-major des FDLR, faisait défection avec une centaine d'hommes et rentrait au Rwanda. Selon un témoin de la scène, le général congolais Padiri Bulenda, "il a essayé d'entraîner avec lui le gros des troupes, mais des éléments extrémistes sont intervenus pour les menacer de mort s'ils quittaient le maquis".

Depuis, les circonstances ont changé. La Mission des Nations unies en République démocratique du Congo (Monuc) s'est révélée incapable de recourir à la force pour aider le gouvernement congolais à pousser les FDLR à abandonner les armes, comme l'y autorise une résolution de l'ONU.

Depuis, la Monuc est passée à une phase offensive nouvelle. Au cours du mois de mars, un officier supérieur pakistanais de la Monuc a rendu une visite discrète aux responsables d'un maquis FDLR pour annoncer la détermination des casques bleus à faire usage de la force, si nécessaire, pour contraindre les rebelles à abandonner les armes. Pour donner plus de poids à ses propos, il a fait valoir que ses hommes avaient combattu, avec succès, les talibans dans les montagnes d'Afghanistan. Les responsables des FDLR ont répondu qu'en cas d'attaque, ils s'en prendraient à la population civile congolaise.

Jean-Philippe Rémy
Article paru dans l'édition du 02.04.05


Le Monde / International
Les rebelles hutus impliqués dans le génocide rwandais s'engagent à déposer les armes

 "T ournant décisif" pour Kinshasa et Bruxelles, "étape significative" pour Paris: l'ensemble de la communauté internationale s'est félicitée de la décision des rebelles hutus rwandais de déposer les armes. Les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) se sont engagées, jeudi 31 mars à Rome, dans une déclaration solennelle lue par leur président, Ignace Murwanashyaka, à "cesser la lutte armée" et à la transformer en "combat politique". Par ce texte, les rebelles hutus, réfugiés dans l'est de la République démocratique du Congo (RDC) depuis le génocide de 1994 dans l'espoir de renverser le pouvoir à Kigali, acceptent "le désarmement volontaire et le retour pacifique de leurs forces" au Rwanda, sous réserve de "mesures d'accompagnement" à définir. "D'ores et déjà, précisent-ils, les FDLR s'abstiennent de toute opération offensive contre le Rwanda", où le gouvernement est contrôlé par la minorité tutsie.

Ces anciens combattants de l'armée régulière rwandaise, dont beaucoup sont accusés d'avoir participé au massacre d'environ 800 000 personnes (Tutsis et Hutus modérés) il y a 11 ans, seraient au nombre de 8 000 à 15 000 dans la région des Grands Lacs. Leur présence est à l'origine des tumultueuses relations entre le Rwanda et la RDC. Par la déclaration de Rome, les Forces démocratiques "condamnent le génocide commis au Rwanda et leurs auteurs" et "renouvellent leur engagement à coopérer avec la justice internationale". Elles condamnent aussi "le terrorisme et les autres crimes de droit international commis dans la région des Grands Lacs", où la spirale des violences a fait près de 4 millions de victimes. Les rebelles FDLR demandent "l'ouverture dans les meilleurs délais d'une enquête internationale pour qualifier ces crimes, identifier et punir leurs auteurs". Enfin, ils "souhaitent le retour des réfugiés rwandais dans leur pays selon les normes internationales", entendant même "s'impliquer activement dans le programme de leur retour volontaire".

Ces promesses sont le fruit de pourparlers discrets engagés depuis plus d'un mois à Rome entre une délégation des FDLR et des représentants de Kinshasa. Les discussions ont pu avoir lieu grâce à la médiation de la communauté Sant'Egidio, une ONG de laïques catholiques déjà à l'origine des accords de paix au Mozambique en 1992 et au Guatemala en 1999. Elles se sont déroulées en deux temps: pendant dix jours en février, puis depuis le 28 mars. "Il s'agit d'une déclaration très solide car les branches politique et militaire des FDLR se sont toutes deux engagées", a déclaré à Rome l'ambassadeur itinérant de la RDC, Antoine Ghonda.

SATISFECIT À KINSHASA

La déclaration des rebelles hutus a provoqué des commentaires très positifs. Le Quai d'Orsay a salué "un pas en avant dans la normalisation des relations régionales". Le Comité international d'accompagnement de la transition (CIAT) au Congo, composé d'une douzaine de pays et de représentants des Nations unies, de l'Union européenne et de l'Union africaine, a félicité le gouvernement de Kinshasa "pour son action positive". Et la mission de l'ONU en République démocratique du Congo en a appelé à "une collaboration totale des autorités rwandaises et congolaises pour assurer le bon déroulement des opérations de rapatriement".

Kigali a réagi, par la voix d'un conseiller du président Paul Kagamé, en se disant "prêt à accueillir tous ceux qui veulent rentrer au Rwanda". Les rebelles ayant participé aux forces génocidaires devront toutefois "répondre de leurs actes", a prévenu le chef de la diplomatie rwandaise. Une phase plus délicate de la négociation va commencer. Le Rwanda ne participera pas, contrairement à ce que souhaitait Kinshasa, à la réunion qui doit rassembler des représentants de la RDC, de la communauté internationale et des rebelles, samedi 2 avril à Rome, pour discuter des "mesures d'accompagnement" réclamées par les FDLR. Ces dernières ont besoin de garanties pour rendre leurs armes et rentrer au pays.

Jean-Jacques Bozonnet
Article paru dans l'édition du 02.04.05


Le Monde / International
L'isolation anti-incendie du World Trade Center dénoncée

 L es tours jumelles du World Trade Center à New York, cibles des attentats du 11 septembre 2001, seraient peut-être encore debout aujourd'hui si l'isolation anti-incendie avait résisté, selon un rapport publié mardi 5 avril, qui suggère d'importantes réformes dans la construction des gratte-ciel.

L'impact structurel des avions et les multiples incendies qui ont suivi, provoqués par le kérosène qui s'est échappé des appareils, n'expliquent pas, à eux seuls, l'effondrement des tours, estime l'Institut national des normes et de la technologie (NIST), dépendant du département du commerce, à l'issue d'une enquête présentée comme la plus précise sur l'analyse des défaillances dans la construction des tours jumelles.

"Les deux tours se sont effondrées parce que le système de protection anti-incendie a été défaillant", estime Shyam Sunder, un enquêteur du NIST. Si le système d'isolation anti-incendie avait résisté, les incendies n'auraient pas fragilisé les éléments principaux des constructions qui ont fini par s'écrouler, a-t-il expliqué.

Enquêteurs et secouristes ont préconisé pour la construction des gratte-ciel futurs, l'installation d'ascenseurs résistants au feu et de cages d'escaliers d'évacuation plus solides.

Le rapport souligne également que beaucoup de gens ont perdu un temps précieux, au moment où il fallait évacuer, à discuter sur ce qu'il fallait faire et à s'interroger sur où et comment trouver les issues de secours.

Enfin, il est souligné que des problèmes de communication radio et de partage d'informations entre les équipes de secouristes ont probablement "contribué à un grand nombre de pertes au sein des équipes de premier secours".

De nouveaux systèmes de protection anti-incendie devront être mis au point, a indiqué M. Sunder, citant un produit qui, s'il est appliqué en un nombre suffisant de couches, devrait résister "même s'il est percuté par un avion".

Près de 2.750 personnes ont péri dans les attentats contre le World Trade Center perpétrés par le réseau terroriste Al-Qaida.

Environ 17.400 personnes se trouvaient dans les tours au moment des attentats qui ont eu lieu le matin, mais le NIST estime que le bilan des victimes aurait été plus proche des 14.000 si les 50.000 personnes travaillant habituellement dans les deux bâtiments s'y étaient trouvés à ce moment-là.

Le rapport, d'environ 10 000 pages, sera publié dans sa version définitive en septembre.

Avec AFP et AP
LEMONDE.FR | 06.04.05


Le Monde / International
Washington s'oppose aux ventes d'or du FMI pour soulager la dette des pays les plus pauvres

 L' idée de vendre une partie des réserves d'or du Fonds monétaire international (FMI) pour alléger le poids de la dette des pays les plus pauvres se heurte à l'opposition américaine, tant du gouvernement que du Congrès, qui a averti, mardi 5 avril, qu'il bloquerait une telle mesure.

"Toute tentative du Fonds monétaire international en vue de vendre de l'or sera mise en échec par le Congrès et le gouvernement Bush", a ainsi annoncé le président de la commission économique conjointe du Congrès, Jim Saxton. Le Congrès américain doit normalement donner son feu vert à la vente d'or de la part de l'institution multilatérale. Selon M. Saxton, élu républicain pourtant favorable à l'allégement de la dette des pays les plus démunis, il doit y avoir d'autres moyens d'y parvenir. "Je pense que le Congrès a l'obligation de protéger les contribuables et de rejeter toute proposition de vendre l'or du FMI", a-t-il estimé, ajoutant que le gouvernement du président George W. Bush était également opposé à un tel recours aux réserves d'or du Fonds.

Le porte-parole du Trésor, Rob Nichols, avait indiqué, la veille, que le gouvernement "n'était pas convaincu" de l'opportunité de cette option pour aider les pays les plus endettés de la planète. Un porte-parole du FMI a refusé de commenter ces prises de position.

POUR ALLÉGER LE FARDEAU DE LA DETTE

En février, les ministres des finances du G7, regroupant les pays les plus industrialisés (Etats-Unis, Canada, Japon, France, Allemagne, Royaume-Uni et Italie) avaient demandé au FMI d'étudier les possibilités pour alléger le fardeau de la dette des pays pauvres, y compris la vente ou la réévaluation des stocks d'or de l'institution.

Les réserves du FMI s'élèvent à 103,4 millions d'onces (3 217 tonnes) d'une valeur inscrite dans le bilan du Fonds d'environ 9 milliards de dollars (quelque 7 milliards d'euros), alors qu'au prix du marché - en date de fin février -, cet or vaut quelque 45 milliards de dollars, selon les derniers chiffres diffusés par le FMI. Le métal fin du FMI provient pour l'essentiel des souscriptions initiales des Etats membres, qui devaient régler un quart de leur quote-part en or.

Aussi le président de la commission économique du Congrès a-t-il rappelé que "les bénéfices potentiels des ventes d'or du FMI appartenaient de droit aux pays contributeurs et à leurs contribuables".

LA PROCHAINE RÉUNION DES GRANDS ARGENTIERS

Selon Jim Saxton, il faut s'interroger sur le mode de fonctionnement du FMI puisque "depuis toujours le Fonds a échoué à mettre en place des mesures de sauvegarde et des contrôles pour les prêts qu'il octroie." "Il n'est donc pas surprenant que certains des prêts aient mal tourné, mais il ne faudrait pas chercher à en cacher les conséquences", a-t-il estimé. Et de rappeler la préférence de Washington pour l'octroi de dons plutôt que de prêts et crédits aux pays déjà lourdement endettés.

Les ministres des finances du G7 étudient depuis longtemps les moyens de réduire les 80 milliards de dollars dus aux institutions multilatérales par les pays les plus pauvres, dont plusieurs consacrent plus au remboursement de leur dette qu'à leur programme d'éducation ou de santé, comme le rappellent régulièrement les ONG.

La prochaine réunion des grands argentiers de ce groupe de pays industrialisés est prévue la semaine prochaine à Washington, la veille des assemblées de printemps du FMI et de la Banque mondiale (les 16 et 17 avril).

Le directeur général du FMI, Rodrigo Rato, avait approuvé, la semaine dernière, la vente d'une partie des stocks d'or de son institution pour alléger la dette des pauvres, dans un entretien au Financial Times.

Le FMI a eu recours en 1999 à une transaction hors marché sur or d'une partie de ses réserves pour aider le Brésil et le Mexique à payer leurs dettes auprès du Fonds.

Avec AFP
LEMONDE.FR | 06.04.05


Le Monde / Entreprises
Cinq poids lourds de la technologie se liguent contre le mastodonte Microsoft

 U n comité regroupant cinq poids lourds de la technologie, IBM, Oracle, Nokia, Red Hat et RealNetworks, s'est récemment rangé derrière la Commission européenne afin de l'appuyer dans son combat de longue haleine contre Microsoft, a-t-on appris mercredi 6 avril auprès de son avocat.

En décembre, le Comité européen pour des systèmes compatibles (ECIS), créé au début des années 1990, a demandé à la Cour européenne de justice d'intervenir en soutien de la Commission européenne dans le procès qui devrait l'opposer courant 2006 au géant américain, a précisé Me Thomas Vinje, confirmant une information révélée par le quotidien britannique Financial Times.

Ce soutien renforce la position de la Commission, qui avait été affaiblie à l'automne par la perte de deux soutiens de taille. Début novembre, le groupe de logiciel Novell et l'association professionnelle Computer and Communication Industry Association (CCIA) - dont fait toujours partie Oracle, mais que Nokia avait quittée - avaient retiré leur soutien après avoir conclu des accords financiers avec Microsoft. "Après l'abandon de la CCIA, l'échéance pour s'enregistrer auprès de la Cour avait expiré", a expliqué Me Vinje. Par conséquent, l'ECIS a demandé à la Cour de faire une exception et d'accepter tout de même leur requête.

Pour l'instant, la Cour européenne de justice n'a pas répondu. Selon l'avocat, elle pourrait le faire "demain ou d'ici plusieurs mois, il n'y a pas de règles". Pour Me Thomas Vinje, "l'implication du Comité dans cette histoire démontre que ce que dit Microsoft n'est pas vrai". "Le groupe a dépensé beaucoup d'argent pour acheter Novell ou Sun Microsystems, sans toutefois modifier son attitude. Il clamait qu'en les ayant convaincus, il avait laissé la Commission toute nue." "L'intervention de l'ECIS montre l'exact contraire", conclut l'avocat.

Avec AFP
LEMONDE.FR | 06.04.05


Le Monde / Société
Le régulateur italien du tunnel du Mont-Blanc a reconnu avoir tardé à déclencher l'alarme
Bonneville (Haute-Savoie) de notre envoyé spécial

 À  force d'être poussé dans ses derniers retranchements, Marcello Meyseiller a fini par admettre avoir pu commettre une faute. Marcello Meyseiller est le régulateur italien du tunnel du Mont-Blanc, celui qui, comme son homologue français, Daniel Claret-Tournier, est censé assurer la sécurité des usagers, depuis sa salle de contrôle, située à l'entrée italienne du tunnel. Il était à la manoeuvre, le 24 mars 1999, quand s'est déclenché l'incendie du poids lourd conduit par le routier belge Gilbert Degrave.

Après avoir entendu les déclarations confuses et contradictoires de Daniel Claret-Tournier (Le Monde du 2 avril), c'est à lui que le tribunal correctionnel de Bonneville s'est intéressé, lundi 4 avril, au 39e jour du procès des responsabilités dans la catastrophe du Mont-Blanc, qui a fait 39 victimes.

L'homme est moins brouillon que son confrère français, mais il a, au moins dans un premier temps, la même conviction chevillée au corps: en substance, il aurait, lui aussi, agi au mieux le jour du drame. D'ailleurs, quand le président du tribunal, Renaud Le Breton de Vannoise, l'interroge sur deux interventions successives sur la ventilation de l'ouvrage, à 10 h 52 puis 10 h 53, laissant entendre que, dès cet instant, le régulateur italien avait pris conscience de l'existence d'un problème, il nie toute responsabilité: "Je n'ai fait aucune modification sur la ventilation, assure-t-il. Je n'y ai pas touché avant 10 h 55".

La main courante informatique confirme ces deux interventions que seul Marcello Meyseiller était, a priori, en mesure de réaliser. Mais admettre ce fait reviendrait à reconnaître avoir tardé à agir, puisque la fermeture du tunnel, côté italien, n'est intervenue qu'à 10 h 56. Alors, pour expliquer ces deux modifications de la ventilation, le régulateur évoque la possibilité de microcoupures sur l'installation électrique. Curieusement, de telles microcoupures n'avaient jamais été constatées auparavant.

Le président Le Breton de Vannoise préfère ne pas insister car il a un autre argument à faire valoir: quand Marcello Meyseiller prend enfin conscience que quelque chose de grave est en train de se passer, il "oublie" d'actionner l'alarme qui devait mobiliser l'ensemble des moyens d'intervention. "A ce moment-là, j'avais à mes côtés le motard et le mécanicien, que j'ai immédiatement envoyés dans le tunnel", se justifie le prévenu.

Le président n'est pas convaincu par l'explication. "S'il y a un moment où vous pouvez dire la vérité, c'est aujourd'hui, pas demain, prévient-il. Le fait de ne pas avoir mis l'alarme, c'est une décision de votre part ou une omission ?" "C'est une décision", insiste Marcello Meyseiller.

Le président: "Dans une déclaration aux enquêteurs, vous aviez indiqué avoir été débordé, dépassé." Le régulateur italien: "Non, en fait, il s'agit d'une mauvaise traduction de mes propos.

- Vous avez donc sciemment violé une consigne en ne déclenchant pas l'alarme ?

- Oui. J'ai pensé que c'était la meilleure chose à faire à cet instant-là.

– Même après plusieurs minutes, vous ne l'avez pas fait, et cela a eu de nombreuses conséquences: il n'y a pas eu de mobilisation générale côté italien, alors que si vous aviez appuyé sur le bouton, vous auriez eu de l'aide. Et le véhicule de premier secours aurait pu entrer plus tôt dans le tunnel. En votre âme et conscience, ne croyez-vous pas que vous auriez pu provoquer une mobilisation si vous aviez mis l'alarme à 10 h 56, quand vous faites fermer le tunnel ?"

Contrit, Marcello Meyseiller répond par l'affirmative. Ses supérieurs hiérarchiques reconnaissent à leur tour qu'en omettant d'agir il a "commis une faute professionnelle".

Acacio Pereira
Article paru dans l'édition du 06.04.05


Le Monde / Société
Les justifications évasives des juges et des policiers
Angers de notre envoyé spécial

 Q uand les enquêteurs et la justice se sont rendu compte, au début de l'année 2002, de l'ampleur du réseau de prostitution d'Angers et du rôle central d'Eric J., ils ont vite compris que les critiques allaient se multiplier et ont pris soin, chacun à leur niveau, de présenter les faits d'une manière qui ne leur soit pas trop défavorable. Parfois jusqu'à la caricature.

Ainsi, puisque Francis, Amélie et Helen C. ont dénoncé, dès novembre 2000, des "viols, agressions sexuelles, viol avec torture et actes de barbarie" commis par Didier et Eric J., il fallait bien expliquer pourquoi les deux frères n'ont été placés en garde à vue que deux ans plus tard. La commandant de police chargée de l'enquête à la brigade des mineurs, dans un rapport visé par son chef de service, écrit, le 27 février 2002, au procureur d'Angers: les trois enfants "ont mis en cause les frères J., Didier et Eric. Ceux-ci n'ont pu être localisés et domiciliés tous les deux que récemment".

"Récemment", c'est-à-dire un an plus tôt. La collègue de bureau de la commandant de la brigade des mineurs avait signé un procès-verbal, le 6 juin 2001, pour donner la nouvelle adresse d'Eric J., parti pour Nantes sans répondre à la simple convocation envoyée par la police. L'enquête n'était pas bien difficile: sorti de prison le 10 mars 1999, Eric J. était tenu de rencontrer régulièrement le juge d'application des peines, un psychiatre et les services sociaux – qui n'ont jamais réellement perdu sa trace.

Pour son frère, l'excuse est piteuse. Condamné à Angers en 1994, 1997 et 1998, Didier J. était déjà en prison et parfaitement connu des services de police. Quand le parquet a enfin décidé de le placer en garde à vue, il n'a eu aucun mal à le faire chercher au centre pénitentiaire de Caen, dans le Calvados.

La juge d'instruction elle-même, Virginie Parent, dont l'enquête minutieuse a été saluée jusque chez les avocats des accusés, a repris – comme c'est l'usage – la version passablement évasive mise au point par le parquet sur le commencement de l'affaire. Tout le problème consistait à justifier le déclenchement des investigations au début de l'année 2002, et pas un an plus tôt, Eric J. n'étant placé en garde à vue que le 25 février 2002. Le résultat se voulait opaque, il est en tout cas obscur.

"Au cours de l'année 2001, les fonctionnaires de la brigade des mineurs du commissariat de police d'Angers acquéraient la conviction qu'Eric J., pédophile connu de leur service, pouvait avoir renouvelé les agissements pour lesquels il avait déjà été condamné, note la juge dans son ordonnance de renvoi. Leurs investigations permettaient de confirmer qu'il fréquentait assidûment le couple Franck et Patricia V. qui, dans une affaire distincte diligentée en juillet 2001, se voyait reprocher pour Monsieur des violences sur sa fille Marine et des abus sexuels sur sa nièce Armelle, et pour son épouse le fait de ne pas avoir dénoncé ces sévices. Bien que ces mineures aient affirmé, à l'époque, ne pas avoir subi les agissements d'autres personnes, les investigations relatives à Eric J. conduisaient au recueil -fin janvier 2002- de deux plaintes déposées par les jeunes Sabine B. et Louise J., pour des faits de viols."

Enfin, la cour d'appel d'Angers s'est employée, dans un arrêt du 6 octobre 2004, à noyer à grande eau les ultimes doutes qui auraient pu surnager. "Les renseignements obtenus dans le cadre de révélations de violences sexuelles sur des mineurs amenaient le commissariat de police d'Angers à ouvrir une procédure distincte sur les agissements d'Eric J., libéré depuis mars 1999, et qui multipliait des concubinages avec des femmes souvent fragiles ayant de jeunes enfants, résume la cour. Le nom de l'intéressé était aussi mentionné, mais sans précisions exploitables en elles-mêmes, dans un dossier suivi contre les époux V. en juillet 2001 à la suite d'abus sexuels et de violences contre les jeunes Armelle et Marine V. Divers renseignements renforçaient ces soupçons, sans toutefois amener d'éléments concrets, confortant la nécessité de poursuivre les investigations "périphériques" rendues difficiles par le jeune âge des victimes et le silence des proches des J."

Pas de précisions "exploitables en elles-mêmes", pas "d'éléments concrets": la justice a donc eu raison de ne pas s'intéresser de plus près, pendant trois ans, à celui pour lequel le magistrat instructeur notait, en octobre 1996, le "risque évident de réitération de tels faits".

F. J.
Article paru dans l'édition du 06.04.05


Le Monde / Société
Hervé Lollic: "Ce n'était pas un dossier urgemment prioritaire"

 V ous étiez le chef du parquet des mineurs à Angers, de septembre 2000 à juillet 2002. Pourquoi n'avez-vous pas révoqué le sursis d'Eric J., alors que tous les clignotants étaient au rouge ?
Son sursis mise à l'épreuve courait jusqu'en mars 2002, et il a plus ou moins respecté ses obligations. Il avait un suivi très serré et se rendait aux rendez-vous en moyenne une fois par mois: à chaque fois qu'il sentait que son sursis pouvait être révoqué, lorsqu'il était convoqué par le juge d'application des peines qui lui remontait les bretelles, il reprenait son suivi médical. Il est vrai qu'il suffit légalement que l'intéressé justifie qu'il est allé voir le médecin pour être en règle. Il n'y a pas de contrôle de sincérité; c'est particulièrement inadapté pour les réels problèmes de pédophilie ou pour quelqu'un, comme Eric J., qui nie les faits.

Il y a cependant eu des signalements, notamment de sa compagne, Marie-Laure T.
Il y a eu deux signalements, en mars et en juin 2001, de cette femme aux services sociaux. Les deux fois, il y a eu une enquête. Elle a expliqué la première fois que le travailleur social n'avait pas bien compris. Elle a assuré la seconde que jamais Eric J. ne s'était retrouvé seul avec sa fille. On ne pouvait pas prouver le contraire. Il est vrai qu'en mars 2001, nous avons eu des informations inquiétantes. Effectivement, il y avait des clignotants. L'information a toujours circulé entre les magistrats, mais à chaque fois qu'il sentait que ça chauffait, Eric J. rentrait dans le rang. Et puis, la révocation d'un sursis est assez rigide. Il y avait une chance sur deux pour que le tribunal ne suive pas le juge d'application des peines, puis qu'il y ait appel. Et même si le sursis avait été révoqué, il purgeait un an et repartait dans la nature. On était devant un dilemme.

Pourquoi ne pas interpeller Eric J. lorsque Franck V. révèle qu'il lui demandait "de lui emmener des enfants" ?
On est dans une stratégie d'enquête, on travaille, et on sait qu'il n'est plus dans le coin. Et puis, c'est l'été: la brigade des mineurs, ce sont quatre policiers, la moitié pendant les vacances, avec chacun 30 dossiers en portefeuille. Je vais peut-être choquer, mais ce n'était pas un dossier urgemment prioritaire. L'affaire la plus urgente, c'est lorsque la victime est encore en contact avec l'agresseur. Et les signalements, j'en avais une demi-douzaine par semaine sur mon bureau. En matière de pédophilie, on a un fusil à un coup: si la garde à vue ne donne rien, c'est fichu. Et J. a toujours nié. En portefeuille, on avait aussi, en 2000, l'affaire de la petite Amélie. Là encore, il n'y a pas urgence, les faits sont anciens, Eric et Didier J. sont loin, les filles ont grandi.

Dans cette enquête, il ne se passe rien pendant un an.
Ça ne veut pas dire qu'on ne fait rien. On subodore qu'il y a quelque chose, mais on ne peut pas aller plus loin. A la fin de l'année 2001, on décide de faire sortir l'affaire d'Amélie, et d'interpeller Eric J. en janvier. Mais il arrive un petit coup de théâtre: les plaintes de Sabine B. et Louise J. pour viol, puis la déposition de la compagne de J.

Vous attendez cependant le 25 février 2002 pour le placer en garde à vue.
Une interpellation, ça se prépare, ça se planifie, pour les policiers comme pour les magistrats.

Propos recueillis par Franck Johannès
Article paru dans l'édition du 06.04.05


Le Monde / Opinions
ANALYSE
29 mai: les mirages du non

 L e 30 août 1954, après des mois de batailles acharnées, l'Assemblée nationale française rejetait la Communauté européenne de défense (CED), proposée quatre années plus tôt par la France. Ce fut comme un coup de tonnerre dans le ciel politique. L'embryon de la construction européenne survécut toutefois.

En moins de trois ans, les dégâts furent partiellement réparés. Le 25 mars 1957, à Rome, furent signés les traités instituant la Communauté européenne de l'énergie atomique (Euratom) et le Marché commun.

Ces traités furent cette fois ratifiés, non sans difficultés, par les six pays fondateurs de ce que nous appelons aujourd'hui l'Union européenne.

Mais la réparation ne fut que partielle. A cause de l'échec de la CED, les questions de défense et de sécurité restèrent à l'écart du processus communautaire suffisamment longtemps pour que l'Alliance atlantique s'impose durablement comme l'institution majeure dans ces domaines.

Le vote du 30 août 1954 n'a pas tué l'Europe, qui, au contraire, n'a cessé de s'affirmer comme un espace de paix et de prospérité d'une façon unique dans l'histoire, mais il a tué dans l'oeuf l'Europe puissance dont rêvent, paradoxalement, ceux que la pensée du général de Gaulle continue d'inspirer.

Le 29 mai, les Français se prononceront pour ou contre le traité constitutionnel à l'avènement duquel la France a contribué de façon majeure. Ce traité marque un progrès considérable par rapport aux arrangements actuels, en raison de sa relative concision, de la clarification du "triangle institutionnel" (le Conseil, la Commission, le Parlement) et d'une percée en matière de politique étrangère et de sécurité commune.

La mauvaise humeur et la confusion des esprits jouant leur rôle pernicieux, la probabilité d'un vote négatif ne cesse pourtant de progresser. La portée de pareil événement, s'il devait se réaliser, ne serait pas moindre que celle de l'échec de la CED.

Notre crédit serait durablement atteint dans de nombreux Etats membres, à commencer par les cinq autres fondateurs, où le mal français commence à s'étendre, comme aux Pays-Bas. Nous deviendrions la risée des Britanniques, qui seraient alors bien capables de voter oui pour mieux nous singulariser. Il faut méconnaître les réalités européennes pour s'imaginer que nos partenaires se jetteraient à nos pieds pour replâtrer le texte dans un sens plus social, selon l'acception française du terme.

Le plus vraisemblable est qu'après une victoire du non nous serions condamnés pendant plusieurs années à vivre dans le maquis institutionnel actuel. Aux difficultés inhérentes à cette situation s'ajouterait, pour la France, la perte de son autorité morale. Dans le pire des cas, l'Union européenne commencerait de filer à la dérive. Dans le meilleur, les forces centrifuges seraient contenues par le cadre transatlantique. Comme il y a un demi-siècle, les Etats-Unis seraient en situation de reprendre les rênes. Et, dans les conditions du début du XXIe siècle, il n'y a aucune chance qu'un nouveau de Gaulle surgisse pour leur résister sérieusement.

Le rôle des analystes est de mobiliser leur connaissance de l'histoire et du système international contemporain pour faire partager leurs arguments. Il me semble que, si l'on s'en tenait à la communauté des analystes ou des experts, le oui l'emporterait aisément le 29 mai. Mais cette espèce n'a qu'une influence très indirecte sur l'opinion publique.

Il appartient aux hommes politiques, dont c'est le métier, de toucher la raison, mais aussi le coeur des citoyens. Hélas ! s'agissant de l'Europe, de loin la plus belle entreprise politique planétaire depuis des lustres, bien peu nombreux sont les hommes politiques capables de trouver les mots justes et de susciter l'enthousiasme. Il est plus que temps que les meilleurs d'entre eux montent au front. Pour ma part, je me limiterai à cinq remarques simples sur des points importants du débat en cours.

Premièrement, il importe de situer l'exercice de la "Constitution" dans son cadre historique. Dès les années 1950 – et même dans l'entre-deux-guerres, puisque c'est alors qu'ont été lancés les premiers projets communautaires, l'idée de l'intégration européenne a été pensée dans la perspective de l'unification du continent, au-delà de ce qu'on appelait alors l'Europe de l'Ouest. Mais c'est évidemment la chute du mur de Berlin et celle de l'Union soviétique, en 1989-1991, qui ont placé cette perspective dans le champ du réel.

IMPARFAIT MAIS ADMIRABLE

Effrayé par la difficulté d'un élargissement trop rapide, un homme d'Etat comme François Mitterrand a bien essayé de freiner l'emballement avec sa proposition de Confédération européenne, mais le vent soufflait trop fort, et il a fallu se résoudre à un élargissement forcené. Ainsi sommes-nous passés de 12 Etats membres en 1991 à 25 en 2004, bientôt 27 avec la Roumanie et la Bulgarie, sans parler de la Croatie. L'édifice ainsi hâtivement reconfiguré n'est pas viable sans une refonte de ses institutions.

Le texte soumis à ratification est imparfait, mais il est admirable si l'on veut bien se souvenir qu'il est le fruit d'une négociation multilatérale extrêmement complexe dans laquelle chacun a dû faire des concessions. S'imaginer qu'après un non de la France il suffirait de se remettre autour d'une table pour faire triompher "nos idées" est irréaliste.

En second lieu, quand nous parlons de "nos idées", nous entendons souvent une conception corporatiste ou protectionniste qui est rejetée par la plupart de nos partenaires. Oui, il existe un modèle social européen, distinct du modèle anglo-saxon ou tout au moins américain, et qui mérite d'être préservé. Mais on ment en faisant croire que ce modèle consiste à empêcher les réformes de structures – meilleure efficacité de la dépense publique, démantèlement des régulations et des protections injustifiées, abolition des privilèges, etc. – et à empiler les déficits.

Que la Constitution soit ou non ratifiée, la coordination des politiques économiques est nécessaire et imposera des disciplines. Il appartient aux plus grands des Etats membres de donner l'exemple en la matière. En cédant trop systématiquement aux forces conservatrices, ces Etats condamnent à l'échec la stratégie de Lisbonne, adoptée en 2000, visant à faire de l'Europe un espace de croissance économique durable face aux Etats-Unis et à l'Asie de l'Est. Tel est le cadre approprié pour un débat de qualité sur le pacte de stabilité ou encore sur la fameuse directive Bolkestein, relative à la libéralisation des services.

DÉBAT DÉVIÉ

Troisièmement, à propos typiquement de la directive Bolkestein, il est factuellement faux d'affirmer que les institutions, anciennes ou nouvelles, abolissent l'espace de négociation entre les Etats membres sur les questions qui les divisent.

Quatrièmement, les adversaires de l'Europe ont volontairement fait dévier le débat en anticipant sur un référendum d'une autre nature concernant la Turquie, qui n'interviendra pas avant au moins dix ans. En décembre 2004, le Conseil européen ne pouvait pas refuser à ce pays, qui avait rempli toutes les conditions qu'on lui avait imposées, d'ouvrir les négociations d'adhésion.

Il n'en est pas moins vrai que le moment tombait mal, notamment à cause de cette sorte d'indigestion dont j'ai parlé plus haut. Mais, quoi que l'on pense de cette candidature et de ses chances d'aboutir ou non, le fait est que le référendum du 29 mai ne changera rien à l'affaire. Les électeurs ne doivent donc pas tomber dans le piège qui leur est tendu en confondant deux sujets bien distincts.

Enfin et surtout, comment ne pas comprendre que notre pays souffre depuis des décennies d'une véritable crise d'identité. Je n'en connais aucun autre sur la planète qui éprouve autant de difficultés à s'ajuster aux transformations du monde. Pour beaucoup d'entre nous, l'Europe – pas une Europe abstraite, mais celle que nous construisons pas à pas depuis près de cinquante ans – est le cadre qui convient à une France régénérée.

En face de nous, en contradiction les uns avec les autres, il y a ceux qui ou bien rejettent l'Europe en rêvant d'une France qui n'existe plus ou bien rêvent d'une Europe à leur manière qui n'existe pas, en condamnant celle qui est au nom de la France qui fut.

Puisse le premier camp trouver l'inspiration d'une mobilisation à la hauteur de l'enjeu et de l'espérance qu'il suscite.

Thierry de Montbrial pour "Le Monde"
Article paru dans l'édition du 06.04.05


Le Monde / Société
A Angers, pour les enquêteurs, il ne semblait "pas urgent d'intervenir"
Angers de notre envoyé spécial

 I ls ont tous été secoués par cette affaire. Le policier Philippe Perez a quitté la brigade des mineurs d'Angers en avril 2004, après avoir bouclé le dossier. "Ça a laissé des traces, j'ai été très touché, murmure le brigadier. Je ne me sentais plus apte." Il a demandé sa mutation, "après un suivi thérapeutique". Catherine Mercier, gardienne de la paix, a la voix qui se casse en pensant au petit Vivien, cramponné à sa main, qui lui disait: "Tu vas pas me lâcher, tu vas m'aider ?" Sa petite soeur pleurait à chaudes larmes quand elle l'a remise aux services sociaux, la policière aussi. On lui a trouvé un poste en tenue; maintenant, ça va.

Les policiers de la brigade des mineurs ont raconté par le menu leur enquête, mardi 5 avril, devant la cour d'assises de Maine-et-Loire, qui juge à Angers un lourd réseau de prostitution enfantine. Les 66 accusés ont écouté dans un silence pesant, et ne se sont guère agités que lorsque les enquêteurs ont assuré que les gardes à vue s'étaient parfaitement déroulées. L'interrogatoire des policiers, à l'audience, s'est un peu moins bien passé, et quelques rares avocats ont lourdement insisté sur l'étonnant retard des enquêteurs à interpeller Eric J., la figure centrale du réseau, qui aurait pu être mis hors d'état de nuire huit mois plus tôt (Le Monde du 5 avril).

Le brigadier Perez n'a pas trop envie d'en parler. Lui est arrivé à la brigade en septembre 2001; pour ce qui s'est passé avant, dit-il, il faut voir avec le chef. "La maman de Charlotte G. est venue vous voir à la mi-décembre 2001 pour porter plainte contre Eric J., tente Me Nathalie Valade, une avocate des parties civiles. Vous l'avez renvoyée vers l'hôpital pour un examen, l'hôpital lui a dit qu'il fallait d'abord porter plainte." Il ne s'en souvient pas.

La ligne est plus difficile à tenir pour Catherine Mercier, qui a recueilli, dès novembre 2000, les plaintes des trois enfants C. qui accusaient Didier et Eric J. de les avoir violés. Les deux frères n'ont été placés en garde à vue que le 25 février 2002. L'avocat général tend une perche à la policière. "Pour commencer une enquête, note Ivan Auriel, il faut avoir des éléments, et pas seulement quelques suppositions..." "Voilà, répond Mme Mercier. Et on avait une charge de travail énorme, on est aussi des humains."

Cela ne suffit pas tout à fait à Me Pascal Rouiller, l'avocat de Franck V., l'un des principaux accusés. "On ne comprend pas bien pourquoi Eric J. est interpellé pour la première fois en juillet 2002 et pas avant, observe l'avocat. Mon problème, c'est celui-là." Eric J., condamné en 1997 pour avoir touché dix enfants, dont son fils, était sous contrôle judiciaire. Au premier faux pas, il pouvait retourner un an en prison. "Vous saviez qu'il était suivi judiciairement ?", demande l'avocat. Elle assure que non. "Manifestement, il ne respectait pas son suivi, insiste Me Rouiller. Il est même parti à Nantes sans prévenir. Vous le saviez ?" "C'est dans le dossier ?", s'inquiète le président de la cour.

C'est dans le dossier. Comme la mise en cause d'Eric J., en juillet 2001, par la petite Marine V., la fille de Franck. "Je l'ai effectivement entendue me dire, un soir: "J'en ai marre qu'il me mette un gros crayon dans la bouche"", explique Mme Mercier. "Cela ressemble à un acte de pénétration sexuelle ?", s'inquiète Me Rouiller. "On m'aurait reproché d'interpréter", se défend la policière. "Avez-vous soupçonné des abus sexuels ?", reprend l'avocat. "Oh, pas du tout", proteste Mme Mercier, pas fâchée de laisser la place à sa patronne.

Fabienne Lopeo est d'une autre trempe. La responsable de la brigade des mineurs est, à "54 ans et demi", à un mois de la retraite, elle a la tête bien faite et la précieuse capacité de noyer sous les détails les questions embarrassantes. Elle convient volontiers qu'Eric J. était le principal animateur du réseau, et que, à peine sorti de prison, il est allé tout droit chez les V. réclamer des enfants. Me Laurence Charvoz s'alarme: "Si mon client est aussi dangereux que vous le dites, (à votre place) je n'aurais pas attendu six mois pour le convoquer." "Posez des questions, maître, des questions", s'agace le président.

Me Rouiller en a quelques-unes. "Vous êtes la première à parler de stratégie d'enquête, reprend l'avocat. Vous avez des éléments, spécialement, en juillet 2001, lorsque Franck V. avoue qu'Eric J. lui a demandé de lui fournir des enfants, vous faites le choix de ne pas l'interpeller. C'est une décision prise avec le parquet ?" La brigade travaille en étroite collaboration avec le parquet, répond Mme Lopeo. "Il ne semblait pas extrêmement urgent d'intervenir. Eric J. n'était plus à Angers, les deux enfants menacés étaient placés." En fait, non: Emma D. ne l'a été qu'en mars 2002.

"Donc, on a pris le risque de ne pas intervenir pour étoffer le dossier, insiste impitoyablement Me Rouiller. Vous laissez Eric J. en liberté, commettre avec d'autres des actes gravissimes. On ne parle pas de stupéfiants, commandant, il ne s'agit pas de laisser passer de petites quantités de drogue pour avoir une grosse prise. On parle de gamins violés ! Vous en étiez à deux en 2001. Vous attendiez d'en être à combien, Mme Lopeo ?"

Heureusement, l'avocat général veille. "On ne peut pas laisser dire que le parquet a laissé commettre des viols pour avoir une affaire plus importante", tonne Ivan Auriel. Le président a hâte de passer à autre chose, les autres avocats ne s'intéressent guère à la question. Mme Lopeo respire.

Franck Johannes
Article paru dans l'édition du 07.04.05


Le Monde / Société
Les comptes du régime général de la Sécurité sociale se sont améliorés en 2004

 P hilippe Douste-Blazy affiche sa satisfaction. Les comptes de la Sécurité sociale sont moins mauvais qu'on ne l'attendait en 2004, et le déficit de l'assurance-maladie devait être inférieur de 1,6 milliard d'euros à ce qui était prévu. C'est une aubaine pour le ministre des solidarités et de la santé, qui devait présenter, mercredi 6 avril, au conseil des ministres des éléments sur les comptes du régime général et sur les premiers "indicateurs de suivi" de la réforme de l'assurance-maladie.

12 "indicateurs" pour l'assurance-maladie
Le ministre de la santé a présenté, mercredi 6 avril, les 12 "indicateurs de suivi" de l'application de la réforme de l'assurance-maladie. Ils permettront d'"évaluer la montée en charge de la réforme et mesurer ses effets" et couvrent neuf thèmes: l'accès aux soins, le médecin traitant, l'accès des plus démunis à l'assurance complémentaire, la maîtrise des dépenses d'indemnités journalières versées lors d'arrêts maladie, la lutte contre les fraudes et les abus, les médicaments et le développement des génériques, la qualité du système de soins, la maîtrise des dépenses de santé, le développement du dossier médical personnel et, enfin, l'hôpital. Ils devraient être publiés tous les six mois.

Selon le ministère de la santé, le déficit 2004 des quatre branches du régime général (maladie, accidents du travail, vieillesse, famille) "sera ainsi d'environ 12 milliards d'euros, contre 14 prévus initialement". Si une partie de cette "amélioration" est mise au crédit des "changements de comportement et de la prise de conscience des efforts à fournir qu'a permis la préparation de la réforme de l'assurance-maladie", elle provient surtout du "dynamisme plus important que prévu des recettes".

Le déficit réduit de la branche maladie – 11,6 milliards contre 13,2 attendus – s'explique, ainsi, pour moitié par la progression des recettes, "dont une plus-value de 400 millions d'euros sur les cotisations et 300 sur la CSG", et pour moitié par une moindre progression des dépenses (de soins, mais aussi frais de gestion courante et frais financiers).

M. Douste-Blazy qualifie la décélération des dépenses de "jamais vu depuis cinq ans". En début d'année, la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM) avait indiqué que, pour la première fois depuis 1999, le taux de progression des dépenses était repassé sous la barre des 5% et s'était établi à 4,7%, contre 6,2% en 2003. Ce chiffre reste, cependant, supérieur à l'objectif de progression des dépenses (Ondam) fixé à 4% dans la loi de financement de la sécurité sociale de 2004.

La branche des accidents de travail et des maladies professionnelles connaît, elle aussi, un déficit inférieur à 200 millions d'euros, contre 540 anticipés. La branche vieillesse, au lieu d'être déficitaire, enregistre "un excédent de 250 millions d'euros". Seule, la branche famille voit sa situation dégradée par rapport aux prévisions de septembre avec "un déficit de 360 millions d'euros au lieu des 180 prévus". Cette détérioration des comptes est expliquée par le succès de la prestation d'accueil du jeune enfant (PAJE), par la hausse des prestations logement et de l'action sanitaire et sociale.

ARRÊTS DE TRAVAIL EN BAISSE

Pour les deux premiers mois de l'année 2005, la CNAM a fait état de bons résultats, dont une diminution de 5% des indemnités journalières dues aux arrêts de travail. Ce repli est lié, entre autres, à l'augmentation du nombre des contrôles engagés, dès 2003, par l'ancien directeur général de la CNAM, Daniel Lenoir.

L'optimisme du ministre de la santé pourrait être tempéré au deuxième trimestre de 2005. Selon un document de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss), longuement cité par la Tribune du 29 mars, les dépenses maladie repartiraient à la hausse et progresseraient de 6,6% au deuxième trimestre, après une augmentation de 2,9% au premier. Quant à la trésorerie de la sécurité sociale, elle serait déficitaire de 5,4 milliards d'euros à fin juin, soit 0,9 milliard de plus que prévu.

R. Bx
Article paru dans l'édition du 07.04.05


Le Monde / Société
Amnesty critique le traitement des violences policières

 A mnesty International dresse un réquisitoire contre les autorités françaises, qui accorderaient une "impunité de fait" aux forces de police. Dans un rapport qu'elle devait présenter mercredi 6 avril, l'organisation de défense des droits de l'homme tire un bilan très critique du traitement disciplinaire et judiciaire des violences policières, trop rarement et trop faiblement sanctionnées, selon elle. Amnesty s'est concentrée sur une quinzaine de cas très graves, survenus entre 1991 et 2005.

"Ces dernières années, l'usage imprudent d'armes à feu entraînant la mort est heureusement devenu moins fréquent dans les rangs de la police et de la gendarmerie, indique le rapport. Cependant le nombre de plaintes pour mauvais traitements de la part des policiers, dont le point de départ est souvent un contrôle d'identité qui s'est terminé violemment, a au contraire augmenté."

En 2004, les violences policières illégitimes alléguées dont a été saisie la "police des polices" – l'inspection générale de la police nationale (IGPN) ou l'inspection générale des services (IGS) – ont augmenté de 18,5%. Il s'agit de la septième année de hausse consécutive (Le Monde du 10 mars).

Selon Amnesty, le phénomène s'explique, en partie, par la position du ministère de l'intérieur sur la "reconquête" de certaines banlieues qui seraient devenues des "zones de non-droit". Un discours pris au pied de la lettre par les policiers, qui "se considèrent comme une force engagée dans un conflit contre un ennemi", assure l'organisation.

RECOURS À LA FORCE

Amnesty critique l'utilisation abusive des principes de "légitime défense" et d'"état de nécessité" pour justifier le recours à la force. Le 25 février, le ministre de l'intérieur, Dominique de Villepin, avait déjà appelé les forces de l'ordre à "proportionner l'usage du recours à la force". Pour empêcher les mauvais traitements en garde à vue, l'organisation souhaiterait notamment qu'un avocat soit présent dès le début des interrogatoires, et que ceux-ci soient tous filmés. Elle regrette que la consultation d'un médecin ne soit pas systématique. Amnesty voudrait que les victimes puissent directement saisir la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS), sans passer par un parlementaire, comme c'est le cas aujourd'hui.

Surtout, l'association réclame la création d'un organisme indépendant, qui "devrait à terme remplacer" les instances disciplinaires internes. Tout mauvais traitement, acte de torture ou de cruauté ferait l'objet d'une investigation.

Enfin, Amnesty s'interroge sur le traitement judiciaire des plaintes à la suite de violences policières alléguées: les représentants du parquet joueraient trop souvent "le rôle d'avocats de la défense". La durée excessive des informations judiciaires et la faiblesse des peines prononcées, même lorsque les violences ont été formellement établies, contribuent "à cette situation d'impunité de fait".

Amnesty demande à la chancellerie de donner des instructions pour raccourcir les délais de traitement, citant le cas d'un lycéen de 18 ans, Aïssa Ihich, mort d'une crise d'asthme en mai 1991 au commissariat de Mantes-la-Jolie (Yvelines) après avoir été frappé à terre par des policiers. L'affaire a été jugée dix ans plus tard.

Piotr Smolar
Article paru dans l'édition du 07.04.05


Le Monde / Société
MEMOIRE
Le transfert de 4 000 tombes de Français d'Algérie émeut les rapatriés

 P our l'administration, ce sont quelques terrains vagues perdus dans l'Algérie profonde, parsemés de tombes que les années ont rendues illisibles. Mais pour ceux qui ont laissé des ancêtres sur l'autre rive de la Méditerranée, ce sont de petits bouts de la terre où s'enracine leur vie. Au total, 209 000 tombes françaises, témoignage de cent trente ans de colonisation, peuplent toujours 523 cimetières algériens. La préservation et la réhabilitation de ce patrimoine, dégradé par le temps et que les familles ont été longtemps mises dans l'impossibilité d'entretenir, figuraient parmi les engagements pris par le président Chirac lors de sa visite d'Etat en Algérie, en mars 2003.

A la mi-mars, il a suffi que le quotidien Nice-Matin exhume un arrêté du ministère des affaires étrangères du 7 décembre 2004, passé inaperçu, et barre sa "une" d'un énorme "Algérie: 62 cimetières condamnés !" pour mettre le feu au petit monde des rapatriés. Le clientélisme électoral soufflant sur les braises de passions mal éteintes a transformé en brûlot un dossier qui n'était pas le plus sensible dans les relations franco-algériennes.

Le texte ministériel engage "un regroupement, en tombes ou ossuaires selon le cas, de sépultures françaises en Algérie". Il donne aux familles concernées un délai de quatre mois pour faire connaître à l'un des deux consulats de France en Algérie "si elles souhaitent effectuer le transfert en France, à leurs frais, des restes mortels de leurs défunts". Enfin, il dresse la liste des 62 petits cimetières, abritant 4 000 tombes, qui sont concernés par le projet de regroupement dans des nécropoles urbaines plus vastes.

"En prenant connaissance de cet arrêté qui n'avait suscité aucune réaction, je me suis demandé si la France n'était pas sourde. Cette surdité m'a douloureusement rappelé le sentiment de mépris qui prévalait en 1962, à notre arrivée", témoigne Yvette Aïoutz, une retraitée de l'éducation nationale dont les aïeux reposent dans l'un des cimetières concernés. "Je ne veux pas qu'on déterre mes parents, poursuit-elle: d'ailleurs, que reste-t-il d'eux ? Ils ont droit à ce mètre carré de terre. S'il faut le racheter, qu'on le rachète pour qu'ils puissent rester là où ils sont. Sinon, on détruira le dernier lien qui nous unit à cette terre."

RÉHABILITATION IMPOSSIBLE

Au ministère des affaires étrangères comme à la Mission interministérielle aux rapatriés, on tente d'apaiser ces réactions: les regroupements dans des cimetières entretenus visent à "préserver la dignité des morts et la mémoire des sites", plaide Marc Dubourdieu, président de la Mission. Le plan ne concerne que 2% du total des tombes, celles qui, situées dans des localités reculées, sont dans un état de délabrement tel qu'il n'existe aucune autre solution, assure-t-il. Un monument, "un obélisque de béton indestructible", sera implanté sur les anciens sites pour en perpétuer la mémoire. La réplique aux rumeurs faisant état de pressions algériennes destinées à récupérer les terrains est nette: "Jamais l'argument foncier n'a été avancé."

S'il est vrai que certains cimetières ont servi de caches d'armes pendant la guerre civile des années 1990, que certaines tombes ont été profanées, que d'autres servent d'abri à des indigents, la réalité est que les cimetières ont été privés d'entretien et que, à en croire les officiels, leur réhabilitation relève d'une "mission impossible".

Les regroupements, insiste-t-on, ne constituent qu'une petite partie du plan de réhabilitation général des cimetières d'Algérie, auquel l'Etat et les collectivités territoriales volontaires doivent consacrer 300 000 euros en 2005. Quant au délai de quatre mois imposé aux familles pour choisir entre le regroupement – gratuit – et le rapatriement – à leurs frais –, il ne serait qu'indicatif, l'opération devant s'étaler sur trois ans.

Alors que l'annonce par le conseil général des Alpes-Maritimes, présidé par Christian Estrosi (UMP), d'une prise en charge des frais de rapatriement n'a fait qu'amplifier le désarroi et la bronca, l'Association de sauvegarde des cimetières d'Algérie (ASCA), qui se consacre à cette tâche depuis 1985, est venue à la rescousse de l'Etat en approuvant la politique de regroupement qu'elle a elle-même engagée depuis plus de vingt ans. "La réalité est que ces tombes ont été profanées depuis longtemps et qu'il n'y a pas un seul corps identifiable à rapatrier, assure le docteur Alain Bourdon, trésorier de l'ASCA, avant d'ajouter: Soit M. Estrosi ne connaît pas la question, soit il agit par pure démagogie. De toute façon, il n'aura pas un centime à sortir." En tant que représentant de la "dernière génération" de rapatriés d'Algérie, M. Bourdon, qui avait "20 ans en 1962", est déterminé à agir vite. Sinon, dit-il, dans trente ans, la mémoire des Français en Algérie aura disparu.

Philippe Bernard
Article paru dans l'édition du 07.04.05


Le Monde / Opinions
Une
VENTRE DU "MONDE"
Pour François Bayrou, les électeurs UDF valent bien une messe

 I l est arrivé, à 8 heures pile, mercredi 6 avril, avec d'autres élus soucieux comme lui de participer à la messe des parlementaires à la mémoire de Jean Paul II, en la basilique Sainte-Clotilde, à Paris. Pour expier, aussi, une déclaration qu'il ne cesse de regretter ? François Bayrou, le président très catholique et très pratiquant de l'UDF, avait fait savoir que, en matière d'hommages au pape défunt, la France en avait fait beaucoup. Drapeaux en berne, préfets "réquisitionnés", le président de l'UDF avait jugé la réaction de l'Etat un peu disproportionnée. "Je n'aurais certainement pas pris cette décision", confiait-il, lundi 4 avril. Ravi de prendre une fois de plus Jacques Chirac à contre-pied, il ajoutait, un rien provocateur: "Je n'ai pas voté la loi sur le voile, mais la laïcité a besoin de principes. Que fera-t-on lorsque le dalaï-lama décédera à son tour ?"

Seulement voilà, l'homme qui a déconfessionnalisé la démocratie chrétienne à la française s'est attiré des réactions très hostiles de plusieurs de ses élus. "Une trentaine d'e-mails extrêmement sévères", dit-on à l'UDF. Et plus encore, à coup sûr, la désapprobation des électeurs du parti centriste, déjà déçus qu'il ne soit pas fait mention des origines chrétiennes de l'Europe dans le traité constitutionnel. Hâbleur, mais n'en menant pas large, M. Bayrou tentait de sourire: "C'est bien la première fois que je me fais engueuler par les cathos !"

Que faire ? Retirer ses propos ? Un peu humiliant. Rendre hommage au pape ? L'occasion lui en a été donnée, mercredi soir sur France 2, où il a célébré "sa bonté pour la terre et les hommes". Effort louable mais sans doute insuffisant eu égard à la gravité de la faute. Après que certains de ses conseillers eurent envisagé de lui faire prendre le premier avion pour Rome, vendredi 8 avril, afin qu'il puisse assister aux obsèques du pape, une solution plus réaliste a été trouvée.

Le voici donc, ce 6 avril, au rendez-vous fixé par Mgr Baldelli, nonce apostolique en France. Il y a là une petite trentaine de députés, emmenés par Jean-Louis Debré: André Santini, Charles-Amédée de Courson, Christine Boutin, Claude Goasguen, Jean-Pierre Soisson, Alain Marsaud, Christian Estrosi, Henri Cuq...

Dans son homélie, Mgr Baldelli évoque des extraits de la lettre adressée par Jean Paul II aux évêques de France à l'occasion du centenaire de la loi de 1905 sur la séparation de l'Eglise et de l'Etat. "Le Saint Père souligne l'apport des catholiques de France. Ils apportent la lumière et leur foi afin d'être présents dans tous les domaines de la vie sociale." Face à cette invitation à montrer ses convictions, M. Bayrou, au premier rang, a-t-il pensé qu'il avait eu tort de renier les siennes ? L'expiation est un long travail. Le déplacement de campagne pour le oui au référendum, prévu vendredi dans le Limousin, a été annulé. Les amis du président de l'UDF n'excluaient pas qu'il puisse à nouveau, ce jour-là, se rendre à la messe.

Philippe Ridet
Article paru dans l'édition du 07.04.05


Le Monde / International
CONTROVERSE
Des manuels scolaires japonais scandalisent la région
Tokyo de notre correspondant

 L a révision des manuels scolaires destinés aux lycéens japonais ne pouvait plus mal tomber: adoptée, mardi 5 avril, par le ministère de l'éducation, la nouvelle version de l'histoire moderne du pays a jeté de l'huile sur le feu de ses relations déjà tendues avec ses voisins chinois et coréen.

Cette mise à jour des manuels, qui intervient tous les quatre ans, porte sur l'ensemble des matières. Elle vise surtout à donner plus de substance à l'enseignement scientifique. Mais, une fois encore, les manuels de "sciences sociales", qui traitent de l'histoire, suscitent des controverses. La version donnée par le Japon de la guerre d'expansion qu'il mena dans la région heurte régulièrement les sentiments de ses voisins. Ces derniers estiment que Tokyo nie ou édulcore les faits, quand il ne justifie pas des actions coupables.

Une nouvelle fois, des sujets controversés – le massacre de la population civile à Nankin en 1937 est qualifié d'"incident"; le terme d'"invasion" n'est jamais mentionné lorsqu'il est fait état de la "guerre de la Grande Asie" que mena le Japon à partir des années 1930 – sont dénoncés à Pékin et à Séoul. Autre sujet sensible: la question des "femmes de réconfort", euphémisme pour désigner les 200 000 Asiatiques, essentiellement Coréennes, contraintes à se prostituer dans les bordels de l'armée impériale. Evoqué dans certains manuels en 2001, cet épisode peu glorieux n'y figure plus.

Cet infléchissement du contenu des livres scolaires, fruit de la campagne lancée dans les années 1980 par la droite japonaise pour changer une "vision masochiste" de l'histoire, nourrit un nouveau prurit nationaliste en Asie orientale. Des différends territoriaux provoquent régulièrement des tensions dans la région. Ces dernières années, les visites du premier ministre, Junichiro Koizumi, au sanctuaire Yasukuni à Tokyo, où sont honorées les âmes des morts pour la patrie, parmi lesquels figurent des criminels de guerre, ont alourdi le climat. A Pékin et Séoul, elles ont été interprétées comme une absolution du passé militariste nippon.

Avec Pékin, le contentieux porte sur la ligne de démarcation des zones économiques exclusives en mer de Chine orientale (région riche en ressources énergétiques) et sur la souveraineté d'îlots inhabités. Ainsi, Senkaku en japonais, Diaoyu en chinois. Récemment, un nouveau litige territorial est apparu, concernant désormais la Corée du Sud. Il porte sur les îlots Takeshima (Dokto en coréen), en mer du Japon (appelée "mer de l'Est" par Séoul).

MAGASINS ATTAQUÉS

Un tollé s'est élevé à Séoul quand le département de Shimane (sud-ouest de l'archipel nippon) a pris un arrêté établissant la souveraineté nippone sur ces îlots inhabités et sous contrôle coréen. Les relations entre les deux pays, qui s'étaient réchauffées ces derniers temps, se sont brutalement rafraîchies. En réaffirmant jusque dans les nouveaux manuels scolaires sa souveraineté sur Takeshima, Tokyo a provoqué un regain de courroux à Séoul.

Avec la Chine, l'absence de visite réciproque des chefs d'Etat ou de gouvernement depuis l'arrivée au pouvoir de M. Koizumi en avril 2001, témoigne de la froideur des relations entre les deux pays en dépit de relations économiques en plein essor. Attisé par les diatribes de la droite nippone sur la "menace chinoise", l'antagonisme entre Pékin et Tokyo suscite une vague antijaponaise sur le continent. En fin de semaine, à Shengzhen et à Chengdu, des groupes de jeunes "patriotes" ont attaqué des magasins japonais pour protester contre la demande de Tokyo de devenir membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU et des mots d'ordre de boycottage des produits nippons ont été lancés.

Philippe Pons
Article paru dans l'édition du 07.04.05


Le Monde / International
RECONSTRUCTION
Kaboul revendique la gestion de l'aide internationale consacrée à l'Afghanistan
Islamabad de notre correspondante en Asie du Sud

 L e gouvernement afghan voudrait gérer une plus grande part de l'aide internationale pour mieux asseoir son autorité, spécialement avant les élections législatives prévues en septembre. Le président Hamid Karzaï a plaidé cette cause à Kaboul, devant la troisième conférence des pays donateurs réunie du 4 au 6 avril, en leur demandant d'accélérer la reconstruction.

Trois ans et demi après la chute du régime taliban, l'aide internationale fournit 93% du budget afghan (4,75 milliards de dollars pour 2005). Or, selon le ministre des finances, Anwar-ul-Haq Ahady, 77% de cette aide sont gérés directement par les donateurs internationaux qui passent des contrats avec les organisations non gouvernementales (ONG) ou le secteur privé. Sur le principe, les donateurs s'accordent à vouloir renforcer les autorités afghanes en leur donnant les moyens de leur politique. Mais beaucoup font valoir que l'administration manque de ressources humaines, qu'elle est très largement corrompue et politisée; ce qui risquerait de déséquilibrer la distribution de l'aide.

Frustré, le gouvernement afghan a lancé, depuis plusieurs mois, une campagne de dénigrement des ONG, les accusant de gaspiller l'argent, d'être inefficaces et trop onéreuses. Un projet de loi a d'abord visé à leur interdire de répondre aux appels d'offres du gouvernement. Mais le président Karzaï a dû nommer, le 3 avril, une commission paritaire gouvernements-donateurs pour revoir ce projet. Les ONG sérieuses et reconnues réclament depuis longtemps une réglementation pour clarifier la situation. En effet, de multiples organisations se sont baptisées ONG devant la manne promise au pays; en fait, certaines ne sont que des officines à faire de l'argent. Des hauts responsables ont même "créé" des organisations, sous leur nom ou celui d'un proche. Le ministère du Plan a enregistré, au titre des ONG, 2 400 organisations ces trois dernières années, alors que la coordination des ONG les plus sérieuses (Agency Coordination Body for Afghan Relief, Acbar) n'a que 88 membres.

Un an après la conférence de Berlin, au cours de laquelle les pays donateurs s'étaient engagés à apporter à l'Afghanistan 8,2 milliards de dollars sur la période 2004-2007, la rencontre de Kaboul a été tournée essentiellement vers la stratégie à adopter pour la reconstruction sur le moyen terme. Principal bailleur de fonds, Washington a laissé entendre toutefois que son aide de 2,5 milliards de dollars en 2004 pourrait être portée à 5 milliards cette année après approbation du Congrès.

SIGNES D'ESSOUFFLEMENT

"Nous voyons le succès et nous désirons investir dans le succès", a indiqué Zalmay Khalilzad, le tout-puissant ambassadeur américain à Kaboul, qui va prochainement quitter l'Afghanistan pour l'Irak. Sur cette somme, 1,4 milliard de dollars sont destinés à l'armée nationale et aux forces de police en cours de constitution.

Dans un entretien à l'agence Associated Press, le général David Barno, commandant en chef des forces de la coalition en Afghanistan, a annoncé que l'armée américaine allait prendre en charge l'entraînement de la police (jusqu'alors assuré par l'Allemagne) et fournir les renseignements et le transport pour les forces antidrogue en formation. Le défi posé au gouvernement afghan va être de maintenir l'intérêt de la communauté internationale pour le pays, alors que les premiers signes d'un essoufflement des donateurs se manifestent.

Françoise Chipaux
Article paru dans l'édition du 07.04.05


Le Monde / Opinions
Chronique
Un quart d'heure de grâce télévisuelle

 C hristine Ockrent posait la question suivante, mardi soir sur France 3, à ses invités de "France Europe Express": une politique de gauche est-elle possible dans l'Europe du traité constitutionnel ? Oui, bien sûr, répondaient Jack Lang et le nouveau secrétaire national des Verts, Yann Wehrling. Non, évidemment, rétorquaient Marie-George Buffet et Arlette Laguiller. Et l'on était parti, une fois de plus, dans un débat remarquablement confus, à coups de paragraphes sournois et d'alinéas vicieux, sur le point de savoir si cette Constitution affirmait une doctrine libérale ou apportait de nouveaux droits sociaux. Les deux, apparemment.

Le dernier sondage CSA annonçait, une fois de plus, une victoire du non, avec 53% d'intentions de vote contre 47% pour le oui. Et, surtout, il montrait que le non était nettement plus fort chez les électeurs de gauche (58%) que chez ceux de droite (34%). Bref, le moral n'était guère élevé chez les partisans du oui, malgré les efforts de Jack Lang pour relativiser tous les sondages, un procédé classique lorsque ceux-ci se révèlent décevants.

C'est alors qu'on entendit s'élever une voix, étonnamment enthousiaste, en faveur de la Constitution européenne. Il n'était plus question de paragraphes ou d'alinéas, mais d'un audacieux projet collectif suscitant l'admiration du reste du monde. L'économiste et essayiste américain Jeremy Rifkin, qui était resté silencieux jusque-là, faisait une entrée tonitruante dans le débat. Il se disait "littéralement scié" par ce qu'il avait entendu. Il citait sa mère qui, à 93 ans, a lu la Charte des droits fondamentaux incluse dans le projet de Constitution.

Elle y a découvert avec ravissement des droits qui ne figurent pas dans la Constitution américaine et dont elle n'imaginait même pas qu'ils puissent exister. "Vous ne vous rendez pas compte à quel point vous avez de la chance !", lançait Jeremy Rifkin. "Si cette Constitution avait été promulguée aux Etats-Unis, j'embrasserais ce document en pensant que je me suis réveillé au paradis !", ajoutait-il. Jack Lang, selon sa propre formule, "buvait du petit-lait". Marie-George Buffet maugréait. On en revenait assez vite aux empoignades habituelles, mais un souffle inattendu était passé sur l'émission. Le Rêve européen, titre du livre de Jeremy Rifkin, publié chez Fayard, avait eu droit à un quart d'heure de grâce télévisuelle.

Dominique Dhombres
Article paru dans l'édition du 07.04.05


Le Monde / International
L'Europe tente de protéger son marché contre le textile chinois

 F ace au déferlement du textile chinois depuis le 1er janvier, la Commission européenne a annoncé, mercredi 6 avril, avoir défini des "niveaux d'alerte" par produits à partir desquels des "enquêtes" seront ouvertes pour faire jouer d'éventuelles clauses de sauvegarde du marché communautaire. De telles clauses ne seront toutefois enclenchées qu'en "dernier recours", après des "consultations informelles" avec la Chine.

Bruxelles a en effet pris soin de ne pas froisser Pékin. Les "niveaux d'alerte" fixés par Bruxelles prévoient l'ouverture d'une enquête lorsque des "données fiables" attesteront d'une augmentation des entrées de textiles chinois "de 10 à 100% par rapport aux niveaux de 2004", a souligné, mercredi, le commissaire au commerce, Peter Mandelson.

DOMMAGES ET IMPACTS

Les chiffres publiés à Pékin font état d'une progression globale de 28,77% des exportations chinoises de textile en janvier, tandis qu'Euratex évalue à 46,5% l'augmentation vers l'Union européenne. Mais plusieurs catégories de produits déjà ont allègrement crevé ces plafonds. Les statistiques dont dispose Bruxelles pour janvier-février montrent notamment un doublement des importations de tailleurs féminins et une multiplication par trois pour les pull-overs. Et l'explosion la plus spectaculaire concerne les bas, collants et chaussettes, dont Pékin a écoulé plus de 913 millions d'unités, contre moins de 16 millions au cours de la même période en 2004 - soit une multiplication par 57.

Pour autant, le commissaire Mandelson veut d'autres "preuves" pour aller plus loin. Ses services espèrent pour la troisième semaine d'avril des statistiques sur le premier trimestre 2005. Il entend focaliser les enquêtes futures sur "les dommages possibles pour l'industrie européenne et l'impact probable sur les producteurs de pays en développement vulnérables" et les voisins méditerranéens de l'UE, mais aussi sur "l'impact positif" que la nouvelle donne "va avoir pour les consommateurs". Bruxelles ne décidera qu'ensuite, "sur la base des consultations" avec Pékin, de la nécessité ou non d'"imposer des mesures de sauvegarde formelles".

"C'est une étape sérieuse et certainement pas quelque chose auquel nous devrions avoir recours avec légèreté ou automatiquement", a déclaré M. Mandelson, soucieux de rassurer aussi la Chine, dont il doit rencontrer vendredi le vice-ministre du commerce, Zhang Zhigang. "Il n'est pas question de revenir en arrière à l'ancien système des quotas. Nous ne pourrions justifier des mesures de sauvegarde temporaires qu'en dernier recours, si des distorsions commerciales durables et sur une large échelle étaient clairement démontrées", a-t-il répété.

VIVE RÉACTION CHINOISE

Le dispositif européen est en retrait par rapport au processus de sauvegarde enclenché lundi par les Etats-Unis sur la base des modalités fixées en 2001 lors de l'accession de la Chine à l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Il laisse trois mois de répit entre l'ouverture d'une enquête et les premières restrictions effectives aux importations chinoises. La prudence de M. Mandelson s'explique par les divisions des Européens entre adversaires et partisans d'un libre-échange maximum. Parmi ces derniers, le ministre suédois du commerce, Thomas Odros, s'est dit mardi "troublé" par une "tendance protectionniste croissante et inquiétante" au sein de l'UE.

L'annonce faite par Bruxelles n'a toutefois pas manqué d'heurter la Chine. Pékin s'est déclaré, jeudi matin, "vigoureusement opposé" aux mesures annoncées. Les "niveaux d'alerte" fixés mercredi par la Commission européenne "contreviennent aux réglementations légales sur l'entrée de la Chine à l'OMC", a déclaré dans un communiqué le porte-parole du ministère du commerce chinois, Chong Quan. "La Chine y est vigoureusement opposée", a-t-il ajouté. La décision européenne "aura d'énormes conséquences négatives non seulement sur le commerce bilatéral de produits textiles, mais également sur le commerce mondial de ces produits", selon le texte publié sur le site internet du ministère. La mesure de l'UE, qui crée selon Pékin "des conditions subjectives pour activer une clause de sauvegarde", "engendre des nouveaux facteurs d'instabilité dans le commerce bilatéral de produits textiles".

Avec AFP et AP
LEMONDE.FR | 07.04.05


Le Monde / International
Kamal Kharrazi, ministre iranien des affaires étrangères
"L'Iran ne saurait en aucun cas renoncer à son droit au nucléaire civil"
AFP/ATTILA KISBENEDEK
Le ministre iranien des affaires étrangères Kamal Kharrazi revendique pour son pays le droit à la combustion nucléaire.

 Q uelles sont les exigences de l'Iran à propos du nucléaire ?
L'Iran ne saurait en aucun cas renoncer à son droit de traiter l'uranium pour obtenir du combustible nucléaire destiné à des centrales nucléaires civiles – et j'insiste sur civiles. L'utilisation de l'énergie nucléaire à des fins pacifiques est un droit. Cela dit, nous sommes prêts à fournir des garanties objectives qui assurent que nous ne cherchons pas à nous doter de l'arme nucléaire. C'est l'objectif des négociations que nous avons engagées - avec les Européens -. Des coopérations politiques, économiques ou sécuritaires permettront d'établir le climat de confiance nécessaire pour y parvenir.

Les promesses d'aide européennes, voire américaines, ne méritent-elles pas une contrepartie iranienne ?
Il s'agit moins de promesses de coopération que de la levée de certaines restrictions imposées à l'Iran. C'est un point positif si l'objectif est de mettre l'Iran en confiance. Si, en revanche, il s'agit d'amener l'Iran à renoncer à un droit, c'est inacceptable.

Ne redoutez-vous pas l'imposition de sanctions par l'ONU en cas d'échec de vos discussions avec les Européens ?
Nous avons été pendant des années sous embargo et nous le sommes toujours. La vraie question est de savoir si - des sanctions - sont dans l'intérêt de l'Europe et de la communauté internationale. L'Iran est aujourd'hui un pays puissant en matière de technologie pour la production de combustible nucléaire. Avec lui, il ne faut pas user du langage de la force ou des pressions, mais du dialogue et de la discussion.

L'élection prochaine d'un nouveau président de la République iranien aura-t-elle une incidence sur la position de l'Iran ?
Aucun président quelle que soit son appartenance politique ne pourra s'opposer à ce qui est considéré comme une volonté nationale iranienne d'accéder au cycle du combustible nucléaire. Pour tout Iranien, c'est une question d'honneur et de fierté nationale.

L'Iran a-t-il été sollicité par la France à propos du désarmement du Hezbollah libanais ?
Non, mais il existe entre l'Iran et la France des sujets d'intérêt commun, et nous pouvons coopérer sur la scène libanaise. La France a une influence et des intérêts historiques au Liban, mais il faut tenir compte des évolutions qu'a connues ce pays, où les forces politiques émergentes, dont le Hezbollah, tiennent un rôle déterminant. Il faut éviter à tout prix que des décisions extérieures soient imposées au Liban. Maintenant que les forces syriennes ont évacué ce pays - l'évacuation est en cours -, il faut laisser les dirigeants libanais décider de l'avenir. La question du Hezbollah et de son armement est une question interne. La résistance islamique - le Hezbollah - est un motif de fierté pour tous les Libanais, qu'ils soient musulmans, druzes ou chrétiens. Chacun sait ce qu'a accompli cette résistance - allusion au retrait de l'armée israélienne en 2000 - et les Libanais eux-mêmes estiment qu'aussi longtemps que les violations israéliennes continueront, parler du désarmement du Hezbollah est prématuré.

Vous estimez donc que la résolution 1559 de l'ONU, coparrainée par la France et qui demande le désarmement du Hezbollah, est une forme d'ingérence ?
Une partie - des dispositions de cette résolution - peut être considérée comme une forme d'ingérence dans les affaires d'un pays. Or toute ingérence extérieure entraîne une forme de résistance, en particulier lorsqu'il existe des soupçons qu'un certain nombre de faits visent à servir les intérêts d'Israël.

Votre commentaire sur l'augmentation continue du prix du pétrole ?
Nous sommes partisans d'un prix acceptable par les producteurs et les consommateurs. Ce ne sont pas les pays producteurs mais la situation du marché international qui est à l'origine de la flambée des prix, cette flambée qui n'est pas près de prendre fin.

Propos recueillis par Arnaud Leparmentier et Mouna Naïm
Article paru dans l'édition du 07.04.05


Le Monde / Société
Jusqu'à présent unis dans leur défense, les responsables de la sécurité du tunnel du Mont-Blanc ne font plus front commun
Bonneville (Haate-Savoie) de notre envoyé spécial

 G érard Roncoli est assurément un technicien compétent. Chef du service sécurité de la concession française du tunnel du Mont-Blanc, il en connaît toutes les arcanes. Aucun bouton du pupitre de la salle de régulation n'a de secret pour lui. Il est intarissable sur le fonctionnement du système de ventilation, et il prend plaisir à évoquer les subtilités de la machinerie qui gère la bonne marche du tunnel et sa sécurité. Mais ces qualités ont leur revers: M. Roncoli est tellement sûr de lui qu'il n'admet pas la contradiction. Il en a encore fait la démonstration, mercredi 6 avril, au 41e jour du procès de la catastrophe qui, le 24 mars 1999, a causé la mort de 39 personnes.

Le tribunal de Bonneville s'intéresse à cet instant à ce que les responsables de l'ouvrage savaient, le jour des faits, sur le nombre d'usagers susceptibles d'être coincés dans le tunnel en feu. M. Roncoli assure qu'aux alentours de 11 heures, soit quelques minutes seulement après le début de l'incendie, il s'est lancé dans un calcul simple fondé sur la moyenne des véhicules empruntant le tunnel en une heure et en a tiré la conclusion que 15 à 20 voitures ou camions pouvaient être bloqués derrière le poids lourd conduit par Gilbert Degrave. Le calcul est tout théorique, d'autant que Gérard Roncoli dit ignorer à ce moment-là combien d'usagers ont eu le temps de doubler le camion en feu ou de faire demi-tour.

Mais pourquoi n'a-t-il pas informé de ses craintes le capitaine Comte, chef des pompiers de Chamonix, s'étonne le président du tribunal Renaud Le Breton de Vannoise. "Je le lui ai dit", lâche le prévenu. "Il semblerait que le lieutenant-colonel Laurent (responsable du service départemental d'incendie et de secours), lui non plus, n'ait pas été informé", insiste le président. "Je conteste ne pas lui avoir donné l'information", rétorque M. Roncoli. "C'est tout de même étonnant, toutes ces personnes disent qu'elles ne l'ont pas eue. Vous êtes donc seul contre tous ?", reprend le président. Et là, comme il l'a déjà fait, M. Roncoli, rouge de colère, fait dans l'ironie: "Votre intonation n'est pas la même quand vous parlez de moi ou du lieutenant-colonel Laurent." Cette fois, le président ne laisse pas passer. "Vous êtes à cette barre en situation de prévenu, rappelle-t-il. Vous êtes à la limite de l'impertinence, je vous rappelle à l'ordre et je tiens à ce que cela soit acté. Si vous dites vrai, cela signifie que le lieutenant-colonel Laurent ment." "Je dis vrai", soutient M. Roncoli après s'être excusé.

D'autres personnes pourtant le contredisent sur ce point et, au fil de l'audience, il est pris à plusieurs reprises en flagrant délit de mensonges. Il indique avoir demandé, aux environs de 14 heures, aux informaticiens du tunnel de "sortir" les listings du péage, un bon moyen d'avoir une idée du nombre de véhicules entrés dans l'ouvrage après le camion de Gilbert Degrave. Or, les deux informaticiens assurent qu'ils en ont eu eux-mêmes l'initiative. Grâce à l'analyse de ces listings, ils savent, dès 16 heures, le nombre exact de véhicules entrés après le camion en feu, "à un ou deux près". Curieusement, cette information ne serait pas remontée aux oreilles des responsables du tunnel. A 19 heures, lors d'une conférence de presse, Rémy Chardon, le président de l'ATMB, société concessionnaire française de l'ouvrage, se montre donc rassurant, évoquant la présence de seulement cinq véhicules dans le tunnel. "On est passé à côté d'une catastrophe majeure", précise-t-il. Des propos qu'il regrette amèrement aujourd'hui.

EXPLICATIONS EMBROUILLÉES

Comment en est-on arrivé là ? C'est ce qu'aimerait savoir le président Le Breton de Vannoise. Mais les explications embrouillées des prévenus ne l'éclairent pas beaucoup. Un élément troublant vient encore ajouter à la confusion. Le jour de l'incendie, un ingénieur de l'ATMB a noté scrupuleusement l'ensemble des informations parvenues à la salle de régulation. Dans ses notes manuscrites, il indique: "12 h 14, vingt véhicules bloqués sur un kilomètre". Aujourd'hui, il ne se souvient plus qui lui a donné l'information. Mais il est formel: il l'a forcément répercutée à sa hiérarchie. Le contraire serait d'ailleurs surprenant puisque c'est M. Roncoli lui-même qui l'avait chargé de tenir cette main courante. Mais celui-ci nie en avoir eu connaissance. Peut-il faire autrement ? Admettre avoir été informé dès le début de l'après-midi reviendrait à reconnaître avoir menti à sa hiérarchie, puisque Rémy Chardon, à l'en croire, n'avait pas eu connaissance de ce chiffre quand il parle aux médias.

La situation est intenable pour Gérard Roncoli, et son ex-PDG l'a bien compris. Alors, quand celui-ci s'approche de la barre, c'est pour sermonner son subordonné. "Je suis un peu atterré et je tombe de haut, dit-il. Je découvre moi aussi à cette audience des choses que j'ignorais. Je comprends mieux la colère des familles et je leur présente mes regrets et mes excuses. Nous n'avons pas le droit d'être arrogant et j'invite mes anciens collaborateurs à y prendre garde. C'est bien le minimum que nous devons aux familles." Ce faisant, M. Chardon ouvre une brèche. Jusqu'à présent, la défense des prévenus français apparaissait bien monolithique. Une seule stratégie pour tous: restés soudés et attaquer leurs homologues italiens pour mieux se dédouaner. Aujourd'hui, assistant à la déroute de Gérard Roncoli, Rémy Chardon a visiblement préféré faire cavalier seul.

Acacio Pereira
Article paru dans l'édition du 08.04.05


Le Monde / France
Le juge chargé de l'enquête sur la FNSEA demande la saisine de la Cour de justice de la République

 L' enquete sur les financements clandestins de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) pourrait s'achever devant la Cour de justice de la République (CJR). Dans une ordonnance adressée le 21 mars au parquet de Paris, le juge d'instruction Henri Pons sollicite la saisine de cette juridiction, seule compétente pour instruire et poursuivre les ministres mis en cause dans l'exercice de leurs fonctions.

Ouverte au mois de février 2000, l'information judiciaire relative aux détournements de subventions agricoles dont aurait bénéficié le syndicat, entre 1991 et 1999, pourrait en effet impliquer deux anciens ministres de l'agriculture – Philippe Vasseur (1995-1997) et Jean Glavany (1998-2002) – ainsi qu'un ancien ministre de l'économie et des finances, Jean Arthuis (1995-1997).

La demande implicite de poursuites contre ces trois anciens membres du gouvernement marque la fin de l'instruction du juge Pons, qui a notamment conduit à la mise en examen, pour "complicité et recel d'abus de biens sociaux", de Luc Guyau, président de la FNSEA de 1992 à 2001, et de plusieurs autres dirigeants du syndicat, ainsi que du député européen (UMP) Joseph Daul, président de la Confédération nationale de l'élevage (CNE), et du PDG de la société financière Unigrains, Henri de Benoist, également ancien vice-président de la FNSEA.

Répondant au juge Pons, le parquet de Paris a préconisé, il y a quelques jours, la poursuite de l'instruction, rejetant ainsi implicitement la saisine de la CJR. Mais le juge semble décidé à passer outre: il a notifié aux parties, vendredi 1er avril, la fin de son enquête, prélude au prochain renvoi de l'affaire devant le tribunal correctionnel, parallèlement à la saisine de la CJR pour le cas des ministres visés.

Conduites par le magistrat et la brigade financière à la suite d'une plainte avec constitution de partie civile de la Coordination rurale, organisation concurrente de la FNSEA, les investigations ont mis en lumière l'existence d'un système institutionnalisé: le produit d'une taxe parafiscale sur les ventes de céréales – la Fasc (Financement des actions du secteur céréalier) – était versé sur les comptes de deux fonds de solidarité gérés par Unigrains puis transféré en partie, sous diverses formes, au bénéfice de la FNSEA (Le Monde du 13 février 2004).

TAXE CÉRÉALIÈRE

Au total, les enquêteurs contestent l'utilisation de 16 millions d'euros (105 millions de francs), dont 2,9 millions auraient servi à acquitter, de 1991 à 1999, les cotisations d'associations affiliées au syndicat, et 1,5 million au paiement des salaires de ses permanents, via des subventions versées par Unigrains à la CNE sous couvert d'"études sur le secteur de l'élevage". Une partie des sommes aurait en outre été consacrée à l'établissement du bureau de la FNSEA à Bruxelles ainsi qu'aux célébrations du cinquantenaire du syndicat, en 1996.

Dans un rapport daté du 7 janvier 1999, la Cour des comptes avait stigmatisé ces pratiques, estimant que la dérivation des sommes issues de la taxe céréalière au profit de la CNE et de la FNSEA constituait "un véritable détournement des procédures de décision" telles qu'elles avaient été fixées par une convention signée entre l'Etat et les céréaliers en 1983. A cet égard, la juridiction financière déplorait "l'inertie des ministères de tutelle" (l'agriculture et les finances), constatant qu'"en dépit de son irrégularité manifeste, la subvention annuelle à la CNE destinée à verser sa cotisation à la FNSEA a même fait l'objet d'une approbation écrite des ministres". En réalité, les perquisitions effectuées par le juge et les policiers dans les ministères semblent avoir permis la découverte de courriers attestant l'accord des ministres successifs, sans toutefois que ces pièces comportent leur signature. A une cruelle exception près: M. Glavany qui, ministre du gouvernement de Lionel Jospin – et actuel député (PS) des Hautes-Pyrénées –, prit acte des critiques de la Cour des comptes et décida, en mars 1999, de mettre un terme au système contesté, mais autorisa par écrit que les subventions versées par Unigrains soient "pour la dernière fois et à titre exceptionnel accordées".

Cet ultime répit, consenti sur l'insistance des dirigeants de la FNSEA, proches de l'actuelle majorité – soit l'opposition de l'époque –, piège l'ancien ministre, puisque sa signature seule permit, cette année-là, le déblocage des fonds au profit du syndicat. Il atteste aussi, de fait, la connaissance qu'avait de ces pratiques le ministère de l'agriculture – ce qui fut confirmé peu ou prou par la plupart des hauts fonctionnaires interrogés durant l'enquête.
"JE ME SENTAIS COUVERT"

Seul l'ancien directeur du cabinet de Louis Mermaz, ministre (PS) de l'agriculture de 1990 à 1992, a contesté avoir été informé de la destination réelle des subventions d'Unigrains. "Les contacts entre le ministère et la FNSEA étaient à l'époque extrêmement tendus, a-t-il déclaré au juge. Je ne conçois pas que nous ayons avalisé de telles opérations."

A l'inverse, M. Daul a assuré que les sommes qui transitaient par la CNE "servaient à payer les cotisations de certaines associations à la FNSEA", ajoutant: "Cela se faisait avec l'accord des ministères de l'agriculture et des finances." Président de l'un des fonds gérés par Unigrains, Eugène Schaeffer, ancien vice-président de la FNSEA, a certifié, lui, avoir agi "sous la tutelle des fonctionnaires des ministères", précisant: "S'ils étaient d'accord pour les financements accordés (...), je me sentais couvert par un tel aval de la tutelle politique."

Hervé Gattegno
Article paru dans l'édition du 08.04.05


Le Monde / Entreprises
Les ex-patrons de Morgan Stanley reviennent à la charge contre l'actuel PDG
New York correspondance

 H uit anciens dirigeants de la banque américaine Morgan Stanley souhaitent voir Robert Scott, un ex-président, remplacer l'actuel PDG Philip Purcell, ont-ils annoncé dans un communiqué mardi 5 avril.

La veille, espérant faire oublier le récent renvoi de deux de ses lieutenants, qui avait mis le feu aux poudres, M. Purcell a fait une annonce surprise, en promettant de se séparer de Discover, sa branche cartes de crédit. Mais les révoltés ne semblent pas près de se calmer. Morgan Stanley, résultat de la fusion en 1997 des activités bancaires de Morgan Stanley et de l'expert en cartes de crédit Dean Witter, n'a semble-t-il jamais vraiment digéré le mariage.

"Depuis cinq ans, observe Richard Bove, analyste de la banque d'investissement Punk Ziegel, les autres grandes institutions financières new-yorkaises ont fait croître leurs bénéfices. Mais, chez Morgan Stanley, les bénéfices ont baissé et le chiffre d'affaires aussi." L'action Morgan Stanley, qui, il y a trois ans, planait aux alentours de 110 dollars, s'échange aujourd'hui à 56,60 dollars. Et les fameux "huit" qui possèdent ensemble 11 millions de titres ont vu la valeur de leurs actions perdre 100 millions de dollars.

SE SÉPARER DE DISCOVER

Morgan Stanley souffre de deux maux. Ses activités boursières avec les petits investisseurs sont à la traîne. Les concurrents de Merrill Lynch ou de Wachovia "approchent la clientèle en équipe, explique M. Bove. Ils viennent à deux ou trois visiter leur client et proposent tout un éventail de services financiers: actions, assurance-vie, prêts immobiliers, prêts automobiles..." Leurs homologues de Morgan Stanley travaillent seuls et ont un portefeuille d'offres moins large. Cette activité en pâtit.

De même, la carte de crédit Discover déçoit. En 2004, elle s'est vu reléguer à la septième place au palmarès réalisé par Nilson Report. Cet important émetteur de cartes de crédit, avec 50 millions de membres et 48 milliards de dollars de crédits sous gestion, voit sa part de marché aux Etats-Unis se cantonner à 6,5%, loin derrière JP Morgan Chase, premier avec 19%.

Donner son indépendance à cette division permettrait à M. Purcell de verser aux actionnaires un dividende exceptionnel. Il s'agit d'un tournant à 180 degrés de la stratégie poursuivie jusque-là, la direction ayant toujours refusé de se séparer de la division.

Pour l'instant, M. Purcell conserve la confiance de son conseil d'administration. Onze de ses membres sont des fidèles. Il y a même, parmi eux, Edward Brennan, l'ancien PDG des grands magasins Sears, à qui appartenait Discover. Mais si Morgan Stanley n'améliore pas ses performances, les administrateurs finiront par entendre la gronde.

Caroline Talbot
Article paru dans l'édition du 08.04.05


Le Monde / Entreprises
Finance
L'OPA d'Axa Private Equity sur Camaïeu pourrait se solder par un échec

 D ifficile pour un fonds d'investissement de faire sortir une entreprise de la Bourse. Surtout quand les fonds spéculatifs (hedge funds, en anglais) s'en mêlent.

L'exemple de la société Camaïeu est particulièrement illustratif. L'offre publique d'achat (OPA) qu'Axa Private Equity (Axa PE) a lancée, via la financière Addax, sur les 54% du capital de l'enseigne de prêt-à-porter féminin encore cotés devrait être un échec. Ouverte le 23 février, l'opération s'est terminée le 31 mars. Les résultats définitifs seront communiqués par l'Autorité des marchés financiers (AMF) au plus tard le 13 avril. Mais, déjà, Dominique Gaillard, membre du directoire d'Axa PE, regrette: "Cela m'étonnerait que le résultat de l'opération soit un succès."

De fait, le titre Camaïeu ayant côtoyé les 90 euros pendant toute la durée de l'offre, soit 5 euros de plus que ce que proposait le fonds (85 euros), peu d'investisseurs auraient accepté de vendre leurs titres au fonds. Par ailleurs, le 4 avril, Sandell Asset Management, un fonds spéculatif américain, a déclaré à l'AMF détenir 10,43% du capital de Camaïeu (8,45% des droits de vote), et avoir l'intention de poursuivre ses acquisitions dans les mois à venir.

Coup dur pour Axa PE: dans ces conditions, le fonds ne pourra pas retirer Camaïeu de la cote. En droit boursier français, il faut en effet pour cela détenir 97% des droits de vote de la société visée. Il sera donc obligé de composer avec des actionnaires minoritaires, alors que son intention première était d'avoir la haute main sur Camaïeu, l'une des perles du second marché parisien.

L'enseigne française, concurrente des Pimkie, Etam et autres H & M, a de quoi faire saliver. Sa marge opérationnelle a crû jusqu'en 2003. La chaîne d'habillement continuait d'afficher en 2004, malgré les difficultés du secteur, une marge nette de 10,4%, pour un chiffre d'affaires en hausse de 8,2%, à 393,3 millions d'euros.

En janvier, Axa PE a d'abord acquis 39,8% du capital et 55,1% des droits de vote de l'enseigne, au prix de 85 euros l'action. Une opération de LBO (rachat avec de l'endettement) classique, dans le cadre du désengagement des actionnaires historiques, les familles Torck et Giraud-Verspieren. Le fonds affiche un objectif: étendre le réseau des magasins Camaïeu à l'étranger. La revente, dans quelques années, de l'entreprise à un industriel, à un autre fonds ou sa réintroduction en Bourse, lui permettrait alors de réaliser sa plus-value.

OFFRE TROP MODESTE

L'échec probable de l'OPA aura une autre conséquence désagréable pour Axa PE: l'impossibilité de profiter de l'"intégration fiscale". S'il ne détient pas 97% du capital de Camaïeu, le fonds ne pourra, en effet, pas déduire les intérêts de la dette d'acquisition de l'assiette fiscale du groupe formé par Camaïeu et la société holding créée pour racheter l'enseigne.

"Les "hedge funds" qui se sont invités au capital de Camaïeu pendant l'OPA spéculaient sur une surenchère d'Axa Private Equity, sachant l'intérêt du fonds à sortir l'entreprise de la cote", selon Sébastien Faijean, directeur associé du cabinet d'analyse financière IDMidCaps. Si telle était leur stratégie, les fonds spéculatifs ne sont pas parvenus à leur fin: Axa PE a choisi de ne pas relever son offre, comme il en avait pourtant le droit, jusqu'à cinq jours de négociation avant la fin de l'OPA.

François Badelon, gérant du fonds Sextant PEA, a une autre analyse: "Les "hedge funds" investissent en se disant: si Axa, qui a dû très bien analyser le dossier, l'a fait, c'est que cela en vaut la peine."

Le prix de 85 euros par action Camaïeu a été jugé recevable par l'AMF, et affiche une prime d'environ 15% par rapport au cours moyen des trois mois précédant l'OPA. Des gestionnaires de fonds de placement collectif ont pourtant trouvé l'offre trop modeste.

De fait, ces gestionnaires entretiennent en ce moment des rapports compliqués avec les spécialistes des LBO, qui font depuis quelque temps leur marché sur la Bourse. "Ils ne sont pas contents. Ils ont sans doute le sentiment d'être privés d'une belle histoire boursière. Par ailleurs, en cas d'apport de titres à l'OPA, ils vont disposer de liquidités qu'ils vont devoir réinvestir, ce qui n'est pas forcément évident dans le marché actuel", explique Delphine Maillet, analyste chez Portzamparc.

Cécile Ducourtieux
Article paru dans l'édition du 08.04.05


Le Monde / International
POLITIQUE
L'Irak, en guerre, se dote d'un premier exécutif élu

 L' élection, mercredi 6 avril, du représentant d'une ethnie minoritaire – en l'occurrence, le Kurde Jalal Talabani – à la présidence de la République, constitue une "première" en Irak et un événement inédit dans la région. Après la nomination d'un autre Kurde, Hoshyar Zebari, à la tête du ministère des affaires étrangères dans le gouvernement sortant, l'accession de M. Talabani à la présidence devrait, en effet, contribuer à ancrer la minorité kurde, qui représente quelque 20% des 26 millions d'Irakiens, dans le tissu national, et à écarter le spectre de velléités sécessionnistes que la répression du régime déchu de Saddam Hussein et de ceux qui l'ont précédé avait contribué à entretenir.

Saddam Hussein a pu voir l'élection en vidéo
Saddam Hussein a assisté, mercredi 6 avril, à la projection d'un enregistrement vidéo montrant l'élection de son successeur à la présidence de l'Irak et a été choqué par ce qu'il a vu, a déclaré le ministre irakien des droits de l'homme, Bakhtiar Amine. "Il était nettement irrité. Il a pris conscience que tout était terminé, qu'un processus démocratique avait été mené à bien et qu'il y avait un nouveau président élu", a dit le ministre. "Ce n'était pas seulement parce qu'il y avait un nouveau président, mais parce que ce président était un Kurde. Et le président par intérim est devenu vice-président. Qui plus est, tout cela s'est fait sans effusion de sang", a-t-il ajouté. L'enregistrement vidéo de l'élection présidentielle projeté à l'ancien dictateur a ensuite été montré à onze autres caciques de l'ancien régime qui, comme Saddam Hussein, n'avaient pas été autorisés à regarder la télévision depuis leur capture. – (Reuters.

Pour les pays voisins de l'Irak, cette intégration est à double tranchant: rassurante pour l'unité du territoire irakien, à laquelle tous les Etats riverains se disent attachés, elle n'en est pas moins inquiétante, parce que lourde de promesses pour les droits souvent bafoués de leurs propres minorités, qu'elles soient ethniques ou religieuses.

M. Talabani et ses deux vice-présidents, le sunnite Ghazi Al-Yaouar et le chiite Adel Abdel Mahdi (qui est aussi citoyen français depuis ses années d'exil), ont obtenu les suffrages de 228 des 275 députés membres de l'Assemblée nationale intérimaire. Deux cent cinquante-sept députés étaient présents lors du vote. La "troïka" de ce conseil présidentiel devait prêter serment jeudi. Le vote tenait de la simple formalité, dans la mesure où le choix de cette "troïka" avait fait l'objet d'un accord préalable.

La même procédure a d'ores et déjà permis la nomination du futur chef du gouvernement, qui a été officiellement désigné jeudi, après la prestation de serment. Il s'agit du chiite Ibrahim Al-Jaafari, qui dirige le parti islamiste Al-Daawa. Après la formation du gouvernement, la priorité des nouvelles institutions devra être l'élaboration d'une Constitution définitive avant la date limite du 15 août.

Dès son élection, M. Talabani a promis de mériter la confiance des élus, de s'employer à instaurer la démocratie et à "déraciner la corruption, le racisme et le terrorisme". Il a établi une distinction entre les Irakiens "qui ont porté les armes pour des raisons patriotiques, contre la présence de forces étrangères", qui "sont nos frères, avec lesquels il est possible de dialoguer et de parvenir à une solution" et les "criminels" alliés du réseau terroriste Al-Qaida.

FÉLICITATIONS TURQUES

M. Talabani s'est également engagé à rétablir la sécurité, de sorte que les forces de la coalition conduite par les Américains "puissent rentrer dans leurs pays après avoir fini de mettre sur pied des forces armées - irakiennes - capables d'éradiquer le terrorisme".

Il a prôné des "relations équilibrées" avec les pays voisins, qu'il a invités à traiter l'Irak "avec respect", à "ne pas s'immiscer dans ses affaires intérieures" et à "ne pas aider les terroristes qui mènent une guerre d'extermination contre le peuple irakien".

La Turquie a rapidement réagi, pour s'en féliciter, à l'accession de M. Talabani à la présidence irakienne. Ankara, qui a toujours suspecté les Kurdes irakiens de velléités séparatistes, en particulier depuis l'instauration, en 1992, d'une zone autonome kurde dans le nord de l'Irak, quasi indépendante du pouvoir central, redoutait les incidences probables d'un séparatisme sur sa propre minorité kurde. "M. Talabani est un homme politique chevronné qui accorde de l'importance à l'unité de l'Irak", a déclaré, mercredi, le chef de la diplomatie turque, Abdullah Gül.

La Ligue arabe, le Conseil de coopération du Golfe, le Qatar et les Emirats arabes unis ont officiellement exprimé leur satisfaction.

Mouna Naïm
Article paru dans l'édition du 08.04.05


Le Monde / International
Djibouti: une élection présidentielle gagnée d'avance

 L es Djiboutiens ont voté vendredi 8 avril pour élire leur président. Un scrutin très particulier, car le chef de l'Etat sortant, Ismaël Omar Guelleh, est le seul candidat et est assuré de l'emporter, l'opposition ayant appelé au boycott du scrutin.

Aucun quorum de participation n'est requis. L'élection de M. Guelleh pour un second mandat présidentiel de six ans est donc acquise. Les premiers résultats sont attendus dans la nuit de vendredi à samedi.

M. Guelleh, 57 ans, est au pouvoir depuis 1999 à Djibouti, ancienne colonie française de quelque 600 000 habitants, située dans la Corne de l'Afrique et qui accueille des bases militaires française et américaine. C'est la première fois depuis l'introduction du multipartisme à Djibouti en 1992 qu'un seul candidat se présente à l'élection présidentielle.

L'opposition, qui manque cruellement de leader charismatique depuis la mort en 2004 de l'ancien premier ministre Ahmed Dini Ahmed, a décidé de boycotter le scrutin, affirmant que l'élection serait truquée. Interrogé sur ce point, le chef de l'Etat, qui a voté à Djibouti-Ville, a répondu: "Ils (les membres de l'opposition) ont eu peur de s'engager dans la bataille. La prochaine fois, ils seront mieux organisés."

SEULE INCONNUE: LE TAUX DE PARTICIPATION

Entre 300 et 500 partisans de l'opposition se sont réunis vendredi matin dans la capitale, avant d'être dispersés par la police à l'aide de gaz lacrymogène, a constaté un journaliste de l'AFP. Une centaine de personnes ont été interpellées et plusieurs opposants blessés, selon le leader de l'opposition, Ismaël Guedi Hared.

"La campagne électorale a pris fin mercredi soir à minuit, les attroupements ne sont pas permis", a expliqué le ministre de l'intérieur, Abdoulkader Doualeh Wais. "Le gouvernement a perdu le contrôle et a tiré sur ces gens car il est en perte de vitesse électorale", a estimé M. Guedi.

La seule inconnue du scrutin, qualifié de "mascarade" par l'opposition, réside dans le taux de participation et dans celui de bulletins nuls et blancs. Cependant, seuls des bulletins verts au nom de M. Guelleh étaient disponibles vendredi. "Pour exprimer leur mécontentement, les électeurs peuvent laisser l'enveloppe vide", a estimé un président de bureau de vote, Abdallah Mohamed Hersi.

A la mi-journée, le taux de participation moyen était de 39%, selon le ministère de l'intérieur. De son côté, M. Guedi a affirmé, à une heure de la fermeture des bureaux de vote, que le boycott était "très bien suivi, par environ 80% des électeurs".

UN MATCH AVEC UNE SEULE ÉQUIPE

L'Etat a affrété des bus pour amener les électeurs dans des bureaux de vote et avait prévu de livrer de la nourriture aux électeurs, a constaté l'AFP. "Le président œuvre pour la paix", a estimé Amina Omar Ibrahim, une Djiboutienne de 70 ans.

Lors du premier mandat de M. Guelleh, en 2001, des accords de paix ont été signés, mettant fin à la guerre civile. "Je trouve que c'est normal qu'il y ait un seul candidat car il est le seul à avoir un programme", a estimé Kaissali, un étudiant de 18 ans.

"Pourquoi je me déplacerais pour voter ? C'est comme un match de foot à une seule équipe. Ça n'a pas de sens", a estimé pour sa part un chauffeur de taxi. "Mais l'opposition, je ne leur fais pas confiance. Elle travaillait avec [Hassan] Gouled [Aptidon]", le précédent président, dont M. Guelleh était le chef de cabinet, a-t-il fait remarquer.

L'ouverture des bureaux de vote, qui avait été retardée d'environ 45 minutes le matin, a été prolongée d'une heure, jusqu'à 19 heures (18 heures à Paris), a indiqué la Commission électorale nationale indépendante. Cependant, le message ne semblait pas être passé partout, puisque certains ont fermé dès 18 heures à Djibouti, a constaté l'AFP.

Selon un observateur occidental, sur des listes électorales figurent plus d'électeurs que de foyers répertoriés dans la circonscription, une source possible, selon lui, de trucage.

Avec AFP
LEMONDE.FR | 08.04.05


Le Monde / International
Skopje s'en tient à sa solution sur le nom de la Macédoine

 L e premier ministre macédonien, Vlado Buckovski, a déclaré, vendredi 8 avril, que Skopje maintenait sa proposition pour régler la querelle qui l'oppose à Athènes sur le nom de l'Ancienne république yougoslave de Macédoine (ARYM), la considérant comme un meilleur compromis que celui présenté auparavant par l'ONU.

"Notre position est claire, la double formule est sur la table et nous la considérons comme un bien meilleur compromis" que celui proposé par l'ONU, a déclaré M. Buckovski à la presse. "Nous nous attendons à ce que les négociations [à ce sujet] se poursuivent lundi à New York", a-t-il ajouté, se refusant à tout autre commentaire.

La double formule proposée par Skopje consisterait à faire utiliser le nom de "République de Macédoine" par tous les pays et organisations à l'exception de la Grèce, avec laquelle un nom convenant aux deux parties impliquées dans cette dispute longue de plus d'une décennie serait précisé lors de pourparlers bilatéraux.

"REPUBLIKA MAKEDONIA-SKOPJE"

L'ONU a proposé de donner le nom international officiel de "Republika Makedonia-Skopje" à l'ARYM, a annoncé vendredi le ministre des affaires étrangères grec, Pétros Molyviatis.

Cette proposition a été faite par Matthew Nimetz, le représentant spécial du secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, sur l'affaire macédonienne, dans le cadre de négociations engagées depuis 1993 sous l'égide de l'ONU et relancées en décembre 2004.

Selon M. Molyviatis, cette solution "ne satisfait pas entièrement la Grèce, mais constitue une base de négociations auxquelles la Grèce est prête à participer dans un esprit positif et constructif".

Bloquant depuis 1991 la reconnaissance internationale de la Macédoine sous ce nom, la Grèce déniait à sa petite voisine du Nord le droit de porter le nom de "Macédoine ou l'un de ses dérivés", car elle estimait que ce terme appartenait exclusivement à son patrimoine national.

En novembre 2004, Washington avait reconnu l'ARYM sous le nom de République de Macédoine, infligeant un camouflet diplomatique à la Grèce. Athènes a alors menacé de bloquer l'entrée de la Macédoine dans l'UE et l'Alliance atlantique si une solution de compromis n'était pas trouvée.

Avec AFP
LEMONDE.FR | 08.04.05


Le Monde / Société
Une institutrice en larmes: "Je suis passée à côté de quelque chose"
Angers de notre envoyé spécial

 J osèphe Tibault a étouffé un sanglot. "Qu'est-ce qui provoque cette émotion, madame ?", a doucement demandé le président de la cour d'assises de Maine-et-Loire. "C'est me rendre compte que je suis passée à côté de quelque chose." Effectivement. L'enseignante a eu la petite Marine V., en septembre 2000, dans sa classe de maternelle. Elle la trouvait "timide, effacée, secrète". Et tellement fatiguée. Elle a convoqué les parents, qui lui ont expliqué que c'était parce que la petite avait la télévision dans sa chambre. La fillette a en fait été abusée par 45 personnes, entre 1999 et 2002. L'institutrice n'est pas la seule à n'avoir rien vu. Elle est la seule à en pleurer, mercredi 6 avril, au procès d'un réseau de pédophilie, à Angers.

En novembre 1999, une précédente école avait prévenu Karine Hamy, l'assistante sociale de secteur, que Marine faisait des siestes "à caractère masturbatoire". Le 30 novembre, la petite raconte qu'il y a "un monsieur avec une cagoule qui fait des guilis". "C'est sans doute ton papa", propose la dame de service. La petite ne répond pas, et ajoute: "Ma maman est morte."

En octobre 2000, une lettre anonyme assure que Franck V. frappe ses enfants. Nouveau signalement, suivi d'un autre, en mars 2001, lorsque l'école découvre Marine et, couché sur elle, un petit copain qui explique: "C'est comme ça qu'on fait chez Marine." La petite précise que "maman rit et prend des photos". En juin 2001, les services sociaux découvrent que la mère, Patricia V., frappe son petit dernier dans la salle d'attente. Les enfants sont placés en juillet 2001. Mais seulement parce que Franck V. a avoué qu'il cognait Marine et qu'il avait abusé de sa jeune cousine.

C'était pourtant une famille surveillée comme le lait sur le feu par six intervenants sociaux, de la psychologue au médecin de la protection maternelle et infantile. L'assistante sociale, "par respect pour la famille", prévenait toujours de ses visites. "Vous avez le sentiment d'avoir été instrumentalisée par les V. ?", demande le président. "Aujourd'hui, on peut le dire, convient-elle. Ils ont mis tout en oeuvre pour donner le change."

Martine Burel, puéricultrice au conseil général, avait bien isolé "les carences importantes" et les retards des petits V. Elle était plutôt favorable à un placement dès 1999. "Mais, affirme-t-elle, notre hiérarchie nous a dit, il vaudrait mieux une IOE (investigation et orientation éducative, une mesure d'enquête) avant un placement en urgence, toujours douloureux." Moins que les viols, pourtant...

"Les responsables, ce ne sont pas les services sociaux ou la justice, comme on essaie de nous le faire croire, s'énerve Ivan Auriel, l'avocat général. Ce sont ceux qui ont commis les faits." Marie-Françoise Berthelot, éducatrice spécialisée, admet qu'elle a été trompée par les V. "Vous avez dix-neuf ans d'expérience, résume crûment Me Patrick Descamps, l'un des avocats de la défense, vous êtes assistée d'une psychologue, vous êtes face à des gens qui ont un quotient intellectuel de 70 et vous êtes manipulée ?" "On peut avoir un QI de 70 et être futé", répond faiblement Mme Berthelot.

Marie Guilmin, psychologue du conseil général, a entendu, durant des heures Nathalie V., la tante de Franck, parler de suspicions d'abus sexuels sur sa fille Armelle. La maman a porté plainte dès décembre 1999 et multiplié les démarches. Elle était en guerre ouverte contre son ex-époux et avait elle-même été abusée par son frère. "Il y avait un parallèle entre Nathalie V. et sa fille qu'elle mettait toujours en avant, s'est excusée la psychologue, jeudi 7 avril. Elle disait: "Armelle, c'est une autre Nathalie." On pensait que c'était une part de projection." Franck Johannès
Article paru dans l'édition du 09.04.05


Le Monde / Société
Le réquisitoire d'un couple de restaurateurs contre la justice

 L e plus remarquable, c'est qu'aucune aigreur ne l'habite. Jacques Esnault, 60 ans, emporté depuis 1989 dans un combat judiciaire qu'il n'avait pas souhaité, pourrait vivre plein de haine. A la suite d'une décision de justice erronée, quarante-trois procès civils ont conduit à la ruine cet ancien restaurateur et sa femme Nelly. Son livre contient certes de l'indignation. Mais, selon son auteur, "il n'est pas un règlement de comptes", plutôt "un message d'espérance pour tous les mutilés des tribunaux".

Pour le couple, tout a basculé le 6 novembre 1986, avec une décision de la cour d'appel de Rennes. Les époux avaient assigné leurs propriétaires pour les contraindre à engager des travaux nécessaires à la remise aux normes de leur hôtel-restaurant de Fougères (Ille-et-Vilaine). La cour les a déboutés et a déclaré, en dépit de la réalité qu'attestent des documents et photos de l'époque, que l'immeuble était en "ruine". L'arrêt n'a pas été contesté devant la Cour de cassation. Il a transformé un banal conflit locatif en cauchemar. Le couple, malade et exténué, perdra progressivement son outil de travail et sera expulsé.

Cette vie d'enfer, M. Esnault l'a écrite comme un roman, mais avec "un besoin de vérité". Il fallait que tous sachent: "Quand on est commerçant, les gens voient la vitrine, pas ce qu'il y a derrière. Pendant toutes ces années, nous avons dû faire bonne mine quand nous étions au bord des larmes."

Le parcours du combattant des époux Esnault avait relancé le débat sur la responsabilité des magistrats (Le Monde du 19 janvier 2000). Quand ils ont obtenu du tribunal, en novembre 2000, la reconnaissance d'une faute lourde de l'Etat et le versement d'une indemnité de 1,2 million de francs, le couple rennais a de nouveau fait la "une" des médias. Pour obtenir cette réparation, ils ont dû explorer tous les méandres de l'institution, des salles d'audiences jusqu'aux cabinets des gardes des sceaux, Jacques Toubon, puis Elisabeth Guigou.

"ARRÊT PLUS OU MOINS BÂCLÉ"

Car, rappelle M. Esnault, la chancellerie n'a jamais accepté de reconnaître son dysfonctionnement. L'affaire, pourtant, a donné lieu à un événement rarissime: un magistrat a confessé, par écrit, s'être trompé. Alain Le Caignec, aujourd'hui à la retraite, présidait la chambre qui, en 1986, a débouté le couple. Le livre rend pourtant hommage à "l'exceptionnel comportement" de cet homme, "seul magistrat de France qui ait osé reconnaître par écrit qu'il s'était trompé en pointant clairement la responsabilité de l'institution judiciaire en ce qu'elle ne donne pas à ses juges les moyens nécessaires pour assumer convenablement et sereinement leur fonction".

M. Le Caignec a confié en 1995, dans une lettre: "Le réexamen des pièces du dossier m'a laissé, et cet aveu me coûte, outre qu'il est tout à fait inusité pour un magistrat, une impression désagréable d'arrêt plus ou moins bâclé." En 1997, dans un autre courrier aux Esnault, le magistrat ajoutait: "Je garde un tenace remords de n'avoir pu mieux faire, malgré les durs reproches qui m'ont été adressés pour cela." Son initiative a sauvé le couple Esnault d'une noyade définitive. Mais elle a stoppé net la carrière de M. Le Caignec et provoqué une réaction de forteresse assiégée de l'institution.

Ni Jacques Toubon ni Elisabeth Guigou n'ont accepté de transiger à l'amiable. Malgré plusieurs engagements oraux, la chancellerie a tenté par de nombreux moyens de différer la reconnaissance de sa faute.

Une inspection générale a été dépêchée à la cour d'appel de Rennes. M. Esnault, grâce à sa ténacité, a obtenu son rapport: "Ce qui ressort essentiellement, ce sont les efforts déployés par les inspecteurs pour isoler la responsabilité de M. Le Caignec tout en cherchant à déresponsabiliser l'administration judiciaire", écrit-il. L'inspection concluait que les juges avaient effectué un travail de qualité.

Les époux Esnault ont chiffré leur préjudice à 915 000 euros. La justice leur a finalement accordé en 2002, en appel, une somme de 365 900 euros. Ils ne l'acceptent toujours pas: "Ce jugement occulte la responsabilité de l'institution judiciaire", affirme M. Esnault. Il n'a jamais réussi à retrouver du travail et va toucher sa première retraite, 274 euros mensuels. Son épouse est en invalidité depuis sept ans. "Il ne faut jamais abandonner. Arrive un temps où les dieux vous sourient", pense-t-elle, en affirmant vouloir continuer à se battre.


La justice bâclée de Jacques Esnault
Ed. Apogée, 304p., 19 €

Nathalie Guibert
Article paru dans l'édition du 09.04.05


Le Monde / Société
"Il y a eu des pains dans la tronche, c'est pas des méthodes"

 N om de code de l'opération: "Mobylette perdue". La journée d'occupation des lycées, jeudi 7 avril, avait été bien préparée à Paris. "On s'est passé des petits papiers. Après, on les a mangés. C'est comme ça que les RG n'ont pas su ce qu'on allait faire", explique Sarah, persuadée, comme bon nombre de lycéens, que les téléphones portables sont "sur écoute".

Le soir, l'équipée se termine devant la Sorbonne. Quelques centaines de lycéens, sont là, choqués, face à un impressionnant contingent de CRS. "Il y a eu des lycéens cassés. Il y a eu des pains dans la tronche, c'est pas des méthodes", dit Benoît. L'occupation du rectorat, dont les vitres du rez-de-chaussée ont été brisées, a viré au cauchemar. "Beaucoup sont sortis en pleurs. Il y a eu un bras cassé. Une fille s'est fait traiter de sale petite pucelle par un garde mobile", raconte Claire. "Tout le monde hurlait, c'était horrible", témoigne une autre lycéenne.

Cela fait des semaines qu'ils tournent ensemble, ces jeunes de Sophie-Germain, Simone-Weil, Arago, Claude-Bernard, Claude-Monet et d'autres, d'assemblées générales en occupations d'établissement. La plupart sont en première ou en terminale. Jeudi soir, ils oscillent entre révolte et écoeurement. "On voulait s'asseoir pacifiquement devant le ministère de l'éducation nationale, mais les CRS nous ont encerclés et nous ont tapés", témoignent Alexis, Christophe et Carine. Benoît s'indigne: "Il y en a un qui a sorti sa matraque et qui a soufflé dessus, lentement, pour nous montrer qu'il la chauffait. C'est pas de la provocation, ça ?"

Le rendez-vous était à Barbès, à 10 heures. Au programme: le ministère, le rectorat et quelques "intrusions" dans des établissements, comme l'on dit à l'éducation nationale. La "tournée" comprenait Charlemagne, Buffon, Voltaire, Molière, Fénelon: pour la plupart des lycées réputés ou des beaux quartiers.

"ON DIRAIT TROP DES PLAYMOBIL"

A Fénelon, dans le 6e arrondissement, les entrées ont été filtrées toute la matinée. Puis, à l'heure de la cantine, le lycée a été envahi. Les rumeurs courent. "La CPE -conseillère principale d'éducation- s'est fait plaquer contre la porte, une infirmière a mordu un élève. La proviseure est partie en pleurant, c'est son mari qui est venu la chercher", racontent plusieurs élèves, mentionnant aussi l'arrivée des forces de l'ordre et deux arrestations.

"La violence, c'est un truc terrible. On était pacifiques. Mais quand on a vu l'attitude des CRS, la haine est montée et on a eu envie d'être violents aussi", explique Sarah, un peu chamboulée. Sa copine, Claire, rend hommage à ses professeurs de Claude-Monet: "Ils nous expliquent comment faire pour rester dans la légalité. Ils sont super-solidaires."

Les étudiants de la Sorbonne, eux, sont restés à la fenêtre. Les lycéens espéraient les faire descendre. Sans succès. "On ne sait pas s'ils s'en fichent ou s'ils n'ont pas pu descendre à cause des CRS", se demande Thomas, dépité. Peu à peu, les cars de CRS quittent la rue qui longe l'université. Les lycéens mi-bravaches, mi-potaches, les huent gentiment ou leur crient "salut, à demain !". L'un des policiers, à travers la vitre du car, fait le V de la victoire et sourit. Carine n'en revient pas: "Je les adore ces mecs. On dirait trop des Playmobil."

Béatrice Gurrey
Article paru dans l'édition du 09.04.05


Le Monde / Opinions
Ventre de Une
Siffloter "L'Internationale" peut coûter cher

 P endant sept secondes, dans son long métrage Insurrection résurrection, l'acteur et réalisateur Pierre Merejkowsky a siffloté L'Internationale. Comme ça, au débotté. Une improvisation. Une fantaisie qui pourrait coûter cher à son producteur, Les Films sauvages.

Jean-Christophe Soulageon, le directeur, a reçu une lettre sèche, en recommandé avec accusé de réception, de la Société pour l'administration du droit de reproduction mécanique des auteurs compositeurs et éditeurs (SDRM), qui gère les droits d'auteur sur les supports cinématographiques. "Au cours d'un contrôle dans les salles de cinéma, nos inspecteurs musicaux ont constaté que l'œuvre L'Internationale avait été reproduite dans le film" sans autorisation. La SDRM demande donc 1 000 euros pour avoir omis de déclarer ce sifflotement, qui constitue une exploitation illégale d'une musique éditée par la société Le Chant du monde. M. Soulageon ignorait qu'un sifflotement valait chanson. Pis, il ne savait pas non plus que L'Internationale, dont la musique a été écrite par Pierre Degeyter (1848-1932) et les paroles par Eugène Pottier (1816-1887), n'était pas dans le domaine public. Membre du Parti ouvrier français, Pierre Degeyter a composé en 1888 ce qui est devenu par la suite l'hymne du mouvement ouvrier mondial. Le compositeur meurt en 1932 à Saint-Denis, "un peu dans la misère", malgré une petite pension de l'ambassade de l'URSS, précise Hervé Desarbre, le directeur du Chant du monde.

Selon la loi sur la propriété intellectuelle, cette œuvre ne tombera dans le domaine public qu'en 2014, souligne Philippe Lemoine, responsable des autorisations audiovisuelles de la SDRM. Aux soixante-dix ans de protection post-mortem de l'artiste, s'ajoutent les années de guerre. Le producteur a tenté, en vain, de négocier, en proposant 150 euros au Chant du monde. La société d'édition musicale des "grands Russes" (Chostakovitch, Prokofiev...) aurait préféré une demande préalable. L'épisode est d'autant plus rude que Les Films sauvages ne se sont guère enrichis avec le film de Pierre Merejkowsky. Sorti le 10 novembre 2004 dans une seule salle d'art et d'essai parisienne, ce long métrage a réalisé 203 entrées.

Pourquoi Pierre Degeyter n'est-il pas mort riche ? Chaque fois que L'Internationale était chantée en public, il aurait dû toucher des droits. "L'Union soviétique violait la loi en ne redistribuant rien aux ayants droit", déplore M. Desarbre. A la SDRM, on va plus loin: dans les congrès ou les réunions politiques, les organisateurs devraient prévenir et verser des droits après avoir chanté cet hymne révolutionnaire. Alain Krivine (LCR) s'en amuse: "Je n'ai jamais donné un sou à la Sacem, d'ailleurs on décide toujours au dernier moment de chanter, ça s'est fait des milliers de fois."

Nicole Vulser
Article paru dans l'édition du 09.04.05


Le Monde / France
Jean-Marie Le Pen attaqué sur "l'âge" de ses idées par le vice-président du FN

 C omme deux compères qui viennent de faire une bonne farce, Jean-Marie Le Pen et Jean-Claude Martinez, respectivement président et vice-président du Front national, rient en lisant des extraits du livre qu'ils présentent à la presse, jeudi 7 avril: une satire sur l'Union européenne et la Constitution, rédigée sous forme d'abécédaire par le vibrionnant député européen (J'apprends à lire la Constitution de A à Z, éd. Godefroy de Bouillon, 376 p., 33 euros). Le spectacle ne manque pas de piquant lorsque l'on sait qu'un autre ouvrage pourrait brouiller leur complicité de vingt ans. Son titre ? Lettre à mon président bien aimé.

Ecrit également par M. Martinez, il prend pour cible M. Le Pen. Son auteur en a livré la tonalité à plusieurs cadres du parti et les commentaires vont bon train au Paquebot, le siège du FN, à Saint-Cloud (Hauts-de-Seine). L'inspirateur de nombreux discours du président du FN exerce cette fois son esprit caustique pour dénoncer l'atmosphère de fin de règne qui prévaut dans le mouvement.

"C'est un livre affectueux sur la forme, mais un peu dur sur le fond", reconnaît M. Martinez en soulignant qu'il attend la fin du référendum sur la Constitution européenne pour sa publication. "Je dis à Jean-Marie Le Pen: votre problème ce n'est pas votre âge, c'est l'âge de vos idées. Je lui propose de faire une révolution culturelle et de mourir en habit de lumière. S'il ne change rien, il finira comme le général Boulanger", raconte-t-il.

M. Martinez déplore l'absence de débat au FN. "Tout ce qu'on entend c'est: "Lève-toi de là que je m'y mette", affirme-t-il. La contestation existe, il aimerait qu'elle soit organisée: "Ce n'est pas Marine Le Pen qui peut le faire, elle serait accusée de trahir les mânes de son père, et Bruno Gollnisch ne le fera pas." Quant à Jacques Bompard, le maire (FN) d'Orange (Vaucluse), qui ne cache pas qu'il souhaite que M. Le Pen passe la main, "il s'est engagé dans un débat de gériatrie".

"Ce que je propose à Jean-Marie Le Pen, c'est de prendre trente ans d'avance au lieu de revenir sans arrêt soixante ans en arrière comme il l'a fait récemment", explique le député européen, faisant référence aux propos du président du FN sur l'occupation allemande (Le Monde du 13 janvier).

"J'ATTENDS QU'IL M'EN PARLE"

"Cela fait cinquante ans qu'il combat, il est temps qu'il se demande pourquoi ? Que veut-on ? Quelle est la finalité de notre combat ? Quelle route prendre ? La planète a changé, qu'est-ce que c'est que la défense de la nation française aujourd'hui ?", demande-t-il. Electron libre, M. Martinez a des suggestions. "Si la France veut survivre, il faut qu'elle parle des grands problèmes de l'humanité. Cela ne sert à rien de bétonner le territoire", défend-il, proposant à M. Le Pen "d'accéder à l'universalité en abordant au niveau mondial les problèmes qui agitent la planète: l'eau potable, l'influence climatique, l'immigration... Même le concept européen est déjà dépassé".

Si peu de gens au Paquebot suivent la vision universaliste de M. Martinez, beaucoup partagent son analyse sur l'atonie du parti. Interrogé sur les critiques de son vice-président, M. Le Pen joue l'étonné: "J'attends qu'il m'en parle." "Sera-t-il entendu ?", s'interroge, sur un ton dubitatif, chargé de regret, un proche de M. Le Pen.

Christiane Chambeau
Article paru dans l'édition du 09.04.05


Le Monde / Europe
FOCUS
Une frénésie médiatique rarement égalée
Rome de notre correspondant

 A u petit matin, ils étaient déjà à leur poste. Sur la tribune provisoire érigée sur la place Saint-Pierre, les journalistes de télévision mettaient une dernière main à la présentation de la cérémonie des funérailles de Jean Paul II. Cravatés, maquillés, éblouis par les projecteurs, tournant le dos au parvis de la basilique, ils attendaient le premier "direct" de la journée. La plupart des télévisions qui ont retransmis la messe de funérailles en direct, vendredi 8 avril, proposaient, bien avant 10 heures, des émissions spéciales.

Les journalistes qui n'avaient pu trouver place sur ce poste avancé étaient au coude à coude sur un autre praticable, monté depuis plusieurs jours au bout de la via della Conciliazione, cette avenue rectiligne qui conduit du Tibre au Vatican. Les moins fortunés, installés sur un bout de trottoir, s'étaient juchés sur un escabeau dans l'espoir d'un cadrage plus avantageux. Même ceux qui, depuis des mois, voire des années, avaient loué à prix d'or des bureaux et des terrasses avec vue sur la coupole de Saint-Pierre, avaient préféré quitter leurs repaires pour être au plus près de l'événement: la messe la plus médiatisée de l'Histoire.

3 500 JOURNALISTES

Depuis les premières rumeurs de l'agonie du pape, le 31 mars, les camions régie, hérissés de paraboles, avaient pris position près du château Saint-Ange, formant une sorte de camp nomade planétaire, bourdonnant d'activité 24 heures sur 24. Les télévisions roumaine ou croate y côtoyaient l'armada des grands networks américains, mais aussi les équipes plus inattendues d'Al-Jazira et d'Al-Arabiya.

Au total, 3 500 journalistes ont été accrédités, et plusieurs centaines ont assisté à la cérémonie, debout comme les pèlerins, dans des enclos réservés de chaque côté de la place. Mais des milliers d'autres reporters ont sillonné Rome en tous sens pour couvrir un événement qui s'apparentait aux grandes manifestations sportives, improvisation en plus.

En Italie, toutes les chaînes, publiques et privées, ont retransmis les trois heures de cérémonie. Aux Etats-Unis, les réseaux ABC, CBS et NBC en ont fait autant, profitant des heures creuses de la nuit pour réaliser cette première. La frénésie médiatique mondiale autour du décès de Jean Paul II est à la mesure de la surexposition que lui-même a voulu pour l'Eglise catholique.

Un retour en arrière est-il possible ? Plusieurs prélats ont protesté, lors de la congrégation de mercredi, quand Mgr Josef Ratzinger, doyen du collège des cardinaux, a suggéré d'interdire tout entretien avec les médias avant l'ouverture du conclave.

Jean-Jacques Bozonnet
Article paru dans l'édition du 09.04.05


Le Monde / International
AUTOSUFFISANCE
La Chine n'a plus besoin de l'aide alimentaire étrangère

 L a Chine n'a plus faim. Le pays le plus peuplé du monde, qui a connu au début des années 1960 une famine dont le bilan est estimé à au moins 30 millions de victimes, n'a plus besoin d'aide alimentaire. Pour la dernière fois, un cargo a apporté, jeudi 7 avril à Shenzen, près de Hongkong, une livraison de blé expédié par le Programme alimentaire mondial (PAM). Les 43 000 tonnes de blé canadien transportées par le MV Blue Dream seront acheminées dans les régions les plus pauvres à l'ouest du pays (Gansu, Guangxi, Ningxia et Shanxi). Le gouvernement prendra ensuite le relais pour assister les 29 millions d'habitants très pauvres qui subsistent dans les zones rurales, selon la statistique officielle.

L'événement marque le succès de l'agriculture chinoise et de son économie. Alors que la Chine produisait de l'ordre de 90 millions de tonnes de céréales dans les années 1950, elle fournit aujourd'hui près de 400 millions de tonnes. Le pays, qui a atteint l'autosuffisance alimentaire en 1999, est devenu le premier producteur de céréales, devant les Etats-Unis, dont la production était de 298 millions de tonnes en 2002. Cette performance s'est réalisée alors que la population chinoise a atteint 1,3 milliard d'habitants.

Selon le PAM, "la Chine nourrit 20% de la population mondiale sur 7% des terres arables de la planète". Entre 1979 – date des premières interventions du PAM dans le pays – et 2005, près de 300 millions de personnes sont sorties de la pauvreté (220 millions selon le gouvernement, 400 selon la Banque mondiale, qui utilise une autre méthode de mesure).

Le pays change de statut: d'assisté, il devient donateur. Au moment du tsunami de décembre 2004, Pékin a donné 1 million de dollars au PAM pour aider les pays touchés par le raz de marée. "La Chine est encore un pays en développement, dit Qin Gang, un porte-parole du ministère des affaires étrangères, cité par le journal People's Daily Online. Mais elle est prête à se joindre au PAM pour contribuer à réduire la pauvreté dans le monde." L'expertise chinoise est aussi appréciée. "Nous négocions un accord avec le gouvernement afin qu'il nous fournisse des experts en cas de besoin. Il a une bonne expérience des situations de catastrophes naturelles", indique Gerald Bourke, porte-parole du PAM en Chine. En 1998, d'immenses inondations avaient frappé 35 millions de riverains du Yangtze.

IMPORTATIONS DE BLÉ

La Chine n'est cependant pas tout à fait sortie d'affaire. Dans le rapport 2004 sur la sécurité alimentaire dans le monde, la FAO (Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture) souligne que "la Chine a fait des pas de géant durant la première moitié de la décennie 1990, soustrayant presque 50 millions de personnes des rangs des sous-alimentés". Mais, "dans la deuxième moitié de la décennie, le rythme de cette réduction a ralenti, n'atteignant plus que 4 millions". Selon la FAO, la Chine compte encore 140 millions de sous-alimentés.

Par ailleurs, "la Chine a importé 8 millions de tonnes de blé en 2004 et en est devenue le premier importateur du monde", note Lester Brown, de l'Earth Policy Institute, à Washington. M. Brown juge que ces importations seront de plus en plus importantes: "L'agriculture chinoise est confrontée à deux problèmes majeurs: d'une part, la conversion très rapide de terres arables en surfaces urbanisées. D'autre part, la baisse des nappes phréatiques, qui réduit les ressources d'eau d'irrigation dans le Nord." Le risque écologique se substitue à celui de pénurie. Hervé Kempf
Article paru dans l'édition du 09.04.05


Le Monde / International
La trêve au Proche-Orient menacée par la mort de trois jeunes Palestiniens

 L a mort, samedi 9 avril, de trois Palestiniens, abattus par l'armée israélienne dans le sud de la bande de Gaza, peut-elle remettre en cause la trêve observée de facto par les groupes radicaux palestiniens depuis le 17 mars ? Le chef du Djihad islamique, Mohammed Al-Hindi a clairement envisagé cette option lors de la conférence de presse qu'il a donnée samedi: "Jusqu'à présent, les factions palestiniennes n'ont pas déclaré la fin de l'accalmie (...). Mais elles étudient à nouveau la question en raison de la poursuite de l'agression sioniste", a-t-il dit

Quelques instants plus tôt, Abou Abdallah, porte-parole du mouvement, avait déclaré que le Djihad n'était plus lié à la trêve décrétée avec Israël. "Les brigades de Jérusalem sont libres de tout engagement au calme après que les Israéliens eurent répandu le sang de jeunes Palestiniens", avait-il dit, poursuivant: "Cela signifie que nous ne sommes plus liés à la trêve."

Les circonstances de la mort des trois adolescents ne sont pas clairement établies. Des témoins rapportent que ces jeunes, âgés de 14 à 16 ans, jouaient au football près de la frontière israélienne, à proximité d'une base militaire du camp de réfugiés de Rafah, quand des soldats leur ont tiré dessus, tuant trois d'entre eux. Ils précisent que les victimes n'étaient pas armées.

LES GERMES D'UNE TROISIÈME INTIFADA

La version des militaires israéliens est très différentes: "Des soldats ont repéré cinq suspects qui rampaient vers la frontière. A un moment donné, ils se sont mis à courir en dépit de tirs de semonce." L'armée israélienne a déclaré qu'une enquête avait été ouverte.

Il s'agit du premier incident de ce type depuis le 17 mars. L'autorité palestinienne a dénoncé une grave "violation de la trêve par Israël" et exigé son respect. L'accalmie avait été rompue une première fois jeudi, côté palestinien, par un tir de roquette sur Israël, dans le désert de Néguev, qui n'avait pas fait de victime.Peu après la mort des trois Palestiniens, neuf tirs de mortier ont visé des colonies juives de la bande de Gaza sans faire de victime. Cette action a été revendiquée par le Hamas.

La tension est d'autant plus forte ce week-end que des nationalistes juifs menacent toujours de manifester, dimanche, sur l'esplanade des Mosquées, à Jérusalem, pour protester contre le plan de retrait de Gaza défendu par Sharon. "Si les sionistes défilent devant la mosquée d'Al-Aqsa, ils sèmeront les germes d'une troisième intifada", a déclaré samedi, à Gaza, Nizar Rayyan, un haut responsable du Hamas. Le même mot d'ordre a été repris par des milliers de manifestants palestiniens, qui ont défilé dans la bande de Gaza et à Ramallah, en Cisjordanie.

LE TROISIÈME LIEU SAINT DE L'ISLAM

A Alexandrie, une manifestation similaire a rassemblé 7 000 étudiants égyptiens. Le recteur de la mosquée d'Al-Azhar, considéré comme la plus haute autorité spirituelle de l'islam sunnite, s'est joint samedi à ses mises en garde. "Toute violation du caractère sacré de la mosquée d'Al-Aqsa mènera à une explosion de la région en raison de son statut aux yeux des musulmans", a déclaré l'imam Mohammed Sayyed Tantaoui, exhortant la communauté internationale à assumer ses responsabilités et à protéger l'esplanade, troisième lieu saint de l'islam après la Mecque et Médine.

Le 28 septembre 2000, la visite de l'esplanade par l'actuel premier ministre Ariel Sharon, alors chef de l'opposition, avait été ressentie comme une provocation par les Palestiniens. La répression sanglante par la police israélienne de manifestations de protestation palestiniennes au lendemain de cette visite avait marqué le déclenchement de la deuxième intifada.

Le président de l'Autorité palestinienne Mahmoud Abbas a assuré avoir obtenu des garanties israéliennes contre toute provocation. La police a déployé plusieurs milliers d'hommes dans la vieille ville de Jérusalem pour empêcher le groupuscule ultra nationaliste "Revava" (Myriade, en hébreu) de pénétrer sur l'esplanade et pour faire face à des contre-manifestations palestiniennes. Le ministre israélien de la sécurité intérieure, Gideon Ezra, a déclaré sur Radio-Israël qu'il craignait que les extrémistes juifs cherchent à provoquer des tensions pour "stopper le désengagement" de Gaza, dont la mise en oeuvre doit débuter en juillet.

AFP et Reuters
LEMONDE.FR | 09.04.05


Le Monde / International
Des milliers de Chinois manifestent contre le "révisionisme" japonais

 D es milliers de personnes ont manifesté samedi à Pékin contre ce qu'ils estiment être un "révisionisme" japonais minimisant les atrocités commises par ce pays lors de la colonisation d'une partie de l'Asie.

"A bas le Japon", "Boycottez les produits japonais" ou "Contre un siège permanent du Japon au Conseil de sécurité de l'ONU", criaient au moins cinq mille manifestants, selon la police, qui bloquaient le trafic non loin de l'Université de Pékin.

"C'est un rassemblement patriotique. Si vous êtes un patriote, alors vous devez vous opposer au Japon", lançait Zhang Daili, ingénieur récemment diplômé.

Les organisateurs ont assuré qu'une vingtaine de milliers de personnes, la plupart dans leur trentaine, voire plus jeunes, avaient répondu à l'appel lancé par l'internet ces derniers jours après un nouvel accès de fièvre dans les relations difficiles entre Tokyo et Pékin.

Ces tensions sont apparues après la publication, mardi par le Japon, de manuels scolaires dont Pékin estime qu'ils minimisent les crimes de guerre de l'Armée impériale nippone.

"Le Japon n'a pas le droit d'avoir un siège permanent au Conseil de sécurité de l'ONU", déclare un autre manifestant, Han Ming, ajoutant: "Ce serait une insulte au monde et aux Nations unies si un pays qui refuse de reconnaître son histoire se voyait offert un siège permanent", actuelle priorité de la diplomatie nippone.

"Le Japon a oublié l'histoire de son invasion brutale et a offensé la Chine", accuse Xu Lian, employé de société qui assure que les manifestations vont se poursuivre jusqu'au mois d'août et le soixantième anniversaire de la fin de la guerre avec le Japon.

La Chine est notamment scandalisée que les nouveaux manuels nippons n'emploient pas le mot "invasion" pour évoquer la colonisation nippone et qualifient de seul "incident" le massacre de Nankin, au cours duquel l'armée japonaise a tué 300.000 soldats et civils chinois en 1937.

La publication des livres avaient provoqué la convocation de l'ambassadeur du Japon à Pékin, ainsi que celle de son homologue en Corée du sud, également scandalisée par ces manuels.

Le Japon avait mis en garde vendredi ses ressortissants, leur conseillant d'éviter la manifestation anti-japonaise prévue samedi à Pékin.

Des protestataires s'en sont pris cette semaine à des magasins japonais présents en Chine, appelant à un boycotttage des prodtuis nippons.

Avec AFP
LEMONDE.FR | 09.04.05


Le Monde / Sciences
PLANTES
Le maïs appelle au secours des vers pour combattre un coléoptère ravageur

 Q uand mère Nature a omis de vous doter des moyens de fuir, il faut faire preuve d'imagination. Les végétaux en ont à revendre: on sait qu'en cas d'attaque par des arthropodes herbivores certaines plantes diffusent à travers leur feuillage des signaux chimiques pour attirer des prédateurs susceptibles de les débarrasser des assaillants. Il semble que le maïs ait lui aussi développé cette faculté, mais au niveau des racines.

Rongées par les larves du redoutable coléoptère Diabrotica virgifera virgifera, celles-ci émettent un sesquiterpène, (E)-béta-caryophyllène, qui a la faculté de guider à travers le sol des vers nématodes capables d'infester l'insecte ravageur. La démonstration en est apportée par une équipe germano-suisse, qui publie ses observations dans la revue Nature du 7 avril.

Les chercheurs ont constaté que certaines variétés de maïs cultivées en Amérique du Nord ont perdu cette stratégie de défense, présente dans l'ancêtre probable de cette céréale, la téosinte. L'infection par les nématodes était jusqu'à cinq fois plus élevée sur les plants de maïs émetteurs du sesquiterpène que sur les hybrides ayant perdu ce caractère.

La diffusion d'un analogue artificiel du composé chimique dans le sol diminuait de moitié l'émergence de coléoptères adultes. La sélection de variétés de maïs produisant des quantités précises d'(E)-béta-caryophyllène, suggèrent Ted Turlings (université de Neuchâtel) et ses collègues, "pourrait améliorer l'efficacité des nématodes comme agents de contrôle de pestes telles que Diabrotica".

NOUVEAU FOYER

Le coléoptère, récemment arrivé en Europe, menace en effet par sa voracité les cultures de maïs du continent. "En 2004, il a progressé dans les pays de l'Est, de 40 km dans toutes les directions", confirme Philippe Reynaud, responsable de la lutte contre Diabrotica au service de la protection des végétaux. Dans le nord-ouest de l'Italie, "la situation n'est pas sous contrôle".

En Alsace, où des captures avaient eu lieu en 2003, aucun individu n'a été signalé, de même qu'à Roissy, tandis qu'Orly ne livrait que deux insectes. En revanche, un nouveau foyer a été découvert à Pierrelaye (Val-d'Oise), où près de 200 adultes ont été piégés. "La lutte sera féroce en 2005", promet Philippe Reynaud. Il voit dans l'étude germano-suisse "une des rares pistes un peu concrètes en matière de lutte biologique contre Diabrotica".

Hervé Morin
Article paru dans l'édition du 09.04.05


Le Monde / Sciences
ASTRONOMIE
Des grains de poussière lunaire dévoilent la composition de l'oxygène du Soleil

 C' est une poussière noirâtre, qui a capturé le souffle du Soleil, et, sans doute, le souvenir des premiers instants de notre système solaire. La NASA en conserve des kilos ramenés de la Lune, principalement par la mission Apollo 17, en décembre 1972, bénédiction des historiens de l'espace parce qu'elle comptait en son sein le seul vrai géologue qui ait arpenté le sol de notre satellite. Sur cette surface, qui ne bénéficie ni de la protection d'une atmosphère ni de celle d'un champ magnétique, la poussière a été offerte, pendant des centaines de millions d'années, aux caresses du vent solaire, porteur des particules qui se sont échappées de l'atmosphère de notre étoile.
CRPG-CNRS/ MARC CHAUSSIDON
Vue au microscope électronique de grains métalliques lunaires. Les cratères démontrent leur exposition aux particules du vent solaire.

Les astronomes se sont toujours dit que cette poudre de Lune pourrait contenir des grains de Soleil, ou du moins des renseignements sur sa composition précise. En la chauffant, ils lui ont fait avouer la présence de certains gaz. Mais cette technique ne pouvait suffire à discerner les éléments moins volatils.

Il a donc fallu attendre plus de trente années après le retour du dernier des vaisseaux Apollo, pour que deux chercheurs, un Français et un Japonais, parviennent à lui arracher l'un de ses secrets les mieux gardés, et l'un des plus convoités par les astronomes: la nature exacte de l'oxygène contenu dans l'atmosphère du Soleil. Pour la trouver, il a été nécessaire de recourir à la technologie dernier cri, une sonde ionique de fabrication française.

Mais il fallait surtout savoir où chercher. "Les oxydes et les silicates qui composent majoritairement le sol lunaire ne pouvaient avoir gardé de traces assez nettes de cet oxygène solaire", explique Marc Chaussidon, du Centre de recherches pétrographiques et géochimiques (CRPG-CNRS) de Vandoeuvre-lès-Nancy (Meurthe-et-Moselle), coauteur avec Ko Hashizume, de l'université d'Osaka, du travail publié dans Nature du 31 mars. "Nous avons donc eu l'idée de nous tourner vers les grains de métal, qui se trouvent en petite quantité à la surface, soit parce que des météorites les ont déposés là, soit parce que de la lave y a cristallisé. Sur les catalogues de la NASA, nous avons sélectionné des échantillons de sol qui ont pu être exposés aux vents solaires durant plusieurs centaines de millions d'années, voire jusqu'à deux milliards d'années."

Du centre de Houston, qui tient à la disposition des laboratoires agréés un quart des quantités de minerais ramenés sur Terre, leur est parvenu à peine plus d'un dixième de gramme de poussière, issue de six lieux de prélèvements différents. Largement de quoi se livrer au plus microscopique et au plus minutieux des tamisages. "Nous avons d'abord extrait les grains métalliques de la poussière, tout bêtement, grâce à un aimant, raconte Marc Chaussidon. Sur les 200 obtenus, nous en avons sélectionné 38, qui présentaient des surfaces assez plates pour être exposées à la sonde ionique du CRPG. Huit d'entre eux ont révélé les traces d'un oxygène sans équivalent avec tous ceux que nous connaissions." L'oxygène du Soleil.

Ces huit grains de quelques dizaines de micromètres (des millionièmes de mètre), ressemblent étonnamment à la surface de la Lune, avec leurs cratères creusés par les chocs avec ces météorites de l'infiniment petit que constituent les particules du vent solaire. Ils recèlent très exactement la composition isotopique de l'oxygène charrié par ce souffle. C'est- à-dire le nombre de neutrons qui déterminent la masse de son noyau atomique.

La découverte pourrait paraître dérisoire, si elle ne relatait les premiers âges de notre environnement immédiat. Car il n'y aucune raison de penser que la composition actuelle du Soleil, qui contient 99% de la matière de notre système solaire, soit différente de celle de la nébuleuse solaire qui a engendré notre petit coin de Galaxie, il y a 4,5 milliards d'années.

Or les deux chercheurs ont constaté que les isotopes –-les différentes espèces –-de l'oxygène qui composent nos corps, nos planètes telluriques, ou même la plupart des météorites qui sillonnent notre espace proche diffèrent sensiblement de ceux de l'atmosphère du Soleil. Quelque chose s'est donc passé qui a fait évoluer une petite part de l'oxygène de la nébuleuse originelle pour arriver à celui qui nous constitue aujourd'hui. Quoi ? Les scientifiques ne le savent pas précisément. "Nous n'arrivons pas à reproduire en laboratoire une réaction qui explique cette évolution", constate Marc Chaussidon.

Il faut donc se contenter d'hypothèses. Celle qui domine est fondée sur le fait que, dans sa première jeunesse, le Soleil brillait de tous ses feux, et émettait sans doute plus d'ultraviolets qu'aujourd'hui. Ces radiations ont pu modifier les minerais du disque de matière proche de notre étoile, qui, en s'agglomérant et en s'éloignant, ont pris la forme de notre Terre et de ses voisines.

De nouveaux renseignements devraient prochainement valider ou non cette hypothèse. Ils proviendront des analyses des particules de ce même vent solaire récupérées dans l'espace par la sonde américaine Genesis. L'engin avait fait un retour remarqué sur Terre, en septembre 2004, en échappant aux hélicoptères qui tentaient de le saisir et en s'écrasant lourdement au sol. Les astronomes avaient craint le pire pour les échantillons collectés.

Après un patient travail de nettoyage, ils sont aujourd'hui exploitables et commencent à être distribués aux laboratoires chargés de leur analyse. Une équipe du CRPG, dirigée par Bernard Marty, aura la responsabilité de décrypter l'azote. Les Américains s'occuperont de l'oxygène, pour lequel la tâche risque d'être complexe.

"Avec seulement deux années passées par Genesis au vent solaire, la quantité d'éléments collectés est bien moindre que sur la Lune, avec ses deux milliards d'années d'exposition", rappelle Marc Chaussidon. Rien de tel que la Lune pour donner un long rendez-vous aux particules du Soleil.

Jérôme Fenoglio
Article paru dans l'édition du 09.04.05


Le Monde / Sciences
MEDECINE
Une arme possible contre l'athérosclérose

 A dministré par voie orale à faible dose, un dérivé du cannabis permettrait de réduire la progression des lésions d'athérosclérose chez un modèle animal et d'éviter ainsi que les artères ne se bouchent. L'équipe de François Mach (hôpital universitaire de Genève) publie, dans la revue Nature du 7 avril, des travaux menés sur des souris qui montrent l'action bénéfique du delta-9-tétrahydrocannabinol (THC) et mettent à profit ses propriétés immunosuppressives. Cet effet n'est observé qu'à la dose de 1 mg par kilo et par jour et non à des doses supérieures ou inférieures. Une concentration si précise qu'elle ne peut être obtenue en fumant de la marijuana, prévient un spécialiste, dans la revue.

François Mach et ses collaborateurs ont procédé de manière très méthodique. Ils sont partis du constat que l'athérosclérose, qui est la principale cause de mortalité (plus de 50%) dans les pays développés, est une maladie inflammatoire chronique. Le processus de constitution des plaques d'athéromes qui bouchent les artères implique certes l'accumulation de lipides, mais aussi la prolifération, la migration et l'adhésion à la paroi artérielle des macrophages, des cellules sanguines impliquées dans les phénomènes inflammatoires, sous l'action de cytokines comme l'interféron gamma.

Venant en seconde ligne après les mesures diététiques, les traitements actuels reposent avant tout sur une action visant à diminuer le taux sanguin de cholestérol. Agir par d'autres biais, notamment en agissant sur les phénomènes inflammatoires, est donc une perspective séduisante. Or, il se trouve que les cannabinoïdes, famille des dérivés du cannabis, possèdent des effets immunosuppresseurs et anti-inflammatoires qui passent par la diminution de la production d'interféron gamma.

RÉSULTATS EXPÉRIMENTAUX

Différentes cellules immunitaires possèdent d'ailleurs à leur surface des récepteurs cannabinoïdes, dont deux types sont connus. Les récepteurs CB1 sont surtout présents dans le cerveau, tandis que les récepteurs CB2 se retrouvent essentiellement sur les cellules du système immunitaire, notamment les lymphocytes B et T et les monocytes, qui sont les précurseurs des macrophages.

L'équipe de François Mach a démontré, sur un modèle de souris utilisé pour l'étude de l'athérosclérose et sur des artères humaines athéromateuses, que les cellules immunitaires infiltrant la plaque d'athérome exprimaient bien des récepteurs CB2. Ces souris présentent une déficience génétique en apolipoprotéine E (ApoE), un transporteur de lipides dans le sang. Cette déficience favorise le développement de plaques d'athérome. La progression des lésions d'athérosclérose était significativement ralentie chez les souris recevant dans leur alimentation du THC à la dose de 1 mg/kg/j, alors même que leur taux sanguin de lipide restait élevé.

Dans un second temps, l'équipe suisse a montré in vitro que les cellules immunitaires des souris recevant du THC proliféraient moins et avaient une production moindre d'interféron gamma. Au cours d'une troisième manipulation en observant sous microscope des artères de souris du même type, François Mach et ses collaborateurs ont apporté la preuve que l'adhésion des macrophages à la paroi artérielle était considérablement réduite chez les souris traitées par le THC.

Ces effets bénéfiques n'apparaissaient pas chez les souris recevant en plus du TCH une substance bloquant les récepteurs CB2, ce qui est un argument pour penser que l'effet anti-athérosclérose fait intervenir ces récepteurs.

Il n'est pas possible d'extrapoler directement ces résultats expérimentaux, sans passer par des études dans l'espèce humaine. De même, il se pourrait que des cannabinoïdes naturels ou de synthèse ciblant les récepteurs CB2 soient plus intéressants contre l'athérosclérose que la marijuana ou le THC utilisé comme antivomitif dans certains pays ou dans le traitement de l'anorexie.

Paul Benkimoun
Article paru dans l'édition du 09.04.05


– Les longues –
                 
                 

    En extra: Les éditos du Monde    

[*] «Longues propagandistes» parce qu'il existe aussi, dans cette rubrique, des «brèves propagandistes» reprenant surtout des dépêches de l'AFP. Ici, on trouvera pour l'essentiel des articles parus dans Le Monde, qui par le fait, sont beaucoup plus longs…