Longues propagandistes, série 13

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– Les longues –
                 
                 

    En extra: Les éditos du Monde    


Le Monde / France
Thierry Breton, ministre de l'économie, et Jean-François Copé, ministre délégué au budget
"Nous ramènerons le déficit de la France à 2,9 % en 2006"

 S ous quel signe a été placée la construction du budget 2006 ?
Thierry Breton :
La mobilisation maximale pour l'emploi, conformément à la priorité du premier ministre, tout en assurant le respect des engagements de la France. Nous avons rempli notre objectif de stabiliser pour la troisième année d'affilée les dépenses de l'Etat en volume. Cela nous permet de limiter le déficit budgétaire à 46,8 milliards d'euros, soit le niveau attendu pour l'exécution du budget 2005. Concernant l'ensemble des comptes publics, nous ramènerons le déficit de la France à 2,9 % du PIB en 2006 et nous réussirons à quasiment stabiliser la dette publique en pourcentage du PIB par rapport à 2005.

Le gouvernement a pourtant promis un déficit en deçà de 2,7 % du PIB, à Bruxelles, il y a encore quelques mois !
T. B :
Atteindre 2,9 % en 2006 est la marque d'une très grande responsabilité du gouvernement au regard d'un contexte marqué par des prélèvements sur le budget de l'Etat en forte hausse – plusieurs milliards d'euros supplémentaires – au profit de l'Union européenne et des collectivités territoriales. Il fallait aussi compenser par rapport à 2005 l'effet de la soulte EDF. Enfin, le prix du baril a été multiplié par deux (nous retiendrons 60 dollars dans le budget 2006), ce qui a coûté plusieurs dixièmes de point de PIB.
Nous prévoyons 2,25 % de croissance pour 2006, après un chiffre compris entre 1,5 % et 2 % pour 2005. Heureusement, tous les pays européens perçoivent une nouvelle dynamique de reprise de l'économie, que nous constaterons dans les chiffres des 3e et 4e trimestres.

Et vous devez financer les annonces de M. de Villepin...
Jean-François Copé :
Nous tiendrons tous les engagements pris par le premier ministre. Ils répondent aux attentes des Français. Nos priorités fondent la croissance sociale. Elles sont claires et responsables. D'abord l'emploi, auquel nous consacrons toutes nos marges de manoeuvre, soit environ 4 milliards d'euros. Puis les dépenses d'avenir : investir dans la recherche et l'innovation, c'est créer les emplois de demain. Enfin, la restauration de l'Etat régalien. Ces priorités sont toutes financées : c'est pour cela que nous avons fait en 2006 une pause dans la baisse des impôts.

La baisse reprend en 2007, année de l'élection présidentielle.
J.-F. C :
Oui, car nous avons voulu une fiscalité simplifiée, plus compétitive, mais aussi plus juste puisque les allégements sont concentrés sur les classes moyennes. Les contribuables en percevront les effets dès le début de l'année 2007, avec la baisse du premier tiers provisionnel et des prélèvements mensuels. Pour ce qui est du plafonnement global d'imposition, il prendra en compte l'impôt payé en 2006 sur les revenus 2005.

Certains élus demandent que les impôts locaux soient exclus du plafond.
J.-F. C :
La discussion va s'engager au Parlement mais l'esprit de ce "bouclier", c'est bien de garantir qu'aucun contribuable ne payera plus de 60 % d'impôts directs (IR, ISF, impôts locaux) sur ses revenus. L'idée, c'est d'en appeler à la responsabilité de toutes les collectivités publiques à l'égard du contribuable.

Le budget 2007, année électorale, sera plus difficile à boucler ?
J.-F. C :
Détrompez-vous ! Toutes les conditions sont réunies pour que l'Etat fasse de la dépense publique efficace, et des gains de productivité, grâce à deux nouveaux outils : la réforme budgétaire (la LOLF) et la réforme de l'Etat. A titre d'exemple, 1 % de baisse des dépenses en volume, c'est 3 milliards d'euros dégagés, soit presque l'équivalent du coût de la réforme fiscale.

Vous avez maintes fois regretté que la France vive à crédit. Or la dette de l'Etat progressera encore, de 65,8 % à 66 % du PIB...
T. B :
Dans le champ de contraintes qui était le nôtre, nous réussirons à stabiliser le ratio d'endettement de la France en 2006. Mieux, après trois années de stabilisation des dépenses hors inflation, la fameuse règle "zéro volume", le ministère de l'économie va s'organiser en 2006 pour construire un budget 2007 dont la progression sera inférieure à l'inflation. C'est ce qui nous permet de prévoir, pour 2009, un déficit public compris entre 0 % et 1,5 % du PIB, selon que la France aura une croissance sur la période de 3 % ou 2,25 % par an.

La réduction du nombre de fonctionnaires est-elle une priorité, comme le demande Nicolas Sarkozy ?
J.-F. C :
Depuis 2003, nous avons engagé un mouvement de réduction des effectifs, que nous poursuivons en 2006. Mais fixer une norme obligatoire n'est pas la bonne réponse. Il faut d'abord rechercher un Etat efficace. Dans certains domaines, il faut des créations de postes, comme pour la justice, la défense et la sécurité intérieure. Dans d'autres secteurs, on peut rendre le même service aux Français avec moins de personnel. C'est le cas à Bercy, où 2 600 départs en retraite ne seront pas remplacés en 2006.

Le premier ministre milite pour un "patriotisme économique". Mais, concrètement, les injonctions du gouvernement, notamment dans l'affaire Hewlett-Packard, ne relèvent-elles pas avant tout de la communication ?
T. B :
Dans le monde de l'entreprise, que je connais bien pour avoir été PDG en France et aux Etats-Unis, le patriotisme économique est une notion concrète et moderne. En tant que chef d'entreprise, on peut être amené à prendre des décisions difficiles. Je l'ai moi-même vécu. Mais, dans tous les cas, on doit rendre des comptes pas seulement à ses actionnaires, mais à l'ensemble des parties prenantes qui fondent la communauté de l'entreprise : les clients, les salariés, les syndicats, l'environnement politique, économique, social et écologique. Le métier de chef d'entreprise, c'est aussi de tenir compte de cela.

Où en est-on dans les engagements pris sur le prix de l'essence avec les pétroliers ?
T. B :
Les engagements sont faits pour être tenus. Les premiers relevés de tarifs pour l'observatoire des prix des carburants à la pompe viennent d'être effectués et sont rendus publics mercredi. Mais le plus important pour l'avenir, c'est que nous avons incité les entreprises pétrolières à investir dans le raffinage et dans les énergies renouvelables. Cette politique a été reprise par les ministres des finances de l'Union européenne et a alimenté nos discussions lors du G7 qui s'est tenu à Washington samedi.
Avec mon homologue britannique, Gordon Brown, j'ai obtenu le mandat d'entamer des discussions avec les producteurs de pétrole afin que l'on discute aussi avec eux des politiques d'investissement nécessaires pour résorber la crise actuelle et préparer l'avenir.

Propos recueillis par Christophe Jakubyszyn et Joël Morio
Article paru dans l'édition du 29.09.05


Le Monde / Entreprises
Bourse
A Paris, l'indice CAC 40 reprend son souffle

 L es déclarations du président de la Réserve fédérale (Fed), Alan Greenspan, laissant entendre que l'économie américaine était armée pour résister aux chocs ont permis aux actions américaines de se redresser en fin de séance, mardi 27 septembre. Elles avaient initialement reculé en début de journée en raison du moral des ménages, qui s'est inscrit en septembre au plus bas depuis près de deux ans.

M. Greenspan a déclaré devant la National Association for Business Economics (NABE) que, grâce à sa flexibilité, l'économie était "plus résistante aux chocs et plus stable depuis deux décennies" , et que cela "a permis d'absorber raisonnablement la forte hausse des prix du pétrole et du gaz que nous avons connue ces deux dernières années".

L'indice Dow Jones a gagné 0,12 % à la clôture du marché. L'indice composite du Nasdaq, composé pour l'essentiel d'entreprises de technologie, a pour sa part cédé 0,24 %, en raison d'une opinion pessimiste formulée par les analystes financiers de la banque américaine JP Morgan Chase sur le secteur des semi-conducteurs. Ils ont abaissé leurs recommandations sur plusieurs sociétés. Trois d'entre elles ont mal réagi en Bourse : Cypress Semiconductor a perdu 3,57 %, à 14,03 dollars, Fairchild Semiconductor 5,99 %, à 14,43 dollars, et ON Semiconductor 5,95 %, à 4,74 dollars.

En Europe, les marchés d'actions ont terminé en baisse, leur clôture coïncidant avec le moment où le Dow Jones était encore dans le rouge. Londres a perdu 0,11 % et Francfort 0,65 % malgré le rebond surprise de l'indice IFO du climat des affaires en septembre en Allemagne. A Paris, les investisseurs ont pris leur bénéfice après la forte hausse des actions la veille. L'indice CAC 40, qui avait bondi de 2 % lundi pour finir à des niveaux inégalés depuis près de trois ans et demi, a perdu 0,44 %.

La Bourse de Tokyo a fini en hausse de 0,95 %, mercredi, soutenue par les espoirs de reprise de l'économie.

Cécile Prudhomme
Article paru dans l'édition du 29.09.05


Le Monde / Une
Le ventre de une
Un vin au petit goût de Bach, avec des notes de Vivaldi et un zeste de Gluck
ROME de notre correspondant

 L a musique de Mozart, de Bach ou de Tchaïkovski a-t-elle une influence sur la qualité du vin ? C'est une hypothèse que des chercheurs de l'université de Florence envisagent sérieusement, après avoir étudié de près l'expérience menée par un viticulteur toscan. Giancarlo Cignozzi, ancien avocat devenu propriétaire viticole, produit le fameux brunello de Montalcino, un vin rouge d'exception apprécié dans le monde entier. Depuis qu'il a sonorisé son vignoble avec des dizaines d'enceintes acoustiques, cet original trouve que sa vigne pousse avec davantage de vigueur. Elle est moins malade que celle de ses voisins, et son raisin mûrit plus vite.

Impressions confirmées par les premiers travaux du professeur Stefano Mancuso, spécialiste italien de neurobiologie végétale, qui a commencé à reproduire en laboratoire les essais en plein champ du viticulteur mélomane : "Les effets de la musique, ou plutôt des fréquences sonores, sur la croissance de la plante sont remarquables."

Il y a quatre ans que Giancarlo Cignozzi élève sa vigne en musique, après avoir découvert sur Internet des études chinoises et coréennes démontrant l'impact d'un fond sonore musical sur certaines plantes. Il a voulu essayer sur ses sarments. "En hiver, quand les vignes dorment, j'utilise de la musique sacrée – Haydn, Haendel, La Flûte enchantée de Mozart, un peu de Gluck", a-t-il expliqué au quotidien La Stampa. Au printemps, à l'apparition des premières feuilles, il "attaque avec de la musique baroque : beaucoup de Bach, beaucoup de Vivaldi".

Juin et juillet résonnent de "concertos pour piano et de symphonies". Enfin, le final, fin août-début septembre, au plus fort de la maturation, est réservé à "Tchaïkovski avec orchestre de 120 éléments". Ainsi s'écoulent les quatre saisons de Cignozzi, dans le petit village de Montalcino.

"Je ne sais pas si mon vin est meilleur", reconnaît-il honnêtement. Mais il est sûr que les parcelles les plus exposées à la musique sont les moins touchées par les parasites, les bactéries, la moisissure.

Les 20 000 euros dépensés pour équiper son vignoble avec l'aide d'un ami ingénieur du son ont été largement compensés, affirme-t-il, par les économies réalisées sur les achats de fongicides et d'insecticides.

Pour le professeur Mancuso, il est trop tôt pour donner un jugement définitif sur cette musicothérapie appliquée au vin. Si les séries de tests menées actuellement par ses équipes aboutissent, il entrevoit "une nouvelle voie pour l'agriculture biologique, en particulier pour les produits de qualité". Reste la pollution sonore : les effluves de grande musique ont tendance à soûler le voisinage, qui a déjà protesté à plusieurs reprises.

Jean-Jacques Bozonnet
Article paru dans l'édition du 29.09.05


Le Monde / Régions
Les industriels s'opposent aux élus sur le recyclage des déchets électroniques

 L e frigo en panne ou le vieux téléviseur n'iront plus à la décharge. Nelly Olin, ministre de l'écologie, a signé, le 20 juillet, un décret obligeant les producteurs d'équipements électriques et électroniques ménagers à "pourvoir à la collecte sélective" ou à y "contribuer" financièrement. La France transcrit ainsi une directive européenne du 27 janvier 2003 qui était censée entrer en vigueur avant le 13 août 2005. Cette bonne nouvelle environnementale, largement commentée aux Assises nationales des déchets, à La Baule (Loire-Atlantique), les 20 et 21 septembre, est aussi un motif de satisfaction pour les maires.

Un filon pour les entreprises d'insertion

Environ 2 500 personnes travaillent dans le secteur du démontage et du recyclage des déchets électriques et électroniques, selon une estimation du cabinet d'études économiques Terra. 40 % sont employées par des entreprises d'insertion, des centres d'aide par le travail et des ateliers protégés pour les personnes handicapées. A terme, le nombre d'emplois devrait doubler dans cette filière. Les responsables de l'économie sociale et solidaire craignent d'être évincés par des entreprises classiques, spécialistes du tri. Nelly Olin, ministre de l'écologie, envisage de n'autoriser à travailler sur ce marché que les seuls industriels qui auront pris l'engagement de faire appel à des entreprises d'insertion.

Les élus locaux militent pour que les industriels financent davantage la gestion des déchets – - quels qu'ils soient – - au nom du principe "pollueur-payeur". Ils assument de plus en plus difficilement, vis-à-vis des habitants, la hausse vertigineuse de la taxe sur l'enlèvement des ordures ménagères, qui a doublé en dix ans. En moyenne, au titre de cette taxe, chaque ménage paye 240 euros d'impôts par an, soit 6 milliards au total.

UNE NOUVELLE RÉGLEMENTATION

La nouvelle réglementation sur les déchets électroniques est l'occasion pour les élus d'amener les fabricants à prendre en charge la filière. Ce qui implique qu'à terme, le consommateur paye à la place du contribuable.

Quelques villes ont mis en place une collecte sélective des appareils électroménagers : Bordeaux, Nantes, Lille, Strasbourg, Rouen, Caen, Lons-le-Saunier (Jura)... Certaines, comme la communauté d'agglomération de Montpellier, font appel à des entreprises d'insertion pour collecter et démonter les machines. La plupart de ces communes ne reçoivent aucune aide des fabricants et la recette qu'elles tirent du recyclage des matériaux est loin d'équilibrer leurs charges.

En 2006, sur les 14 kilogrammes de déchets électriques ou électroniques que produit annuellement chaque habitant, la France devra en recycler quatre. Quand 100 % des déchets seront recyclés, calcule-t-on au ministère de l'écologie, leur traitement coûtera 500 millions d'euros par an dont 20 % pour la collecte sélective. Encore faut-il qu'élus et producteurs se mettent d'accord sur qui finance quoi. Pour l'instant, la négociation est loin d'être achevée.

Lors des Assises nationales des déchets, Jacques Pélissard, président de l'Association des maires de France (AMF), s'est montré ferme : "Les coûts supportés par les collectivités, a-t-il déclaré, devront être intégralement compensés par les industriels." La mise en place, par les communes, du tri sélectif des déchets électroniques reste, au terme du décret, "facultative" , a-t-il fait valoir. "Elles ne seront volontaires pour le mettre en place qu'à condition que les producteurs le financent."

A la tête du réseau Amorce, association qui regroupe 250 collectivités, Camille Durand, premier vice-président (PS) de la communauté urbaine de Nantes, a donné pour consigne de "ne rien faire tant que la prise en charge à 100 % des coûts n'est pas assurée" par les industriels.

Ceux-ci jugent les exigences des maires "exorbitantes". "Le marché de l'électronique est ultra-concurrentiel. Nos marges se réduisent de manière drastique ! Nous n'avons pas l'argent pour financer seuls la filière", explique Jean-Paul Ouin, responsable des affaires juridiques de Philips France. "Le fait que nous soyons volontaires pour mettre en place le traitement de nos appareils usagés n'implique pas qu'on nous demande de tout payer , prévient-il, ou alors à quoi sert-il de prélever des impôts locaux ?..."

PARTAGER LES COÛTS

Les industriels ont plusieurs motifs d'inquiétude. Ils redoutent de devoir faire face à un afflux de très vieux appareils dont ils évaluent mal le stock. La mise en place de nouvelles déchetteries va, de fait, inciter les ménages à vider leur cave. Les fabricants ne veulent pas, par ailleurs, signer de chèque en blanc aux élus dont ils craignent qu'ils forcent la note en investissant dans des systèmes de tri "ultrasophistiqués, voire superflus, simplement pour pouvoir se donner un petit air écologiste" , explique-t-on chez Philips... Pour les industriels, une participation "raisonnable" de leur part s'impose d'autant plus que la répercussion sur le prix de vente des appareils leur semble inéluctable.

L'AMF et Amorce ont proposé, pour 2006, que les fabricants versent aux collectivités françaises une somme identique à celle dont ils s'acquittent en Belgique, où le tri est en vigueur.

Selon l'AMF, les villes belges qui pratiquent la collecte sélective perçoivent, en moyenne, 6 euros pour un réfrigérateur, 4 euros pour un ordinateur... "C'est trop cher pour la France !", répondent les industriels. Le stock d'appareils à recycler y est plus important qu'en Belgique. Les sommes en jeu seront plus élevées et donc difficiles à supporter. Les fabricants sont prêts, en revanche, à un "partage des coûts" avec les collectivités sur le modèle de la filière du tri sélectif des emballages. Dans ce cas, les industriels financent 50 % du traitement via une cotisation à Eco-Emballages.

Les élus estiment que c'est insuffisant. Pour eux, responsabiliser le producteur n'est pas seulement une façon de stabiliser les impôts, c'est aussi une manière de les inciter à produire moins de déchets.

La nouvelle réglementation devrait encourager les grandes marques à fabriquer des appareils plus faciles à recycler. Ce qu'ils ont commencé à faire : il y a dix ans, un téléviseur contenait dix variétés de plastique différentes, aujourd'hui, il n'en contient plus que deux.

Béatrice Jérôme (avec Florence Amalou)
Article paru dans l'édition du 29.09.05


Le Monde / Régions
En Catalogne, une vraie filière industrielle qui crée des emplois
BARCELONE de notre envoyée spéciale

 À  60 kilomètres de Barcelone et à deux heures de Toulouse, El Pont de Vilomara, une petite ville de 3 245 habitants, est devenue en quelques années l'un des centres les plus avancés d'Europe en matière de recyclage de la "ferraille électronique". Comme l'explique son maire, le socialiste Evaristo de la Torre, "cela répond à un pari sur le développement durable. Bien sûr, nous savions que nous allions nous heurter à une certaine incompréhension, surtout de la part des écologistes" . Il est vrai que le polygone industriel choque dans le décor. Le démantèlement des ordures électroniques n'est pas particulièrement esthétique, ni, à première vue, valorisant.

Le maire est persuadé qu'il a vu juste. Dans les années 1990, les deux filatures qui employaient une bonne partie de la population ont fermé, frappées par la crise du textile. "Il fallait trouver une solution", explique M. de la Torre. Il y a aujourd'hui trois usines à El Pont de Vilomara. Grâce à elles, 850 habitants de la localité ont trouvé un emploi.

La plus ancienne, Pilagest SL, est consacrée aux piles et aux lampes fluorescentes. Puis un Centre de traitement et de recyclage des frigorifiques a été inauguré pour le démontage des réfrigérateurs et la récupération des gaz.

CAPITAL PUBLIC OU PRIVÉ

Ces deux premières usines ont un capital public et dépendent de l'administration régionale et de son Agence des résidus. Le Centre de traitement se charge aussi de la collecte. Différentes campagnes ont été lancées pour promouvoir une culture du recyclage, autour d'une idée : "Quand tu achètes le nouveau, tu recycles le vieux." 230 déchetteries ont été installées.

La troisième usine, Electrorecycling, destinée à la récupération des équipements électroniques, est privée. Entre 20 000 et 25 000 kilos de téléphones portables, de jouets, d'écrans de téléviseur, d'ordinateurs ou de grille-pain sont traités chaque jour avec une revalorisation d'environ 80 % des matériaux. En dix ans, à partir de 500 000 réfrigérateurs, le Centre de traitement a récupéré 15 565 tonnes de fer, 4 045 tonnes de matières plastiques, 1 065 tonnes d'aluminium, 265 tonnes de verre, 145 tonnes de cuivre et 120 tonnes d'huiles.

L'exemple du cuivre est le plus frappant, puisqu'il a l'avantage de pouvoir être réutilisé pratiquement à l'infini. "80 % du cuivre utilisé depuis des milliers d'années est encore en usage ", affirme Oriol Guixa, directeur général d'une autre usine de la région, la Farga Lacambra (LFL) aux Massies de Voltrega.

Fondée en 1808, LFL a mis en place, en 1986, la première usine au monde de fabrication de fil machine de cuivre à partir de produits recyclés.

Martine Silber
Article paru dans l'édition du 29.09.05


Le Monde / International
Algérie: le "oui" au référendum remporte plus de 97% des voix

 L es électeurs algériens ont voté à 97,36% en faveur du "oui" au référendum du jeudi 29 septembre sur le projet de charte présidentielle pour "la paix et la réconciliation nationale", selon le ministre algérien de l'intérieur, Yazid Zerhouni. Le "non" a obtenu 2,64% de voix, a-t-il ajouté, lors d'une conférence de presse à Alger. Les Algériens ont participé massivement au référendum, selon M. Zerhouni, qui a annoncé un taux de participation de 79,76%.

Selon le ministre de l'intérieur, "les villes touchées par le terrorisme ont enregistré des participations record. Alger, qui habituellement vote faiblement, a enregistré une participation de 71,83%, qui constitue un record pour la capitale comparativement à toutes les autres consultations". Les plus faibles taux de participation ont été enregistrés à Tizi Ouzou (11,40%) et à Béjaïa (11,55%), les deux principales villes de Kabylie.

INCIDENTS EN KABYLIE

Le scrutin s'est déroulé dans de bonnes conditions, hormis dans 12 à 15 communes des départements de Tizi Ouzou et de Béjaïa, où "des gens ont tenté de perturber le vote", a déclaré M. Zerhouni. Les correspondants de presse avaient plus tôt fait état de ces incidents en Kabylie. Des jeunes ont saccagé les urnes des quatre centres de vote de la localité d'El Asnam, près de Bouira, et jeté les bulletins sur la voie publique.

Dans la région de Bejaïa, des urnes ont été saccagées et des bulletins de vote détruits à Amizour et à El Kseur, où des heurts ont opposé les forces de l'ordre à des manifestants qui lançaient des pierres contre le siège de la daïra (sous-préfecture).

Les deux principaux partis d'opposition, le Front des forces socialistes (FFS) et le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), fortement implantés en Kabylie, ont appelé au boycottage de la consultation. Les aârchs (tribus kabyles) ont, pour leur part, appelé à une grève générale, jeudi, pour protester contre le refus d'Abdelaziz Bouteflika de faire du tamazight (berbère) une langue officielle. Plusieurs quotidiens indépendants ont, de leur côté, déploré l'interdiction de tout débat libre sur le sujet, tant les médias publics font ouvertement campagne en faveur du "oui". Les associations représentant les familles des disparus craignent de voir leurs espoirs d'obtenir justice anéantis par le mot d'ordre de la réconciliation. Les organisations de défense des droits de l'homme dénoncent, pour leur part, un texte qui disculpe les forces de sécurité, pourtant soupçonnées d'avoir joué un rôle important dans certaines des 6 000 disparitions.

La charte est censée mettre fin à la crise et aux violences politiques qui ont fait, depuis 1992, plus de 150 000 morts et des milliers de disparus. Les 40 000 bureaux de vote, qui ont ouvert leurs portes à 8 heures, les ont fermées à 19 heures. Mais 19 des 48 walis (préfets) ont exercé leur droit de retarder cette fermeture d'une heure dans les grandes villes.

Avec AFP et Reuters
LEMONDE.FR | 29.09.05 | 17h59


Le Monde / Sciences
Forte réduction de la calotte glaciaire arctique

 L es scientifiques américains du Centre national des données sur les neiges et glaces (NSIDC), basé à Washington, se sont inquiétés, mercredi 28 septembre, des dernières observations et mesures qu'ils ont effectuées, grâce aux satellites de la NASA, sur la calotte glaciaire arctique : pour le quatrième été consécutif, sa superficie s'est considérablement réduite. Julienne Stroeve, climatologue du NSIDC, a estimé qu'"à ce rythme, l'Arctique n'aura plus de glace pendant la saison d'été bien avant la fin de ce siècle".

A la fin des fontes de l'été, la zone gelée de l'océan Arctique est normalement réduite à son minimum en septembre. Mais, d'après les observations effectuées le 21 septembre par le NSIDC, la surface de la banquise n'était que de 5,32 millions de km2, soit la plus faible superficie jamais mesurée par les satellites d'observation. Cet été, le légendaire passage du Nord-Ouest dans l'Arctique canadien, entre l'Europe et l'Asie, était complètement navigable à l'exception d'une bande de 90 km où flottaient des blocs de glace. Selon d'autres observations effectuées par l'équipe de Ted Scambos, de l'Université du Colorado, la fonte de la calotte a commencé au printemps de cette année dix-sept jours plus tôt.

"Etant donné le bas niveau record des glaces cette année à l'approche de la fin septembre, 2005 va presque certainement surpasser 2002 pour la plus faible superficie de glace dans l'Arctique depuis plus d'un siècle", estime Julienne Stroeve. "Avec quatre années consécutives de faible superficie de la glace arctique, on peut penser avec une assez grande certitude qu'un phénomène de fonte durable est en train de se produire et qu'il ne s'agit pas d'un phénomène de courte durée", ajoute Walt Meier, un autre climatologue du NSIDC.

DEUX FOIS LA SUPERFICIE DE LA FRANCE

Les experts du NSIDC ont calculé, en intégrant les dernières mesures effectuées, que la calotte glacière de l'Arctique se réduisait de 8 % environ tous les dix ans. Ils ont également constaté qu'il y avait eu environ 20 % de moins de formation de glace durant l'hiver au cours des quatre dernières années, comparativement à la période 1978-2000. Cette réduction de la superficie gelée de l'océan Arctique représente approximativement 1,3 million de km2, soit l'équivalent de plus de deux fois la superficie de la France.

La disparition grandissante des glaces arctiques correspond à une hausse des températures au cours des dernières décennies. La température moyenne à la surface de l'océan Arctique était, entre janvier et août, de 2 à 3 °C plus élevée qu'au cours des cinquante dernières années.

Avec AFP et AP
LEMONDE.FR | 29.09.05 | 10h43


Le Monde / Sciences
Gestion d'Internet: l'Europe s'oppose aux Etats-Unis à Genève

 L es Etats-Unis se sont retrouvés isolés, jeudi 29 septembre à Genève, lors de la réunion préparatoire au sommet mondial sur la société de l'information (SMSI) de Tunis en novembre, lorsque les négociateurs européens ont décidé de prôner, avec les pays du Sud, la création d'un organisme international pour la gestion d'Internet, auquel Washington est fermement opposé, rapporte l'International Herald Tribune (IHT) dans son édition de vendredi 30 septembre.

Selon le quotidien en langue anglaise basé à Paris, ce différend risque de mettre en péril le sommet de Tunis, organisé par les Nations unies pour réduire la fracture numérique entre Nord et le Sud, si la réunion de Genève, qui se termine ce vendredi, n'aboutit pas au consensus nécessaire à la rédaction d'un projet de résolution, comme prévu.

L'IHT cite les propos courroucés du délégué américain du département d'Etat à cette réunion, David Gross: "Ce changement profond de la position européenne est très choquant (...) et semble correspondre à un revirement historique des Européens au sujet de la régulation d'Internet, passant d'une conception basée sur le leadership privé à une autre s'appuyant sur le contrôle gouvernemental ".

Jusqu'à présent, l'Icann (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers), organisme de droit privé mais à but non lucratif, créé en 1988 en Californie, gère l'attribution et la gestion des noms de domaine internationaux (.com,.net ou.org, etc.). La Chine, soutenue par plusieurs pays du Sud, réclame la création d'une nouvelle agence de l'ONU, indépendante des Etats-Unis, de nombreux pays considérant, à l'instar du Brésil, qu'une "seule nation décide pour toutes dans le monde digital actuel".

RÉACTION "DISPROPORTIONNÉE"

De leur côté, les Européens souhaitent qu'un organisme international définisse des principes et des critères dans l'attribution des noms de domaine, chapeautant ainsi l'Icann, qui en conserverait la gestion concrète. "Aucun organisme international, qu'il émane ou non de l'ONU, ne devrait contrôler Internet", réplique M. Gross, cité par l'IHT.

Porte-parole de la délégation européenne à Genève, David Hendon estime que la réaction américaine "disproportionnée" est "tactique" dans ces négociations. Mais, ajoute-t-il, "il n'est pas raisonnable de laisser aux Etats-Unis le pouvoir de décider ce qu'il advient d'Internet dans les autres pays".

Lemonde.fr
LEMONDE.FR | 30.09.05 | 12h06


Le Monde / Société
Le "bug informatique" qui vaut au "Petit Littré" une accusation de racisme

 "J uif : (...) Etre riche comme un juif, être fort riche. Fig. et famil. Celui qui prête à usure ou qui vend exorbitamment cher, et en général quiconque cherche à gagner de l'argent avec âpreté." ; "Arabe : n. m. Qui est originaire d'Arabie. Fig. Usurier, homme avide. (...)" Ces définitions trouvées dans le Petit Littré 2005 – version abrégée à bas prix (15,50 €) du Nouveau Littré – ont fait bondir des acheteurs de cet ouvrage, en vente depuis le début août.

Il aura fallu que le Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples (MRAP), alerté, exprime, vendredi 23 septembre, auprès de l'enseigne Maxi-Livres, son indignation sur "cette diffusion qui participe à la banalisation et à la légitimisation des stéréotypes racistes", pour que l'éditeur, Garnier, rappelle les 30 000 exemplaires de cette version du Petit Littré, puis décide immédiatement de les pilonner. "Vendredi matin, dès que nous avons été contactés par le MRAP, nous avons retiré l'ouvrage de la vente, raconte Xavier Chambon, PDG de Maxi-Livres. J'ai appelé les éditions Garnier qui nous ont donné la même consigne de retirer le dictionnaire de la vente."

"ERREURS D'INTERPRÉTATION"

Dans un communiqué, l'éditeur explique que : "à la suite d'un traitement informatique, les symboles distinguant le texte d'origine du Littré du XIXe siècle des ajouts de l'édition actuelle, avaient disparu". Il reconnaît que cette "coquille" pouvait "entraîner des erreurs d'interprétation sur des mots dont les usages du temps, sortis de leur dimension historique, peuvent être contestables". Il précise que l'édition 2006 du Nouveau Littré à paraître en novembre fait "clairement apparaître les articles et les sens issus du Littré du XIXe siècle et comporte un avant-propos signalant et expliquant ces évolutions".

"Ce dictionnaire était destiné à un public de collégiens et de lycéens, relève Latifa Abed, responsable de magasin Maxi-Livres et déléguée CGT. Quand on veut démocratiser le livre, la culture, il faut être rigoureux." Le PDG de l'enseigne refuse l'amalgame : "Le distributeur a son rôle à jouer, mais ce n'est pas nous qui éditons le livre."

15 000 exemplaires avaient été édités pour l'enseigne Maxi-Livres et les hypermarchés. 15 000 l'ont été pour les libraires. Des points de vente ont commencé à retirer l'ouvrage. La Fnac indique qu'elle a reçu de l'éditeur une demande de retrait, mercredi 28 septembre, et a procédé au retour dans la foulée.

Bénédicte Mathieu et Laetitia Van Eeckhout
Article paru dans l'édition du 30.09.05


Le Monde / Société
Le chômage recule en France pour le 5e mois consécutif

 L e chômage a reculé de 0,9 % en août pour le cinquième mois consécutif : le nombre de chômeurs a baissé de 21 500 personnes (- 0,9 %) et totalisait 2 401 800 demandeurs d'emploi.

Selon les chiffres publiés par le ministère de l'emploi vendredi 30 septembre, le taux de chômage au sens du Bureau international du travail (BIT) est quant à lui resté stable à 9,9 % de la population active. En juillet, ce taux était redescendu sous la barre des 10 % pour la première fois depuis octobre 2003.

L'embellie du mois d'août profite à l'ensemble des catégories de chômeurs, hommes, femmes, plus de 50 ans ou jeunes. Ces derniers restent cependant ceux qui rencontrent les plus grandes difficultés sur le marché du travail, avec un taux de chômage de 23,1  %.

Au total, il s'agit donc du cinquième mois consécutif de baisse du chômage après un recul de 1 % en juillet, de 1,4 % en juin et de 0,1 % en mai et avril. Pour la plupart des observateurs, la baisse du chômage depuis juin est essentiellement due à la relance des contrats partiellement ou entièrement financés par l'Etat, lancés dans le cadre du plan de cohésion sociale mis en place en janvier 2005. Ils ont commencé à prendre effet cet été.

STAGNATION DE LA CRÉATION D'EMPLOI

L'opposition et les syndicats restent sceptiques face à la décrue statistique amorcée, qu'ils imputent à la hausse du nombre des apprentis, à une augmentation des radiations de l'ANPE et à une progression des emplois précaires.

Le nombre des radiations s'établit en août à 33 651, après 34 667 en juillet et 35 389 en août 2004. Les radiations représentent en août 10,4 % des motifs de sortie de l'ANPE. Celle-ci considère comme "durable" une offre d'emploi de plus de six mois, "temporaire" une offre d'un à six mois et "occasionnelle" une offre de moins d'un mois.

En août, le nombre des offres d'emploi durable s'est élevé à 108 757, en progression de 21,9 % sur un an (89 198 en août 2004). Le nombre des offres d'emploi temporaire a atteint 98 104, en hausse de 5,1 %, celui des emplois occasionnels s'établissant à 51 874, en diminution de 0,6 %.

Pour constituer une réelle inversion de tendance, le recul du chômage devra se faire sentir sur le marché du travail. Les créations d'emploi ont stagné en France au premier semestre 2005, selon l'Insee, la mollesse de l'activité économique au premier semestre (croissance du PIB de 0,1 % au deuxième trimestre et de 0,4 % au premier) dissuadant les chefs d'entreprise d'embaucher.

Avec AFP et Reuters
LEMONDE.FR | 30.09.05 | 08h13


Le Monde / France
Les "avantages" fiscaux seront limités en 2006

 L a réforme de l'impôt sur le revenu, élément central du projet de loi de finances pour 2006 – réduction du nombre de tranches, modification des taux d'imposition – n'affectera les Français qu'à partir de 2007.

Dans l'immédiat, pour les revenus 2005 qu'ils déclareront début 2006, ils devront composer avec une simple révision du barème prenant en compte l'inflation : l'imposition débutera ainsi à partir de 4 412 euros de revenu, contre 4 334 euros auparavant.

Dans l'attente du plafonnement des "avantages" fiscaux – 8 000 euros de réduction d'impôt par foyer – qui ne sera effectif qu'en 2007, les Français devront par ailleurs se satisfaire, en 2006, de mesures fiscales réduites à la portion congrue pour tenir le déficit des comptes publics à 2,9 % du PIB.

Bien qu'il ne s'agisse pas d'une réduction fiscale, c'est le relèvement de la prime pour l'emploi qui constitue la principale mesure en faveur des ménages. Elle sera revalorisée de 50 % sur deux ans et versée chaque mois à partir de janvier 2006.

Le taux du crédit d'impôt pour frais de garde des enfants de moins de six ans dans un établissement de garde ou par l'intermédiaire d'une assistance maternelle agréée sera relevé de 25 % à 50 %. Le plafond de dépenses reste fixé à 2 300 euros par an et par enfant.

Le gouvernement a instauré un crédit d'impôt de 1 500 euros en faveur des personnes qui déménagent à plus de 200 kilomètres de leur précédent domicile, pour retrouver un emploi.

FINANCEMENT DES ÉTUDES

Un allégement des revenus fonciers des propriétaires à la suite d'une mutation professionnelle a été institué avec une déduction de 10 % des loyers perçus pendant les trois premières années.

Les donations entre générations en franchise d'impôts sont désormais autorisées tous les six ans, au lieu de dix ans actuellement. Le régime des réductions de droits applicables aux donations est par ailleurs réaménagé.

Les donations en nue-propriété bénéficieront d'une réduction de droits de mutation de 35 % dès lors que le donateur est âgé de moins de 70 ans (au lieu de 65 ans actuellement) et de 10 % s'il a moins de 80 ans. Pour les autres donations, la réduction est fixée à 50 % si le donateur a moins de 70 ans et à 30 % s'il a moins de 80 ans.

Il est instauré, sous certaines conditions, un abattement spécifique de 5 000 euros en faveur des transmissions à titre gratuit entre frères et soeurs et en faveur des neveux et nièces.

Les étudiants pourront bénéficier d'un crédit d'impôt sur les intérêts d'emprunt de prêts contractés (entre le 28 septembre 2005 et le 31 décembre 2008) pour financer leurs études supérieures.

Le gouvernement veut aussi inciter à l'achat de voitures "propres" avec un relèvement du crédit d'impôt à 2 000 euros ou à 3 000 euros si l'achat s'accompagne de la mise au rebut d'un véhicule ancien. Les crédits d'impôt pour l'achat d'équipements moins gourmands en énergie sont augmentés.

Joël Morio
Article paru dans l'édition du 30.09.05


Le Monde / Europe
En Allemagne, la CDU et le SPD explorent dans un climat détendu la voie d'une "grande coalition"
BERLIN de notre correspondant

Le chancelier allemand sortant, Gerhard Schröder, et son challenger, Angela Merkel, revendiquent chacun la victoire.  | AP/MARKUS SCHREIBER MICHAEL PROBST
AP/MARKUS SCHREIBER MICHAEL PROBST
Le chancelier allemand sortant, Gerhard Schröder, et son challenger, Angela Merkel, revendiquent chacun la victoire.

 T outes les querelles sont loin d'être résolues, mais l'atmosphère est à la détente entre conservateurs et sociaux-démocrates allemands. "Fructueux" pour les uns, "utiles, constructifs et sérieux" pour les autres, les pourparlers exploratoires en vue de former une éventuelle "grande coalition", dont la deuxième séance a eu lieu mercredi 28 septembre à Berlin, laissent présager une issue relativement pondérée à la crise politique surgie dans le sillage des élections législatives tenues dix jours plus tôt. Que l'on en soit arrivé là aussi vite a même "surpris" Angela Merkel, la présidente de l'Union chrétienne-démocrate (CDU).

Enterrées les récriminations réciproques entre son parti et celui du chancelier sortant, le social-démocrate Gerhard Schröder ? Ce serait aller un peu vite en besogne. Les deux camps continuent à revendiquer le poste de chef du futur gouvernement. Pour Mme Merkel, cette fonction revient de droit à son parti, puisqu'il est arrivé en tête du scrutin avec 35,2 % des voix. Mercredi, elle en a fait, devant la presse, une condition expresse à l'ouverture de négociations en bonne et due forme avec le Parti social-démocrate (SPD).

"Il est politiquement erroné de poser des ultimatums politiques personnels", a répondu M. Schröder, tout en évitant de se prononcer sur son propre sort dans le cas d'une telle coalition "noir-rouge". Un tel comportement peut être interprété de différentes manières. Est-ce là l'amorce d'une retraite du chancelier sortant sur le point le plus controversé de l'après-scrutin ? Jusqu'à ces derniers jours, il n'avait cessé de clamer son droit à rester aux commandes du pays, bien que le SPD ne soit arrivé qu'en deuxième position, avec 34,3 % des suffrages.

Dans son propre parti, certaines voix se sont élevées pour appeler M. Schröder à faire un geste et à débloquer la situation. Il "en sortirait grandi" s'il acceptait le poste de chef de la diplomatie assorti du titre de vice-chancelier, a ainsi estimé l'ancien maire de Hambourg, Klaus von Dohnanyi. Certains journaux évoquent, eux, un possible retrait de M. Schröder du devant de la scène, après sept années à la tête d'une coalition avec les Verts. Le président du SPD, Franz Müntefering, pourrait alors endosser le costume de vice-chancelier d'une grande coalition. En contrepartie, Mme Merkel pourrait, elle aussi, prendre ses distances et laisser un des caciques de la CDU ou le président de son aile bavaroise, l'Union chrétienne-sociale (CSU), Edmund Stoiber, diriger le futur gouvernement.

Ainsi vont les spéculations. Si un tel scénario a été discuté, mercredi, entre dirigeants conservateurs et sociaux-démocrates, l'information a été gardée secrète. Officiellement, les deux heures et demie de discussions ont porté sur des points concrets, contrairement à la première séance de pourparlers, bouclée en une heure, le 22 septembre. En présence d'experts, Mme Merkel et M. Stoiber d'un côté, MM. Schröder et Müntefering de l'autre ont confronté leurs points de vue sur ce que pourrait être une politique gouvernementale commune en matière de budget public, de politique du travail et des impôts. Ces deux derniers thèmes avaient donné lieu à des joutes verbales musclées pendant la campagne électorale. L'heure est visiblement à la recherche de compromis.

Cela n'a pas empêché M. Schröder de mettre en garde contre une remise en question de "la cohésion sociale" , tandis que Mme Merkel a plaidé en faveur d'une action gouvernementale de grande ampleur, qui ne se réduirait pas au "plus petit dénominateur commun". Toujours soutenue par ses troupes en dépit du très faible résultat de la CDU, Mme Merkel a estimé que les négociations prendraient du temps. Un accord pourrait n'intervenir qu'en décembre, dit-on à la CDU.

Une troisième séance d'entretiens exploratoires doit avoir lieu en principe le 5 octobre. Entre-temps, quelque 219 000 électeurs de Dresde, dans l'est du pays, auront élu leurs députés, dimanche. Le scrutin avait dû être reporté de quinze jours dans cette circonscription, à cause du décès d'une candidate. Sauf imprévu, le résultat de Dresde ne devrait pas permettre au SPD de combler son retard de trois sièges sur la CDU/CSU.

Antoine Jacob
Article paru dans l'édition du 30.09.05


Le Monde / Régions
Loiret : de la dioxine dans des oeufs produits près d'un incinérateur
ORLÉANS de notre correspondant régional

 L e comité départemental d'hygiène du Loiret a autorisé, jeudi 22 septembre, une remise en marche provisoire de deux mois de l'incinérateur d'Arrabloy, près de Gien.

Cette installation du groupe Tiru avait été fermée à la suite des rejets anormalement élevés de dioxines, de 2 000 à 6 000 fois supérieurs à la norme européenne, qui s'étaient échappés de cette installation en 2004 (Le Monde du 6 juillet). Les traces de dioxine dans le lait des élevages environnants restent au-dessous des seuils admis.

En revanche, à la suite d'analyses ordonnées par la préfecture cet été, des taux de dioxine supérieurs aux normes préconisées pour leur commercialisation (3 picogrammes par gramme de matière grasse) ont été découverts dans les oeufs de trois poulaillers de particuliers, proches de l'incinérateur.

Il est "impossible" toutefois d'établir une relation entre ces concentrations anormales et l'installation, a indiqué un expert de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) aux membres de la Commission locale d'information et de surveillance (CLIS).

La préfecture du Loiret a donc levé la recommandation qu'elle avait faite aux riverains de ne pas consommer les produits (oeufs, volailles) de leur élevage individuel, sauf pour les propriétaires des trois poulaillers incriminés.

Certaines "pratiques locales" (des résidus de barbecue, des cendres de cheminées déversées sur le sol, des brûlages dans les jardins) pourraient aussi être responsables de la contamination des sols.

Le Centre national d'information indépendante sur les déchets (Cniid) révèle qu'une contamination identique, à la dioxine d'oeufs, aurait été mise au jour dans des poulaillers proches d'un incinérateur à Bourgoin-Jallieu (Isère) suite à des analyses pratiquées en juin 2005. La Ddass aurait recommandé aux riverains de ne plus consommer les produits de leur élevage.

Régis Guyotat
Article paru dans l'édition du 30.09.05


Le Monde / Sciences
La numérisation des livres devient automatique

 L' engin ressemble à un instrument moderne de torture. Ses victimes : les livres. Maintenus solidement immobiles par plusieurs attaches qui s'adaptent à toutes les tailles. Une lumière éblouissante est projetée sur les pages qu'une "tête à vide" tourne une à une après les avoir décollées grâce à un jet d'air sous pression. Le supplice s'arrête là.

Google Print en toile de fond

Google compte-t-il parmi les client de Kirtas ? Le PDG de l'entreprise de numérisation, Lotfi Belkhir, s'abstient de répondre. Difficile toutefois d'imaginer que la société qui a lancé, le 14 décembre 2004, l'ambitieux projet Google Print ne s'intéresse pas à cette machine. Avec elle, Google pourrait en effet accélérer la réalisation de ce qu'elle considère comme sa "mission" : rendre accessible "toute la culture du monde" . Une formule qui a agacé Caroline Wiegandt, directrice générale adjointe de la Bibliothèque nationale de France (BNF), lors de la conférence Ichim du 21 septembre.

L'ouvrage sort indemne de ce qui n'est qu'une séance de numérisation. Mieux, en quelques minutes, son contenu est enregistré, préservé pour l'éternité de l'usure du temps et bientôt à portée de clic des internautes de la planète tout entière. Transformées en pixels, ces pages vont être ensuite traduites en caractères. Si le procédé n'en est qu'à ses balbutiements, il permet déjà de numériser un ouvrage de 300 pages en moins de huit minutes contre trois heures lorsqu'on tourne les pages manuellement au rythme de 100 pages à l'heure.

Cette machine à tourner et à numériser les pages, présentée comme la plus rapide du monde, a été conçue par une toute jeune entreprise, Kirtas, fondée en juin 2001 par Lotfi Belkhir, alors directeur au Xerox Venture Labs du célèbre Palo Alto Research Center (PARC) de Xerox. La firme, riche grâce à ses photocopieurs, est célèbre pour ses multiples inventions (la souris d'ordinateur, l'interface à fenêtres et icônes, le réseau Ethernet...). Elle l'est aussi malheureusement pour son incapacité à breveter et industrialiser nombre des innovations qu'elle a produites.

La machine à numériser les livres en est une. De 1997 à 2001, Xerox a développé un "tourne-page" automatique en exploitant sa connaissance pointue du papier et de la manipulation mécanisée. Lotfi Belkhir dirigeait ce projet. Mais, confrontée à des difficultés financières, Xerox interrompt, en mai 2001, ses recherches dans ce domaine pour se recentrer sur son "coeur de métier". Lotfi Belkhir ne renonce pas et décide d'exploiter la licence exclusive cédée par Xerox.

"DES LIVRES AUX OCTETS"

"La tâche est immense. Il faut numériser 560 années de savoir...", rappelle le fondateur de Kirtas. Et de s'y atteler avec un slogan fort : "Déplacer le savoir des livres aux octets" (Moving knowledge from books to bytes, en anglais) car, pour la génération actuelle, "ce qui n'est pas numérisé n'existe pas".

A 40 ans, cet Algérien émigré aux Etats-Unis en 1987 pour y obtenir un doctorat de physique se lance dans l'aventure au pire moment. "La bulle Internet venait d'exploser. Les capitaux étaient rares." Avec l'appui de Thomas Taylor, ingénieur en chef de Kirtas après trente et un ans passés dans le traitement du papier chez Xerox, l'entreprise industrialise sa première machine, l'APT BookScan 1200. Un prix d'innovation la récompense en 2003 et les premiers prototypes sont vendus en 2004. Ils fonctionnent à 1 200 pages par heure.

Aujourd'hui, une vingtaine d'exemplaires ont été livrés à des clients comme la Northwestern University de Chicago, Logos Research Systems, spécialisé dans la Bible, Newsbank, qui numérise les documents gouvernementaux, ou la bibliothèque publique de Rochester (Etat de New York), ville où est installée Kirtas. Au 1er janvier 2006, un nouveau modèle, l'ATP BookScan 2400, doublera la cadence de numérisation. Un gain banal pour Lotfi Belkhir, spécialiste de l'"innovation radicale". "C'est notre culture d'entreprise, précise-t-il. Nous cherchons à proposer des avancées majeures."

De fait, l'ATP BookScan résout l'étonnante quantité de problèmes que pose la numérisation automatique d'un livre. Outre l'adaptation aux différentes tailles, au maintien en position face à l'appareil de prise de vue, deux opérations se révèlent délicates : décoller les pages et les tourner. Pour effectuer la première, Kirtas utilise un jet d'air sous pression sur les angles libres des pages.

La seconde est plus critique. Il faut saisir la feuille et la tourner sans jamais qu'elle n'en entraîne une autre. "Il faut surtout s'adapter à tous les types de papier et à tous les grammages", souligne Lotfi Belkhir. Grâce à l'expérience de Thomas Taylor, Kirtas a mis au point une tête sous vide au profil légèrement ondulé qui la rend efficace sur tous les types de papier.

Décollée par le jet d'air, la feuille est aspirée par la tête sous vide et l'ondulation qui lui est appliquée achève de la libérer de sa suivante. Le tout en douceur pour éviter toute dégradation d'ouvrages allant du tout-venant à l'incunable. "Nous pouvons traiter tous les livres dont il est possible de tourner les pages à la main", assure Lotfi Belkhir.

Sauf ceux dont les pages sont collées ou ceux dont la fragilité extrême requiert l'usage d'un support pour les manipuler. "Sur 3 millions de pages numérisées, seulement 3 ont été abîmées", indique le PDG de Kirtas, qui cite le travail réalisé avec succès par l'université de Toronto sur un livre très ancien : La Cité de Dieu de saint Augustin (1475).

Une fois transformée en image grâce à l'appareil photo numérique de 16,6 millions de pixels, la numérisation est loin d'être terminée. Il faut en effet transformer l'image couleur en noir et blanc et aborder l'étape délicate de la reconnaissance de caractères (OCR).

Pour cela, Kirtas a intégré à son logiciel BookScan Editor le système "le plus performant du marché" : celui de la compagnie russe Abbyy capable de traiter 177 langues différentes. La tâche, dont l'efficacité varie de 90 % à 100 % en fonction de la qualité graphique du texte, prend entre 1 et 4 secondes par page.

Mais l'opération peut être répartie sur plusieurs ordinateurs et être réalisée de nuit. Kirtas la pratique puisqu'elle s'est lancée dans l'offre de service de numérisation aux clients qui ne souhaitent pas acquérir une machine de 120 000 euros. Une manière pour elle de "construire un pont entre le vieux monde du papier et le nouveau monde du numérique".

Michel Alberganti
Article paru dans l'édition du 30.09.05


Le Monde / Sciences
Les virus de la grippe résistent davantage aux médicaments

 C ertains de la grippe résistent aux médicaments utilisés contre eux. Deux publications scientifiques – The Lancet et le New England Journal of Medicine – viennent de faire la synthèse des connaissances dans ce domaine alors que de nombreux pays industrialisés constituent des stocks massifs de l'un de ces médicaments, le Tamiflu, produit par la société Roche, pour lutter contre une possible pandémie grippale. Ces articles soulignent la prudence avec laquelle ces substances devraient être utilisées dans le cadre d'actions collectives à visée thérapeutique ou, a fortiori, prophylactique.

La première de ces publications, mise le 22 septembre sur le site de la revue médicale britannique The Lancet, est signée d'un groupe de spécialistes américains des Centers for Disease Control and Prevention (CDC) d'Atlanta dirigé par Rick A. Bright. Elle dit leur inquiétude quant à la capacité des virus à se défendre. "Nous avons été stupéfaits de trouver une telle augmen tation de la résistance aux antiviraux parmi les souches circulantes de virus de la grippe ces dernières années", remarque Rick A. Bright.

On sait que les craintes concernant une nouvelle pandémie grippale tiennent à la possible émergence d'un nouveau virus hautement pathogène. Celui-ci serait alors le fruit d'une recombinaison génétique entre le virus responsable de l'actuelle épizootie aviaire (un virus A de type H5N1) et un virus grippal humain connu de longue date des spécialistes (un virus A de type H3N2).

7 000 TESTS

En toute hypothèse, la production industrielle d'un vaccin protecteur contre l'infection par ce nouveau virus demanderait plusieurs mois. C'est dire l'importance qu'il convient d'accorder à cette autre ligne de défense que sont les quelques médicaments antiviraux actifs contre les virus de la grippe. Ces médicaments ont pour l'essentiel été utilisés chez l'homme contre des virus A de types H3N2, H1N1 ou H1N2.

Les chercheurs américains ont donc eu l'idée d'étudier l'évolution de la résistance de 7 000 isolats de virus grippaux conservés dans les centres de référence de l'OMS et au CDC d'Atlanta depuis 1994. Ils ont testé la résistance de ces agents pathogènes aux deux médicaments qui ont été largement utilisés contre eux : l'amantadine et la rimantadine, deux dérivés de l'adamantane qui semblent freiner la réplication virale au sein des cellules infectées.

Dans la publication du Lancet, ces biologistes observent que le taux moyen de résistance des virus H3N2 est passé de 0,4 % en 1994-1995 à 12,3 % en 2003-2004. Depuis 2003, ce taux a même atteint 61 % chez les virus isolés dans plusieurs pays d'Asie ! Ce phénomène semble étroitement lié à la fréquence très élevée de mutations virales observées depuis quelques années dans ces pays.

Ces conclusions devraient conduire à modifier l'usage qui est fait de la rimantadine et de l'amantadine (commercialisée en France sous le nom de Mantadix) dans les pays où les taux de résistance sont les plus élevés. L'actuel virus H5N1 étant d'autre part naturellement résistant à ces molécules, l'OMS a conseillé de faire des stocks nationaux d'autres médicaments. En particulier d'oseltamivir, commercialisé sous le nom de Tamiflu, et pour lequel on estimait jusqu'à présent que les phénomènes de résistance étaient beaucoup plus rares.

L'oseltamivir (ainsi que le zanamivir ou Relenza de GlaxoSmithKline) fait partie de la famille des inhibiteurs de la neuraminidase. Des molécules qui bloquent un récepteur permettant au virus de la grippe d'entrer dans les cellules des tissus de l'appareil respiratoire. Ces deux médicaments, commercialisés en France depuis quatre ans, constituent a priori une arme de choix dans la lutte contre un virus mutant issu de H5N1.

Dans la publication qu'elle signe dans le dernier numéro du New England Journal of Medicine daté du 29 septembre, le docteur Anne Moscona (College of Cornell University, New York) recense toutefois les premiers cas de résistance à l'oseltamivir chez des personnes infectées en Asie par le H5N1 et traitées avec cette molécule. Cette observation inquiète les virologistes et les responsables de santé publique. Tous redoutent qu'une consommation massive de ce médicament ne conduise à la perte rapide de son efficacité.

Jean-Yves Nau
Article paru dans l'édition du 30.09.05


Le Monde / Opinions
Edito du Monde
2006, année blanche

 L e gouvernement est en train de faire un pari périlleux, celui de sauter à pieds joints par-dessus les dix-huit mois qui nous séparent encore de l'élection présidentielle de 2007. La baisse des impôts, claironnée par Dominique de Villepin, ne se fera sentir qu'en 2007, avec une diminution programmée de 3,5 milliards d'euros pour le seul impôt sur le revenu. A travers le projet de budget 2006, présenté mercredi par Thierry Breton, l'année prochaine prend donc des allures d'année blanche.

Comme l'avait diagnostiqué le ministre de l'économie, "la France vit au-dessus de ses moyens" puisque, pour la première fois, l'endettement cumulé de l'Etat, de la Sécurité sociale et des collectivités locales va atteindre le seuil record de 66 % du produit intérieur brut (PIB). A l'aide de moult artifices et astuces de présentation, le projet de loi de finances 2006 est teint en rose. Le déficit public passerait juste sous la barre des 3 % (2,9 %) et les prélèvements obligatoires feraient du surplace. Mais ces perspectives paraissent tout aussi aléatoires que les projections de croissance sur lesquelles le budget est fondé. M. Breton annonce un "budget de rebond" avec une croissance de 2 % à 2,5 %, basée sur une accélération de la consommation, alors que les experts attendent au mieux entre 1,5 % et 1,8 %.

Cet optimisme est doublé d'une bonne dose de volontarisme sur la Sécurité sociale. Contrairement à l'engagement pris par Jacques Chirac, 2007 ne sera pas l'année du retour à l'équilibre pour l'assurance- maladie. La "réforme" Douste-Blazy semble avoir échoué avant même d'avoir produit ses effets. L'objectif est de ramener le déficit du régime général – qui, aux yeux de la commission des comptes, "dépasse en gravité et bientôt en durée - la situation - que la France avait connue au milieu des années 1990" – de 11,5 milliards à 8,9 milliards d'euros en 2006. Pour la seule assurance-maladie, l'effort à faire sera de 5 milliards !

La difficulté pour M. de Villepin, en jouant le moyen terme, est qu'il y a des foyers d'incendie qu'il lui faut éteindre dès aujourd'hui. Or la méthode du premier ministre, qui avait jusqu'à présent démontré une certaine efficacité, connaît quelques ratés. On l'a vu dans l'affaire Hewlett-Packard.

La démonstration est encore plus éloquente avec la gestion calamiteuse du dossier de la SNCM. Après avoir fait donner l'assaut par le GIGN au Pascal-Paoli, piraté par le Syndicat des travailleurs corses (STC), M. de Villepin a recherché l'apaisement en recevant Bernard Thibault. En affirmant à sa sortie qu'"il y a encore des possibilités de discuter", le secrétaire général de la CGT a laissé entendre que le montage financier de la privatisation pourrait revenir à... la case départ.

S'il ne veut pas laisser s'installer cette impression de flottement, le premier ministre qui devrait être confronté le 4 octobre à une importante mobilisation syndicale, va devoir recadrer l'action gouvernementale et retrouver l'efficacité première de sa méthode.

Article paru dans l'édition du 30.09.05

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jacklittle ♦ 29.09.05 | 20h48 ♦ Cher SUE,nos analyses respectives se rapprochent très nettement,je voulais surtout faire ressortir que malheureusement notre Pays est sur une pente déclinante et,qu'il faudrait très rapidement tout faire pour inverser cette tendance.Quant à l'imputation,dixit FDMLDP,il paraît certain qu'elle est très largement partagée.I l serait sage de faire table rase de ce passé pour ,très vite,tout faire pour faire de la politique autrement,que seul l'intérêt général soit traité en toute première priorité.
Sue ♦ 29.09.05 | 18h53 ♦ Cher Jack Little, je comprends votre exaspération devant les maladies de langueur bien françaises mais pensez aussi que l'outil d'évaluation ne donne qu'une approximation.Disons que la France pourrait mieux faire mais elle se complait dans ses rigidités centralisatrices , elle n'est capable de régionaliser que chez nos voisins (elle a contribué à créer la RFA). Pendant combien de décennies va -t-on évoquer la régionalisation en promettant de la faire, mais sans la faire ? O tempora ...
decerebrer ♦ 29.09.05 | 18h07 ♦ Exemples de recettes connues de tous: 1/ travailler plus 2/ ne pas penser que la santé est un droit gratuit OK OK je ne serai pas élu !
FDMLDP ♦ 29.09.05 | 18h00 ♦ Du constat de gravité des difficultés à leur imputation à tel ou tel, il y a tout simplement la justice: Aucune solution n'set bonne face aux problèmes rencontrés par D.de V. Qui peut prouver que cet enlisement progressif n'est pas AUSSI la conséquence des années pouvoir de gauche, de l'inféodation électorale du PS à son calamiteux allié, et par là même de sa soumission, des années durant, au diktat du syndicat communiste, la CGT? D'accord pour la fuite en avant, mais de quand la dater?
jacklittle ♦ 29.09.05 | 16h36 ♦ Pardon d'abuser :le classement du WORLD ECONOMIC FORUM vient d'être publié:la FRANCE est classée 30ème contre à la 27ème en 2004.Le déclin se poursuit,dans ce classment de la compétitivité des Nations: FINLANDE 1ère,USA 2ème,SUEDE 3ème,JAPON 12ème,GB 13ème,ALLEMAGNE 15ème. Malheureusement cela suffit. Excusez-moi SUE .
jacklittle ♦ 29.09.05 | 16h06 ♦ N'en déplaise à SUE ,nous sommes très loin d'être une société sans difficultés,ce serait plutôt le contraire,sans être pessimiste,ni même ne vouloir voir que d'un côté de la lorgnette,nous constatons avec quasiment l'ensemble des experts conjoncturistes que notre pays depuis plus de 10 ans est en net recul quant à son rang sur l'échiquier des grandes nations développées.Donc,il est dommageable de perdre 18 mois pour mettre en oeuvre des réformes de fond dans bien des domaines.De l'action,POINT.
Caroline B. ♦ 29.09.05 | 15h46 ♦ Il semble en effet que les politiques de gauche ou de droite réalisent à chaque préparation de budget un numéro d'illusionniste. Un seul mot d'ordre : la fuite en avant. Au prochain de règler la dette et tant pis si les caisses se creusent...Comment ensuite blâmer les gens qui se surendettent, ils ont un si bel exemple à la tête du pays...
Sue ♦ 29.09.05 | 14h39 ♦ A vous lire on croirait que quelles que soient les modalités de négociation, le gouvernement ne peut qu'avoir tort.Votre religion semble faite par avance, c'est le fameux refrain: tout va mal en France.Seul le déclin semble bien se porter dans notre pays.Déjà le romantisme se complaisait dans l'évocation d'un âge d'or au temps de la construction des cathédrales.Votre manière d'aborder le réel en faisant comme si une société sans difficultés pouvait exister laisse pantois.


Le Monde / Opinions
Point de vue
La fin annoncée de l'impôt républicain, par Liêm Hoang-Ngoc

 L our répondre au malaise exprimé le 29 mai dans les urnes, le gouvernement entendait renouer avec le "patriotisme économique" afin de soutenir une "croissance sociale". Il risque pourtant de ternir l'un des emblèmes du lien social républicain par une réforme de l'impôt sur le revenu (IR) qui anoblit les privilèges des nouveaux rentiers. Emblème de la rupture avec le régime censitaire, l'IR est un attribut essentiel de la citoyenneté par lequel le financement de la politique publique est assuré par chacun, en fonction de sa faculté contributive.

C'est ce principe de progressivité de l'impôt que les théories libérales "de l'offre" préconisent d'abattre. Elles défendent le principe d'une flat tax , c'est-à-dire un taux d'imposition unique, assis sur une assiette large, qui s'applique à tous les revenus imposables. Riches et pauvres paieraient le même impôt proportionnel, au nom de la récompense de "l'effort" (des rentiers !) et parce que, pour les néoconservateurs, "trop d'impôt tue l'impôt."

Outre-Rhin, Angela Merkel proposait ainsi au cours de sa campagne électorale un taux unique à 25 %, assorti d'une réduction drastique des dépenses publiques.

Le système français est déjà faiblement redistributif, en raison du poids des prélèvements proportionnels (tels que la TVA) et du faible rendement de l'IR, le seul qui soit progressif mais qui ne rapporte que 17 % des recettes fiscales. La réforme proposée par Dominique de Villepin ne propose pas une flat tax, mais réduit encore la progressivité de l'impôt sur le revenu, déjà entamée par la réforme Balladur (faisant passer le nombre de tranches de 11 à 6), puis par la baisse des taux marginaux accomplie par les gouvernements Jospin et Raffarin.

La nouvelle réforme fait passer le nombre de tranches de 6 à 4, tout en réduisant encore substantiellement les taux marginaux moyens et supérieurs – le taux de la tranche la plus élevée est abaissé à 40 %, comme en Grande-Bretagne. La réforme bénéficie un peu plus aux revenus moyens, mais surtout aux revenus supérieurs qui paient l'impôt sur la fortune. Le principe du plafonnement de la fiscalité directe à 60 % du revenu rend ce dernier totalement inopérant.

Cette baisse de l'impôt de "ceux d'en haut" doit être compensée par un relèvement de la prime pour l'emploi (PPE) pour "ceux d'en bas" . La PPE fut d'ailleurs créée par le gouvernement de Lionel Jospin afin de distribuer un crédit d'impôt aux salariés non imposables. Cela en contrepartie des baisses d'impôts octroyées aux classes moyennes et supérieures.

La terminologie même de la PPE est résolument libérale. Celle-ci entend inciter les chômeurs à accepter les emplois non qualifiés, tout en dédouanant les entreprises d'augmenter les salaires. Elle est l'embryon d'un "impôt négatif" octroyé dans le cadre des politiques de discrimination positive à destination des travailleurs pauvres, sommés d'accepter les conditions d'un marché du travail dérégulé. En revanche, la PPE n'apporte aucun supplément de revenu aux chômeurs, culpabilisés de refuser des emplois que l'économie, mal pilotée, est incapable de créer. Notons qu'il est aujourd'hui piquant de voir tous ses promoteurs, au PS, en réclamer la suppression et prôner la progressivité de l'impôt !

Des socialistes libéraux accomplis comme Tony Blair ne désavoueraient pas, pour leur part, les réformes en cours, au nom de l'efficacité économique. Dans le manifeste qu'il cosignait, en 1999, avec Gerhard Schröder, il proclamait ainsi que "les sociaux-démocrates admettent aujourd'hui que, si les circonstances le permettent, les réformes fiscales et la baisse de l'impôt peuvent jouer un rôle primordial". La réforme fiscale est aussi justifiée par le gouvernement Villepin au nom de la nécessité de relancer l'économie. Celle-ci souffre d'une panne de croissance due à la baisse du pouvoir d'achat, qui pousse les ménages à se contenter d'importations bon marché, et à la crise de l'investissement. Les erreurs de la Banque centrale européenne (BCE), puis le troisième choc pétrolier, pèsent de surcroît sur la compétitivité et la demande européennes.

Face à ce type de marasme, la baisse de la progressivité de l'impôt sur le revenu est malheureusement une erreur économique classique. En premier lieu, elle ne relancera pas le pouvoir d'achat populaire, principal moteur de la consommation, car elle distribue 3, 5 milliards de deniers publics en direction des classes aisées, celles dont la propension à épargner est la plus forte. L'épargne, dont le taux est historiquement élevé, pourrait certes alimenter l'investissement par le canal de la Bourse.

Malheureusement, la montée des profits, des dividendes et de l'épargne a coïncidé avec la poursuite de la tendance baissière de l'investissement, amorcée lors de la dernière décennie. Ce n'est pas parce que les entreprises peuvent s'autofinancer qu'elles investissent, surtout si leurs actionnaires écartent de nombreux projets stratégiques ne rapportant pas la rentabilité requise sur le très court terme.

Le théorème d'Helmut Schmidt, "les profits d'aujourd'hui sont les investissements de demain et les emplois d'après-demain" doit par conséquent être inversé : "Les profits d'hier sont l'épargne d'aujourd'hui et le chômage de demain". La baisse de l'impôt sur les sociétés, recommandée en complément par les "experts" du Conseil d'analyse économique, serait alors tout aussi inutile.

Dans ce contexte, la montée de l'endettement de l'Etat n'est en aucun cas due à un excès de dépenses publiques ! Elle résulte de la panne de croissance qui réduit mécaniquement des rentrées fiscales, de surcroît entamées par les baisses de prélèvements dont le coût a été chiffré à 22 milliards d'euros sur la période 2003-2005 !

La droite gaulliste a depuis longtemps rompu avec le gaullisme social forgé au sein du Conseil national de la Résistance. Son faux patriotisme économique est doublement dangereux. Il nourrira la décroissance antisociale et ouvrira la voie aux pires populismes lorsqu'il sera avéré au grand jour que le néogaullisme affiché par le premier ministre n'est que le cache-sexe politiquement correct du néoconservatisme anglo-saxon brandi par son concurrent du même camp.


Liêm Hoang-Ngoc est maître de conférences à l'université Paris-I.

par Liêm Hoang-Ngoc
Article paru dans l'édition du 30.09.05

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Cyrille Z. ♦ 29.09.05 | 20h17 ♦ "Liberté, égalité, fraternité". Pour belle qu'elle soit, cette devise... n'est qu'une devise justement. Pas une "vérité simple". Demandez donc aux milliards d'huamins non français (allez, je vais aller plus loin : non occidentaux) ce qu'ils en pensent, vous serez surpris. Et sûrement encore plus heureux que cette devise soit la notre, même si elle est difficile à appliquer. Mais n'en faites pas une vérité, même simple, surtout au sujet d'une thèse économique !!
Massoud M. ♦ 29.09.05 | 19h15 ♦ Ce point de vue me conforte dans l'idée que l'économie se construit grâce à une agrégation de forces diverses. On a fini par faire croîre que l'Etat est un énémi, que commun à tous est une hérésie. On a même fait admettre que le pauvre est mieux protégé lorsque le riche paie moins d'impôt. Bref, les libéraux de gauche et de droite vendent l'individualisme vulgaire en prétendant que chacun y trouvera son compe. M. Liêm Hoang-Ngoc rappelle une vérité simple : Liberté<Egalité< Fraternité. Heureux!
JEAN FRANCOIS M. ♦ 29.09.05 | 18h45 ♦ Effectivement, pour un non-spécialiste, ce texte semble décrire une tendance lourde, observable depuis plusieurs années.La mondialisation libérale triomphante impose progressivement non seulement ses pratiques économiques, mais aussi ses valeurs qui se substituent en douceur à celles, plus égalitaires et plus solidaires, des démocraties traditionnelles.Toutes les réformes, notamment fiscales pronées par le pouvoir vont dans ce sens, même quand elles se camouflent sous une présentation flatteuse!
LibertéEquitéSolidarité ♦ 29.09.05 | 14h32 ♦ Du keynésianisme vulgaire et d'une autre époque. A aucun moment n'est mentionné le fait que la France est une économie totalement ouverte et un acteur parmi d'autres du processus de globalisation. La contrainte extérieure limite notre liberté de choix budgétaires. Dire qu'une hausse du pouvoir d'achat éloignerait les consommateurs des produits importés à bas prix vers les produits "made in France" est une assertion qui demande à être justifiée ! Maginot seul pourra sauver l'impôt républicain !


Le Monde / Opinions
Point de vue
Quand la loi devient l'instrument d'une émotion, par Bertrand Mathieu

 À  l'issue d'une rencontre avec trois victimes d'agresseurs sexuels récidivistes, le ministre de la justice, Pascal Clément, a annoncé qu'il voulait introduire dans une proposition de loi "antirécidive", dont il a été lui-même coauteur en tant que député, la rétroactivité du port du bracelet électronique pour les délinquants sexuels, et ce malgré un "risque d'inconstitutionnalité" . Plus que stupéfiants, ces propos sont d'une gravité qu'il convient de souligner.

Il ne s'agit pas ici de discuter de l'opportunité des moyens utilisés pour lutter contre les récidivistes en matière de crimes sexuels, ni de se prononcer sur le principe même du bracelet électronique, mais de s'attacher à la démarche qui peut conduire un ministre à demander aux parlementaires d'adopter un texte inconstitutionnel. Le malaise est encore plus tangible lorsque ce même ministre qui, du fait de ses fonctions joue un rôle spécifique dans le respect des lois de la République, menace par avance les parlementaires qui éprouveraient la tentation de saisir le Conseil constitutionnel de l'opprobre de l'opinion.

Le port du bracelet électronique, imposé par une juridiction de jugement, constitue par sa nature même une sanction, une punition. Or selon les termes de l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, "nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit et légalement appliquée" . Le principe de non-rétroactivité en matière pénale est un des principes les plus fondamentaux et les plus constants de notre ordre juridique. Il est la marque de la lutte contre l'arbitraire. C'est ici que se place le "risque d'inconstitutionnalité" qu'évoque prudemment le garde des sceaux.

Son raisonnement est le suivant : "Le texte que je propose d'adopter est susceptible de violer les règles les plus fondamentales de notre ordre juridique, je vous demande cependant de les voter et de faire en sorte que cette violation ne puisse être sanctionnée par le juge constitutionnel."

Comment un membre du gouvernement, par ailleurs juriste et ancien président de la commission des lois de l'Assemblée nationale, respecté dans ces deux fonctions, est-il amené à déraper ainsi ? L'un des éléments à prendre en considération tient sans doute aux dérives qui affectent le droit et plus spécifiquement la loi. Cette dernière n'a plus essentiellement pour objet de poser des règles générales, mais de répondre aux attentes immédiates de l'opinion. La loi devient l'instrument d'une réaction émotionnelle ou compassionnelle à un événement qui frappe l'opinion. Faute de pouvoir s'attaquer aux causes du mal ou de maîtriser les dérives, les politiques procèdent par loi d'affichage, par lois-slogans. Souvent inefficaces, de telles lois tombent rapidement en désuétude, au risque de la dévalorisation de la notion même de loi. Lorsqu'elle met en cause des principes fondamentaux, cette réponse est non seulement inadaptée, mais inacceptable. Il ne s'agit pas tant de dénoncer une logique sécuritaire qu'une logique démagogique et populiste qui ne peut que dévaluer la notion même d'Etat de droit.

Cette attitude, qui vise à contourner le contrôle de constitutionnalité, démontre également, s'il en est encore besoin, la nécessité de renforcer les instruments institutionnels permettant au Conseil constitutionnel de veiller à ce que le législateur respecte l'équilibre entre protection des droits et libertés individuelles et la garantie de l'intérêt général tel qu'il résulte de la Constitution.

Personne ne peut nier la nécessité de lutter contre la récidive et de protéger les victimes potentielles. Personne ne doit sous-estimer le danger considérable que représenterait la banalisation d'un viol conscient et assumé des principes et des mécanismes qui garantissent les droits et les libertés des citoyens.


Bertrand Mathieu, professeur à l'université Paris-I, est directeur du centre de recherches en droit constitutionnel.

par Bertrand Mathieu
Article paru dans l'édition du 30.09.05

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Giuseppe ♦ 29.09.05 | 21h43 ♦ Quant un étudiant corrige un professeur... C'est l'article 8 de la DDHC qui consacre le principe de non rétroactivité des lois répressives et non le 9, comme il est dit dans l'article. Le garde des sceaux ferait mieux d'aller garder les moutons et de laisser les sceaux à quelqu'un d'autres, à moins que Chirac, - garant du respect de la Constitution (article 5 de la Constitution française - ne soit derrière cette violation manifeste de la loi fondamentale, un comble...
François B. ♦ 29.09.05 | 18h51 ♦ Sauf à faire dire au droit international n'importe quoi (et surtout ce que l'on veut), la définition du crime contre l'humanité ne correspond pas à celle de Cl. Courouve, ni Raphaël. Cette assimilation est simpliste et inepte. Il n'est pas question de nier un traumatisme, mais de respecter le droit. La déclaration de Pascal Clément est lamentable, votre analogie également.
Naïm Q. ♦ 29.09.05 | 18h06 ♦ Le viol est un crime grave mais de là à l'assimiler au terrorisme comme le fait Raphaël il y a un énorme pas à franchir! De plus, quelle que soit la gravité du crime, rien ne peut justifier la rétroactivité des lois, dans la mesure où elle pourrait donner lieu à de graves atteintes à la liberté. Et comment un ministre (de la Justice qui plus est!) peut-il appeler les citoyens à respecter la loi quand lui-même effreint la Constitution et les Droits de l'Homme en toute connaissance de cause??
B. B. ♦ 29.09.05 | 17h19 ♦ On arrête de dire n'importe quoi ! j'ai moi failli être tué, et je vous assure que sans nier la souffr. des violé(e)s c'était, c'est aussi traumatisant. Mais faire de tout un crime contre l'humanité, c'est tuer cette notion. Violer est un crime, monstrueux. Il ne l'est contre l'humanité que quand il s'applique à un groupe ethnique, par exemple, en masse. Alors que la loi prévoie le bracelet, OK. Mais pour les "nouveaux" criminels, à l'issue d'une nouvelle loi, pas rétroactivement.
Cl. Courouve ♦ 29.09.05 | 17h18 ♦ A Guil : je ne militais pas, j'envisageais la possibilité de.
Raphaël ♦ 29.09.05 | 16h35 ♦ c'est une très bonne idée d'assimiler le viol à un crime contre l'humanité et d'ainsi pouvoir appliquer la rétro-activité du port du bracelet. La menace de viol cause une angoisse structurelle chez les femmes, qui ont toutes, un jour ou l'autre, et probablement plusieurs fois dans leur vie, été dans une situation de danger de viol. Cette menace injuste, anonyme et aléatoire ressemble à la menace terroriste.
Guil ♦ 29.09.05 | 16h32 ♦ Par rapport au commentaire précédent: si on considèrait le viol comme un crime contre l'humanité parcequ'il se commet sur une victime humaine, alors il en irait de même pour tout crime contre un humain (meurtre, agression physique, etc...). Ca n'aurait plus aucun sens. Les personnes qui militent pour étendre aux crimes sexuels la définition du crime contre l'humanité font exactement ce qui est dénoncé dans cet article: instrumentalisation de l'émotion.
Cl. Courouve ♦ 29.09.05 | 15h31 ♦ La loi pénale, en principe, n'est pas rétroactive, mais il y a deux exceptions. L'une pour la poursuite des crimes contre l'humanité, commis avant leur définition en droit français, l'autre pour l'imprescriptibilité de ces crimes contre l'humanité, elle aussi rétroactive. La femme est-elle un être humain ? Si l'on répond "oui", on pourrait envisager de définir le viol comme un crime contre l'humanité, et de chercher à lever, dans la répression de ce crime, l'obstacle de la non-rétroactivité.


Le Monde / International
Le Fatah devance le Hamas lors de la troisième phase des municipales en Cisjordanie

 L e Fatah du leader palestinien, Mahmoud Abbas, a devancé les radicaux du Hamas, lors de la troisième phase des élections municipales, organisée en Cisjordanie, jeudi 29 septembre.

Le parti au pouvoir a remporté 65 des 104 conseils municipaux en jeu – sur un millier au total en Cisjordanie – contre 22 pour le Hamas et 17 pour les autres factions, a annoncé le directeur exécutif de la Haute Commission pour les élections locales. La participation était de 85%. Les résultats définitifs sont attendus samedi.

Des commentateurs ont toutefois minimisé la portée politique des résultats, affirmant que des facteurs d'ordre "clanique" ont largement contribué à fixer les choix des électeurs. "Le facteur tribal joue un rôle primordial. L'enjeu premier, ce sont les services municipaux promis par les différents candidats, et la dimension politique n'est pas présente à l'esprit des électeurs", affirme l'analyste politique Zakaria Al-Qaq. "Les résultats ne peuvent pas servir d'indicateur en vue des élections législatives", prévues en janvier et auxquelles le Hamas participera pour la première fois, ajoute-t-il. Selon lui, la dernière phase des élections municipales, prévue en décembre dans les grandes villes de Cisjordanie et de la bande de Gaza, "aura une portée politique plus importante".

Lors des deux premières phases, entre décembre et mai, le Hamas, qui participait pour la première fois à une élection, avait réalisé de très bons scores face au Fatah. Ce succès a été vu d'un mauvais œil par Israël, opposé à l'entrée du mouvement radical dans les institutions palestiniennes.

FLAMBÉE DE VIOLENCE

Si les municipales se sont pour l'essentiel déroulées sans encombre, la récente flambée de violence en Cisjordanie ne connaît pas de répit. Ainsi, deux activistes des Brigades des martyrs d'Al-Aqsa ont été tués et un troisième grièvement blessé avant l'aube, lors d'un accrochage avec des soldats israéliens dans le camp de réfugiés de Balata, dans le Nord. L'armée israélienne a affirmé que ses soldats, venus arrêter des activistes palestiniens présumés, avaient ouvert le feu en riposte à des tirs palestiniens. Tsahal a procédé à seize interpellations lors de son incursion, selon des sources sécuritaires palestiniennes.

Quelques heures plus tard, un enfant palestinien de 13 ans a été tué par des soldats israéliens dans le camp de réfugiés voisin d'Askar, selon des témoins et des sources hospitalières. Interrogée par l'AFP, une source militaire israélienne a indiqué qu'"une patrouille de l'armée a essuyé des coups de feu et y a riposté sans pouvoir dire si ses tirs ont fait des victimes".

Les derniers décès portent à 4 840 le nombre de personnes tuées, dont une grande majorité de Palestiniens, depuis le début de l'Intifada en septembre 2000, selon un décompte de l'AFP.

L'Autorité palestinienne a condamné l'incursion israélienne à Balata, qui fait suite à une opération similaire jeudi, lors de laquelle trois activistes ont été tués à Jénine, et ce malgré l'arrêt, mardi, des tirs de roquettes depuis Gaza, à l'origine de l'offensive de Tsahal. "Cette grave agression israélienne risque de provoquer l'effondrement de la trêve", a déclaré à l'AFP le négociateur palestinien en chef, Saëb Erakat. Un chef des Brigades d'Al-Aqsa a promis lors des funérailles des deux activistes tués que son groupe "ripostera sévèrement à ces assassinats", et qu'il n'était plus tenu par la trêve informelle en vigueur depuis janvier.

Avec AFP et Reuters
LEMONDE.FR | 30.09.05 | 18h30


Le Monde / International
En Algérie, l'opposition conteste le taux de participation record au référendum

 L' adoption à plus de 97% du projet de charte pour "la paix et la réconciliation nationale" traduit "la confiance" des Algériens envers le président Abdelaziz Bouteflika, a estimé le ministre de l'intérieur, Yazid Zerhouni. Mais le taux annoncé de presque 80% de participation est fortement mis en doute par l'opposition.

Ce référendum sur la concorde civile "a fini comme il a commencé, dans la bouffonnerie", a estimé, vendredi 30 septembre, Saïd Saadi, le secrétaire général du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), l'opposition laïque. "Selon nos estimations, le taux de participation a été multiplié par quatre", a précisé M. Saadi, ajoutant que "depuis 1962 [NDLR: date de l'indépendance], l'Algérie est dans une perpétuelle fraude. Maintenant, elle est privée de sa mémoire, après avoir été privée de ses biens".

M. Saadi a indiqué qu'en Kabylie, qui s'est abstenue à près de 90%, "des lycées ont été remplis de personnes amenées d'ailleurs par des militaires" pour participer au vote. "Ce n'est que lorsqu'il y a eu un début d'émeute que ces personnes ont été retirées", a-t-il précisé, se demandant si "une fraude de plus (...) va régler les problèmes" de l'Algérie.

"PLUS DE 71% À ALGER, C'EST INHABITUEL"

Ce taux de 80% "dépasse l'imaginaire", a estimé, vendredi, Bélaïd Abrika, le leader charismatique des aârchs, les tribus kabyles. "Ce résultat était attendu, ce n'est pas une surprise pour nous. Mais ce qui m'étonne le plus, c'est le taux d'Alger, plus de 71%, c'est inhabituel pour la capitale", a-t-il ajouté.

Evoquant l'abstention à près de 90% de la Kabylie, région en fronde avec le pouvoir central, M. Abrika a estimé que "c'est une réponse cinglante au discours de Bouteflika à Constantine". Lors d'un meeting, le 22 septembre, le président algérien avait en effet affirmé que "la seule langue officielle [de l'Algérie] est l'arabe". M. Abrika a affirmé que "s'il n'y avait pas eu la provocation de ce discours, les Kabyles auraient été plus nombreux à se déplacer aux urnes". "La Kabylie n'a jamais été contre la paix", a-t-il fait valoir.

"GROS MENSONGE"

Ali Laskri, le premier secrétaire du Front des forces socialistes (FFS), parti d'opposition, déclare, quant à lui, que "ce taux est un gros mensonge. Il ne reflète pas du tout la réalité du terrain et le comportement traditionnel des électeurs algériens. Le pouvoir a une nouvelle fois fraudé". M. Laskri a ajouté que ce scrutin n'était en réalité qu'un "référendum-plébiscite" car "le pouvoir a tout fermé durant la campagne référendaire", interdisant "tout débat contradictoire" sur la réconciliation nationale. "Tous ceux qui ont prôné le boycott du scrutin ou le rejet du projet présidentiel n'ont pas pu exprimer leur point de vue sur la réconciliation nationale", proposée par le président Abdelaziz Bouteflika, a-t-il dit. "L'objectif de ce projet est d'absoudre tous les crimes", a-t-il affirmé, ajoutant que "c'est une réconciliation entre les responsables de la crise", qui ne veulent pas "de vérité et de justice", avant un éventuel pardon.

Avec AFP
LEMONDE.FR | 30.09.05 | 16h54


Le Monde / International
En Algérie, les islamistes du GSPC restent sourds à l'offre de paix
ALGER de notre envoyée spéciale

 C ombien sont-ils à continuer de défier le pouvoir et à refuser de déposer les armes ? Il est impossible de le savoir avec exactitude. Les autorités algériennes parlent de 300 à 1 000 individus. La charte présidentielle "pour la paix et la réconciliation" , soumise jeudi 29 septembre à référendum, ne semble pas, en tout cas, avoir entraîné jusque-là de nombreuses redditions. Elle propose pourtant l'extinction des poursuites judiciaires contre les combattants "qui mettraient fin à leur activité armée" , à l'exception de ceux "impliqués dans des massacres collectifs, des viols ou des attentats à l'explosif dans des lieux publics".

Six ans après la "concorde civile" qui avait permis à 6 000 islamistes armés de réintégrer la vie civile en bénéficiant de l'impunité, le président Bouteflika propose ce qu'il appelle "un vaccin de rappel", dans l'espoir de mettre fin à "l'effusion de sang" qui endeuille l'Algérie depuis plus de dix ans et a déjà fait quelques 150 000 morts, des milliers de disparus et un million et demi de réfugiés.

Si certains éléments de la base du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) sont tentés de saisir cette main tendue et attendent, dit-on, l'entrée en vigueur de cette amnistie partielle pour déposer les armes, le commandement du GSPC, lui, reste inflexible.

"Non au dialogue. Non à la trêve. Non à la réconciliation." Le fameux "triple non" du GSPC est toujours à l'ordre du jour. "Le GSPC a changé. Il est passé d'une guérilla politique à un djihad religieux. Il campe sur des principes et n'accepte plus la moindre discussion avec le pouvoir. Celui-ci a beau le supplier de renoncer à la lutte armée et assurer ses combattants qu'ils seront accueillis à bras ouverts, eux ne veulent rien entendre. C'est un dialogue de sourds", explique Fayçal Oukaci, spécialiste des mouvements armés au quotidien algérien L'Expression.

BRAQUAGES DE BANQUES

Fortement implanté dans certaines régions, en particulier le secteur de Boumerdès et celui de Tizi Ouzou, à une soixantaine de kilomètres à l'est de la capitale algérienne, le GSPC continue de sévir presque quotidiennement. A l'approche du référendum du 29 septembre, il a même multiplié les embuscades comme autant de défis lancés au régime. Depuis le début de septembre, cinquante personnes sont encore mortes dans des violences en Algérie.

"La grande force du GSPC, c'est qu'il dispose de relais en ville, des gens à qui il offre des salaires et même du travail et qui braquent pour lui des banques et des postes. Ces attaques sont si fréquentes que la presse n'en parle même plus. Leurs auteurs sont des jeunes d'une vingtaine d'années qui ne croient pas nécessairement au djihad mais qui croient à l'argent !", rapporte encore Fayçal Oukaci. Selon lui, le GSPC "continue de recruter" sans peine, tant les injustices sociales perdurent dans le pays. Aussi, il ne croit en aucun cas à "une cascade de redditions" au lendemain du référendum, comme certains hauts responsables algériens en ont fait le pari.

Dernier des groupes armés en activité, le GSPC est né en 1998 d'une scission des Groupes islamiques armés (GIA). Il s'en prend essentiellement aux forces de sécurité (militaires, gendarmes, garde-communaux...) mais on lui attribue aussi la longue prise en otages de trente-deux Européens, en 2003, dans le Sahara algérien. Deux de ses sites Internet viennent d'être fermés, ce qui rend d'autant plus difficile de démêler dans les informations qui circulent sur son compte la part d'intoxication et celle de vérité.

Le GSPC est-il affilié au mouvement Al-Qaida d'Oussama Ben Laden ? Les autorités algériennes l'affirment. Les services de renseignement français accréditent cette thèse, tandis que plusieurs spécialistes des groupes armés la démentent catégoriquement.

Florence Beaugé
Article paru dans l'édition du 30.09.05


Le Monde / International
Trois questions à Ali Yahia Abdenour

 A li Yahia Abdenour, vous êtes avocat et président d'honneur de la Ligue algérienne de défense des droits de l'homme. Pourquoi ce référendum en Algérie et, surtout, pourquoi maintenant ?
Le président Bouteflika en a besoin. Il n'a rien pu faire pendant son premier mandat, et dix-huit mois se sont déjà écoulés depuis le début du second. Il voit bien qu'il est essoufflé. Il s'attend à un plébiscite. Ensuite, il pourra dire : "Voici ce que le peuple a voulu !" Bouteflika prépare en réalité un autre référendum pour 2008, qui lui permettra de modifier la Constitution, de briguer un troisième mandat, et, pourquoi pas, la présidence à vie. Comme tous les régimes arabes, le régime algérien est une monarchie républicaine, voire transmissible !

Quelle lecture faites-vous de la charte qui est soumise à référendum ?
Le but du président Bouteflika est exclusivement de renforcer son pouvoir personnel. Il s'est débarrassé de l'armée organique, mais pas de la Sécurité militaire, avec laquelle il a conclu un accord que l'on peut résumer à peu près ainsi : "Je suis votre chef mais je vous suis !" L'armée a commis des crimes contre l'humanité. Farouk Ksentini -président du Conseil consultatif des droits de l'homme, nommé par le président Bouteflika- a reconnu lui-même qu'il y avait eu 6 146 disparus, enlevés par les forces de sécurité. Or la charte disculpe à présent ces mêmes services de sécurité ! Elle tente d'imposer le pardon sans passer par la justice. Nous, nous voulons la paix par la justice.
Cette charte n'amènera pas la paix parce qu'il s'agit, une fois encore, d'une solution sécuritaire, non politique. Toutes les tentatives précédentes – loi sur la rahma (miséricorde) de 1995, concorde civile de 1999, grâce amnistiante de 2000 – n'ont pas ramené la paix. Il y aurait une solution : une conférence nationale, avec tout le monde, y compris les islamistes. Seule la démocratie peut sauver l'Algérie.

Peut-on mesurer la popularité du Front islamique de salut (FIS, dissous) aujourd'hui ?
Le FIS est aujourd'hui totalement éclaté. Aussi, je parlerais plutôt d'islam politique. Celui-ci a des racines profondes en Algérie, or il ne se retrouve ni dans le Mouvement de société pour la paix (MSP) ni dans celui d'El-Islah, de Djaballah -deux partis islamistes agréés par le pouvoir-. Celui qui représente le mieux, aujourd'hui, la base de l'islam politique, c'est, à mon avis, Ali Belhadj -ex-numéro deux du FIS-, y compris pour les jeunes.
Le remède aux problèmes de la population ne réside pas dans les ersatz de faux partis islamiques qui ne parviennent pas à occuper le terrain. S'il y avait demain une élection libre, Ali Belhadj l'emporterait. Rien n'a vraiment changé en Algérie. Le peuple est fatigué mais pas apaisé.

Propos recueillis par Florence Beaugé
Article paru dans l'édition du 30.09.05


Le Monde / International
Grogne au Salon du livre d'Alger, suspendu deux jours par décret présidentiel pour cause de référendum
ALGER de notre envoyée spéciale

 À  la suite d'un décret présidentiel, le 10e Salon international du livre d'Alger, organisé du 21 au 30 septembre, a été contraint de fermer ses portes pendant quarante-huit heures, mercredi et jeudi, à la veille et le jour même du référendum pour "la paix et la réconciliation nationale" . Cette interruption forcée a été annoncée alors que le Salon avait déjà commencé et que les éditeurs étrangers, arabes et français, étaient arrivés sur place.

Dans les pavillons du Palais des expositions, tapissés de photos du président Bouteflika et d'affiches appelant à voter "oui", la décision de supprimer deux des dix jours de la foire a provoqué le mécontentement des professionnels. "Cette mesure casse la dynamique du Salon. Il n'est pas sûr que le public revienne après un tel arrêt", proteste Fatiha Soal, présidente de l'Association des libraires algériens, coorganisatrice du Salon. Les horaires d'ouverture ont été prolongés le soir pour compenser le manque à gagner mais la clientèle familiale et le grand public se déplacent peu en soirée, dans cette ville où la vie nocturne reste marquée par la peur.

"Bouteflika tient à mobiliser le maximum de gens pour son référendum" , affirme Sid Ali Sekheri, directeur de la librairie El-Ghazali à Alger, qui anime au Salon les débats du café littéraire. "Nous avons reçu ce décret comme un tsunami qui a emporté les animations prévues." Mardi, à la veille de la fermeture, le libraire a ainsi enchaîné 7 débats pour sauver plusieurs rencontres, comme celle qui était initialement programmée, mercredi, autour de l'oeuvre d'Albert Camus.

Directeur de l'ambitieuse maison d'édition Barzach, Sofiane Hadjadj estime que la décision trahit le peu d'intérêt des pouvoirs publics à l'égard de la politique culturelle. "Ils pensent que les problèmes majeurs de l'Algérie sont ailleurs. Certes, le pays souffre encore des blessures ouvertes ces dernières années, mais cela n'empêche pas d'avoir une vision culturelle et une réflexion sur la place du livre."

Pour les exposants étrangers, les deux jours d'inactivité imposée sont pure perte. "C'est une catastrophe, d'autant que les meilleures ventes se font le jeudi -premier jour du week-end algérien-", déplore Safi Ala Edinne, directeur des éditions Canaan, à Damas, une maison qui publie en arabe les oeuvres de Claude Lévi-Strauss, Roland Barthes ou Jacques Derrida. "C'est la première fois que je viens au Salon d'Alger. Entre l'omniprésence des vendeurs de livres religieux et cette fermeture imprévue, je conserverai une image décevante de cette foire."

Catherine Bédarida
Article paru dans l'édition du 30.09.05


Le Monde / International
Près d'Alger, le référendum "pour la paix" n'a pas mobilisé les foules
BOUFARIK, AOUCH GROS, LARBÂA (plaine de la Mitidja) de notre envoyée spéciale

 L' école est vide. Le nombre des assesseurs dépasse celui des votants. Dans une salle de classe aux murs couleur vert pâle, cinq jeunes filles tiennent un bureau de vote. Assises côte à côte sur de petites chaises d'écolier, face à une longue table de bois, les préposées à la tâche semblent s'ennuyer ferme. "Depuis ce matin, ça commence à faire long", soupire l'une. "Peut-être que les femmes viendront voter en fin d'après-midi après avoir fini leurs tâches ménagères", glisse l'autre. "Seuls 25% des inscrits ont fait le déplacement", finit par avouer la troisième. Arrive le chef de centre. D'un oeil furibond, il intime à la petite troupe l'ordre de se taire. Fin de la récréation.

"Oui massif", selon un officiel algérien

Les électeurs algériens se sont prononcés, jeudi 29 septembre, à une très large majorité en faveur de la "charte pour la paix et la réconciliation" visant à refermer la page de la guerre civile, selon un haut responsable proche du gouvernement s'exprimant sous couvert de l'anonymat. "On se dirige à l'évidence vers un oui massif de la population à ce référendum", a-t-il affirmé, jeudi soir, à l'agence Reuters. Les résultats du scrutin devaient être annoncés vendredi, lors d'une conférence de presse convoquée en milieu de matinée par le ministre de l'intérieur, Yazid Zerhouni, qui a indiqué, jeudi soir, peu après 22 heures (heure locale), à la télévision publique, que le taux de participation tournait autour de 79,49%. Selon lui, la participation la plus forte (98,49%) a été relevée à Khenchela, à 500 km au sud-est d'Alger, et les villes touchées par le terrorisme auraient, selon lui, connu des participations record. "Alger, qui habituellement vote faiblement, a enregistré une participation de 71,83%, qui constitue un record pour la capitale comparativement à toutes les autres consultations", a encore déclaré M. Zerhouni. Les plus faibles taux de participation auraient été enregistrés à Tizi Ouzou (11,40%) et à Bejaia (11,55%), les deux principales villes de Kabylie. – (Reuters, AFP.)

On ne se bouscule pas, en ce jeudi après-midi 29 septembre, dans les bureaux de vote de la Mitidja, plaine agricole située aux portes d'Alger, cible privilégiée des islamistes armés pendant la "décennie de sang" (les années 1990). Voici venu le jour de dire oui ou non à la "charte pour la paix et la réconciliation nationale" du président Abdelaziz Bouteflika. Les gens ne savent pas très bien pour qui ni pour quoi ils sont appelés à voter. La plupart imaginent qu'on leur demande s'ils sont "pour ou contre la paix". Chacun met ce qu'il veut derrière cette idée.

Les services de sécurité sont omniprésents. Dans chaque centre, on encadre les visiteurs de très près. Il faut s'écarter pour espérer recueillir des confidences. "J'ai voté pour. Ma soeur a voté contre. Nos enfants, eux, se fichent de ce référendum, raconte une femme d'une soixantaine d'années, ancienne "moudahidate" (combattante de la guerre d'indépendance): tant que les jeunes n'auront pas de travail, pas de logement, pas de loisirs, et qu'ils subiront les tracasseries de cette administration qui nous emmerde tous, ils ne seront pas motivés pour l'Algérie."

La rue principale de Boufarik, 80 000 habitants, est pavoisée de guirlandes en l'honneur de "la paix et la réconciliation nationale" et du président Bouteflika. Cette ancienne petite ville coloniale réussirait presque à avoir un air de fête si l'entretien des chaussées et des trottoirs ne laissait autant à désirer.

Arrive une camionnette. Elle se gare en face d'un bureau de vote désert. Portes ouvertes, les occupants – quatre hommes en pantalon blanc bouffant, chemises immaculées, calotte et gilet rouge bordeaux – se mettent à jouer bruyamment de la gheita (flûte longue) et de la grosse caisse. C'est la "zorna tekertek" de Boufarik, groupe folklorique local tenu par quatre frères, les Doumi, qui animent d'habitude les fêtes de mariage et de circoncision de la ville. "Voici le jour de la réconciliation. Nous sommes joyeux !" s'exclame le flûtiste, en prenant l'air d'un boute-en-train. Sa mission: faire le tour des bureaux de vote pour "mettre de l'ambiance" et attirer le chaland. Est-il là en service commandé et, si oui, sur ordre de qui ? "Pas du tout. Nous sommes des bénévoles et faisons cela de notre propre initiative", assure-t-il, l'air offusqué. Avant de refermer les portes coulissantes de sa fourgonnette et de voler au secours d'un autre bureau de vote, il se lance avec entrain dans un air d'Enrico Macias ("Au talon de ses souliers", précise-t-il). Les votants se font toujours désirer. A l'heure de la fermeture du centre, on ne dépassera pas les 25% d'inscrits.

Bien que mal entretenu, Aouch Gros, du nom d'un riche propriétaire de l'époque coloniale, a gardé un certain charme. Ce lieu-dit, proche de Boufarik, compte quelque 4 000 habitants répartis sur plusieurs fermes imposantes, mais presque en ruines. C'est ici qu'est née l'idée des "patriotes", ces volontaires qui ont prêté main-forte aux forces de sécurité pendant les années de guerre.

"TRIANGLE DE LA MORT"

A Aouch Gros, on se souvient avec gratitude de Selmani, héros local qui a formé des centaines de "patriotes" avant d'être tué, en 1996, par ceux qu'il combattait. "Nous ne nous sentons toujours pas en sécurité dans le secteur. On continue d'avoir peur. Ça peut dégénérer comme avant, dit un jeune agriculteur, l'air soucieux: le référendum ? Je le trouve totalement artificiel. C'est pourquoi je le boycotte. Quant aux ex-terroristes, je vais vous dire ce que j'en pense: ce sont des déchets de la société et ils ne sont pas recyclables." Avant de s'éloigner, l'homme s'indigne du fait que "les gens, ici, sont si pauvres qu'ils mangent des herbes -des blettes sauvages- comme des animaux, alors que l'Algérie vend son pétrole à 70 dollars ! "

Larbâa fait partie, elle aussi, de ce périmètre à hauts risques longtemps surnommé le "triangle de la mort". Plus encore qu'à Boufarik, le dénuement saute aux yeux. Trottoirs et chaussées défoncés. Ordures multiples. Eclairage défaillant... Cette localité de 60 000 habitants n'a même pas tenté de se mettre au diapason de la "fête des urnes". Les "gens du maquis" – comme on les appelle quand on craint de dire "les terroristes" – effectuent aujourd'hui encore des raids dans les quartiers excentrés. Le 26 septembre 2001, une famille fêtait le mariage de sa fille aînée sur les hauteurs de Larbâa. Une dizaine de terroristes déguisés en militaires se sont invités à la fête. Ils ont demandé de l'eau. Mounir, 13 ans, le petit frère de la mariée, a apporté des verres. Les invités surprises ont alors ouvert le feu. Bilan: 22 morts, (dont Mounir), ainsi que le père et le frère du marié et un bébé de trois semaines.

Quatre ans après ces "noces de sang", la mère de Mounir, les larmes aux yeux, confie qu'avec son mari et leur fils aîné, elle est allée voter le matin même en faveur de l'amnistie proposée par le président Bouteflika. A-t-elle donc pardonné aux assassins de son jeune fils ? "Jamais ! Jamais je ne leur pardonnerai ! Mais je veux qu'ils descendent du djebel -montagne- et qu'ils cessent de nous menacer, ma famille et moi. C'est cela, ce que j'appelle "voter pour la paix !""

Florence Beaugé
Article paru dans l'édition du 01.10.05


Le Monde / Société
Les biologistes français ne peuvent toujours pas mener des recherches scientifiques à partir d'embryons humains

 L e conseil d'Etat n'a pas commencé l'examen du projet de décret d'application de la loi de bioéthique du 6 août 2004, qui définit les conditions dans lesquelles les biologistes français seront autorisés à mener des recherches sur les embryons humains et les cellules souches. La toute nouvelle Agence de biomédecine, qui a désormais la responsabilité de l'ensemble des activités de procréation, d'embryologie et de génétique humaines, avait adressé ce texte à la haute juridiction avant les vacances d'été.

Un premier rapporteur avait été nommé mais n'est plus en charge du dossier, aujourd'hui, et aucun autre rapporteur n'a encore été nommé au sein de la section sociale que préside Raphaël Hadas-Lebel. Cette situation inhabituelle pénalise les équipes françaises qui souhaitent se lancer dans ce nouveau domaine de recherche, tenu pour hautement prometteur. Le décret ne devrait pas être publié avant la fin du mois de novembre et les travaux ne pourront pas débuter avant 2006.

Dès la fin mai, un projet de décret, alors classé "confidentiel", avait été rédigé (Le Monde du 1er juin). Ce document établissait notamment une distinction entre les "études" et les " recherches" pouvant être menées sur des embryons humains. Il prévoyait que l'Agence de biomédecine évaluerait la "pertinence scientifique" des protocoles scientifiques ainsi que les conditions de leur mise en oeuvre "au regard des principes éthiques et de leur intérêt pour la santé publique".

Le projet de décret précisait d'autre part qu'"aucune information susceptible de permettre l'identification du couple ou du membre survivant du couple à l'origine des embryons faisant l'objet de l'étude ou de la recherche ne doit être communiquée aux responsables de ces travaux ".

Il annonçait l'interdiction de l'importation de cellules embryonnaires prélevées sur un embryon humain in vitro créé par clonage à des fins scientifiques ou thérapeutiques, les recherches ne pouvant être menées en France que sur des embryons conçus in vitro – dans le cadre d'une activité de procréation médicalement assistée – puis conservés par congélation et ne s'inscrivant plus dans le cadre d'un projet parental.

"CAFOUILLAGE"

"Tant que le décret n'est pas publié, nous ne sommes pas autorisés à engager les véritables recherches que nous souhaitons mener, déplore Marc Peschanski, l'un des biologistes les plus impliqués dans ce domaine. Cette situation est proprement inacceptable."

Il y a un an, "un dispositif transitoire avait certes été mis en place, avec une commission ad hoc qui a pu donner à quelques équipes des autorisations d'importations de lignées de cellules embryonnaires humaines", admet-il. "Mais en pratique, enchaîne Marc Peschanski, ce système ne fonctionne plus."

Rien ne permet de comprendre les raisons de ce que certains, à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), qualifient de "cafouillage". Faut-il y voir la conséquence de simples lenteurs administratives ou, au contraire, la volonté du Conseil d'Etat de freiner l'application de la loi dans un domaine particulièrement sensible d'un point de vue éthique ? " Il faut se souvenir en effet que c'est le Conseil d'Etat, par la voix de son vice-président Renaud Denoix de Saint Marc, qui, en juin 2001, s'était opposé à la légalisation de la pratique du clonage à visée thérapeutique, rappelle Marc Peschanski. Une initiative qui avait alors conduit Lionel Jospin à retirer cette pratique de son avant-projet de loi de révision des lois de bioéthique de 1994."

Au Conseil d'Etat, on indiquait, jeudi 29 septembre, qu'il ne fallait voir dans ce retard que la conséquence de problèmes "d'organisation interne".

Jean-Yves Nau
Article paru dans l'édition du 01.10.05


Le Monde / France
La Fondation Jean-Jaurès décortique les lointaines racines du non français

 L' issue du référendum sur la Constitution européenne, le 29 mai, était prévisible car "largement inscrit dans le résultat du 21 avril 2002". Telle est la théorie qu'expose le démographe Hervé Le Bras, dans un livre collectif Le jour où la France a dit non, publié par la Fondation Jean Jaurès et Plon et rendu public le 8 octobre (153 pages, 10 euros).

En projetant les scores du premier tour de l'élection présidentielle et le choix pour le oui et le non des seize candidats, M. Le Bras a calculé que le résultat aurait été de 56,3% pour le non, soit un niveau très proche de celui, près de 55%, enregistré le 29 mai. "Il ne s'est pas produit une cassure, une mutation, ni une prise d'on ne sait quelle conscience, écrit-il. Le vote non a simplement précisé ce qui s'était déjà exprimé lors du premier tour de l'élection présidentielle."

Mais le chercheur va plus loin. Dans le chapitre "La mémoire des territoires" qu'il a rédigé dans cet ouvrage auquel ont participé 8 autres rédacteurs, il décrypte le clivage entre régions pauvres et riches. Et retrouve la trace du non en remontant le temps, dans l'empreinte laissée par le Parti communiste sur certaines villes comme dans le clivage laïc-religieux d'autrefois.

"Dès le premier vote au suffrage universel de 1848, relève-t-il, les candidats de gauche Raspail et Ledru-Rollin obtiennent le plus de suffrages dans ces futures régions du non et le candidat des droites, Cavaignac, dans celles du oui". En poussant son raisonnement, la bataille du référendum aurait opposé les jacobins aux girondins, "ceux qui attendent un salut de Paris et de la nation à ceux qui sont déjà intégrés dans les mailles d'un tissu de métropoles européennes."

INQUIÉTUDE SUR L'EMPLOI

Chercheur au Centre d'étude de la vie politique (Cevipof), Vincent Tiberj s'est consacré aux clivages sociologiques. Pour lui, la "base sociale du oui s'est considérablement rétrécie"  si on la compare à celle du traité de Maastricht, en 1992. Les inquiétudes concernant l'emploi, notamment, ont tout emporté. Ainsi, souligne M. Tiberj, dans la catégorie des ouvriers et employés de gauche et "ninistes", ni de droite, ni de gauche, "le non trouve avant tout ses racines dans la peur sociale, le souv erai nisme est secondaire et la défiance envers le système marginale."  En revanche, pour les ouvriers et employés de droite, "le repli national prime, devant la peur sociale et la sanction du gouvernement."

Les analyses politiques, exclusivement réservées à des partisans du oui proches de Dominique Strauss-Kahn, sont plus tranchées. Alain Bergounioux, secrétaire national au PS, s'alarme de "la montée en puissance d'une idéologie néocommuniste". Le député de Paris Jean-Christophe Cambadélis, qui décrit "pourquoi le non a été irrésistible" en dix actes, insiste sur le "remords français" du 21 avril 2002. "La préférence française, à défaut d'une Europe protectrice, ajoute-t-il, est devenue le non-dit dominant." Pour Dominique Strauss-Kahn, à qui revient le soin de conclure, il existe clairement un responsable. "Laurent Fabius, écrit-il, a brouillé le message des socialistes, donné une caution de respectabilité au non, et au final, opéré un dégrèvement de culpabilité pour de nombreux électeurs hésitants".

Isabelle Mandraud
Article paru dans l'édition du 01.10.05


Le Monde / International
L'idée d'un site international de stockage des déchets nucléaires progresse

 E nfouir en Australie les déchets nucléaires du monde entier: telle est la proposition provocante lancée par l'ancien premier ministre australien Bob Hawke lors d'une réunion à Sydney, mardi soir 27 septembre. Sur la télévision australienne ABC, M. Hawke, qui a dirigé le gouvernement de centre-gauche entre 1983 et 1991, a précisé que l'Australie pourrait accueillir les déchets nucléaires "de tous ces pays qui pensent qu'ils n'ont pas la capacité de les stocker de manière sûre".

Selon lui, "l'Australie dispose des formations géologiques les plus sûres. Vous pouvez y creuser de grandes mines en profondeur, vitrifier le matériel et l'enfouir. Il sera en plus grande sécurité qu'en tout autre endroit du monde." Pour M. Hawke, les Australiens ont "une responsabilité morale à faire cela", tandis que les revenus tirés des importations permettraient de "révolutionner l'économie".

L'idée a suscité une vive controverse sur le "sixième continent". Et la proposition de M. Hawke a peu de chances d'être adoptée rapidement par l'Australie, qui ne parvient déjà pas à trouver un site pour stocker ses propres déchets faiblement radioactifs. En 1998, le gouvernement de Melbourne avait refusé le projet d'un consortium privé, Pangea Resources, de créer un site international dans le pays.

Mais il ne s'agit pas seulement d'un débat australien. L'idée d'un stockage international des déchets nucléaires commence à être avalisée. Lundi 26 septembre, devant l'assemblée générale de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), le secrétaire des Etats-Unis à l'énergie, Samuel Bodman, a déclaré que son pays était prêt à fournir du combustible aux pays et à le reprendre lorsqu'il aurait été utilisé.

La proposition a été approuvée le lendemain par Alexander Rumyantsev, chef de l'Agence russe de l'énergie atomique. Elle suppose une gestion internationale du combustible irradié, à laquelle la Russie est très favorable: elle a adopté une loi, en 2002, permettant l'importation de combustible usé pour le stocker sur son territoire, en Sibérie.

Cette approche multilatérale a été lancée fin 2003 par le secrétaire général de l'AIEA, Mohamed ElBaradei, lorsqu'il a déclaré: "Nous devrions considérer des approches internationales pour la gestion et le stockage du combustible usé et des déchets radioactifs". L'AIEA a publié, en octobre 2004, un rapport examinant les possibilités de développer des "sites multinationaux de déchets radioactifs".

De son côté, la Commission européenne encourage une gestion commune des déchets des petits pays, tels que la Belgique, la Slovénie, la République tchèque, les Pays-Bas, la Lituanie, etc. Ceux-ci ne disposent pas de site d'enfouissement sur leur territoire. Ils en cherchent un en commun, au sein d'un nouveau programme dit Sapierr (Support Action: Pilot Initiative for European Regional Repositories), lancé en décembre 2003 et inclus dans le 6e programme de recherche de la Commission.

La recherche d'un site international de stockage, ou d'un réseau de sites répartis sur les différents continents, découle de deux logiques.

D'une part, dans presque tous les pays, les propositions d'enfouir les déchets nucléaires dans un endroit précis rencontrent l'opposition des populations locales. Plutôt que chaque pays se heurte à ces difficultés, l'implantation dans un seul pays au monde ou par continent serait plus facile à opérer.

D'autre part, la crainte du terrorisme nucléaire pousse à un contrôle international du combustible usé. "L'approche multilatérale est beaucoup mieux acceptée depuis septembre 2001", note Charles McCombie, directeur d'Arius, une association suisse impliquée dans Sapierr. La dissémination de matériaux radioactifs dans de nombreux pays du monde pourrait en effet donner lieu à des détournements.

Enfin, la frontière entre nucléaire civil et militaire est toujours plus mince: "Une grande partie des techniques impliquées est à usage dual", a écrit M. ElBaradei dans un article de The Economist paru en octobre 2003: par exemple, il est difficile de justifier les restrictions à l'exportation d'une technologie qui pourrait être utilisée pour la séparation du plutonium quand le même équipement est vital pour produire des radio-isotopes utilisés en médecine."

La lutte contre la prolifération suppose ainsi de prévenir le retraitement de combustible usé dans les pays équipés de réacteurs nucléaires. D'où la formule développée par l'Agence de fourniture de combustible prêté et repris après usage, que les Etats-Unis et la Russie viennent d'avaliser.

Hervé Kempf
Article paru dans l'édition du 01.10.05


Le Monde / Sciences
Au Congo, les gorilles des plaines préfèrent parfois l'outil à la force

 L a plupart des singes anthropoïdes emploient toutes sortes d'objets pour en faire des outils rudimentaires. Ainsi, les chimpanzés de la forêt de Taï (Côte d'Ivoire) cassent des noix en les frappant avec des pierres sur des enclumes de bois ou effeuillent de minces tiges qu'ils plongent dans les termitières pour en extraire les "habitants". Mais, jamais encore, on n'avait observé dans la nature l'utilisation d'outils rudimentaires par des gorilles alors qu'on l'avait constaté chez des individus hébergés par des zoos. Les gorilles, disait-on, n'avaient pas besoin de tels artifices car, plus forts que leurs cousins, ils peuvent briser les noix avec leurs dents et détruire les termitières avec leurs mains pour accéder aux insectes.

Des observations menées en octobre et novembre 2004 dans la forêt marécageuse de Mbeli Bai, située dans le parc national Nouabalé-Ndoki au nord de la République du Congo, ont mis fin à ces certitudes infondées. A deux reprises, des chercheurs de la Wildlife Conservation Society (WCS), du parc de Nouabalé-Ndoki et du Max Planck Institute for Evolutionary Anthropology de Leipzig (Allemagne) ont photographié des gorilles de plaine (Gorilla gorilla ) utilisant un bâton comme outil. Ces témoignages peuvent être consultés gratuitement à partir du samedi 1er octobre sur le site de PLoS Biology (www.plosbiology.org). Ils seront dans la version papier de la revue en novembre.

La première fois, expliquent les scientifiques dirigés par Thomas Breuer de la WCS, ce fut lorsqu'une femelle appelée Leah – appartenant à un groupe observé depuis 1995 – voulut traverser un grand trou d'eau formé par les éléphants. Rapidement, l'animal se retrouve avec de l'eau à mi-corps. Elle en ressort, brise une branche d'un arbre mort et s'en sert pour mesurer la profondeur du trou jusqu'à une distance de dix mètres. Constatant que le trou est trop profond, elle retourne sur la rive, récupère son petit qui pleure et contourne l'obstacle pour aller se nourrir d'herbes aquatiques.

La seconde observation a été effectuée sur une femelle nommée Efi appartenant à un autre groupe. Les chercheurs ont cette fois remarqué qu'Efi détachait une branche d'un arbre mort, s'appuyait dessus de sa main gauche pour se stabiliser dans une zone marécageuse et pouvait ainsi, de la droite, ramasser des plantes aquatiques. Puis, à l'aide de ses deux mains, elle a placé la grosse branche sur le sol détrempé pour se déplacer dessus à quatre pattes.

"Pour nous, c'est une découverte stupéfiante, explique Thomas Breuer. L'utilisation d'outils chez les grands singes nous apporte des informations sur l'évolution de l'outillage dans l'espèce humaine. Le détecter pour la première fois chez les gorilles est important à plusieurs titres." Ainsi, ce comportement témoigne-t-il peut-être "d'une adaptation à des conditions environnementales particulières", les abords de la forêt de Mbeli Bai étant souvent inondés.

Marie-Claude Bomsel, vétérinaire et professeur au Muséum national d'histoire naturelle, se réjouit de cette étude, qui "permet de revaloriser l'intelligence des gorilles", que certains considèrent comme des brutes. Or, "ces anthropoïdes doux et massifs sont les plus attachants des grands singes", insiste la spécialiste.

La plupart des travaux sur l'intelligence des primates – chimpanzés et orangs-outans – ont été effectués en laboratoire. Ce qui n'a jamais pu être réalisé avec les gorilles, "qui sont extrêmement effrayés par le regard humain, beaucoup plus que les chimpanzés. De plus, émotifs et très introvertis, ils sont très difficiles à garder en captivité en raison de leur stress non apparent", ajoute Mme Bomsel.

Les grands zoos étrangers, qui disposent de moyens supérieurs à ceux de leurs homologues français dans ce domaine, parviennent à les garder en vie en les installant dans un espace vaste. Mais, comme les autres singes anthropoïdes, ils sont menacés, car dans leur milieu naturel, en raison de leur poids (200 kg), ils sont souvent chassés comme viande de brousse. Et aussi par des braconniers qui proposent aux touristes des mains et des crânes en souvenir.

Christiane Galus
Article paru dans l'édition du 01.10.05


Le Monde / International
Visite très encadrée chez des gouverneurs soudanais sûrs de leur bon droit
AL-FASHER, NIYALA (ouest du Soudan) de notre envoyé spécial

 "L a communauté internationale exagère l'importance des rebelles [au Darfour] et leur prête plus d'influence qu'ils n'en ont. Ils sont moins de 10 000. La paix s'impose peu à peu et les personnes déplacées regagnent leurs villages. Les autorités respectent les droits de l'homme. Tout le monde est égal devant la loi. Il n'y a ni purification ethnique ni génocide au Darfour." Osman Mohammed Kibir n'est pas du genre à afficher des états d'âme. Gouverneur de l'immense province du Darfour nord, ce général a été envoyé à Al-Fasher, il y a près de deux ans, pour reprendre la situation en main après une audacieuse opération qui avait permis, en avril 2003, aux rebelles de l'Armée de libération du Soudan (ALS) de prendre brièvement le contrôle de la capitale de la région.

Depuis, l'ordre règne à Al-Fasher et le gouverneur, en recevant, fin septembre, une poignée de journalistes étrangers, fait montre d'une assurance qu'aucune question ne peut entamer. Enfoncé dans un large fauteuil, des bouquets de fleurs artificielles posés devant lui, le général répond tranquillement aux représentants du "premier pouvoir dans le monde".

La sécurité dans la province ? "Malgré des vols de bétail et de voitures, et la présence de quelques "coupeurs de route"", elle est globalement assurée depuis la signature d'un cessez-le-feu [en avril 2004]. Mais les dissensions entre les deux mouvements rebelles nous créent quelques problèmes." Le sort des quelque 2 millions de déplacés – sur une population évaluée à 6 millions – comptabilisés par les organisations non gouvernementales au Darfour ? "Ils ont commencé à retourner chez eux."

Les liens entre les militaires soudanais et les "janjawids", ces miliciens coupables d'exactions contre les populations civiles ? "Les janjawids sont des brigands qui écument la région depuis toujours. L'armée n'a jamais été à leurs côtés ; elle les combat."

Le général gouverneur a sa grille de lecture des événements du Darfour. Là où la communauté internationale dénonce une politique programmée d'élimination de tribus "africaines" du sud et du centre du Darfour par des tribus "arabes" soutenues par le régime, le représentant de Khartoum voit une querelle banale entre nomades et sédentaires, qui a éclaté en 2000 avant de dégénérer. La création de l'ALS n'aurait été, selon le gouverneur, qu'un instrument pour attirer l'attention des médias étrangers, politiser le conflit et en faire porter la responsabilité au régime. Et pour les journalistes qui n'auraient pas bien compris la leçon, le gouverneur a prévu un dossier de presse exhaustif. Il y est longuement question des "efforts du gouvernement pour une solution pacifique", mais guère des exactions commises par les troupes gouvernementales et leurs alliés.

VAINES PROMESSES

Dans ce Soudan où le pouvoir en place depuis seize ans restreint les déplacements des médias, M. Kibir avait promis aux journalistes qu'ils pourraient travailler librement à Al-Fasher, que les portes de l'un des trois camps de déplacés leur seraient ouvertes, bref, qu'ils pourraient "toucher de près la réalité". De fait, le programme officiel parlait d'une "visite" à Al-Fasher.

Ce n'étaient que vaines promesses. La visite du campement de toiles et de ses 50 000 déplacés s'est résumée en fait à une traversée rapide des lieux sous bonne escorte. Et les "discussions" à un entretien dépourvu d'intérêt avec le directeur des lieux.

Quant à rencontrer des représentants d'ONG, cela s'est vite révélé impossible: la "visite" du camp avait été opportunément reprogrammée un vendredi, jour de repos hebdomadaire au Soudan.

Aurait-on davantage de chances à quelques centaines de kilomètres de là, à Niyala, la capitale de la province du Darfour sud ? Pas davantage. Niyala est pourtant la "vitrine" de la crise humanitaire qui sévit au Darfour. Près de 250 000 personnes, dont une majorité de femmes et d'enfants, s'y entassent dans des camps de réfugiés, selon les autorités. De Kofi Annan, le secrétaire général des Nations unies, à Colin Powell, l'ancien secrétaire d'Etat américain, aucune personnalité étrangère en visite au Darfour ne peut faire l'économie d'une visite de quelques heures à Niyala. Les Nations unies y ont déployé toutes leurs agences, douze au total.

Les ONG ne sont pas en reste. Quarante d'entre elles ont pignon sur rue dans la zone (sans compter une dizaine d'ONG soudanaises). Une concentration jamais vue de mémoire de travailleur humanitaire. "Avec une personne déplacée pour trois habitants le Darfour est une crise humanitaire sans équivalent", commente, plus tard, à Khartoum, la chef de mission d'une ONG.

Ce n'est pas la vision du gouverneur de la province du Darfour sud. Sur le même mode que son homologue d'Al-Fasher, Ata Al-Manan préfère mettre l'accent sur "l'amorce de retour des réfugiés" – que contestent les organisations humanitaires sur place – et sur "l'amélioration de la situation sur le terrain militaire du fait de la réconciliation entre tribus".

Le gouverneur Al-Manan est conscient que des crimes ont été commis au Darfour. Il a entendu parler "par la presse" de l'existence d'une liste de 51 personnes, dont une majorité de responsables du régime, susceptibles d'être poursuivies devant la Cour pénale internationale (CPI). Mais il dit tout ignorer des noms qui y figurent. Lui-même ne sait pas s'il est l'un des 51 suspects... ce qui, vérification faite, n'est pas le cas.

"Si j'en fais partie, j'irai me présenter devant la justice soudanaise. Elle est capable de traiter ces questions. Pas besoin d'aller devant une cour étrangère", conclut le gouverneur. La "visite" au Darfour était terminée avant même d'avoir commencé.

Jean-Pierre Tuquoi
Article paru dans l'édition du 02.10.05


Le Monde / International
Roland Marchal, chargé de recherche au CNRS et rédacteur en chef de la revue "Politique africaine"
"Le Tchad ne peut pas espérer sortir indemne de la crise"

 C omment analysez-vous l'attaque menée au Tchad, le 26 septembre, par des miliciens "janjawids ?
Ces janjawids [miliciens arabes] portaient des uniformes de l'armée soudanaise au moment de l'attaque. Or le gouvernement s'est engagé, depuis l'été 2004, à les démobiliser. Pourquoi ne pas l'avoir fait ? Et, puisqu'ils portaient des uniformes, qui les commande ? Les chefs de l'armée soudanaise ? Quant à savoir pourquoi certains ont décidé d'exporter les violences au Tchad, il faut peut-être y voir une réponse à l'amélioration des relations entre Idriss Déby[le président tchadien] et l'un des deux mouvements rebelles du Darfour, le Mouvement pour la justice et l'égalité (MJE). Peut-être a-t-on voulu punir Idriss Déby ? Quoi qu'il en soit, il est clair que le Tchad ne peut pas espérer sortir indemne de la crise au Darfour. Les troubles vont s'exporter chez lui.

Pourquoi parlez-vous d'amélioration des relations entre M. Déby et le MJE ?
Au départ, lors des négociations de paix entre les autorités de Khartoum et les rebelles du Darfour, sous les auspices de l'Union africaine, la neutralité d'Idriss Déby n'avait cessé d'être contestée par les deux mouvements rebelles, qui l'accusaient d'être trop proches de Khartoum. Or aujourd'hui les rebelles n'expriment ce genre de critique.

Le Tchad est-il menacé de déstabilisation ?
En 2004, il y a eu plusieurs tentatives de coup d'Etat au Tchad, dont une, au printemps, qui a manqué d'emporter le président. Mais, si l'on peut craindre une déstabilisation, elle viendra, me semble-t-il, de l'intérieur du régime. L'ambiance est délétère à N'Djamena, avec un chef de l'Etat qui a tout verrouillé en termes de pouvoirs. L'autre inconnue porte sur le comportement de l'ethnie du président, les Zaghawas, face au conflit au Darfour. Les Zaghawas sont présents au Tchad et au Darfour, où ils constituent une bonne part des appareils militaires des deux groupes armés qui combattent Khartoum.

Le régime de Khartoum ne va-t-il pas être tenté de jouer la carte anti-Déby ?
En avril 2005, le président tchadien avait accusé Khartoum d'armer et d'organiser 3 000 de ses opposants au Darfour pour faire pression sur lui et l'amener à pratiquer une politique encore plus favorable aux intérêts soudanais. On en est resté là. Idriss Déby veut sans doute conserver de bonnes relations avec Khartoum, mais il doit aussi composer avec une partie des Zaghawas qui soutiennent les mouvements rebelles du Darfour. Or les Zaghawas sont des pièces maîtresses dans l'appareil militaire et sécuritaire d'Idriss Déby.

Au Nigeria, Khartoum négocie avec les mouvements rebelles un plan de paix. Croyez-vous à un possible accord ?
Il faut bien comprendre que la situation se dégrade, y compris sur le plan diplomatique. Les mouvements rebelles, dont le plus important, l'Armée de libération du Soudan (ALS), sont aujourd'hui désorganisés, et donc incapables de mener des négociations véritables. C'est un frein à une solution négociée. Par ailleurs, sur le terrain, les services de renseignement militaires soudanais n'ont pas vraiment changé de politique. Ils continuent à armer, à encadrer les janjawids. Loin de se stabiliser, l'insécurité grandit au Darfour. Certes, nous n'assistons plus aux affrontements de 2003 et de 2004, mais à un banditisme et à une constellation d'incidents qui empêchent toute normalisation.

Avec quelle issue, en fin de compte ?
Il y a des éléments encourageants: l'installation d'un gouvernement d'unité nationale à Khartoum, il y a une dizaine de jours ; l'implication du nouveau vice-président, Salva Kiir ; et la volonté de la communauté internationale de peser davantage sur les négociations de paix d'Abuja. On devrait avancer.

Dans la partie est du Soudan, un autre foyer de déstabilisation existe. Pensez-vous qu'il constitue une menace pour le régime ?
Le conflit dans l'est du Soudan est né de revendications anciennes, comme au Darfour. Il tire aussi ses racines de la volonté de l'Erythrée de ne pas être marginalisée dans le nouvel ordre régional. L'Erythrée, aujourd'hui, se voit comme un pays encerclé par des Etats hostiles. Les Erythréens, en aidant les rebelles de l'est du Soudan, veulent montrer qu'ils sont indispensables à l'instauration d'une paix véritable dans ce pays.

Au total, l'impression se dégage d'un pays miné par des problèmes d'intégration. Le Soudan vous apparaît-il comme un Etat viable, malgré tout ?
Au-delà des crises, il ne faut pas sous-estimer ce qui lie les Soudanais entre eux et ce qui les distingue des autres pays de la région. On ne sort pas d'une guerre civile aussi longue – vingt et un ans pour le sud du Soudan – en un jour. Un sentiment national soudanais qui dépasse les clivages ethniques demeure possible. La paix, fragile, est là. Le processus politique aussi. Je suis optimiste pour la suite.

Propos recueillis par J.-P. T.
Article paru dans l'édition du 02.10.05


Le Monde / International
La diplomatie à l'épreuve du regain de violences au Darfour

 L a violence qui sévit au Darfour est en train de gagner le Tchad, pays voisin de la vaste province de l'ouest soudanais. Le 26 septembre, une attaque contre le village tchadien de Madayoun a fait 75 victimes, pour l'essentiel des civils, selon le dernier bilan publié vendredi 30 septembre. Les témoignages recueillis sur place et les déclarations du président tchadien, Idriss Déby, laissent peu de doute sur l'identité des agresseurs. Ce sont des janjawids, des miliciens soudanais à la solde de l'armée soudanaise. Jusqu'à présent, les autorités de Khartoum sont restées silencieuses face aux accusations de N'Djamena.

Idriss Déby: sauver la stabilité de région

"Il faut impérativement résoudre le conflit -au Darfour- dans un délai raisonnable, sinon il faut craindre que cette guerre ne devienne comme celle des Grands Lacs. Elle pourrait déborder et mettre à mal la stabilité de toute la sous-région", estime le président tchadien, Idriss Déby, dans l'édition de samedi 1er octobre du Figaro.

"Ce conflit a déjà eu des répercussions pour nous, comme pour tous les pays voisins. Nous avons été les premiers, avant que la communauté internationale et l'Union africaine se réveillent, à nous inquiéter de cette guerre. Nous l'avons longtemps gérée seuls, avec l'aide de la France. C'est un sujet très sensible pour nous. En plus des morts, [nous] devons supporter 250 000 réfugiés", ajoute le chef de l'Etat tchadien, qui séjourne actuellement en France.

En revanche, les réactions sont nombreuses dans la communauté internationale, d'autant qu'une autre attaque, qualifiée de "sans précédent" par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), a eu lieu, mercredi 28 septembre, contre un camp du nord-ouest du Darfour. Trente-quatre personnes auraient été tuées.

Qu'elle vienne du secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, de l'Union africaine (UA) ou de l'Union européenne (UE), la condamnation des violences est assortie d'une recommandation: faire en sorte, malgré tout, que se poursuivent les pourparlers de paix, qui ont repris à la mi-septembre à Abuja, au Nigeria, entre les mouvements rebelles du Darfour et les autorités soudanaises

Les organisations internationales ont également évité jusqu'ici de mettre en cause nommément les janjawids. "Une enquête est en cours", a déclaré un porte-parole de l'UA.

Les janjawids renvoient à l'histoire mouvementée du Darfour, une province dépourvue de richesses et laissé en déshérence par Khartoum, où cohabitent des éleveurs et des nomades (6 millions de personnes au total). Tous sont musulmans, mais certaines tribus sont "arabes" et d'autres, qui se prolongent au Tchad, "africaines". Celles-ci réunissent plutôt des cultivateurs ; celles-là des nomades.

Depuis les grandes famines des années 1980, synonyme de raréfaction des ressources, les affrontements entre "Arabes" et "Africains" sont récurrents. Des guerres locales ont même eu lieu, mais dans l'indifférence de la communauté internationale.

AUTONOMIE RÉELLE

La situation a changé en 2001 lorsque, à la suite d'incidents impunis, les tribus "africaines" ont été convaincues que les tribus "arabes" et les milices janjawids qui en sont issues pratiquaient une politique de "nettoyage ethnique" avec l'appui des forces armées de Khartoum. D'où, à partir de 2003, la création de deux mouvements de résistance, le Front de libération du Darfour dirigé par un avocat, Mohamed Nour, et le Mouvement pour la justice et l'égalité (MJE) du docteur Ibrahim Khalil. Et une escalade de la violence qui aurait fait, selon des sources très contradictoires, entre 30 000 et 400 000 morts. L'ONU parle de 180 000 victimes, non compris les deux millions de réfugiés entassés dans des camps pris en charge par les agences de l'ONU.

Les deux mouvements ne réclament pas l'indépendance du Darfour, mais la fin de la marginalisation économique de la région, séparée entre trois provinces, et une autonomie réelle. C'est l'objet principal des négociations qui se déroulent depuis des mois sous l'égide de l'Union africaine, mais sans avoir jusqu'ici véritablement progressé.

L'implication de la communauté internationale – plusieurs milliers de soldats de l'ONU et de l'UA sont sur place – et des Américains dans un conflit qui menace de déstabiliser aujourd'hui le Tchad est la meilleure chance de parvenir à une paix véritable.

Un autre facteur encourageant est la nouvelle donne politique qui prévaut à Khartoum. La fin de la guerre civile dans le sud du Soudan – après vingt et un ans de conflit – a débouché fin septembre sur la création d'un gouvernement d'union nationale qui ne peut être indifférent à la dégradation de la situation au Darfour.

Soucieux de ne plus être considéré comme un paria par la communauté internationale, Khartoum a d'autant plus intérêt à négocier une solution au Darfour que, sur les marches orientales du Soudan, un autre foyer de dissidence existe soutenu cette fois par l'Erythrée, le pays frontalier.

La principale menace que font peser les rebelles est d'interrompre les exportations de pétrole de Port-Soudan, la principale source de devises du pays. Une seconde raffinerie doit être construite et permettre, d'ici à trois ans, un doublement des exportations de pétrole brut (300 000 barils/jour aujourd'hui). Il est donc vital pour Khartoum de ne pas perdre le contrôle de la zone. Selon certaines sources, le régime soudanais a déployé dans cette région trois fois plus de troupes qu'au Darfour.

Jean-Pierre Tuquoi
Article paru dans l'édition du 02.10.05


Le Monde / Europe
Angela Merkel compte sur la législative partielle de Dresde pour confirmer sa fragile victoire
BERLIN de notre correspondant

 A u soir du dimanche 2 octobre, Angela Merkel, la présidente de l'Union chrétienne-démocrate (CDU) allemande, devrait pouvoir souffler. En dépit d'un mode de scrutin compliqué et du comportement imprévisible des électeurs qui s'est manifesté lors des législatives du 18 septembre, l'opposition conservatrice devrait, en principe, préserver sa mince avance lors de l'élection partielle de Dresde. La mort d'une candidate d'extrême droite dans cette circonscription de l'est du pays avait provoqué une prolongation de quinze jours de la campagne électorale dans cette ville. Les ténors politiques s'y sont succédé pour tenter de faire pencher la balance en leur faveur, alors que la CDU, avec son parti-frère bavarois (CSU), n'a que trois sièges d'avance au Bundestag sur le Parti social-démocrate (SPD) du chancelier sortant Gerhard Schröder.

S'il se maintient bien, ce léger avantage à l'opposition conservatrice, qui devrait lui permettre de revendiquer plus vigoureusement le poste de chef du gouvernement, ne constitue pas pour autant un succès personnel pour sa tête de liste. Il y a trois mois encore, la CDU-CSU flirtait avec la majorité absolue dans les sondages. "L'effet Merkel" n'aura pas fonctionné comme on l'espérait à droite. Diverses études l'ont montré depuis le 18 septembre, sa personnalité, son style et la campagne qu'elle a menée n'ont guère convaincu. Cela explique, avec la crainte des Allemands de voir la droite saper leurs acquis sociaux, le faible résultat des conservateurs (35,2 %).

Le plus étonnant dans cette affaire est l'attitude des électrices. On aurait pu les imaginer enthousiasmées à l'idée de voir enfin une femme occuper la chancellerie dans un pays où la parité n'est pas de mise, tant dans la classe politique que dans le monde du travail. Elles se sont plutôt détournées de Mme Merkel, lui préférant souvent Gerhard Schröder, le charmeur volontiers macho. Seulement 35 % d'entre elles ont voté pour la CDU-CSU, soit deux points de moins qu'en 2002, lorsque ce parti avait pour tête de liste un homme au profil pourtant fort conservateur, le Bavarois Edmund Stoiber.

Dans l'ex-République démocratique allemande, où Mme Merkel a passé la plus grande partie de sa vie, seule une femme sur cinq a voté pour elle. Au niveau national, les électrices âgées de 30 à 44 ans ont particulièrement désavoué son parti. Au lieu de prendre fait et cause pour une des leurs, les femmes en général "se sont davantage intéressées au contenu" du programme qu'elle leur présentait, ce qui l'a plutôt desservie, note l'hebdomadaire Der Spiegel . La CDU-CSU n'a accordé qu'une place limitée aux thèmes qui auraient pu emporter l'adhésion des électrices.

Le parfum traditionaliste entourant cette formation politique est au contraire sorti renforcé par l'irruption dans la campagne électorale de celui qui devait être le joker de Mme Merkel. En principe chargé du dossier fiscal et des finances dans son équipe, Paul Kirchhof, un catholique et professeur d'université, a dû répondre de sa conception de la famille, l'entité où, selon lui, la femme est la mieux à même de "faire carrière".

Plutôt réservée de nature et froide d'apparence, Mme Merkel, âgée de 51 ans, n'a pas non plus cherché à user de son image de femme dans sa campagne. Ce n'est que sur le tard que, incitée en cela par la mouvance féministe, elle a commencé à se profiler sur ce créneau dans les médias. Lors du débat télévisé l'ayant opposée à M. Schröder, elle a insisté sur son bilan d'ancienne ministre de la femme et de la famille. Cela n'a pas suffit à la rendre plus crédible auprès de l'électorat visé.

Ces derniers jours, toutefois, deux groupes de femmes plus ou moins connues ont lancé des appels publics à soutenir Mme Merkel, alors que M. Schröder continue à lui disputer le droit de diriger le futur gouvernement, bien que le SPD (34,3 % des voix) soit arrivé derrière la CDU-CSU. La clôture définitive du scrutin, dimanche à Dresde, pourrait toutefois permettre de débloquer la situation et de faciliter les pourparlers en vue de la formation d'une "grande coalition" entre ces deux partis, déjà expérimentée à la fin des années 1960.

Selon une étude publiée par l'hebdomadaire Stern, des électeurs masculins conservateurs ont préféré, au dernier moment, voter en faveur de M. Schröder pour éviter l'arrivée d'une femme divorcée et sans enfant à la tête du pays. Ce genre de comportement irrationnel devant l'urne expliquerait en partie pourquoi tous les instituts de sondage allemands n'ont pas su anticiper le piètre résultat de la CDU-CSU le 18 septembre. Le fait est qu'à 61 ans, le chancelier sortant demeure plus populaire que sa rivale.

Antoine Jacob
Article paru dans l'édition du 02.10.05


Le Monde / Horizons
Enquête
Survivre au suicide d'un enfant

Chaque année en France, 600 personnes de moins de 24 ans mettent fin à leurs jours. | Dessin de Rita Mercedes
Dessin de Rita Mercedes
Chaque année en France, 600 personnes de moins de 24 ans mettent fin à leurs jours.

 L e départ de Solène, ce fut d'abord ce froid qui réveilla sa mère vers 6 heures du matin, le lundi 15 janvier 2001. La fenêtre de la cuisine était ouverte dans l'appartement de Massy-Palaiseau. En bas, sur le trottoir, les pompiers s'affairaient autour d'une personne étendue. "Là, j'ai réalisé. J'ai couru jusqu'à sa chambre. Le lit était vide. Je suis revenue à la fenêtre et je l'ai reconnue, son front bombé, ses grands cheveux et cette tache autour de la tête. J'ai hurlé: "C'est ma fille ! " Les policiers sont montés quatre à quatre et m'ont empêchée de sortir. Ils ont demandé une escorte pour l'hôpital du Kremlin-Bicêtre et ont ensuite annulé leur demande. Le médecin est venu un peu plus tard et m'a dit: "Je n'ai pas réussi à la ranimer." Je ne comprenais pas, je lui posais des questions et il m'a finalement dit: "Elle est morte"."

Deux jours avant ses 21 ans, Solène a réglé son réveil sur 4 h 30 pour se suicider. "J'emmerd e tout le monde", se reprochait-elle. Elle s'est éclipsée comme elle avait vécu, discrètement. Elle n'a pas convoqué ses amis, comme l'ont fait, le 23 septembre, les deux adolescentes de 14 ans liées l'une à l'autre pour se jeter d'un 17e étage à Ivry-sur-Seine. Au moins cette mise en scène macabre aura-t-elle attiré l'attention du grand public sur les drames silencieux qui se nouent dans le secret des familles.

Chaque année, plus de 10 000 personnes mettent fin à leurs jours en France ; 2 000 ont moins de 34 ans, 600 moins de 24. Dans cette catégorie d'âge, le suicide est la deuxième cause de mortalité, après les accidents de voiture. Le nombre de décès diminue légèrement depuis 1986.

L'amélioration des techniques d'urgence explique en partie cette baisse. "Nous intervenons plus vite et mieux", affirme Jean-Yves Bassetti, médecin colonel des pompiers. Selon lui, les médicaments ont aussi une toxicité moindre, même utilisés à haute dose. Dans l'Aude, où il travaille, M. Bassetti assure qu'il ne se passe pas une journée sans qu'une équipe soit appelée pour de tels cas. Les tentatives de suicide grimpent en flèche, surtout chez les jeunes. Le chiffre officiel, 50 000 chez les moins de 24 ans, semble au-dessous de la réalité. Selon une étude épidémiologique conduite en Gironde en 2001, 7% des élèves affirment avoir effectué une tentative qui, dans 9 cas sur 10, n'a fait l'objet d'aucun suivi. Le passage à l'acte est, en outre, de plus en plus précoce. En 2000, un enfant de moins de 10 ans s'est donné la mort.

La mère de Solène sort la photo d'une jeune fille superbe, posant à la manière des studios Harcourt. Elle brosse le portrait d'un être romantique qui aimait le piano et la littérature. Au cliché à l'eau de rose, s'oppose la noirceur d'une "inexorable régression ". Une première tentative de suicide à 15 ans, suivie de trois autres, toujours avec des médicaments ; une cinquième, au cutter. Et puis la dernière. Elle raconte les services d'urgence, les instituts spécialisés, l'hôpital psychiatrique de jour, les excuses, après les tentatives: "J'aurais voulu t'éviter ça." L'appréhension chaque matin quand la fille partait pour prendre le RER. La pantomime du bonheur familial: "Maman, ne fais pas semblant d'être gaie." "Ma fille n'a pas choisi de mourir, insiste la mère. Elle a choisi de ne pas vivre."

Elle dépeint "des parents abandonnés à eux-mêmes", plongés dans une immense solitude. Les amis qui s'éloignent, "parce qu'on ne peut passer son temps à remonter le moral", ou qu'on éloigne, parce qu'on n'a plus rien en commun. Et puis les réflexions, absurdes – "c'est mieux comme ça" – ou abjectes – "on devrait euthanasier les dépressifs." La mère de Solène exprime sa colère contre une société qui n'a pas totalement levé le tabou sur le suicide. On n'en est plus à refuser les obsèques religieuses aux morts outrageants. Mais les mentalités sont encore dans le déni. Ainsi ce professeur de Solène, prenant à témoin une autre élève, atteinte d'un cancer: "Elle, au moins, elle se bat."

"Preuve qu'il y a toujours les maladies nobles et les maladies honteuses", constate la mère. Egalement professeur, celle-ci s'est vu refuser un transfert loin des salles de classe. "Ils n'ont pas voulu comprendre ce que c'est pour moi que de me retrouver face à des jeunes qui ont des projets, un avenir." Et de poursuivre: "S'il est une phrase que je ne peux plus entendre, c'est: "La vie continue"."

Marie-Claude Dacquin a également cette idée en horreur. "Ce n'est plus la vie, c'est la survie. La perte d'un enfant, quelle qu'en soit la cause, fait basculer les parents dans un autre monde. Si c'est un suicide, on est dans le domaine de l'inacceptable. Pour moi, le temps s'est figé en 2000, et tout est brouillé depuis." C'était le 15 novembre. Après avoir fait le ménage, détruit tout ce qu'elle avait écrit sur ordinateur, laissé en évidence sur la table la montre que sa mère lui avait offerte et un "petit mot d'amour", Olivia s'est jetée par le Velux de son studio parisien.

Depuis, la mère est habitée par une double souffrance, "la mienne et celle d'Olivia, que j'ai absorbée". Chaque nuit, elle enfile le tee-shirt que portait sa fille le jour de sa mort. Elle oscille en permanence entre "des moments d'hyperactivité et un désespoir profond. Quand la douleur atteint des pics intolérables, je me calfeutre chez moi, dans mon terrier, je me mets sous la couette et j'attends". Comme dans beaucoup de cas, son couple a été balayé. La cellule familiale a explosé, les réunions étant devenues impossibles en raison de l'absence.

Mme Dacquin se "passe en boucle " le film des cinq années qui ont suivi la première tentative de sa "Minette". "Je décortique tout, je me dis que, tel jour, elle a voulu me dire ça et que je suis passée à côté, que, telle fois, je l'ai interrompue alors qu'elle voulait peut-être me confier quelque chose." "Tu ne peux pas comprendre ", lança un jour Olivia à sa mère, qui quémandait une explication. Plus tard, elle apprendra que sa fille parlait à son cheval...

La majorité des suicides surviennent au domicile familial, renforçant la culpabilité qui torture les parents, et que la société les laisse assumer seuls. Les "histoires de famille" ne sont pourtant pas toujours à l'origine du geste fatal. Ainsi, cette mère qui découvrit trop tard que sa fille avait été victime d'une agression sexuelle à 12 ans. "A partir de là, ce fut la mort lente", confie-t-elle. Le cas n'est pas isolé. D'autres enfants, trop sensibles, préfèrent fuir un monde violent où ils estiment ne pas avoir de place.

"Je suis parti voir si le paradis existe. Si c'est bien, je te ferai signe", a écrit Nicolas à sa mère, Véronique Ferrand, avant de se jeter sous un train, le 25 mars 2004, près de Bar-le-Duc (Meuse). Il avait 19 ans. Avant l'ultime voyage, Nicolas avait écouté un disque de Genesis, le groupe favori de son père. Véronique raconte comment le fils a "doucement glissé", après la mort de ce dernier quatre ans plus tôt. Atteint d'une leucémie, le père avait agonisé plusieurs mois sur le canapé blanc du salon. Le matin de sa mort, Nicolas avait oublié d'embrasser le malade avant de partir à l'école. Il ne l'a plus revu vivant. Pendant deux ans, Nicolas a refusé de "parler de ça" et a renoncé à la pêche, qu'il pratiquait jusque-là avec son père. En 2003, il fugue 48 heures à Paris pour aller "attendre son père". Puis il se met à fumer, "pour avoir comme lui un cancer". Peu après, il introduit des tessons de verre dans ses chaussures, pour reproduire les mêmes escarres.

S'ensuivent deux périodes d'internement, dans un centre fermé, au milieu de malades atteints de pathologies lourdes. A l'entrée, on fouille les visiteurs. "On dirait "Vol au-dessus d'un nid de coucou", m'man", se plaint Nicolas. Les médicaments le font grossir. Il se persuade à la longue qu'il est "fou". Après sa première tentative, en 2003, les filles se détournent de lui. "Tu es un tocard", lui lance l'une d'elles. "Vaut mieux que je sois mort, conclut Nicolas. Je serai avec papa." Sa mère l'écrira ainsi dans l'avis de décès paru dans L'Est républicain: "Nicolas a décidé de rejoindre son père." On le lui reprochera. "Il paraît que ça ne se fait pas" de révéler publiquement le suicide d'un fils.

Mme Ferrand dénonce à présent un système psychiatrique qui n'a pas su comprendre la douleur de son enfant. Dossier médical en main, elle assure qu'"à aucun moment n'a été pris en compte le deuil pathologique du père". Elle décrit la "lobotomie médicamenteuse" subie par son fils à grand renfort d'hypnotiques et de neuroleptiques, jusqu'à le rendre incapable d'une érection. "Les médicaments éteignaient la flamme au lieu de la rallumer." Elle dénonce l'isolement, l'"absence d'écoute", "le manque d'humilité des psys", leur volonté de la tenir à l'écart. Elle raconte ses tentatives infructueuses pour décrocher des rendez-vous avec les médecins, pour trouver une structure mieux adaptée.

D'autres parents partagent le même sentiment de révolte face à une institution débordée qui n'a pas pu, pas su sauver leurs enfants. Certains ont même porté l'affaire en justice, parfois avec succès. "La réponse des médecins est pharmaceutique, mais c'est un pansement de l'âme", estime Marie-Claude Dacquin. Christian Beaubernard, docteur d'Etat et neurophysiologiste, coauteur de deux guides sur la prévention du suicide, n'est pas loin de souscrire à cette idée. "Plus on vend d'antidépresseurs, plus il y a de suicides, explique-t-il. La réponse apportée est souvent en deçà de la souffrance d'un enfant. Il faut une présence, un soutien et surtout beaucoup de temps. On peut alors obtenir des résultats fantastiques."

"Finalement, qu'est-ce qu'on connaît de ses propres enfants ?", interroge Thérèse Hannier. Elle montre deux photos, un enfant rieur, puis celle d'un adolescent à la mèche rebelle. A 18 ans, en 1984, son fils, Jean-Alain, a mis fin à ses jours en laissant un message: "Je ne pense pas avoir été aussi beau et séduisant que ce soir. Ce qui va se passer sera fantastique car unique. A bon entendeur. Salut." Pour la mère, ce sera l'abîme jusqu'à la naissance d'une fille qui la "tournera vers la vie, irrésistiblement".

En 1991, Mme Hannier a créé l'association Phare, avec un double objectif: accompagner les familles endeuillées et aider les adolescents en difficulté et leurs parents. La structure a un numéro d'appel, le 0810-810-987. Elle organise chaque mois des groupes de parole. Phare s'est également lancée dans le combat contre la banalisation du cannabis, dont l'effet désinhibant favorise à ses yeux le passage à l'acte.

D'autres associations réunies au sein de l'Union nationale de la prévention du suicide (UNPS) organisent chaque 5 février une journée nationale. Avec le soutien de spécialistes, comme les psychiatres Olivier Pommereau et Philippe Jeammet, ces bénévoles parviennent à sensibiliser. En 1998, des "recommandations sur la prise en charge hospitalière des adolescents après une tentative de suicide" ont été édictées. Des structures spécialisées se développent. Une "conférence de consensus sur les effets et conséquences du suicide sur l'entourage" est en gestation à l'intention des parents. "Les mentalités changent", se réjouit Mme Hannier.

Il fut un temps, pas si lointain, où l'on renvoyait simplement les gens chez eux après un lavage d'estomac. Où l'on recousait à vif des plaies de poignet tailladé, le médecin disant: "Comme ça, tu ne recommenceras plus." Après un suicide sous un train, on a même vu une famille recevoir les affaires du disparu dans un sac poubelle où manquait une chaussure. Policiers et urgentistes ont souvent appris, par empirisme, à trouver les mots, et à interdire la scène aux familles.

Reste cette indicible souffrance qui conduit parfois les parents à nourrir à leur tour des idées morbides. "Je me suis demandé pourquoi on vit, à quoi ça sert, admet la mère de Solène. Parfois, je me dissocie. Je parle à quelqu'un et je vois sa tête, là, en bas." Sur le trottoir, la tache s'est effacée depuis longtemps. Un brave gardien a confié à la mère qu'il avait "mis du sel pour que ça parte plus vite". Et il a ajouté: "Vous savez, elle avait le visage d'un ange."

Benoît Hopquin (Dessin Rita Mercedes)
Article paru dans l'édition du 02.10.05


Le Monde / Une
Le ventre de "une"
Du nouveau sur les nazis et la bombe
ROME de notre correspondant

 L e scoop de l'ancien journaliste est une bombe à retardement. Dans le premier tome de ses Mémoires, publié vendredi 30 septembre en Italie, Luigi Romersa, 88 ans, raconte comment, le 12 octobre 1944, sur une base secrète de l'armée allemande, il a assisté à ce qui s'apparente à un essai nucléaire. Son témoignage vient renforcer la thèse défendue récemment par l'historien berlinois Rainer Karish, selon lequel les travaux des nazis sur la bombe atomique étaient beaucoup plus avancés qu'on ne l'a dit.

Le reporter, qui s'illustrera après la guerre sur tous les conflits pour l'hebdomadaire Tempo, a 27 ans à l'époque. Il est correspondant de guerre pour le Corriere della sera. S'il peut réaliser une longue enquête au coeur de l'Allemagne nazie, là où sont conçues – c'est le titre de son livre – "les armes secrètes d'Hitler", c'est qu'il a en poche deux lettres de recommandation de Mussolini, qui l'a convoqué à Salo. Il veut en savoir plus sur cette "bombe capable de renverser le cours de la guerre", à laquelle Hitler a fait allusion lors de leur dernière rencontre au château de Klessheim, en avril 1944. L'une des lettres est destinée à Goebbels, l'autre au Führer lui-même.

Fort de ce double sésame, le journaliste est reçu sur la fameuse base de Peenemünde, au bord de la Baltique, où quelques douzaines de scientifiques travaillent sous la direction de Wernher von Braun, le père des V2, puis de l'aventure spatiale américaine. Sur l'île de Rügen, le journaliste est conduit dans un bunker "situé à plusieurs kilomètres du lieu de l'explosion". Il décrit "un grondement qui fait vibrer les parois du refuge, suivi d'une lueur aveuglante, tandis qu'un dense rideau de fumée se répand sur la campagne". Le bunker est "englouti", puis c'est le silence. Les officiers conseillent de patienter plusieurs heures avant de sortir "parce que la bombe, en explosant, émet des radiations qui peuvent créer des dommages sérieux". Romersa voit ensuite arriver "d'étranges scaphandriers". Lui-même doit revêtir une combinaison et des bottes blanches, "peut-être en amiante".

Pourquoi avoir attendu si longtemps pour faire ces révélations ? Le vieil homme, dernier témoin vivant de cette explosion, certifie qu'il a écrit l'histoire pour l'hebdomadaire Oggi, dans les années 1950. Personne n'y a cru.

Jean-Jacques Bozonnet
Article paru dans l'édition du 02.10.05


Le Monde / Opinions
Chronique du médiateur
Lettres en souffrance, par Robert Solé

 U ne lettre un peu amère, postée de Hyon (Belgique). "Le 8 septembre, m'écrit P. Gosselain, je vous envoyais une réaction à un article de Frédéric Edelmann sur l'innovation architecturale. Je m'interroge sur la raison pour laquelle mon texte n'a pas été retenu pour le Courrier des lecteurs, alors que depuis son envoi, il y a deux semaines, quelque quarante textes ont été publiés. Si nombre d'entre eux soulevaient des questions intéressantes voire importantes, d'autres mettaient l'accent sur des faits accessoires. Voudriez-vous avoir l'amabilité de me dire sur quels critères reposent vos décisions ? En l'occurrence, le fait de contester l'opinion émise par un journaliste chevronné de votre maison est-il un critère de rejet ?"

A cette dernière question, la réponse est évidemment non. Nul n'est infaillible (pas même le médiateur...) et nul n'échappe à la critique. Certaines lettres – virulentes, injurieuses ou développant des idées inexactes – ne sont pas publiées parce qu'elles appelleraient une réponse de la rédaction. Or, Le Monde a pris la bonne habitude de laisser le dernier mot au lecteur, au lieu de commenter en quelques lignes assassines les courriers accueillis dans ses colonnes...

La lettre de M. Gosselain, qui exposait des idées intéressantes sur un ton serein, ne posait pas ce problème. Elle avait seulement l'inconvénient d'être beaucoup trop longue (plus de 20 000 signes) et de répondre à un article qui datait du 12 juillet. Délai excessif pour un quotidien, malgré la parenthèse de l'été.

Sur les centaines de lettres qui nous parviennent chaque semaine, moins d'une trentaine peuvent trouver place dans le Courrier des lecteurs. On privilégie les textes originaux, stimulants, qui ne répètent pas des propos écrits dans le journal, ou qui s'en démarquent – d'où leur tonalité souvent critique. La clarté, la concision et l'humour jouent en leur faveur, tout comme l'émotion contenue dans un témoignage ou la précision d'une expertise.

Il y a quelques jours, plusieurs lecteurs se sont empressés de dénoncer une initiative de M. Sarkozy sur Internet. C'est Pascal Loewenguth, de Bambiderstroff (Moselle), qui a su le mieux retenir notre attention : "Ce matin, entre un courriel m'informant d'une promotion exceptionnelle sur des petites pilules bleues et un autre d'une certaine Sandra, qui – paraît-il – s'expose toute nue devant sa Webcam, je suis tombé sur un charmant message de notre petit Iznogoud à nous, je veux parler du président de l'UMP. Celui-ci m'annonce fièrement qu'il a élaboré un projet pour 2007 et me demande très gentiment d'y apporter ma contribution. Fort bien. Je lui ai donc immédiatement répondu qu'à mon humble avis il serait plus que temps de s'attaquer enfin au problème des courriers non sollicités sur Internet."

Sur un sujet plus grave, le choix est moins aisé. Le Monde du 14 septembre a consacré plusieurs articles à "l'humiliation des élèves qui perdure dans le système scolaire français" . Ce dossier se fondait sur l'étude d'un sociologue, Pierre Merle, et était appuyé par une interview de Philippe Meirieu, professeur en sciences de l'éducation.

Des enseignants ont réagi. En 2005, vous auriez été plus inspirés de vous pencher sur l'humiliation des professeurs, écrit en substance Claire Simon (courriel). Pablo Moyal, agrégé de lettres classiques au lycée Val-de-Durance à Pertuis (Vaucluse), a choisi, lui, l'humour acide, conseillant au Monde de dénoncer, "avec le même courage et de manière tout aussi judicieuse, les enseignants assassins, les profs pédérastes, les violeurs dans le secondaire..." .

C'est la lettre de deux professeurs de lettres, Mireille Grange (Nord) et Michel Leroux (Isère), qui devait être retenue pour le Courrier : "Les deux pages du Monde, écrivaient-ils, nous éclairent moins sur notre école que sur les sociologues qui l'observent. Après "l'ennui" des enfants (en vogue depuis 1998), voici qu'il est question de leur "humiliation". Est-il bien scientifique, sous prétexte que des enseignants manqueraient de délicatesse, de présenter ce problème comme une vérité générale ? Comment peut-on honnêtement oublier que la plus grande humiliation consiste à mettre un élève dans la situation de ne pas maîtriser la lecture à l'âge de 11 ans, condition réservée à 20 % de nos collégiens ?"

Le dossier du Monde exposait différents points de vue, mais, par son ampleur et sa tonalité, donnait du crédit à l'étude du sociologue. Il n'en a pas été de même dans le numéro du 23 septembre avec le rapport de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), qui recommandait le dépistage systématique, dès l'âge de 36 mois, des troubles de conduite chez l'enfant, pour en assurer la prise en charge précoce. Le journal en a fait un gros titre de première page ("Les enfants turbulents relèvent-ils de la médecine ?"), mais a interviewé un pédopsychiatre opposé à cette démarche et a pris ses distances dans un éditorial.

Cela n'a pas empêché une avalanche de courrier. Nous avons publié trois lettres dans Le Monde du 28 septembre, mais trente autres mériteraient d'être citées. Par exemple, celle d'Anne Dewitte, de Colombes (Hauts-de-Seine) : "36 mois ! N'est-ce pas un peu tôt pour se voir étiqueter délinquant potentiel ? N'est-ce pas un peu tôt pour se voir condamné à plusieurs années de tests, d'entretiens, de traitements et de drogues psychiatriques, tout cela sur fond de culpabilisation de l'enfant et des parents ? L'étape suivante consistera sans doute à repérer le terroriste virtuel chez le nourrisson qui fait tomber par plaisir son jeu de cubes ? Quel genre de société nous préparent ces apprentis sorciers ?"

Le Courrier des lecteurs se doit d'être ouvert à toutes les opinions, mais, dans un espace limité, il ne prétend ni à l'exhaustivité ni même à l'équilibre. Les sujets s'y mêlent, des plus douloureux aux plus frivoles. Les textes publiés ne sont que sa partie visible. Tous les autres sont lus avec attention, circulent dans la rédaction et peuvent susciter des articles. Sans compter les rectificatifs, dus pour la plupart à la vigilance des lecteurs.

Même le détail d'une photo peut nous valoir des dizaines de réactions. Le Monde du 14 septembre, qui avait interviewé Dominique Strauss-Kahn, le montrait devant "deux tableaux représentant Jean Jaurès et Léon Blum" . Horreur ! "Le personnage en deuxième plan sur le mur n'est pas Blum, mais Jules Guesde, nous a aussitôt écrit Dominique Losay (courriel). S'il porte bien bésicles, sa barbe est un peu longue pour l'élégant Léon." Confirmation de Luc Douillard (Nantes) : "Guesde avait le front très dégagé, mais une grande barbe socialiste, alors que Blum portait moustache et lunettes." Suivait un petit cours d'histoire politique rappelant comment l'ancien chef du gouvernement du Front populaire avait été "mis en minorité dès la Libération par les néo-guesdistes de la SFIO menés par Guy Mollet" ...

Il ne restait plus au journal qu'à battre sa coulpe, dans un rectificatif aussi net que possible. Sans chercher d'excuses, sans affirmer – comme naguère – qu'une erreur "s'était glissée" insidieusement et sans partir de l'hypocrite principe que les lecteurs avaient "rectifié d'eux-mêmes" .

Robert Solé
Article paru dans l'édition du 02.10.05


Le Monde / Opinions
Edito du Monde
La revanche de Tapie

 L a fortune semble à nouveau sourire à Bernard Tapie. Par un arrêt rendu vendredi 30 septembre, la cour d'appel de Paris lui donne raison dans ses démêlés financiers et judiciaires avec son ancienne banque. Le Consortium de réalisation (CDR), l'organisme public chargé d'assumer la gestion passée du Crédit lyonnais, est condamné à payer 135 millions d'euros à l'ancien propriétaire du groupe d'équipement sportif Adidas. L'ancien brasseur d'affaires devenu industriel, versé dans le football au point de devenir le patron de l'Olympique de Marseille, finalement sacré ministre de la ville par François Mitterrand, remporte là une victoire éclatante.

Jadis contraint à la démission, mis en examen, poursuivi, ruiné, obligé de se reconstruire une nouvelle vie de comédien – un talent que personne ne peut lui nier –, le voilà sinon ravi tout du moins solidement réconforté. Les juges lui donnent clairement et hautement raison: "Le groupe Crédit lyonnais en se portant contrepartie par personnes interposées et en n'informant pas loyalement son client n'a pas respecté les obligations de son mandat."

En l'état, l'ancien patron déchu peut jubiler. Il lui a fallu attendre presque dix ans, mais cette justice qui l'a si souvent jugé et puni pour d'innombrables délits lui donne acte, in fine, de son bon droit dans l'un des dossiers les plus lourds qui soient. Car l'affaire du Crédit lyonnais, l'une des plus abyssales banqueroutes qu'ait connues la France, restera le symbole des années fric, années Tapie pour tout dire, et la métaphore d'un socialisme de gouvernement hypnotisé par les jeux de banque et d'argent.

Mais la revanche judiciaire de Bernard Tapie ne doit pas cacher cette réalité: après avoir creusé le "trou" le plus important jamais creusé (quelque 20 milliards d'euros), le Crédit lyonnais est condamné à payer la plus importante condamnation financière prononcée dans ce pays. C'est l'aventurisme amateur de l'ex-banque nationalisée qui est ici à nouveau sévèrement sanctionné.

Si le droit est respecté, la morale le semble moins. Dans le dossier Adidas, Bernard Tapie n'a jamais été le grand patron, le stratège industriel que méritait cette entreprise. Fidèle à sa méthode et à son talent pour flairer la bonne affaire, le célèbre repreneur a tout simplement su acheter à bon compte le groupe en 1990 et le revendre dès 1992. A la tête d'Adidas, déjà en proie à de nombreux soucis financiers et aspiré par son ambition politique, M. Tapie s'est révélé comme à son ordinaire un piètre gestionnaire.

Le Crédit lyonnais, aujourd'hui condamné, l'avait aidé plus que de raison à financer l'achat, à lui trouver des solutions multiples pour se maintenir en équilibre et, finalement, lui permettre de sortir du dossier sans perdre trop de plumes. En signe de reconnaissance, M. Tapie a crié au voleur. En prime, il vient de gagner ! Une fois de plus, c'est l'Etat et les contribuables qui régleront la note permettant au mirobolant touche-à-tout de rêver à nouveau d'un brillant avenir.

Article paru dans l'édition du 02.10.05

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TessadeTessa ♦ 02.10.05 | 09h58 ♦ L'éditorial du Monde est lamentable d'ambiguité.Ce n'est pas "l'aventurisme amateur de l'ex-banque nationalisée" qui est sanctionné mais les pratiques d'un établissement de l'Etat touchant des commissions secrètes sur le dos de son client, par le biais de paradis fiscaux. Autre baliverne prêchi-prêcha non fondée: que Tapie ait été ou non un grand patron ou un raider n'est pas la question soumise à la censure du tribunal. Celui-ci dit le droit, applique la loi, c'est son rôle.
Jean-Marc P. ♦ 02.10.05 | 09h46 ♦ C'est quoi Boloré c'est pas un repreneur? C'est quoi Christian Pinault, c'est pas une licencieur? C'est quoi la caisse noire du PSG? Je ne connais que Bernard Tapie qui s'est chopé toutes les accusations les unes derrière les autres, qui est passé contrairement à beaucoup d'autres devant les juges, a purgé ses peines et démontré les embrouilles. Bravo Nanar
CHRISTIAN P. ♦ 01.10.05 | 22h01 ♦ Le beau Nanard ; Tapie le repreneur de Manufrance, de Terraillon, Tapie l'ephemère ministre ; Tapie le President tricheur de l'OM ; Tapie en prison ; Tapie l'acteur... et une partie de mes impots qui va aller dans les poches de ce lascard qui a des relations et des entrées à droite comme à gauche. Pauvre démocratie, pauvre France, ne soyons pas surpris que nombre de français n'aient plus aucune confiance dans nos politiques!
mclerc ♦ 01.10.05 | 21h05 ♦ Contre B. Tapie, il n'y a rien à dire. Le coupable est F. Mitterrand qui l'a nommé minitre de la Ville lui jouant, de fait, un bien sale tour. C'est lui, et lui seul, qui est responsable de cette république de copains et de coquins. Et il y a des socialistes pour s'en réclamer encore ! On croit rêver.
Emmanuel H. ♦ 01.10.05 | 20h41 ♦ Il m'arrive parfois de sentir une rancoeur irrascible rien que de me regarder dans le mirroir et de savoir que demain je n'aurai toujours rien fait pour essayer de m'opposer à ceux qui ont fait de notre pays ce qu'il est devenu:un terrain de magouilles et grenouillages où les escrocs se condamnent, s'acquittent et s'attaquent, détournant la lois pour le seul et unique profit, sans aucune résonnance pour ce que l'histoire les jugera. Profitez car ça ne durera pas eternellement, enfin je l'espère
David L. ♦ 01.10.05 | 20h35 ♦ Ha les bienfaits d'une république bananière ! C'est les californiens qui rigolent encore de nos montages Lyonnaisque type "Executive Life". Quand je pense qu'Adidas s'est adjugé Reebok, qui l'aurait cru à peine cinq plus tôt ? La France la grande pourvoyeuse de fond, le grand redresseur de comptes des affaires foireuses ? C'est une image qui colle désormais à notre pays. En attendant, il faut désormais parler de LCL... le Crédit Lyonnais relégué aux oubliettes du grand capitalisme français.
alex m. ♦ 01.10.05 | 19h00 ♦ Bien que Mr tapie soit un raider et au lieu d'être un patron, un simple spéculateur il est normal qu'il gagne cette première étape judiciaire. Mais il est scandaleux que le contribuable paie pour une faute du Crédit lyonnais. Au Crédit lyonnais de nous montrer sa responsabilité et de payer sur ses fonds propres, ses bénéfices. Pourquoi les responsables de l'époque ne peuvent assumer...
alain sager (nogent sur oise) ♦ 01.10.05 | 18h25 ♦ Au pays des aveugles...
♦ 01.10.05 | 17h45 ♦ La justice est passée pour Bernard Tapie. Passera-t-elle pour les contribuables français ? À quand la dissolution du Crédit Lyonnais pour l'exemple (avec création d'une nouvelle banque pour reprendre le personnel) et la mise en prison des responsables (et coupables) de l'époque ? À quoi servent les établissements de ce type si c'est pour gaspiller notre argent. Je réclame ma part de remboursement.
Grichka10 ♦ 01.10.05 | 15h44 ♦ "Si le droit est respécté, la morale l'est un peu moins". Quelle drole de tournure prend cet édito. Tapie était un "raider" dans le plus pur style des années 80 et ne s'en cachait pas vraiment. Que le Crédit Lyonnais l'ait soutenu, puis trahi, c'est cela qui était profondémment immoral. Tapie n'a pas grand chose à se repprocher, ni légalement ni moralement. Il s'est fait avoir par des escrocs qui servaient l'Etat francais... Plus immoral que ca (pour l('Etat) on meurt.
espoir+et+reve ♦ 01.10.05 | 15h35 ♦ Bonjour, votre article omet le plus important: B.Tapie doit 220 M€ au cdr... donc ou se trouve le brilliant avenir???
Joel D. ♦ 01.10.05 | 15h15 ♦ Quelqu'un peut-il me signaler si un ouvrage a été écrit sur comment après 1981 ("le passage des ténèbres à la lumière" dixit l'inénarable Jack), la mitterrandie a pu en quelques années changer à ce point et se vautrer dans les années fric et paillettes? Il y a quelque chose qui m'échappe et qui m'a fait pour longtemps changer mon vote... Merci


Le Monde / Opinions
Chronique de l'économie
Et si Berlin, Paris et Rome nommaient Gordon Brown premier ministre ?, par Eric Le Boucher

 L a réunion la plus importante de la semaine vous a peut-être échappé: elle a eu lieu à Brighton, en Grande-Bretagne, où se tenait le congrès annuel du Parti travailliste. Tony Blair, leader du parti, et donc premier ministre de Sa Majesté, a confirmé qu'il ne briguerait pas un quatrième mandat, l'actuel se terminant en 2010. Mais il n'a pas caché qu'il entendait bien rester au 10, Downing Street longtemps, afin de parachever la réhabilitation des services publics.

La nouvelle n'est pas que M. Blair modernise lesdits services publics, il n'y a qu'en France qu'on l'ignore. La nouvelle est que les observateurs estiment que Tony ne lâchera son poste qu'en 2007 ou 2008 et que, de ce fait, Gordon – Gordon Brown, chancelier de l'Echiquier, qui piaffe depuis des années – devra attendre encore pour le remplacer.

Alors voilà. L'Allemagne hésite entre Merkel et Schröder, aucun des deux n'ayant séduit les électeurs. La France est entrée dans la période préélectorale avec une grosse douzaine de candidats dont aucun n'a encore présenté une vision cohérente de ce qu'il propose. L'Italie, elle, s'oriente vers des élections anticipées au printemps prochain ; elles opposeront Silvio Berlusconi, qui a échoué à Rome, à Romano Prodi, qui a échoué à Bruxelles, comme président de la Commission.

L'OCCASION DE SE RACHETER

L'Angleterre, qui a une réputation européenne exécrable, a une occasion unique de se racheter: qu'elle nous prête Gordon Brown comme premier ministre conjoint, le temps qu'il attende son boulot de dans deux ans à Londres.

Le chancelier est le seul capable de donner enfin à l'Allemagne la politique macroéconomique qui lui manque, le seul qui puisse apporter enfin à la France une ligne gouvernementale qui ne soit pas dictée par le seul souci de "communication", et le seul en mesure de tracer une perspective pour l'Italie qui ne soit pas à la petite semaine. M. Brown, last but not least, pourrait, comme premier ministre unique aux trois pays, coordonner leurs politiques économiques qui souffrent aujourd'hui d'être trop séparées, trop nationales et non coopératives.

VISION OFFENSIVE

Il ne s'agit pas d'une plaisanterie. Les hommes politiques continentaux font la démonstration hebdomadaire de deux très graves lacunes qui les rendent impropres à relancer la croissance du continent: ils manquent d'une vision offensive de la mondialisation et ils manquent d'une politique macroéconomique qui cadre et facilite les fameuses "réformes structurelles". Voilà pourquoi l'Allemagne, la France et l'Italie ont un PIB végétatif et tant de difficultés sociales et électorales.

Or l'Angleterre a une doctrine du monde moderne dont on sait les deux grandes nouveautés: en interne, le besoin d'individualisme et, en externe, la mondialisation. La France, l'Allemagne et l'Italie, ayant vite repoussé les thèses du New Labour comme "trop anglo-saxonnes", sont dans l'impasse intellectuelle. Elles clament défendre leur "modèle", mais n'ont en magasin aucune doctrine sérieuse de rénovation. D'où le retour des nostalgies communistes à gauche de la gauche, qui sont ineptes mais remplissent le vide.

L'Angleterre a, en sus, un corpus économique et une pratique du gouvernement des affaires économiques bien supérieurs à ceux du continent. L'Allemagne, la France et l'Italie ont des politiques marquées par l'hésitation et le court-termisme, sans plus de cadre et sans plus de perspective longue.

En Allemagne, les "réformes" ont été engagées par le chancelier Schröder. Mais elles l'ont été sans cohérence: si elles ont permis de rétablir la compétitivité-coût de l'industrie germanique, ce fut fait aux dépens des salaires et, donc, de la consommation des ménages. Celle-ci peine, et la croissance ne repart pas. M. Schröder pendant la campagne n'a pas été clair sur ce qu'il propose pour y remédier. Angela Merkel non plus. Un jour thatchérienne, un jour rhénane, elle hésite sur la dureté nécessaire des réformes. Et elle a proposé une surprenante hausse de 2 points de la TVA qui aurait terrassé la consommation quand il faut la soutenir.

Tout cela n'est pas très neuf en Allemagne, où la politique économique a toujours été conceptuellement plus faible que la politique monétaire. Mais, aujourd'hui, l'Allemagne n'a toujours pas trouvé ce qu'elle doit conserver de son modèle et ce qu'elle doit emprunter au modèle libéral.

DÉSARROI STRATÉGIQUE

La France est dans le même désarroi stratégique. Elle n'a plus de bon ministre des finances depuis Dominique Strauss-Kahn, parti en 1999. M. Chirac attendait un retour de la croissance (à 3%) avant d'engager les réformes. Aujourd'hui, faute de les avoir faites, la croissance potentielle s'est effondrée (à moins de 2%). Dominique de Villepin multiplie la communication pour afficher son interventionnisme ("convocation" des pétroliers, des banquiers, des groupes de télécommunications, des patrons de Hewlett-Packard, et demain, qui d'autre ?), mais les effets réels sont dérisoires. Le premier ministre n'a aucune vision de la mondialisation. Il croit possible de ramener les entreprises à un comportement plus social en leur rappelant, à coups de menton, leur devoir "citoyen " et leurs racines "françaises". C'est dramatiquement sous-estimer l'âpreté du combat mondial de ces entreprises.

On attend toujours qu'il se dote d'une véritable politique économique et, corollaire, que Thierry Breton accède à l'existence ministérielle. Le budget 2006 est la preuve du vide idéologique d'un gouvernement qui pense que se débattre entre les contraintes forme une politique. Ce pseudo-volontarisme n'accouche que du non-choix, avec report des réformes, accroissement des prélèvements obligatoires et creusement de la dette.

L'Angleterre dispose de deux hommes de talent qui incarnent une solution: Tony Blair et Gordon Brown. C'est un de plus que nécessaire. Plutôt qu'ils se nuisent l'un à l'autre, mieux vaut que Sa Majesté accepte de nous en déléguer un. Le seul problème avec l'Ecossais Brown est qu'il ne sourit jamais. Ce n'est pas un marrant. Bon. Mais ça nous changera de nos comiques.

Eric Le Boucher
Article paru dans l'édition du 02.10.05

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Maurice Maginot
♦ 02.10.05 | 10h53 ♦ Au lieu de faire de l'esprit avec l'écume des jours, (il était difficile d'ignorer la réunion de Brighton) voudriez-vous revoir l'histoire de la GB dans sa longue durée, nous rappeler comment elle a cultivé sa crise pendant plus d'un siècle, concentrant la plus forte densité de hooligans d'Europe? Dans ce monde ravagé, Monsieur Blair tente de restructurer sa société en restaurant les services publics... de tempérer l'égoïsme de la City en rappelant le rôle nécessaire de l'Etat. De la rigueur,SVP
treve
♦ 02.10.05 | 09h52 ♦ Parmi les très nombreux articles sur le mal français celui là compte parmi les plus iconoclastes, pas forcément parmi les plus justes. Il y a de l'intérêt à s'inspirer de la réussite des autres mais l'exercice comporte une limite: importation n'est pas raison. La France a besoin de réformes structurelles soit. Mais on ne change pas un pays colbertiste depuis des siècles en 5 ans. Nos syndicats sont autant d'autant plus idéologiques qu'ils sont faibles et notre pays a peur...de "l'étranger"
XF
♦ 02.10.05 | 09h41 ♦ je comprends le dépit de mclerc, car j'ai aussi monté des entreprises en France, et notamment dans le textile où se faire payer n'est pas un vain mot. S'il existe en France des sociétés d'affacturage depuis plusieurs années, ce qui aurait peut être pu régler son problème, en réalité celles ci ne prennent aucun risque et ne couvrent que les bons clients. Faire du business en France est dur car au fond personne ne veut plus prendre de risque, et surtout pas les banques...
mclerc
♦ 02.10.05 | 09h08 ♦ Il serait facile de créer des entreprises en France: il suffirait de prendre le système anglo-saxon. J'avais créé une entreprise. J'avais vingt ans d'avance en imprimerie. Mais j'ai fini par jeter l'éponge. J'ai passé mon temps à essayer de me faire payer. Pendant ce temps mes types croulaient sous le boulot. Aux States, je me serais contenté d'envoyer mes factures à ma banque qui se serait fait payer par les banques de mes clients et aurait retenu 1% au passage. Sans commentaires.
XF
♦ 02.10.05 | 09h08 ♦ Sur Arte une émission expliquait que la communication politique a été réduite à de la publicité. Les média en portent une lourde responsabilité. Programmer une émission politique sur une grande chaîne de TV à 20h30 est un suicide. Un autre phénomène est notre classe politique, qui ne sait pas se renouveler. Les politiciens s'accrochent et acceptent n'importe quoi pour se faire remarquer. Comme rien ne permet de faire le tri et de recycler les perdants, notre démocratie dépérit.
bourneville
♦ 02.10.05 | 08h51 ♦ comment M Le Boucher explique-t-il les résultats actuels de l'Economie anglaise et sa croissance de plus en plus faible à l'Allemande..., la politique d'augmentation des impots, la creation massive d'emplois par la fonction publique et la création de 2,5 millions de "inaptes aux travails: lit-il Le Monde ?
Azo
♦ 02.10.05 | 08h41 ♦ Le jour où l'opinion publique francaise aura compris que les services publics s'ameliorent au Royaume Uni tandis qu'ils se desagregent en France. On pourra alors commencer a esperer un dialogue constructif sur les choix britanniques des 10 dernieres annees. Et sur la notion de bonne gouvernance selon le New Labour, et de son equilibre budgetaire impose par Gordon Brown. DSK j'en suis sur, s'est interesse a cette question.
paletuviers
♦ 02.10.05 | 08h27 ♦ DSK un bon ministre des finances?
bouge
♦ 02.10.05 | 05h57 ♦ Si seulement c'etait possible. On pourrait enfin acceder a l'ere de l'apres guerre froide en France, Allemagne et Italie. Car le modele de ces trois pays etait certes adapte aux enjeux de l'apres 1945, mais ne l'est plus a l'ere de la mondialisation, de la puissance asiatique et de la fin de l'ere industrielle ouvriere en Europe. Le modele politique, economique et meme l`idee de la nation sont aujour d'hui inadaptes aux enjeux du monde. Si la reforme est impossible, alors quittez le pays.


♦ 02.10.05 | 02h57 ♦ DSK est velléitaire sinon ambigu...seul JM Bockel au PS propose un social-libéralisme de courage à l'écart de la démagogie "on rase gratis" ambiante depuis 25 ans dans ce pays du mitterrandisme au chiraquisme... le principal enjeu de 2007 est si Sarkozy seul candidat en apparence crédible sur le thème de la "rupture" sera à même de concevoir proposer puis appliquer un programme radical et concret à mettre en oeuvre rapidement pour restaurer la crédibilité de la France entamée en tous points...
suprême
♦ 02.10.05 | 02h30 ♦ Gordon Brown trouve normal que Rover et Hewlett licencient massivement,que le Royaume-Uni soit dans le conseil de l'euro, mais se dispense de participer à l'effort commun, que les pauvres pays de l'est financent le rabais britannique, que deux millions de personnes pointent malades, que la croissance qu'il estime à 3% ne soit qu'à la moitié, que l'innovation soit louée, mais que les emplois créés le soient dans les services de bas étages, que l'immobilier flambe. Quel rapport avec DSK?
KATHERINE T.
♦ 02.10.05 | 02h00 ♦ Affligeant ! Les remèdes contre le marasme économique qui sévit depuis 30 ans: individualisme et mondialisation... Précisément les causes essentielles de ce gâchis. Quand les Diafoirus cesseront-ils d'imposer ces purges et saignées néolibérales ? Le malade meurt guéri... Eric Le Boucher devrait explorer en Grande-Bretagne le monde des "working poors"... qui n'ont rien à envier aux nôtres ! Pas fréquentables pour les "bo-bo", sans doute.
juanpablo
♦ 02.10.05 | 01h16 ♦ Que dire alors des dizaines de milliers d'Anglais qui s'installent en France, et notamment dans le Sud-Ouest ? Est-ce un signe du déclin anglais ?
Eric A.
♦ 01.10.05 | 23h57 ♦ Bravo ! Et vivement un vrai virage libéral en France.
conscious
♦ 01.10.05 | 23h55 ♦ Je ne pense pas que le rôle de la France, feu pays des lumières, soit de s'engager dans cette "guerre" décrite par cet ELB stressé. Pourquoi jouer les moutons et chercher une "croissance" inutile, tel un cancer. Nous savons que les formes de vie qui réussisent sont celles en équilibre avec leur milieu. ELB est dans le faux et l'illusion de savoir ce qui est la bonne voie. Quand considérera-t-on enfin une croissance 0 comme une bonne nouvelle? Trop avant-gardiste ok. Un scientifique 1er ministre?
emmanuel G.
♦ 01.10.05 | 22h37 ♦ Un article affligeant pour un journal en passe de doubler Le Figaro sur sa droite. Navrant et déconcertant!
asics07
♦ 01.10.05 | 22h36 ♦ Facile de critiquer! Les râleurs français se foutent de la gueule des gouvernants. Les bouffons de la télé en rajoutent,font du blé sur le dos des dirigeants. Facile! Ce travail de sape super-efficace donne le syndrome Matignon. Démoli à petit feu, disséqué tout vif, le locataire est vite bon à jeter, raffariné. Mais ces critiqueurs seraient bien incapables de faire aussi bien (mieux, n'en parlons pas). Voir le traité européen, démoli par un plan B = bobard du siècle. Et si on construisait ?
Apion
♦ 01.10.05 | 22h32 ♦ Quelle bonne idée! Laissons-nous en outre troquer Gordon Brown contre George Bush. Alors le premier pourrait arranger la diplomatie transatlantique, tandis que le dernier ferait au Royaume-Uni la même métamorphose étonnante de la dette publique que nous voyons aux Etats-Unis.
David L.
♦ 01.10.05 | 22h17 ♦ Le problème est bien plus profond que ne le dénonce avec une pincée d'humour, EBL. Le Royaume-Uni nous devance depuis 1997. Et, lorsque j'étais à Londres, justement en 97, il y avait déjà 200 000 français. La grande crise de notre pays ne remonte pas à DSK pas même à Chichi, mais à... VGE ! Et ce n'est pas tant le fait de nos politiques ou de la mentalité de nos concitoyens... mais du manque de management à l'anglo-saxonne. Le secteur privé français est sclérosé.
jackoz
♦ 01.10.05 | 21h46 ♦ Je suis tout a fait daccord avec ELB. On a des dirigeants qu'on merite, il n'y a qu'a voir vos reactions. Un pays avec autant de bloquages et un syteme en ruine, un pays dont le premier ministre parle de patriotisme economique en 2005, n'est pas bien place pour critiquer les anglais..Rien que les 300000 francais en Angleterre en dit long sur l'echec de votre systeme..c'est connu en France on aime pas le succes, c'est devenu le pays des loosers.
johann-sutter
♦ 01.10.05 | 21h18 ♦ 30 ans de croissance molle, et 20 ans de chômage massif dont beaucoup ont renoncé à croire que notre pays pût encore le guérir. L'article d'ELB est provocateur, c'est vrai, mais il a le mérite de mettre le doigt là où ça fait mal: le Royaume-Uni, naguère moqué pour ses médiocres performances économiques, devance désormais la France en termes de richesse par tête, d'emploi et de productivité. Pendant ce temps, nos élites au gouvernement se complaisent dans la politique-spectacle. C'est navrant.
David L.
♦ 01.10.05 | 21h01 ♦ DSK "bon ministre des finances" ? C'est flagrant comme nos hommes politiques brillent par leur manque de substance... Mais rien de plus normal dans le pays du management à la française. Quel est le dénominateur commun entre un Greenspan et un Brown ? D'abord, c'est qu'ils assument leur choix (parcequ'il en font eux des orientations économiques !). Ensuite c'est leur orientation libérale. A ce titre, le dernier bon ministre de l'économie que nous ayons eu est Raymond Barre.
Sue
♦ 01.10.05 | 20h06 ♦ D'où vient le postmodernisme de M.Giddens et de M. Blair? De France cher Monsieur, car après avoir traversé l'Atlantique, être allé à l'université de Chicago puis en Californie, il fut repris par la Grande Bretagne en chemin.Dire que les Français n'ont pas une vision mondialiste alors qu'ils ont contribué à créer cette philosophie qui réfléchit sur les illusions de la modernité est un comble! Bien sûr elle est enseignée dans nos bonnes vieilles Facultés et non à Sc.Po ou à l'ENA.
bazooka-jones
♦ 01.10.05 | 18h41 ♦ La conjecture originale vient me semble-t-il d'ailleurs:Merkel en Allemagne a donné le ton. En France les candidatures féminines éclosent Royal, Alliot-Marie, Buffet, l'indéboulonnable Laguiller. Osons imaginer un scrutin pour élire une femme président (Même le vieux cacique de Le Pen cède la place à sa fille Marine)en 2007 ! Les machos de tous bords qui nous gouvernent s'en étranglent déjà.
68Soul
♦ 01.10.05 | 18h02 ♦ Un peu de comique alors, Mr Brown pourrait aussi prendre avec lui le pétrole de la Mer du Nord, les îles paradis fiscaux, les milliardaires russes en exil et la bulle immobilière... et pourquoi pas, la livre sterling? Qu'on retrouve un instrument de politique nationale, pour changer... sinon, comme 90% des créations d'emploi sous son "règne" l'ont été dans le public, nous ne serons finalement pas si dépaysés... en sortant des milliers de gens du chômage pour invalidité, tout sera dit... ineptie?
Awerle
♦ 01.10.05 | 17h55 ♦ Dans son anglomanie persistante ELB perd de vue que les succès(relatifs)de l’entreprise UK tiennent plus à sa position sur le marché de l’énergie et à sa bulle financière qu’à sa dynamique industrielle.Attribuer ces succès au talent de ses dirigeants c’est donner dans la Communication qu’on semble vouloir dénoncer chez les nôtres (« politique héroïque » des temps modernes).Piloter des évolutions sur des courbes à grand rayon est moins grandiose mais le seul moyen de ne pas déstabiliser lourdement notre société.L’épithète « comique » est à manier avec prudence-comme les boomerangs.
gérard B.
♦ 01.10.05 | 17h41 ♦ MMMMM ! Un très bon cru que ce ELB du 1/10!! Il y a peut être un peu de surestimation des réussites au Royaume-Uni, mais ça fait du bien d'entendre un autre discours sur le blairisme que "c'est un faux travailliste, un cryptothatcheroreaganien, un ultralibéral". Saluons au passage le combat héroïque et desespéré de l'unique socialiste blairiste de chez nous: JM Bockel, rêvons d'un retour de DSK sans trop y croire, et, si un autre monde (plus ouvert) est possible, oui, bienvenue à Gordon Brown!
zatoichi
♦ 01.10.05 | 16h18 ♦ Ah, Eric se lache... Eh bien, puisque ce qu'il propose n'est pas possible, commencons par mettre DSK a la tete de notre beau pays en 2007, 8 ans apres son tragique depart de Bercy...
mouloud
♦ 01.10.05 | 16h08 ♦ Eric Le Boucher, qui semble croire qu'en politique tout est affaire de technique (libérale, of course), sait-il ce qu'est la démocratie ? Peut-être. Aime-t-il la démocratie ? Pas sûr...
MARIE THERESE J.
♦ 01.10.05 | 16h01 ♦ Et si Eric Le Boucher, désireux de rejoindre en cette vie le paradis (libéral) anglo-saxon, rejoignait le Financial Times, et laissait les (archaïques) lecteurs du Monde en paix ? PS: il ne s'agit pas d'une plaisanterie...


Le Monde / France
Nouvelle opération policière dans les milieux islamistes français

 L a police française a lancé, dans la matinée de lundi, une nouvelle opération dans les milieux islamistes, procédant à quatre interpellations, notamment dans la région de Montargis, dans le Loiret (Centre).

Le ministre de l'intérieur, Nicolas Sarkozy, a indiqué sur la radio privée RTL que cette nouvelle opération est "la poursuite" de l'enquête sur le démantèlement d'une cellule dirigée, selon la police, par Safé Bourada, âgé de 36 ans et interpellé le 26 septembre avec trois autres personnes lors d'une première opération conduite la semaine dernière à Evreux (Eure) et à Trappes (Yvelines), en région parisienne. Tous les quatre ont été depuis mis en examen et écroués pour "association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste" et "financement du terrorisme".

Les interpellations opérées lundi matin sont consécutives aux perquisitions des domiciles de ces quatre hommes et à leurs auditions, a-t-on indiqué de sources proches du dossier. De mêmes sources, on précisait que les policiers avaient, lors de cette opération, "deux cibles principales", des Français convertis à l'islam, âgés de 25 à 30 ans. Ils avaient été repérés, il y a deux ans, car ils entretenaient des liens avec Safé Bourada.

Les arrestations du 26 septembre avaient coïncidé avec l'intervention, dans la soirée, de Nicolas Sarkozy dans l'émission "Pièces à conviction" sur France 3, où il avait dessiné les grandes lignes de son projet de loi antiterroriste. Les membres du groupe, constitué autour de Safé Bourada, vétéran connu depuis plus de dix ans par les services de renseignement, auraient évoqué entre eux la possibilité de frapper dans le métro parisien, dans un aéroport ou bien le siège de la direction de la surveillance du territoire (DST), à Paris. Mais ils n'étaient pas entrés dans la phase opérationnelle de leur entreprise.

Avec AFP
LEMONDE.FR | 03.10.05 | 08h43


Le Monde / Horizons
Récit
Villepin pile et face

 1.  Le 21 juin dernier, chaleur et gris sur Paris. A Matignon, des ouvriers montent une estrade pour la Fête de la musique. Dans son bureau du 1er étage, Dominique de Villepin, en chemise et cravate bleue, long, mince, oppose un calme inédit à ceux qui tiennent son échec pour assuré: "Je voudrais prouver que le pouvoir n'est pas forcément le refuge du cynisme, du scepticisme et de l'inaction." Ce matin-là, Thierry Breton, le ministre des finances, a parlé de la dette publique avec des chiffres abyssaux. Trois semaines plus tôt, la France a dit non à l'Europe, cette maison commune paradoxale, parce que non démocratique, dont les architectes semblent avoir au fil du temps oublié les origines et les fins.

Une morosité durable affecte notre pays, dirigé depuis longtemps par des gouvernants paralysés par leur prudence. Dernier en titre: Jacques Chirac. Les Français, tentés de vivre en arrière, dans une quiétude provinciale, s'enferment avec leurs plaintes, s'adonnent à la peur et au repentir, sans savoir qu'ils sont enviés, leur volonté trébuche. "Notre démocratie est complètement bloquée, dit Villepin. Je ne peux réformer que par surprise, en restant dans l'équilibre, la vraie nature française, dans la justice, qui n'est pas l'égalité, et dans le mouvement. C'est seulement parce que c'est difficile que je peux réussir."

Les deux plus proches collaborateurs de Villepin nous rejoignent. Il entretient avec eux un dialogue de chaque instant. Pierre Mongin, cheveux courts et gris, sourcils et yeux noirs, teint mat, bistre des cernes; et Bruno Le Maire, grande taille, peau pâle, sourire et placidité sans affectation sur toute sa personne. Mongin a apporté une photo de Jean Moulin sur son bureau de directeur de cabinet. Sur celui de Le Maire (auteur d'une thèse sur Proust sous la direction du professeur Tadié), un exemplaire des Essais de Montaigne. Deux styles. Villepin reprend avec eux une discussion assez vive. "Vous avez les chiffres que Breton a donnés ce matin. Il faudra trouver les moyens de faire des économies. C'est juin 1940, nous sommes le dos au mur. Est-ce que les gens s'en rendent comptent ?"

Depuis juillet 2004, les trois hommes se sont préparés à ce qu'ils considèrent comme une mission de la dernière chance. La Place Beauvau, sous Villepin, est devenue une sorte de laboratoire clandestin de la société française, où le ministre de l'intérieur a beaucoup reçu, écouté, sans jamais rien en laisser savoir. Des syndicalistes, des professeurs, des économistes, des patrons de PME, des parlementaires, des agriculteurs, des experts-comptables spécialistes de l'emploi, des prostituées, un ancien président (Giscard), des dirigeants de grandes sociétés, parmi lesquels Villepin compte de nombreux amis (Jean-Louis Beffa, Thierry Desmarest, Henri de Castries, Bertrand Collomb, etc.). Tous ces efforts, naturellement, sans aucune certitude de se retrouver à Matignon (Villepin a été prévenu de sa nomination deux jours avant son arrivée Rue de Varenne, mais il l'avait activement anticipée, par déduction, dès le début de l'année, j'y reviendrai).

J'avais été surpris, Place Beauvau, de l'entendre dire qu'il faisait alors "un travail sur lui-même" . Curieux. Mais il avait le sentiment qu'il y avait quelque chose de fondamental dans notre société (les violences, les angoisses, les crispations, mais aussi l'identité nationale) qui lui échappait (et à tous les politiques) et qu'il ne pouvait imaginer réformer sans d'abord se réformer lui-même. Pour regarder le proche et l'innommé d'une réalité française souvent observée de haut, il a maté ses impatiences, s'est interdit ses condamnations à l'emporte-pièce ("Tous des cons..." ). Son lyrisme s'est bridé.

C'est un nouveau Villepin qui arrive à Matignon. D'une conférence de presse à l'autre, les journalistes découvrent l'aune de sa métamorphose. De quoi leur parle-t-il ? De l'emploi, du prix de l'essence, de la croissance sociale... Je lui dis que certains le trouvent un peu... Il m'interrompt: "... Un peu besogneux. Oui, je suis besogneux. Et humble. Je ne veux pas gâcher les deux ans que j'ai devant moi. La démocratie, ce n'est pas attendre sempiternellement les prochaines élections. Je connais le maître mot de Nicolas Sarkozy et de Laurent Fabius, et d'autres encore: rupture. Ils n'ont que ça à la bouche ! S'il y a rupture, je crains qu'elle ne soit pas démocratique. Evitons la surenchère et la montée des extrêmes, faisons bouger les lignes. La réalité d'aujourd'hui ne tient pas dans les vieux clivages."

C'est ainsi qu'il a fait de ses cent jours un début plutôt qu'une fin. En changeant, et en restant lui-même, c'est-à-dire gaulliste ascendant Bonaparte. L'Empereur, "alchimiste des hommes et des légitimités", avant d'user la France dans la gloire militaire, avait jeté les bases d'un Etat moderne et d'une réconciliation des deux France. "De Gaulle aussi, dit Villepin. Qu'est-ce qu'il fait en 1944 ? La rupture ? Non, la continuité. Et quand il revient en 1958 ? La continuité."

La presse le désigne concurrent adoubé de Sarkozy pour l'élection de 2007. Il lève les bras au ciel: "J'ai rencontré trois fois Nicolas Sarkozy en tête à tête depuis que je suis ici. A chaque fois, il m'a répété la même chose: 'Ça se jouera entre vous et moi. Personne n'en doute. Que le meilleur gagne'. A chaque fois, j'ai nié être entré dans cette perspective."

Cela ne veut pas dire qu'il ne pense pas à demain. Depuis qu'il a 20 ans il se prépare. "Mais enfin, qu'est-ce que tu veux ? Dis-le-nous, préviens-nous un peu à l'avance" , lui disent ses proches, parfois lassés de cette tapisserie qui ne s'achève pas. Il dit que servir est son secret. Réponse de sphinx. C'est son côté ombre. Il cache ses besoins d'absolu sous un manteau de mystères.

On croit le connaître, et on le découvre plus complexe qu'on ne l'imaginait. Quand Bayrou dénonce la politique people (les photos de la fille de Villepin publiées dans Elle , les joggings médiatisés avec ou sans Sarkozy), Villepin lui téléphone aussitôt: "Je fais mon jogging tous les jours depuis trente ans, sans journalistes. Les photos de ma fille ont été publiées sans son accord et sans même qu'elle soit prévenue. Sache bien que j'ai servi l'Etat pendant toute ma vie dans la discrétion la plus totale et surtout dans le bonheur de cette discrétion."

 2.  Le 15 septembre dernier, le premier ministre français rit avec Zapatero, serre la main de Bush, embrasse Kofi Annan et Lula, parle avec Poutine, Jintao, Blair et Berlusconi. Il vient de passer une nuit blanche à mettre au point ses déclarations dans une chambre de l'hôtel Mandarin Oriental à Colombus Circle, avec Bruno Le Maire et nos deux ambassadeurs, Jean David Levitte et Jean-Marc de la Sablière. Quand il arrive à la tribune, George W. Bush se redresse sur son siège et branche son écouteur.

L'aisance avec laquelle Villepin a endossé les habits présidentiels pour s'asseoir à la table des grands et souffler avec eux les soixante bougies de l'ONU ne doit rien au hasard. Il y a vingt-cinq ans que Villepin est entré dans la diplomatie et qu'il en fréquente chaque jour les hommes et les dossiers.

A l'aube des années 1980, pour ce jeune homme né au Maroc en 1953, sortant de l'ENA, assoiffé de mouvement et qui n'oublie pas que de Gaulle a toujours raisonné, dès juin 1940, à l'échelle de la planète, la diplomatie était plus qu'une vocation, une évidence. D'autant que le Quai d'Orsay sait s'y prendre avec les poètes comme lui, ceux dont les mots roulent de la lave ou des délicatesses de sylphe. Il suffit que leurs dépêches restent concises.

Sur la carte du monde, il ne voit que l'Afrique. L'Afrique reste le socle fantôme de la planète, une terre de surnature et de grande pauvreté, ravagée (et abandonnée) par l'Occident. En 1977, effectuant son service militaire dans la marine, il descend du Clémenceau, où il présente le journal télévisé du bord tous les soirs aux 2 000 membres de l'équipage. Il est caillassé avec ses camarades par des enfants qui protestent contre la présence française. A sa sortie de l'ENA, Villepin choisit le Quai, et retrouve la Corne de l'Afrique, avant de prendre la direction du service de presse de l'ambassade de France à Washington.

De l'autre côté de l'Atlantique, sa réputation grandit. Il reçoit tous les Français de passage ou en poste sur la Côte est. Des journalistes (Jean-Pierre Elkkabach, Jean Daniel), des intellectuels (Régis Debray, Edgar Morin, Alain Minc), des hommes d'affaires (Alain Gomez). Il noue une amitié imprévue et durable avec Katherine Graham, la propriétaire du Washington Post , rencontrée lors d'une exposition Gauguin. L'Amérique du Nord agit sur lui comme un accélérateur. L'impact du pays sera suffisamment durable pour que, quelques années plus tard, en 2002, évoquant son avenir en cas de défaite de Chirac à l'élection présidentielle, il envisage en privé la possibilité d'un exil de l'autre côté de l'Atlantique.

Après Washington, New Delhi. Dans l'air indien montent les fumées des bûchers où des hommes s'immolent. Villepin est "ébloui" par la douceur d'un homme, Rajiv Gandhi, revenu affronter le chaos, après une traversée du désert. "Il m'a aidé à comprendre la grande leçon de Napoléon et de Gaulle: il y a toujours deux chances." Puis c'est le retour à Paris en 1992, et à ses dossiers africains, au Quai.

C'est peu après que Chirac le convoque: "Dominique, lui dit-il, voyez Balladur. Il faut l'aider à préparer sa réflexion diplomatique." Il se met aussitôt au travail avec Nicolas Bazire et Edouard Balladur, qui lui propose, en arrivant à Matignon, de devenir son conseiller diplomatique. Trop tard. Alain Juppé vient de lui demander de prendre la direction de son cabinet au Quai d'Orsay.

Curieux tandem: Villepin l'imaginatif et Juppé le raisonnable. Ce chaud-froid crée une dynamique. Pour la première fois, Villepin trouve une tâche à la mesure de son énergie et de son goût pour l'effort: un directeur de cabinet est toujours prisonnier de son travail. Ni soirée ni week-end. Villepin gère l'ordinaire et les crises, envoie son ministre à Sarajevo sans avertissement, prépare une réforme du Quai, tout en mettant de l'ordre dans les circuits. Quelques vieux kroumirs se montrent alors oublieux des règles de la morale publique. Villepin purge notre diplomatie de ces réseaux parallèles où prospèrent les bacilles de la corruption. Il neutralise les connexions de ces diplomates et les pousse vers la sortie, avec discrétion, sans états d'âme.

A la veille de Noël 1994, l'affaire de l'Airbus piraté à Alger le mobilise vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Chirac, qui parle à Villepin au téléphone dix fois par jour, comprend que son interlocuteur est seul à Paris. "Qu'est-ce que vous faites ce soir ?", demande le maire de Paris. "Rien, je reste à mon bureau." "Venez dîner avec nous." "Et c'est ainsi, raconte Villepin, que je me suis retrouvé pour le réveillon de Noël chez Joe Allen, aux Halles, avec Chirac, Claude et Bernadette." Depuis le début de la prise d'otages, Villepin plaide pour que l'avion soit autorisé à décoller et à atterrir en France, où la police trouvera plus facilement le moyen d'intervenir. Le lendemain, Chirac persuade Pasqua de laisser décoller l'avion pour Marseille.

En 2002, après cinq années au palais de l'Elysée, le voici de retour comme ministre des affaires étrangères. Contre toute attente, car il s'était préparé à partir pour la Place Beauvau. Sur sa table de travail, qui fut celle de Vergennes, l'encrier de Talleyrand, ce "diable boiteux" qui a toujours voulu être l'homme de la France, et près de lui, face à ses visiteurs, un tableau de Zao Wou-ki. Personne, et lui non plus, ne peut encore imaginer les prochaines accélérations de l'Histoire, qui vont lui donner un rôle.

L'Amérique, traumatisée par le 11-Septembre, cherche à entraîner la communauté internationale dans une embuscade diplomatique à l'ONU contre l'Irak, pays désarmé dont elle prétend qu'il menace la paix mondiale. Le 14 février 2003, Villepin porte la parole française à l'ONU. Son discours est applaudi dans l'enceinte des Nations unies. En France, il provoque un frisson à droite comme à gauche. Le pouvoir est aussi une question d'incarnation. Villepin a incarné, ce jour-là, une certaine idée de la France. En Amérique du Sud, où les télévisions diffusent alors quotidiennement ses interviews en espagnol, dans les pays arabes et musulmans, en Afrique, il est devenu l'homme qui résiste à George W. Bush. Ce sont les événements qui fabriquent les hommes. Villepin est en phase avec l'idée qu'il s'est toujours faite de la vocation universelle de notre pays: il fonce.

Je l'ai alors accompagné pendant deux mois. Il menait les conseillers qui lui faisaient cortège, leurs impedimenta informatiques dans les bras, à un train de marathonien, les exhortant d'une voix forte à parfaire jusqu'à la dernière minute chacune des interventions qu'ils avaient souvent passé la nuit à préparer. Son principal ennemi ? Le temps. Et pourtant, aucune lésine dans la gestion de son agenda: il se montre avec chacun de ses visiteurs d'une disponibilité aux limites de l'extravagance. Pendant cette guerre pour la paix, où la féerie diplomatique remplace les batailles, curieusement, l'Europe reste absente de ses préoccupations. Comme si le monde lui cachait l'Europe.

Au prince Saoud Al-Fayçal, ministre des affaires étrangères d'Arabie saoudite, il raconte sa visite au pape Jean Paul II: "Sa parole est en avant, comme Rimbaud." Réponse du prince: "Vous aussi vous étiez une star, à l'ONU..." A chacun, il montre la même détermination, tempérée par la vitesse du sourire et le précis des phrases, sans arrogance. Sa décontraction chaleureuse range prudents et rieurs de son côté. C'est ainsi que dans l'antichambre de Jean Paul II, à Rome, quand le baron Copa-Solari, gentilhomme du pape, lui montre une fresque représentant Néron, Villepin éclate de rire et s'exclame, à la stupéfaction de Pierre Morel, notre ambassadeur au Vatican: "Vous savez que Bernadette Chirac m'a surnommé Néron depuis la dissolution ! Maintenant, je pourrai dire que j'ai le pape avec moi..."

L'un de ses soucis était alors de garder le contact avec les deux chefs de la diplomatie anglo-saxonne, Jack Straw et Colin Powell, moins éloignés des positions françaises qu'ils ne pouvaient l'avouer. Il arrivait qu'il les rudoie. Prenant connaissance dans l'avion Ankara-Amman d'une déclaration de Colin Powell indiquant que "la France subirait les conséquences de sa politique" , il avait aussitôt fait prévenir le département d'Etat de son souhait de parler au ministre. Colin Powell l'avait rappelé quand nous étions encore en voiture sur le tarmac d'Amman. Villepin lui avait alors posé une question sans préambule: "Alors, Colin ! Que se passe-t-il, tu veux que les Etats-Unis déclarent la guerre à la France ? Tu n'as aucune chance de gagner..." Powell vivait alors avec la "tâche" du mensonge sur son uniforme de général. Il encaisse en silence, son interlocuteur éclate de rire.

Le même jour, dans l'avion qui nous ramenait de Riyad, il était tard et nous étions encore loin de Paris, quand Villepin me confia: "Jamais je n'aurais imaginé que ce à quoi je m'étais préparé toute ma vie soit confronté à un tel choc de la réalité."

J'ai reparlé récemment de cette période de la guerre d'Irak avec Villepin, devenu premier ministre, en lui demandant s'il n'était jamais tenté d'en tirer les leçons. Après tout, les faits n'ont-ils pas démontré qu'il y avait dans la désinvolture de Bush quelque chose de dangereux pour le monde et l'Amérique elle-même ? "Impossible, je suis contraint à l'humilité tant que notre pays ne se sera pas relevé."

Quelques jours plus tard, le destin lui permettait de revenir symboliquement à l'ONU, en lieu et place de Jacques Chirac. A son retour, le président, sorti du Val-de-Grâce, le convoque pour le féliciter. "J'ai senti qu'avec lui, dit Villepin, il n'y avait pas de rapport de force. Tous ceux qui imaginent que je serai un jour en indélicatesse avec lui se trompent."

 3.  Les deux hommes se connaissent depuis 1980. Jacques Chirac, alors maire de Paris, cherche quelqu'un pour l'aider sur le terrain diplomatique. Ce sera Villepin. Dès cet instant, Chirac le consulte chaque semaine. Villepin travaille tous les soirs et chaque week-end, en plus du reste, et bénévolement, pour nourrir la réflexion de Chirac et le tenir informé des dossiers sensibles. Un jour, le maire de Paris lui demande son avis sur une déclaration qu'il doit faire. Villepin envoie sa note à Alain Juppé, alors la plume de Chirac. Une seule phrase en fait, d'un humour qui cingle. Chirac, en l'absence de Juppé, convoque aussitôt l'auteur de la remontrance pour lui dire: "C'est de gens comme vous dont j'ai besoin. Un jour, nous travaillerons ensemble." Et il dresse la liste des présidents de la Ve et de leurs hommes de confiance. "De Gaulle avait Capitant. Pompidou, ses copains de Normale. Giscard n'avait personne. Quant à Mitterrand, il est entouré d'une cour et cela le perdra."

En 1995, dans les semaines qui précèdent la campagne présidentielle, quand les sondages et la presse donnent Balladur vainqueur, la rumeur dit Chirac près de jeter l'éponge. Villepin, en tête à tête, l'exhorte non sans brutalité à marquer son territoire et envoie lui-même son fax de candidature. "Depuis cette campagne, nos destins sont liés" , dit Villepin.

 4.  Je le rencontre à l'automne de cette année-là, chez un peintre marocain, Medhi Qotbi, assis un jour à côté de lui dans un avion et avec qui il s'est lié (il faudrait dresser la liste de ces amitiés de hasard qui ne doivent rien à la politique). Villepin était alors une pièce maîtresse du sérail présidentiel. Il surprenait par sa franchise et par son charme, mais plus encore par une énergie singulière, que j'apparentais à une sorte d'enthousiasme révolutionnaire, que ne modérait pas un attachement conservateur aux principes de notre Histoire et de l'Etat.

Pour ne rien arranger, il était aussi poète, écrivain et menait de front plusieurs projets de livres (Les Cent-Jours , Eloge des voleurs de feu , Le Cri de la gargouille ). "J'assume" , disait-il alors. La poésie est action: souvenons-nous de René Char au plus fort de la guerre, sa façon de forcer l'homme vers plus de souveraineté. Et de Paul Celan: "Jadis, il y avait de la hauteur."

Evoquer ce qui a été sublime, de l'endroit où il se tenait, c'était la verveine qu'il avait trouvée pour dire ce qu'il pensait de notre temps et de son camp. Il n'était pas difficile de deviner où il cherchait ses modèles, parmi les hommes qui acceptaient la présence du destin et connaissaient "le langage chiffré" des mots.

Je le retrouve de loin en loin dans son bureau de l'Elysée. Peintures coptes de chevaliers célestes au mur, éditions originales (Gracq, Genet) dans sa bibliothèque. Pour qui se plaît à imaginer la vie comme un roman, l'Elysée est une bonne adresse. Le lieu où se nouent et se dénouent les intrigues de la cour. Hubert Védrine, qui avait occupé la même fonction de secrétaire général sous Mitterrand, m'avait dit un jour: "C'est un poste d'observation unique sur la comédie humaine." Villepin regarde, jauge, apprécie. Les caractères, les profondeurs de champ, les volontés, les épaisseurs de secrets. La société française est déjà bloquée et apparemment incohérente. "Que fait le pouvoir ? me dit Villepin un matin de mars 1997 ? S'enferme-t-il dans une pièce décidé à n'en sortir qu'une fois prises un certain nombre de décisions ? Non, bien sûr, il consulte, il prend un verre avec les pompiers. Bref, il s'arrange pour ne rien décider. C'est un pouvoir virtuel, comme notre démocratie, brouillée par de faux débats et contaminée par le chômage."

En 1995, Chirac a été élu sur une idée, la fracture sociale, concept aiguisé par Villepin pendant la campagne. Mais chaque projet de réforme soulève des protestations catégorielles en même temps que les députés défilent dans le bureau de Chirac pour l'encourager à dissoudre. Le président, Juppé et Villepin décident d'en finir. Les législatives propulsent Lionel Jospin à Matignon. Le secrétaire général est désigné comme responsable du désastre de la droite.

Je le revois quelques mois plus tard. Il fulmine contre la consanguinité parisienne, la médiocrité des ambitions. Et Chirac ? "Il va mieux, mais il est sans monture." Et lui, s'est-il fait des relations amicales dans le gouvernement Jospin ? "Deux ou trois, Allègre, Védrine, Kouchner." Jeudi dernier, à Matignon, je l'interroge de nouveau sur cette dissolution. "La seule différence entre moi et les autres, c'est que j'ai toujours assumé notre décision. Cela dit, les problèmes n'ont pas changé. Le refus des réformes, le goût des combinaisons, la survie sans risque. Cette inaction engendre la dérision et salit la politique. Je n'ai oublié ni le 21 avril ni le 29 mai. Je crois que la politique c'est l'action, et, pour conduire la mienne, je m'arrime à une fidélité française et à quelques grands principes que chacun commence à connaître, c'est ma clarté."

 5.  Ce qui est certain, c'est que la crainte bien connue du président de la République de "déchirer le tissu social français", exprimée devant nombre de ses visiteurs, a fini par empoisonner ses relations avec ses premiers ministres. Le président avait peur de déchirer le tissu, et le premier ministre craignait que le président n'ait raison. Leur dialogue fortifiait la tyrannie du statu quo. Pourquoi est-ce que cela changerait ? "Ma relation avec le président est fondée sur un double registre. Celui des principes républicains et gaullistes. Et celui d'une recherche de solutions concrètes, sans idéologie. Je crois aux synthèses politiques, pas aux marchandages. Le président est assuré de ma fidélité, je connais sa pensée, le clavier qui est le sien, les fragilités dont il parle, je les prends en compte et nous avançons." Et si, au bout du compte, Chirac n'était pas mécontent d'avoir en face de lui un premier ministre qui décide ?

Il y a six mois, l'histoire n'était pourtant pas écrite. Une solide connivence existait entre les deux hommes, fondée sur des années de travail en duo, de passions communes, l'Afrique, la culture asiatique, de fidélité (jamais je n'ai entendu un mot contre Chirac dans la bouche de Villepin, qui sait mes réserves). Mais le président envisageait de finir son quinquennat avec Raffarin. C'était pour lui un confort politique et personnel. Par qui voudriez-vous le remplacer, disaient ses interlocuteurs (dont Alain Juppé) ? Villepin ? Votre ancien secrétaire général ? Surtout pas. La politique est un métier et, au coeur de ce métier, il y a l'élection.

Villepin lui a forcé la main. Un soir de l'été 2004, chez Claude Perdriel, industriel et homme de presse, la précision de ces phrases vaut condamnation d'un système à bout de souffle: "Regardons les pays qui sortent de soixante-dix ans de communisme ! Pour la première fois depuis longtemps, ils ont le sentiment d'avoir rendez-vous avec l'Histoire. Quittons notre léthargie ! Et que le pouvoir redevienne un espace d'invention et de décision."

Au début de l'année 2005, lassé d'attendre des décisions qui tardent, il part à la conquête de Matignon et s'en cache à peine. Le 2 janvier, je lis son entretien, très offensif, dans le Journal du dimanche , et je l'appelle: "Villepin premier ministre, c'est pour cette année ?" Réponse sans hésitation: "Absolument." Place Beauvau, il accélère sa réflexion et son travail de métamorphose. Un matin, il met publiquement Raffarin dans les cordes. "Il faut aller plus vite, plus loin, plus fort." Habité par le sentiment de l'urgence, persuadé que la crise morale, sociale et politique exige davantage de sacrifices et de pédagogie.

Villepin voit Raffarin le lendemain, qui ne lui dit rien. Aucune réaction de "recadrage" à l'Elysée. Chacun s'habitue à le regarder de façon différente. Après le 29 mai, Chirac l'appelle à Matignon et tourne une page de sa propre vie.

 6.  L'été passe sur Matignon avec une douceur enviable. Un léger retard à l'allumage de l'état de grâce, mais le nouveau Villepin, son obsession de l'emploi, créent la surprise, et les événements semblent s'organiser pour le servir. Il touche les premiers dividendes de sa préparation, de ses méthodes de travail collectif, du style de sa communication (jamais de petites phrases, une conférence de presse mensuelle). Il savoure ce calme sans illusions, s'inquiétant de voir de grands Etats (les Etats-Unis, la Chine, l'Inde, l'Iran) s'organiser pour défendre leurs intérêts nationaux et leur souveraineté, et donne tous ses soins aux concepts de patriotisme économique et de croissance sociale.

Mais au retour des journées parlementaires de l'UMP à Evian, le 20 septembre, tous ses visiteurs sont brutalement décommandés. Les vrais rendez-vous se nomment: déficit de la Sécurité sociale, prix du pétrole, Hewlett-Packard, SNCM. C'est pour affronter la crise qu'il est à Matignon. La crise cogne à sa porte. Plus de palladium. Le voici en première ligne, dans le temps des épreuves, l'ordalie qu'il attendait, au fond. Il a besoin d'obstacles pour que ses élans ne soient pas arrêtés court.

Plus important: il était impatient de rencontrer la vérité des Français, et la sienne aussi, face à ce déclin qu'il récuse. Les dossiers dévorent ses jours et ceux de ses ministres, dont certains, déjà, peinent à suivre les premiers pas de cette marche forcée qu'est le parcours de tout locataire de Matignon. Jeudi dernier, après une nuit très écourtée, il évoque rapidement les élections allemandes. Partout les dés roulent. "Que chacun prenne ses responsabilités. Les jeux de rôle ne suffiront pas à nous sortir de la nasse." Il se prépare pour demain et promet des surprises. Il n'oublie pas que ce sont les événements qui emploient les hommes.


Daniel Rondeau, 57 ans, écrivain et chroniqueur littéraire à L'Express, a publié de nombreux livres, parmi lesquels Tanger, Chronique du Liban rebelle, Tambours du monde et, plus récemment, Dans la marche du temps (Grasset). Il a reçu le prix Morand de l'Académie française pour l'ensemble de son œuvre et dirige la collection "Bouquins" chez Robert Laffont. Son prochain essai, sur Albert Camus, doit paraître fin octobre.

Daniel Rondeau
Article paru dans l'édition du 04.10.05


– Les longues –
                 
                 

    En extra: Les éditos du Monde    

[*] «Longues propagandistes» parce qu'il existe aussi, dans cette rubrique, des «brèves propagandistes» reprenant surtout des dépêches de l'AFP. Ici, on trouvera pour l'essentiel des articles parus dans Le Monde, qui par le fait, sont beaucoup plus longs…