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Pourquoi ces «brèves et ces «longues»

Cette série de “nouvelles” se relie aux ensembles nommés «brèves propagandistes» et «longues propagandistes», car elles exploitent les articles et dépêches qu'ils contiennent.

 S ur ce site je maintiens une rubrique «Médias» qui, comme son nom l'indique, se consacre aux médias, plus exactement à un certain type de médias, ceux à la fois «de masse» et «de flux». Le terme médium (ou média, puisqu'en France le mot s'est «singularisé» l'alternance entre singulier et pluriel ne s'y marquant pas de la même manière qu'en latin, donc la paire “médium”-“média” a, en général, cédé la place à celle “média”-“médias”) est d'acception bien plus large pour les théoriciens de l'information et désigne tout «moyen de communication», au premier chef les systèmes de signe désignés “le langage”; l'usage courant l'a réservé aux mass media puis, par restriction seconde, l'usage ordinaire aux médias de flux: presse, radio, télévision, et plus récemment l'Internet. Désormais, quand ont dit «les médias», on pense en premier à la télévision, puis à-peu-près à même niveau à la presse et à la radio, et en dernier à l'Internet. En France la critique des médias procède un peu différemment, et je dois l'admettre, j'en fais autant: les généralisations sur «les médias» visent essentiellement la télé, mais si l'on cherche des exemples précis on tend à les trouver dans la presse, pour au moins deux raisons, la presse est un médium plus durable, sur lequel on peut facilement revenir, puis notre cadre de réflexion est établi par l'école qui en France, encore aujourd'hui, a l'écrit comme référence premier de «la culture».

Maintenant, une question se pose: quel est le rôle des médias dans la société ? Dans la brève présentation des… «brèves», je le décris ainsi:

«Qu'est-ce que la propagande ? L'expression d'une certaine vision du monde. Il est bon de savoir comment la société française – pour ce qui m'intéresse sur ce site – voit le monde. D'où ces brèves…».

C'est pourquoi les séries des «brèves» et des «longues» figurent dans la rubrique «Propagande» plutôt que dans celle dédiée aux médias: mon but premier était de fournir à mes visiteurs un ensemble de textes «médiatiques» pris un peu au hasard, pour qu'ils puissent étudier, serait-ce sur une période assez courte, le traitement de cet objet insaisissable, «l'information», lequel traitement obéit souvent à d'autres motifs que celui d'informer. Plus loin, je donnerai des pistes sur les études possibles à partir de ce stock particulier d'articles et de dépêches.

Selon moi, «l'information» qui passe par «les médias» est le moyen principal pour la société en général et les divers groupes qui la composent de diffuser leur point de vue auprès des membres de cette société, ergo, se sont des instruments de propagande, au sens catholique: le mot “propagande” vient d'une institution de cette Église, la congregatio de propaganda fide, ce qui se traduit «congrégation pour la propagation de la foi». Or, c'est le but de tout groupe constitué, et in fine de la société, que de «propager la foi», dit autrement: de diffuser sa conception du monde ou, à tout le moins, d'une partie de ce monde. Prenez la presse quotidienne nationale française: chaque périodique s'appuie sur une certaine conception du monde, «de gauche», «centriste», «de droite», «catholique», «agnostique», «laïque», «libérale», «dirigiste», «jacobine», «girondine», etc. Ces éléments se combinent de diverses manières pour chaque quotidien, et constituent une «foi», une conception du monde particulière, pour dire la chose: une idéologie. Bien sûr, ça ne signifie pas que chaque information publiée par le quotidien est «idéologique», par exemple, qu'on prenne Le Monde, Le Figaro ou L'Humanité, la teneur de rubrique météo et la manière d'exposer les faits sera assez similaire, et pour tout dire, à-peu-près la même, c'est-à-dire la publication en l'état des cartes et commentaires de Météo-France. Remarquez, même publier ou non la météo des prochains jours est déjà une décision d'ordre idéologique, ou du moins, un des articles de la foi, celui qui dit qu'il est important de faire des prédictions sur le temps pour les jours à venir. Pour moi, je me passe de la météo: en me levant le matin, je regarde le ciel, mon thermomètre, mon baromètre, et c'est là-dessus que je base mon comportement vestimentaire… Non que je ne «croie» à la validité globale des prédictions de France-Météo, mais ça ne modifie pas mes obligations de la journée, qui n'ont pas de lien avec cette information, donc je n'ai pas la croyance en la nécessité de connaître le temps des trois prochains jours. C'est ainsi…

Un quotidien se crée quand des personnes jugent opportun de diffuser «l'information» en la passant au filtre d'une analyse a priori de la société; si ce n'était le cas, en France un quotidien national pour les informations générales suffirait. S'il en existe plusieurs ça répond à une autre nécessité que celle d'informer. Je dis ça car on pourrait croire que chaque quotidien publie des informations qui lui sont propres et diffèrent de celles publiées par les autres, ce qui n'est généralement pas le cas – pour le dire mieux, ce qui n'est presque jamais le cas, les quotidiens nationaux diffusant à plus de 90% les mêmes informations, sinon France Soir et Le Parisien qui se singularisent par la place faite aux sports et aux jeux de pari, surtout le turf. Il y a un mythe qui parcourt les rédactions des organes de presse, selon lequel le but premier d'un journal est d'informer ses lecteurs. Mais les informer de quoi ? Si je veux des informations, le mieux semble de m'adresser à une agence de presse pour les obtenir. On achète donc un périodique pour d'autres raisons. Par exemple, y lire une certaine analyse des faits et, par derrière, de la société, une analyse qui convient à ses propres a priori. Ou, avec les deux quotidiens cités, France Soir et Le Parisien, lire des «informations» d'un type particulier, celles qui permettent de parier au mieux sur les courses hippiques. Je mets ça entre guillemets, alors qu'en y songeant, ce type d'informations est plus informatif que nombre d'autres, notamment celles concernant le microcosme politique ou les «affaires». Il se crée aussi, plus simplement, comme une entreprise dont le but est de générer des revenus pour ses employés et ses propriétaires.

Cette courte présentation soulève trois questions: qu'est-ce que l'information ? Quel est le but prioritaire d'un média donné ? Enfin, dans leur forme actuelle, les mass média de flux répondent-ils à une nécessité sociale avérée ?


L'information: une catégorie spécieuse

L'information… Le sens de «renseignement que l'on porte à la connaissance d'un public», de «nouvelle annoncée par voie de presse» et par extension, via tout médium de flux, est récent, moins d'un siècle et demi. Au XX° siècle le mot acquit une autre acception, en gros, «message mis en forme» (= “in-formé”), qui se rattache à un sens plus ancien, en usage dans la philosophie, l'«action de donner ou de recevoir une forme», sinon que l'usage récent est au centre de ce qu'on nomme justement la (ou les) théorie(s) de l'information. Cela dit, s'il y a une «théorie de l'information» originelle, élaborée par Claude Shannon dans les années 1940 et formalisée dans l'ouvrage A Mathematical Theory of Communications en 1948, d'une part ce n'est, à cette période, qu'une “théorie de l'information” parmi d'autres, sinon qu'elle seule prend ce nom (cf. la cybernétique ou une certaine logique communicationnelle, apparues au même moment dans les mêmes cercles intellectuels ou, un peu avant, ceux de la linguistique structurale et de la philosophie pragmatique, et les travaux de cette lignée de logiciens qui sont aussi mathématiciens et philosophes: Frege, Russell, Wittgenstein), de l'autre se développèrent par la suite diverses théories et hypothèses se réclamant de la «théorie de l'information» ou «théorie de la communication» sans pourtant avoir guère de liens avec les hypothèses de Shannon. Comme l'écrit avec justesse, au début de l'article, l'auteur de la rubrique sur ce thème dans l'encyclopédie libre Wikipedia, «La théorie de l'information se préoccupe des systèmes de communication et de leur efficacité. La notion de système de communication étant large, il en va de même de la théorie de l'information». Mais on en dira autant de beaucoup des objets de la science, voire tous: la notion qui les sous-tend est large.

“Information” est d'abord – d'un point de vue d'antériorité historique – un terme juridique et policier (on le relève au XIII° s. avec le sens de «enquête faite en matière criminelle par les officiers de police», au XIV° avec celui de «enquête judiciaire»); il en reste quelque chose, puisque dans le vocabulaire juridique une information est une «instruction judiciaire diligentée par le juge d'instruction ou par des officiers de police judiciaire agissant sur commissions rogatoires pour obtenir la preuve d'une infraction et en découvrir les auteurs»; d'où le sens général qu'on retrouve notamment avec le syntagme «mission d'information», d'«action de s'informer, de recueillir des renseignements sur quelqu'un, sur quelque chose», bref, d'enquête, auquel se rattache aussi l'acception d'«action d'une ou plusieurs personnes qui font savoir quelque chose, qui renseignent sur quelqu'un, sur quelque chose», qu'on voit dans le syntagme «réunion d'information», qui peut se paraphraser comme «compte-rendu d'enquête». L'information au sens des médias, l'«action de s'informer, de recueillir des renseignements sur quelqu'un, sur quelque chose», dérive de ce sens, d'où dérive l'acception «ensemble des activités qui ont pour objet la collecte, le traitement et la diffusion des nouvelles auprès du public».

il y a cependant un autre sens du mot, plus restreint, celui de «faits, événements nouveaux, en tant qu'ils sont connus, devenus publics» d'où dérive celle propre aux médias de «fait, événement d'intérêt général traité et rendu public par la presse, la radio, la télévision», dont le synonyme est le mot “nouvelle” et qui, au pluriel, est utilisé par la radio et la télé pour spécifier les émissions dédiées à la diffusion de nouvelles, dites aussi “journal” au sens de «journal d'information». Enfin, il y eut un glissement de type métonymique consistant à rabattre le contenant sur le contenu, en ce sens que «l'information» est désormais quelque chose comme «l'ensemble des écrits (ou des discours) accessible via un médium d'information». Il n'est pas certain que tout ce qui s'écrit dans Le Monde ou tout ce qui se dit dans le journal de 20h de TF1 soit à strictement parler de l'information selon l'une des acceptions ci-dessus, mais on considère par convention que c'est le cas. Pour conclure là-dessus, une belle citation que je reprends du Trésor de la Lange Française (le TLF), d'où viennent d'ailleurs toutes les définitions citées ici:

«Le journaliste avait beaucoup plus besoin d'aller chercher l'information. Nous sommes dans une société de communication et ceux qui détiennent des informations sont beaucoup plus poussés qu'autrefois à les livrer au public. Mais il faut creuser davantage l'information ainsi préparée et découvrir l'information cachée. C'est difficile car ceux qui délivrent l'information ne livrent par définition que ce qu'ils veulent rendre public.
J. FAUVET, ds Presse et techniques d'information, Lausanne, Ed. Grammont, 1975».

Belle citation, car on y voit bien se déployer l'ambivalence du terme, “information” étant ici utilisé, plus ou moins volontairement, dans plusieurs de ses acceptions.

Bien que l'emploi du mot chez les médiateurs ou les critiques des médias soit autre, la théorie de l'information n'est pas sans intérêt pour discuter des médias de flux. Un médium est proprement la partie «canal» de la communication, le lieu par lequel on fait passer les messages; ici aussi il y a métonymie, car quand on parle des médias on songe plutôt au contenu (le message) ou à la forme (la manière de l'exprimer) alors que le mot désigne le contenant, l'instrument qui permet de diffuser contenu et forme. Ce n'est pas la télévision ou l'organe de presse qui informe, mais le journaliste. En fait, ce qu'on désigne comme «les médias» se restreint, comme suggéré plus haut, aux médias de flux, et non à l'ensemble des médias: sauf ceux qui s'intéressent à la chose, presque personne ne songera à considérer l'écriture en soi, ou la librairie, ou le cinéma, ou le téléphone, ou… Bref, tous les moyens de communication, comme des médias, et on réservera le terme aux médias ou à certains procédés utilisant des médias énoncés plus haut: radio, télé, presse, Internet. En ce sens restreint, «les médias» désigne plutôt l'ensemble des entreprises ou sociétés, à but lucratif ou non, dont l'outil de production est dépendant d'un média de flux. Les médias entendus ainsi sont donc des «entreprises à but», elles ont un projet indépendant du médium utilisé mais dépendent de ce médium pour réaliser leur projet. Et toutes n'ont pas le même projet. De ce fait, on ne peut déterminer une catégorie spécifique et univoque désignable «l'information» qui vaille pour toutes ces entreprises. Raison pour laquelle cette catégorie est, selon moi, spécieuse.


Quel projet pour quelle entreprise ?

Sur la question de l'entreprise en tant que structure de production, on peut déjà diviser les médias en deux groupes, ceux à visée de lucre et ceux sans cette visée. Dit autrement: ceux pour lesquels la génération de profits est un but, une fin, et ceux pour lesquels il ne compte pas ou n'est qu'un moyen, celui de pérenniser la structure. Tout du moins, cette opposition vaut lors de la création de l'entreprise, car le temps passant il se peut (et il arrive souvent) que la priorité initiale concernant le lucre change, dans l'un ou l'autre cas. Cette différence est essentielle car elle induit ceci que, si pour les entreprises à but non lucratif, il peut en aller de même, en tous les cas pour celles à but lucratif l'objet industriel de l'entreprise est toujours un moyen, celui de générer des revenus. Mon opposition ne recouvre bien sûr pas celle de la loi française, laquelle définit les entreprises (les “associations”) à but non lucratif en opposition avec celles dites commerciales et industrielles, à partir d'autres critères et pour d'autres motifs – des questions de «raison sociale» et de pratique interne, induisant des différences sur les plans fiscal et légal et des obligations de gestion différentes. Dans mon cas, cette question de lucre VS non lucre se réfère à cette question constante: fin ou moyen. Dans la pratique, on peut voir que de nombreuses «association à but non lucratif» au sens de et selon les statuts la loi de 1901 sont «à but lucratif», c'est-à-dire que le motif initial de leurs créateurs est d'utiliser la structure comme «centre de profit», comme structure permettant de générer du revenu légal; en sens inverse, nombre d'établissements industriels et commerciaux ont comme but principal la diffusion d'un produit, mais soit leurs créateurs ont jugé que ce type de structure répondait mieux à la mise en place de leur projet, soit des critères objectifs les obligeaient à choisir ce statut.

Ce but (ou non but) structurel n'induit pas quel projet les créateurs d'un média ont lorsqu'ils décident de le fonder. L'idée un peu facile selon laquelle on crée un tel instrument pour «informer, distraire et éduquer», ou quelque chose du genre, n'est pas toujours, et dirais-je même n'est pas souvent vérifiée. Ou alors, il faut prendre ces trois termes en des acceptions très larges. Excessivement larges… Factuellement, une grande part des médias de flux visent à autre chose.


Une fin ou un moyen ? Et quelle pour fin quel moyen ?

Donc, la production médiatique peut-être fin ou moyen sous les aspects du lucre: quand Hubert Beuve-Méry fonde Le Monde, son périodique est le moyen d'une fin, disons pour l'instant quelque chose comme «informer et instruire», la question du lucre se pose seulement, comme dit, pour la pérennité du quotidien; quand Prisma Presse crée Voici, le lucre est une fin, l'hebdomadaire un moyen pour y parvenir. Cela ne résoud pas cependant, dans le premier cas, la question de la fin, mais du moins ça permet un partage net entre deux ensembles, ceux pour lesquels le contenu du média est assujetti au désir de faire du profit, et ceux pour lesquels ce n'est pas le cas. Et l'on peut constater que les médias à but lucratif usent des mêmes ressorts pour parvenir à leur fin lucrative: faire du people, comme on dit en français du XXI° siècle; ne point trop s'occuper des sujets qui fâchent (politique, sujets de société, religion) ou alors le faire dans le sens du vent, celui indiqué par les sondages et par les pouvoirs publics, ou donc, le faire sous un angle “paillepeule”; faire rêver (toujours avec nos sujets “pipol”, ou avec des jeux dotés de prix attractifs, ou des émissions de supposée «télé-réalité» mettant en valeur des personnes supposées être «comme tout le monde», donc «comme vous» — cela dit pour le supposé «téléspectateur moyen»); éveiller les sentiments primaires (peur, désir) ou constitutifs (l'assouvissement des pulsions). Les moyens sont connus, ainsi que les buts, faire de l'audience, de la vente, du profit. On peut en tout cas constater ceci: pour ce type de médias, le contenu n'a pas d'importance en soi, il ne s'agit en rien d'informer ou de former, on peut dire en somme qu'il n'y a pas de message dans leurs articles ou leurs émissions, au sens où l'entend la théorie de l'information.

Ce qui ne signifie pas pour autant qu'en arrière-plan, consciemment ou non, il n'y ait pas de message délivré: quoi que puisse en penser un créateur de média, utiliser un moyen de communication c'est communiquer, donc «délivrer un message». Lorsque j'entends parfois des personnes qui usent d'un médium au sens général dire «je n'ai pas de message à délivrer», je songe qu'elles semblent ne pas comprendre ce que signifie communiquer, ni savoir ce qu'est un message. On l'entend souvent de la part de chanteurs, d'artistes de toute sorte, et bien sûr d'animateurs de radio ou de télévision. Et aussi, hélas, de la part de directeurs d'organes de médias au sens restreint. Quoiqu'il en soit, L'avantage général des médias à but lucratif est leur simplicité catégorielle; pour les autres, rien d'aussi simple.

On dira, en un premier temps, qu'il y a des médias «idéologiques» et d'autres «non idéologiques». Manière de dire: des médias ayant une position idéologique explicite qui guide clairement leur manière de choisir et de présenter l'information, et d'autres qui se posent comme n'ayant pas d'idéologie spécifique étayant leur analyse des faits et du monde. Ce n'est bien sûr pas si évident, car même le plus honnête et sincère créateur de médium a une certaine conception du monde et ne peut pas ne pas en tenir compte lorsqu'il va concevoir la structure générale de son médium, en définir le contenu et en fixer la «ligne éditoriale». Ce n'est pas si évident non plus pour les médias «idéologiques», car le temps passant il peut y avoir une certaine distance, voire une distance certaine entre le projet initial et l'effectivité des choses. En France, on a le cas notable du journal Libération, qui commença comme organe idéologique (“maoïste”), puis s'éloigna d'un groupe spécifique mais resta très marqué par un certain courant (“l'extrême gauche”) pour aller vers un position plus générale (“la gauche”) pour finir, comme la majorité des quotidiens actuels, vers cette position centriste et plutôt consevatrice, avec dans son cas cette orientation vaguement sociale qu'on nomme en France en ce début de XXI° siècle «la gauche». Ce qui n'empêche les non lecteurs de Libération de croire encore, sur la base d'une réputation dépassée depuis deux décennies (précisément, depuis la refonte radicale de 1981— une année fatidique pour la gauche…) que c'est un périodique de gauche extrême sinon d'extrême-gauche. Là n'est pas mon propos, mais je reviendrai sur le cas de l'évolution des médias un peu plus loin, pour la troisième question. Parmi les médias «idéologiques» on peut faire une autre séparation, ceux reliés à un groupe précis, parti politique, Église, syndicat, association, etc., qu'on appelle «organe de…» (p. ex., L'Humanité fut «l'organe du parti communiste», La Croix fut «l'organe de l'Église catholique» – si du moins ils ne le sont plus —, ou encore, La Décroissance est l'organe de l'association Casseurs de Pub) et ceux qui se relient à un courant sans affiliation particulière (Le Figaro est un quotidien «de droite», de même Libération, quoi que j'en pense pour mon propre compte, est un journal «de gauche», mais sans plus de spécificité; de même, Charlie Hebdo et Politis ont des liens avec plusieurs mouvances dites «la gauche de la gauche» par ceux qui n'y sont pas, «la gauche de gauche» «entendez: vraiment de gauche] pour ceux qui y sont, sans suivre une ligne politique spécifique).

Les médias «non lucratifs non idéologiques» sont rares. J'ai quelque peu simplifié la catégorie des médias lucratifs, il en existe beaucoup qui ont d'autres ressorts que ceux énoncés. Par exemple, ceux «spécialisés». Des chaîne de télé comme Planète ou Eurosport, un quotidien comme L'Équipe ont, peut-on dire, un «but lucratif», sans pour cela céder aux «bas instincts»; on dira qu'ils «sont positionnés sur un créneau porteur» sans cependant céder à la démagogie et la facilité, traits qualifiant plutôt les médias à but lucratif dits généralistes. Là-dessus, un médium généraliste «non idéologique», je dois dire que c'est pour moi une catégorie virtuelle: on peut imaginer ou croire que ça existe mais l'effectivité des choses ne l'a pas démontré. Et cela vaut aussi pour les médias à but lucratif, lesquels sont animés par deux idéologies qui le plus souvent se complètent mais parfois s'opposent: celle du profit et celle dominante dans leur contexte politique, économique et social.

La conclusion de ces développements est que, factuellement, pour la majeure partie des entreprises de médias, leur production est un moyen, et que même dans les rares cas où elle apparaît à ceux qui le créent, une fin, l'idéologie sous-jacente à leur projet fait que pour quiconque ne la partage pas, elle apparaît un moyen. Ce qu'elle est par nature, quand on y réfléchit: utiliser un moyen de communication pour s'exprimer induit quie qui en use désire – justement – communiquer une certaine expérience dans une certaine forme; quand cela se fait en interaction, il y a un partage, chaque interlocuteur exprimanr à son tour son point de vue; dans le cas des médias de flux unidirectionnels (ce qu'est en partie seulement Internet) et plus largement des mass media, il n'y a pas de réel partage, une seule des instances de la communication ayant l'opportunité de s'exprimer. Du fait de cette unidirectionnalité et quelle que soit l'intention de ceux qui animent le médium, il se révèle un instrument idéologique en ce sens qu'il n'autorise qu'un point de vue, celui du médiateur.


Un média, mais pour faire quoi ?

C'est une question. Quelle peut être la nécessité sociale, l'utilité d'un média ? C'est pour moi la question la plus importante. Or, de ce que j'en puis juger, exception faite des médias idéologiques à position claire – c'est-à-dire, qui ne font pas mystère de ce que les textes qu'ils publient sont dans une orientation précise et ne prétendent en rien à «l'objectivité» – et restent sur cette position (pour exemple, Politis ou La Décroissance), il y a une fatalité à ce que, si ce n'est dès le début, au bout d'un certain temps l'utilité sociale d'un média tende vers le néant, dès lors que ses producteurs visent à ce qu'on appelle «la rentabilité». Par nature un médium est une entreprise non rentable, car peu de personnes ont les moyens de payer le prix réel pour «louer» leur contenu. Je dis “louer” en ce sens qu'on ne peut réellement acheter ce contenu, lequel est, in fine, le message, «l'information». Prenez par exemple le cas du texte que vous êtes en train de lire: ce dont vous pouvez disposer, et donc que vous pourriez acheter au cas où il me prendrait l'idée saugrenue de le vendre, c'est une forme, des mots qui s'alignent pour composer des phrases, des phrases mises en alinéas, des alinéas pris dans des paragraphes, et au bout de cela, «un texte». Bon, mais ce que je vous vendrais ne serait donc qu'une forme, infiniment reproductible, et que n'importe qui peut se procurer à équivalence. Par contre, l'idée que représente cette forme est unique et n'existe qu'en un seul lieu de l'univers, disons, quelque chose comme «en mon esprit». Une notion assez discutable mais pour le moment disons cela.

Donc, j'ai une idée, et je l'exprime sous la forme d'un texte, ou un discours, ou un film, ou tout autre moyen médiatique. Vous (ou quelque autre des votres) «achète mon idée». Il la met sous copyright, la brevète, bref la protège d'une quelconque des manières socialement admises. Problème, une idée n'appartient en réalité à personne. Un meuble, un jouet, une automobile, une sculpture sont fabriqués en un certain lieu par une certaine personne; chacun de ces objets est unique, a une certaine extension spatiale et est localisable, et il n'appartient à un moment donné qu'à une seule personne physique ou morale[1]. Une idée a de tout autres propriétés: une fois émise, à la fois elle n'appartient, comme dit, qu'à la personne émettrice, et elle appartient à qui la fait sienne; et en ce cas la «même» idée pourra appartenir à plusieurs personnes en même temps. Prenons un cas simple: la théorie de la relativité restreinte qu'on fête tant en cette année 2005, «appartient» à Albert Einstein en ce sens qu'il en est l'auteur; mais une fois dans le domaine public, elle appartient à qui en a connaissance et la fait sienne pour l'intégrer à sa propre compréhension du monde. Cela dit, même le réputé auteur d'une idée n'en est que le dépositaire: Einstein n'a pas sorti toute cuite de son esprit l'hypothèse – devenue théorie – de la relativité; elle est la conséquence d'une longue chaîne de réflexion allant de Newton à Maxwell; et l'on sait ou on le devrait, qu'en la même année 1905, Henri Poincaré écrivit un texte conceptuellement très proche de celui du Grand Albert. Cela donna d'ailleurs lieu, lors du centenaire de la théorie, sur cette question, qui fit écrire ceci à cet imbécile de Claude Allègre, ci-devant ministre de l'Éducation nationale, dans sa chronique de L'Express:

«Aujourd'hui, il faut se rendre à l'évidence: Einstein n'a pas inventé la théorie de la relativité (restreinte). Le premier découvreur de cette théorie fut un français: Henri Poincaré. La physique mondiale sait cela depuis que le Britannique Edmund Whittaker l'a dit, mais peu de scientifiques compétents ont voulu s'assurer de la véracité de ce fait. Personne n'osait s'interroger sur les mérites du génie absolu. La physique moderne avait sacralisé Einstein».

Une idée n'a pas d'auteur, elle s'inscrit dans un contexte: Einstein n'est pas, comme le prétendait le dénommé Whittaker cité par Allègre, le copieur d'Henri Poincaré, l'un et l'autre s'appuyent sur les travaux les plus aboutis de leur temps, dont ceux de Lorentz en 1895, et tentent de résoudre un même problème avec les mêmes outils conceptuels; le résultat logique en est une conclusion convergente. Pour un état plus consistant de la polémique que la vision allégrienne quelque peu obtuse, voir l'article «Einstein, Poincaré, Lorentz: à chacun sa relativité» du physicien Pierre Leyraud, piblié dans le quotidien Le Devoir. Incidemment, il semble que les motivations de Whittaker dans sa contestation de paternité furent beaucoup plus politiques et académiques que scientifiques. Passons.


Vendre des idées: un commerce délicat

Croire qu'on peut être propriétaire d'une idée me semble donc idiot. Or, c'est ce que semblent croire les gens qui font commerce de médiation. Sur le site du quotidien Le Monde, chaque page, mêmes celles contenant des courriers de lecteurs ou des réactions d'internautes, comporte la mention «© Le Monde.fr» qui est un lien renvoyant à la page «Licence et droits de reproduction» où on nous précise les conditions et les restrictions d'usage des textes publiés par le site, et les risques encourus en cas de violation de ces règles. Il y est notamment précisé que «Toute mise en réseau, toute rediffusion, sous quelque forme, même partielle, est donc interdite». Est-ce que la «mise en réseau […] partielle» de la page discutée est une violation de la licence mentionnée ? Problème, sur le site du quotidien Libération figure à chaque page une mention «© libération» qui est un lien renvoyant à la page «Licence» où on peut lire ceci: «Toute mise en réseau, toute rediffusion, sous quelque forme que ce soit, partielle ou totale, sont donc explicitement interdites sans l'accord exprès et préalable de la Sarl Libération»; outre que je me rende encore coupable du délit de reproduction illicite, on voit que les parties «Toute mise en réseau, toute rediffusion, sous quelque forme» et «partielle ou totale» se retrouvent sur les deux pages. Qui a copié qui ? Due l'antériorité du premier site cité, je serais «Le Monde SA» je ferais un procès à «Libération SA» pour usage illicite d'un texte déposé (en bas de ces pages de «licence» figurent le fameux “©”).

Il y a plusieurs sortes d'écrits, qu'on peut cependant classer en quelques grandes catégories: textes d'imagination et de style (romans, poèmes, nouvelles, contes, journaux personnels, bref ce que l'on désigne ordinairement “la littérature”); textes de réflexion (essais, critique, analyses non contextuelles, etc.); comptes-rendus personnels, tels que ceux publiés par des chercheurs, des industriels, des associations, des États, etc., qui, donc, «rendent compte»; enfin toute une littérature diverse qu'on peut désigner comme «le commentaire de la réalité», qui n'ont pas un caractère personnel, qui n'ont pas non plus un caractère de réflexion particulière, et qui ne rendent pas compte de quelque chose qui appartient en propre à ceux qui font ces commentaires. Sans négliger l'originalité du contenu, il existe un droit d'auteur et un droit de copie pour les textes littéraires qui se justifie par le fait que la forme proposée est unique et propre à leurs auteurs: il y a une et une seule personne qui à un et un seul moment a écrit un certain texte intitulé À La Recherche du temps perdu, et son droit moral sur ce texte est indubitable (ce droit est inaliénable et n'a pas de rapport avec le «droit moral» légal, limité dans le temps). Il en va de même pour les textes de réflexion, avec ceci que le droit s'étend aussi au contenu: La République de Platon, les Essais de Montaigne sont à la fois une certaine forme et un certain contenu propres à leurs auteurs et qui ne sont attribuables à personne d'autre. Pour les comptes-rendus, le partage est plus délicat: factuellement, c'est le contenu qui fait l'objet d'un droit, mais c'est par une certaine forme qu'on accède à ce contenu; la forme par laquelle Albert Einstein rendit compte de sa théorie de la relativité restreinte importe peu, par exemple, exceptées les quelques formules mathématiques qui la formalisent, cependant un certain texte d'une certaine forme publié en un certain temps et en un certain lieu «fait foi» de sa qualité d'auteur de la théorie, sans pour autant avoir une valeur formelle digne de droit moral. Enfin, voici nos commentateurs: ils parlent de choses qu'ils n'ont pas imaginées, n'ont pas une réflexion propre sur leur sujet, la chose dont ils rendent pas compte ne leur appartient pas en propre; et finalement le temps et le lieu de publication n'établissent pas la preuve de l'antériorité de quelque de ces commentaire sur tous autres. Prenons quelques cas de commentaires dans mon actualité pour comprendre la chose.

Samedi 22 octobre 2005, un avion nigérian a disparu. Dans un article daté du 23/10/05 à 09h35, le site “lemonde.fr” s'en fait l'écho. Mais comme l'indique cet article, celui qui l'a composé s'est inspiré des dépêches de l'AFP. Ces dépêches


[1] Il faut prendre ici la notion de «personne morale» en un sens assez extensif, quelque chose comme «toute entité admise comme un ensemble cohérent ayant des droits et devoirs spécifiques attachés à elle», et non dans le sens restreint du droit français ou européen concernant les «personnes morales». Dans cette acception une famille, une secte, un groupe d'appartenance, une commune, une région et jusqu'à la société et même l'humanité entière sont des personnes morales; par exemple, les objets déterminés par l'ONU comme faisant partie du «patrimoine commun de l'humanité» appartiennent à tous les humains; tous, donc l'ensemble, ont les mêmes droits et devoirs envers eux. ledit patrimoine définit ainsi en miroir une personne morale, «l'humanité».