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 A ppelons-les groupes G1, G2, G3, G4 et G5. À un instant T1, G1 arrive en un endroit inoccupé, qu'on dira “le pays”, et décide de s'y installer; à T2, G2 arrive dans “le pays” et décide de s'y installer; comme il y a de la place pour deux, il s'arrange avec G1 et tous deux arrivent à un accord selon lequel, losrque la place commencera à manquer autant de membres de G2 que nécessaire quitteront “le pays”, soit pour aller chercher leur propre place, soit pour chercher des ressources complémentaires qui permettont à tous les membres de G1 et G2 de continuer à vivre convenablement dans “le pays”; avec le temps, les membres de G1 et G2 se mélangent, mais comme il y a l'accord, le fruit de ces unions sera, sur certains critères, compté dans l'un ou l'autre groupe, de manière à savoir qui parmi les occupants de “le pays” devrait, le cas échéant, être éloigné. Naissance du premier problème: la classification en représentants de G1 et G2 étant arbitraire, certains membres de G2, de tendance sédentaire, trouvent injuste de devoir partir, et certains membres de G1, de tendance nomade, injuste de devoir rester; puis, si un des membres de G2 a fait alliance avec un membre de G2, ils n'auront pas envie qu'on les sépare, et l'arbitrarité de leur classification fera que l'on devra inventer un système de départage pour déterminer si on doit ou non obliger tel et tel à respecter le commandement qui lui est fait de rester ou de partir. Au fur et à mesure que l'instance de décision en charge du système de départage prend des décisons, on les enregistre pour que, les fois suivantes, on puisse «simplifier la procédure» en se référant aux cas similaires qui, dira-t-on, «font jurisprudence». Mais cette manière d'enregistrer les cas, qui au départ semble pratique, devient problématique avec le temps par le foisonnement infini de cas précédents; on décide alors de réduire ces cas en les prenant par ensembles similaires, en déterminant un «cas-type» pour chaque ensemble, et en appuyant les décisions non plus sur les cas réels mais sur le cas-type. Naissance du deuxième problème: certains ne sont pas satisfaits de la décision; quand ce sont des membres supposés de G2, ça n'a pas dincidence immédiate, mais avec ceux de G1 oui: ils restent, leur rancœur augmente avec le temps, et en plus ils transmettent ce ressentiments à leurs descendants. Plus le temps passe, plus les insatisfaits sont nombreux. Pour exprimer leur insatisfaction, ils enfreignent les règles de vie en vigueur dans “le pays” ce qui en désorganise la vie, générant d'autres problèmes et un «sentiment d'insécurité» parmi ceux qui subissent les conséquences des infractions. Du coup, on donnera à l'instance de cécision une deuxième fonction: punir les auteurs d'infraction. On dressera une liste à deux colonnes, d'un côté les «délits» qui sont des infractions réparables, de l'autre «les crimes», celles irréparables; les auteurs de délits seront considérés G2, et les auteurs de crimes considérés G1; la sanction pour les uns sera «l'inclusion renforcée» ou «assignation à domicile», celle pour les autres «l'exclusion immédiate» avec effet à temps ou définitif, selon la gravité des faits.

Avec le temps, des effets secondaires apparaîtront: de plus en plus de membres de G1 seront rancuniers, mais apprendront à ruser avec les règles, par exemple en ne commettant d'infractions que dans les cas où ils s'assurent qu'on ne les verra pas faire, ce qui leur évitera la sanction; ou en laissant des indices pour que ces infractions soient attribuées à un tiers, qui en sera puni et, si c'est un délit, fera par après un nouveau membre rancunier, et même doublement rancunier puisqu'on le punit d'un délit qu'il n'a pas commis; la multiplication des infractions fera que l'instance de décision ne sera plus en état de les traiter tous, ce qui en laissera avec le temps de plus en plus impunies, et ça créera de la rancœuer chez ceux qui en furent victimes; au bout d'un moment la quasi totalité des membres de G1 seront des gens plein de rancœur, et la communauté vivant dans “le pays” sera incapable de fonctionner correctement. Pendant ce temps il se passe des choses, passé “le pays”: les supposés membres de G2 qui se sont retrouvés dehors contre leur gré vont à leur tour former un ou plusieurs groupes, qui auront en commun de désirer se venger des gens qui vivent dans “le pays”; l'un au moins, que l'on nommera G3, trouvera un territoire T2 où il pourra s'établir, et à partir duquel il préparera une manœuvre pour «obtenir réparation», c'est-à-dire se venger de G1.

J'arrête-là, vous aurez compris le truc: G4 sera un groupe allié à G1 et/ou G2, ou allié à G3, T3 un lieu investi par les membres de G1 et/ou G2 ayant subi la vengeance de G3 qui ont décidé de ne pas subir sa loi; G5 l'occupant de T3 devant s'accommoder de l'arrivée des vaincus, etc. Et partout les rancœurs s'accumulent parce que partout la terre est rare, les habitants plus nombreux à chaque génération, qu'il faut donc en exclure certains, que la seule manière de les exclure sans que la rancœur s'accumule serait de les tuer, mais qu'on s'y refuse. C'est à cause de la règle de réciprocité: ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas que l'on te fasse; dit autrement: ne fixe pas des règles que tu ne souhaites pas qu'on t'applique. N'édicte pas des lois qui te semblent injustes. Par exemple, si tu ne souhaites pas que l'on te condamne à mort, proscris la peine de mort de tes lois. Moi, je n'ai pas peur de la mort, donc je suis a priori non défavorable à la peine de mort; a priori je n'y suis pas favorable non plus. Et a posteriori je m'en fiche: qu'elle soit ou non applicable, je ne commets jamais d'infractions qui me mettraient en situation de devoir être condamné à mort. Puis in fine, je me dis: il n'est pas judicieux de proscrire qui ou quoi que ce soit, immanquablement ça génère des situations problématiques qui vont créer de la rancœur. Il faut trouver une règle qui sanctionne sans proscrire.


Première question: qui est «moi-même» ? Est-ce que «moi-même» commence le jour de la majorité ? Le jour où on l'obtient son bac ? Le jour où l'on entre en classe de sixième ? Le jour où l'on entre en CP ? Ou en maternelle ? Le jour où l'on prononce sa première phrase, ou son premier mot ? Le jour où l'on marche ? Le jour où l'on fait sa première dent ? Le jour où l'on naît ? Le jour où l'on est conçu ? Un certain jour entre ces deux moments ? Le jour où deux êtres décident d'avoir un enfant ? Le jour où un ensemble d'individus décide de fonder une société ? Le jour d'apparition du premier humain ? Du premier primate ? Du premier vertébré ? Du premier eucaryote ? Du premier procaryote ? Le jour du big bang ? Et oui, «moi-même» est difficile à définir, donc les choses qui s'appliquent à «moi-même» aussi. Par exemple, si je suis contre la peine de mort et que je dis que «moi-même» commence le jour de sa conception, je ne peux pas, en cohérence, être favorable à l'avortement. Parce qu'on aurait pu appliquer à «moi-même» la peine de mort. Autre cas: je suis pour l'instruction publique obligatoire et pour la liberté des personnes, et dis que «moi-même» commence le jour de sa conception; conclusion: l'enfant d'âge scolaire est un «moi-même», et doit pouvoir choisir si on l'instruit ou non.