A yant lu « Innéité ou acquisivité
des langues ? », dans cette même rubrique, peut-être pensez-vous que son auteur est un
féroce « acquisiviste » ou, dirait Michael Albert, « environnementaliste ». Pas du
tout : je présume que le langage est une fonction innée chez les humains. Mais d'autre manière que
les tenants de la grammaire générative et transformationnelle ou GGT, devenue depuis « grammaire
universelle », ou les partisans de ce que Jerry Fodor appelle « modularité de l'esprit ».
Disons qu'eux et moi ne plaçons pas inné et acquis aux mêmes points. Pour Chomsky et Fodor il existe des
« organes mentaux » ou des « modules du cerveau » constitués d'avance, régis par
notre patrimoine génétique, ne réclamant que d'être activés par l'environnement ; pour moi – et
pour bien d'autres – les humains ont dans leur majorité le patrimoine permettant d'accéder au langage et
à la pensée articulée, mais ceux-ci sont constitués en leur esprit par l'environnement. Pour dire les
choses, les gens comme moi pensent que Pasteur et Darwin ont raison, Chomsky et Fodor semblent
privilégier les tenants de la génération spontanée et « Il est aujourd'hui tout à fait évident que la grande majorité des concepts
de la psychologie, de la psychiatrie, de l'anthropologie, de la sociologie et de
l'économie sont complètement détachés du réseau des “fondamentaux” scientifiques. Une hypothèse dormitive« Grammaire universelle » et « modularité de l'esprit » sont des hypothèses dormitives, « complètement détachées du réseau des “fondamentaux” scientifiques ». Certes, en jetant un œil aux ouvrages de Chomsky et Fodor vous verrez de jolis diagrammes, des formules de type mathématique, tout un appareillage de règles et de modélisations, mais se servir du langage de la science n'est pas obligatoirement faire de la science : les ouvrages de sociobiologie ou d'astrologie ont aussi un aspect formellement scientifique. Pourquoi ce qu'Albert nomme « hypothèse innéiste » est selon moi « dormitive » ? Parce qu'à l'inverse de ce qu'on attend d'une théorie scientifique, au lieu de modéliser la cause à partir de l'effet, elle modélise l'effet à partir de la cause : à partir du constat indubitable que les humains parlent, Chomsky postula en 1955 une virtus discursiva, selon laquelle il y a chez les humains un « principe discursif », un « organe mental de la parole », et depuis, produit régulièrement des livres pour affiner le modèle, sans faire la démarche scientifique de base : éprouver, vérifier. Une fois posé qu'il y a en nous « une discursitosis qui s'exprime dans la réponse des humains à la langue », il ne vise pas à déterminer de quoi est faite cette discursitosis, mais comment elle se réalise. D'accord avec Bateson, je considère que « la prédiction est un test très faible pour une hypothèse, et qu'elle “marche” surtout dans le cas des “hypothèses dormitives” ». Ce qui ne veut pas dire, bien sûr, que la prédiction est antiscientifique, simplement, elle ne certifie pas la scientificité d'un argument. Pourquoi ? Parce ce genre de prédictions se fait sur des événements dont on est certain à faible taux d'erreur qu'ils se produiront, et quand ils ne se réalisent pas obtient en général le même taux d'erreur que pour une théorie non dormitive, aussi longtemps que celle-ci n'a pas établi de protocole valide ou que le mécanisme causal n'a pas été mis en évidence. Tant que Pasteur n'a pas établi un protocole validant son hypothèse, son explication ou celle des « spontanéistes » se valaient ; la logique allait contre les spontanéistes, mais les faits, plutôt pour eux. De même, Wegener exposa son hypothèse de la dérive des continents en 1915, et la logique était pour lui, mais il fallut attendre 1965 environ pour invalider empiriquement l'hypothèse des « ponts entre les continents » et valider celle de Wegener. Tant qu'on ne peut les invalider empiriquement ou expérimentalement, les explications dormitives sont « plus efficaces », non parce qu'elles le sont vraiment, mais parce qu'elles ont la vertu de proposer une explication causale, ce qui est satisfaisant pour la paix de l'esprit, sinon pour la vérité de la science. La GGT est une « modélisation prédictive » assez semblable à celle de la génération spontanée : sachant qu'un morceau de fromage dans un tube à essais formera un amas de pénicillium au bout de (x) jours, je peux élaborer une « théorie » qui « explique » que le fromage a (en latin de cuisine) une virtus penicillia, et « prédire » qu'au bout de (x) jour sa virtus penicillia le transformera en amas de penicillium ; comme la deuxième partie de mon « hypothèse » sera toujours vérifiée, et que la première est infalsifiable, ma « théorie » est « vraie ». Avec la GGT, on a une chose de ce genre : Chomsky postule que la faculté de langage vient d'une capacité innée, une sorte de « génération spontanée de la langue » ; qu'elle est la même pour tous les humains et ses éléments constitutifs les mêmes pour tous ; que pour se réaliser elle doit passer par un processus dit « règles de réécriture », variable selon les individus et les langues, mais en nombre fini ; enfin, de même que la virtus penicillia a besoin du contact de l'air pour s'activer, la virtus discursiva a besoin du contact avec des humains parlant pour se réaliser. Les deuxième et quatrième postulats sont toujours vérifiés, les premier et troisième infalsifiables, et en outre ni ne se déduisent des deux autres, ni ne sont nécessaires à leur réalisation, mais ce type d'argument ne trouble pas les certitudes du croyant… Par chance, la GGT postule qu'un humain plongé dans un environnement germanophone réalisera sa fonction innée en Allemand, et non en italien ou en volapük, et par chance un humain plongé dans un environnement lusophone parlera portugais… Au bout de tout ça, qu'apporte la GGT à une explication causale des langues ? Pas grand chose, et même, rien. On postulerait que c'est la Petite Souris qui vous amène le langage pendant votre sommeil, ou des ondes extrasensorielles, que ça aurait la même vrtus dormitiva, la même validité indémontrable. Qu'apporte-t-elle à l'explication effective des langues ? Rien qu'une hypothèse environnementaliste ou comportementaliste voire une étude des langues sans hypothèse ne puisse apporter, pour autant que l'étude se fasse selon une méthode valide scientifiquement : peu importe l'hypothèse causale, du moment que le protocole est correct. Les découvertes des générativistes ne doivent pas grand chose à l'hypothèse causale, et pour tout dire plusieurs de ces découvertes furent aussi faites par des comportementalistes ou par des empiristes ne s'embarrassant pas de théories causales. Les apports de l'hypothèse innéiste à la linguistiqueCe titre singe l'article sur « La Grammaire universelle et la Linguistique », dont la version originale en anglais est disponible dans les pages de ce site. À y regarder, la GGT n'est pas une « hypothèse innéiste » car elle postule un environnement adéquat pour que la « fonction innée du langage » s'exprime : la GGT est une hypothèse mixte, qui pose que pour une part le langage est inné, pour une part acquis, pour une part soumis aux contraintes de l'environnement ; elle pose en outre que nous aurions quelque chose comme un « organe inné de la parole », mais ceci est un postulat, non une hypothèse, et en outre un postulat indémontré. Il se peut que dans les années, les décennies ou les siècles à venir la science empirique mette effectivement en évidence l'existence d'un « organe mental de la parole », mais il faut comprendre que ce n'est pas le but de la GGT : pour les générativistes, la chose est, donc elle ne demande pas à être démontrée ; dès 1955, Chomsky et quelques autres partirent du postulat qu'il y a une « grammaire profonde », et leur travail depuis n'est pas de savoir de quoi elle est faite ni comment elle se constitue, mais comment un individu, partant de cette « grammaire profonde » arrive à la « grammaire de surface » en passant par les « règles de réécriture ». Je ne dis pas qu'ils se désintéressent vraiment de savoir de quoi est fait et comment se forme « l'organe mental de la parole », mais peu importe leur travail dans ce domaine : comme ils ont déjà la réponse – l'existence de l'organe – ils ne font pas un travail scientifique sérieux et se contentent d'inventer les outils et protocoles qui s'accordent à leur postulat. Ce qui ressemble ici beaucoup à la phrénologie : sachant que « la bosse du langage » existe ils passent du temps à affiner la cartographie des bosses du crâne, pour décrire au mieux celle du langage, celle des maths ou celle de la plongée sous-marine, sans jamais remettre en cause leur postulat concernant la significativité des bosses. Et ma foi, quand on cherche de cette manière, on trouve toujours ce qu'on cherche… Donc, les apports de la GGT ou de la grammaire universelle (GU) à la linguistique. Ma foi, ils ne sont pas nuls, loin de là. Enfin si, ils sont nuls. Enfin, non. Bon… J'en reviens à la génération spontanée : parmi ses partisans, il y avait des chimistes, des naturalistes et des biologistes de talent. Il se peut très bien que Mandel et Mendeleiev aient été « spontanéistes ». Le fait d'adhérer à un postulat faux ou indémontrable ne signifie pas qu'on soit un imbécile incapable de mener à bien un travail valable sur un plan scientifique : on peut parfois attribuer à un effet vérifiable et bien étudié une cause indémontrable, sans que le travail effectif soit incorrect. Donc, les apports des linguistes partisans de la GGT ne sont pas nuls, mais les apports de la grammaire universelle même sont de peu d'intérêt. Prenez le cas des phrases « préfixées » ou « suffixées » qu'expose Michael Albert : si ce n'est pas vrai, du moins c'est vraisemblable. Considérons que c'est vrai. Si c'est vrai, c'est intéressant, des points de vue pratique, et scientifique. Si c'est vrai et si c'est le fruit du travail d'un générativiste ou d'une équipe de générativistes, ça signifie que l'apport de ces générativistes là à l'étude du langage n'est pas négligeable, et qu'il est en outre scientifiquement valable. Maintenant, est-ce un apport de l'hypothèse innéiste ? La réponse est : non. Cette découverte se fait à partir de « structures de surfaces », d'énoncés effectivement produits, indépendamment des « structures profondes ». Je veux dire, pour découvrir ce genre de fait, nul besoin de s'appuyer sur les structures profondes et les règles de réécritures, une étude statistique des énoncés réalisés dans diverses langues du monde et sur les régularités des « énoncés de surface » dans une langue donnée permet de dire : tous les énoncés sont suffixés en japonais, tous sont préfixées en anglais, puis après étude de suffisament de langues, toute langue est soit suffixée, soit préfixée ; quand une langue est suffixée, toutes les phrases verbales, nominales et prépositionnelles sont suffixées, idem pour les langues préfixées. Cependant, pour que ce soit une règle répondant à une « structure profonde », il ne faut pas que ce soit « beaucoup d'énoncés » mais tous les énoncés. Sinon c'est simplement une donnée statistique observable avec régularité forte. Là-dessus, et pour reprendre autrement une question posée dans « Innéité ou acquisivité des langues », cette découverte est-elle un élément de plus pour étayer l'hypothèse de l'innéité du langage ? La réponse est non. En fait, c'est plutôt l'inverse. Car au contraire de ce qu'affirme Michael Albert, ce trait-là n'a rien de « dépendant de la structure » et serait plutôt une phénomène linéaire. Déjà, il y a l'analyse sous-jacente : le fait de dire qu'une règle s'applique « pour toutes les sortes de locutions – nominales, verbales, prépositionnelles, etc. » indique un type de découpage la langue un peu daté, et se rapporte au structuralisme d'avant 1940, ou, comme dirait Bateson « à la conception extrêmement bornée du behaviourisme contemporain » – cela dit pour la décennie 1960, mais s'appliquant surtout au deux décennies antérieures. Depuis 1955, les notions de SN, SV et SP, ce qui signifie syntagme pour le S et nominal, verbal et prépositionnel pour les trois autres lettres, ont perdu de leur pertinence. Jusque-là rien de trop grave. Mais, que nous dit exactement Albert ? « Dans n'importe laquelle de ses phrases toutes les locutions nominales et verbales [d'une] langue seront préfixées ». Que peut-on en tirer ? Une règle de ce genre : Considérant qu'on nommera “stress” l'élément important d'un syntagme, dans une langue donnée, le stress sera toujours, soit au début, soit à la fin de n'importe quel syntagme Décrit ainsi, on voit que cette règle est autant linéaire que « dépendante de la structure » et dirai-je, plutôt linéaire, en ce sens qu'on n'a pas besoin de connaître « la structure de la langue » pour pouvoir placer correctement le stress – il suffira de savoir ce qui peut servir de stress dans cette langue. Cela dit, cette règle est fausse, mais ce n'est pas l'objet de ma discussion. Je pourrais reprendre tous les exemples fournis par Albert, ou par Chomsky dans les citations que fait Albert, pour montrer, dans tous les cas, qu'au mieux les explications transcendante (les « organes mentaux innés ») et immanente (l'interaction entre l'individu et l'environnement) se valent, et qu'en général celle immanente est scientifiquement plus consistante. J'ai mieux à faire, parlant transcendance et immanence, vous renvoyer à cet article de Bateson intitulé « La cybernétique du “soi” : une théorie de l'alcoolisme », et surtout la partie « Épistémologie et ontologie » ainsi que, juste après, « L'épistémologie de la cybernétique » (je vous conseille aussi, après encore, « La fierté de l'alcoolique », si vous voulez rire un brin). Ces deux parties vous montreront quatre choses : ce qu'est une hypothèse scientifiquement fondée, pourquoi l'immanence est plus consistante que la transcendance concernant « les activités de l'esprit », pourquoi l'on peut et même l'on doit faire l'économie d'une explication innéiste si l'on veut vraiment progresser dans l'analyse causale de la langue autrement qu'en postulant la génération spontanée, et enfin, pourquoi le double postulat aberrant d'Albert selon lequel, d'une part il n'y aurait que deux écoles, les « innéistes » et les « environnementalistes », de l'autre, les « non innéistes » sont incapables d'argumenter scientifiquement leur refus des hypothèses innéistes, est de peu de valeur. Sur ce dernier point, cela entraîne bien sûr que toute la « démonstration » de la fin consistant en gros – et même en détail – à dire que les non innéistes s'appuient sur des raisons idéologiques pour refuser l'innéité des « organes mentaux » est nulle et non avenue. Et même, que l'idéologie est probablement là où Albert croit qu'elle ne se trouve pas. Conclusion de cette partie : si les chercheurs se réclamant du générativisme apportent bien quelques choses à la théorie scientifique de la langue, assurément la théorie de base de la GGT ne lui apporte rien. La cybernétique du langage : une théorie de l'immanenceIci je singe Bateson. L'ayant lu, son texte vous aura montré pourquoi on peut et même l'on doit faire l'économie d'une théorie innéiste des « capacités mentales » ; pour moi, je compte expliquer pourquoi la théorie générativiste, est peu réaliste pour son aspect « hypothèse sur l'apparition de la langue chez un individu », et fausse pour son aspect « seule explication raisonnable sur la capacité de langage ». L'exemple de l'ordinateur donné par Bateson me convient bien. Chacun peut s'en rendre compte, un ordinateur réalise de nombreuses opérations, fort complexes et variées. Pas autant qu'un humain, certes, mais vu le peu de « neurones » dont il dispose (au plus 50 millions de transistors pour le plus puissant des PC), beaucoup de choses. Si la théorie innéiste que nous propose Albert est juste, pour faire autant de choses aussi diverses, un ordinateur requerrait énormément d'« organes mentaux » spécifiques. Il y a un problème : quand on crée un ordinateur généraliste de type PC, on ne connaît ni le nombre, ni la forme des « fonctions » qu'il aura, donc on ne peut pas déterminer quels « organes » seront nécessaires. Alors ? Et bien on crée un objet cybernétique et homéostatique, avec un nombre fini et très limité de fonctions, un nombre encore plus limité de systèmes de contrôle et d'interactions, virtuellement capable d'effectuer un nombre infini de tâches – dans les limites de ses compétences effectives, bien sûr. Si vous ne l'avez pas vérifié, du moins vous savez qu'un PC peut recevoir plusieurs systèmes d'exploitation (SE) différents : DOS, Windows, OS/2, UNIX, LINUX, etc. Si l'on considère (à juste titre) le SE comme « le langage effectif de la machine » et les divers programmes comme autant de « fonctions mentales », faut-il supposer un « organe mental inné du SE », un « organe du traitement de texte », un « organe du tableur », et de même pour les traitements statistiques, les encyclopédies multimédias, les jeux de rôle, les jeux “shot 'em up”, etc. ? Non, bien sûr : pour accomplir toutes ses tâches, il se sert toujours des mêmes « organes mentaux », pour créer une image tridimensionnelle, lancer une analyse financière, mettre en forme un texte ou exécuter le jeu du solitaire. Pire : au moment où un ordinateur exécute une tâche, il ne sait pas ce qu'est cette tâche : il connaît la tâche élémentaire en cours, en anticipe une à quatre, en retient une à quatre, et progresse d'une tâche élémentaire à l'autre sans avoir idée de la tâche d'ensemble. En cela, est-il différent d'un humain ? Pas vraiment, sauf sur un point : l'humain – du moins s'il agit pour lui-même – sait quelle est la tâche générale, mais pour le reste il ne sait pas plus que l'ordinateur ce que seront les étapes. Prenez par exemple le cas de la lecture d'un roman ou d'un texte comme celui-ci. Tiens oui : prenons ce texte. Vous y avez accédé d'une manière que j'ignore, mais quelle qu'elle soit, vous en avez lu le titre, et vous avez décidé : semble intéressant, je le lis. Donc, la tâche est : « lire le texte “Acquisivité ou innéité des ‘organes mentaux’ ?” ». Ce qui consiste en fait en plusieurs tâches ou décisions : la tâche effective et linéaire de lire les mots les uns après les autres ; la tâche effective et linéaire de comprendre les phrases les unes après les autres ; la tâche effective et semi-linéaire d'associer le sens des diverses phrases lues formant partie pour en tirer un autre sens ; la tâche subjective et non-linéaire d'interpréter chaque partie ; la tâche subjective et non-linéaire de faire une interprétation générale du texte une fois lu. Comme on le voit, il y a au moins deux « tâches globales », celle antécédente de décider de lire le texte, qui peut s'accompagner du désir de le comprendre, mais pas nécessairement ; cette tâche est globalement linéaire et ne requiert pas de compétences sémantiques prédéterminées, mais en requiert par contre quelques-unes en matière syntaxique ; la tâche de fin réclame d'importantes compétences sémantiques, mais aucune compétence syntaxique, car cette partie de l'activité de lecture a déjà été réalisée ; entre les deux, il y a au moins trois « niveaux de lecture », outre le niveau élémentaire de « décodage des segments signifiants » – la lecture des lettres et des mots, pour dire simple– : ces niveaux sont l'interprétation des phrases ou formants de phrases (les syntagmes ou propositions) ; l'interprétation des parties consistantes de discours (alinéas, paragraphes) ; l'interprétation cumulative des parties du discours – la détermination du « sens du discours » en cours de lecture. Sinon le fait qu'il est idiot et ne comprend pas grand chose, dans son propre cadre mon ordinateur fait une chose de cet ordre : il décode les lettres puis les mots (les bits et octets) ; quand il a le signal « fin de phrase », il tente d'interpréter, et si ça marche il continue ; s'il a le signal « fin de paragraphe », il tente de résoudre la « sémantique » du paragraphe, et s'il y arrive, continue ; quand il a le signal « fin de texte » il tente de résoudre le « sens du programme », et s'il y arrive envoie un signal « lecture effectuée avec succès » au SE – c'est-à-dire au bout du compte à lui-même. Bien évidemment que « le programme a du sens », mais le plus important est que chaque phrase soit bien formée, ou si vous préférez : « le programme a du évidemment » que chaque Bien est sens phrase, que bien formée mais le plus important soit C'est même une des limites de la GGT : elle semble postuler que les locuteurs font des prédictions sur « la grammaticalité », alors que, ces dernières décennies, nombre expériences ont montré qu'un locuteur peut attendre un temps assez long avant d'essayer, d'une part de donner du sens à ce qu'il entend – ou considérer que « ça n'a pas de sens » –, d'autre part de faire des anticipations sur ce qu'il peut être susceptible d'entendre. Bon, j'arrête là sur ce sujet, je ne voudrais pas vous bourrer le mou avec mon idéologie capitalo-stalinienne fascisto-judéo-franc-maçonne… La différence entre l'ordinateur et vous ou moi – sauf si vous avez l'organe mental de la langue tel que le postule la GGT – est que l'ordinateur ne tolère pas les erreurs de syntaxe et incohérences sémantiques ; dans ces cas il arrête les traitements en cours. Tandis que si je ne comprends pas une phrase de Michael Albert je passe à la suivante en me disant, de toute manière ça ne m'empèchera pas de comprendre le reste. Disons que je suis « plus cybernétique » et « plus homéostatique » qu'un PC, que j'ai une tolérance à l'erreur et une capacité d'autocorrection plus larges. Le fait que les « organes mentaux » de l'ordinateur sont polyvalents ne signifie pas que le « cerveau » de l'ordinateur ne soit pas composé d'objets dédiés de manière « innée » à des tâches spécifiques, mais ils ne le sont pas dans une forme et pour une destination prédéterminées. Par exemple, il y a des « fonctions de calcul », mais il n'y en a pas une série dédiée aux calculs arithmériques, une série pour les calculs logiques, une pour les images complexes, pour la grammaticalité, etc. ; en même temps, ces « fonctions de calcul » ne sont pas si spécifiques à tels organes, et un même calcul pourra être effectué tantôt par tel organe, tantôt par tel autre, en fonction de leur disponibilité. De cela que conclure ? Que si l'on désire réaliser un objet effectuant un grand nombre d'opérations complexes, et réagissant à plusieurs types d'interactions pour produire divers type de résultats, pouvant faire une « opération mentale » (exécuter un programme) dans une « langue » (SE) quelconque, plutôt que de multiplier les « organes mentaux », on a intérêt à le doter du moins de fonctions possibles en les prévoyant aussi polyvalentes que possible. Ce qui est vrai d'un ordinateur est plus crucialement vrai d'un esprit humain. Il faut considérer avec attention cette question de la fonction innée du langage : elle implique, sinon elle est incohérente, qu'il y a dans le cerveau – « l'esprit » – une zone organique spécifique dédiée à cette fonction, un « organe de la parole ». Or l'on sait depuis Broca que s'il existe bien des zones préférentielles pour la langue, si par atavisme ou accident elles sont inutilisables la fonction s'installera, voire se déplacera vers d'autres zones, parfois déjà utilisées par d'autres « fonctions mentales ». Chomsky et Cie peuvent me dire, mais non ! Tu interprètes, tu déformes, nous postulons qu'il y a une fonction innée du langage, mais elle ne se produit pas dans un endroit déterminé et sous une forme déterminée. Je parle ici pour eux, mais je vois mal ce qu'ils pourraient me dire d'autre. Donc, nous aurions un organe déterminé et une fonction déterminée, mais en une place et sous une forme variables… Lisant Michael Albert, vous aurez vu que ce qu'il appelle « environnementalisme », en postulant que l'apparition du langage est dépendante du milieu, est aussi aberrant qu'une théorie qui soutiendrait que la croissance du corps est dépendante du milieu et que selon les conditions il vous croîtrait bras, ailes, nageoires ou rien. J'aime bien les gens qui se moquent de leurs (supposés) adversaires, même méchamment, pour autant que ce ne soit pas gratuit et infondé. Les thèses environnementalistes sont l'exact contraire de cette caricature dressée par Albert : elles posent que, quelles que soient les contraintes du milieu, si vous êtes humain il vous poussera des bras et des jambes, excepté si vous avez un problème génétique ou congénital, et bien sûr, sauf si le milieu est trop contraignant ou trop délétère. Mais dans ces cas rien ne pousse plutot que n'importe quoi. L'hypothèse innéiste correspond bien plus à la caricature faite par Albert : en un premier temps elle postule que votre « organe de la parole » est inné mais si, prenant le cas de l'infixation, vous grandissez dans un milieu ou l'on suffixe, votre « organe de l'infixation » poussera vers la gauche ; si en revanche c'est un environnement ou l'on préfixe, il poussera vers la droite ; si vous naissez en France, les noms « en votre esprit » auront les pieds palmés (seront précédés d'un article) ; si vous naissez en Grande-Bretagne ce ne sera pas le cas. Ce qui me pose problème : si je nais dans un milieu “préfixant” pour passer dans un “suffixant”, devrais-je résorber le premier greffon pour en faire pousser un autre, et en ce cas, devrais-je ultérieurement réapprendre ma langue d'origine ? Ou bien est-ce qu'un deuxième greffon me poussera, et en ce cas ne risquè-je pas, ayant deux organes pour une seule fonction, d'infixer de manière aléatoire donc incongrue ? Ou bien est-ce qu'un second « organe de la parole » complet me poussera ? Ou alors, ne peut-on supposer, environnementalement parlant, qu'on dispose d'une fonction générale d'analyse des segments sonores signifiants et que, par ce processus inélégant appelé essai/erreur, passant d'une langue à l'autre, par l'accoutumance et par la correction d'erreur on en vienne à adopter la mode du pays en faisant l'économie de l'organe inné de l'infixation ? Remarquez toutefois que de toute manière la GGT ne peut faire l'économie de l'influence du milieu. Jusqu'à preuve du contraire, et contrairement à ce que prétend Albert, l'enfant doit, pour apprendre une langue, être soumis à un grand nombre de stimuli très variés et très répétitifs (autant que je sache, il faut a minima une dizaine d'année pour commencer à se former aux subtilités des notions les plus fines de la philosophie) ; d'autre part, on n'a jamais fait cas d'un humain parlant une autre langue que celle qui l'imprègne sinon par une période d'apprentissage parfois assez longue, sauf bien sûr dans les ouvrages traitant de métempsychose et dans les émissions de Jacques Pradel. Le fait qu'un enfant jeune ou qu'un adulte déjà polyglotte mette un temps remarquablement court à apprendre une autre lange ni ne confirme la grammaire universelle, ni n'infirme l'environnementalisme : on peut supposer qu'ils ont acquis les mécanismes pour identifier et analyser les segments sonores signifiants, sans avoir fixé une bonne fois un modèle paradigmatique de langue. En revanche, le fait que, passé un certain âge et parce que familier d'une seule langue il devienne difficile et parfois impossible d'en acquérir une autre tendrait à invalider la théorie de la grammaire universelle. Il faut toujours considérer que pour cette théorie, « l'organe de la parole » n'est pas une image mais un fait : la parole est une capacité innée et elle a son organe, comme la respiration et la digestion. On peut concéder que la non activation de l'organe l'atrophie – j'imagine que si on mettait un nouveau-né sous perfusion et qu'après quatre ou cinq ans on tente de le nourrir par la voie habituelle, son estomac ne fonctionnerait pas. En revanche, dès lors que l'organe est activé, même si pour diverses raisons, surtout psychologiques et sociales et pour partie physiologiques, passant d'un régime allemand à un régime indonésien on aura besoin d'un temps d'adaptation, assez vite on s'y fera. Or, on peut le constater, pour certaines personnes apprendre une deuxième langue est impossible, ce qui ne laisse de jeter un doute sur l'organicité du langage. Des points de vue empirique et hypothétique, les thèses environnementalistes ont donc une plus grande capacité à expliquer les régularités et les irrégularités dans l'acquisition des langues humaines. Cybernétique et éthologie VS mentalisme et innéitéPour en terminer avec cette question, vous aurez remarqué comme moi que les deux principaux arguments de Michael Albert, ainsi que de Noam Chomsky, en faveur d'une thèse innéiste de l'acquisition des langues sont :
Tout d'abord, une remarque concernant le second point : comme indiqué dans « Innéité ou acquisivité des langues ? », la réduction des diverses théories linguistiques en deux ensembles, « l'hypothèse innéiste » et « l'hypothèse environnementaliste », représente ce que Normand Baillargeon désigne comme l'argument sophistique du faux dilemme : en réalité, il n'y a pas deux théories opposées, mais tout un tas de théories, écoles, hypothèses, et parmi celles opposées à la GGT on en trouve certaines pas moins opposées entre elles ; et en plus, même parmi les « innéistes » il y a des désaccords profonds. Parmi les écoles non innéistes, on trouve quatre grandes tendances, le structuralisme, les écoles proprement environnementalistes, dont certaines d'ailleurs proches de la caricature due à Albert, les diverses approches comportementalistes, et les hypothèses holistes. Sans compter les diverses écoles empiristes, qui ne s'occupent pas de faire d'hypothèses sur « l'esprit ». Les comportementalistes les plus en vue sont actuellement ceux qui se réclament d'une hypothèse éthologique, et parmi les holistes, les plus célèbres sont Bateson et ses continuateurs au sein de « l'école de Palo Alto ». Si vous avez lu le texte de Bateson sur « la Cybernétique du soi », vous aurez constaté comme moi qu'on peut proposer une hypothèse sur les « capacités mentales » qui tout à la fois soit solidement argumentée sur les plans épistémologique et scientifique, fasse l'économie d'une « capacité mentale innée », et pour tout dire, de toute capacité « mentale » et puisse expliquer comment on peut réaliser des opérations très complexes avec des mécanismes très simples. Pour dire les choses, si on était parti sur une base conceptuelle de type « grammaire universelle » plutôt que sur une hypothèse cybernétique, on attendrait encore que le premier ordinateur sorte… Il y a ceci de plaisant avec Chomsky, sa conscience aigüe des limites effectives de sa théorie. À une assemblée d'enseignants et de traducteurs il disait ceci : « Les gens impliqués dans quelque activité pratique comme l'enseignement des langues, la traduction, ou la construction de ponts devraient probablement jeter un œil sur ce qui est en train de se passer dans les sciences. Mais ils ne devraient probablement pas prendre ça trop au sérieux parce que la capacité de poursuivre des activités pratiques sans la conscience trop explicite de ce que vous faites est habituellement de bien plus haut niveau que le savoir scientifique ». Et de fait, si les praticiens avaient écouté les théoriciens, ou plus exactement certains théoriciens, il n'y aurait pas d'automobile, « parce qu'un moteur à explosions n'a pas assez de puissance pour mouvoir une voiture », pas d'avions, « parce qu'ils sont plus lourds que l'air et ne peuvent donc pas voler », pas de fusées, « parce que l'énergie nécessaire pour se libérer de l'attraction terrestre est trop importante ». Et bien sûr, pas de linguistique, « parce qu'on n'aurait pas assez de toute une vie pour comprendre le fonctionnement de la langue ». Je vous le disais, je n'ai rien contre le fait de se moquer de quelqu'un, si ça se justifie. Alors, moquons-nous : telle que je la comprends, la GGT est une théorie du XIX° siècle, s'appuyant sur une conception générale de la langue droit venue du XVII° (des scolastiques et de Port-Royal – dont Chomsky se réclame, d'ailleurs), une analyse en formants reprise du structuralisme des années 1920, une philosophie de base directement reprise de Platon, et un habillage discursif singeant le formalisme des théories de l'information des années 1940 et 1950. En outre, les générativistes semblent intimement persuadés que toutes les écoles linguistiques ont, comme la leur, cessé de progresser à partir de 1955. Ce à quoi Albert s'attaque sous le nom d'« environnementalisme », n'est pas les diverses écoles non innéistes de la toute fin du XX° siècle, mais « la conception extrêmement bornée du behaviourisme contemporain » à laquelle Bateson, lui-même behaviouriste, se prenait il y a plus de trente ans, et qui était déjà assez résiduelle en 1971. De même, quand un autre défenseur de Chomsky, Normand Baillargeon, prétend que la GGT a éliminé le structuralisme, il a à la fois raison et tort : raison de penser que le structuralisme auquel s'opposait Chomsky en 1955 est bien mort, sinon dans quelques rares manuels d'arrière-garde, tort de croire que ce soit dû à quelque « victoire » de la GGT. En fait, le structuralisme même a « tué » le structuralisme. Je veux dire : le structuralisme existe toujours – je l'ai rencontré –, parfois sous ce nom, parfois sous un autre (fonctionnalisme, psycholinguistique…) ; le structuralisme de 1955 était une des phases d'évolution de cette école conceptuelle ; il avait lui aussi succédé à une étape antérieure, disons, l'école de Troubetzkoï avait succédé à l'école saussurienne. Et à partir du milieu de la décennie 1950, d'autres voies commencèrent de s'ouvrir, mais toujours dans la trace structuraliste. Si Normand Baillargeon, Michael Albert et Noam Chomsky croient vraiment que le structuralisme est mort, qu'ils fassent un petit tour sur les campus européens et latino-américains, et dans encore assez de départements de linguistique nord-américains, pour constater que le cadavre bouge encore… Quand linguistique rime avec politique[2]J'avais écrit, « pour en terminer ». Point trop besoin de gloser sur le titre de cette partie : faisant le tour des apports réels des diverses écoles linguistiques depuis 1955 on verra que celles ayant opté pour des approches cybernétiques ou éthologiques produisent bien plus d'hypothèses et de résultats intéressants, et avec bien moins de moyens, que les écoles innéistes ou mentalistes. En outre, et comme déjà relevé, les résultats obtenus par les « innéiste » le sont… par observation du comportement des locuteurs. Comme dit aussi, les vérifications ne sont pas d'ordre « innéiste » (qui aura observé un structure profonde me le signale, je suis très intéressé) mais statistiques, à partir d'énoncés réels. Autant dire par une méthode odieusement « environnementaliste ». Alors ? Reportez-vous aux deux dernière parties de l'article de Michael Albert, et vous aurez un éclaircissement intéressant sur la question : Chomsky peut expliquer tant qu'il veut qu'il n'y a pas de rapport entre ses activités de militant politique et de linguiste, on ne peut, en observateur extérieur, manquer de constater qhe l'hypothèse de départ, celle des « structures profondes », est éminemment politique, ou à tout le moins idéologique. Comme longuement établi, d'une part les bases scientifiques de « l'hypothèse innéiste » sont plus que douteuses, d'autre part on peut et même on doit faire l'économie de la partie « théorique » de la GGT (structures profondes, règles de réécriture, capacité innée – « génétique » désormais – de langage) pour expliquer les découvertes effectives dues à des générativistes. Dès lors, à quoi sert cette théorie ou hypothèse ? Et bien, à faire des suppositions non sur la langue mais sur l'état de la société. En gros, et même en détail, la GGT est une hypothèse naturaliste (rousseauiste) et fixiste (platonicienne), avec un type d'explication causale assez similaire à ce qu'on appelle faussement darwinisme social, et qu'on devrait nommer spencérisme, ou au types d'explications de la folie par les premiers aliénistes, c'est-à-dire ce genre de théories très en vogue dans la deuxième moitié du XIX° siècle où au lieu d'élucider une cause par une effet déterminé, on expliquait un effet par une cause non déterminée. Elle nous explique, ou plus exactement, les fondateurs de la GGT et autres innéistes nous expliquent que les humains sont « naturellement bons » – ici, naturellement pourvus des « organes mentaux » du langage, de la science, de l'esthétique, de la morale, etc. – et qu'au contact avec le monde, loin qu'ils apprennent quoi que ce soit, leurs « organes mentaux innés » sont simplement activés par les excitations ad hoc (ce qui me fait dire que, contrairement à ce qu'affirme Chomsky, la GGT ne fait pas l'économie de la métempsychose, dans sa théorie ; simplement, elle la « scientifise » : au lieu d'être la remémoration d'une vie antérieure c'est la remémoration innée d'un savoir… acquis). De cela, que tirent comme conclusions nos innéistes ? Que quand les « organes mentaux innés » ne sont pas ou sont mal activés, ce n'est pas dû à l'influence du milieu stricto sensu, mais à la malveillance d'individus attachés à corrompre et asservir la société. Sauf à être innéiste et adepte de la théorie du complot, vous n'aurez pas manqué de constater qu'il y a quelques faille de raisonnement :
Et cœtera. La liste est longue des questions que soulève la théorie de la grammaire universelle, et plus largement des organes mentaux innés, quand on la confronte à la réalité observable. Je ne doute en rien que ces failles, et d'autres, Chomsky et Albert puissent me les « expliquer ». Mais je crains que ces explications soient problématiques, soit pour moi, soit pour la théorie, soit pour la qualité de l'argumentation, car elles ont toutes chances de correspondre aux trois types d'« explications » que soit Albert, soit Chomsky cité par Albert, fournissent dans l'article commenté. Les autres théories seraient « incapable de résoudre le Problème de Platon » et non-scientifiques ; c'est gênant pour moi : je ne crois pas à la nécessité de « résoudre le Problème de Platon » – et ne crois même pas à la nécessité de s'y attarder –, puis je connais au moins un type d'analyse de la réalité applicable au langage qui à la fois n'est pas innéiste ni mentaliste, est scientifique, et explique beaucoup de choses. En second, les « organes mentaux innés » ne s'activent pas ou s'activent mal si les conditions du milieu ne s'y prêtent pas ; gênant pour la théorie car typiquement une explication environnementaliste : si l'influence du milieu est si prégnante, en quoi ces « organes mentaux » sont-ils innés ? Puisque Michael Albert apprécie les équivalences avec les organes physiologiques, toute personne raisonnable constate qu'aussi variés soient les environnements, lesdits organes se développent de la même manière d'un individu à l'autre, ce qui est logique, une fonction réellement innée ayant une tolérance de réalisation faible. D'où l'on en peut conclure que l'innéité des fonctions mentales est douteuse. Et on en arrive au troisième type d'explication, « la main invisible ». Si vous analysez bien les deux dernières parties de l'article d'Albert, ainsi que l'essentiel de la précédente, une conclusion en trois points s'impose : « intellectuels » et « théoriciens » répandent des idées fausses et des théories erronnées sur les fonctions de l'esprit ; ces idées et ces théories pervertissent les éducateurs et perturbent le développement harmonieux des sociétés, et des individus dans les sociétés ; « intellectuels » et « théoriciens » le font parce qu'ils sont les alliés objectifs de la Grande Conspiration lénino-capitaliste qui a pour but de démoraliser les individus et les assujettir en les asservissant. Dois-je le dire ? la « qualité » de ce genre d'argumentation me laisse plus que sceptique. Pour moi, c'est du niveau du discours créationniste qui explique que le darwinisme n'est pas une théorie scientifique mais un complot socialo-communiste judéo-franc-maçon visant à démoraliser les jeunes chrétiens anabaptistes et républicains, et de les faire plonger dans le stupre, la fornication, la drogue et la sodomie. Et on en revient au début : une « hypothèse innéiste » devant faire part aux conditions du milieu pour l'émergence de la « fonction innée du langage » est « environnementaliste ». Conclusion définitive, laissez tomber la linguistique de Chomsky et allez voir du côté des structuralistes, cybernéticiens, éthologues et même de la linguistique pragmatique. Par contre, le travail du militant politique ne manque pas d'intérêt, même s'il a parfois tendance à pousser le bouchon un peu loin dans sa défense radicale des « libertés publiques », et parfois aussi tendance à développer un argumentaire quelque peu paranoïaque, du genre « théorie du complot stalino-capitaliste généralisé »… [1] Rien n'est simple, je crois, car c'est démontré par la
science, qu'il y a une forme d'hérédité des caractères acquis mais d'autre manière que ne le pensait
Lamarck. Il s'agit notamment de l'adaptation morphologique des individus d'une espèce conditionnée
par un certain comportement, un cas notable est la transformation que subit le corps humain du fait
de la position assurant son assise dans la marche bipède. Il s'agit bien d'un acquis héréditaire,
puisque transmis par les générations précédentes, mais dont l'acquisition dépend du contexte, de
l'environnement dira-t-on…
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