Qui est l'auteur ?

 S ur la page http://michel.balmont.free.fr/charis/avertissements/collection.php on trouve des « avertissement au lecteur », partant du classique « toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite ». Dans la page indiquée, il est précisément donné comme : « Les personnages et les situations de ce récit étant purement fictifs, toute ressemblance [etc.] ». Mais la citation qui a motivé cette page, moins classique, est la suivante :

« « Les opinions de l'auteur peuvent ne pas correspondre à son point de vue.
Toutes les pensées qui peuvent passer par la tête du lecteur sont soumises au copyright. Méditer sur elles est interdit sans la licence appropriée ».
Viktor Pelevine (Homo zapiens/Génération P)

On peut interpréter cette affirmation de manière déceptive, version 1984, ou d'une manière dénotative, le constat évident que n'importe qui ne peut faire n'importe quoi avec ce que vous pouvez produire. Cela dit à double sens : certaines personnes ne sont pas en capacité de comprendre l'usage de ce qu'on leur propose, et certaines en ont un usage « non conventionnel » — disons, contradictoire avec les intentions de l'inventeur. Il y a peu, j'ai eu un cas de ce genre.

Ce site comprend une page consacrée à la directive européenne sur les services, dite en France « directive Bolkestein », où j'explique en quoi cette directive, après avoir été modifiée par le Parlement, est dans l'ensemble assez intéressante. En revanche, je ne dis rien sur la relation ou la non relation de cette directive avec le traité constitutionnel européen qu'on propose à notre sagacité, en France, pour le 29 mai 2005. Et bien, vous ne le croirez pas, le mainteneur d'un site qui se consacre à la promotion du “oui” pour ce vote a jugé intéressant de mettre ce texte sur son site en tant qu'argument favorable pour ce “oui”. Ce qui bien sûr vient en contradiction avec le discours des tenants du “oui” selon lequel ladite directive n'a aucun rapport avec le traité soumis au vote. Mais pour la propagande toutes les incohérences sont bonnes à prendre du moment que ça va dans le sens souhaité…

Voici comment j'interprète la citation. Pour un auteur honnête, la première phrase est une litote : me lisant, partez du point de vue que, sauf rares exceptions, mes opinions n'ont rien de commun avec les points de vue exposés. Mes opinions ? Non : mon opinion. Je n'en ai qu'une de vraiment assurée : tous les points de vue sont valables, simplement, certains sont plus pertinents que d'autres. Ce qui n'induit donc rien sur la validité des points de vue les moins pertinents.

La notion de « pertinence » désigne ici la proximité d'un point de vue avec la réalité effective : plus celui-ci s'en rapproche, plus il est pertinent. Mais les opinions n'ont rien de convénient avec la réalité effective, ce sont justement des approches qui ont pour but général d'agir sur cette réalité pour l'orienter dans un sens imprévisible, de « changer la vie », comme disait l'autre… Ce traité est un bon exemple de l'écart qui peut exister entre point de vue et opinion ; le point de vue le plus pertinent fait considérer que le résultat du vote au référendum à venir (au moment où j'écris cela, le 21/05/2005) n'a pas grande importance : si le “oui” l'emporte on s'apercevra dans environ dix ans qu'il est inapplicable en l'état, et il faudra bien alors en établir un autre ; si le “non” l'emporte, on en établira tout de suite un autre qui, prévisiblement, sera aussi inapplicable que celui-ci, donc dans une dizaine d'années il faudra en établir un autre ; conclusion, dans un cas comme dans l'autre l'obsolescence du texte final sera rapide, et donc à-peu-près la même, alentour de 2015. On peut supposer sans certitude que l'adoption du texte actuel serait, au mieux aussi favorable, probablement moins favorable que celle d'un autre texte rédigé dans des conditions plus démocratiques ; on peut le supposer mais ce n'est pas si évident. Disons que, quel que soit le résultat du référendum, ainsi que le résultat de ceux qui se tiendront dans certains autres pays de l'UE, on ne peut guère escompter avoir une Constitution européenne consistante avant vingt ou trente ans, voire plus. C'est ainsi, des institutions politiques stables, ça ne se fait pas en un jour.

Une fois cela considéré, quand on vote il faut avoir une opinion. Et celle-ci n'a en général pas grand chose à voir avec la réalité immédiate sur laquelle on est censé faire porter son choix. Si l'on se réfère à mon analyse, on peut en conclure que mon « choix » serait quelque chose comme l'abstention ou le vote blanc, puisque les deux options se valent. Mais justement, puisqu'elles se valent, je peux user de mon vote pour exprimer quelque chose d'autre que l'acceptation ou le refus du texte soumis à référendum, par exemple, voter « pour » ou « contre » ceux qui appellent à voter “oui” ou “non”, ou bien, donner un signal aux personnes qui prennent des décisions au niveau européen, signal « négatif » avec le vote “non”, ou « positif » avec le vote “oui” (négatif et positif entre guillemets car il ne s'agirait pas de cela de mon point de vue, mais que ce sera, comme on dit, le « ressenti » des promoteurs de ce texte). J'expliquais justement la chose à mon correspondant qui sollicitait l'autorisation de publication sur son site de mon texte sur la directive services :

« Au fait, je ne vous ai même pas dit pourquoi j'allais voter “non” : pour essayer de faire prendre conscience au PS, à l'UDF et à l'UMP que, quand on se prétend être des « partis de gouvernement », le moins qu'on puisse faire est de gouverner. Au cours des deux dernières décennies, les gouvernements « de gauche » comme ceux « de droite » nous ont expliqué, à chaque nouveau traité européen, que cette fois, scrongneugneu ! on allait enfin pouvoir faire la politique qu'on voulait ; et tout de suite après, les gouvernements « de gauche » comme ceux « de droite » de nous expliquer, « On est obligé de faire comme ci et comme ça “à cause de l'Europe” ». Ce qui est factuellement faux : à l'heure actuelle l'adoption d'un traité ou d'un directive requiert l'unanimité du Conseil européen, donc l'approbation de la France, ergo tout texte européen est un texte approuvé par la France, donc ce n'est pas « la faute à l'Europe » mais bel et bien « la faute au gouvernement français ». La question cruciale, avec ce référendum, est de savoir si cette fois nos gouvernants (et je parle ici aussi bien du PS que de l'UMP) vont respecter le vote de leur peuple ou, encore une fois, trahir cette décision. Le respect de la démocratie, ça consisterait en l'occurence en deux choses : considérant que les électeurs français ont refusé le texte, on leur demandera alors ce qu'ils souhaitent ; et une fois cette consultation faite, nos dirigeants expliqueront à leurs correspondants des autres États-membres : voilà ce que mon peuple souhaite, et tant que vous ne consentirez pas à cela nous userons de notre droit de veto pour bloquer toute décision au niveau du Conseil européen. Et qui sera fort : les 24, ou la France[1] ? Le pays qui respecte le choix de ses citoyens ou les pays qui décident en dehors de ce choix ?
N'étant pas d'un naturel optimiste, je doute fort que ni le PS, ni l'UDF, ni l'UMP ne tiennent compte de l'expression populaire, par contre, je suis certain que pour les élections de 2007, ces partis risquent de se retrouver confrontés à un problème interne autrement important… On verra.


Je ne comptais pas exposer mon opinion sur la question, c'est fait seulement à titre illustratif, si vous lisez ce texte et que vous avez une opinion sur le traité, par pitié ne m'en faites pas part, moi je n'en ai pas et mon vote, ainsi que dit, s'appuie sur une opinion qui ne le concerne pas. Enfin si, j'ai une opinion : il me paraît plutôt convenable, dans l'ensemble. Convenable en tant que traité destiné à ne pas durer plus que dix ou quinze ans, comme tous ceux qui l'ont précédé. Quel que soit le résultat du référendum français, la conséquence prévisible est, de toute manière, d'avoir un texte destiné au même sort, celui-ci ou un autre. C'est logique : la structure politique d'une entité comme l'Union européenne est quelque chose d'inédit, de même qu'ont pu l'être, au XIX° siècle une entité comme les États-Unis d'Amérique, au XX° siècle une entité comme l'Union soviétique ; la première faillit éclater lors de la guerre de sécession, et pour la seconde, elle échoua dans son projet. Inventer une nouvelle structure politique, ça n'est pas évident et ça n'est pas sans risques. Rien ne dit que ce sera possible avec l'Union européenne, elle est peut-être destinée à rester une structure non politique, une sorte de libre association économique, financière et réglementaire. en tous les cas, il me paraît évident, et l'Histoire nous le montre, que si cette structure politique doit voir le jour, ça ne se fera pas d'un coup d'un seul, et on peut poser sans grand risque qu'au mieux elle se finalisera dans une vingtaine d'années, plus probablement dans plus de quarante ans. Ce qui ne préjuge pas de la validité de structures intermédiaires.


Voici donc comment « les opinions de l'auteur peuvent ne pas correspondre à son point de vue » et même, je le disais, qu'ils se correspondent rarement ;


[1] Ceci se réfère à une déclaration de mon correspondant, qui m'écrivait : « ma conviction est que le traité réunira bien les 4/5èmes des États et, par conséquent, il sera applicable. Mais pas pour les Français qui s'en seront eux-mêmes exclus… avec le ridicule en plus ». Cette menace que les tenants du “oui” agitent souvent est incohérente, et j'avais pointé pour lui où se situe l'icohérence. Après un rappel de la déclaration qui étaie cette affirmation (« La Conférence note que, si [moins des] quatre cinquièmes des États membres ont ratifié ledit traité […] le Conseil européen se saisit de la question »), je lui précisais ceci : « Que nous dit [cet article] quant aux conséquences d'un refus par moins d'un cinquième des États-membres ? Que « le Conseil européen se saisit de la question ». Peut-on en inférer, comme vous, que « le traité réunira bien les 4/5èmes des États et, par conséquent, il sera applicable. Mais pas pour les Français qui s'en seront eux-mêmes exclus… avec le ridicule en plus » ? d'abord, il n'est pas sûr que votre prophétie se réalise, et si tel est le cas, « le Conseil européen se saisit de la question ». Or, autant que je le sache, la France participe du Conseil européen, et autant que je le sache, pour l'adoption d'un traité l'unanimité est requise. D'où il ressort que, d'une part la France ne sera pas exclue de la décision, de l'autre elle y viendra avec cette position de force inaliénable : si vous nous proposez un texte aussi ou plus indigent que celui-là, nous le refuserons de nouveau. Faites votre choix, et expliquez à votre peuple que, contre sa volonté, vous avez décidé que, finalement, la Constitution, on n'en veut pas… ». Bien sûr, ça induit que nos responsables politiques respectent le choix du peuple…