Auto-bio-graphie

 P our écrire, j'écris, d'abondance. Pour la période allant de juin 1998 à janvier 2005, je pense avoir écrit en moyenne l'équivalent de deux pages manuscrites serrées, avec parfois des pointes de dix, quinze, vingt pages par jour, et parfois des périodes de dix, vingt, trente jours sans une ligne. C'est cela une moyenne, ça ne rend pas compte de la réalité dans son déroulement, ça restitue une «situation moyenne» rarement observable dans les faits. Sinon, j'écris sur tout voire, mais le moins possible, sur n'importe quoi. Par degré de quantité mais sans degré de qualité, mes quatre sujets favoris sont l'univers, la Terre, l'humanité, la société. J'ai conscience de ne parler qu'à partir de moi, même si j'essaie autant que possible de faire varier les points de vue objectifs et subjectifs en tenant compte d'opinions et analyses qui ne sont pas de moi, malgré tout je sais ceci: tout ce que j'écris est de manière ou d'autre une «autobiographie», une écriture sur ma propre vie. Et tout aussi conscience que ça n'a rien de réel car il s'agit d'une restitution «moyenne» de ma biographie. Par honnêteté je tente, sur tel ou tel thème évoqué, d'exposer tout ce qui a pu me traverser l'esprit là-dessus en sachant que c'est peine perdue, pour deux raisons: même pour un sujet aussi mince que, disons, les brosses à dents, avant même d'en écrire j'ai déjà des dizaines des choses à en dire; et, écrivant sur un sujet donné, au fur et à mesure il me vient des idées à l'infini, pour cette raison évidente que tout objet de ce monde est de quelque manière relié à tous les autres.

Considérez ce sujet imprudemment désigné comme simple, «les brosses à dents»: il y a l'aspect anthropologique, l'infinie variété d'instruments qui ont ici et là l'usage que la brosse à dent stricto sensu a dans un pays comme la France; puis il y a le côté ethnologique, «les rites de brossage de dent», ici privés ailleurs publics, ici pratiqués seul ailleurs collectivement, etc.; l'aspect socio-économique, l'industrie de la brosse à dent, son commerce, les instruments adventices (poudre, crème ou gel dentifrices, moteurs pour brosses à dents électriques, etc.); et autres aspects. Il y a probablement un aspect psychologique, un aspect psychiatrique, il y a j'imagine des aspects théologiques, et que sais-je encore. Maintenant, vous pourrez me dire, qu'y a-t-il d'autobiographique dans une discussion sur les brosses à dents ? Et bien, le fait que quoi que j'en dise, je le dirai de mon point de vue: aussi «objectif» qu'apparaîtrait un exposé sur les brosses à dents, il faut tenir compte de ce que ce ne sera qu'une sélection parmi les diverses considérations faites sur le sujet, et en outre selon ma manière d'avoir compris ces points de vue «autres que le mien», ce qui finit donc par être «l'opinion personnelle d'Olivier Miloud Hammam sur les brosses à dents».

Il y a un paradoxe de l'écriture, les textes les moins autobiographiques sont ceux-là mêmes qu'on répute tels, pour deux bonnes raisons: ce sont les seuls dont un auteur a la certitude qu'ils ne rendront jamais compte de la «personnalité réelle» du scripteur, qui est tout de même le mieux placé pour en connaître quelque chose; c'est aussi le rare cas où il tente d'avoir un «point de vue extérieur» sur son sujet, d'en parler d'une manière qui n'est pas celle qu'il adopterait spontanément sur tout autre sujet.