Démocratie & république

 P arfois je reçois des messages où l'on me pose des questions en ayant l'air de penser que j'ai des réponses, ce qui n'est pas évident. Ma pratique d'Internet m'a fait comprendre qu'il y a au moins quatre sortes de sites :

  • ceux où on ne se pose pas de questions et où on ne donne pas de réponse ;
  • ceux où on ne se pose pas de questions et où on donne des réponses ;
  • ceux où on se pose des questions et où on donne des réponses ;
  • ceux où on se pose des questions et où on ne donne pas de réponses.

Sur ce site, ce serait plutôt le quatrième genre…


Il y a peu (le 20 juin 2007), une correspondante m'écrivait ceci :

Monsieur,

tout d'abord laissez-moi vous dire que bien que je connaisse encore peu
votre site, il me paraît très intéressant.

Ensuite voilà ma question : quels éléments de réponse donneriez-vous à "la
différence entre la démocratie et la République ?"

Merci d'avance pour votre aide !

Cordialement,

[Signature]

Ça fait toujours plaisir de se faire dire du bien de son travail, mais pour la suite, je dois admettre que je me trouvais bien démuni. Comme indiqué, sur ce site je me pose bien des questions, mais quant à avoir des réponses… J'en ai commencé plusieurs, et aucune ne me satisfaisait. Finalement je lui écrivis ceci, le 3 juillet 2007 :

Bonjour,

        Le titre de ce message se réfère au fait que j'ai déjà tenté trois
fois de rédiger une réponse. Désolé du retard mais indépendamment
de la difficulté à répondre, j'ai eu des problèmes d'ordre familial.
        Le plus simple, tout d'abord, est de vous donner les définitions
qu'on trouve dans le dictionnaire « Trésor de la Langue française » :

      « DÉMOCRATIE, subst. fém. A. - Régime politique, système de
    gouvernement dans lequel le pouvoir est exercé par le peuple, par
    l'ensemble des citoyens » ;
        « RÉPUBLIQUE, subst. fém. I. A. Vieilli. Chose publique,
    organisation politique de la société, État.
            [...]
      II. A. [P. oppos. à monarchie, empire] Organisation politique d'un
    État où le pouvoir est non héréditaire, partagé et exercé par les
    représentants (généralement élus) d'une partie ou de la totalité de la
    population ».

        Ces définitions mettent en évidence ce que je tentais d'exprimer
dans mes précédentes réponses : « démocratie » désigne le régime
politique et l'ordre dans lequel le pouvoir s'exerce : du bas vers le
haut, du peuple à ses représentants, tandis que « république » désigne
l'organisation politique, indépendamment du régime : une démocratie peut
être monarchique ou impériale, et une république peut être oligarchique
ou autoritaire.
        Cela posé, je comprends le pourquoi de votre interrogation : par les
temps qui courent, il y a souvent en France, et dans bien d'autres pays,
confusion entre les deux termes. Pour prendre un exemple actuel, quand
Nicolas Sarkozy parle de « la démocratie », le plus souvent ce qu'il désigne
est le système républicain et pour être précis, la forme particulière qu'il
a en France et aux États-Unis, deux nations où ce système a tendu vers un
régime de type oligarchique. Or si la majorité des démocraties se sont
dotées d'une organisation de type républicain une telle organisation n'est
pas l'équivalent de la démocratie ni son garant.
        Un cas évident est sa dépréciation de la démocratie participative :
pour lui, disait-il en substance dans un de ses discours, « la démocratie »
se résume à sa forme représentative, avec un gouvernement émanant de
la représentation nationale et une assemblée s'appuyant sur les partis ; or
ces traits désignent l'organisation actuelle des pouvoirs, et en démocratie
justement, le peuple décide s'il le veut de modifier cette organisation sans
pour autant que la démocratie cesse ; si les Français décident qu'un mode
d'organisation au moins en partie participatif avec une dévolution des
pouvoirs dits régaliens à des institutions intermédiaires (les régions par
exemple) est préférable, quoi qu'en pensent nos représentants actuels
CECI EST la démocratie, et non pas ce qu'ils en croient.
        Je cite Sarkozy, mais de fait une large partie de nos représentants,
de gauche comme de droite, identifient aussi république et démocratie,
non parce que c'est, mais parce que ça les conforte dans leur position
sociale, et remettre cet état des choses en question serait remettre en
cause ladite position sociale.

Au fait, merci pour votre appréciation de mon site.

Amicalement.
Olivier Hammam.

Le titre du message était « Une autre réponse ».


Je m'étonne que, quelquefois, des personnes passant par ce site m'écrivent pour avoir des réponses, moi qui ne cesse de me poser des questions en n'y répondant que rarement. Remarquez, je m'étonne aussi que certains correspondants veuillent « donner des réponses » à certaines questions que je ne me pose pas… Je m'en étonne cependant moins car j'ai pu constater par expérience que bien des personnes veulent à tout prix vous faire partager leurs convictions et leurs certitudes. Passons.

Comme je le signale à ma correspondante, d'une certaine manière je ne m'étonnais pas de sa question puisque, écrivais-je, « par les temps qui courent, il y a souvent en France, et dans bien d'autres pays, confusion entre les deux termes » de démocratie et de république. Mais je ne lui écrivais pas que dans ce pays comme dans bien d'autres, il m'étonne qu'un nombre important de personnes les confonde : il suffit de consulter un dictionnaire pour savoir qu'ils sont inassimilables. Le Grand Robert (édition électronique de 2005) écrit :

« démocratie n. f. (ÉTYM. 1370, en parlant de l'Antiquité ; repris dans l'usage mod. en 1791 […] ; du grec dêmokratia, de dêmos “peuple”, et kratein “commander” […]). 1. b. Doctrine politique d'après laquelle la souveraineté doit appartenir à l'ensemble des citoyens, au peuple ; organisation politique (souvent la république, notamment la république parlementaire ou tout parlementarisme) dans laquelle les citoyens exercent cette souveraineté » ;
« république n. f. (ÉTYM. V. 1410, au sens II, 1 ; lat. res publica “chose (res) publique”). […] 2. (XVIII°). État, gouvernement légitime, où le pouvoir exécutif est le “ministre du souverain” (opposé à dictature, tyrannie) ».

Dans le Petit Larousse, édition 2001, on les définit ainsi :

« DÉMOCRATIE n. f. 1. Régime politique dans lequel le peuple exerce sa souveraineté lui-même, sans l'intermédiaire d'un organe représentatif (démocratie directe) ou par représentants interposés (démocratie représentative) » ;
RÉPUBLIQUE n. f. (lat. res publica, chose publique). 1. Régime politique dans lequel le pouvoir est partagé et où la fonction de chef de l'État n'est pas héréditaire. République aristocratique, populaire ».

Sinon que le Larousse confonde régime et organisation en parlant pour la république de « régime politique », pour les trois ouvrages la chose est assez claire, me semble-t-il, même si chacun s'attache à des éléments différents : la démocratie concerne avant tout la souveraineté (qui a le pouvoir ?) tandis que la république concerne l'organisation (comment s'exerce le pouvoir ?). Il est évident que l'organisation des pouvoirs a son importance et que seules certaines formes d'organisation sont compatibles avec la démocratie, mais tout aussi évident que cette organisation ne suffit pas à déterminer si un État est démocratique. Le Larousse cite notamment les « républiques » italiques entre la fin du Moyen-Âge et le début de la Renaissance (Venise, Florence, Gênes…) qui furent, selon les moments et les circonstances, aristocratiques ou/et oligarchiques ; et même la République originelle, celle de la Rome antique, eut une organisation politique assez stable – avec des variations – durant presque huit siècle, le régime lui connut beaucoup de fluctuations, passant d'un système plutôt aristocratique à un système oligarchique, avec des phases de démocratie proches de celle grecque, et survécut encore près de deux siècles pendant la période impériale.

Comme le remarque le Robert, la démocratie contemporaine comme « organisation politique [est] souvent la république, notamment la république parlementaire ou tout parlementarisme » ; comme il ne le remarque pas mais du moins le fait-il paraître, la république parlementaire n'est en revanche pas toujours une démocratie. Mais donc, en France et dans bien d'autres pays, on semble croire le contraire. Il est notable que les médias, parlant d'un État qui auparavant était plutôt aristocratique, autocratique ou dictatorial, dès lors qu'il se dote d'institutions de type républicain, parlent d'une « avancée de la démocratie ». Or l'exemple de très nombreuses républiques déjà anciennes, telles celles d'Égypte, d'Irak, d'Argentine, du Mexique, d'Indonésie, de Libye, etc., prouvent que ce type d'organisation n'est pas toujours signe de la démocratisation du pays. Les exemples inverses du Royaume-Uni, des pays scandinaves, des Pays-Bas, et plus récemment de l'Espagne, montrent au contraire qu'une monarchie constitutionnelle peut faire bon ménage avec la démocratie.

Malgré tout je m'étonne, et pour tout dire je m'inquiète, de constater qu'en France l'on peut encore, en 2007, s'interroger sur « la différence entre la démocratie et la République ». Je crois que ça témoigne de ce que les personnes en charge de faire de nous des bons citoyens, les enseignants, ont eux-mêmes une compréhension incertaine de ces notions et que, tels le journaliste ou le « commentateur politique » moyens, croient que les deux notions sont quasi synonymes, alors que les nombreuses démocraties non républicaines de l'Union européenne (les pays cités, la Belgique, le Luxembourg) et les exemples encore plus nombreux de par le monde de républiques non démocratiques, devraient leur faire prendre de la distance avec cette fausse équivalence.

Je ne voudrais pas avoir l'air d'accabler ma correspondante, je pense qu'elle est comme la majorité des gens de mon pays et tend à considérer que les personnes censées être responsables, informées, intelligentes, réfléchies ne racontent pas n'importe quoi, surtout à propos de notions assez fondamentales. Et elle constate que ces personnes, les enseignants, les journalistes, les politiciens, les politologues, tendent à décréter que si un État a des institutions républicaines, il est démocratique ou tend à cela. Mais en même temps, elle fait probablement le même constat que moi : que beaucoup de républiques « en voie de démocratisation » correspondent peu à l'idée qu'elle se fait de la démocratie, et elle s'interroge. Elle le fait d'autant qu'elle vit dans un pays réputé démocratique, la France, et que comme moi encore, elle doit se dire que, ma foi, celui-là non plus ne semble pas trop correspondre à la chose. Mais qu'en revanche c'est bien une république. En fait, je trouve même assez rassurant que, justement, elle me pose une telle question, ça prouve, selon moi, que la propagande ça ne marche pas si bien que ne le croient ceux qui en font usage et que, arrivé au point où l'écart entre les discours et la réalité devient trop important, la propagande ne fonctionne plus ; en même temps, elle ne trouve guère de lieu où trouver des réponses à ses interrogations, alors elle se tourne vers une personne qui semble avoir réfléchi à la question pour l'aider à en trouver.

D'un sens elle n'a pas eu tort, je réfléchis en effet à la question, par contre je ne peux pas tellement lui donner de réponse, sinon de faire ce que j'ai moi-même fait, ne pas se contenter d'une approche sentimentale, émotionnelle de la réalité, et de gratter un peu les discours pour voir ce qu'il y a dessous. Ma manière d'aller dans ce sens fut d'étudier la linguistique et de m'intéresser à ce que disent les sciences humaines, en particulier la sociologie et l'anthropologie sociale, de l'humanité et de la société. La linguistique parce qu'elle donne de bons outils pour analyser les discours, les autres sciences humaines parce qu'elles permettent de bien appréhender la réalité sociale. Cela dit, pour me répéter j'ai plus de questions que de réponses…


En reprenant le cas Sarkozy, qui est significatif je crois d'une large part de ces personnes censément responsables, informées, etc., je me souviens de certains de ses propos, lors de la très longue campagne pré, péri et post présidentielle que nous avons vécue en 2006 et 2007. Je l'ai notamment entendu affirmer que « la démocratie » ce n'est pas la recherche du consensus mais la confrontation ; que la « vraie » démocratie et pour tout dire la seule, est la démocratie représentative ; que l'opposition entre gauche et droite est fondamentale à la démocratie et que les seuls acteurs acceptables de cette démocratie sont les partis politiques. Discours assez bien accepté. Or, ce dont il nous parlait n'est donc pas la démocratie, mais la république, et même une forme particulière de république, celle propre à un moment de l'histoire et à un groupe de pays ; même pour la France, un tel discours aurait paru presque insensé il y a une cinquantaine d'années, sous la IV° République, et plus encore avant 1940, sous la III° République ; non que les partis, l'opposition gauche / droite et la confrontation y fussent absents, mais sous ces républiques, l'affiliation à un parti n'avait pas le même sens qu'aujourd'hui, et même, au début de la V° République une chose qui paraît aujourd'hui évidente, la discipline de vote dans les partis, ne l'était pas, et ne se mit réellement en place qu'à la toute fin des années 1970 pour devenir un dogme depuis. Sous la III° République et encore, quoique moindrement, sous la IV°, un député ne se sentait pas lié au parti qui avait soutenu son élection quand il devait voter une loi ou donner – ou non – sa confiance au gouvernement.

Il est notable aussi, pour peu que l'on s'intéresse à l'histoire au delà des quinze dernières années, qu'un discours récurrent ces derniers mois est faux, celui qui affirme qu'une formation centriste ne correspond pas à la structuration socio-politique de la France : tout au long des III° et IV° Républiques les deux « partis » incontournables, les républicains et les radicaux, étaient précisément « au centre » et pouvaient, selon les circonstances, entrer aussi bien dans une majorité « de gauche » que « de droite ».

Ce que Sarkozy appelle « démocratie » est une forme particulière et transitoire de républicanisme qui, en plus, s'est lentement mais inexorablement éloignée, au cours des quatre dernières décennies, de la démocratie, pour dériver vers une forme mixte de régime, pour partie aristocratique, pour partie oligarchique. Souvent, le matin, j'entends sur France Culture l'animateur de la tranche 7h-9h s'exclamer, quand quelqu'un explique que la France, ou la Belgique, ou les États-Unis, s'éloignent de la démocratie, « Mais nous sommes (ou, ils sont) en démocratie ! Les gens ont le droit de vote, ils peuvent s'exprimer ! Nos gouvernants sont élus ! »[1] Ce qui est une vision pour le moins étriquée et en outre fausse de la démocratie : dans l'Irak de Saddam Hussein les gens avaient le droit de vote et les « représentants du peuple » étaient élus ; ce qui signifie, d'évidence, que ce n'est pas parce qu'un État respecte les formes de la démocratie représentative que celle-ci existe. Cela dit, je ne suis pas trop persuadé qu'un État réellement, et non pas formellement, républicain mais qui ne laisse d'espace d'expression au peuple qu'à l'occasion des élections, peut proprement être qualifié de démocratique. Donc j'entends régulièrement cet animateur faire foi de l'état démocratique de la France sur ce point. Or l'exemple de l'Irak comme celui de nombre d'États dans le monde montre, ainsi que dit, que le droit de vote, s'il est formel ou s'il ne permet pas une expression réelle des opinions, ne signe pas la qualité démocratique d'un État.

Même en laissant de côté d'autres formes de participation des citoyens aux décisions politiques, pour moi les formes d'élections qui ne permettent pas une représentation proportionnelle même partielle du corps électoral sont par essence non démocratiques. La France, la Grande-Bretagne, les États-Unis me semblent sur ce point en défictit de démocratie, la désignation des représentants s'y faisant par scrutins uninominaux à un ou deux tours.

L'exemple des trois dernières législatures en France montre qu'une « majorité » peut s'y constituer avec moins de 40% des exprimés et moins de 30% du corps électoral : aux législatives de 2007, « la majorité » a recueilli moins de 35% des voix au premier tour et moins de 50% au second, ce qui fait, avec pour les deux tours une abstention de l'ordre de 40%, alentour de 20% puis de 30% du corps électoral. Et bien sûr, cela signifie qu'une large portion des citoyens n'est pas « représentée », et explique largement les difficultés des divers gouvernements depuis une quinzaine d'années à mener une politique efficace : quand on a près de la moitié du corps électoral contre soi et moins d'un tiers de ce corps pour soi, et qu'on n'a pas même la possibilité institutionnelle de discuter avec les représentants de plus d'un tiers de ce corps, il est évident qu'on aura du mal à convaincre d'adhérer à son projet ces quelques 70% de Français malheureux et mécontents.


Selon moi, ce qui fait la démocratie n'est ni la confrontation ni le consensus mais le débat. Lequel peut se résoudre par une confrontation ou un consensus, mais aussi par bien d'autres choses. Lequel débat n'a pas nécessairement lieu là où Nicolas Sarkozy croit que la démocratie réside, le Parlement. Incidemment, si tel est le cas alors la France n'est définitivement pas une démocratie, puisque l'ordre du jour de nos assemblées est fixé par le gouvernement, lequel n'est pas une instance démocratique puisque les ministres ne sont pas des représentants du peuple mais des fonctionnaires nommés par le premier ministre, lui-même désigné par le président de la République. Certes celui-ci est élu, mais ça ne rend pas pour autant ses ministres « démocratiques ». Comme en outre les lois, réglements et ordonnances que propose le gouvernement sont en général conçus par des fonctionnaires stricto sensu (les membres des cabinets ministériels et les hauts fonctionnaires des administrations centrales), on peut considérer, et on n'aura pas tort je crois, que la France est, j'y reviens, un régime aristocratique mâtiné d'oligarchie

L'aristocratie, est « le pouvoir des meilleurs » : les hauts fonctionnaires accédant à leurs postes sur titres et par des concours ou de la promotion interne, on peut les considérer comme « les meilleurs » parmi les fonctionnaires ; les ministres et, de plus en plus, les élus nationaux accèdent à leurs fonctions non par leur mérite ou par le libre jeu des institutions mais parce qu'ils appartiennent à un groupe restreint et que leur seule qualité apparente est cette appartenance à ce groupe (ce qui ne signifie pas que telle ou tel ne fassent pas l'affaire, mais ce n'est pas le critère de sélection) ; enfin les membres des cabinets ministériels ont un statut mixte, certains étant choisis pour leurs mérites, d'autres parce qu'ils « font partie du groupe », qu'ils soient « méritants » ou non. On peut donc douter du caractère démocratique du régime actuel de la France.

Donc, le débat. De mon point de vue toujours, le modèle même d'un système démocratique est la Suisse : ses habitants peuvent susciter un débat à tous les niveaux, de la commune à la confédération en passant par le district et le canton. C'est précisement cela qu'on nomme démocratie directe, une expression absente du vocabulaire de Nicolas Sarkozy et de quasiment tous les politiciens français. Ce qui n'empêche l'existence d'une démocratie représentative selon un modèle inspiré des États-Unis d'Amérique pour la forme et de la France pour les bases constitutionnelles, mais qui introduit deux éléments inédits, l'un qui pour le moment n'a guère diffusé, les éléments de démocratie directe, l'autre qui au contraire diffusa beaucoup au XX° siècle, le principe de subsidiarité, ou de dévolution. Pourtant, ces principes sont très liés, et le défaut de démocratie ressenti en France et dans les autres États de l'Union européenne ayant une organisation territoriale similaire (mais non dans ceux fédéraux ou confédéraux) vient justement de ce que la subsidiarité y est réduite aux charges mais ne s'accompagne pas de la dévolution, c'est-à-dire d'une autonomie législative et exécutive dans les domaines concernés. Il vaut de savoir qu'en Suisse, chacun des 26 cantons a sa propre Constitution, qui bien sûr doit s'accorder à la Constitution fédérale mais permet d'encadrer juridiquement les domaines concernés par la subsidiarité-dévolution.


[Reprise le 12/10/2008]

Autant le concept de république est, depuis deux à trois siècles, assez stable, autant celui de démocratie est en perpétuelle évolution, car contrairement au modèle organique qu'est la république, le modèle structurel qu'est la démocratie évolue en même temps que les structures sociales évoluent. Pour mieux dire les choses, il n'y a pas cent mille manières d'organiser une société, il n'y en a guère que quatre ou cinq, quel que soit le nom qu'on leur donne, avec une ou deux variantes chaque, alors que la démocratie, qui est avant tout le débat, la confrontation des idées (et non des hommes), la discussion, n'a pas de base fixe et se modifie en même temps que les idées apparaissent et évoluent. En outre, le mode de réalisation d'un État démocratique est tributaire de l'état des choses dans telle société, alors que l'organisation de l'État n'en dépend guère, sinon pour des questions d'efficacité.

L'esquisse de réponse que je pourrais faire à ma correspondante se dégage, je crois, des quelques considérations qui précèdent :

  • Les types de « pouvoirs » se déclinent en deux groupes, les organisations et les régimes ;
  • La démocratie est un régime politique et à ce titre se compare à la monarchie, la dictature, la tyrannie, l'anarchie, l'aristocratie, l'oligarchie ;
  • La république est une organisation politique et se compare donc à d'autres formes d'organisation : absolutisme, totalitarisme, féodalité, etc. ;
  • De ce fait, une république n'induit pas obligatoirement un régime démocratique et réciproquement, une démocratie n'est pas obligatoirement organisée en république ;
  • Il en découle qu'il n'y a pas qu'une seule forme de démocratie assimilable à la république, preuve en étant qu'on peut constater à l'heure actuelle qu'un certain nombre de démocraties ne sont pas républicaines (cas fréquent des monarchies démocratiques) et un certain nombre de républiques ne sont pas démocratiques (cas des républiques autoritaires ou/et oligarchiques ou/et aristocratiques).

J'y ajoute ces quelques autres considérations :

  • Certains régimes et organisations sont exclusifs, par exemple une tyrannie ne peut s'organiser en république ni une démocratie être totalitaire ou absolutiste ;
  • Certains termes peuvent s'appliquer à la fois à un régime et à une organisation, c'est notamment le cas de la tyrannie, qui est avant tout un régime mais induit par nécessité une certaine forme d'organisation désignable par le même nom, ainsi que du totalitarisme, qui peut aussi être une organisation en soi ;
  • Les sociétés ont pour la plupart des formes de régimes et d'organisations mixtes, et pour celles d'une certaine importance en superficie et en population, elles sont nécessairement mixtes.

Pour la dernière remarque, il n'y a pas, autant que je sache, de limites précises à partir desquelles on peut déterminer qu'une société sera formellement mixte, car il y a aussi une question de contexte : du point de vue de leur superficie et de leur population, des États comme Andorre, San Marin ou Monaco pourraient avoir des formes de régime et d'organisation non mixtes, mais leur inclusion dans un contexte où toutes les sociétés sont trop importantes pour n'être pas mixtes les oblige à une forme mixte.

Au-delà, se pose la question du type de démocratie : pour en revenir brièvement à Nicolas Sarkozy, compte non tenu qu'il ne semble pas vraiment comprendre la démocratie, du moins ne considère-t-il qu'un seul type, la démocratie représentative. Comme dit plus haut il en existe une autre, celle qu'on peut constater en Suisse, la démocratie directe, et une troisième mise en place il y a quelques temps déjà (une vingtaine d'années) dans certains États nordiques et quelques pays d'Amérique Latine, et que d'autres nations ont tenté d'acclimater plus récemment, la démocratie participative, qui se décline de diverses manières.


Les diverses déclinaisons de démocratie participative ont en commun de soumettre à débat des questions et problèmes sociaux, sociétaux, organiques ou politiques, et de les soumettre à des groupes de citoyens sans compétences particulières sur ces questions, ni ne jouissant d'une position sociale particulière. Au-delà de cet élément commun il y a une grande diverité dans la manière de mettre en œuvre cette participation, et une diversité tout aussi grand quant aux types de questions et à la visée finale.

Le « modèle latino-américain » est celui de la « démocratie de proximité » et implique une participation active et autonome des citoyens concernés. Ses lieux privilégiés sont le quartier, la commune, le canton, au plus le département – ou leurs équivalents dans les pays concernés, en tout premier le Brésil. Le « modèle européen » est celui du « débat participatif » ou « débat citoyen », ou une autorité (municipalité, canton, département, région, État, ou tout organisme public auquel ces autorités délèguent ce pouvoir) organise une consultation en vue de l'aider à prendre une décision sur une question concernant la communauté. Bien sûr, ces deux formes ne sont pas exclusives, c'est plus une question d'orientation générale, les pays où la forme de pouvoir à tendance démocratique sont de vieille implantation ont tendance à préférer la forme débat, ceux où elle est récente, voire en cours de déploiement, la forme participation.


[1] À remarquer que cette phrase vaut pour l'actuel titulaire de cette tranche, Ali Baddou, mais aussi pour son prédécesseur, Nicolas Demorand, et pour celui par intérim, quand Ali Baddou est en vacances, l'animateur qui lui a succédé au « rendez-vous des politiques », Raphaël Enthoven, qui d'ailleurs en use et abuse dans cette émission. On doit les fabriquer par clonage, ces animateurs du matin…