Vérité, erreur, mensonge
ou: Les voyants, les aveugles et les borgnes

 L e texte de cette rubrique intitulé «Qu'est-ce que la société ?» commence ainsi:

«i je le savais, je cesserais d'écrire dessus et irai par les rues porter la Bonne Parole. Ou un truc du genre».

Et bien voilà, je sais ce qu'est la société. Donc, je vais aller par les rues et les prés, et porter la Bonne Parole. Enfin non: j'aime autant rester chez moi tranquillement, et réfléchir au sujet… Voici une brève description de la société, que je compte développer.

Dans la société, il y a trois classes de personnes: celles qui ont compris la vérité, celles qui croient avoir compris la vérité, mais ne la voient qu'à moitié, et celles qui ne l'ont pas comprise. Des premières, on peut dire qu'elles vivent dans la vérité, ou qu'elles sont voyantes; des secondes, on peut dire qu'elles vivent dans le mensonge, ou qu'elles sont borgnes; des dernières, on peut dire qu'elles vivent dans l'erreur, ou qu'elles sont aveugles. Les premières et les dernières sont de peu d'intérêt, on voit parmi elles une assez grande diversité, mais on peut en dire globalement que celles qui sont dans la vérité agissent pour le bien, celles qui sont dans le mensonge, pour le mal. Les secondes ont plus d'intérêt: certaines se savent, d'autres ne se savent pas dans l'erreur; certaines veulent, d'autres ne veulent pas vivre dans l'erreur; et tout ça fait qu'elles tendront à aller, soit vers la vérité, soit vers le mensonge, ou encore, elles ne choisiront pas et resteront entre les deux.


Pour voir ce que cela a comme implications sur la société, prenons une vérité connue: il y a de plus en plus de pollution. C'est un fait. Un fait indéniable. Pourtant, certaines personnes le nient. De celles-là, on peut dire avec certitude qu'elles mentent ou se trompent ou sont trompées. Celles qui mentent savent exactement ce qu'elles font, donc elles ont peu d'intérêt; d'une certaine manière, on peut dire que le mensonge est un autre aspect de la vérité, dans notre cas: la pollution est un truc de publicitaire pour situer en dehors de soi ce qui vient de soi; le véridicteur part du principe qu'il vaut mieux ne pas faire ça, parce qu'à long terme ça a des effets désastreux; le menteur part du principe «Après moi le déluge» et n'a pas tort: le long terme échu, il ne sera plus là pour en payer les conséquences. Restent celles qui sont dans l'erreur. Certaines prétendent qu'il n'y a pas, ou pas trop, ou «pas plus» de pollution. Ou qu'“on” va bien finir par “trouver une solution”. Seulement, la pollution ça n'existe pas, donc à un non problème il n'y a pas de solution. Par contre, la dégradation de l'environnement existe. Pour être plus exact, il y a bien quelque chose qu'on peut nommer “la pollution”, mais cette chose n'existe pas en soi, elle est un effet secondaire, le produit d'une certaine forme d'activité humaine. Donc, une «solution» consistant à «traiter la pollution» ne fera jamais que déplacer le problème, puisque ce traitement se fait selon le mode même qui produit de la pollution; clairement, toute “solution” de type industriel à un effet de l'activité industrielle ne fait qu'ajouter de nouveaux processus industriels, donc, augmenter la cause sans réellement diminuer l'effet. Une “solution” proposée par certains partisans du modèle industriel est par exemple de mettre les déchets des pays riches dans les déserts des pays pauvres; la pollution n'ayant pas de frontières, avec le temps ces déchets nous reviendront, d'une manière ou de l'autre; entretemps, on aura consommé du pétrole pour transporter ces déchets, ce qui augmentera le niveau global de pollution. Conclusion: un problème industriel ne peut avoir de solution industrielle externe, c'est à la source qu'on doit le régler. Par exemple, en limitant la production des déchets.

Les gens dans l'erreur… Il est bien plus simple de discuter avec un menteur, il sait qu'il ment, donc si vous démontez une de ses propositions il acceptera vos arguments et finira à un moment où l'autre par vous dire oui, mes solutions n'en sont pas, mais ce qui se passe ailleurs, ce qui se passera plus tard, ça ne me concerne pas. Les gens dans l'erreur ont le gros désavantage d'être sincères. Ils le sont de diverses manières, dont quatre dominent: ils ne croient ni au diagnostic, ni à la réponse; ils croient au diagnostic mais non à la réponse; ils croient ou non au diagnostic mais croient à la réponse; ils croient ou ne croient pas au diagnostic mais savent que des choses se font en secret pour résoudre (ou augmenter) le problème. On peut les appeler les crédules, «ceux qui croient», car même ceux qui ne croient ni au diagnostic ni à la solution croient quelque chose, en l'occurrence, «tout ça c'est des foutaises !»

Avant de poursuivre je vais reprendre cette question du mensonge et de la vérité. Ce sont donc deux approches aussi réalistes l'une que l'autre, mais contradictoires, de l'univers et notamment de la société, qui reste mon sujet ici: «la vérité» a l'avantage d'être plus valable à long terme; mais si l'on considère la durée de vie d'un humain, les deux se valent. Autre avantage de la vérité, elle profite à tous. Le mensonge a aussi ses avantages: il profite à court terme et est avantageux pour ses adeptes. Chacune a ses inconvénients: la vérité crée des contraintes à court terme, aux avantages appréciables à moyen terme seulement et peu spectaculaires; le mensonge est défavorable à moyen terme, ses inconvénients malaisément correctibles et spectaculaires. Pour reprendre le cas de “la pollution”, sans dire que ce soit une «lutte de tous les instants», ça requiert une viligance continue et soutenue, des contrôles et vérifications réguliers, sans que le résultat soit sensible, on peut même dire que «ça ne fait rien», le but étant justement qu'on n'en vienne pas à «devoir faire quelque chose». C'est très similaire à la tenue de son domicile (l'écologie étant justement “la science de la maison”): ça «ne fait rien» que de laisser l'endroit dans un certain état, mais si on ne s'y astreint pas, les choses se dégradent très vite…