J' entends sur ma radio un sénateur expliquer (citation approximative) qu'« il ne faut pas se cacher les choses, pendant longtemps on n'a pas pu dire certaines (sic) vérités, sous le prétexte de faire le jeu du Front national. Et bien, il y a une (sic) sur-délinquance parmi les jeunes (sic) issus de l'immigration ». C'est d'ailleurs une des conclusions du rapport du Sénat en date du 3 juillet 2002 sur la question. Bon. Nous voilà donc dotés d'une nouvelle notion, la « sur-délinquance ». Et d'une fausse évidence par-dessus ça. Remarquez, elle n'est pas neuve, et malgré ce qu'en disait notre sénateur, ça fait longtemps que traîne dans le discours des médias et de nombreux responsables politiques, parfois de gauche, l'idée que le « taux de délinquance » est élevé chez les jeunes en question. Que dire ? C'est vrai. Si l'on compare le nombre relatif de délinquants de moins de 26 ans (âge limite d'attribution de la « carte jeunes » à la SNCF) « issus de l'immigration » à l'ensemble de la population immigrée ou « issue de l'immigration », puis les délinquants de moins de 26 ans « non issus de l'immigration » à l'ensemble de la population « non issue de l'immigration »[1], nul doute qu'on trouvera un « taux de délinquance » plus élevé chez les premiers que chez les seconds. Si l'on met en parallèle l'ensemble des populations aux caractérisques socio-économiques équivalentes, c'est-à-dire, si l'on compare groupe à groupe le comportement des enfants de cadres, de professions intellectuelles, de commerçants, d'artisans, d'ouvriers, d'employés, d'entrepreneurs, de… Bref, si l'on compare ce qui est comparable, non pas un nombre brut, mais un nombre corrélé, je doute qu'on obtienne la même « évidence des chiffres ». On découvrira entre autres que le taux de délinquance parmi les enfants d'ouvriers ou ceux de professions libérales, est très comparable parmi les « issus de l'immigration » et parmi le reste de la population. On découvrira que le « taux de délinquance » est assez élevé chez les jeunes aux parents les plus défavorisés et ayant le moins d'instruction, issus ou non de l'immigration ; on « découvrira » enfin cette évidence : les jeunes « issus de l'immigration » ont souvent des parents dont le profil sociologique correspond à celui, dans la population générale, où l'on trouve le plus de jeunes délinquants. Notre brave sénateur ne craint donc pas de dire des « vérités » qui font le jeu du FN en se livrant à une computation sommaire. S'il voulait y réfléchir (mais le veut-il ?), il constaterait que l'on a une proportion forte de jeunes délinquants « issus de l'immigration », parce que la société les maintient dans une situation « criminogène ». Faire le jeu du FN, c'est établir de fausses évidences de cet ordre, plutôt que constater que le sort fait aux immigrés et à leurs enfants les pousse vers la délinquance. Au passage, en nous « révélant des vérités », notre sénateur se garde bien de faire ce constat-là, beaucoup plus judicieux, pourtant : la pauvreté pousse au crime. Mais, contrairement à la fin du XIX° siècle et au début du XX°, de nos jours le « darwinisme social » ne se porte pas si bien, il est politiquement incorrect de dire que les pauvres sont « ataviquement » criminels. Par contre, en prenant les pincettes de « l'évidence des chiffres », on peut le dire des nègres et des bicots. Pourtant, à l'évidence on trouve plus de délinquants visibles[2] chez les pauvres. Mais, ça ne se dit pas ou plus. D'ailleurs, je pense pour mon compte qu'il y a une fatalité là-dedans. Entendons-nous, il n'y a pas fatalité pour certains à être pauvres, mais une certaine fatalité pour les pauvres à ne guère pouvoir sortir de leur situation, et une fatalité quand on est pauvre à être tenté par la richesse… Vous ne croyez pas ? Pour les jeunes « issus de l'immigration », même fatalité : étant souvent des fils de pauvres, et même de pauvres parmi les pauvres, il y a une certaine fatalité à ce que leur « taux de délinquance » soit élevé. Me pose problème, avec notre sénateur, qu'il pratique le même genre de simplifications outrancières que les conservateurs bien-pensants des époques précédentes à l'encontre des pauvres, ramener leur taux de délinquance non à ce qu'ils vivent, mais à ce qu'ils sont : énoncer une « vérité » de ce genre rabat le phénomène de la délinquance, non à un fait social mais à quelque chose de l'ordre de l'atavisme, “constatez avec moi que, chez ces gens-là il y a beaucoup de délinquants”. On tourne en rond : c'est typiquement un discours d'extrême-droite, digne du Front national… Et me pose encore plus problème que notre sénateur ne fait pas figure de cas isolé, dans et autour de notre gouvernement actuel ce type de discours se développe. Mais aussi, hélas ! dans l'opposition « de gauche ». Ça ne laisse pas présager du meilleur, pour les mois et les années à venir. Nous verrons… Olivier Hammam,
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