Ethnies et études démographiques, #1
Opinions d'un quidam ordinaire sur « l'ethnicité » comme élément
pertinent ou non dans les enquêtes de l'INED et de l'INSEE

Voir aussiethnies #2ethnies #3ethnies #4

 A u début de la décennie 1990 une polémique se développe sur la prise en compte ou non de « l'ethnicité » dans les enquêtes de l'INED et de l'INSEE. Le concept même d'ethnie est problématique : on l'emprunte aux sciences sociales et à l'anthropologie, qui l'ont largement abandonné. Le terme « ethnie » et ses dérivés apparaissent surtout une version polie d'un terme beaucoup plus connoté, celui de « race ». Tiens, que dit mon Petit Larousse Illustré (éd. 2001) là-dessus ?

ETHNIE n. f. (gr. εθνοσ, peuple). Société humaine réputée homogène, fondée sur la conviction de partager une même origine et sur une communauté de langue et, plus largement, de culture.

ETHNIQUE adj. 1. Relatif à l'ethnie, aux ethnies. Forte diversité ethnique d'un pays […] 3. Se dit de ce qui relève, par sa nature ou son inspiration, d'une culture autre qu'occidentale. Cuisine, musique ethnique.

Et sur l'autre terme ?

RACE n. f. (Ital. razza) 1. Subdivision de l'espèce humaine en Jaunes, Noirs et Blancs selon le critère apparent de la couleur de la peau. – Catégorie de classement biologique et hiérarchisation des divers groupes humains, scientifiquement aberrante, dont l'emploi est au fondement des divers racismes et de leurs doctrines […].

RACISME n. m. 1. Idéologie fondée sur la croyance qu'il existe une hiérarchie entre les groupes humains, entre les « races » ; comportement inspiré par cette doctrine […].

Considérons la France : il s'agit bien d'une « société humaine réputée homogène, fondée sur […] une communauté de langue et, plus largement, de culture » ; la doctrine officielle – et admise – est que « nous sommes tous frères » (la fraternité est un de ses socles), ergo, elle est « fondée sur la conviction de partager une même origine ». On me dira peut-être qu'elle est avant tout symbolique, ce à quoi je répondrai que c'est le cas dans toutes les sociétés, même – surtout – dans celles réputées « primitives » qui, pour leur compte, ne perdent en général pas de vue que le « mythe des origines »… est un mythe. D'où cette question : pourquoi des enquêtes « ethniques » dans un pays a priori homogène du point de vue « ethnique » ?

Il n'est certes pas sans intérêt de connaître les origines des habitants de ce pays, savoir combien sont étrangers, combien naturalisés, quelle proportion a deux parents étrangers ou d'origine étrangère, combien un parent, combien quatre, trois, deux, un grand(s)-parent(s) étranger(s) ou d'origine étrangère, mais la donnée ethnique est-elle pertinente ?

Les dictionnaires indiquent le sens mais aussi l'opinion qu'une personne honnête doit avoir de certains termes : il est malséant d'user de la notion de race appliquée aux humains (une « catégorie […] scientifiquement aberrante ») ; on ne marque pas de la même opprobre la notion d'ethnie, tout aussi aberrante. Pourtant, l'acception 3 du terme « ethnique » marque bien ce que dit : quoi qu'on en dise il s'agit le plus souvent, d'une version « politiquement correcte » du mot race. Il s'applique ainsi à « ce qui relève […] d'une culture autre qu'occidentale », parce que « l'ethnie de référence » est « l'ethnie occidentale ». Problème, cette ethnie n'existe pas, et si l'on se réfère à la définition du mot ethnie, ne peut pas exister, « l'occident » (dans lequel, depuis 1992, on inclut… l'Europe orientale) ne répondant à aucun des trois « critères ethniques », communauté d'origine, de langue et de culture. Il est d'ailleurs difficile, et même impossible, d'étendre la notion d'ethnie au-delà d'un pays, quand elle peut y atteindre.

Si nous nous reportions à celle qui réintroduisit[1] la notion d'ethnicité au cours de la décennie dans les études démographiques, Michèle Tribalat ? Dans le numéro 300 de la revue de l'INED Population et Sociétés (avril 1995), figure un article d'elle – disponible sur Internet –, intitulé « Appartenance ethnique » (pp. 2-3). Voilà qui est clair et précis. Voyons…


J'avais le sentiment que ce ne serait pas si clair et précis. Vous reportant à l'article, vous constaterez que les seuls « ethniques » dont on parle sont ceux de l'acception 3 de mon dictionnaire, les extra-européens – ce qui me ramène à mon soupçon de, sinon racisme, au moins « racialisme » : dira-t-on, toutes les ethnies son égales, mais certaines sont plus « ethniques » que d'autres.

Autre problème, la mise à équivalence de « l'ethnie kabyle » et de « l'ethnie mandé ». Pour une description de ce que sont les « Mandés », vous pouvez vous reporter aux contributions (dans le cadre du débat suscité par Alain Blum dans ses pages personnelles) soumises en février 1999 ; vous pouvez aussi retrouver ici les contributions d'Hervé Le Bras, Les Mande ou Mandés et « Curiosités Mande », de Victor Kuami Kuagbénou, Réponse à Hervé Le Bras sur les Mandés, et de Jean-Luc Richard, Réponse à Victor Kuagbénou, qui pour différentes soient-elles dans leurs visées, apportent toutes la même information : « l'ethnie mandé » n'existe pas. Pour reprendre mon dictionnaire, elles ne correspond à aucun des trois critères canoniques : les divers « Mandés » ne se supposent pas avoir une origine (symbolique ou réelle) commune ; ils ne partagent pas la même langue ; ils n'ont pas une culture commune. Sans compter, vue l'aire géographique que couvre la supposée « ethnie mandé », qu'ils n'ont même pas en commun un pays, une religion, une forme d'organisation sociale…

Soumise critère d'« ethnicité » des « Mandés », une possible « langue originaire commune », l'« ethnie kabyle » est aberrante. Comparée à cette « ethnie mandé » celle kabyle a une « origine linguistique commune » avec les deux autres « ethnies » maghrébines, arabes et juifs[2]. Tenant compte des autres critères, on dira qu'il existe une « ethnie amazigh » excédant largement les seuls Kabyles.

La question de « l'origine commune » est délicate : étant moi-même pour moitié « d'ethnie kabyle » au sens tribalatien, je me considère pour cette moitié, comme « d'origine algérienne » ; parmi les gens que je connais comme « d'origine algérienne », certains ont la même analyse que moi, d'autres se considèrent « d'origine kabyle », ou arabe, juive, espagnole, lorraine, voire stasbourgeoise (aucun ne faisant remonter son « origine » jusqu'au niveau du quartier ou du pâté de maison[3]…).

À remarquer que le questionneur peut aussi créer l'« ethnicité » : si dans un questionnaire sur « l'origine ethnique » on met en balance « algérienne » ou « kabyle », je répondrai « algérienne », ou rien ; si je n'ai que le choix entre « kabyle » ou « arabe », je répondrai « kabyle », ou rien. Bien que me considérant entièrement Français, je ne méconnais pas mes « origines » autres, nationales (Algérie et Belgique) et socio-linguistiques (kabyle et flamande, même si je ne parle pas ces deux langues), mais dès lors qu'un questionnaire s'attachera à déterminer mon « origine ethnique » il me faudra simplifier, réduire, et abandonner les sept ou huit « origines ethniques » qui me constituent.

Voici pour l'origine commune et la langue – mesurées aux critères valables pour les « Mandés ». Sur le critère de la culture commune, y a-t-il une si grande distance entre celle d'un algérien kabyle ou autre ? D'où, « l'ethnie kabyle » ne correspond pas à grand chose, sinon à une catégorie inventée pendant la colonisation pour tenter de (et réussir à) créer une opposition entre kabyles et arabes[4].

Ma réponse à la fois subjective et objective à une question non-directive sur « l'origine ethnique » serait : française. Comme déjà indiqué, J'ai des ancêtres d'un peu tous les continents (africains et européens), pays (algériens, belges, français…), et régions (kabyles, flamands, wallons, bretons, bourguignons, parisiens…). Tous ont en commun, à un niveau d'ascendance plus ou moins lointain, d'avoir choisi de se considérer avant tout « ethniquement français », d'avoir opté pour une certaine langue et une certaine culture, et d'avoir accepté un certain mythe des origines, commun aux Français. Les « appartenances ethniques » propres à la France ne figurant pas dans le questionnaire de Mme Tribalat, je ne peux me revendiquer d'une « ethnie » bretonne ou bourguignonne – ou même morvandelle. Les personnes originaires des pays du nord de l'Europe n'ayant pas l'air d'être réputées « ethniques », je ne peux me revendiquer d'une possible « ethnie belge » (si elle peut exister[5]…). Mais, je n'ai pas à m'interroger sur la chose, Mme Tribalat répondra pour moi : un de mes ascendants directs, mon père, est, à tout le moins « d'origine algérienne », et, selon les catégories de notre chercheuse, « d'origine kabyle ». Cela dit, il était de nationalité française, avant 1962, pour l'être de nouveau (non pas « naturalisé » mais réintégré) après 1972. De nationalité (ergo, « d'origine »), de langue, de culture françaises.

Voilà je crois le problème concernant l'« ethnicité » dans les enquêtes de la statistique publique : rare sera l'« ethnicité » simple et unique pour l'individu « d'origine », surtout dans des sociétés comme celles française, belge ou néerlandaise, où, contrairement par exemple à la Grande-Bretagne, aux États-Unis, à l'Allemagne, la tendance est non au regroupement « ethnique » mais à l'intégration.

Que l'intégration soit problématique n'a rien de nouveau. Dans la deuxième moitié du XIX° siècle , les bourgeois des grandes cités ressentaient les provinciaux (considérés « dangereux ») « non intégrables » ; dans les décennies 1910 à 1930, Italiens, Polonais, Arméniens, Juifs d'Europe centrale et orientale étaient « inassimilables » (et « dangereux »), de même les Espagnols et les Portugais plus tard ; aujourd'hui, les Africains et Asiatiques sont vus comme résolument « ethniques » (et « dangereux »). Ça durera ce que ça durera, puis les choses se tasseront, et « l'ethnicité » si « évidente » pour certains, deviendra, comme pour « l'extranéité » radicale des Européens où « l'inassimilabilité » des provinciaux auparavant, non plus un « fait » mais un objet d'étude sur les représentations mythiques d'une époque.

Dans Le Nouvel Observateur[6] Ursula Gauthier écrit à propos de Michèle Tribalat, « J'ai brisé un tabou, s'enorgueillit-elle ». Ce qui ne laisse d'interroger : quel tabou ? Celui de « l'ethnicité » des extra-européens – voire des Européens méridionaux ? Elle est si « évidente » que mon dictionnaire me dit justement que « ethnique » équivaut à extra-européen. Quant aux concepts à coloration racialiste, les défenseurs de Mme Tribalat dans l'institution, tels Jacques Dupâquier ou le sulfureux Philippe Bourcier de Carbon, n'ont certes pas attendu ses travaux pour les manipuler… Celui de « l'ethnicité » des étrangers ? Chaque jour, dans le discours des médias, dans la bouche des politiciens, le « tabou » est franchi…

Dans le même article, on lit cette déclaration de Michèle Tribalat : « L'opinion publique voit comme étrangers des gens qui sont de nationalité française et met en doute la validité des statistiques. Au lieu de mettre en doute l'opinion publique, il faut s'interroger sur la pertinence de nos catégories pour décrire les étrangers » ; et aussitôt Ursula Gauthier de se demander avec pertinence : « Les statistiques sont-elles destinées à flatter les sentiments de l'opinion publique ? Pour "décrire le réel au mieux" – c'est l'ambition de Michèle Tribalat –, fallait-il changer la définition du Français ou de l'étranger en la liant à son origine ? En procédant de cette façon, Michèle Tribalat ne craint-elle pas de rendre la science démographique triviale, populiste ? » Sensiblement, elle ne le craint pas : « "Notre société n'a pas attendu que nous forgions nos outils d'analyse pour être fortement ethnicisée", récuse-t-elle. Par le recours à l'ethnie, Michèle Tribalat pense, au contraire, avoir forgé des armes pour mieux lutter contre les discriminations raciales : "Savoir que le taux de chômage s'envole à 40% chez les Maghrébins de 20-29 ans, c'est une information capitale sur les phénomènes d'exclusion socio-économiques" ». Mais…

Mais, ce n'est pas chez les Maghrébins de 20-29 ans que le taux de chômage « s'envole » mais chez les jeunes, soit Français dont au moins un des parents répond aux deux critères « ethniques »[7], soit d'une des nationalités des anciennes colonies françaises d'Afrique du nord. Doit-on introduire la notion d'ethnicité pour savoir que les jeunes « d'origine maghrébine » sont, plus que d'autres, sujets au chômage ? M'est avis que non… Mais, est-ce dû au fait qu'eux-mêmes se situent « ethniquement maghrébins », ou aux préjugés, non pas « ethnicistes » mais racistes des possibles employeurs ? Je crains que ce soit la seconde proposition la bonne. Mais, quelles nouvelles informations pertinentes sur la démographie en France apporte l'introduction de « l'ethnicité » dans les enquêtes de l'INED ou de l'INSEE ? J'avoue que j'ai du mal à le discerner.

Honnêtement, j'ai quelques doutes sur les motivations, conscientes ou inconscientes, de Michèle Tribalat quand elle s'attacha à « briser le tabou » avec ces notions douteuses d'origine et d'appartenance ethniques. Parmi d'autres textes, Alain Blum dans sa contribution « Démographie et catégories ethniques », met en évidence le fait que les catégories « ethniques » manipulées sont sujettes à caution, et Sandrine Bertaux, dans « Les nouvelles catégories d'analyse des populations immigrées », met cela dans une perspective historique à la mesure du siècle écoulé, pour constater que les catégories « ethniques » furent toujours problématiques – et toujours liées à un courant idéologique « eugéniste » quelque peu délicat… Mais, plus que toute critique, la prose même de Michèle Tribalat montre que,

  1. Sa propre réflexion sur les données qu'elle manipule semble assez limitée,
  2. Sa conception du monde « ethnique » est pour le moins douteuse.

Dans l'article évoqué, « Appartenance ethnique », elle conclut ainsi :

Le courant des migrants d'Afrique noire est composé d'une part de travailleurs venus d'un milieu rural et analphabètes, d'autre part de migrants d'un niveau social assez élevé, venus pour étudier ou pour demander l'asile politique. Les premiers appartiennent aux groupes ethniques mandé et peulh (deux tiers ne sont pas allés à l'école) et sont de confession musulmane. Les autres groupes ethniques sont soit musulmans (woloff) soit chrétiens et/ou animistes (ethnies de langue Kwa) soit de confessions diverses (Bantu, notamment). Au total, environ 40% des migrants d'Afrique Noire appartiennent à des ethnies de confession musulmane. L'existence de ménages polygames ne s'observe en France que parmi les Mandés qui représentent un peu moins du quart de la population venue d'Afrique noire.

Passage pour le moins problématique :

  • De tous les « groupes ethniques » cités, le seul représentant une certaine unité qu'on pourrait estimer « former ethnie » est celui des peuhls ; cela dit, les peuhls sédentarisés – de plus en plus nombreux – tendent à perdre leur spécificité dans les pays où ils se fixent ;
  • Les « ethnies » bantoue et mandé ne sont pas des ethnies, où alors, il faut supposer que tous les indo-européens, de l'Inde aux États-Unis et à l'Australie, en passant par l'Iran, le Kurdistan et l'Albanie, sont une et une seule « ethnie », puisque comme pour ces indo-européens, « l'ethnicité » des mandés et des bantous ressort d'une (possible) proto-langue lointainement commune. Or, Michèle Tribalat n'établit pas cette catégorisation pour les Européens, puisqu'elle suppose des « ethnies » portugaise et espagnole (pourtant, « l'appartenance ethnique » mesurée à celle des bantous – lointaine « langue maternelle » commune, le latin – est prouvée pour le français, l'espagnol et le portugais) ;
  • Les connaisseurs du Sénégal auront quelques difficultés concernant les « ethnies » wolof, mandé et peuhl pour ce pays, car aucun Sénégalais ne peut se revendiquer « ethniquement pur », ni « religieusement pur », ni… Bref, la « pureté des origines », « l'ethnie de souche », n'existe pas, chaque Sénégalais, par le fait des échanges entre groupes, « appartient » a minima à trois « ethnies ». D'où mon interrogation : comment Michèle Tribalat parvient-elle, pour les migrants originaires du Sénégal (ou de Côte d'Ivoire, où la situation est comparable), à déterminer leur origine ou leur appartenance ethnique ?
  • La supposée « confessionnalité » des supposées ethnies d'Afrique noire est encore plus problématique : dans un pays comme la Côte d'Ivoire, il est rare – non, il est impossible – de trouver une famille qui serait « confessionnellement cohérente », avec tous ses membres s'adonnant au même culte. Et même, il n'est pas rare qu'un même individu s'adonne à plusieurs cultes, qu'il soit « musulman » avec telles branches de sa famille, « chrétien » (tantôt catholique, tantôt réformé) avec telles autres, et finalement « animiste » pour lui-même…
  • « Les autres groupes ethniques sont… », écrit Michèle Tribalat ; parce que, juste avant, elle affirme que les « Mandés » « sont de confession musulmane ». Or, la même Michèle Tribalat affirmait par ailleurs que les pratiques polygames ne sont pas un trait spécifique des « ethnies de confession musulmane ». En outre, le groupe « mandé » tel que constitué n'est pas spécifiquement musulman, et dans ce groupe comme dans les autres « ethnies » ont trouve des musulmans, des chrétiens, des animistes – et des « multi-confessionnels ».

Etc. Je m'interroge : selon Mme Tribalat, les questions sur « l'ethnicité » concernent, non les immigrés stricto sensu, mais toute personne résidant en France qui, par son origine ou son appartenance (cf. note 4), est « ethnique ». Or, il y a dans le texte cité un glissement, l'autrice écrit que parmi les personnes « ethniquement » mandés ou peuhles, « deux tiers ne sont pas allés à l'école ». Ce qui ne peut s'appliquer aux personnes « ethniquement mandés » nées en France ou qui y vinrent avant l'âge de 13 ou 14 ans. Bref, tout ceci n'est pas clair. Ou bien l'est-ce un peu trop ?

Je vous laisse réfléchir là-dessus…

Olivier Hammam


ADDENDUM

Un exemple de « scientifisation » d'une « réalité » non scientifique.

Parmi les documents du Population reference Bureau (Office [international] des références sur la population [mondiale]) on trouve un Guide de démographie disponible sur Internet, dont le chapitre 9 concerne « Race et ethnicité ». Voici le paragraphe sur la notion de race :

Race
Le terme race n'est pas un terme scientifique. Il n'existe aucun consensus sur le nombre de races qui existent ou sur ce qui distingue exactement une race d'un groupe ethnique. Nombre de spécialistes en sciences sociales s'accordent à reconnaître qu'à supposer que la race soit constituée d'éléments biologiques ou génétiques, elle est essentiellement définie par la société et non pas par la génétique. Il n'existe pas de catégories universellement acceptées.

Je trouve ce passage intéressant, car il s'agit de la discussion « scientifique » d'un terme qui ne l'est pas. Pourquoi le faire ? Parce que de nombreux pays – dont de « grandes démocraties développées » comme les États-Unis ou le Japon – et, comme indiqué ici, des démographes usent de la « donnée » race dans leurs études et analyses. Donc, « il faut en discuter ». Comment ? La première phrase, « politiquement correcte » selon quoi « le terme race n'est pas un terme scientifique », est immédiatement contredite par l'affirmation selon quoi « nombre de spécialistes en sciences sociales [etc.] ». Une donnée non scientifique dont les scientifiques discutent la portée et l'extension « scientifiques ». Évident…

Il y a une manière de rationaliser qui est irrationnelle, et quelque peu orientée : il est vrai que des « spécialistes en sciences sociales » discutent de savoir s'il faut ouvrir son œuf à la coque par le petit ou le gros bout, mais dans le cadre d'une définition « scientifique », ce genre de discussions n'a pas grand intérêt. J'eusse aimé que nos auteurs, en premier lieu spécifient que la majorité des spécialistes en sciences sociales, en biologie, en anthropologie physique, etc., considèrent tout simplement oiseux de faire rentrer les discussions sur les races dans le champ de la science. Mutatis mutandis, les discussions sur les catégories ethniques dans la statistique publique sont aussi scientifiquement douteuses pour les spécialistes (etc.), considérant que ce serait une donnée objective et quantifiable.


Voir aussi ethnies #2ethnies #3ethnies #4
[1] Réintroduisit, car la chose n'est pas nouvelle, sa première apparition dans la statistique nationale date… de l'époque de l'État français, vous savez : la période 1940-1944…
[2] Il est intéressant de noter que notre chercheuse ne classe pas les juifs séfarades d'Afrique du Nord parmi les « ethnies maghrébines immigrées », ce qu'ils sont pourtant : apparemment, sa catégorisation « ethnique » ne repose pas sur des données objectives et vérifiables, « scientifiques », mais sur une classification subjective et politique quelque peu « scientifiquement aberrante », héritée de l'époque de la (dé)colonisation. Mais de toute manière, une classification ethnique « scientifique » est un objet introuvable.
[3] Incidemment, l'« ethnicité » locale peut descendre aussi près et même plus, jusqu'à la famille et même jusqu'à la moitié de la famille quand un individu se sent « de l'ethnie maternelle » ou « de l'ethnie paternelle ». Du fait que l'ethnos tel que compris ici est le sentiment d'appartenance à un groupe partageant certains traits et se considérant « de la même origine » le particularisme peut aller assez loin, le terme “horsain”, un terme normand désignant celui qui est « en dehors », entendu comme en dehors du groupe, qui peut aller jusqu'à désigner la personne du hameau voisin avec qui on partage tout sauf l'origine lignagère.
[4] Bien sûr, l'existence d'une « ethnie kabyle » (ou plutôt, de deux ethnies kabyles) est attestable, et elle correspond assez aux critères énoncés par le Larousse, je veux juste dire que les particularismes actuels de cette ethnie dans l'Algérie contemporaine, et surtout les particularismes des migrants kabyles au sein de la société française, ne sont pas si importants qu'ils puissent justifier leur prise en compte dans une enquête française sur les « origines ethniques » des migrants et enfants de migrants.
[5] En revanche, pour le sud, il y a assurément des supposées « ethnie espagnole » et « ethnie portugaise ». Intéressant, ne trouvez-vous pas ?
[6]« Des dérapages racistes à l'Ined ? », Nouvel Observateur N°1776, 19-25 novembre 1998, page 116. Disponible sur le site d'Alain Blum. On le trouvera aussi localement sur ce site même.
[7] Qui sont « "l'appartenance ethnique", fondée sur la langue maternelle, et "l'origine ethnique", définie par le lieu de naissance des parents », source Ursula Gauthier, article cité. Ces définitions de « l'appartenance » et de « l'origine » sont problématiques : quid de la personne, née en Algérie, dont la mère est « d'appartenance italienne », le père « d'appartenance espagnole », dont les langues d'usage, « maternelle », « paternelle », « culturelle » et « usuelle » sont l'italien, l'espagnol, le français et l'arabe ? Quelles « appartenance » et « origine » ? Appliqués strictement, ces critères obligeraient l'enquêteur à considérer un pied-noir dont les ascendants à trois générations et plus sont nés sur le sol algérien comme « d'origine ethnique ». Mais, de quelle origine, de quelle « ethnie » ? Cela dit, rassurez-vous, ami(e)s pieds-noirs, ces critères ne sont pas destinés à être appliqués strictement, les seules populations « ethniques » étant celles d'Europe du sud ou celles extra-européennes non concernées par les lois du 26 juin 1889 et du 22 juillet 1893 instituant la naturalisation automatique des colons « ethniquement » européens, et juives algériennes pour la « loi Crémieux » de 1870 sur leur naturalisation.