Les internautes ? Réactionnaires !

 P lus le temps passe, plus les sites tels que celui-ci deviennent atypiques : ici on ne «réagit» pas, ou du moins pas directement, j'en suis le seul maître et responsable éditorial et rien de ce qui s'y trouve n'est de l'ordre de l'immédiateté si en vogue désormais. J'y avais placé un «forum» mais pour des raisons de pollution (spams) je l'ai désactivé et finalement ça ne me semble pas si dommageable. Je suis assez défavorable à ce dogme actuel, le «temps réel», et son corollaire, la «réactivité». Probablement parce que je place haut l'idéal démocratique, lequel réclame de la réflexion donc du temps différé.

Réagir est donc devenu le maître-mot sur Internet : on sollicite l'internaute de réagir sur tout et, bien souvent, sur n'importe quoi. La chose la plus admirable est qu'on en vient, sur certains sites, à solliciter des réactions… sur des réactions. Voire même, des réactions à des réactions sur des réactions. Un site représentatif de cette tendance est celui du quotidien Libération, où tout est motif à réagir, jusques et y compris les chats, qui sont pourtant des lieux de réaction en eux-mêmes. Exemple : Daniel Schneidermann a une chronique «réactive» et hebdomadaire de commentaire des médias, et réagit aux réactions des «libénautes» dans un chat qui a la même chronicité, et où l'on commente en général ses réactions dans cette chronique ou sur son site Arrêt sur images, lui aussi «réactif», et in fine d'autres «libénautes» font part de leurs réactions sur ce chat – entendons-nous : je ne parle pas de leurs réactions dans le chat mais à propos de lui. À l'ère atomique, ce genre de réactions en chaîne n'est finalement pas si étrange, peut-être…

Vous l'aurez compris, cette «réactivité» ne me convient pas spécialement. J'en parle pour Internet mais ça concerne aussi les autres «médias immédiats», les moyens de communication à diffusion rapide : courrier électronique, radio, télévision, téléphone, télécommunications. En cela Internet n'est que plus visiblement représentatif de cette tendance sociale générale à la réactivité, au «temps réel», aux «flux tendus», au «zéro stocks» et au «délai zéro». Ma… réaction à la réactivité n'a rien de réactionnaire, c'est plutôt une inquiétude concernant les processus démocratiques : la réaction contredit la réflexion or la réflexion, la décision pesée, est nécessaire pour aller vers plus de liberté individuelle et collective, donc de démocratie.