Gloses spectaculaires

 E n 1967, Guy Debord publiait un ouvrage qui, à l'époque, parut excessif, La Société du spectacle. Presque quarante ans plus tard, en cette année 2006, il apparaît tout autre. Je le disais déjà dans un autre texte sur la question, l'essentiel du propos de Debord tient dans le titre du livre, la citation en début de l'ouvrage et les six premiers paragraphes, que Debord nomme “thèses”. Les voici:

La Société du spectacle

«Et sans doute notre temps… préfère l'image à la chose, la copie à l'original, la représentation à la réalité, l'apparence à l'être… Ce qui est sacré pour lui, ce n'est que l'illusion, mais ce qui est profane, c'est la vérité. Mieux, le sacré grandit à ses yeux à mesure que décroît la vérité et que l'illusion croît, si bien que le comble de l'illusion est aussi pour lui le comble du sacré».
Feuerbach (Préface à la deuxième édition de L'Essence du christianisme)
♦ 1 ♦ Toute la vie des sociétés dans lesquelles règnent les conditions modernes de production s'annonce comme une immense accumulation de spectacles. Tout ce qui était directement vécu s'est éloigné dans une représentation.

♦ 2 ♦ Les images qui se sont détachées de chaque aspect de la vie fusionnent dans un cours commun, où l'unité de cette vie ne peut plus être rétablie. La réalité considérée partiellement se déploie dans sa propre unité générale en tant que pseudo-monde à part, objet de la seule contemplation. La spécialisation des images du monde se retrouve, accomplie, dans le monde de l'image autonomisé, où le mensonger s'est menti à lui même. Le spectacle en général, comme inversion concrète de la vie, est le mouvement autonome du non-vivant.

♦ 3 ♦ Le spectacle se représente à la fois comme la société même, comme une partie de la société, et comme instrument d'unification. En tant que partie de la société, il est expressément le secteur qui concentre tout regard et toute conscience. Du fait même que ce secteur est séparé, il est le lieu du regard abusé et de la fausse conscience; et l'unification qu'il accomplit n'est rien d'autre qu'un langage officiel de la séparation généralisée.

♦ 4 ♦ Le spectacle n'est pas un ensemble d'images, mais un rapport social entre des personnes, médiatisé par des images.

♦ 5 ♦ Le spectacle ne peut être compris comme l'abus d'un mode de la vision, le produit des techniques de diffusion massive des images. Il est bien plutôt une Weltanschauung devenue effective, matériellement traduite. C'est une vision du monde qui s'est objectivée.

♦ 6 ♦ Le spectacle, compris dans sa totalité, est à la fois le résultat et le projet du mode de production existant. Il n'est pas un supplément au monde réel, sa décoration surajoutée. Il est le coeur de l'irréalisme de la société réelle. Sous toute ses formes particulières, information ou propagande, publicité ou consommation directe de divertissements, le spectacle constitue le modèle présent de la vie socialement dominante. Il est l'affirmation omniprésente du choix déjà fait dans la production, et sa consommation corollaire. Forme et contenu du spectacle sont identiquement la justification totale des conditions et des fins du système existant. Le spectacle est aussi la présence permanente de cette justification, en tant qu'occupation de la part principale du temps vécu hors de la production moderne.

Les 217 “thèses” suivantes forment un long commentaire composé de gloses, de redites, d'aphorismes sur ce début. Et des six premières thèses même l'on peu dire que seules la première et la cinquième forment «le thème de l'ouvrage»,