Le néo-libéralisme, stade ultime du soviétisme

 L e «néo-libéralisme» a autant de rapports avec le libéralisme que le soviétisme (ou stalinisme) avec le communisme, donc presque aucun, sinon l'usage d'un certain vocabulaire mais avec des acceptions assez divergentes. Quand un «néo-libéral» me parle de liberté, la manière dont il définit le terme n'a pas grand chose à voir avec la manière dont un libéral la définira. Pas grand chose, ma foi, c'est peu de le dire… Et bien sûr, pas grand chose avec l'acception habituelle du mot “liberté”. Enfin, il faut voir: j'ai une certaine distance,comme linguiste, sociologue et philosophe, avec l'idée d'acception «normale» ou «habituelle» des mots, si certes ils ont un sens, celui-ci est mouvant, même pour ce qui peut désigner des réalités effectives, objets ou êtres. Pour les réalités ineffectives, «la liberté», «les marchés» et autres, c'est encore plus mouvant. Il y a cependant une compréhension de base de la liberté, en France, qui découle de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen du 26 août 1789:

«La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui: ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi».

Bien sûr, il y a des variations quant à savoir ce que sont les «droits naturels de chaque homme», mais ça n'importe pas tant, usuellement l'on voit dans la sentence «Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas que l'on te fasse» (ou fisse) une paraphrase ou un commentaire de cet article – ou le contraire. L'idée générale semble que la liberté se définit, dans le contexte des sociétés humaines, par le fait de n'admettre pour soi et pour les autres que les comportements qui ne nuisent pas à un tiers. Ce qui me paraît de bon sens. La liberté version «libérale» avec les guillemets de circonstance, est autre, et plus proche de la version utopique qui apparaît dans la Déclaration d'indépendance promulguée par les representants des treize colonies britanniques fondatrices des États unis d'Amérique, le 4 juillet 1776:

«Nous tenons pour évidentes pour elles-mêmes les vérités suivantes: tous les hommes sont créés égaux; ils sont doués par le Créateur de certains droits inaliénables; parmi ces droits se trouvent la vie, la liberté et la recherche du bonheur […]» (traduction du gouvernement des États-Unis).

Ou selon une autre traduction:

«Nous considérons comme absolues ces vérités:
que les hommes sont créés égaux, qu'ils sont investis par leur Créateur de certains droits inaliénables parmi lesquels figurent la vie, la liberté et l'aspiration au bonheur […]» (traduction J.-C. Cau).

Ou encore, selon une troisième:

«Nous tenons pour évidentes les raisons suivantes: tous les hommes sont créés égaux; ils sont doués par leur Créateur de droits inaliénables; parmi ces droits se trouvent la vie, la liberté et la recherche du bonheur» (traduction anonyme).

Pour régler la question, voici le texte original:

«We hold these Truths to be self-evident, that all Men are created equal, that they are endowed by their Creator with certain unalienable Rights, that among these are Life, Liberty and the pursuit of Happiness»

Le mot “considérons” rend mieux “hold” que “tenons”, qui certes en est la traduction immédiate, mais ne tenant pas compte de l'usage différent du mot en anglais: d'un point de vue littéraire, “considérer” s'applique mieux au texte; si la traduction officielle «évidentes pour elles-mêmes» est proche du mot à mot, elle n'est pas exacte: «évidentes par elles-mêmes» est plus juste; dans la traduction officielle apparaît le segment «les vérités suivantes», qui ne correspond pas au texte, bien rendu par le sobre «ces vérités» de la traduction Cau; quant à l'anonyme, sont «les raisons suivantes» est fautif. Traduire n'est pas simple, surtout quand on cherche à tirer le texte du côté de l'interprétation.

Très étrangement, aucune des trois traductions ne rend “endowed” par le sens que donnent les dictionnaires: “doté”. Bien sûr, l'étymologie de ces deux mots est la même, mais leur sens différe: un «don» est une chose attachée à l'être naturel, une «dot» attachée à l'être social. Ce qui fait que l'inaliénabilité de ce «droit naturel» diffère: dans la cas d'un don, elle ne peut être rompue que par la nature; dans celui de la dot, elle peut l'être par un transfert social, un contrat. Ce qu'exprime clairement la suite du texte. Donc, «doté» semble plus adapté. Le passage «that among these» est mieux rendu avec «parmi lesquels» qu'avec «parmi ces droits», parce que plus fidèle à l'original, et parce que plus doux à l'oreille française qui n'aime guère les répétitions. Enfin, si les deux valent, “aspiration” me semble mieux rendre “pursuit” que “recherche”. Voici donc “ma” traduction:

«Nous considérons évidentes par elles-mêmes [manifestes} ces Vérités, que tous les Hommes sont créés égaux, qu'ils sont dotés par leur Créateur de certains Droits inaliénables, parmi lesquels la Vie, la Liberté et l'aspiration au Bonheur».

Peut-être pas la meilleure, mais du moins la plus fidèle. En tous les cas, il n'en demeure pas moins que le grand niveau de généralité de cette déclaration de 1776 n'a rien à voir avec la précision de celle des droits de l'homme de 1789, et qu'en outre elle postule des «droits» qui n'ont guère de valeur, surtout s'ils ne sont pas précisés. Par exemple, le «droit à la vie» (plutôt, la Vie…) est pour moi une idiotie: ce n'est pas un droit mais un fait; mais dans une perception déiste ça apparaît un droit puisqu'octroyé par «le Créateur». Puis, nommer «l'aspiration au Bonheur» – ou sa recherche – un droit me semble étrange. N'en parlons plus, ce n'est pas mon sujet. Disons-le encore, il s'agit d'une manière très «libérale» et utopique d'énoncer les choses, ce qui paraît logique quand on considère la manière dont les colonies britanniques s'établirent: réaliser une utopie dans un contexte plus libéral que celui de l'Angleterre d'alors. Pour conclure sur ce point, il n'est que de mette en balance ces deux propositions:

  • Déclaration de 1776: «Tous les hommes sont créés égaux»;
  • Déclaration de 1789: «Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits».

Je crois que ça se passe de commentaires… Sinon celui-ci: comme dit, le texte de 1776, ne définit pas ses termes, ce qui n'est pas le cas de celui de 1789 où liberté et égalité sont clairement déterminés.


L'ultra-libéralisme n'est pas le libéralisme, ni politique, ni économique. Il s'agit plutôt du «stade final du lénino-stalinisme»: une immense bureaucratie proliférante s'appuyant sur l'armée et la police et travaillant pour une nomenklatura indéboulonnable.