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Société

Stupeur après l'agression antisémite d'une femme dans le RER
LE MONDE | 12.07.04 | 13h42
Jacques Chirac a fait part de son "effroi" après l'agression, vendredi 9 juillet, de Marie L. et de son bébé dans un RER du Val-d'Oise. Six jeunes, selon elle maghrébins et africains, ont lacéré ses vêtements et lui ont tracé trois croix gammées sur le ventre. Aucun passager n'a réagi.

Cela aurait pu n'être qu'un vol parmi d'autres, commis dans les transports en commun de la région parisienne. Mais les jeunes qui ont agressé Marie L. et son enfant âgé de 13 mois, vendredi 10 juillet, sur la ligne D du RER, ne se sont pas contentés de la dépouiller. Selon le récit de la jeune femme, ils l'ont brutalisée et humiliée, parce qu'ils la croyaient juive. Ils ont ainsi suscité une nouvelle vague d'inquiétude dans la communauté juive, déjà traumatisée par la multiplication des agressions verbales et physiques, et provoqué un flot d'indignation dans la classe politique.

Marie L. est entrée dans la rame à deux étages du RER D en gare de Louvres (Val-d'Oise) à 9 h 37, avec la poussette où était assise sa fille. Elle a préféré rester debout, sur la plate-forme, en raison des marches à monter ou descendre pour aller s'asseoir. De l'étage supérieur du RER sont alors descendus six jeunes hommes, selon la jeune femme, de type africain et maghrébin, âgés à première vue de 15 à 20 ans, dont plusieurs étaient armés de couteau. L'un d'eux aurait apostrophé la jeune mère en lui disant que cette poussette conviendrait bien à sa propre petite sœur. Un autre membre du groupe a commencé à fouiller dans son sac à dos. Il a sorti une carte d'identité, sur laquelle était mentionnée l'ancienne adresse de Marie L., dans le 16e arrondissement de Paris. "Tiens, c'est une gosse de riche, elle habite dans le 16e !", se serait-il exclamé, avant de conclure : "Y a que des juifs dans le 16e !" Le vol s'est alors transformé en agression antisémite, alors que la jeune femme n'est pas juive.

GRIFFÉE AU VISAGE

Devant les enquêteurs de la police judiciaire de Cergy-Pontoise, dimanche 11 juillet, Marie L. a expliqué qu'elle a eu la tête baissée de force, afin qu'elle ne puisse pas distinguer les traits de ses agresseurs, dont elle n'a vu que les baskets et les joggings. L'un d'entre eux a déchiré son tee-shirt au niveau de la poitrine, puis le côté droit de son pantalon avec un couteau. La jeune femme a été également griffée au visage et a reçu des éraflures sur le cou. L'un des agresseurs a utilisé un marqueur noir afin de dessiner trois croix gammées sur le ventre de Marie L. Un autre, à l'aide d'un couteau, a coupé une mèche de cheveux sur le côté gauche de sa tête, en guise de "souvenir".

Au moment de sortir du RER, en gare de Garges-Sarcelles, les six agresseurs ont emporté la carte bleue de la victime et les 200 euros qui se trouvaient dans son portefeuille. Ils ont également renversé la poussette, provoquant la chute de l'enfant, qui s'est cogné la tête sur le quai. Selon la victime, c'est à ce moment-là seulement qu'un couple, embarqué dans la rame, est venu s'enquérir de l'état de la jeune femme et lui porter assistance. Pendant les treize minutes de l'agression, personne n'a réagi. Les policiers n'avaient toujours pas de nouvelles de ce couple, lundi 12 juillet au matin. Un appel à témoins a été lancé, dimanche, afin de recueillir d'éventuels témoignages de voyageurs du RER D ayant assisté à la scène.

Après son agression, Marie L. a alerté un guichetier de la gare de Sarcelles, puis a joint son compagnon, qui est venu la chercher. Sa plainte a été enregistrée à 15 h 20 au commissariat d'Aubervilliers où elle habite, après avoir été examinée, avec sa fille, à l'unité médico-judiciaire de l'hôpital.

Marie L. a obtenu dix jours d'interruption temporaire de travail (ITT). Le délai de quelques heures entre l'agression et l'enregistrement de la plainte vient du fait que la victime s'était présentée dans un premier temps sans les documents médicaux nécessaires, puis avait apporté un certificat obtenu dans un hôpital privé. Les fonctionnaires de la police judiciaire n'ont entendu pour la première fois Marie L. que samedi après-midi, car ils ont eu des difficultés à la joindre. Les bandes vidéo numériques de plusieurs gares ont été saisies.

Cette agression est intervenue au lendemain du discours hautement symbolique de Jacques Chirac, jeudi 8 juillet, au Chambon-sur-Lignon. Dans ce petit village de Haute-Loire, où des milliers de juifs avaient trouvé "l'hospitalité" pendant l'Occupation, le président de la République avait appelé les Français à un "sursaut", face à la montée de l'antisémitisme. Après l'agression survenue dans le RER D, M. Chirac a aussitôt exprimé son "effroi" et demandé que les auteurs de "cet acte odieux" soient retrouvés, "jugés et condamnés avec toute la sévérité qui s'impose". A l'occasion de la fête nationale du 14 juillet, le décret de grâces exclura pour la première fois les auteurs d'infractions racistes.

Nicole Guedj, secrétaire d'Etat aux droits des victimes, s'est entretenue dimanche par téléphone avec Marie L. "Ce matin, elle semblait suffisamment troublée pour avoir besoin d'un soutien psychologique, mais ce soir, le besoin semblait moins pressant", a indiqué Mme Guedj. La secrétaire d'Etat devait rencontrer Marie L. lundi.

PIRE QU'EN 2003

Les actions antisémites ou racistes et xénophobes recensées en France se sont multipliées depuis le début de l'année. Selon les chiffres du ministère de l'intérieur, le bilan au premier semestre 2004 est déjà pire que celui de toute l'année 2003 (Le Monde du 10 juillet). Depuis le 1er janvier, 135 actions antisémites ont été recensées contre 127 en 2003. Pour les actes racistes visant les Maghrébins et les Noirs, 95 actions ont été comptabilisées contre 92 en 2003.

Le premier ministre a décidé de réunir en septembre l'ensemble des préfets et sous-préfets. Il s'agira notamment d'organiser "un partenariat renforcé entre les sous-préfets et les maires afin d'être plus efficaces sur le recensement des actes commis, sur le suivi en faveur des victimes", a expliqué le porte-parole du gouvernement, Jean-François Copé.

Piotr Smolar

 ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 13.07.04