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Société

La mythomanie, "cache-misère" et défense contre un sentiment d'infériorité
LE MONDE | 14.07.04 | 13h21

Boris cyrulnik, ethnologue et neuropsychiatre, définit la mythomanie comme un "cache-misère", c'est-à-dire une manière pour celui qui la pratique de fuir une réalité souvent médiocre, difficile à accepter. Pour le psychiatre Serge Bornstein, "la mythomanie est une défense de l'organisme contre un sentiment d'infériorité et de régression".

C'est sans doute pour cela qu'elle est si difficile à guérir : la fin du mensonge signifie le retour à un monde moins arrangeant. Jean-Claude Romand - cet homme qui, pendant dix-huit ans, a fait croire à toute sa famille qu'il était médecin à l'Organisation mondiale de la santé (OMS) - quand il sait que son imposture va exploser au grand jour, tue, en janvier 2003, femme, enfants et parents. "Romand est un mythomane parfait. Il a construit une histoire complète comme un décor de théâtre. Marie L. a entraîné tout le monde dans une histoire crédible. Mais vérifiable, puisqu'elle a porté plainte. C'est un appel au secours. Elle doit aller très mal", estime Claudine Biland, chercheuse en psychologie sociale, et auteur de Psychologie du menteur, à paraître chez Odile Jacob en octobre.

La mythomanie est décrite pour la première fois en 1905 par l'aliéniste Robert Dupré. Il estime que, chez l'enfant, le mensonge est nécessaire au développement de sa maturité et de sa pensée. Ce n'est que s'il persiste à l'âge adulte qu'il révèle un trouble du comportement. Hyper-émotif, doté de facultés imaginaires exaltées, fragile, le mythomane peut être aussi bien névrotique que psychotique ou pervers.

GRANDS MYSTIFICATEURS

La mythomanie comprend différents stades. La première, la plus faible, c'est la mythomanie vaniteuse, à la Tartarin. Vient ensuite la mythomanie maligne, "l'arme de choix des enfants et des femmes, estime Serge Bornstein, qui peut être à l'origine de lettres anonymes" et peut viser à accuser quelqu'un. Enfin, il y a la mythomanie perverse, qui s'associe souvent aux deux premières où "il peut y avoir cupidité, lubricité, tendances vicieuses". "On a affaire à des grands mystificateurs, des grands accusateurs, qui peuvent trouver des oreilles complaisantes et donner ainsi un grand rayonnement à leur mensonge si le contexte est porteur."

Marie L., de ce point de vue, a réussi au-delà de ses espérances. Ce n'est pas la première : en mars 2002, au cœur de la campagne pour l'élection présidentielle, en plein débat sur l'insécurité, un chauffeur de bus de Marseille raconte qu'il a été agressé par deux hommes qui ont tenté de le brûler vif. Moins d'une semaine plus tard, il a reconnu avoir menti et procédé lui-même à un simulacre d'agression, pour être muté dans un quartier "calme".

Quelques années plus tôt, le "calvaire" vécu par Sandrine, une policière de 28 ans, dans la ligne C du RER le 25 octobre 1996, avait, lui aussi, provoqué une vive émotion. La jeune femme avait alors affirmé avoir été agressée et violée dans un wagon, en plein après-midi, alors qu'elle regagnait son domicile. Selon elle, cinq jeunes gens - quatre Maghrébins et un Noir - lui avaient arraché son sac.

En découvrant qu'elle appartenait à la police nationale, ajoutait-elle, ils l'avaient battue et violentée sexuellement. Les organisations professionnelles avaient dénoncé un "acte raciste" antipolicier. Trois mois plus tard, quatre suspects avaient été écroués et avaient fait la "une" des journaux. Au fil de l'enquête, des doutes étaient apparus sur leur culpabilité. En 1998, leur innocence ne faisait plus de doute mais ils ont dû attendre mars 2001 pour obtenir un non-lieu.

Sandrine Blanchard et Virginie Malingre

 ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 15.07.04