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Société

Marie Leblanc, sa vie, ses drames, ses mensonges
LE MONDE | 24.07.04 | 13h37
Poursuivie pour "dénonciation de délit imaginaire", elle risque six mois de prison. Aux policiers, cette jeune mère âgée de 23 ans a expliqué avoir inventé cette histoire pour que son compagnon, Christophe, "passe une journée avec elle".

Marie, ou Marie-Léonie ? Quand elle reçoit, pour un examen psychiatrique, la visite du docteur Françoise Dumont, mardi 13 juillet, celle qui vient d'émouvoir la France entière avec sa prétendue agression antisémite dans le RER D insiste d'emblée. Son prénom, c'est bien Marie, et pas Marie-Léonie. Léonie serait le prénom de sa grand-mère maternelle, que l'on aurait ajouté au sien lors de son inscription en classe de sixième. Un désir profond de sa mère, Geneviève Leblanc, qui aurait même souhaité que Marie-Léonie soit son seul et unique prénom, enregistré dès la naissance. Michel Leblanc, le père de Marie, aurait refusé. Un détail, bien sûr.

Mais l'histoire de Marie est justement faite de petits détails juxtaposés, de minces événements travestis en faits d'importance. Le docteur Dumont, dès la première page de son expertise, y voit là une signification : "Réalité ou pas, cette histoire de prénom (...) pose d'emblée la question de l'identité, non seulement sur le registre civil, et principalement dans l'élaboration mentale. "

Lundi 26 juillet, Marie devait comparaître devant le tribunal correctionnel de Cergy-Pontoise (Val-d'Oise) pour "dénonciation de délit imaginaire". Elle risque six mois de prison. Treize jours plus tôt, le 13 juillet, Marie, 23 ans, a avoué aux policiers qu'elle avait fabulé. Encore une fois. Elle a menti, sciemment, délibérément, inventant une agression de toutes pièces, plongeant la République dans l'embarras, tant les hommes politiques ont cru à son histoire et ont clamé leur écœurement.

Placée en garde à vue, Marie n'a plus compris. Elle ment depuis longtemps, elle a même toujours menti. Mais seuls ses proches en subissaient les conséquences. Elle ne veut pas de cette soudaine surexposition médiatique. Elle a donné son explication aux policiers : "Je voulais qu'il passe une journée avec moi." Marie, mère d'une petite Léa, se sentait délaissée par son ami, Christophe. Elle a confié son désarroi, ce sentiment de solitude qu'elle a ressenti, le vendredi 9 juillet au matin, quand elle a décidé de simuler l'agression. "Cinq à dix minutes avant d'appeler mon concubin, a-t-elle déclaré aux enquêteurs, je me suis sentie mal dans ma tête. Surtout très seule. En effet, mes parents m'avaient avertie quelques jours avant qu'ils allaient partir en Bretagne. De plus, je trouvais que Christophe passait trop de temps à son travail, et très peu de temps avec moi. J'ai donc décidé de faire quelque chose pour attirer leur attention."

Ses proches l'entourent pourtant depuis toujours. Ses parents, en particulier, depuis que Marie, toute petite, a souffert d'une maladie cœliaque, consécutive à l'introduction du gluten dans son alimentation. Elle a été hospitalisée à de multiples reprises à l'hôpital Robert-Debré, à Paris. Ce 9 juillet, donc, elle a décidé de plonger à nouveau dans la fiction. Fragile, tant sur le plan physique que psychologique, la jeune femme n'a pas trouvé d'autre méthode pour polariser l'attention des siens. Depuis 1999, elle a déjà déposé plainte à cinq reprises. Pour des faits, semble-t-il, imaginaires.

"J'ENJOLIVE, J'INVENTE"

"Je mens souvent pour attirer l'attention des personnes, a-t-elle dit aux policiers. J'enjolive, j'invente une vie où il n'y a aucun problème, alors que c'est tout le contraire." Sa vie lui semble être un amoncellement de soucis, de petits drames à éviter à tout prix. "Tout le temps, Marie a toujours menti, s'est souvenu devant les policiers sa mère, Geneviève Leblanc. Cela a pris une ampleur plus grave fin 2000, car elle parlait toute seule au téléphone et voyait des morts partout. A partir de ce moment, j'ai contacté l'hôpital Sainte-Anne." Une psychologue l'a alors examinée, qui a conclu, selon Geneviève Leblanc, à " un dédoublement de la personnalité ou une déprime importante".

A l'époque, Marie vivait encore chez ses parents, dans le 16e arrondissement de Paris. Elle venait de terminer un BTS de secrétariat et de décrocher un contrat d'apprentissage au conseil régional d'Ile-de-France. Elle voulait s'émanciper, gagner sa liberté. "Marie m'a fait croire qu'elle avait des appuis pour obtenir un logement de la Ville de Paris, a raconté sa mère, et m'a produit à cet effet une fausse attestation. Ensuite, elle a prétendu être victime d'une agression commise par des Africains et des Maghrébins. Elle a prétendu que cette agression avait eu lieu fin janvier 2003, alors qu'elle sortait de son véhicule." Mais Marie n'a jamais eu de voiture, elle n'a même pas de permis de conduire.

Christophe, elle le connaît depuis 1997. Elle a fini par vivre avec lui. Un jour, elle a prétendu être enceinte de jumeaux. Une invention, car seule Léa est née, cinq mois plus tard, le 20 mai 2003. Léa, née avant terme, placée en couveuse pendant trois semaines. Une épreuve, pour toute mère. Un traumatisme, pour Marie, déjà perturbée. Le couple a construit sa vie, pourtant, normalement.

Jusqu'à ce 9 juillet, au matin. "Je maintiens que j'ai tout fait de manière impulsive, a assuré Marie aux enquêteurs. J'ai d'abord pensé partir avec ma fille. Mais j'y ai vite renoncé, car je n'avais nulle part où aller. J'ai pensé alors à simuler une agression. Je pensais qu'il allait prendre une journée pour s'occuper de moi." Chez elle, Marie s'est taillé les cheveux, peint des croix gammées sur le ventre, a endommagé les affaires de sa fille. Elle a englobé, cette fois-ci, son enfant dans son scénario. "Si je m'attaquais aussi aux affaires de ma fille, je pensais qu'il croirait vraiment à une agression extérieure."

L'idée de l'agression à caractère antisémite lui est venue d'un reportage télévisé sur les profanations de cimetières. Elle en avait parlé avec Christophe : "Nous étions tous les deux particulièrement choqués (...) J'ai pensé que si je me dessinais des croix gammées sur le ventre, Christophe prêterait davantage attention à moi. Je voulais qu'il y ait quelque chose en plus d'une agression normale, un truc qui puisse attirer l'œil."

A 9 h 52, le 9 juillet, elle a appelé son ami. "Je me suis rendu compte que je venais de faire quelque chose de bête, je ne pleurais pas, mais ma voix commençait à trembler. Christophe a bien cherché à me poser des questions, mais je l'ai coupé. J'ai insisté simplement pour qu'il vienne me chercher à la gare." Christophe a ensuite insisté pour qu'elle dépose plainte. Dès le coup de téléphone, il a pensé que son amie mentait. "J'avais de sérieux doutes, a-t-il dit aux policiers. Je pensais que Marie allait craquer et n'irait pas jusqu'au bout de son mensonge. Quand elle a persisté, j'ai voulu que ça serve de leçon. J'ai donc confirmé ses mensonges, pour voir jusqu'où ça irait."

THÉRAPIE PSYCHOLOGIQUE

Les policiers ont aussi travaillé sur la thèse de l'achat d'une voiture par le couple, selon laquelle Marie aurait inventé cette agression pour éviter d'avoir à rembourser une somme d'argent. "A aucun moment, je n'ai pensé à inventer cette agression pour résoudre ce problème", leur a déclaré Marie. Il faut plus sûrement chercher ailleurs l'explication de cette folie.

Dans ce besoin de l'autre éprouvé par Marie, cette continuelle sensation de ne pas être à la hauteur. Marie n'en fait pas mystère : "Ma mère m'a toujours écrasée, a-t-elle confié aux policiers. J'ai été malade, elle m'a reproché de lui avoir gâché sa vie." Aujourd'hui, Christophe a quitté Marie, qui a accepté de suivre une thérapie psychologique. Une manière pour elle, peut-être, de mieux comprendre cet aveu lâché en garde à vue : "Si je fais des promesses, c'est pour me faire aimer."

Gérard Davet


Chronologie de la fausse agression

Vendredi 9 juillet. Marie Leblanc dépose plainte au commissariat d'Aubervilliers (Seine-Saint-Denis). Elle dit avoir été victime d'une agression antisémite, dans le RER D. Six hommes maghrébins ou africains auraient peint des croix gammées sur son ventre, coupé une mèche de ses cheveux, puis renversé la poussette de son bébé. Aucun passager n'aurait réagi.

Samedi 10 juillet. Le ministre de l'intérieur, Dominique de Villepin, puis le chef de l'Etat, Jacques Chirac, condamnent dans deux communiqués l'agression révélée par l'AFP. Des manifestations de soutien s'organisent.

Dimanche 11 juillet. La jeune femme maintient ses déclarations, un appel à témoins est lancé.

Lundi 12 juillet. Le doute s'installe, aucun témoin ne se signale. Le téléphone portable de la jeune femme indique qu'elle était dans son appartement d'Aubervilliers à l'heure où elle prétendait avoir été agressée.

Mardi 13 juillet. Marie Leblanc avoue aux enquêteurs qu'elle a tout inventé afin d'attirer l'attention de son compagnon. Elle est placée en garde à vue.

Jeudi 15 juillet. Elle est remise en liberté. Marie Leblanc devra comparaître lundi 26 juillet devant le tribunal correctionnel de Cergy-Pontoise (Val-d'Oise) pour "dénonciation de délit imaginaire".

Samedi 17 juillet. Marie Leblanc "demande pardon", auprès de plusieurs médias, à tous ceux qu'elle "a trompés et blessés". "Je suis profondément désolée de tout ce qui est arrivé par ma faute, je présente mes excuses au président de la République et à Nicole Guedj -secrétaire d'Etat aux droits des victimes-".


"J'ai commencé à me griffer le visage..."

Le 9 juillet au matin, Marie a décidé de mettre en œuvre son scénario. "J'ai commencé à me griffer le visage, a-t-elle dit aux policiers, au niveau des joues, assez fortement pour me laisser des traces au moyen d'un couteau de cuisine. J'ai continué en me griffant au niveau du ventre, toujours avec le même couteau. Je me suis arrêtée et me suis regardée dans la glace, mais j'ai trouvé que cela était insuffisant si je voulais vraiment attirer leur attention." Elle se souvient d'un reportage télévisé sur les profanations de cimetières, récemment vu avec Christophe, son compagnon : "J'ai donc décidé de simuler une agression antisémite. J'ai trouvé un marqueur bleu (...). Je me suis dessinée moi-même trois croix gammées sur le ventre (...). Je voulais marquer mes parents et ils savent que je n'aime pas être touchée. J'ai ensuite cherché des ciseaux, et je me suis coupée une mèche de cheveux (...). J'ai également donné un coup de couteau dans le haut du landau de ma fille ainsi que sur son sac à langer. J'ai lacéré mes vêtements (...). Mon intention était d'attirer par mes gestes l'attention de ma famille et de Christophe."

 ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 25.07.04